Ibn Khaldun, Les Ma’qîl, Hilaliens du sud-marocain, v. 1380

Les Ma’qîl forment une des plus grandes tribus arabes de la Mauritanie Occidentale et habitent les déserts du Maghrib al-Aqsa. Le territoire qu’ils occupent touche à celui que possèdent les Bni ‘Amr, au sud de Tlemcen, et s’étend de là vers le couchant, et jusqu’à l’Océan. Ils forment trois tribus: les Dhû-i ‘Ubayd Allah, les Dhû-i Mansûr et les Dhû-i Hasan.

Les Dhû-i ’Ubayd-Allah sont voisins des Bni ‘Amr et occupent dans le Tell tous les territoires situés entre Tlemcen et Taûrîrt.

La région qui s’étend vers le midi, depuis Taûrîrt jusqu’au Dara‘ appartient aux Dhû-i Mansûr, de sorte qu'[à eux deux] ils possèdent le pays du Muluyia, le [Désert] qui se prolonge de là jusqu’à Sijilmasa et la province de Dara‘.

Ils occupent aussi cette portion du Tell qui correspond par sa position à la partie du Désert que nous venons d’indiquer, de sorte qu’ils dominent en maîtres sur les campagnes de Taza, de Ghasasa, de Miknasa, de Fez, de Tadla et d’Al-Ma‘dan.

Les Dhû-i Hassan possèdent les contrées situées entre le Dara‘ et l’Océan. Leurs chefs habitent la ville de Nûl, capitale de la province de Sûs. Bien qu’ils soient maîtres du Sûs al-Aqsa et des pays voisins, le besoin de trouver des pâturages suffisants pour leurs troupeaux les oblige à parcourir les sables du Désert, jusqu’aux lieux qu’habitent les tribus porteurs du Lithâm, telles que les Gadala, les Masûfa et les Lamtûna.

Les Ma’qîl vinrent en Maghreb avec les tribus descendues de Hilal ; et l’on dit qu’à cette époque, leur nombre n’atteignit pas 200. Repoussés par les Bni Sulaym, et trop faibles pour leur résister, ils s’attachèrent de bonne heure aux Bni Hilal et se fixèrent sur l’extrême limite du pays habité par leurs protecteurs. Ils occupèrent ainsi la région qui s’étend depuis le Muluya jusqu’aux sables de Tafîlalt. Etablis dans le Désert occidental et devenus voisins des Zenata, ils se multiplièrent au point de peupler les plaines et les solitudes du Maghrib al-Aqsa. Ayant soumis ces vastes contrées, ils formèrent, avec les Zenata, une confédération qui ne se brisa jamais.

Un petit nombre d’entre eux resta en Ifrîqiya, et après s’être fondu dans la masse des Bni Ka‘b b. Sulaym, il leur servit d’intermédiaire toutes les fois qu’il s’agissait d’entrer au service du sultan ou de faire la paix avec les autres Arabes.

Lorsque les Zenata s’emparèrent du Maghreb et en occupèrent les villes, leurs anciens alliés, les Ma’qîl, restèrent seuls dans le Désert ; et s’y étant multipliés d’une manière vraiment extraordinaire, ils soumirent les bourgades que ce peuple berbère y avait construites.

De cette manière ils devinrent maîtres des Qusûr de Sous, du côté de l’Occident, et de ceux de Touat, de Buda, de Tamantît, de Reggan, de Tasabîtat de Tigurarîn, du côté de l’Orient. Chacun de ces lieux forme un séjour à part et possède de nombreux bourgs, des dattiers et des eaux courantes. La population de ces localités se composait principalement de Zenata , et dans chacune d’elles l’on se disputait le commandement par l’intrigue et par les armes. En poussant vers ce côté leurs expéditions nomades, les Ma’qîl y établirent leur autorité et imposèrent aux habitants un tribut et des contributions dont ils se firent un revenu et un moyen d’agrandir leur puissance.

Pendant fort longtemps, les Ma’qîl payaient au gouvernement zenatien un impôt à titre de dîme ; ils lui remettaient aussi le prix de sang [quand ils avaient tué un sujet de l’empire], et ils avaient même à supporter une taxe appelée port de bagage dont le sultan réglait le montant à son gré.

Jamais ces Arabes ne commirent des brigandages sur les limites du Maghreb ni sur les plateaux ; jamais ils n’interceptèrent les caravanes qui se rendaient au Soudan depuis Sijilmasa et d’autres lieux : le gouvernement du Maghreb, sous les Almohades, et, ensuite, sous les Zenata, était non-seulement assez fort pour les châtier, mais il avait soin de tenir fermés les défilés qui mènent dans le Tell et de préposer de forts corps de troupes à la défense des frontières. En récompense de leur conduite paisible, les Ma’qîl obtinrent quelques concessions; mais ces iqtâ‘ étaient considérés moins comme un droit que comme une faveur.

On trouve parmi eux plusieurs familles appartenant aux tribus de Sulaym et de Sa‘îd, fractions de la grande tribu des Rîyâh. On y rencontre aussi quelques ‘Amûr, descendants d’Al-Athbaj ; mais tous ces étrangers y sont en petit nombre, comme nous l’avons déjà dit. Il en est autrement à l’égard des tribus qui proviennent d’une autre souche que les Ma’qîl, car plusieurs peuplades descendues de Fezara et d’Aohdja se sont réunies à eux. On y remarque aussi des Chedda, branche de la tribu des Kerfa ; des Mehaïa , fraction des ‘Iyâd, des Qharâ‘, fraction des Husayn, des Sabbah, fraction des Akhdar, sans compter quelques familles appartenant aux Bni Sulaym et à d’autres tribus.

Selon l’opinion la plus répandue, l’origine des Ma’qîl est inconnue, et c’est à tort que les personnes de la tribu de Hilal qui se sont occupées de généalogies arabes les ont considérés comme un peuple hilalien. Les Ma’qîl eux-mêmes prétendent se rattacher à la famille de Mahomet, en se donnant pour ancêtre Ja‘fâr b. Abî Tâlib ; mais il est impossible que cela soit vrai parce que les descendants d’Abû Taleb et de Hâshim n’ont jamais formé un peuple nomade. S’il m’est permis d’énoncer une conjecture à ce sujet, je dirai qu’ils descendent des Arabes du Yémen, car, parmi ceux-ci on trouve deux tribus qui portent le nom de Ma’qîl et auxquelles Ibn al-Kalbi et d’autres généalogistes ont accordé une mention spéciale.

L’une de ces tribus sort de Codàa b. Mâlik b. Himyar, et son aïeul, Ma’qîl, était fils de Ka‘b b. Ulaym b. Danab b. Hubal b. ‘Abd Allah b. Kinana b. Bakr b. Awf b. Uzra b. Zayd b. Rufayda b. Thanr b. Kalb b. Wabara b. Taghlib b. Hulwan b. ‘Imran b. al-Haf b. Quda‘a.

La seconde de ces tribus descendait d’Al-Harith b. Ka‘b : le Ma’qîl dont elle tirait son origine et auquel on donnait aussi le nom de Rabi‘â, était fils de Ka’b b. Rabi‘a b. Ka’b b. al-Harith b. Ka’b b. ‘Amr b. Aylla b. Jild b. Malik b. Madhaj b. Udad b. Zayd b. Yashdjûb b. Arîb b. Zayd b. Kahlan.

Des deux généalogies que nous venons de rapparier celle qui s’appliquerait avec le plus de probabilité aux Ma’qîl serait la seconde, celle qui remonte à Madhaj ; car le Ma’qîl dont on y trouve le nom, s’appelait aussi Rabi‘a, et les collecteurs de renseignements historiques comptent précisément les descendants de ce Rebiâ au nombre des tribus qui entrèrent en Ifrîqiya avec celles de Hilal. D’ailleurs, la tribu d’Al-Harith b. Ka’b habitait auprès du Bahrein, aux mêmes lieux où les Qarmates et les Arabes hilaliens se tenaient avant l’émigration de ceux-ci en Afrique. Une observation faite par lbn Sa‘îd vient encore à l’appui de cette opinion : en parlant des Madhaj , il dit que ce peuple se trouvait éparpillé dans les montagnes du Yémen, et qu’au nombre des tribus dont il se compose, on comptait les Aws, les ‘Ubayd et les Murad ; puis, il ajoute ces mots :

« Il s’en trouve aussi en Ifrîqiya une fraction qui vit sous la tente et qui s’adonne à la vie nomade. »

Ceux dont il parle ici ne peuvent être que les Ma’qîl de l’Ifrîqiya, peuplade détachée de la grande tribu du même nom qui habite le Maghrib al-Aqsa. Selon les renseignements fournis par les généalogistes Ma’qîliens, leur aïeul Ma’qîl eut deux fils, Sakîl et Muhammad. De Sakîl naquirent ‘Ubayd-Allah et Tha‘lab; de ‘Ubayd Allah sortit la grande branche des Dhû-i ‘Ubayd-Allah, et de Thâleb provinrent les Tha‘laba, peuple qui habite la Mitija, dans le voisinage d’Alger. Muhammad, fils de Ma’qîl, eut 5 fils : Mukhtar, Mansûr, Jalal, Salim et ‘Uthmân. De Mukhtar naquirent Hassan, et Shibana. Hassan était l’aïeul des Dhû-i Hassan, tribu célébre qui habite le Sûs Al-Aqsa.

De Shibana sortirent les Shibanat, tribu établie â côté des Dhû-i Hassan. Les Shibanat forment deux branches: les Bni Thabit et les Al ‘Ali [famille d’Ali]. Les Bni Thabit demeurent au pied du Saksîwï, une des montagnes qui composent la chaîne de Adran, et ils ont, ou avaient, pour chef Ya‘îsh b. Talha. Les Al ‘Ali habitent le désert de Hengîsa, au pied du mont Gezûla, et ont, ou avaient, pour chef Hureiz b. ‘Ali. Les familles descendues de Jalal, de Salim et de ‘Uthman s’appellent collectivement les Roqaitat et vivent en nomades avec les Dhû-i Hassan. Mansûr b. Muhammad eut fils : Husayn, Abû l-Husayn, ‘Amran et Munabba. Leurs descendants se distinguent collectivement par le nom de Dhû-i Mansûr et forment une des trois grandes branches dont nous avons donné l’indication.

Les Dhû-i ’Ubayd-Allah demeurent à côté des Bni ‘Amr, tribu zoghbienne, et reconnaissent l’autorité des Bni ‘Abd al-Wad, dynastie zenatienne. Le territoire qu’ils occupent s’étend de Tlemcen à Oujda, et de là jusqu’à l’embouchure du Muluya, puis, vers le midi jusqu’à la source du Za. Quand ils entrent dans le Désert, ils poussent jusqu’aux bourgades de Touat et de Tamantît ; mais, quelquefois, ils font un détour à gauche pour atteindre Tasabît et Tigurarîn. Tous ces endroits servent de point de départ aux caravanes qui se rendent en Soudan.

Toujours en guerre avec les Bni ‘Amr et alliés fidèles des Bni Marîn, les Dhû-i ’Ubayd-Allah se livraient habituellement à des hostilités contre les Bni ‘Abd al-Wad, jusqu’à ce que ce peuple eut fondé une dynastie et formé un empire. Toutefois, les Munabbat, branche des Dhû-i Mansûr, s’étaient confédérés avec les Bni ‘Abd al-Wad. Yaghmurasen châtia les Dhû-i ’Ubayd Allah à plusieurs reprises et les força enfin à vivre en bons voisins. Le gouvernement de Tlemcen acquit alors une grande supériorité sur eux et les contraignit non-seulement à payer la dîme et le droit de transit, mais aussi à marcher sous les drapeaux du sultan dans ses expéditions militaires. Cet état de choses continua jusqu’à la décadence du royaume, sort réservé à tous les empires.

Alors ils s’établirent dans le Tell et obligèrent le sultan à leur concéder Oujda, Nadruma, Beni Iznasen, Madiûna et Bni Senûs, tout en s’arrogeant le droit de toucher le tribut et les autres impôts que ces localités avaient déjà coutume de leur payer. Aussi, presque toutes les contributions de ces pays passèrent dans leurs mains. Ils exigeaient même de toute personne qui se rendait du port de Hunayn à Tlemcen un droit de passage qu’ils percevaient dans la saison de l’année pendant laquelle ils habitaient cette partie du Tell Maghrebin.

Les Dhû-i ’Ubayd-Allah forment deux grandes tribus : les Hadaj et les Kharaj. Ceux-ci descendent de Kharaj b. Mutarraf b. ‘Ubayd-Allah, et obéissent à la famille de ‘Abd al-Malik b. Faraj b. ‘Ali b. Bû ar-Rîsh b. Nshar b. ‘Uthmân b. Kharâj ; famille dont l’une ou l’autre des trois branches, savoir : les ‘Aysa b. Abd al-Malik, les Ya’qûb b. ‘Abd al-Malik et les Yaghmur b. ‘Abd al-Malik, leur fournit des chefs. Du temps du sultan Abû al-Hasan, ils obéissaient à Ya’qûb b. Yaghmur, et lors de la prise de Tlemcen par ce souverain, ils entrèrent au service de l’empire mérinide.

Yahya b. al-‘Azz, personnage notable des Bni Iznasen, population de la montagne qui domine la ville d’Oujda, avait servi [alternativement] les [deux] dynasties [zenatiennes], et s’étant attaché à Abû al-Hasan , il poussa ce monarque à faire la conquête des bourgades du Désert dont nous avons parlé. Ayant reçu du sultan le commandement d’un corps d’Arabes, Ibn al-‘Azz pénétra dans le Désert et occupa les Qusûr ; mais les Dhû-i ’Ubayd-Allah , irrités de se voir priver ainsi de leurs possessions et indignés des mauvais traitements que Ibn al-‘Azz leur fit subir, se jetèrent sur lui et le tuèrent dans sa tente. Ils pillèrent ensuite le camp du détachement [mérinide] que le sultan avait mis aux ordres de ce chef, et levèrent aussitôt le drapeau de l’insurrection. Ya’qûb b. Yaghmur se jeta alors dans le Désert, où il resta jusqu’à ce que la mort du sultan lui offrît l’occasion de faire sa soumission. A la suite de ces événements, la dynastie des Bni ‘Abd al-Wad remonta sur le trône de Tlemcen, et Ya’qûb, ayant embrassé la cause de cette famille, la servit fidèlement pendant le reste de ses jours. Il eut pour successeur son fils Talha.

Pendant la révolte de Ya’qûb b. Yaghmur, le commandement des Kharaj avait passé à un autre membre de la même famille, le nommé Mansûr b. Ya’qûb b. Abd al-Malik. Celui-ci transmit l’autorité à son fils Rahhû. Lors de l’avènement d’Abû Hammû, Rahhou obtint de ce sultan le commandement de la tribu entière, juste récompense de ses bons et loyaux services. Le commandement en second fut confié à Talha b. Ya’qûb.

Tel est encore aujourd’hui l’état des choses chez cette tribu.

Ce fut à contre-cœur que Talha consentit à remplir une position subordonnée; aussi, de temps en temps, il dispute à Rahhou le haut commandement.

Les Kharaj se divisent en plusieurs branches, savoir : les Ja‘wana, les Ghusl, les Matarfa et les ‘Uthamna, familles qui descendent respectivement de Ja‘wan, de Ghâsil, de Mutraf et de ‘Uthman, tous fils de Kharaj. Le droit de leur commander appartient aux descendants d’Othman.

Avec les Kharaj demeure un peuple pasteur, appelé Mahaïa, qui tantôt se dit appartenir à la tribu de ‘Iyad et tantôt à la famille de Mihya b. Mutraf b. Kharaj.

La tribu appelée les Haddj du nom de son ancêtre Hadaj b. Mahdi b. Muhammad b. ‘Ubayd-Allah, demeure à l’occident des Kharaj, dans le voisinage des Dhû-i Mansûr. Maîtresse de la ville et des environs de Tawrîrt, elle reconnaît presque toujours la souveraineté des Mérinides, dynastie dont elle tient ses Iqtâ‘ et à l’autorité de laquelle tout ce territoire est soumis ; mais, dans quelques rares occasions, elle a embrassé le parti des Bni ‘Abd al-Wad. Le droit de commander aux Hadaj est exercé par trois de leurs familles: les Harîz b. Ya’qûb b. Hiba b. Hadaj, les Menad b. Rizq-Allah b. Ya’qûb b. Hiba, et les Fakrûn b. Muhammad b. ‘Abd ar-Rahman b. Ya’qûb.

Du temps du sultan [mérinide] ‘Abd al-Azîz, ils eurent pour chef Abû Yahya as-Saghîr b.-Mûsa b. Yûsuf b. Harîz. La mort d’Abû Yahya suivit celle du sultan et le commandement passa à son fils. Le chef appartenant à la famille Manad se nommait Abû Yahya b. Manad. Il exerçait l’autorité avant Abû Yahya as-Saghir, et on le distingue de son successeur par le surnom de KabîrUn autre de leurs chefs, Abû Hamîda Muhammad b. ‘Isa b. Manad, exerce aujourd’hui chez eux le commandement en second, comme lieutenant du grand chef Abû Yahya as-Saghîr. Il fait de fréquentes courses dans le Désert, où il poussa bien loin ses expéditions militaires, pénétrant même dans la région des sables afin d’y attaquer les peuplades porteurs du Litham.

Les Tha‘laba forment une tribu-sœur des ‘Ubayd Allah et descendent de Tha‘lab b. ‘Ali b. Maggan b. Sakîl. Ce Maggan était frère de ‘Ubayd-Allah b. Sakîl [aïeul des Dhû-i ’Ubayd-Allah]. Ils ont maintenant leur demeure dans la plaine de la Mitija, près d’Alger, mais auparavant, ils avaient habité Tîtri, région occupée à présent par les Husayn. Ce fut à une époque très reculée qu’ils s’établirent à demeure dans le pays de Tîtri ; probablement vers le temps où les Dhû-i ’Ubayd-Allah prirent possession du territoire qui appartient maintenant aux Bni ‘Amr. Ceux-ci se tenaient alors dans la région où les Su‘ayd demeurent aujourd’hui. Établis d’abord sur la limite du Tell dans lequel ils avaient pénétré en passant par le Gazûl, [les Tha’laba] s’avancèrent graduellement jusqu’aux plaines de Midia et se fixèrent dans la montagne de Tîtri, appelée aussi la montagne d’Achîr parce qu’elle renfermait la célèbre ville de ce nom. Quand les Bni Tujîn établirent leur domination sur les plateaux du Tell et s’emparèrent du Wanshrish, [leur chef] Muhammad b. ‘Abd al-Qawï marcha sur Midia et s’en rendit maître. Il se passa alors une suite de guerres et de trêves entre lui et les Tha’laba, jusqu’à ce qu’enfin une députation de leurs chefs vint le trouver [pour négocier une paix]. Il les fit tous arrêter, et ayant attaqué sur le champ le reste de la tribu, il en massacra une grande partie et s’empara de leurs richesses. Quelque temps après, il leur enleva Titri et les envoya habiter la Mitija. Les Bni Hosein obtinrent alors de ce chef la possession de Titri et devinrent, à son égard, comme des sujets tributaires. Eu effet, ils consentirent à lui payer l’impôt et des contributions, et à lui fournir un contingent de troupes pour ses expéditions. Les Tha’laba ayant obtenu la protection des Bni Malîkish, tribu sanhajienne, se fixèrent dans la Mitija où ils continuent à vivre sous la domination de ces nouveaux maîtres. Nous aurons ailleurs l’occasion de rappeler cette circonstance.

Quand les Bni Marîn se furent emparés du Maghreb central et qu’ils eurent mis fin à la puissance des Mlîkish, les Tha‘laba demeurèrent maîtres de la Mitija et y restèrent sous le commandement de la famille Saba‘ b. Thàleb b. Ali b. Megguen Ibn-Sakîl. Ils racontent que ce Saba‘ s’était rendu auprès des Almohades et que ceux-ci avaient placé sur le haut de son turban une pièce d’or pesant plusieurs pièces ordinaires ; voulant ainsi lui donner une grande marque d’honneur. J’ai entendu dire à un de nos cheikhs que cette distinction lui fut accordée ponr le récompenser de sa conduite respectueuse envers l’imam Al-Mahdi qui, étant arrivé à pied chez les Tha’laba, reçut de lui une monture.

Le commandement des Tha’laba appartenait d’abord à la famille de Ya’qûb b. Saba’, laquelle était fort nombreuse. Il passa ensuite aux Bni Honaich, autre branche de la même maison , mais lorsque le sultan Abû ‘l-Hacen se fut emparé des états Abd al-ouadites et qu’il eut envoyé en Maghrib al-Aqsa les princes descendus de Yaghmoracen, un cousin de Honaich , appelé Abû –Hamlat b. ‘Ayd b. Thabit, devint chef de cette tribu. Abû Hamlat mourut de la peste, vers le milien du huitième siècle, à l’époque où le sultan Abû ‘l-Hacen débarqua an port d’Alger en revenant de Tunis. Le commandement passa ensuite à Ibrahîm b. Nasr [ b. Hunaysh]. Ce chef garda le pouvoir jusqu’à sa mort, événement qui eut lieu quelque temps après la soumission du Maghrib al-Aqsa et du Maghreb central à l’autorité du sultan Abû Einan. Ibrahîm eut pour successeur son fils Salem. Pendant tout ce temps, les Tha’laba continuèrent à payer des impôts et des redevances, d’abord aux Mlikîsh et ensuite aux chefs qui gouvernaient la ville d’Alger.

Entre les années 760 (1359) et 770, lors de la révolte d’Abû Zîan et des Hosein contre Abû Hammû, les Arabes se remuèrent de nouveau et le chef des Tha’laba prit une part très-active à ces démonstrations hostiles. Salem b. Ibrahîm b. Nasr b. Hunaysh b. Bâ Hamîd b. Thabit b. Muhammad b. Saba‘ [telle était sa généalogie] se montra tantôt ami, tantôt adversaire du sultan Abû Hammû, et lors de la prise de Tlemcen par les Mérinides, il se rangea du côté des vainqueurs et continua, pendant quelque temps, à entretenir des rapports d’amitié avec la cour du Maghreb.

Abû Hammû étant rentré dans son royaume, après la mort de ‘Abd al-Azîz , dressa des pièges à Salim b. Ibrahîm, mais ce chef, les ayant découverts, fit venir Abû Zîan à Alger et le proclama souverain [du Maghreb central]. En l’an 779 (1377-8), Abû Hammû se mit en campagne et dispersa les révoltés. Salem prit alors le parti d’abandonner Abû Zîan et de faire sa soumission. Quelque temps après ces évènements, Abû Hammû bloqua Salim dans les montagnes de la Mitija et au bout de quelques jours il le décida à capituler. Alors, sans avoir égard aux engagements qu’il venait de contracter, le sultan fit conduire son prisonnier à Tlemcen où on le tua à coups de lance. Telle fut la fin d’un chef que les Tha’laba n’étaient pas dignes de posséder. Après cet acte de perfidie, Abû Hammû s’acharna contre les frères, la famille et la tribu de sa victime jusqu’à ce que l’esclavage, la mort et la confiscation de leurs biens les eurent ruinés et anéantis.

Les Dhû-i Mansûr, ou Bni Mansûr b. Muhammad, forment la grande majorité de la tribu de Ma’qîl et occupent la frontière méridionale du Maghrib al-Aqsa, depuis le Mulûya jusqu’au Dara’. Ils se partagent en 4 branches : les Awlad Husayn , les Awlad Bâ al-Husayn, les ‘Amarna et les Munabbat. Husayn  et Bâ al-Husayn  [tous deux fils de Mansûr] naquirent d’une même mère ; et leurs frères consanguins, ‘Amran, l’aïeul des ‘Amarna, et Munabbba, l’aïeul des Munabbat, naquirent aussi d’une même mère. Les descendants de ‘Amran et de Munabba s’appellent collectivement les Ahlaf (confédérés). Les Awlad Bâ al-Husayn, devenus trop faibles pour se livrer davantage à la vie nomade, s’établirent à demeure fixe dans des bourgades qu’ils érigèrent au milieu du Désert, entre Tafilalt et Tigurarîn. Les Aulad Husayn  sont assez nombreux pour former la masse des Dhû-i Mansûr, et assez puissants pour dominer sur le reste de cette tribu. Ils reconnaissent à la famille de Ghanim b. Jarmûn le droit de leur fournir des chefs, et sous le règne d’Abû al-Hasan, ils obéissaient à ‘Ali b. Jarmûn, petit-fils de Jarrar b. ‘Arafa b. Faris b. ‘Ali b. Faris b. Husayn  b. Mansûr. Ce chef mourut à la suite du revers éprouvé par les Mérinides à Tarifa, et eut pour successeur son frère Yahya duquel le commandement passa à ‘Abd al-Wahid, fils de Yahya. ‘Abd al-Wahid transmit l’autorité à son frère Zakarya. Ahmad b. Rahhû b. Ghanam, cousin de Zakarya, lui succéda et fut ensuite remplacé par son frère Ya‘îsh auquel succéda son cousin, Yûsuf b. ‘Alî b. Ghanam, le même qui gouverne la tribu aujourd’hui.

Sous le règne de Ya’qûb b. Abd al-Haqq et sous celui de son fils Yûsuf, les Mérinides livrèrent plusieurs combats aux Ma’qîl. Dans l’histoire de cette dynastie nous parlerons de l’expédition que Yûsuf b. Ya’qûb entreprit contre eux, quand il partit de Maroc et leur infligea un rude châtiment dans le désert du Dara’.

A l’époque où ce prince se trouvait dans la partie orientale de ses états, et s’occupait de faire le siége de Tlemcen, les Ma’qîl envahirent les frontières du Maghreb, depuis le Dara’ jusqu’au Mulûya et Tawrîrt; ils livrèrent même plusieurs combats à ‘Abd al-Wahhab b. Sa‘ad, gouverneur du Dara‘, client de la famille royale et grand officier de l’empire. Dans une de ces rencontres, ‘Abd al-Wahhab perdit la vie. Les Mérinides étant rentrés en Maghreb après l’assassinat de leur sultan Yûsuf b. Ya’qûb, se hâtèrent de venger la mort du gouverneur du Dara’,et ayant forcé ces Arabes à rentrer dans l’obéissance, ils les obligèrent à payer dorénavant l’impôt en toute soumission. Dans la suite, l’influence de l’empire s’affaiblit à un tel degré, que les Ma’qîl ne payaient plus rien à moins d’y être contraints par la force des armes, et cela dans les rares occasions où le sultan en avait les moyens à sa disposition. Entre les années 750 (1349-50) et 760, après la prise de Tlemcen par Abû ‘Inan, les Ma’qîl accordèrent leur protection à Sughayr b. ‘Amr qui s’était réfugié chez eux. Ayant ainsi encouru la colère du sultan, ils prirent tous la résolution de répudier son autorité, et jusqu’à sa mort, ils continuèrent à se maintenir en état de révolte et à rester dans le Désert avec Sughayr.

A la mort d’Abû ‘Inan, le sultan Abû Hammû occupa Tlemcen, entreprise dont nous parlerons ailleurs, et lesMérinides marchèrent encore sur cette ville. Abû Hammû et Sughayr prirent alors la fuite et cherchèrent un asile chez ces Arabes. Une victoire remportée par les Ma’qîl sur l’armée mérinide aux environs de Tlemcen, compléta la rupture qui s’était déclarée entre eux et l’empire ; aussi, dès ce moment, ils s’attachèrent au parti d’Abû Hammû, et en récompense de leurs services, ils obtinrent de ce prince la concession d’une partie des plaines que renferme le territoire de Tlemcen. En l’an 763 (1361-2), lors de la mort du sultan Abû Salem, une grande commotion se manifesta dans le Maghreb par suite de la révolte des fils du sultan Abû ‘Ali, lesquels s’étaient emparés de Sijilmasa. Tant que dura cette insurrection, les Ma’qîl y prirent une part très-active.

[Leur chef] Ahmad b. Rahhû eut ensuite un démêlé avec Abû Hammû, et pour se venger de ce sultan, il fit venir Abû Zîan, petit-fils du sultan Abû Tashfîn, et envahit avec lui le territoire de Tlemcen. Cette démonstration lui coûta la vie, ainsi que nous le raconterons ailleurs. Plus tard, les Ma’qîl devinrent assez redoutables pour se faire concéder par le gouvernement [mérinide] la plus grande partie des impôts fournis par le Dara‘ et la possession des territoires qui dépendent de Tadla et d’Al-Ma‘dan ; territoires situés aux débouchés des défilés par lesquels ils entraient dans le Maghreb, soit pour y passer les printemps et les étés, soit pour y faire leur provision de blé. Quant à Sijilmasa, cette ville n’appartient pas à eux, mais bien à leurs frères, les Ahlaf.

Parlons maintenant du Derà. Ce pays méridional est traversé par un grand fleuve qui prend sa source dans le Deren, montagne qui donne aussi naissance au fleuve Umm Rabi‘a. Celui-ci traverse les plateaux et les plaines du Tell, mais le Dara‘ coule vers le sud-ouest et se perd dans les sables du pays de Sûs. C’est sur les bords de cette rivière que s’élèvent les bourgades du Dera. Il y a aussi un autre grand fleuve qui se dirige vers le midi, en dérivant un peu vers l’est, et qui se perd dans les sables un peu au-delà de Tîgurarîn. Sur la rive occidentale de ce fleuve on rencontre successivement les bourgades de Touat, de Tamantît, et de Reggan. C’est auprès de cette dernière localité qu’il disparaît dans les sables. Au nord de Reggan se trouvent les bourgades de Tamantît, et au nord-est, on rencontre ceux de Tîgurarîn. Tous ces endroits sont situés derrière la ligne des dunes appelées ‘Arg.

Les montagnes de Deren forment par leur assiette, une ceinture qui enferme le Maghrib Al-Aqsa depuis Asfi jusqu’à Tèza. Au midi de cette chaîne s’élève le Ngîsa, montagne occupée par les Sanhaja et dont l’extrémité qui touche au mont Haskoura s’appelle Jabal Ibn Humaydî. De là plusieurs autres chaînes de montagnes se détachent parallèlement les unes aux autres, et vont atteindre la Mer Romaine, auprès de Badis. L’on peut donc considérer le Maghrib comme une île, entourée au sud et à l’est par des montagnes, et à l’ouest et au nord par la mer. Ces montagnes et les plaines qu’elles renferment sont habitées par des peuplades berbères dont personne, excepté celui qui les a créées, ne peut estimer le nombre. Les rares chemins qui mènent dans le Maghrib à travers ces hauteurs sont toujours couverts d’une foule de voyageurs appartenant aux tribus qui occupent ces localités.

Le Dara’, après s’être perdu dans les sables, entre Sijilmasa et le Sûs, reprend sa course et va se jeter dans l’Océan entre Nûn et Wadan. Ses bords sont couverts de bourgades entourées de dattiers en quantité innombrable. Tadanast, la capitale de cette région, est une grande ville, fréquentée par des marchands qui y vont acheter de l’indigo : ils le paient d’avance, en attendant son extraction de la plante par les moyens de l’art. Les Awlad Husayn sont maîtres de ce territoire, ils ont soumis les Berbères Sanhaja et les peuplades

qui habitent, soit dans les environs, soit sur le versant de la montagne voisine. Ils leur font payer des contributions forcées, des sauf-conduits et des impôts, pendant qu’ils jouissent eux-mêmes de certains iqtâ‘ que le sultan leur a concédés en retour de leurs services comme percepteurs des impôts réguliers.

Immédiatement à l’occident des Awlad Husayn demeurent les Shibanat, branche des Awlad Hassan. Grâce à cette position avantageuse, ils se font payer quelques redevances par le peuple du Dara’.

Cette portion des Dhû-i Mansûr que l’on désigne par le nom des Ahlaf (affîdés, confédérés) se compose des ‘Amarna et des Munabbat. Le territoire qu’ils habitent touche à la frontière orientale de celui qui est occupé par les Awlad Husayn. La partie du Désert qu’ils parcourent avec leurs troupeaux renferme Tafîlalt et les plaines voisines ; dans le Tell ils fréquentent les bords du Mulûya, les bourgades d’Utat et les territoires de Taza, de Butûya et de Ghassasa. Us perçoivent dans toutes ces localités des redevances et des impôts, sans compter le produit des Iqtâ‘ qu’ils y tiennent du sultan. Bien qu’ils se livrent assez souvent à des hostilités contre les Awlad Husayn, l’esprit de corps les porte à faire cause commune avec eux quand il s’agit d’une contestation avec quelqu’autre tribu.

Le droit de commander aux ‘Amarna appartient à la famille Mudaffar b. Thabit b. Mukhlaf-b. ‘Amran, et sous le règne d’Abû ‘Inan, ils eurent pour chefs Talha b. Mudaffar et son fils Az-Zubayr. Aujourd’hui, ils obéissent à Muhammad b. Az-Zubayr et Mûsâ, frère de ce Muhammad. Le commandement en second est exercé par la famille dz ‘Umara b. Mokhlaf, la même à laquelle appartient Muhammad-al-A’îd.

Les Sulayman b. Naji b. ’Umara, une autre branche des Ahlaf, parcourent le Désert avec leurs troupeaux ; il leur arrive même très-souvent d’intercepter les caravanes du Soudan et d’attaquer les bourgades situées dans le Sahara.

De nos jours, les Munabbat ont pour chef Muhammad b. Ubbû b.  Husayn  b. Yûsuf b. Faraj b. Munabba. Son frère et prédécesseur, ‘Ali b. Ubbû, commandait la tribu sous le règne d’Abû ‘Inan. Le commandement en second appartient à leur cousin, ‘Abd Allah b. al-Hajj ‘Amr b.Bâ al-Barakat b. Munabba. Les Awlad Husayn  sont à présent plus nombreux que les Munabbat et les ‘Amarna réunis; mais, dans les premiers temps de la dynastie mérinide, les Munabbat jouissaient de la supériorité numérique. Ils étaient alors alliés des Beni ‘Abd al-Wad et formaient l’avant-garde de Yaghmurasen b. Zîan, quand ce prince enleva Sijilmasa aux Almohades. Les Mérinides ayant ensuite pris cette ville, tuèrent tous les chefs des Munabbat et tous les ‘Abd al-Wadites qui s’y trouvaient. Plus tard, ils attaquèrent les Munabbat dans leurs déserts, et leur firent éprouver des pertes tellement considérables que la tribu en est encore aujourd’hui fort réduite.

La région occupée par les ‘Uthamna touche à la limite occidentale de celle qu’habitent les Bni Mansûr. A côté d’eux se trouvent les Awlad Salim. Le Dara’ est situé en dehors de leur territoire, mais ils possèdent le désert qui l’avoisine. Après eux , vers le sud-ouest, on rencontre les Awlad Jalal. Ceux-ci occupent l’extrémité de la partie cultivée du Derà, et à l’occident ils ont pour voisins les Shibanat, tribu dont les possessions s’étendent jusqu’à la mer. Ils se composent des Awlad ‘Ali et des Awlad Bâ Thâbit. Les Awlad Hasan se tiennent derrière eux, du côté du sud-ouest, et occupent même une portion de territoire qu’ils ont enlevé aux Shibanat par la force des armes.

Nous avons déjà dit au sujet des Dhû-i Hassan, Arabes de la province de Sous, que c’est d’eux, des Shibanat et des Roqaytat que se compose la tribu des Bni Mokhtar b. Muhammad. Il y en a encore deux autres branches : les Jîahna et les Awlad Bari‘a. Ils occupaient autrefois, conjointement avec leurs frères, les Dhû-i Mansûr et les ‘Ubayd-Allah, tout le territoire du Mulûya jusqu’à l’embouchure de cette rivière. Ils y étaient encore quand Ali b. Yaddar az-Zakandari, soi-disant descendant des Arabes de la première invasion et devenu seigneur de la province de Sûs après la retraite des Almohades, s’engagea dans une contestation avec les Gazûla nomades qui occupaient les plaines et les montagnes de ce pays. Voyant la guerre traîner en longueur, il appela à son secours les Bni Mukhtar. Ces Arabes quittèrent aussitôt le Mulûya, emmenant avec eux leurs familles et leurs troupeaux, et allèrent se joindre à lui. Arrivés dans le Sous et trouvant que ce pays était presque vide de tribus nomades, ils s’empressèrent d’occuper une localité dont ils appréciaient les avantages : le désert de cette région leur offrant d’abondants pâturages pour leur troupeaux. Les Gazûla vinrent s’incorporer dans la tribu qui les avait vaincus et ajoutèrent ainsi au nombre de ses nomades. Les habitants des bourgades situées dans les pays de Sûs et de Nûl firent leur soumission à ces Arabes et en obtinrent la paix moyennant un tribut.

Taroudant, un de ces bourgs, est situé dans la province de Sous et s’élève sur le bord d’une rivière, nommée aussi le Sous, qui descend d’une montagne et va se jeter dans la mer à une journée de distance au nord de l’embouchure de la rivière Massa. C’est à ce dernier endroit que se trouve le célèbre ribat du même nom. A une journée au midi de l’embouchure du Massa et sur le bord de la mer, on rencontre le zaouïa de Bâ Ni‘mân. Tagaûst est situé sur la rivière Nûl, à l’endroit où elle quitte la montagne de Ngîsa pour se diriger vers l’ouest. Ifri est à une journée de Tagaûst : les Arabes n’essaient pas même à le soumettre, mais ils ont occupé les plaines qui l’environnent.

Tout le territoire que nous venons de décrire avait appartenu à l’empire almohade dont il formait une des provinces les plus étendues; mais, à la chute de cette dynastie, il demeura tout à fait détaché du gouvernement central et resta débarrassé des liens qui l’assujettissaient au sultan.

La famille Yiddar établit sa domination sur une partie de cette région comme nous venons de le dire. ‘Ali b. Yiddar, qui en soumit les bourgades, avait sous ses ordres une troupe de mille cavaliers. Son successeur, ‘Abd ar-Rahman b. al-Hasan b. Yiddar, transmit l’autorité à son frère ‘Ali b. al-Hasan. Avant de mourir, il eut à soutenir une guerre contre les mêmes Arabes dont sa famille s’était procuré l’appui, et en 705(1305) et les années suivantes, il essuya plusieurs échecs. Parvenu enfin, en l’an 708, à faire tomber leurs chefs dans un piége, ils les fit tous mourir à Taroudant.

Les Mérinides eurent plusieurs fois à combattre les Ma’qîl de la province de Sous. Dans une de ces affaires, Ya’qûb b. ‘Abd al-Haqq soutint, avec un corps mérinide, les Shibanat qui faisaient la guerre aux Bni Hassan ; et un nombre considérable de ceux-ci y perdit la vie. Quelque temps après, Yûsuf b. Ya’qûb, sultan mérinide, bloqua les Bni Hasan dans Tamskrût et les força à payer une contribution de 18,000 chameaux. En l’an 686 (1287), il marcha encore contre eux et leur tua beaucoup de monde, et lorsque la tribu ‘Abd al-Wadite des Bni Gummi se fut réfugiée chez eux, il les fit attaquer à plusieurs reprises parce que leurs protégés s’étaient révoltés contre son autorité. Nous parlerons encore de ces événements dans l’histoire du sultan Yûsuf b. Ya’qûb.

Quand les Zenata mérinides eurent consolidé leur domination dans le Maghreb, Abû Ali, fils du sultan Abû Sa‘îd, détacha Sijilmasa du royaume de son père pour en faire un gouvernement à part. A la suite de cette transaction qui termina une guerre civile, les Arabes nomades de la province de Sous, tels que les Shibanat et les Bni Hassan, se réunirent autour d’Abû Ali et le poussèrent à faire la conquête des bourgades de ce pays. Cédant à leurs instances, il quitta le Dara’, traversa la frontière de ses états et emporta Ifri d’assaut. ‘Ali b. al-Hasan prit la fuite et chercha un asile dans les montagnes de Ngîsa, auprès des Sanhaja, et ne rentra dans son pays que plus tard.

Le sultan Abû al-Hasan étant parvenu à vaincre son frère [Abû Ali] et à soumettre le Maghreb entier, prêta l’oreille aux suggestions de ces mêmes Arabes et résolut de faire une tentative contre les bourgades de Sous. Hasûn b. Ibrahîm b. ‘Isa de la tribu d’Imran, auquel il confia un corps de troupes pour cet objet, marcha avec les Arabes vers ces qusûr et s’en empara. Ayant ensuite prélevé la dîme dans la province de Sous, il concéda à sesalliés des iqtâ‘ situés dans ce pays, et les chargea du recouvrement des impôts à venir, moyennant le partage. Cet arrangement réussit parfaitement pendant quelque temps, mais les revers éprouvés par le sultan Abû ‘l-Hacen vinrent tout bouleverser et le Sous reprit son ancien état.

Encore aujourd’hui, cette province est en dehors de l’action du gouvernement [mérinide] ; les Arabes s’en approprient les revenus, et se sont partagés les populations imposables. Cette classe y est complétement tributaire, puisqu’elle se compose de Masmûda et de Sanhaja, peuples soumis aux impôts depuis longtemps. Les branches nomades de ces mêmes [tribus berbères] subissent également la domination des Arabes et doivent prendre part à leurs expéditions militaires : aussi les Gezûla marchent avec les Bni Hassan, pendant que les Shibanat se font accompagner par les Zeggen et les Lakhs, branches de la tribu de Lamta.

Le droit de commander aux Dhû-i Hassan appartient à la famille d’Abû al-Khalîl b. ‘Amr-b. Ghufayr b. Hasan b. Mûsâ b. Hamad b. Sa îd b. Hasan b. Mukhtar. Leur chef actuel s’appelle Makhlûf b. Abi Bakr b. Sulayman b. Hasan b. Zîan b. Abi al-Khalîl.

Quant aux Shibanat, j’ignore à quelle de leurs tribus ils reconnaissent le droit de commandement. Ils sont toujours en guerre avec les Bni Hasan, et, la plupart du temps, ils ont les Ruqaytat pour confédérés. Les Shibanat sont plus proches voisins du pays habité par les Masmouda et des montagnes de Deren que ne le sont les Dhû-i Hassan, dont le territoire est situé plus en avant dans le Désert eurent pour chef Harîz b. Ali b. ‘Amr-Ibn Ali b. Shibana.

Les chefs des Gezûla invoquèrent le secours de cette tribu contre les habitants du Sûs, et, secondés par elle, ils vainquirent leurs ennemis. Ce fut alors que les Shibanat se fixèrent dans ce pays. Quand ils l’eurent subjugué en entier, les Dhû-i Hassan allèrent s’emparer de Nûl. Ceux-ci avaient demeuré auparavant dans le pays qui s’étend depuis Ras al-‘Aïn et Garat jusqu’au Zîdûr. Plus tard, ils firent la guerre à ‘Ali b. Yiddar et le tuèrent dans une bataille. Garat est maintenant habité par les Beni Ûra. Le mot Ûra signifie voisinage en langue berbère.