VIII : Les « Mazighes » avant Qairouan

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Dans le monde mauro-romain, indépendant de fait depuis bientôt 3 siècles, l’influence proto-byzantine et latine ainsi que la christianisation ont repris.

A : Walili et Tlemcen Mauro-Romains

A Volubilis ont été découvertes quelques traces de tombes chrétiennes du IVème siècle, elles reprennent un format antique, et les défuntes sont appelées « Ancilla Christi » : « Esclaves du Christ ».
Ensuite, les découvertes se raréfient subitement, à l’époque Constantinienne, Théodosienne et Vandale et puis, subitement, en 595, des épitaphes réapparaissent au nord du « mur du IVème siècle », édifié pour se séparer de la ville impériale. On y a notamment dégagé un mausolée.
La plupart des épitaphes sont surmontée de chrismes. Tous les Volubilitains s’y nomment Julius, l’un d’eux a le titre de « Vice-préposé ». Mais c’est l’épitaphe de Julia Rogativa, datée de 655, qui est la plus intéressante, elle ne recèle aucun symbole chrétien, mais le terme « discessit » (s’est éloigné), répandu dans les dédicaces funéraires chrétiennes aux VIème et VIIème siècles (notamment à Pomaria/Tlemcen). On y apprend qu’elle est « cooptée d’Altava », la capitale du royaume Maure de Massuna, qui, ainsi que le révèle l’archéologie, reste avec Pomaria parmi les cités mauro-romaines les plus dynamiques. 7
Il semble certain qu’au moins Tanger, Sebta, Lixus et Volubilis au Maroc, ont eu une existence continue, et assez importante entre 277 et l’arrivée des arabes, qui y trouvent des « Rûms » des romains/chrétiens. Le christianisme y est assuré aussi à Lixus par un bâtiment rappelant une église et un baptistère. La présence d’une importante communauté de commerçants syro-palestiniens, dont des juifs, est également avérée pour la période impériale.
Sans doute y avait-il dans la Maurétanie Tingitane, Césarienne et Sétifienne, une sorte de Pax Mauretanica, sous la suzeraineté de rois maures latinisés, entretenant une relation d’hommage symbolique à Rome, protégeant le christianisme et une société bourgeoise dynamique, mais également capable de se faire respecter, par le culte familial, les alliances matrimoniales polygames et la vertu militaire, avec les grandes tribus plus ou moins « barbares » du pays, et d’au-delà.

B : L’identité Mazigh-

Y a-t-il encore des Macennites et des Baquates ? Sans doute. Les Bavares et les Baniures, de leur côté, sont assurés, quant aux Mazices (Mazigh) et aux Machures (Mahur), souvent, ils semblent être le terme générique employé par les auteurs latins pour désigner ces Maures Barbares.
Corippe, auteur d’une série de chants apologétiques sur les campagnes post-justiniennes en Afrique, décrit ainsi la tactique de combat des Mazighs :
« Voici les ruses dont se sert le Maure pour combattre : il effraie l’ennemi qu’il surprend par une attaque prompte et inattendue et tandis qu’il hésite, il le presse, sûr du nombre, de l’avantage des lieux et confiant dans ses chevaux dociles. Puis par ruse il envoie en avant quelques rares combattants chargés d’attirer l’ennemi dans la plaine et qui, fuyant à sa vue, l’entrainent hors des retranchements. Le Maure, emporté dans une course rapide, brandit sa lance armée de fer et ne cesse de faire mouvoir en cercles rapides son coursier docile. Mais lorsque l’ennemi s’approche, il fuit avec habileté afin de disperser par cette manœuvre adroite les ailes rangées en ordre, et tandis que le gros de l’armée le poursuit et se croit victorieux, il éparpille les bataillons dans la plaine.
«C’est à l’aide de ces pièges, c’est en simulant une attaque que combat le Moazace [Mazigh], jusqu’au moment où il a su attirer au milieu des ennemis son adversaire, enfermé de toutes parts dans des vallées étroitement gardées. Alors ses stratagèmes se découvrent tout entiers et de toutes parts il appelle ses troupes dissimulées aux regards. Celui que la terreur a saisi fuit au premier choc. Le Maure, dont l’épouvante même de l’ennemi excite le courage, d’en haut l’accable de blessures cruelles. »

L’auteur fait surtout le rappel d’une grande guerre contre un roi Mauro-romain de tripolitaine, un des ces berbères Butr [à tunique] dont nous parle Ibn Khaldoun, du nom d’Antalas, et qui, pris la tête d’une insurrection dans le sud de l’Africa.
Plus tard, Ibn Khurdadbê mentionne pour le Maghrib le pays « de Libwa et de Maziqiya ». L’absence de point diacritique sur le Z, occasionnant la lecture « R »est sans doute une erreur du copiste, peut être destiné à rapprocher le ductus MZQYH de « Mauretania ». Il est donc à peu près certain qu’on nommait le Maghreb d’outre-Ifriqiya la Maziqiya : le pays des Mazigh, et le Maghreb Proche, entre l’Egypte et Gabès : la « Libwa », qui tient naturellement du terme greco-romain « Libya ».

C : Encore des Mythes Fondateurs

Venons en aux mythes originels que les auteurs de la basse antiquité forment à propos des « Mazigh ». Désormais, les légendes judéo-chrétiennes viennent accompagner, puis remplacer complètement les contes greco-romains.
Dans Procope, on rapporte l’histoire suivante, les Africains seraient les peuples de la « Phénicie » au sens large de l’époque romaine classique, c’est-à-dire des groupes Canaanéens qui fuirent les exactions de Josué, successeur de Moise, là, ils remplacèrent les « fils du pays », les sujets d’Antée, et pour l’auteur, il semble bien que ce fut Hercule qui les dirigea, comme roi « jusqu’au détroit de Cadix ». Rappelons son nom punique : Milk/Roi-Qart/Cité).
Et Saint Augustin de confirmer : “Demandez, à nos paysans qui ils sont : ils répondent en punique qu’ils sont des Chenani. Cette forme corrompue par leur accent ne correspond-elle pas à Chananaeci ?”
Peu après, leurs cousins phéniciens auraient établis, avec leur alliance, un peuple mixte autour de la fondation carthaginoise de Didon. Ce nouveau royaume finit par les subjuguer, ce qui occasionna leur révolte, après quoi les romains l’annexèrent, et « assignèrent pour demeures aux Maures les régions les plus éloignées de l’Afrique habitable », c’est une résumé de la situation qui prévaut pour les Baquates, Macennites, Bavares, Baniures et Machurebes jusqu’au IVème siècle.
Finalement, combattant les Vandales, ces Maures « s’emparèrent du pays nommé aujourd’hui Mauritanie, qui s’étend depuis le détroit de Cadix jusqu’à la ville de Césarée, et de la plus grande partie du reste de l’Afrique ». L’historien emmêlent deux notions, le terme « Maurétanie », qui désigne la province dans le cadre de son gouvernement romain, et le terme Maure, appelation romaine des peuples « libyque occidental ». Il est probable que bien au contraire, ces nouveaux dominants se sont appropriés le terme « Mauri » pour transcrire en latin leur identité Mazigh-.

Notons également que lorsque le géographe Perse abbasside Ibn Khurdadbê, au début du IXème siècle, tente de donner une origine aux Berbères, il les associe aussi aux Canaanéens, en fait des descendants de Goliath, qui ainsi, devient le nouveau Melqart-Hercule a les avoir guidé aux confins de « l’Occident », le Maghrib. Ils allèrent aussi loin qu’au « Souss proche, derrière Tanger ». On a ici une référence explicite au nom du « pays de Tanger » qui jusqu’au Xème siècle est l’appellation unanime du royaume Idrisside de Volubilis et de Fès.

Etrangement, ce dernier auteur semble considérer les Berbères comme des allogènes, et les Vandales et Romains comme indigènes ; ce qui appuie l’interprétation de Procope d’une expansion Maure du IIIè au VIème siècle, similaire au phénomène d’invasion barbare du reste de l’Occident Romain.
Finalement les « Francs » (les vandales ?) « et les Romains » (sous Justinien) « reviennent dans leurs anciennes possessions ». C’est-à-dire à l’époque de Procope.

D : Culture Mauro-Romaine à la veille des conquêtes arabes

Nous détenons pour le début du VIIè siècle, en plus des épitaphes de Volubilis, une stèle latine, rédigée, « dans la paix du Christ », par un « Dei Serbus », un « esclave de Dieu », « roi de la Nation Ucutaman » « au Mont Mux ». Il s’agit à l’évidence de l’importante tribu des « Kutama » dont nous reparlerons, résidant aux marges de la Numidie.

Au milieu du VIIème siècle, concurremment aux premières expéditions arabes en Afrique et Tripolitaine, nous connaissons un Mausolée, qui doit beaucoup à l’architecture des Djeddar des Vè-VIè siècles. Il est appelé « al-Gûr » et se situe à une journée de route au sud-est de la cité mauro-romaine de Volubilis, les restes enfouis sous une double structure circulaire de moyen-appareil ont été datés au Carbone 14 entre 600 et 700 de notre ère. Il s’agissait sans doute d’un des puissants rois maures, peut-être déjà un ressortissant du clan des monarques « Huwarab/Awraba ». Ce terme est peut être une déformation de la racine des Machureb/Muhar, déjà définie.

En 648, sous le califat Omeyyade de ‘Uthmân, à en croire l’historiographie arabe, de deux siècles au moins postérieurs, une cohorte de Quraichites, accompagnés que quelques tribus d’arabes auraient effeectué un Ghazzû (une expédition) contre la Cyrénaïque et la Tripolitaine, dans la foulée de la conquête d’Alexandrie. Ils sont sensé être les premiers à pénétrer l’Afrique (Ifriqiya) ce qui ouvre à tous ces « ‘Abdallah-s » des droits dans le pays conquis. Le récit de Nuwayri se concentre autour de la prise héroïque de Subaytula, aux marges méridionales de la Numidie punico-romaine, en contact direct avec les Berbères chameliers.

Par la suite, un certain Janaha est nommé à la tête de la cité forte byzantine, mais les autorités romaines tentent de restaurer leur présence dans le sud-africain, ils envoient le général « Walima » exigeant des arriérés de tribut énormes. Les Africains se soulèvent et se placent derrière un certain « Ilatiriûn » , c’est sans doute ce qui motive Mu‘awiya, « roi de Damas », à l’envoie d’un leader du clan royal arabe des Kinda, qui, avec d’autres compagnons du prophète, affronte les romains au lieu dit « Jalula », en 665.

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