Ludolf, Itinéraire, Sicile, v. 1350 n-è

XIII. […]

De l’île de Sardaigne, les hommes naviguent jusqu’à l’île de Sicile, une très noble contrée, mesurant environ 80 milles de contour. C’est un royaume extrêmement bon, et cette île est fertile, au-delà des contrées avoisinnantes, ainsi, lorsque, par manque de pluie, il y a sécheresse en toutes terres et quartiers au-delà des mers, il n’y a nourriture et assistance, que depuis le Sicile.

XIV. Sicile

Ce royaume de Sicile contient 7 évêchés et un métropolite, qui est celui de Monreal, lequel, de mon temps, était un frère mineur. De plus, il possède un grand nombre de cités, forteresses et bourgs, extrêmement forts et nobles, et en particulier, les plus belles et mieux fortifiées sont sur la côte, toutes avec de bons ports, c’est-à-dire : Messine, Palerme, Trapani et Catane.

Catane

Dans la cité de Catane vivent des frères dominicains, qui ont une peinture de Marie la Bienheureuse au temps de l’Annonciation, que le peuple de la cité tient en grande vénération, autant que ceux qui naviguent sur la mer, ainsi, nul navire ne passe à une certaine distance sans rendre grâce et visiter l’Image, et on dit, et on croit fermement, que si aucun bâteau devait passer sans rendre grâce ou visiter l’Image, il ne pourrait rentrer sans rencontrer une tempête.

Dans la cité de Catane, Sainte Agathe souffrit le martyr, et son corps entier repose là, et est très vénéré et conservé avec attention, car, à cause de ses mérites, Dieu dispense journellement ses miracles à travers la Sicile.

Etna 1

A côté de cette cité de Catane, se dresse d’elle-même une montagne extrêmement élevée que ceux qui y résident appellent Mont (Gi)Bel, c’est-à-dire le Mont-Beau ! Cette montagne ne cesse de brûler et fumer comme une fournaise et projette force rocs incandescents de la taille d’une petite maison, que le peuple de ce quartier appelle pierre-ponce, avec laquelle on ponce les parchemins. Les gravats projetés par cette montagne se sont amassés et accumulés ensemble par le vent jusqu’à former ce qu’on peut presque appeler de grandes et longues montagnes.

Ce fut de cette montagne que vint la rivière de feu que l’on lit dans la Passion de Sainte Agathe, où il est dit : « Ils placèrent une digue pour se protéger du feu ». Le cours de cette rivière peut se voir clairement de nos jours, car cette rivière de feu a souvent coulé depuis Sainte Agathe, et même actuellement de temps à autre.

De fait, une grande partie de la Sicile est traversée par ces rivières de feu  et la pierre-ponce est projetée depuis la montagne, et lorsque ces rivières se refroidissent, elles durcissent, et ne peuvent être brisées par le fer où aucun outil…

On dit que cette montagne est la gueule de l’enfer, et nul doute qu’il y a quelque vérité dans cette histoire, car il a été prouvé par de nombreuses voix, miracles et exemple, aujourd’hui et dans les anciennes histoires du royaume, car lorsqu’il y a quelque grande bataille quelque part, ce même mont envoie force flammes si haut que le ciel lui-même, et sur ce, ceux qui vivent en Sicile savent lorsqu’une grande bataille a lieu quelque part dans le monde.

Un frère mineur qui avait vêcu longtemps en Sicile m’a dit de sa propre connaissance, que lorsque l’empereur Henri (VII de Luxembourg) de bienheureuse mémoire, et les Pisans, combattaient le roi Robert (d’Apulie) au Monte Cassino, dans cette guerre où le frère du roi Robert fut tué, et repose enterré à Pise à ce jour, à côté du sépulcre de l’empereur susdite, que cette montagne brûla si intensément que toute la nuit de la bataille, les moine dominicains de Messine, qui en est distant de 20 milles, lisaient leurs Matines à la lueur de ces flammes !Il déclara que la même chose était arrivé lors de la bataille entre les Florentins et les Perousiens à Alepas. Ce frère me conta nombres autres histoires merveilleuses sur cette montagne, qui prendrait du temps à répéter.

Pour cela, il y a un proverbe courant en Sicile : « J’irai plus sûrement au Mont Bel avec les rois et princesses qu’au paradis avec le boîteux et l’aveugle ! » dont la signification est claire, car ici les hommes sont totalement mauvais, mais les femmes sont en général admirables.

Trois Rites

En Sicile, ils pratiquent 3 rites indifféremment : dans une partie, ils suivent le rite latin, dans un autre le rite grec, et dans un dernier, celui des Sarracènes, cependant ils sont tous chrétiens, bien qu’ils diffèrent et divergent dans leurs rites.

Etna 2

Il est assez merveilleux que la Sicile soit aussi fertile et charmante alors que le pays subit si souvent de terribles dommages de cette montagne, car parfois il arrive que cette montagne crache tant de cendres en un ou deux jours, que les troupeaux ne peuvent trouver de pâture pour un long moment.

De plus, parfois, il y a tant de rivière de feu et de flammes et tant d’autres affeuses choses viennent de la montagne, que ceux qui habitent là jeûnent et font des vœux, de peur d’être emportés rapidement en enfer. Ces rivières sortent de la montagne comme comme un cuivre incandescent et rougeoyant, et consume tout ce qu’il trouve sur sa route, que ce soit du bois ou de la pierre, comme l’eau chaude consume la glace et dévaste la terre à certains endroits sur une distance de 2 milles, selon que la terre soit haute ou basse, la transformant en désert, et inhabitable à jamais, et pourtant la Sicile est une terre excellente, alors qu’il est terrifiant d’y habiter !

[…]

XVI. Syracuse

Il y a aussi en Sicile une autre cité, qui est appelée Syracuse, où Ste Lucie souffrit le martyr et où son corps entier repose désormais ; et il y a de nombreuses autres vénérables reliques de saints.

Il me serait trop long de vous conter les autres miracles de Sicile, et des gloires et palais de l’Empereur Frederic, de la pêche au poisson appelé Thon, et de ses autres sources de bien et d’abondance !