René Caillié, Premier Voyage : l’intérieur du Sénégal, 1830

Ayant eu, dès ma plus tendre enfance, un goût prononcé pour la carrière des voyages, j’ai toujours saisi avec empressement les occasions qui pouvaient me faciliter les moyens d’acquérir de l’instruction ; mais, malgré tous mes efforts pour suppléer au défaut d’une éducation soignée, je n’ai pu me procurer que des connaissances imparfaites. L’entière conviction que j’avais de l’insuffisance de mes moyens m’affligeait souvent, quand je songeais à tout ce qui manquait pour remplir la tâche que je m’étais imposée ; toutefois, réfléchissant aux dangers, aux diffi

cultés d’une telle entreprise, j’espérais que les notes et les renseignemens que je rapporterais de mes voyages seraient reçus du public avec intérêt : je ne renonçai donc pas un seul instant à l’espoir d’explorer quelque pays inconnu de l’Afrique ; et par la suite, la ville de Temboctou devint l’objet continuel de toutes mes pensées, le but de tous mes efforts ; ma résolution fut prise de l’atteindre ou de périr. Aujourd’hui que j’ai été assez heureux pour accomplir ce dessein, le public accordera peut-être quelque indulgence au récit d’un voyageur sans prétention, qui raconte simplement ce qu’il a vu, les événemens qui lui sont arrivés, et les faits dont il a été le témoin.

Je suis né en 1800, à Mauzé, département des Deux-Sèvres, de parens pauvres ; j’eus le malheur de les perdre dans mon enfance. Je ne reçus d’autre éducation que celle que l’on donnait à l’école gratuite de mon village; dès que je sus lire et écrire, on me lit apprendre un métier dont je me dégoûtai bientôt, grâce à la lecture des voyages, qui occupait tous mes momens de loisir. L’histoire de Robinson surtout enflammait ma jeune tête ; je brûlais d’avoir comme lui des aventures; déjà même je sentais naître dans mon cœur l’ambition de me signaler par quelque découverte importante.

On me prêta des livres de géographie et des cartes : celle de l’Afrique, où je ne voyais que des pays déserts ou marqués inconnus, excita plus que toute autre mon attention. Enfin ce goût devint une passion pour laquelle je renonçai à tout : je cessai de prendre part aux jeux et aux amusemens de mes camarades; je m’enfermai les dimanches pour lire des relations et tous les livres de voyages que je pouvais me procurer. Je parlai à mon oncle, qui était mon tuteur, de mon désir de voyager : il me désapprouva, me peignit avec force les dangers que je courrais sur mer, les regrets que j’éprouverais loin de mon pays, de ma famille ; enfin il ne négligea rien pour me détourner de mon projet. Mais ce dessein était irrévocable ; j’insistai de nouveau pour partir, et il ne s’y opposa plus.

Je ne possédais que 60 francs ; ce fut avec cette faible somme que je me rendis à Rochefort, en 1816. Je m’embarquai sur la gabare la Loire, qui allait au Sénégal.

On sait que ce bâtiment marchait de conserve avec la Méduse, sur laquelle se trouvait M. Mollien, que je ne connaissais point alors, et qui devait faire des découvertes si intéressantes dans l’intérieur de l’Afrique. Notre gabare s’étant heureusement écartée de la route que suivait la Méduse, arriva sans accident dans la rade de Saint-Louis. De là, je me rendis à Dakar, village de la presqu’île du Gap Vert, où furent conduits les malheureux naufragés de la Méduse, par la gabare la Loire. Après un séjour de quelques mois dans ces tristes lieux, lorsque les Anglais eurent remis la colonie aux Français, je partis pour Saint-Louis.

Au moment où j’y arrivais, le gouvernement anglais formait une expédition pour explorer l’intérieur de l’Afrique, sous la direction du major Peddie : lorsqu’elle fut en mesure, elle se dirigea sur Kakondy, village placé sur le Rio-Nunez. Le major mourut en y arrivant. Le capitaine Campbell prit le commandement de l’expédition, et se mit en route avec sa nombreuse caravane pour ‘traverser les hautes montagnes du Fouta-Diallon : en peu de jours il perdit une partie des animaux de charge, et plusieurs hommes ; cependant il se décida à poursuivre sa route ; mais à peine était-il arrivé sur les terres de l’almamy du Fouta-Diallon, que l’expédition fut retenue par l’ordre de ce souverain. Il fallut payer une forte contribution à l’almamy pour obtenir la permission de faire la retraite, de retourner sur ses pas, traverser de nouveau des rivières dont le passage avait été déjà très-pénible, et endurer des persécutions telles, que, pour les faire cesser et rendre sa marche moins embarrassante, le commandant fit brûler les marchandises sèches, briser les fusils et jeter la poudre dans la rivière. Dans ce retour désastreux, le capitaine Campbell et plusieurs de ses officiers perdirent la vie, aux mêmes lieux où était mort le major Peddie : ils furent enterrés au même endroit que lui, au pied d’un oranger, dans la factorerie de M. Betmann, négociant anglais.

Le reste des troupes de l’expédition du capitaine Campbell mit à la voile pour Sierra-Leone.

Quelque temps après, on forma une nouvelle expédition qui fut confiée au major Gray. Les Anglais n’épargnèrent ni les soins, ni l’argent, afin de la rendre encore plus imposante et plus nombreuse que la première. Pour éviter le terrible almamy de Timbo, on se dirigea par mer vers la Gambie, et l’on remonta la rivière. Dès que l’expédition eut pris terre, elle traversa le Oulli et le Gabou, et arriva enfin dans le Bondou : mais le Bondou est habité par un peuple semblable à celui du Fouta-Diallon, aussi fanatique, aussi méchant, et dont le roi ne se montra pas moins malveillant pour les Anglais; ses prétentions étaient encore plus déraisonnables que celles de l’almamy de Timbo. Sous le prétexte de je ne sais quelle dette anciennement contractée envers lui par le gouvernement anglais, il exigea tant de marchandises, que le major Gray se trouva bientôt épuisé, et qu’il fut obligé, comme on le verra plus bas, d’envoyer un officier au Sénégal pour s’en procurer d’autres, espérant, par ce moyen, obtenir le passage.

J’ignorais ces fâcheuses nouvelles, lorsque l’on me parla de l’expédition anglaise; et ne doutant pas que le major Gray, ayant besoin de monde, n’accueillît l’offre de mes services, quoique je fusse pour lui un étranger, je me décidai à gagner la Gambie par terre. Je partis de Saint-Louis, accompagné de deux nègres qui retournaient à Dakar, et pris le chemin qui conduit de Gandiolle à la presqu’île du Cap Vert. Nous voyagions à pied : j’étais encore bien jeune, et j’avais pour compagnons deux vigoureux marcheurs, ce qui m’obligeait à courir pour les suivre. Je ne puis exprimer la fatigue que j’éprouvai sous le poids d’une chaleur accablante, marchant sur un sable brûlant et presque mouvant. Si du moins j’avais eu un peu d’eau douce pour apaiser la soif qui me dévorait ! mais on n’en trouve qu’à quelque distance de la mer; et pour marcher sur un terrain plus solide, nous étions forcés de ne pas quitter la plage. Mes jambes étaient couvertes d’ampoules, et je crus que je succomberais avant d’arriver à Dakar : cependant nous atteignîmes enfin ce village; je n’y séjournai pas, et pris de suite passage sur un canot, qui me porta à Gorée.

Les tourmens que je venais d’endurer me firent réfléchir aux souffrances bien plus vives encore auxquelles j’allais m’exposer : les personnes qui s’intéressaient à moi, et particulièrement M. Gavot, n’eurent donc pas de peine à me détourner de mon projet ; et pour satisfaire en quelque chose à mon désir de voyager, ce digne officier me procura un passage gratuit sur un navire marchand qui faisait voile pour la Guadeloupe.

J’arrivai dans cette colonie avec quelques lettres de recommandation, et j’obtins un petit emploi que je ne gardai que six mois. Ma passion des voyages commençait à se réveiller; la lecture de Mungo-Park vint ajouter une nouvelle force à mes projets; enfin, ma constitution venant de résister à un assez long séjour, tant au Sénégal qu’à la Guadeloupe, me donnait l’espoir de les exécuter cette fois avec succès.

Je quittai la Pointe à Pitre pour passer à Bordeaux, et de là retourner au Sénégal. Arrivé à Saint

Louis à la fin de 1818, avec peu de ressources (car je les avais extrêmement diminuées par des

courses inutiles), rien ne me découragea; tout sembla possible à mon esprit aventureux, et le hasard parut servir mes desseins.

M. Adrien Partarrieu, envoyé par le major Gray pour acheter à Saint-Louis les marchandises exigées par le roi de Bondou, se disposait à rejoindre l’expédition.

Je me rendis près de M. Partarrieu, et lui proposai de l’accompagner sans appointemens et sans

engagemens d’aucune espèce pour le moment. Il me répondit qu’il ne pouvait rien me promettre pour la suite; mais que j’étais libre de me joindre à lui, si je le voulais. Je fus bientôt décidé : heureux de saisir une occasion aussi favorable de parcourir des contrées inconnues, et de participer à une expédition de découvertes !

La caravane de M. Partarrieu se composait de 60 à 70 hommes, tant blancs que noirs, et de 32 chameaux richement chargés.

Nous partîmes, le 5 février 1819, de Gandiolle, village du royaume de Cayor, situé à peu de distance du Sénégal. Le damel (ou roi), que nos présens nous avaient rendu favorable, donna l’ordre que nous fussions bien traités ; nous reçûmes par-tout l’hospitalité, et dans plusieurs endroits on porta la générosité jusqu’à nourrir tout notre monde, sans vouloir accepter aucune rétribution. Arrivés sur les frontières du Cayor, nous trouvâmes un désert qui le sépare du Ghiolof. On sait qu’autrefois ces deux pays appartenaient au même souverain, qui les gouvernait sous le titre de bour (ou empereur), et que le damel n’est qu’un vassal indépendant : nous reçûmes le même accueil des peuples soumis au bour de Ghiolof.

Peu de temps s’était écoulé que nous regrettions déjà la généreuse hospitalité des Ghiolofs. En quittant leur pays, nous entrâmes dans un désert, où, pendant cinq jours de marche, nous fûmes exposés à mille maux : on me pardonnera d’entrer dans ces détails, les seuls qui aient pu se graver dans la mémoire d’un tout jeune homme, voyageant moins pour observer que pour chercher des aventures.

Nos chameaux étaient si chargés de marchandises, que nous n’avions pu emporter qu’une très -petite quantité d’eau ; bientôt on fut obligé de n’en distribuer à chacun qu’une légère portion : la mienne n’était pas plus abondante; pouvais-je me plaindre, moi, bouche inutile, attaché à l’expédition par la seule condescendance du chef? je n’avais pas le droit de réclamer, mais je souffrais extrêmement delà soif.

Je fus quelquefois à l’extrémité; car, n’ayant pas de monture, j’étais obligé de suivre à pied : on m’a dit, depuis, que j’avais les yeux hagards, que j’étais haletant, que ma langue pendait hors de ma bouche; pour moi, je me rappelle qu’à chaque halte, je tombais par terre, sans force, et n’ayant pas même le courage de manger. A la fin, mes souffrances excitèrent la pitié de tous, et M. Partarrieu eut la bonté de partager avec moi sa portion d’eau, ainsi qu’un fruit qu’il avait trouvé. Ce fruit ressemble à la pomme de terre ; la pulpe en est blanche et d’une saveur agréable : depuis nous en trouvâmes beaucoup ; ils nous furent d’un grand secours.

Un matelot, après avoir inutilement employé tous les moyens pour apaiser sa soif, s’étant mis à chercher des fruits, fut trompé par la ressemblance avec celui que m’avait donné M. Partarrieu; il en mangea un qui lui mit la bouche en feu, comme si c’eût été du piment : aux envies de vomir, et aux tranchées qu’il éprouva, on le crut empoisonné ; chacun s’empressa de prendre sur sa part pour lui apporter à boire ; mais il parut soulagé si promptement, que j’ai pensé depuis que cette maladie n’était qu’une feinte pour intéresser et se procurer un peu plus d’eau.

Je n’étais pourtant pas le plus malheureux, puisque j’en vis plusieurs boire leur urine. Enfin nous arrivâmes à Boulibaba, village habité par des foulahs pasteurs, qui passent une partie de l’année dans les bois, et ne se nourrissent que de lait assaisonné du fruit du baobab. Boulibaba fut pour nous un paradis ; nous y trouvâmes des sources limpides, et en abondance : l’eau que nous bûmes avec avidité nous parut excellente ; mais nous la payâmes fort cher, car les foulahs chez qui nous la trouvions étaient pauvres et fort intéressés. Nous campions près du village, dont les maisons en paille sont en forme de pain de sucre tronqué par le haut ; la porte en est si basse, qu’on n’y entre qu’en rampant.

Dès qu’on sut notre arrivée, tout le village sortit pour nous voir : un foulah vint me trouver au pied de l’arbre où je reposais, et me demanda en ouolof, que j’entendais, un grigri pour avoir des richesses; je le lui écrivis, et en reconnaissance il me donna une jatte de lait. Mais je n’en fus pas moins sa dupe; car à peine était-il parti que je m’aperçus qu’il m’avait volé une cravate de soie noire.

En sortant de Boulibaba, nous avions un autre désert sans eau à traverser ; avant d’y entrer, on jugea à propos de se remettre des fatigues qu’on avait éprouvées, et de rester quelques jours chez les pasteurs foulahs. On fit provision d’eau; les guides furent arrêtés, et nous partîmes.

Après avoir marché une demi-journée, nous arrivâmes à Paillar, où nous fîmes une nouvelle provision d’eau. Il n’eût pas été prudent de traverser le Fouta-Toro, dont les habitans sont fanatiques et voleurs ; nous l’évitâmes en tournant un peu au sud. Les précautions que nous avions prises pour ne pas manquer d’eau rassuraient nos esprits. Le pays nous parut généralement beau; nous voyions avec admiration des arbres d’une grande élévation, d’un feuillage touffu, couverts d’oiseaux de diverses espèces qui, par leur ramage, animaient ces solitudes. Ce fut sans doute aux sensations agréables que nous fit éprouver ce spectacle, que nous dûmes en partie l’oubli de nos fatigues, bien que notre marche durât depuis le lever du soleil jusqu’à près de dix heures du soir, ne prenant dans la journée que quelques instans de repos. Cependant le cinquième jour nous étions tous exténués ; nous souffrions de la soif, et notre eau touchait à sa fin. L’industrie européenne vint à notre secours ; on nous distribua des pastilles de menthe, et nous fûmes aussitôt soulagés. Le manque d’eau et de fourrage fit souffrir beaucoup nos chameaux, qui n’eurent pour toute nourriture que de jeunes branches d’arbre coupées çà et là.

Nous atteignîmes enfin un hameau, où des nègres s’empressèrent de nous apporter quelques calebasses d’eau : on ne la prodigua pas ; et c’était sagesse, vu la quantité d’hommes et d’animaux qu’il fallait désaltérer; pour ma part, je n’en reçus que la valeur d’un grand verre. Mais à peine commencions-nous à boire, que des essaims d’abeilles s’abattirent sur les vases qui contenaient l’eau, et, nous la disputant, s’attachèrent même à nos lèvres : supplice affreux, douleurs cuisantes, auxquels nous avons été plusieurs fois exposés dans notre voage ! J’ai vu souvent les outres couvertes d’abeilles ; on ne pouvait les chasser qu’en allumant du bois vert dont la fumée les éloignait.

Enfin, nous sommes dans le Bondou. M. Partarrieu, qui redoutait extrêmement la rencontre de l’almamy, voulait éviter Boulibané, sa résidence ordiaire, pour gagner promptement et directement Bakel; mais les habitans de Potako, second village que nous trouvâmes, manifestèrent la volonté de s’opposer à ce projet. Il fallut donc camper pour entrer en palabre. Les pourparlers duraient toujours; nous étions près des puits, et l’on ne nous donnait ni eau ni provisions; personne n’apportait de mil; on commençait la guerre par la famine. Ce système d’attaque contre nous était le pire de tous et le plus dangereux ; il fallait y opposer la fermeté et la résolution. M. Partarrieu, qui n’en manquait pas, se disposa à continuer sa route directement vers Bakel.

Nous allions donc partir, lorsque M. Gray, commandant de l’expédition, et qui venait au-devant de nous, parut à cheval, et nous annonça que nous irions à Boulibané, dans l’idée que l’almamy lui tiendrait parole, et qu’après avoir reçu les marchandises, il nous laisserait passer : M. Gray était un peu crédule. Au reste, les habitans ne nous virent pas plus tôt changer de route, qu’ils s’empressèrent de nous laisser puiser de l’eau, et de nous apporter en abondance des provisions de toute espèce. La paix faite, tout le monde d’accord, les échanges commencèrent.

Le lendemain de l’arrivée du major Gray, nous reçûmes ordre de partir et de suivre la route de Boulibané : il nous fallut obéir ; mais pour que les habitans de cette capitale ne remarquassent pas la grande quantité de marchandises que nous transportions, nous n’y entrâmes que la nuit. J’étais à l’arrière-garde avec quelques soldats anglais montés sur des ânes: ces pauvres soldats étaient épuisés de fatigue ; jamais ils n’avaient fait une si rude campagne ; ils voulaient rester en route : je les en empêchai, et nous rejoignîmes enfin, quoiqu’un peu tard, la tête de la caravane, que nous trouvâmes déjà endormie dans le camp qu’elle avait formé en -dehors de la ville : ce camp n’était qu’un groupe de huttes en paille, entourées d’une palissade de quatre pieds de hauteur, que formaient des troncs d’arbres entrelacés de branches.

On avait eu la maladresse de ne pas enfermer les puits dans l’enceinte du camp, négligence impardonnable qui pouvait nous exposer aux plus cruelles privations. A leur arrivée, les chefs de l’expédition allèrent saluer le vieil almamy, et lui portèrent en même temps de riches présens, pour le disposer en notre faveur.

Ce ne fut pas tout ; on continua à lui en faire chaque jour de nouveaux, car le cupide almamy demandait sans cesse. Curieux de voir ce roi, je me rendis à sa résidence ; j’y pénétrai facilement, et je trouvai le souverain du Bondou, assis sur une natte étendue par terre, occupé à regarder un maçon nègre de notre expédition, qu’il nous avait demandé pour se faire construire une poudrière en pierre, destinée à renfermer les munitions de guerre qu’il avait reçues de nous en présens.

L’almamy de Bondou, âgé de 70 ans, avait les cheveux tout blancs, la barbe très-longue, et le visage sillonné par les rides. Il était vêtu de deux pagnes du pays, et couvert d’amulettes jusqu’au bas des jambes. Il me regarda d’un air indifférent, et parut beaucoup plus occupé du travail du maçon que de ma présence, ce qui me donna le loisir de l’examiner sans qu’il s’en offensât.

Après être resté quelques jours à Boulibané, pendant lesquels nous avions été en bonne intelligence avec les habitans, le major Gray fit ses dispositions pour quitter cette résidence royale. Mais avant de partir, il crut devoir aller offrir à l’almamy un présent d’adieu; il était composé d’une pièce de guinée et de quelques bagatelles. Soit que le prince en fût peu content, soit qu’il craignît que les Anglais ne se joignissent aux Français pour attaquer ses états, soit enfin qu’il eût juré de ne pas nous laisser passer, il déclara avec un regret simulé qu’il ne pouvait nous permettre de nous rendre à Bakel ; qu’il souffrirait bien que nous allassions à Clégo, mais en traversant ses états et ceux du Kaarta; qu’autrement, nous n’aurions qu’à prendre la route du Fouta-Toro, pour gagner le Sénégal. Ces deux routes étaient également pénibles et dangereuses pour nous, puisque nous étions sûrs de rencontrer dans ces deux pays des peuples aussi fanatiques et aussi barbares que les habitans du Bondou. Le dessein de l’almamy était évidemment de nous faire piller et peut-être massacrer.

Notre position devenait affreuse ; elle motiva un conseil; l’indignation qu’avait excitée la conduite de l’almamy décida à prendre le parti violent de s’ouvrir par la force un passage vers Bakel. Aussitôt on charge les animaux, et l’on se dispose à partir, mais notre projet est à peine connu, que des soldats du roi, au nombre de cinquante, armés de lances et de fusils, viennent occuper les puits, et cerner notre camp. Nous avions peu d’eau, par suite de l’imprévoyance que j’ai signalée plus haut ; et malgré l’économie avec laquelle nous l’employions, nous étions sur le point d’en manquer tout-à-fait. En Afrique, il est plus aisé de prendre une place par la soif que par la famine.

Ce danger n’était pas le seul qui nous menaçait ; déjà les tambours de guerre retentissaient de tout côté : au bruit de ce tocsin d’alarme, des hommes armés se rendaient en foule à l’appel de leurs chefs ; partout on entendait un vacarme effroyable. En moins de deux heures, une armée nombreuse fut sur pied, prête à fondre sur nous : la résistance devenait impossible, puisque nous n’étions que cent trente personnes; malgré l’ardeur et le désespoir qui nous animait tous, on ne pouvait espérer de résister à tant d’ennemis réunis. Il était donc inutile de songer à se battre, et il ne fallait plus aviser qu’à détourner, par de nouvelles négociations, les malheurs qui nous menaçaient : ce fut le sentiment des chefs de l’expédition; ils pensèrent qu’un combat ne pouvait avoir qu’une issue très malheureuse ; qu’indépendamment de la perte des hommes et du pillage des marchandises, il rendrait à l’avenir les blancs un objet d’horreur et d’exécration dans l’intérieur de l’Afrique. Ces réflexions sages déterminèrent notre chef à demander un palabre ; nos ennemis l’accordèrent, mais avec la supériorité et la hauteur de gens sûrs de la victoire.

L’almamy n’accepta rien de ce qu’on lui proposa, et dicta arrogamment les conditions de la paix; tout ce qu’on put arracher de lui, à force de sollicitations et de présens, fut la permission de se rapprocher le plus possible du Sénégal, afin de ne pas manquer d’eau : mais il ne céda pas sur la route que nous devions tenir ; le Fouta-Toro, ou point d’eau, fut sa dernière réponse. On souscrivit à tout avec reconnaissance ; notre obéissance une fois assurée, il fit signe aux soldats qui gardaient les puits de s’éloigner, et nous pûmes boire avec sécurité. L’anxiété dans laquelle nous étions pendant tous ces pourparlers, jointe à la chaleur, nous fit regarder la permission de l’almamy comme un bienfait, surtout pour nos animaux chargés depuis le lever du jour, sans boire ni manger.

Le départ pour le Fouta-Toro fut remis au lendemain. Ce jour-là, notre caravane ressemblait à une longue file de prisonniers : une foule d’hommes à cheval voltigeaient sur nos ailes, pour nous empêcher de nous écarter. L’almamy y veillait mieux que personne : le traître, pour être plus sûr que cette riche proie n’échapperait pas à ses alliés du Fouta-Toro, nous suivit jusqu’à notre première halte, et ne nous quitta qu’après avoir reçu un nouveau présent ; mais, en s’éloignant, il remit le soin d’éclairer notre marche à plusieurs princes de sa famille, qui nous accompagnaient avec une escorte nombreuse de soldats à pied ou à cheval. La nuit étant arrivée, pour ne plus être embarrassés par le bagage qui retardait notre marche, on alluma un grand feu, et chacun reçut l’ordre d’y jeter tout ce qu’il possédait, à l’exception des vêtemens absolument nécessaires. Ce sacrifice utile s’accomplit sous les yeux des foulahs, qui nous supplièrent inutilement de le faire cesser. Dans notre juste fureur contre eux, nous nous serions plutôt fait tuer, que de leur laisser retirer du feu même un mouchoir.

Le lendemain au jour, nous entrâmes dans le Fouta-Toro, précédés d’une fâcheuse réputation. Les habitans du Bondou nous avaient si bien recommandés des visages ennemis et des dispositions hostiles ; nulle part on ne nous laissait puiser de l’eau qu’après en avoir réglé le prix : croira-t-on que souvent elle nous revenait à six francs la bouteille ? Si nous nous écartions de la route tracée par nos conventions avec l’almamy du Bondou, aussitôt on s’emparait des puits, et, sous peine de mourir de soif, il fallait rentrer dans le chemin convenu. Une autre fois, dans un village, on voulut, au contraire, nous obliger de quitter la route que nous suivions, pour nous forcer à en prendre une qui nous éloignait du Sénégal. Je ne sais comment nous aurions pu résister à cette nouvelle violence, puisque les puits ne devaient nous être livrés qu’à l’affreuse condition de suivre cet autre chemin, que nous étions déjà tous aux abois et nos forces épuisées; deux misérables espingoles n’eussent pas suffi pour faire le siège des puits. Heureusement M. Partarrieu parvint à gagner un chef, qui nous procura deux outres pleines d’eau : elles coûtèrent près de dix francs la bouteille ; mais notre soif apaisée, nous reprîmes assez de courage, et nous nous éloignâmes.

Sortis de ce mauvais pas, nous gagnâmes un autre village, situé à peu de distance du Sénégal, afin de pouvoir, à la première occasion, nous rapprocher de ce fleuve. Nous nous arrêtâmes là pour tenir conseil ; on résolut d’y coucher, et de se mettre en marche secrètement au milieu de la nuit, pour atteindre les bords de la rivière. Cette résolution de M. Partarrieu trouva un contradicteur dans M. Gray ; il objecta que nous pouvions être attaqués en route, et qu’après avoir manqué à la convention, nous serions traités en déserteurs, et sûrement massacrés ; il ajouta qu’il valait mieux que, suivi d’un domestique, il se rendît seul au comptoir français de Bakel, pour y demander du secours. En vain M. Partarrieu chercha-t-il à lui faire comprendre l’inconvénient d’un pareil projet, et le danger où nous laisserait son absence :

« Quand les foulas, ajouta-t-il, sauront que nous n’avons plus notre chef, ils nous regarderont comme un corps sans tête, et ne balanceront plus à nous attaquer. »

Tout fut inutile, M. Gray n’écouta rien, et se mit en route. Au jour, les foulahs s’aperçurent de son absence ; ils vinrent en foule, en criant à la trahison, et avec des menaces terribles; ils allaient même faire feu, lorsque M. Partarrieu eut l’heureuse idée de répondre qu’il était brouillé avec M. Gray, et qu’il aimerait mieux mourir que de le recevoir encore parmi nous : on le crut ; les foulahs s’apaisèrent, et nous permirent d’aller à un village voisin du fleuve.

M. Gray était donc parti pour Bakel, où il obtint quelques hommes noirs, avec lesquels il se mit en route pour revenir nous trouver : mais il fit comme nous la faute de partir sans eau ; n’ayant pu s’en procurer sur le chemin, il se dispersa avec les siens pour en chercher. Non-seulement ils n’en trouvèrent pas, mais encore ils s’égarèrent dans les bois, où ils rencontrèrent les foulahs, qui, avertis de leur départ, étaient allés en force pour s’opposer à leur jonction avec nous, et qui les firent aisément prisonniers. On tira, dans cette affaire, quelques coups de fusil : plusieurs noirs français furent dangereusement blessés, et l’un d’eux eut même la cuisse cassée ; Donzon lui fit plus tard l’amputation à Bakel.

La nouvelle de ce désastre nous parvint bientôt; sans perdre de temps, M. Partarrieu se rendit au village où le major Gray était détenu ; prières, présens, menaces, rien ne put engager les foulahs à le relâcher; et la joie que nous éprouvâmes de pouvoir continuer à ne pas trop nous éloigner de la rivière, fut empoisonnée par la douleur de voir M. Gray conduit à cheval, et sous bonne escorte, par une route opposée à la nôtre. Les foulahs ne l’emmenaient que pour nous déterminer à le suivre, et à retourner en arrière; mais comme nous savions que notre dévouement pour le major n’aurait eu d’autre résultat que celui de notre perte, nous nous gardâmes bien, en donnant dans le piège qu’on nous tendait, de courir la chance d’augmenter inutilement le nombre des victimes pour une imprudence qu’aucune sollicitation n’avait pu empêcher le major de commettre.

Nous continuâmes à nous diriger vers le nord. Après avoir éprouvé, dans divers endroits, les mêmes tourmens, nous atteignîmes Adgar, village qui n’est qu’à une journée et demie de Bakel. M. Partarrieu s’y arrêta, et campa tout près, comme s’il eût voulu y demeurer long-temps ; puis il alla trouver le chef, lui parla de faire conduire ses malades à Bakel, afin de pouvoir plus aisément se rendre ensuite dans le Fouta-Toro : mais s’apercevant que ce projet contrariait le chef du village, il eut recours à une ruse, pour obtenir son consentement; il lui dit que, n’ayant pas assez d’animaux pour porter tout son bagage, il allait lui laisser une partie de ses marchandises. Le chef, apercevant dans cette proposition le moyen de s’emparer plus tard d’un riche butin, consentit à tout. Aussitôt M. Partarrieu fit remplir de pierres une partie des coffres qu’on chargeait ordinairement sur les chameaux; et ayant fermé ces coffres à clef, il les fit porter chez le chef du village ; puis il mit à part les caisses qui renfermaient nos marchandises. On sait que les chameaux ont l’habitude de crier quand on les charge ; pour obvier au danger que ce cri, signal de notre départ, aurait pu nous faire courir, nous eûmes soin, pendant plusieurs nuits de suite, de faire crier nos chameaux, pour que les habitans du village ne connussent pas le moment de notre fuite.

Lorsque tout fut disposé, on choisit une nuit obscure; et dès que nous jugeâmes tout le monde endormi, nous partîmes, laissant debout tentes, cabanes et palissades, sans éteindre les feux que nous avions allumés, sans même déranger les marmites qu’on avait placées pour notre souper, afin que les habitans ne s’aperçussent de notre départ que le plus tard possible ; calcul d’une bien sage prévoyance, et dont la justesse ne tarda pas à nous être démontrée.

Une partie de la caravane prit les devans, par un chemin qu’elle se fraya; je restai avec l’arrière-garde, dirigée par M. Partarrieu et par un sergent anglais chargé du bagage ; elle se mit en route une heure plus tard.

Nous avions une telle crainte d’être découverts, et nous sentions si bien l’imminence du danger, que notre marche ressemblait plutôt à une déroute qu’à une retraite. On ne voyait partout que des coffres, des ballots abandonnés ; les animaux mêmes, comme s’ils eussent deviné le péril, et qu’ils fussent intéressés à l’éviter, étaient plus indociles que jamais, et couraient à travers champs, après s’être débarrassés de leur charge. Nous passâmes plus de deux heures à trouver ceux qui nous avaient précédés. Grand Dieu ! quelle inquiétude nous éprouvâmes pendant ces deux mortelles heures! A peine osions-nous demander ce qu’étaient devenus nos compagnons, à peine osionsnous y penser; on les croyait pris, et, dans cette idée, nous avions à redouter le même sort. De temps en temps on sonnait du cor ; ce signal de détresse, au milieu du silence des nuits et de l’horreur de la solitude, avait quelque chose de lugubre, qui nous faisait tous frissonner: encore si nous avions entendu quelqu’un y répondre ! mais pas le moindre bruit, pas même le cri d’un oiseau nocturne, n’animait le bois que nous traversions à la hâte. Bientôt nous ne vîmes de tout côté que des embûches; chaque buisson, chaque arbre, se transformait pour nos esprits frappés, en ennemis armés ; chaque branche était prise pour un fusil braqué. Enfin nous eûmes recours à un moyen extrême, pour nous faire entendre de loin ; on tira un coup de fusil ! l’écho, en le répétant plusieurs fois, augmenta notre trouble, sans nous donner l’espérance d’avoir été entendus. Je comparais alors notre situation à celle des victimes du radeau de la Méduse, abandonnées sur le banc d’Arquin, sans espoir d’être secourues ; l’excès de la frayeur nous donna le courage du désespoir, et nous fîmes avec nos cors un tel bruit, que la troupe qui nous avait précédés parvint à nous entendre et nous répondit. Avec quelle alégresse on doubla le pas pour la trouver! enfin nous la joignîmes, au moment où le jour allait paraître ; on délibéra vîte sur le parti qu’on avait à prendre. Les dangers nous entouraient de toute part, mais au moins, en continuant de nous éloigner du village que nous avions quitté la nuit, nous nous rapprochions du Sénégal. Ce fut le projet qu’on adopta unanimement ; et pour qu’il réussît mieux, on abandonna bagages, animaux, effets de toute espèce, car un esprit de terreur s’était emparé de tout le monde.

Le jour parut, et nous montra un village qui était tout près de nous; mais heureusement les habitans reposaient encore, et nous ne fûmes pas aperçus. Bientôt nous entrâmes dans un chemin pierreux, qui nous annonçait le voisinage du fleuve; l’espoir de nous y désaltérer rendait notre soif plus ardente, et troublait nos esprits, au point que nous allions toujours en avant sans savoir où nous étions ; et nous aurions continué ainsi, sans un nègre que nous rencontrâmes, et que nous forçâmes de nous conduire au fleuve : il nous fit d’abord passer près d’un champ, où plusieurs nègres, occupés à la culture, s’enfuirent à notre aspect vers leur village. Enfin, à dix heures du matin, nous arrivâmes à une bourgade située sur la rive gauche du Sénégal, à peu de distance de Bakel. On ne s’y arrêta point, et l’on s’empressa de profiter d’un gué peu éloigné pour traverser le fleuve ; quoique les eaux fussent encore basses, cependant on en avait jusqu’au cou en certains endroits, et chacun était obligé de porter ses effets sur la tête, de peur de les mouiller.

Nous voilà sur la rive droite de la rivière ; il était temps, car quelques-uns d’entre nous la traversaient encore, lorsque des nuées de foulahs parurent de l’autre côté, armés de piques et de flèches. Nous étions perdus s’ils nous eussent rencontrés dans les bois ; car c’étaient les voisins de notre camp, furieux d’avoir été les dupes de notre stratagème. Ils n’osèrent traverser ,1e fleuve; mais, croyant à notre simplicité, ils firent signe à M. Partarrieu de venir les trouver pour s’expliquer avec eux. Celui-ci leur fit répondre qu’à Bakel il leur donnerait audience, qu’ils n’avaient qu’à venir l’y joindre. Cette invitation ne pouvait être de leur goût ; aussi ils n’y vinrent pas, et retournèrent sur le-champ dans leur bourgade.

Après avoir passé la rivière, nous n’étions pas encore à Bakel; il nous restait une journée de

marche : quoiqu’il eût été plus sage de la faire tout de suite, cependant nous étions tous si accablés de fatigue, qu’il fallut camper en route avant la nuit. Nous dormîmes avec la sécurité la plus complète, dans l’idée que les sentinelles qu’on avait placées feraient bonne garde ; mais les sentinelles ayant éprouvé les mêmes fatigues que nous, elles s’endormirent, et personne ne veilla ; cependant il ne nous survint rien de fâcheux, et le lendemain nous arrivâmes de bonne heure à Bakel.

On peut juger de notre joie en entrant dans ce fort, sur-tout quand nous vîmes l’empressement généreux avec lequel MM. Dupont et Dusseault, qui y commandaient, vinrent à notre secours. Rien ne nous manqua, soins affectueux, rafraîchissemens de toute espèce; et notre joie fut au comble, lorsque nous vîmes revenir le major Gray : les nègres lui rendirent la liberté, dès qu’ils reconnurent qu’il ne pouvait leur servir d’otage pour nous ramener chez eux ; bien mieux, leurs envoyés, plus traitables sous le canon du fort de Bakel, nous rendirent une partie des objets que nous avions abandonnés en fuyant, et qu’ils avaient ramassés.

La saison des pluies, dans laquelle nous entrions, me fut aussi funeste qu’aux autres; j’eus la fièvre: elle prit bientôt un caractère si alarmant, que je quittai l’expédition, et m’embarquai sur le Sénégal, pour descendre à Saint-Louis. J’avais espéré me rétablir dans cette ville, par les secours de la médecine et sous l’influence d’un meilleur climat; mais mon mal était si vif, que ma convalescence fut longue et pénible. Pour me rétablir tout-à-fait, je ne vis d’autre moyen que de retourner en France, et je partis pour Lorient.

J’y appris que le major Gray, après avoir fait de nouveaux achats de marchandises au Sénégal pour continuer son voyage dans l’intérieur, avait échoué dans toutes ses tentatives, non sans nuire au commerce français, genre de succès qui l’aura bien peu dédommagé de la perte énorme qu’il fit supporter à l’Angleterre ; car son entreprise, celles de Peddie, de Campbell et de Tucken, ont, dit-on, coûté ensemble 18 millions de France.

En 1821, je revins au Sénégal pour tenter fortune avec une petite pacotille, dont M. Sourget, négociant d’un mérite très distingué, m’avait fait l’avance; il me montra des sentimens paternels dont je conserve toujours le souvenir.

Je n’ai pas besoin de dire qu’au fond du cœur je nourrissais toujours mon projet de visiter l’intérieur de l’Afrique ; il semblait qu’aucun obstacle ne pouvait plus m’arrêter, en voyant surtout à la tête de la colonie M. le baron Roger, dont la philanthropie et l’esprit éclairé me promettaient un protecteur de toutes les entreprises grandes et utiles.

Je lui demandai donc l’autorisation de voyager dans l’intérieur, avec l’appui et sous les auspices du gouvernement du Roi : mais M Roger, avec une bonté extrême, chercha à refroidir mon zèle ; il me représenta que le négoce auquel je me livrais, offrait des chances de fortune qu’il était imprudent de sacrifier, que ma jeunesse et mon inexpérience pouvaient d’ailleurs exposer sans fruit mon avenir, et peut-être ma vie. Ces représentations lui obtinrent des titres à ma reconnaissance, mais ne changèrent rien à ma résolution.

J’insistai pour partir, et j’ajoutai que, si le gouvernement n’accueillait pas mes offres, je voyagerais plutôt avec mes seuls moyens. Cette détermination fit impression sur l’esprit du gouverneur, qui m’accorda quelques marchandises pour aller vivre chez les Braknas, y apprendre la langue arabe et les pratiques du culte des Maures, afin de parvenir plus tard, en trompant leur jalouse défiance, à pénétrer plus facilement dans l’intérieur de l’Afrique.