R. Caillié, Conflit entre une épouse (et son campement) et son mari, 1828

Le 6 novembre, je fus témoin d’une scène qui m’amusa beaucoup. J’aperçus hors du camp quantité de femmes qui poussaient des cris glapissans, et des enfans qui jetaient des pierres; je m’approchai par curiosité. Je vis une femme en pleurs, enveloppée dans ses vêtemens, et soutenue par ses amies : comme je m’informais du sujet de son affliction, je vis plus loin plusieurs hommes disputant à une foule de femmes la charge de deux bœufs porteurs ; trois esclaves armés de courroies rossaient les femmes qui s’approchaient des bœufs ; celles ci, avec des bâtons, ripostaient et renversaient les charges. Tandis que les hommes s’occupaient à les relever, elles en arrachaient ce qu’elles pouvaient, puis l’emportaient en chantant vers le camp, comme un trophée de leur victoire. Cette lutte dura plus de deux heures, et le bagage était sensiblement diminué, lorsque la femme et la fille du grand marabout s’en mêlèrent : elles s’assirent sur le reste du bagage, et les deux partis commencèrent s’entendre.

 La belle éplorée était née dans ce camp, et était mariée depuis quelque temps à un marabout d’un camp éloigné ; désirant voir ses parens, elle avait engagé son mari à l’accompagner à leur camp. Quelques jours après leur arrivée, le mari voulut repartir, mais à la prière de sa femme, il retarda son départ : cependant ses affaires l’appelant, il s’était décidé à se mettre en route, lorsque sa femme, voulant le retenir encore, lui suscita une querelle, le frappa même, et attroupa les femmes du camp contre lui. Celles-ci, comme des furies, s’acharnèrent sur le mari, qui fut secouru par quelques-uns de ses amis : mais lorsqu’ils voulaient relever les effets que les femmes jetaient par terre, elles les poussaient, les tiraient par leurs vêtemens, les faisaient rouler avec les ballots ; quatre fois les bœufs furent déchargés et rechargés en ma présence. Trois vigoureux nègres, esclaves du mari, avaient beau fouetter les femmes par ordre de leur maître, ils ne purent venir à bout d’écarter la foule; ils reçurent eux-mêmes des coups de bâton; et les enfans, toujours amis du désordre, faisaient pleuvoir une grêle de pierres sur eux et sur les marabouts.

 Enfin, la fille et la femme du grand marabout s’étant emparées du bagage, on capitula : elles furent priées de faire écarter la foule, et les marabouts promirent de ramener les effets au camp jusqu’au lendemain. Mais quand tout le monde se fut éloigné, ils chargèrent les bœufs, et s’en allèrent emportant tout au plus le quart de leurs effets. Dans la soirée, la femme se mit en route pour rejoindre son mari.

Les femmes mauresses ont beaucoup d’ascendant sur leurs maris, et souvent elles en abusent. La polygamie n’est pas en usage chez les Maures de cette partie de l’Afrique; leurs femmes ne souffriraient pas qu’ils eussent des concubines. Le roi lui-même n’a qu’une femme, comme ses sujets.