Mungo Park, Préparatifs de départ de Qafala (Caravane) entre la Haute Guinée et la Gambie, 1799

Tous les slatées et tous les esclaves qui faisaient partie de la caravane étant alors rassemblés à Kamalia, ou dans les villages voisins, on aurait pu croire que nous partirions bientôt pour la Gambie. Mais, quoiqu’on eût souvent fixé le jour du départ, on trouvait toujours quelque motif pour le changer. Quelques personnes n’avaient pas préparé leur provisions sèches ; d’autres avaient été visiter leurs parents, ou se faire payer de quelques petites dettes ; et enfin il était nécessaire d’examiner si le jour choisi serait heureux. Par ces raisons, ou par d’autres semblables, notre départ fut retardé de jour en jour jusque bien avant dans le mois de février ; après quoi, tous les slatées convinrent de rester où ils étaient jusqu’à ce que la lune du jeûne fût passée. A ce sujet, je dois remarquer que la perte du temps est un objet peu intéressant aux yeux d’un Nègre : s’il a quelque chose d’important à faire, il lui est indifférent de le faire aujourd’hui, demain ou dans un ou deux mois. Tant qu’il peut passer le présent avec quelque satisfaction, il met peu d’intérêt à l’avenir.

Le carême du rhamadan fut observé avec une grande sévérité par tous les buschréens ; mais, au lieu de me forcer à suivre leur exemple, comme avaient fait les Maures en pareille occasion, Karfa me dit franchement que j’étais libre de suivre mon inclination. Afin de montrer du respect pour leurs opinions religieuses, je jeûnai pendant trois jours, ce qui fut regardé comme suffisant pour m’épargner l’odieuse épithète de kafir. Pendant le jeûne, tous les slatées qui appartenaient à la troupe destinée à partir s’assemblaient chaque matin, dans la maison de Karfa. Là, le maître d’école leur faisait quelque lecture pieuse dans un grand volume in-folio, dont l’auteur était un Arabe nommé Scheiffa. Le soir, celles des femmes qui avaient embrassé le mahométisme se réunissaient et disaient leurs prières publiquement à la misoura. Elles étaient toutes vêtues de blanc, et faisaient avec une solennité convenable les différents prosternements prescrits par leur religion. Pour dire la vérité, les Nègres, pendant tout le jeûne du rhamadan, se conduisirent avec une douceur, une humilité qui formaient un contraste parfait avec l’intolérance barbare et la brutale bigoterie que montrent les Maures à cette époque.

Lorsque le mois du jeûne fut presque fini, les buschréens s’assemblèrent à la misoura pour épier l’apparition de la nouvelle lune. Mais le ciel étant, ce soir-là, nébuleux, ils furent pendant quelque temps trompés dans leur espoir, et plusieurs étaient déjà retournés chez eux, avec la résolution de jeûner un jour de plus, lorsque tout à coup cet astre tant attendu, sortant de derrière un nuage, montra son croissant, et fut salué avec des claquements de mains, des battements de tambour, des décharges de mousquets et autres marques de réjouissance. Cette lune étant regardée comme très heureuse, Karfa donna des ordres pour que toutes les personnes appartenant à la caravane emballassent leurs provisions sèches et se tinssent prêtes à partir.

Le 16 avril, les slatées tinrent conseil et choisirent le 19 du même mois, jour auquel on devait partir de Kamalia. Cette résolution me tira d’inquiétude, car notre départ avait été si longtemps différé que je craignais qu’il ne fût remis jusqu’au commencement de la saison pluvieuse ; et, quoique Karfa me traitât avec beaucoup de bienveillance, j’étais loin de trouver ma situation agréable. Les slatées me montraient beaucoup d’inimitié ; les marchands maures qui étaient alors à Kamalia continuaient, depuis le moment de leur arrivée, à chercher des moyens de me nuire. Je sentais que, dans ces circonstances, ma vie dépendait en grande partie de la bonne opinion qu’avait de moi un individu à qui chaque jour on faisait des histoires calomnieuses sur les Européens, et je pouvais difficilement me flatter qu’il jugeât impartialement entre moi et ses compatriotes. Le temps, à la vérité, m’avait habitué à la manière de vivre du pays ; une cabane enfumée et un mauvais souper ne m’étaient pas fort pénibles. Mais je me lassais, à la fin, d’un état continuel d’alarmes et d’inquiétudes, et je soupirais tristement vers les jouissances que procure une société cultivée.