Ibn Jubayr, Messine, 1184 n-è

MESSINE

C’est dans cette ville, rendez-vous des navires de tous les pays, que se tient la foire des marchands infidèles : le séjour en est fort agréable pour le bon marché des denrées, mais sombre à cause des infidèles. Aucun musulman ne se trouve établi dans cette ville, qui regorge d’adorateurs des croix, et qui est si remplie d’habitants qu’elle contient à peine sa population. Messine est couverte d’immondices, infecte, et si peu hospitalière que tu ne saurais y trouver un seul ami des étrangers. Elle offre cependant des marchés abondants et animés, et les moyens de satisfaire amplement à toutes les commodités de la vie. Tu demeureras en pleine sûreté en cette ville, de nuit comme de jour, quand même ta mine, ta bourse et ton langage te dénonceraient comme étranger.

Les montagnes serrent Messine de si près que leurs flancs suivent exactement le pourtour des fossés de la ville. Elle est baignée par la mer du côté du midi; et quant à son port, aucun pays maritime n’en possède de plus merveilleux; car ici les navires s’approchent du rivage presque au point d’y toucher. On débarque au moyen d’une planche, que l’on passe sur le quai, par laquelle le portefaix monte avec tout son fardeau, en sorte qu’il ne faut pas de canots pour charger et décharger les bâtiments, si ce n’est pour ceux qui restent à l’ancre à peu de distance. Tu vois donc les navires rangés le long du quai, comme des chevaux attachés à leurs poteaux ou dans leurs écuries: tout cela à cause de l’immense profondeur de la mer en cet endroit-ci. C’est un détroit de 3 milles de largeur, qui sépare Messine du continent. Sur le rivage opposé à Messine est située une ville dite Rayah (Reggio), chef-lieu d’une grande province.