R. Caillié, La Traite Franco-Maure aux “Escales” du Sénégal, 1828

Dans la journée du 18 avril, les fils de mon marabout revinrent de l’escale, où ils étaient allés porter des gommes, et nous dirent que Hamet-Dou se proposait d’aller à Saint-Louis. Mohammed-Sidy-Moctar me conseilla d’y aller aussi pour chercher mes marchandises. On n’osera pas, disait-il, vous retenir de force en présence du roi; et si l’on refuse de vous les rendre, il vous protégera. Cette proposition me mettait à mon aise; car, ne pouvant rester plus longtemps comme j’étais parmi eux, j’avais besoin de solliciter auprès de M. le commandant les moyens d’achever mon éducation et de continuer mon voyage.

Cependant je ne montrai aucun empressement; j’eus l’air de céder à ses avis, et partis pour l’escale, accompagné d’Abdallah, son second fils : nous y arrivâmes le 20. En route, nous passâmes la nuit dans un camp de zénagues, où j’entendis un Maure qui s’entretenait de moi, dire :

« Je voudrais qu’il mourût chez moi lorsqu’il reviendra avec ses marchandises. »

Une femme lui répondit : « Ne dis donc pas cela. » « Ah! Reprit-il, ne serait-il pas bien heureux? il irait en paradis, et moi j’aurais ses marchandises. »

J’entendis très-distinctement; mais je ne me donnai pas la peine de le remercier de ses bonnes intentions à mon égard.

Il y avait deux jours que le roi était parti pour Saint-Louis, lorsque nous arrivâmes à l’escale; il nous fallut attendre une occasion pour y descendre. .Pendant ce temps, j’allai visiter tous les traitans à bord de leurs bateaux : mon guide me suivait partout, et prenait des informations sur moi, sur mon naufrage et sur mes marchandises. Il paraissait fort inquiet; mais comme j’avais prévenu tous ces messieurs, il n’obtint que des réponses conformes à ce que je lui avais dit. Cependant sa curiosité m’inquiétait; car je savais qu’à Saint-Louis il trouverait des gens qui le détromperaient, même sans intention de me nuire; et comme je prévoyais que j’aurais de la peine à obtenir ce que j’allais solliciter, je craignais que les propos qu’on lui tiendrait sur mon compte ne détruisissent en partie la bonne opinion que ses compatriotes avaient de moi, et qu’ils n’apportassent plus tard des obstacles à mes projets. J’aurais bien désiré de l’éloigner; j’en conçus un moment l’espoir, à la suite d’une conversation que nous eûmes ensemble.

Chaque fois que nous quittions un bateau, il me grondait, parce que je ne demandais rien aux chrétiens ; lorsque je lui répondais que je n’avais besoin de rien, il me disait : « C’est égal, il faut toujours demander: s’ils donnent, tant mieux ; s’ils refusent, tant pis. Ce sont tous des infidèles ; nous devons leur attraper leurs marchandises. Crois-tu que tous les musulmans qui sont ici n’y viennent que pour voir les blancs ? Non : ce n’est que pour attraper leur guinée quand ils le peuvent. Tu penses peut être, Abdallah, que je vais à Saint -Louis pour le plaisir de voir la ville et tous les chrétiens qui l’habitent ? »

Je répondis que je le croyais en effet, parce qu’il avait manifesté ce désir avant notre départ du camp; d’ailleurs, lui dis-je, qu’irais-tu y faire?

« Ce que j’y vais faire? Ne crois pas que ce soit pour voir les infidèles et leur pays, c’est pour tâcher de leur arracher quelques marchandises, et dans l’espoir que tu me donneras trois ou quatre pièces de guinée et un fusil, pour t’avoir accompagné. »

Quoique j’eusse été à même déjuger de l’avidité de ses pareils, cet aveu me surprit autant qu’il m’indigna. Je n’osai pourtant faire éclater ma colère : je me contentai de lui répondre que, s’il avait compté sur ma générosité, il s’était trompé ; qu’il n’y avait acquis aucun droit ; que je ne me croyais obligé qu’envers son frère, et que lui seul recevrait les récompenses qui étaient dues aux bontés qu’il avait eues pour moi. Il fut déconcerté, et me dit que, s’il en était ainsi, il allait retourner au camp et me laisser seul aller à Saint-Louis. J’en eusse été bien aise ; mais lorsqu’il me vit partir, il s’embarqua avec moi. Avant de quitter l’escale, je vais indiquer sommairement comment se fait la traite de la gomme.

A l’époque fixée pour l’ouverture, l’administration de Saint -Louis envoie à l’escale un navire du roi, sous le commandement d’un officier de marine: il est chargé de la police de l’escale, en tout ce qui concerne la navigation et le stationnement des bateaux; il règle aussi les différens qui s’élèvent entre les traitans et les Maures.

Le roi maure envoie, de son côté, des ministres chargés de ses pouvoirs: ils stationnent à l’escale, pour régler les coutumes (On nomme coutumes les droits que paient les traitans aux divers chefs des lieux où ils vont faire le commerce. Aucun n’est admis en traite sans payer ces coutumes. Elles se règlent ordinairement d’après le tonnage du navire et l’importance des denrées que l’on traite. Le gouvernement en paie annuellement à tous les princes des bords du fleuve avec lesquels les liabitans de Saint -Louis sont en relation, pour assurer leur protection à notre commerce) que doit payer chaque traitant. Ils s’entendent avec l’officier commandant le sta tionnaire, toutes les fois qu’il survient des difficultés.

Lorsqu’un bâtiment traitant arrive à l’escale, il reste mouillé au milieu de la rivière, jusqu’à ce que ses coutumes soient réglées. Les débats sont ordinairement très-longs ; car, bien que ces droits se taxent relativement au tonnage du navire, les Maures ne veulent jamais terminer, dans l’espoir d’obtenir davantage : souvent, pour en finir, on est obligé d’avoir recours au roi. Ce n’est qu’après l’accord signé que le bateau peut commencer à traiter; jusque-là, des agens des Maures, nommés aloums, restent à terre pour empêcher les gommes d’aller à bord. Ce sont ces mêmes agens qui surveillent les bâtimens dont la traite est suspendue.

Les droits que paient les traitans sont considérables. Un bateau jaugeant de vingt -cinq à trente milliers de gomme, paie ordinairement cent vingt ou cent trente pièces de guinée de coutumes fixes; à quoi il faut ajouter trois ou quatre pièces de cadeau aux princes, ce qu’on nomme leur souper, et deux ou trois pour les aloums, qui, sans cela, détourneraient les gommes au profit des autres embarcations.

Toutes ces conditions étant arrêtées, le bateau entre en traite : il accoste la rive ; on établit un pont pour faciliter la communication ; le traitant fait construire une case sur la grève pour loger ses pileuses, faire la cuisine de l’équipage, et pour se reposer lui-même quand il descend à terre. Pour traiter, il lui faut encore un maître de langue, qui sert d’interprète entre lui et les marabouts : il est payé et nourri à bord. Les aloums sont aussi nourris par tous les traitans en commun. On nourrit également les princes et princesses, quand ils viennent à l’escale ; celui qui refuserait de se conformer à cet usage, aurait sa traite arrêtée.

Souvent, lorsqu’un prince arrive, il va s’établir à bord d’un bateau, où on le reçoit, et l’on se soumet à toute sorte de vexations de sa part, dans la crainte qu’il ne fasse suspendre la traite. Il s’empare de la cbambre, se couche sur le lit du traitant, se fait servir de la mélasse et de l’eau pour boire, et ne cesse d’importuner son hôte de demandes réitérées.

A l’heure des repas, il se met à table sans y être invité, porte les doigts à chaque plat, en goûte tous les mets, et remet les morceaux qui ne lui plaisent pas, après les avoir portés à sa bouche ; touche tout de ses mains sales, prend le pain, le sucre, et tout ce qui lui convient, affectant toujours de ne rien trouver à son goût, et vantant la chère qu’il fait à son camp, etc. On concevra aisément qu’un mulâtre né au Sénégal, habitué dès son jeune âge à ces manières rustiques, et n’ayant d’ailleurs qu’une idée bien imparfaite de notre politesse, supporte patiemment toutes ces vexations; mais qu’un Européen, qu’un Français s’y soumette, voilà ce que je n’ai pu comprendre, et ce dont j’ai pourtant été témoin. Il est vrai que, le plus souvent, ce sont des commis de négocians de Saint

Louis, qui sont obligés de se conformer à l’usage, dans la crainte de compromettre les intérêts de la maison dont ils sont les mandataires. Ils n’ont qu’un moyen d’éviter une partie des importunités de pareils hôtes et de manger tranquilles ; c’est en faisant entrer du lard ou du saindoux dans l’assaisonnement de tous leurs mets : alors le Maure mange dans un coin le morceau de viande qu’on lui a fait cuire à part. Mais il exerce toujours la même rapacité sur le pain, le sucre, et tous les objets sur lesquels il peut assouvir sa gourmandise. Les traitans, ennuyés, s’efforcent quelquefois de les renvoyer; mais ils évitent toujours une querelle sérieuse ; car si, dans un moment de colère, on portait la main sur eux, la traite du bateau serait arrêtée, t il faudrait entamer une négociation dont on ne sortirait qu’en payant une amende de plusieurs pièces de guinée. Lorsque les zénagues sont à bord seulement dans l’intention de se promener, ils n’en sortent jamais sans avoir obtenu un cadeau, ou au moins sans avoir bu une calebasse d’eau et de mélasse.

C’est ordinairement au mois de janvier que la traite s’ouvre, et elle se termine le 3i juillet. Vers la fin de mai, le roi vient à l’escale ; il va quelquefois se loger à bord du stationnaire, mais le plus souvent il reste à terre avec sa suite, dans une case que les traitans lui font construire. Pendant son séjour, qui dure environ deux mois, les traitans sont obligés de le nourrir ainsi que ceux qui l’accompagnent, et de lui payer une contribution journalière d’une ou deux pièces de guinée ; c’est, comme je l’ai dit, ce qu’on appelle le souper àa roL Il visite chaque jour un bateau, se fait donner des présens, et n’oublie jamais de se faire servir, pour lui et sa suite, une énorme calebasse d’eau sucrée. Il est toujours parfaitement accueilli à bord de tous les bâtimens ; et s’il arrivait qu’il fût mal reçu d’un traitant, il interromprait sa traite. C’est un sûr moyen d’obtenir tout ce qu’il désire.

Pendant son séjour, il lève une autre contribution établie depuis peu d’années, sous le nom de présent forcé. Il fait demander aux traitans cent pièces de guinée, ou plus ; et si cette quantité ne lui est pas remise dans un court espace de temps limité, il interrompt la traite. Alors tous les traitans se cotisent; chacun contribue suivant le tonnage de son navire; et lorsque la quantité demandée est obtenue, elle est remise au roi, qui permet de continuer la traite. Un caprice, la moindre plainte d’un prince, suffisent au roi pour l’interrompre; je l’ai vue arrêtée parce que Fatmé-Anted-Moctar, sa tante, s’était plainte qu’un traitant lui avait donné du café qu’elle n’avait pas trouvé bon.

On pensera peut-être que le prix auquel on traite la gomme dédommage de tant de sujétions par les bénéfices qu’il offre : eh bien, non ! ils pourraient en effet être immenses, si les traitans entendaient mieux leurs intérêts ; mais ils établissent entre eux une concurrence ruineuse, qui tourne toute à l’avantage des Maures. Savent-ils qu’une caravane est en route pour l’escale, chacun envoie son interprète au-devant faire des propositions aux marabouts. Ils vont eux-mêmes à terre pour tâcher de gagner le chef par des promesses et des cadeaux, et de l’attirer à leur bord. Il résulte de cet empressement que le Maure devient exigeant, opiniâtre, croit toujours vendre sa gomme trop bon marché, hésite longtemps avant de l’accorder, va, vient, a bord de tous les bateaux, et, au bout de huit jours, se décide enfin en faveur de celui qui lui fait les offres les plus séduisantes et les plus avantageuses.

Depuis l’arrivée de la caravane jusqu’à parfaite livraison de la gomme, les marabouts qui la composent sont nourris par les traitans ; et toutes les fois qu’un Maure va à bord d’un navire pour vendre une partie de gomme, quelque petite qu’elle soit, il y est nourri avec ceux qui l’accompagnent. Souvent ils vont cinq ou six pour offrir douze ou quinze livres de gomme, la promènent pendant deux ou trois jours ; et, après l’avoir vendue et en avoir reçu le prix, exigent qu’on leur donne à dîner. En général, les marchés se font très lentement; les marabouts, craignant d’être trompés, mesurent leur gomme avant de la mettre en vente, avec une petite mesure dont ils connaissent le poids, afin d’être fixés sur la quantité de guinée quelle doit leur produire. On convient ordinairement d’un certain poids de gomme pour la valeur d’une pièce de guinée. Ce prix varie suivant que la récolte est plus ou moins abondante : lors de mon passage à l’escale du Coq, la pièce se vendait de cinquante à 60 livres de gomme; on en obtient quelquefois cent livres, quelquefois aussi seulement trente et même au-dessous.

Lorsque le prix de la pièce de guinée est convenu, le marché n’est pas terminé ; il faut encore régler les cadeaux qu’on fera au marabout : ces cadeaux consistent en poudre à tirer, sucre, petites mallettes, miroirs, couteaux, ciseaux, etc. ; et cette seconde partie du marché est quelquefois plus longue à conclure que la première ; enfin, après la livraison achevée, il reste encore long -temps à tourmenter le traitant pour en obtenir des cadeaux. Ses demandes, quelque outrées qu’elles soient, lui paraissent toujours au-dessous de la valeur de la gomme, tant les Maures croient que nous y attachons de prix.

Ces frais, ces cadeaux, joints au prix d’achat, portent la gomme à un taux exorbitant, et beaucoup au-dessus de ce qu’elle vaut à Saint -Louis. Les traitans cherchent à se couvrir par mille ruses qu’ils inventent pour tromper les Maures; mais ceux-ci se tiennent tellement sur leurs gardes, qu’ils y réussissent difficilement. Souvent les Européens éprouvent des pertes considérables, et ils en éprouveront toujours tant qu’ils seront obligés d’agir de ruse. Tous leurs momens de loisir sont employés à la recherche de quelque nouvelle supercherie : quand quelqu’un en a découvert une qui lui a réussi, il la tient cachée, et, comptant sur son adresse, baisse le prix de sa guinée pour attirer les gommes à son bord. Mais ses concurrens l’épient si bien, et leur imagination est tellement exercée, qu’ils ne tardent pas à découvrir sa ruse, ou à trouver eux-mêmes un moyen de traiter au même prix. On voit que tout le monde n’est pas propre à ce genre de commerce ; on pourrait dire que, pour être bon traitant, il faut une étude particulière.

On rendrait sans doute un grand service aux habitans du Sénégal, en ramenant ce commerce à des principes loyaux ; mais quand on leur parle de traiter de bonne foi, ils se récrient en disant que cela est impossible avec les Maures. Le gouvernement seul pourrait les convaincre en formant une société dans laquelle chacun entrerait suivant l’étendue de ses moyens ; deux commissaires de la société traiteraient dans chaque escale sous les yeux d’un délégué du gouvernement, qui veillerait à ce que les conditions et statuts fussent observés. Par ce moyen, la concurrence serait détruite et les frais considérablement diminués, parce qu’un seul navire suffirait à chaque escale, et la gomme serait transportée à Saint-Louis à l’aide d’un certain nombre d’allégés. Les Maures feraient bien quelques difficultés de livrer leur gomme à de nouvelles conditions; mais quand ils auraient reconnu qu’on ne veut pas les tromper, il s’établirait entre eux et les traitans une confiance, qui permettrait à ceux-ci de conserver la dignité qui convient au caractère français. Les traitans allèguent encore que les Maures porteraient leur gomme à Portendik; mais tous ne l’y porteraient pas ; et d’ailleurs le gouvernement pourrait prendre des mesures pour diminuer la concurrence que les Anglais établissent à cette escale.

Pendant la traite, plusieurs camps de zénagues s’installent aux environs de l’escale, pour être à portée de vendre le produit de leurs troupeaux. Chaque matin et chaque soir, les femmes viennent apporter du lait et du beurre en échange de guinée, poudre, verroterie, etc. : la livre de beurre est évaluée quinze sous environ; le lait coûte cinq sous la bouteille.

Les Maures qui n’ont pas de gomme et qui ne peuvent se procurer de quoi vivre à l’escale, vont dans les camps de ces malheureux, s’y font nourrir, et absorbent les bénéfices qu’ils peuvent faire en vendant leurs denrées aux traitans. Mais il est convenu que cette classe doit être constamment dépouillée par les autres.

Le commerce attirant sur ce point beaucoup de marchands et de curieux, il en résulte un mouvement continuel. Tant que dure la traite, l’escale offre l’aspect d’une foire tumultueuse: d’un côté, ce sont les chameaux et les bœufs des caravanes que l’on mène paître ou que l’on fait boire à la rivière ; de l’autre, c’est un troupeau de moutons qu’un zénague cherche à vendre ; plus loin, des traitans qui assiègent une caravane arrivant du désert ou qui discutent entre eux, des laptots (matelôts nègres) qui se battent, et des femmes qui disputent; enfin des hassanes à cheval ou montés sur des chameaux, qui courent çà et là, et mettent par leur turbulence la confusion dans tous les groupes, dont la réunion est toujours très -bruyante.

Le 3i juillet au soir, le stationnaire tire un coup de canon; c’est le signal de la clôture de la traite et du départ des navires. Ceux des Maures qui n’ont pas encore vendu leur gomme, la remportent, et font des trous dans la terre, où ils la conservent jusqu’à la traite prochaine. C’est à cette époque que les coutumes achèvent d’être soldées, parce que les traitans ne les paient jamais d’avance, dans la crainte que les chefs ne fassent diriger les gommes sur un autre point pour avoir doubles coutumes. Ce n’est également qu’après le retour du stationnaire à Saint -Louis que le roi reçoit celles qui sont consenties par le gouvernement pour assurer la protection du commerce. Le 1er août, le stationnaire met à la voile, et ordinairement tous les navires traitans le suivent.

Je reprends la suite de mon journal.

Le 11 mai, je m’embarquai sur une péniche pour Saint-Louis; mon compagnon me suivit ; nous y arrivâmes le 16. En route, je fis mon possible pour éviter qu’il n’eût une entrevue avec Schims, chef de la tribu des Daoualaches (Cette tribu a un marché dans le bas du fleuve, connu sous le nom d’escale des Darmaiicours ou Darmanhous). Je ne fus pas assez heureux pour empêcher leur réunion ; ils se rencontrèrent dans un village voisin de son escale. Ils eurent ensemble une longue conversation, dans laquelle Schims instruisit mon marabout que l’année précédente j’avais été en relation avec lui, avant de me rendre chez les Braknas ; il ajouta que je lui avais proposé d’aller faire mon éducation chez lui, et entra dans de grands détails sur les raisons qui l’avaient empêché d’y consentir, fondées principalement sur les rapports qui lui avaient été faits à mon sujet. Dès que Schims m’aperçut, il dissimula, et me félicita sur ma conversion : je lui fis des reproches du refus qu’il avait fait de me recevoir dans son camp ; il me répéta ce qu’il venait de dire, et appuya beaucoup sur la mauvaise opinion que les enfans du Sénégal (les mulâtres) lui avaient donnée de moi : autrement, disait-il, il n’aurait pas hésité à m’emmener et à me traiter comme son fils.

Je m’efforçai, pendant le reste de l’entretien, de détruire l’impression que ces propos avaient faite sur mon marabout : mais je m’aperçus que j’avais perdu toute sa confiance, et qu’à moins d’un prompt retour et d’une feinte résolution de m’établir dans son pays, je ne pourrais en imposer plus long-temps, ni à lui, ni à sa nation.