Ibn Khaldun, Dynastie Miknasa de Taza et Guercif (Bni Abî al-'Afiya) au Xè s., v. 1370 n-è

HISTOIRE DES BNI ABI AL’AFYA, DYNASTIE MIKNASITE QUI RÉGNA A TASUL.

Cette portion de la tribu de Miknasa qui vivait en nomade et parcourait les territoires du Muluya, de Guercif et de Melilla ainsi que les plateaux qui avoisinent Taza, Tasûl et Lukay, reconnaissait pour chefs les descendants d’Abû Bâsil b. Abî ad-Dahhak b. Abî Izzûl.Ce furent eux qui fondèrent la ville de Guercîf et le ribat de Taza. Depuis la première invasion des Musulmans ils continuèrent à fréquenter les mêmes localités, et dans le troisième siècle de l’hégire ils eurent pour chefs Msala b. Habbus, et Mûsa b. Abî al-‘Afya b. Abî Bâsil. Sous le gouvernement de Msala, leur puissance accrut à un tel point qu’ils soumirent toutes les peuplades berbères du territoire situé entre Taza et Lukay ; ils soutinrent même plusieurs guerres contre les Idrîssides, princes du Maghreb. Les victoires qu’ils remportèrent sur cette dynastie, qui était alors en pleine décadence, les rendirent maîtres d’une grande partie des plaines de ce pays.

Quand ‘Ubayd Allah le fatimide étendit sa domination sur le Maghreb, ils le secondèrent en partisans dévoués ; aussi, Msala étant devenu un des principaux généraux de ce monarque, obtint pour lui-même le gouvernement de Tahert et du Maghreb central.

En l’an 305/917, Msala envahit le Maghrib al-Aqsa, s’empara de Fez, occupa Sijilmasa et força Yahya b. Idrîs à reconnaître la souveraineté dr ‘Ubayd Allah. Ayant alors laissé ce prince à Fez en qualité d’émir, il concéda les autres villes du Maghreb et les plaines de cette contrée à son propre cousin, Mûsa b. Abi al-‘Afya qui, en sa qualité d’émir des Miknasa, gouvernait déja, depuis quelque temps, Tasul, Taza et Guercif.

Après le retour de Msala à Cairouan, Yahya-Ibn Idrîs commença des hostilités contre Mouça-lbn-Abi-‘l-Afïa, pour le châtier d’avoir aidé le général fatimide à renverser la puissance des Idrissides. En l’an 309/921, Msala rentra au Maghreb à la tête d’une armée, et cédant aux instances d’Ibn Abi al-‘Afya, il marcha contre Yahya et l’expulsa de Fez après l’avoir forcé à racheter sa liberté au prix de tous ses trésors. L’émir déposé se réfugia auprès de ses cousins, les princes de Basra et du Rîf.

Alors Msala installa Rayhan al-Kutamî dans le gouvernement de Fez, et s’en retourna à Cairouan où il mourut.

Dès ce moment, Ibn Abî al-‘Afya devint tout puissant en Maghreb.

En l’an 313/925, Al-Hasan b. Muhammad b. al-Qasim b. Idrîs, prince d’une bravoure extraordinaire et surnommé Al-Hajjam, parce qu’il frappait toujours ses adversaires dans la veine du bras, réussit à surprendre la ville de Fez, à en tuer le gouverneur, Rayhan, et à s’y faire reconnaître comme souverain. Ibn Abî al-‘Afya entreprit de le combattre, mais il perdit son fils, Minhal , et 2000 de ses Miknasa dans une bataille qui eut lieu à Wadî al-Matahin (rivière des moulins), dans la plaine d’Addad, entre Taza et Fez.

A la suite d’une nouvelle rencontre, Al-Hajjam subit une défaite, et rentra à Fez avec les débris de son armée. Il y succomba, victime d’une trahison indigne : Hamad b. Hamdan al-Hamdani, l’officier auquel il avait confié le commandement du quartier des Cairouanais, le jeta dans les fers et livra ensuite la ville à Ibn Abî al-‘Afya. Ce chef, qui était accouru en toute hâte sur l’invitation de Hamad, tourna aussitôt ses armes contre le quartier des Andalous et s’en empara. ‘Abd Allah b. Tha‘laba b. Muharib b. ‘Abûd [al-Awrabî], gouverneur de cette moitié de la ville, y trouva la mort.

Le vainqueur donna à Muhammad b. Tha‘laba, frère de ‘Abd Allah, le commandement du quartier des Andalous et somma Hamad b. Hamdan de lui livrer Al-Hajjam. Cet homme ressentit une telle répugnance à laisser verser le sang d’un rejeton du Prophète, qu’il fit évader son prisonnier. Al-Hajjam tâcha alors de descendre du haut de la muraille au moyen d’une corde, mais ayant eu le malheur de se laisser tomber, il se cassa la jambe et mourut trois jours après, dans le quartier des Andalous où ses amis l’avaient transporté secrètement. Hamad lui-même dut se retirer à Al-Mahdya pour éviter la colère d’Ibn Abî al-‘Afya.

Maître de Fez et du Maghreb entier, Ibn Abi al-‘Afya força les Idrîssides à se réfugier dans leur forteresse de Hajar an-Nasr, auprès d’Al-Basra. Il alla ensuite les y attaquer à plusieurs reprises, et les ayant fait bloquer par un corps de troupes sous les ordres d’Abi al-Fath, un de ses généraux, il partit, l’an 319/931), pour Tlemcen. Avant de se mettre en marche, il choisit son fils Madîn pour lieutenant, et l’établit dans le quartier des Cairouanais comme gouverneur du Maghrib al-Aqsa. Il remplaça en même temps Muhammad b. Tha‘laba, commandant du quartier des Andalous, par Tuwal b. Abî Yazîd. Arrivé à Tlemcen, il en détrôna le souverain, Al-Hasan, fils d’Abû al-‘Aysh b. ‘Aysa b. Idrîs b. Muhammad b. Sulayman b. ‘Abd Allah. Celui-ci était entré en Maghreb quelque temps après son frère Idrîs l’ancien. Al-Hasan se retira à Melîlla, île [située près] du Mulûya, et Ibn Abî al-‘Afya reprit la route de Fez.

Le khalife [omeyyade] An-Nasir s’étant déjà acquis beaucoup de partisans en Maghreb, essaya alors, par des promesses très séduisantes, de gagner l’appui d’Ibn Abî al-‘Afya, et parvint à le détacher du parti des Fatimides. ‘Ubyd Allah al-Mahdi apprit bientôt que son ancien serviteur venait de faire proclamer la souveraineté d’An-Nasir du haut de toutes les chaires du Maghreb, et pour punir cet acte de trahison, il y envoya une armée sous la conduite du général miknacien, Hamîd b. Isliten, neveu de Msala et commandant militaire de Tahert. Hamîd se mit en campagne, l’an 321/933, et ayant rencontré Ibn Abi al-‘Afya dans la plaine de Masun, il parvint, après quelques jours d’escarmouches, à le surprendre dans une attaque de nuit.

Ibn Abi al-Fath, averti que son maître, Ibn Abî al-’Afya, s’était réfugié dans Tasul, leva précipitamment le siége de Hadjer-en-Nesr et abandonna son camp aux troupes de la forteresse qui s’étaient mises à sa poursuite. Hamîd continua sa marche vers Fez, et trouvant que Madîn, fils de Mouça, s’était enfui de cette ville pour rejoindre son père, il y installa comme gouverneur Hamad Ibn Hamdan, qui l’avait accompagné. Ayant ainsi soumis le Maghreb, il s’en retourna en Ifrîqya.

Après la mort de ‘Ubayd Allah le fatimide une nouvelle révolte éclata dans le Maghreb : Ahmad al-Judami, fils de Bakr b. ‘Abd ar-Rahman b. Sahl, tua Hamad b. Hamdan et envoya sa tête à Ibn Abî al-‘Afya. Celui-ci la fit porter à Cordoue pour être présentée à An-Nasir, puis, il se rendit encore maître du pays entier.

En l’an 323/935, l’eunuque Maysûr, général d’Abû al-Qasim, le khalife fatimide, pénétra dans le Maghreb, et, sur la nouvelle que Ibn Abi  al-‘Afya était enfermé dans la forteresse de Lukay pour ne pas risquer une bataille, il alla faire le siége de Fez. Voulant alors mettre en pratique une ruse de guerre, il attira dans une conférence Ahmad b. Bakr, gouverneur de la ville, et le fit arrêter et conduire à Al-Mahdya. Indigné de cette trahison, le peuple de Fez prit pour chef Hasan b. Qâsim al-Luwatî et se disposa à faire une vigoureuse résistance. Maysûr les tint assiégés jusqu’à ce qu’ils consentirent à reconnaître la souveraineté des Fatimides et à leur payer tribut. En se retirant, il confirma Hasan b. al-Qâsim dans le gouvernement de la ville. Tournant ensuite ses armes contre Ibn Abî al-‘Afya, il lui livra plusieurs batailles dans une desquelles il fit prisonnier Al-Buri, fils de ce chef. Al-Buri fut envoyé à Al-Mahdya, et son père, accablé par le dernier revers qu’il avait essuyé, quitta le Maghreb et traversa les territoires du Muluya et d’Outat pour se réfugier dans le Désert.

Maysur reprit le chemin de Cairouan, et en passant auprès d’Arshgul, il en arrêta le gouverneur, Idrîs b.  Ibrahîm (descendant de Sulayman b. ‘Abd Allah, frère d’Idrîs l’ancien), qui s’était présenté devant lui dans l’espoir de gagner sa bienveillance par l’offre d’un cadeau. Après avoir enlevé à ce prince toutes ses richesses, il le remplaça par Abû al-‘Aysh b. ‘Aysa, membre de la même famille. De là il se porta rapidement vers Cairouan où il arriva en l’an 324/935.

Mûsa b. Abî al-‘Afya quitta alors le Désert et reprit possession de tous ses états. Ayant accordé le gouvernement du quartier des Andalous à Abû Yûsuf Muharab al-Azdi, le même qui avait converti en ville cette place qui n’était auparavant qu’une citadelle, il alla s’établir dans la forteresse de Kumat. Il marcha ensuite sur Tlemcen la tête d’un renfort de troupes que sur sa demande, An-Nasir, l’omeyyade, lui avait expédié d’Espagne. Abû al-‘Aysh s’empressa d’abandonner cette ville pour aller s’enfermer dans Arshgul ; puis, en l’an 325, il s’enfuit au château qu’il s’était fait construire près de Nukûr et laissa Arshgul au pouvoir de son adversaire. Celui-ci se dirigea ensuite contre la ville de Nokour et l’ayant emportée à la suite d’un siége, il la détruisit de fond en comble après en avoir tué le gouverneur ‘Abd al-Badi‘ b. Sâlih. Son fils Madîn, auquel il avait donné l’ordre d’assiéger Abû al-‘Aysh’, obligea ce prince à livrer le château pour obtenir la paix.

Ibn Abî al-‘Afya, dont la fortune venait de prendre ainsi un grand ascendant, étendit promptement son autorité jusqu’à la frontière du pays de Muhammad b. Khâzir, prince des Maghrawa et seigneur du Maghreb central. En l’an 327/938, pendant qu’il travaillait de concert avec ce puissant voisina fortifier la cause des Omeyyades, la mort vint le surprendre.

Son fils Madîn, qu’il avait envoyé taire le siége de Fez, lui succéda dans le commandement du Maghreb, et s’y étant fait confirmer par An-Nasir, il contracta avec Al-Khayr, fils de Muhammad b. Khazir, une alliance semblable à celle qui avait existé entre leurs pères. A la fin, cependant, cette bonne intelligence se troubla, et les deux chefs avaient déjà commencé à se faire la guerre, quand An-Nasir chargea son Juge, Mundhir b Sa‘îd, d’aller examiner la cause de la querelle et de travailler à un raccommodement. Mundhir remplit cette commission de manière à satisfaire les souhaits de son souverain.

En l’an 335/946, Madîn vit arriver chez lui son frère Al-Buri qui s’était échappé du camp d’Al-Mansur [le fatimide], pour aller se joindre à Abu Yazîd. Ahmad b. Bakr al-Judami, qui avait accompagné Al-Buri, se rendit à Fez sous un déguisement et trouva bientôt l’occasion d’arracher le pouvoir au gouverneur, Hasan b. Qâsim al-Luwati. Madîn et ses frères Al-Buri et Abû al-Munqidh, se partagèrent alors les états de leur père, de sorte qu’ils soutinrent, à eux trois, tout le poids des affaires. Al-Buri passa en Espagne, l’an 335, et fut reçu avec de grands honneurs par An-Nasir. S’étant alors fait confirmer dans l’exercice de son autorité, il repartit comblé de faveurs, et mourut en 345/956, pendant qu’il assiégeait son frère Madîn dans la ville de Fez.

Il eut pour successeur son fils, Mansûr, lequel tint sa nomination d’An-Nasir. Le nouveau chef se rendit en Espagne, accompagné de son frère Abû al-’Aysh, et reçut du khalife les mêmes témoignages de faveur que ce prince avait déjà accordés à leur père. Lors de la mort de Madîn, An-Nasir le remplaça par Abû Munqidh. A la suite de cette nomination, les Maghraoua s’emparèrent de la province de Fez ainsi que de la ville, et établirent leur domination dans le Maghreb, d’où ils expulsèrent les Miknasa. Les vaincus rentrèrent dans les limites de leur ancien territoire, et Isma‘îl b. Al-Buri, passa en Espagne avec Muhammad b. ‘Abd Allah et petitfils de Madîn. En l’an 386/996, pendant que le vizir Al-Mansûr b. Abi ‘Amr gouvernait l’empire espagnol, ils rentrèrent en Maghreb avec Wâdih [général envoyé par le gouvernement omeyyade], pour comprimer la révolte de Zîri b. ‘Atya. Wâdih soumit tout le pays et rétablit ces chefs dans leurs états.

Quand Bulughîn b. Ziri [le sanhajite] eut enlevé le Maghreb central aux Bni Khazir, princes dela tribu des Maghrawa, les Miknasa formèrent une alliance avec lui, et s’attachèrent désormais à la dynastie ziride en qualité de sujets et d’auxiliaires. En l’an 405/1014, Isma‘îl b. Al-Buri, mourut à Chelif, dans une des batailles que Hammad [le zirîde] livra à [son neveu] Badîs.

Les descendants de Mûsa b. Abî al-‘Afya continuèrent à régner jusqu’à l’apparition des Almoravides et la conquête du Maghreb par Yûsuf b. Tashfîn. Al-Qâsim b.e Muhammad ‘Abd ar-Rahman b. Ibrahîm, fils de Mouça Ibn Abî al-’Afya, marcha contre les envahisseurs, et s’étant assuré le concours du peuple de Fez et l’appui des Zenata, lesquels venaient de perdre [leur chef] Mu’annasir al-Maghrawî, il rencontra l’armée almoravide auprès du Wâdî Safîr et la mit en pleine déroute. Yûsuf b. Tashfîn leva aussitôt le siége du château de Fazaz, et alla emporter d’assaut la ville de Fez après avoir dispersé les troupes zenato-miknaciennes qu’Al-CacemIbn Muhammad avait voulu lui opposer. Passant ensuite dans le pays des Miknasa, il s’empara de la forteresse de Tasul et tua Al-Qâsim.

Parmi les ouvrages que nous possédons sur l’histoire du Maghreb, il y en a qui placent la mort d’Ibrahîm b. Musa b. Abi-al-‘Afya, en l’an 405/1014. Ibrahîm eut pour successeur un fils nommé ‘Abd Allah ou ‘Abd ar-Rahman. Celui-ci mourut en 430/1038, laissant l’autorité à son fils Muhammad. Al-Qasim b. Muhammad, succéda au pouvoir après la mort de son père et perdit la vie à Tasul en l’an 463 (1070-1), quand cette forteresse succomba aux assauts des Almoravides. La chute de la dynastie maghrawite entraîna celle des Miknasa.

Encore de nos jours on trouve dans les montagnes de Taza quelques fractions de la grande tribu des Miknasa. Elles ont continué à rester dans leur ancien territoire, bien que les différentes dynasties qui se sont succédées en Maghreb leur aient fait une guerre acharnée, et que plusieurs autres peuples soient venus se fixer dans leur voisinage. Ils sont renommés pour l’importance des impôts [dont ils ont reçu la concession] et pour la fierté de leur caractère. Les grands services qu’ils ont rendus au gouvernement dans ses expéditions militaires leur ont même acquis la faveur toute particulière de la dynastie régnante. Leurs cavaliers se comptent par centaines. Quelques débris de la tribu de Miknasa se trouvent dispersés dans l’Ifrîqya et le Maghreb central, mais ils se sont mêlés avec les diverses peuplades qui habitent ces provinces.

Ayant terminé la notice des tribus issues d’Urstîf, nous passerons aux Berbères-Beranès ‘, peuples dont nous avons à traiter l’histoire.