Ibn Khaldûn, I, p.59-66, Tribus Arabes Jushâm des plaines du Tamsna, Habat (Gharb) et Tadla, v. 1380

 

La population mélangée, qui a reçu le nom des Jushâm, et qui existe encore dans le Maghreb, se compose de fractions de plusieurs tribus, telles que les Qurra, les ‘Asim, les Muqaddam, les Athbaj, les Khult et les Jushâm. Jushâm, l’aïeul de ces derniers et celui dont le nom a fini par s’appliquer à cette réunion de tribus, était fils de Mu‘awiya b. Bakr b. Hawazin.

Après la conquête de l’Ifrîqiya par les Almohades, toutes les tribus arabes firent leur soumission, les unes de bon gré, les autres contraintes par la force des armes ; mais elles abandonnèrent le parti de cette dynastie lors de l’insurrection suscitée par Ibn Ghanîa. Sous le règne d’Al-Mansour, elles rentrèrent dans l’obéissance, et ce souverain transporta en Maghreb toutes celles qui se distinguaient par leur nombre, leur puissance et leurs habitudes nomades. Il y fit passer les ‘Asim et les Muqaddim, branches des Athbaj, qui formaient plusieurs familles, ainsi que les Jushâm, tribu dont le nom s’appliqua, dans la suite, à toute les autres qui l’avaient accompagnée. Il établit les Riyâh dans le Habat et les Jushâm dans le Tamsna, vaste plaine qui s’étend depuis Salé jusqu’à Marrakesh.

Le Tamsna forme le centre du Maghrib al-Aqsa, et il est la seule partie de ce pays qui soit bien éloignée des routes qui mènent au Désert. En effet, le Mont Deren le protège de ce côté et s’oppose, par sa hauteur énorme, à toute communication avec ces régions solitaires.

Depuis l’époque de leur déportation, les Jushâm ont cessé de fréquenter le Désert avec leurs troupeaux, et ayant renoncé à la vie nomade, ils ont pris des habitations fixes dans le Maghreb.

Ils se partagent en trois branches, les Khult, les Sufyan et les Bni Jâbir. Pendant toute la durée de la dynastie almohade, la famille Jarmûn exerça le commandement chez les Sufyân. Appelés au secours de la dynastie de ‘Abd al-Mu’min dont la puissance commençait à décliner, les Jushâm, forts par leur nombre et animés encore de l’esprit d’indépendance qu’ils avaient contracté pendant leur ancien genre de vie, se mirent à dominer l’empire, pousser les princes du sang à l’insurrection, se montrer tantôt amis, tantôt ennemis du khalifat de Marrakech et imprimer partout les traces de leurs ravages.

Quand les Mérinides allèrent enlever le Maghreb aux Almohades et s’emparer de la double ville de Fez, ils ne rencontrèrent parmi les troupes chargées de la défense du pays, aucun corps qui fit une plus vigoureuse résistance que les bandes des Jushâm et des Rîah. Ces deux peuples n’ayant renoncé à la vie nomade que depuis peu de temps, conservaient encore leur ancienne bravoure et ne firent leur soumission qu’après avoir livré plusieurs batailles et subi de nombreuses défaites. Affaiblis, à la fin, par les grandes pertes qu’ils venaient d’éprouver, ces Arabes reconnurent l’autorité de la dynastie naissante. Dès lors, les Mérinides s’allièrent par des mariages avec les Bni Muhalhal, famille des Khult, de même que les Almohades avaient eu coutume de faire avec la tribu de Sufiyân. Mais le temps opéra ses changements ordinaires : la fortune abandonna les Jushâm; leur renommée s’obscurcit ; ils oublièrent jusqu’au souvenir de la vie pastorale, et réduits enfin au rang des peuples soumis à l’impôt, il leur fallut fournir de l’argent et des hommes pour le service du sultan.

Nous allons maintenant traiter des 4 peuples auxquels on donne le nom de Jushâm ; nous retracerons l’histoire de chacun d’eux et nous dirons la vérité sur leur origine. On y verra qu’ils ne descendent pas de Jushâm, bien que l’opinion générale le leur assigne pour ancêtre.

La tribu de Sufiyân est comptée au nombre de celles qui descendent de Jushâm. Ce Jushâm, dont le nom nous est si famillier, était fils de Mu’awiya, fils de Bakr, fils de Houazen, s’il n’appartenait pas à quelque autre famille. Sous le règne du sultan almohade Al-Ma’mûn et du temps de ses fils, la tribu de Sufiyân eut pour chef Jarmûn-b. ‘Aysâ, personnage appartenant à la famille des Beni Qurra, s’il faut en croire un auteur qui a composé une histoire des Almohades. Pendant longtemps les tribus de Sufiyân et de Khult se livrèrent à des hostilités mutuelles, et comme les Khult s’étaient attachés à la cause d’Al-Ma’mûn et de ses fils, les Sufiyân prétèrent leur appui à Yahya b. an-Nâçir qui disputait à ce prince le khalifat de Marrakech. Ar-Rashîd ayant fait mettre à mort Mas ‘ûd b. Hamîdan, chef des Khult (événement dont nous parlerons plus-tard), ceux-ci prirent le parti de Yahya b. an-Nâsir, et les Sufiyân passèrent aussitôt du côté d’Ar-Rashîd. En l’an 638 (1240), quelque temps après l’apparition des Mérinides dans le Maghreb, et pendant leur guerre avec les Almohades, Jarmûn abandonna Ar-Rashîd, et alla se joindre à Muhammad b. ‘Abd al-Haqq, émir des Bni Marîn. Ce fut un sentiment de honte qui le porta à cette démarche : s’étant enivré une nuit avec Ar-Rashîd, il se mit à danser sur la pressante sollicitation de ce prince. Revenu de son ivresse, il en eut un tel regret, qu’il s’enfuit de la cour et alla joindre Muhammad b. ‘Abd al-Haqq. Ceci se passa en l’an 638, et l’année suivante, il mourut. Kanûn, son fils et successeur, jouissait d’une haute faveur auprès d’As-Sa‘îd ; mais, en l’an 643 (1245), quand ce prince marcha contrôles Mérinides, il l’abandonna et alla s’emparer d’Azammor. Cette défection mit As-Sa‘îd dans l’impossibilité de donner suite à son expédition, et il y renonça pour tourner ses armes contre le chef rebelle. Kanoun s’enfuit devant lui, mais ayant ensuite fait sa soumission il l’accompagna à Tamzazdakt et y mourut un jour avant lui. Il tomba sous les coups des Khult, dans un conflit qui s’était élevé entre eux et les Sufiyân. La mêlée eut lieu dans le camp même d’Es-Saîd, et lui coûta la vie. Ya’qûb b. Jarmûn succéda à son frère Kanoun, dont il tua le fils Muhammad. En l’an 649, (1251-2), il accompagna Al-Murtada dans son expédition à Aman-Imllûlîn. [Quand on se trouva en face de l’ennemi] Ya’qûb se retira, et les troupes almohades s’enfuirent en désordre devant les Mérinides. Ce revers obligea Al Murtada à rentrer dans sa capitale, et quelque temps après, il pardonna à Ya’qûb sa défection. En l’an 659 (1261), Ya’qûb fut tué par Mas‘ûd et ‘Ali, fils de Kanûn, qui voulurent ainsi tirer vengeance de la mort de leur frère. Les meurtriers se réfugièrent auprès de Ya’qûb b. ‘Abd al-Haqq, sultan des Bni-Marîn, et alors Al-Murtada nomma ‘Abd ar-Rahman, fils de Ya’qûb, au commandement de la tribu. L’ayant ensuite reconnu incapable de remplir les devoirs de cette charge, il le remplaça par ‘Ubayd Allah, fils de Jarmûn, qu’il déposa bientôt après pour le même motif. Mas‘ûd, fils de Kanûn, reçut alors le commandement des Sufiyân, et Abd ar-Rahman passa aux Mérinides. A la suite de ces changements, Al-Murtada fit arrêter Ya’qûb b. Qaytûn, chef de la tribu de Jâbir, et le remplaça par Ya’qûb b. Kanûn, de la tribu de Sufiyân. En l’an 639 (1261), Abd ar-Rahmn b. Ya’qûb retourna auprès d’Al-Murtada, qui le fit mettre en prison et conserva Mas‘ûd b. Kanûn dans le commandement. Mas‘ûd eut deux neveux, Hattûsh et ‘Aysa, fils de Ya’qûb b. Jarmûn, et il se plaisait aies mettre en évidence. Ayant abandonné le parti de Ya’qûb b. ‘Abd al-Haqq [dont il venait de reconnaître l’autorité], il passa dans le pays de Haskura. Le feu de la guerre se ralluma alors, et Hattûsh ayant été nommé au commandement des Sufiyân qui venait de vaquer, le conserva jusqu’à sa mort. Il mourut en l’an 669 (1270-1), et eut pour successeur, son frère ‘Aysa. Mas‘ûd mourut dans le Haskura, en 680 (1281-2), et son fils Mansûr passa dans le Saksîwî où il resta jusqu’au règne de Yûsuf b. Ya‘qûb.

A cette époque, il rentra dans le devoir et fit sa soumission. Ce fut en l’an 706 (1306), pendant que ce sultan assiégeait Tlemcen, que Mansûr se rendit auprès de lui. Depuis le moment où ce chef rentra en grâce jusqu’au temps actuel, la famille Jarmûn a conservé le commandement des Sufiyân. Sous le règne d’Abû ‘Inan, je fis la rencontre du chef qui les gouvernait alors : c’était Ya‘qûb, fils de ‘Alî fils de Mansûr, fils de ‘Isa, fils de Ya’qûb, fils de Jarmûn, fils de ‘Isâ.

La tribu de Sufiyân était établie à demeure fixe : elle occupait les bords de la province de Tamsna, du côté d’Anfa ; les Khult leur ayant enlevé la possession des vastes plaines de cette contrée. De toutes leurs familles il n’y a que les Harith et les Kilabiya qui ont continué à parcourir, avec leurs troupeaux, le territoire du Sûs et le désert qui en dépend ; ils fréquentent les plaines du pays des Hâha, branche des Masmûda, et grâce à ce genre de vie, ils conservent encore leur force et leur bravoure.

Les Awlâd Mutâ’a, branche de la famille des Harith, exercèrent le commandement sur ces nomades. Pendant longtemps, ils répandirent la dévastation dans les campagnes de Maroc, et en l’an 776 (1374), lorsque l’émir ‘Abd ar-Rahman, fils de Bû Fallûs ‘Ali et petit-fils du sultan Abû-Ali, se trouva en possession du pouvoir, comme sultan de Marrakech, ils s’attachèrent à lui et obtinrent une haute place dans sa faveur. Plusieurs fois même il les faisait venir avec leurs cavaliers et leurs fantassins pour les passer en revue selon l’ancien usage. Leur chef se nommait Mansûr b. Ya‘îsh, et il appartenait à la famille des Mutâ‘a. Plus tard le sultan fit arrêter tous les membres de cette famille et les envoya, les uns en prison, les autres à la mort ; de sorte que leur puissance s’est anéantie et leur malheur est cité comme un exemple des vicissitudes de la fortune.

Au nombre des tribus dont se compose celle de Jushâm, on compte les Khult, mais c’est un fait bien établi qu’ils appartiennent à la tribu d’Al-Muntafiq b. ‘Amr b. Ocaïl b. Ka‘âb b. Rabi‘a b. ‘Amr. Toutes les familles sorties d’Ucayl b. Ka‘b se firent partisans des Qannais dans le Bahrein. Lors de l’affaiblissement de cette secte, la tribu de Sulaym s’empara du Bahrein au nom des Fatemides, et plus tard, les Bni Abi-‘l-Husayn, branche de la tribu de Taghlib, leur enlevèrent cette province au nom des Abbassides. Alors les Bni-Sulaym émigrèrent en Afrique avec les Bni-‘l-Muntafiq, les mêmes que l’on appelle les Khult. Les autres tribus descendues d’Usayl, restèrent en Bahrein, et une d’elles, les Bni ‘Amr b. Auf b. Malik […] b. Usayl, tribu-sœur des Khult, vainquit les Taghlebites. Il est vrai qu’en Maghreb on considère les Khult comme sorties de la même souche que les Jushâm; mais cette opinion ne peut trouver croyance que chez des gens dépourvus d’instruction.

Déportés en Maghreb par Al-Mansûr, ils se fixèrent dans les plaines de Tamsna et s’y distinguèrent par le nombre et la bravoure de leurs guerriers. A cette époque, ils eurent pour chef Hilal b. Hamîdan b. Muqaddam b. Muhammad b. Hubayra b. Awaj ; le reste de cette généalogie m’est inconnu.

Lors de l’avènement d’Al-‘Adil, fils d’Al-Mansûur, ils se révoltèrent contre lui et défirent ses armées ; puis, en l’an 625 (1228), Hilal envoya ses hommages à Al-Mamûn et le reconnut pour souverain.

Cette démarche du chef arabe assura au khalife Al-Mamûn l’adhésion des Almohades. Les Khult lui prêtèrent leur appui aussitôt qu’il débarqua en Maghreb; mais leurs rivaux, les Sufiyân, embrassèrent le parti de Yahya b. An-Nâsir. Hilal suivit fidèlement la fortune d’Al-Mamûn, et quand ce sultan mourut, lors de la campagne de Ceuta, il s’empressa de reconnaître pour khalife son fils Ar-Rashîd. Ayant alors accompagné ce prince à Maroc, il défit la tribu de Sufiyân, et la dépouilla complètement.

Après la mort de Hilal, son frère, Mas‘ûd, succéda au commandement des Khult. Ce chef se laissa entraîner dans une révolte contre Ar-Rashîd par les instances de ‘Umar b. Awsarît, chef de la tribu almohade des Haskura, lequel s’était mis en état de rebellion. Ar-Rashîd s’y prit alors avec tant d’adresse, qu’en l’an 632 (1234), il attira Mas‘ûd à Marrakech et le fit mourir avec plusieurs autres membres de la même famille.

Yahya, fils de Hilal, ayant succédé à son oncle Mas‘ûd dans le commandement des Khult, passa, avec sa tribu, du côté de Yahya b. Nâcir. Soutenus par ‘Umar b. Awsarît, ils mirent le siège devant Maroc et obligèrent Ar-Rashîd à se retirer à Sijilmasa. Ils occupèrent alors la ville de Marrakech, et s’y livrèrent à toutes sortes de désordres, mais en l’an 633, ils se laissèrent enlever cette capitale par Ar-Rashîd.

A la suite de ces événements, Ibn Awsarît passa en Espagne, portant avec lui une déclaration par laquelle les Khult s’engageaient à reconnaître pour souverain Ibn Hûd [qui était alors maître de l’Andalousie]. On parvint bientôt à découvrir que cette démarche d’Ibn Awsarît n’était qu’un prétexte, et qu’il n’avait point eu d’autre but que d’échapper au danger dont il se voyait menacé dans son pays.

Les Khult abandonnèrent alors Yahya b. an-Nâsir et l’ayant forcé à se retirer chez les Arabes makiliens, ils offrirent leur soumission à Ar-Rashîd. En l’an 635 (1237-8), ce prince fit arrêter ‘Ali et Ushah, tous les deux fils de Hilal, et les emprisonna dans la forteresse d’Azammor. Plus-tard, il leur rendit la liberté, et ayant tendu un piége aux principaux chefs des Khult, il les attira auprès de lui et les fit mettre à mort, ainsi que ‘Umar b. Awsarît, transfuge que le gouvernement de Séville venait de lui livrer.

Quand le khalife As-Sa‘îd entreprit son expédition contre les Bni ‘Abd al-Wâd, les Khult en firent partie, et par leurs conflits avec les Sufyan, ils entraînèrent la défaite et la mort de ce souverain. Al-Murtada [successeur d’As-Saîd] ne cessa d’épier une occasion favorable pour les châtier, et en l’an 652 (1254-5), il réussit à mettre la main sur leurs principaux chefs et à les faire mourir. Aouadj, le fils de Hilal, passa alors du côté des Mérinides, et Al-Murtada donna le commandement des Khult à ‘Ali b. Bâ ‘Alî, membre d’une famille très-considérée chez eux. En l’an 654, Awaj rentra dans sa tribu, et ayant eu un conflit avec Ali-ban-bou-Ali, il y mourut en combattant. En 680 (1261-2), lors dela défaite d’Al-Murtada à Umm ar-Rijlayn, ‘Ali b. Bâ ‘Ali passa aux Mérinides et entraîna dans sa défection toute la tribu sous ses ordres.

Dans les premiers temps de la dynastie mérinide, le commandement des Khult fut exercé par Muhalhal b. Yahya b. Muqaddam. Le souverain mérinide Ya‘qûb b. ‘Abd al-Haqq épousa la fille de ce chef et en eut un enfant qui régna, plus tard, sous le nom d’Abû Sa‘îd. Muhalhal mourut en 695 (1295), et eut pour successeur, dans le commandement de la tribu, son fils ‘Atiya.

‘Atiya, fils de Muhalhal, gouverna les Khult pendant le règne d’Abû Sa‘îd et pendant celui d’Abû ‘l Hasan, fils d’Abû Sa‘îd; il reçut même de ce dernier une mission auprès d’Al-Malik an-Nâsir, sultan d’Egypte. A la mort de ‘Atiya, son fils ‘Isâ lui succéda. ‘Isâ eut pour successeur sou frère ‘Ali b. ‘Atiya, lequel fut remplacé par son neveu Zamam b. Ibrahîm b. ‘Atiya. Celui-ci jouissait d’une grande puissance et vivait dans les plaisirs. Le sultan, avec lequel il était sur le pied d’une extrême familiarité, lui assignait toujours aux audiences publiques une place rapprochée de la sienne. A la mort de Zamam, son frère Hammû devint chef des Khult. Sulayman b. Ibrahîm remplaça son frère Hammû. Sous le règne d’Abû ‘Inân, Mubarak, frère des précédents, exerça le commandement de la tribu. Ce chef resta en place jusqu’à l’époque où la mort du sultan Abû Salim fit éclater la guerre civile en Maghreb et ouvrit à ‘Abd al ‘Aziz, frère de celui-ci, le chemin du trône. Abû ‘l-Fadl, fils d’Abû Salim, s’empara alors des provinces marocaines, entreprise dans laquelle il fut soutenu par Mubarak; mais ensuite ils tombèrent tous les deux au pouvoir de ‘Abd al-‘Azîz. Ce monarque ayant vaincu et mis à mort ‘Amr b. Muhammad, tira Mubarak de la prison où il était resté enfermé et lui ôta la vie. Il se porta à cette extrémité parce qu’il avait su que ce chef avait été en relation avec ‘Amr et l’avait encouragé dans sa révolte.

Nous parlerons de tous ces événements dans l’histoire des Mérinides. Le commandement des Khult passa ensuite à Muhammad fils de Mubarak.

Les Khult sont maintenant disparus de la terre, comme s’ils n’y avaient jamais existé : pendant deux siècles ils occupaient de vastes campagnes et jouissaient de l’abondance et du bian-être; mais cette aisance, jointe au pouvoir qu’ils avaient acquis et aux habitudes d’indolence qu’ils venaient de contracter, les conduisit enfin à leur perte, et quelques années de disette achevèrent leur ruine.

Les Bni Jâbir. — On compte les Bni Jâbir au nombre des Jushâm du Maghreb, mais quelques personnes les considèrent comme une fraction de la tribu de Sedrata, branche de la grande tribu des Zenata ou de celle des Luwata. Dieu sait laquelle de ces opinions est la mieux fondée.

Les Bni Jâbir embrassèrent le parti de Yahya b. an-Nâsir et se distinguèrent dans la guerre civile que ce prince avait allumée. En l’an 633 (1235-6), après la mort de Yahya, son rival, Ar-Rashîd, fit mourir Fa’îd b. ‘Amr, cheikh de cette tribu, ainsi que Caïd, frère de Faïd; et à la suite de cette exécution, il nomma Ya’qûb b. Muhammad b. Caïtoun au commandement des Beni Jâbir. Yalu, général de l’armée almohade, fit prisonnier le nouveau chef d’après l’ordre d’Al-Murtada. Les Bni Jâbir passèrent ensuite sous le commandement de Ya’qûb b. Jarmûn a-Sufyani, mais l’autorité de ce chef ayant subi une rude secousse, leurs cheikhs le remplacèrent par Isma‘ïl b. Ya’qûb b. Qaïtûn. Plus tard , cette tribu alla se fixer au pied de la montagne qui domine Tedla, et devint ainsi la voisine des Sanhaja berbères qui en habitaient la cîme et les flancs. De temps à autre elle descend dans la plaine, mais toutes les fois qu’elle se voit menacée par le sultan ou par un chef puissant, elle se réfugie dans la montagne et trouve, parmi les Berbères, ses voisins et confédérés, une protection assurée.

Le droit de commandement chez les Bni Jâbir appartenait, dans ces derniers temps, aux Ourdîgha, une de leurs familles. Lors du règne du sultan Abou-Einan, je fis la rencontre de Hocein b. Ali al-Urdîghi, chef qui les gouvernait à cette époque En l’an 760 (1359), pendant qu’An-Nâsir, son fils et successeur, exerçait le commandement de la tribu, le vizir Al-HacenIbn-’Umar alla chercher un asile chez eux. Le sultan Abou-Salem, contre lequel Al-Hacen s’était révolté, en exigea l’extradition, et comme il appuyait cette demande par un corps d’armée, il obtint la remise du fugitif.

Huit ans plus tard, Abou-‘l-Fadl, fils du sultan Abou-Salem, abandonna la ville de Maroc et se réfugia chez les Bni Jâbir. Le sultan Abd al-Azîz cerna alors la montagne avec ses troupes, força ce prince à passer sur les hauteurs occupées par les Sanaga, et moyennant une somme d’argent, il décida ces Berbères à lui livrer leur hôte.

Pendant les troubles de cette époque, ‘Abd ar-Rahman b. Bû Ifellûsen chercha asile auprès des Bni Jâbir, mais le vizir ’Umar b. ‘Abd Allah,qui était alors tout puissant dans le Maghreb, exigea et obtint l’expulsion de cet émir. Comme An-Nasar al-Urdîghi avait pris une part très-active dans toutes ces insurrections, le gouvernement mérinide le fit arrêter et le garda en prison pendant plusieurs années. Ayant ensuite recouvré la liberté, An-Nâsir partit pour la Mecque; mais, à son retour du pèlerinage, il fut emprisonné de nouveau par l’ordre d’AbouBekr b. Ghazi. Ce visir gouvernait alors le Maghreb avec une autorité absolue au nom d'[Es-Saîd], fils du sultan Abd al-Azîz. Ce fut alors que le commandement des Bni Jâbir fut enlevé à la famille d’Ali-al-Ourdîghi. Beaucoup de personnes assurent que les Ourdîgha appartiennent, non pas aux Djochem, mais aux Sedrata, branche de la tribu berbère de Louata. A l’appui de leur opinion elles font observer que toutes les localités habitées par les membres de cette famille, sont situées dans le voisinage du peuple berbère que nous venons de nommer. Dieu sait si elles ont raison ou non.

Les ‘Asim et les Muqaddam. — Les Acem etles Mocaddem, branches de la tribu d’Athbaj, s’établirent dans les plaines de Temsna avec les peuplades dont nous venons de parler. Sans être aussi nombreuses que leurs frères, les Jushâm, ils jouirent néanmoins, d’une grande puissance. Tributaires du sultan, ainsi que ceux ci, ils lui fournissaient un contingent d’hommes, en cas de guerre. Sous les Almohades, pendant le règne d’Al-Ma’mûn, les ‘Asim eurent pour chef un de leurs parents appelé Hasan b. Zayd. Cet homme se fit remarquer par son activité pendant la révolte de Yahya b. an-Nâsir; aussi, en l’an 633 (1235-6), lors de la mort de ce prince, Ar-Rashîd lui ôta la vie, ainsi qu’à Caïd et Fa’ïd, fils de ‘Amr et cheikhs des Bni Jâbir.

Le commandement des ‘Asim passa ensuite à Abû ‘Iyad, qui le transmit à ses fils, dont l’un, ‘Iyad b. Abi ‘Iyâd, vivait encore du temps des Bni-Marîn. Après s’être montré tantôt dévoué, tantôt hostile à cette dynastie, il s’enfuit à Tlemcen. Entre les années 690 et 700 (1300), il rentra dans sa tribu; puis il se sauva dansla province de Sous, et en l’an 707, il reparut encore au milieu de son peuple. Pendant toute sa vie, il ne faisait que chercher les aventures et les dangers. Sous le règne de Ya’qûb b. ‘Abd al-Haqq, il s’était distingué, ainsi que son père, par sa bravoure dans la guerre sainte que ce prince avait entreprise contre les Chrétiens. Jusqu’à l’extinction des ‘Asim et des Muqaddam, le droit de leur commander appartenait aux ‘Iyad.