VII : L’Afrique Vandale et les guerres Justiniennes : le royaume de Masuna d’Altava

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Une vingtaine d’années plus tard, les Vandales traversent le détroit de Tanger, abandonnant le pays qui porte depuis leur nom, l’Andalousie, et s’emparent en 429 de Carthage. Il n’est pas impossible que la fin du système de clientélisme maure, en 398, ai précipité la perte de l’Afrique, incapable de résister sans l’appui indigène à l’invasion germanique.

A : Les Maures, clients turbulents des Vandales

Les Vandales utilisent les maures voisins comme alliés, avec une large autonomie. Selon Victor de Vita, ils leur envoient en exil des prêtres orthodoxes persécutés par leur dogme arianiste (cette doctrine niait la divinité du Christ). La première fois, un Regulus du nom de Capsur est mentionné, à cette occasion, les maures se convertissent au Christ et édifient une église. La seconde mention conte avec force détails martyrologiques les souffrances d’un exil au coeur du Sahara.

Procope de Césarée, historien plus tardif, synthétise le règne Vandale comme suit :
« Tout le temps qu’Honoric régna sur les Vandales, ils n’eurent d’autre guerre à soutenir que celle des Maures. Ces peuples étaient demeurés en repos durant la vie de Genséric (428-77), contenus par la crainte que leur inspirait sa puissance; mais à peine fut-il mort, qu’il s’éleva entre eux et les Vandales une guerre cruelle, où les deux peuples souffrirent tour à tour. […] »
[…]
« Honoric, après 8 ans de règne (485), mourut de maladie, au moment où les Maures du mont Aurès venaient de se détacher des Vandales et de se déclarer indépendants. (Le mont Aurès est situé, dans la Numidie, à 13 journées de Carthage, et s’étend du nord au midi.) Depuis, les Vandales ne purent jamais les soumettre, les pentes abruptes et escarpées de ces montagnes les empêchant d’y porter la guerre. »

B : Les royaumes Maures Indépendants

Peu après, le roi maure Gabaon de Tripolitaine prend le parti des « chrétiens », c’est-à-dire des romains orthodoxes contre les Vandales, cette alliance va sonner le glas du royaume Vandale. Il reconstruit les églises, favorise le clergé, et finalement, écrase l’armée Vandale. Procope nous donne une idée de son rapport au christianisme :
« On prétend même qu’il dit qui il ne connaissait point le Dieu qu’adoraient les chrétiens, mais que puisqu’il avait une puissance infinie, comme on l’assurait, il était bien juste qu’il châtiât ceux qui l’outrageaient, et qu’il protégeât ceux qui lui rendaient des honneurs. »
A cette époque, le roi que nous connaissons le mieux est un certain Massuna, « roi des maures et des romains », il semble gouverner depuis Pomaria (Tlemcen) et refonde le Castrum d’Altava, et règne sur une principauté mauro-romaine assez large. Il est décrit dans Procope comme “un des principaux roi des maures”, et comme une personnalité à laquelle l’empire ne cherche nullement à s’attaquer. Il contribue sans doute à maintenir dans l’obéissance des traités les rois de Maurétanie Césarienne et Sétifienne.
Dans la stèle qui l’atteste, on mentionne aussi un certain “Masguin-, préfet de Safar” (?), il semble qu’il s’agisse d’un autre Regulus, dont ce « Clovis Algérien » a fait un fonctionnaire de type romain, chargé sans doute de gouverner le pays du Chellif. (algérois occidental)

C : Divination, Romanisation, Insoumission

L’historien byzantin a conservé pour nous l’importance de la divination maure, exercée uniquement par les femmes, et fameuse alors dans le monde entier.
Elle avait notamment prévu la venue des romains, ce qui aurait incité les Maures à abandonner le parti Vandale, et de rallier le général Bélisaire, qui débarque en 529 sur les côtes africaines.
On apprend notamment que :
« C’était un ancien usage que les princes maures, quoique ennemis des Romains, ne prissent la qualité de rois qu’après avoir reçu de l’empereur une sorte d’investiture; et parce que depuis la conquête ils ne la tenaient que de la main des Vandales, ils ne se croyaient pas solidement établis. Ces ornements étaient un sceptre d’argent doré, un diadème d’argent orné de bandelettes, un manteau blanc attaché sur l’épaule droite par une agrafe d’or, dans la forme d’une chlamide thessalienne, une tunique blanche peinte de diverses figures, et enfin des brodequins parsemés de broderies d’or. »
Rapidement cependant, obéissant à leur coutumière infidélité, les Maures rompent leur alliance avec Bélisaire et les « chefs » coalisés « Cuzinas, Isdilasas, Juphruthes et Medisinissas » écrasent une légion byzantine. Salomon, le général d’Afrique, leur repproche alors d’être « sans foi ni Dieu », mais les Maures considèrent que les romains, par le pillage apportèrent la famine à leur pays, et revendiquent à nouveau leur polygamie, comme moyen de survivre à l’envahisseur monogame.

D : La révolte de Iabdas/Iaudas

Les Maures, désormais, maîtrisent le chameau, et en usent comme auparavant les Perses, pour effrayer la cavalerie de Justinien, mais aussi comme bouclier vivant.
Voici alors apparaître un véritable roi, celui qui commande aux maures des Aurès, Iabdas, « il ravage la Numidie ». Il descend de ceux qui, un demi-siècle plus tôt ont déclaré l’indépendance du pays et rasé Timgad. Mais il a comme adversaires d’autres « Principes »,
Après avoir repris les régions les plus romanisées de Tunisie et d’Algérie Orientale, Bélisaire, et son second Salomon se trouvent confrontés à des royaumes maures qui refusent de se soumettre, et qui se révoltent suite aux exactions et nombreux pillages commis par les légions romaines.
Cet acte est considéré par les byzantins comme une trahison à une parole donnée, coutumière des « barbares ». Salomon envoie un certain Jean reconquérir Césarée, et un autre, homonyme, prendre pied à Septem Fratrem, l’actuelle Sebta, restée longtemps sous influence Hispano-gothique, tandis que Tanger était cité maure.
Cependant, « Salomon, après avoir séjourné quelque temps à Carthage, conduisit ses troupes vers le mont Aurès, accusant Iabdas, et non sans raison, d’avoir profité des embarras de l’armée romaine dans la Byzacène pour ravager une partie de la Numidie. Il était encore excité à cette guerre par 2 princes maures, Massonas et Orthaïas, qui avaient contre Iabdas de graves motifs d’inimitié. Massonas l’accusait de la mort de son père Méphanias, qu’Iabdas avait fait périr par trahison, quoiqu’il eût épousé l’une de ses filles. Orthaïas avait pour grief la ligue formée entre Iabdas et Massonas, roi des barbares de la Mauritanie, pour l’expulser, lui et ses Maures, de la contrée qu’il avait de tout temps possédée. »

E : Royaumes de Massuna fils de Mefanias et d’Orthaias de Zaba

Massonas est peut être ce Massuna de la stèle d’Altava, on apprend donc le nom de « Mephanias » était le nom de son père, donc, avant 508, et qu’une sœur de Massuna était liée, par alliance matrimoniale au roi des Aurès Iabdas. Durant les guerres, on apprend que certains de ses contribules aurèsiens se sont enfuis chez les « barbares qui vivent de l’autre côté des montagnes ». Il semble donc bien qu’à l’époque, on maintienne une bi-partition entre les “maures” du monde méditerranéen, et les “barbares”, sans contacts avec Rome, apelation que reprendront les arabes et qui a donné Berbères.
Entre Massuna et Iabdas se trouvait le royaume d’Orthaias, correspondant à la sétifienne, et répondant parfois au nom de Zaba.
« Lorsque les Maures, après la défaite que je viens de raconter, eurent abandonné la Numidie, Salomon rendit tributaire la province de Zaba, située au delà de l’Aurès. Cette province se nomme aussi la première Mauritanie, et a la ville de Sétifis pour métropole. »
Cet Orthaias, rallié à Rome, est aussi un des informateurs de Procope sur les traditions orales maures, nous y reviendrons.

F : Royaume de Mastigas/Masties

« Césarée est le chef-lieu de la seconde Mauritanie, occupée par Mastigas et ses Maures. Toute cette province est soumise à ce chef maure et lui paye tribut, excepté la ville de Césarée, que Bélisaire, ainsi que je l’ai raconté, avait reconquise.
Les Romains communiquent par mer avec cette capitale; mais ils ne peuvent s’y rendre par terre, à cause que les Maures occupent tout le pays. »

Si ce Mastigas est bien le Masgvini, il serait passé du statut de préfet à celui de roi de l’Algérois et de l’Oranie, devenant le suzerain du royaume d’Altava. Mais les romains peuvent avoir été victime de myopie, ignorant tout du monde oranais et tingitan…
Il était peut être tout simplement l’allié et le client de Massuna.
On connaît cependant le cénotaphe d’un certain Masties, qui, à une époque indéterminée, est devenu « Imperator, durant 40 ans », après avoir été simplement Dux, pendant 27 ans. S’agit-il encore une fois du même personnage, passé de roitelet de l’Algérois (Césarée exceptée) à Préfet du royaume de Maurétanie de Massuna, à Roi et Dux des l’Algérois, puis, Imperator des Maures, héritant des Maurétanie Césariennes et Sétifiennes.
La stèle, en tous cas, précise qu’il « n’a jamais rompu la foi engagée envers les romains ou les maures »; ce qui répond au stéréotype romain à propos du maure déloyal.

G : Dieux Mânes et Christianisation

Cette stèle commence par une salutation aux Dieux Mânes (ou aux “Dieux Maures”, ou à “Dieu Majeur”), les ancêtres, souvent de caste royale, principales divinités de l’univers maures si on en croit nos sources antiques. Ceci explique l’importance des mausolées, comme celui de Nubel, ou les Djeddar du Vè siècle en Oranie et dans le Guir, qui sont, pour certains, ornés de motifs d’inspiration chrétiennes, et qui reprennent les décors fleuris et géométriques de l’Afrique Romaine, et se déclinent avec une grande variété, prémices sans doute de l’art berbère du sahara et des montagnes.
Masties/Mastigas rappelle également qu’il est « béni de Dieu » ; il est donc lui-aussi totalement maure et païen, et totalement romain et chrétien.
On sait grâce à jean de Biclar notamment qu’en 568 « Les Garamantes voulurent demander la paix, par l’intermédiaire d’ambassadeurs, s’unir à l’État romain et à la foi chrétienne, et ils obtinrent immédiatement les deux choses » et plus loin « A cette époque, le peuple mauritanien reçut la foi. », cette même année, on apprend que le préfet meurt au combat contre les maures, il sera suivi de deux autres généraux.
En 580, cet Etat Maure, dirigé par un certain Garmul, est vaincu par le maître de Milice d’Afrique. Peu après, « les ambassadeurs du peuple mauritanien arrivèrent à Constantinople, offrant en cadeau à l’empereur Justin des dents d’éléphants et de caméléopards (girafes) et établirent l’amitié avec les Romains. »
Il existe donc, à la fin du VIème siècle, un demi siècle avant la prise de Sbeitla par les arabes, un royaume Maurétanien, relativement institutionnalisé, reconnu par Byzance comme partenaire légitime.

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