Julien l’Apostat, Epitre aux Galiléens/Chrétiens (2ème partie), v. 355 n-è

[…] Mais vous, Galiléens, les plus malheureux des mortels par vôtre prévention, lorsque vous refusez d’adorer le bouclier tombé du Ciel, honoré depuis tant de siècles par vos ancêtres, comme un gage certain de la gloire de Rome, et comme une marque de la protection directe de Jupiter et de Mars ; vous adorez le bois d’une croix, vous en faites le signe sur votre front, et vous le placez dans le plus fréquenté de vos appartements.

[…]

Cependant, Galiléens, vous nous avez quittés, et vous avez, pour ainsi dire, passé comme des transfuges auprès des Hébreux. Du moins vous eussiez dû, après vous être joints à eux, écouter leurs discours ; […] si après avoir abandonné les Dieux, vous en eussiez du moins reconnu un, et n’eussiez pas adoré un simple homme comme vous faites aujourd’hui.

Il est vrai que vous auriez toujours été malheureux d’avoir embrassé une Loi remplie de grossièreté et de barbarie, mais quant au culte que vous auriez, il serait bien plus pur et plus raisonnable, que celui que vous professez : il vous est arrivé la même chosequ’aux sangsues, vous avez tiré le sang le plus corrompu, et vous avez laissé le plus pur.

Vous n’avez point recherché ce qu’il y avait de bon chez les Hébreux ; vous n’avez été occupés qu’à imiter leur mauvais caractère et leur fureur : comme eux vous détruisez les temples et les autels. Vous égorgez non seulement ceux qui sont Chrétiens, auxquels vous donnez le nom d’hérétiques, parce qu’ils ont des Dogmes différents de vôtres sur le Juif mis à mort par les Hébreux ; mais les opinions que vous soutenez, sont des chimères que vous avez inventées.

Car ni Jésus, ni Paul ne vous ont rien appris sur ce sujet. La raison en est toute simple ; c’est qu’ils ne se sont jamais figuré que vous par vinssiez à ce degré de puissance que vous avez atteint, C’était assez pour eux de pouvoir tromper quelques servantes, et quelques pauvres domestiques ; de gagner quelques femmes et quelques hommes du peuple, comme Cornelius et Sergius. Je consens de passer pour un imposteur, si parmi tous les hommes qui sous le règne de Tibère et de Claude, ont embrassé le Christianisme, on peut en citer un qui ait été distingué ou par sa naissance, ou par son mérite.

[…] Pourquoi avez-vous déserté les Temples de nos Dieux, pour vous sauver chez les Hébreux. Est-ce parce que les Dieux ont donné à Rome l’Empire de l’Univers ; et que les Juifs, si l’on excepte un très court intervalle, ont toujours été les esclaves de toutes les nations ? […] Cependant malgré cet avis ils cultivèrent, et habitèrent plus de 400 ans leur pays. Ensuite ils furent esclaves des Tyriens (sic), des Mèdes, des Perses, et ils sont les nôtres aujourd’hui.

Ce Jésus que vous prêchez, O Galiléens ! fut un sujet de César. […] Ne dites-vous pas qu’il fut compris avec son Père et sa Mère, dans le recensement sous Cyrenius ?

Dites-moi, quel bien a-t-il fait après sa naissance, à ses concitoyens ; et quelle utilité ils en-ils retirée ? Ils n’ont pas voulu croire en lui, et ont refusé de lui obéir. Mais comment est-il arrivé que ce peuple, dont le cœur et l’esprit avaient la dureté de la pierre, ait obéi à Moïse, et qu’il ait méprisé Jésus qui, selon vos discours, commandait aux Esprits, marchait sur la mer, chassait les démons, et qui, même, s’il faut vous en croire, aurait fait le ciel et la terre ? Il est vrai qu’aucun de ses Disciples n’a jamais osé dire rien qui concerne ce dernier article ; si ce n’est Jean, qui s’est même expliqué là dessus d’une manière très obscure et très énigmatique […] Avec tant de puissance, comment a-t-il pu faire ce que Moïse avait exécuté ; et par quelle raison n’a-t-il pas opéré le salut de sa patrie, et changé les mauvaises conditions de ses concitoyens ?

[…] Maintenant je vous demande quel est le plus avantageux, de jouir perpétuellement de la liberté de commander à la plus grande partie de l’Univers, ou d’être esclave et soumis à une puissance étrangère ? […] Montrez-moi chez les Juifs, quelque Héros qui soit comparable à Alexandre ou à César. […]

Passons de la guerre à la politique : […] Quelle école de médecine les Hébreux ont-ils jamais eue semblable à celle d’Hippocrate […] ? Si l’on compare les avis d’Isocrate avec les Proverbes de Salomon, l’on verra aisément que le fils de Théodore l’emporte de beaucoup sur le Roi très sage. Mais, dira-t-on, Salomon avait été instruit divinement dans le culte et la connaissance de son Dieu ; qu’importe ? le même Salomon n’adore-t-il pas nos Dieux, trompé, à ce que disent les Hébreux, par une femme ? Ainsi donc le très sage Salomon ne put vaincre la volupté ; mais les discours d’une femme vainquirent le très sage Salomon […] ne pensez pas qu’il se soit laissé honteusement séduire. C’est par prudence, par sagesse, par l’ordre même de son Dieu […] qu’il a honoré les autres Dieux. […] Quant à vous, Galiléens, vous êtes fortement attachés à un culte particulier : c’est là une vaine ambition, et une gloire ridicule dont les Dieux ne sont pas susceptibles.

Pourquoi étudiez vous dans les écoles des Grecs, si vous trouvez toutes les sciences abondamment dans vos Écritures ? Il est plus nécessaire que vous vous éloigniez des Écoles de nos Philosophes, que des sacrifices et des viandes offertes aux Dieux : car votre Paul dit : celui qui mange ne blesse point. […] Car par la fréquentation des écoles de nos maîtres et de nos Philosophes, quiconque est né d’une condition honorable parmi vous, abandonne bientôt vos impiétés[…]Personne ne devient sage et meilleur dans vos écoles […] dans les nôtres […] les caractères les plus mauvais sont rendus bons […] Nous avons des marques évidentes de cette vérité. Il n’en est pas de même parmi vos enfants, et surtout parmi ceux que vous choisissez, pour s’appliquer à l’étude de vos Écritures […] vous prenez pour des instructions divines, celles qui ne rendent personne meilleur, qui ne servent ni la prudence, ni la vertu, ni le courage : et lorsque vous voyez des gens qui possèdent ces vertus, vous les attribuez aux instructions de Satan[…].

[…]

Vos opinions sont contraires à celles des Hébreux, et à la Loi qu’ils disent leur avoir été donnée par Dieu. Après avoir abandonné la croyance de vos pères, vous avez voulu suivre les écrits des Prophètes, et vous êtes plus éloignés aujourd’hui de leurs sentiments que des nôtres. Si quelqu’un examine avec attention votre religion, il trouvera que vos impiétés viennent en partie de la férocité et de l’insolence des Juifs, et en partie de l’indifférence et de la confusion des Gentils. Vous avez pris des Hébreux et des autres peuples, ce qu’ils avaient de plus mauvais, au lieu de vous approprier ce qu’ils avaient de bon. De ce mélange de vices, vous en avez formé votre croyance.

[…] Leur Législateur s’était contenté d’ordonner de ne rendre aucun hommage aux Dieux étrangers, et d’adorer le seul Dieu […] à ce premier précepte, Moïse en ajoute un second : Vous ne maudirez point les Dieux : mais les Hébreux dans la suite voulant, par un crime et une audace détestable, détruire les religions de toutes les autres nations, tirèrent du Dogme d’honorer un seul Dieu, la pernicieuse conséquence, qu’il fallait maudire les autres. Vous avez adopté ce principe cruel, et vous vous en êtes servi pour vous élever contre tous les Dieux, et pour abandonner le culte de vos Pères, dont vous n’avez retenu que la liberté de manger de toutes sortes de nourritures. […]vous avez pensé devoir conserver, dans votre genre de vie, ce qui est conforme à l’esprit des misérables de toutes les nations, des cabaretiers, des publicains, des baladins[…]

[…] A ceux même qui avaient été instruits par Paul […] il leur mandait sur leurs vices. Ne tombez pas dans l’erreur : les idolâtres, les adultères, les paillards, ceux qui couchent avec les garçons, les voleurs, les avares, les ivrognes, les querelleurs, ne posséderont pas le Royaume des Cieux. Vous n’ignorez pas, mes frères, que vous aviez autrefois tous ces vices ; mais vous avez été plongés dans l’eau, et vous avez été sanctifiés au nom de Jésus Christ. […] Cependant l’eau du baptême n’ôte point la lèpre, les dartres, ne détruit pas les mauvaises tumeurs, ne guérit ni la goutte ni la dysenterie, ne produit enfin, aucun effet sur les grandes et les petites maladies du corps ; mais elle détruit l’adultère, les rapines, et nettoie l’âme de tous ses vices !

Les Chrétiens […] prétendent être aujourd’hui les vrais Israélites, les seuls qui croient à Moïse, et aux Prophètes qui lui ont succédé dans la Judée. […] commençons d’abord par Moïse, qu’ils prétendent avoir prédit la naissance de Jésus […]il regarde toujours le Dieu Suprême comme le Dieu unique : il ne pensa jamais qu’il y en eût un second qui lui fût semblable, ou qui lui fût inégal, comme le croient les Chrétiens […] c’est même sans fondement que vous attribuez au fils de Marie, ces paroles ; Le Seigneur, votre Dieu, vous suscitera un Prophète tel que moi, dans vos frères et vous l’écouterez. […] Voyez que Moïse dit qu’il sera semblable à lui, et non pas à Dieu ; qu’il sera pris parmi les hommes, et non pas chez Dieu. Voici encore un autre passage, dont vous vous efforcez de vous servir : Le Prince ne manquera point dans Juda et le chef d’entre ses jambes […] il est manifeste qu’il n’y a rien-là qui regarde Jésus, et qui puisse lui convenir : il n’était pas de Juda, puisque vous […] soutenez qu’il a été engendré par le saint Esprit. Quant à Joseph, vous tâchez de le faire descendre de Juda, mais vous n’avez pas eu assez d’adresse pour y parvenir, et l’on reproche avec raison à Matthieu et à Luc d’être opposé l’un à l’autre dans la généalogie […].

[…] Mais pour un passage obscur, que vous m’opposerez, j’en ai un grand nombre de clairs que je vous citerai, qui montrent que Moïse n’a jamais parlé que d’un seul et unique Dieu, du Dieu d’Israël. […] Voyez qui je suis, il n’y a point d’autre Dieu que moi. […] Je les forcerai de convenir du contraire, par l’autorité de Jean : au commencement était le verbe, et le verbe était chez Dieu, et Dieu était le verbe. Remarquez qu’il est dit, que celui qui a été engendré de Marie était en Dieu [référence à Plotin : 3 hypostases : l’Un : non-être émanent, l’Intelligence : l’être pensé, l’âme, qui procède des deux autres, mentionne les querelles des chrétiens à ce propos, d’un autre Dieu, manichéisme, gnosticisme, aryanisme, nestorianisme, le verbe comme attribut divin reconnu par l’Islam est une faiblesse de leur rhétorique païenne contre les chrétiens, qui eux même reprochaient, avant Chalcédoine, l’idée que le Verbe-Christ ai pu être totalement autonome du Père-Dieu, en cours chez les ariens puis les nestoriens]s’en suivra toujours, que puisque ce verbe a été avec Dieu, et qu’il y a été dès le commencement, c’est un second Dieu qui lui est égal.[…] Vous répliquerez qu’ils sont conformes aux Écrits d’Ésaïe, qui dit : Voici une  vierge dont la matrice est remplie, et elle aura un fils. […] convenons que les paroles d’Ésaïe regardent Marie. Il s’est bien gardé de dire que cette Vierge accoucherait d’un Dieu […]

Si le verbe est un Dieu venant de Dieu, ainsi que vous le pensez ; s’il est produit par la substance de son Père ; pourquoi appelez-vous donc Marie la Mère de Dieu ? et comment a-t-elle enfanté un Dieu, puisque Marie était une créature humaine ainsi que nous ? […]

[ sur les anges géants fils de Dieu, Israel fils de Dieu, Moise : pas de mention du verbe fils de Dieu] […]

Il est évident, […] que Moïse a établi l’usage des sacrifices […] contrairement à vous, Galiléens, qui les regardez comme immondes. […]

[…] Peut-être quelque Galiléen mal instruit répondra : les Juifs ne sacrifient point. Je lui répliquerai qu’il parle sans connaissance […] parce que les Juifs sacrifient aujourd’hui en secret, et […] qu’ils prient avant d’offrir les sacrifices ; qu’ils donnent l’épaule droite des victimes à leurs Prêtres. Mais comme ils n’ont point de temples, d’autels, et de ce qu’ils appellent communément Sanctuaires, ils ne peuvent point offrir à leur Dieu les prémices des victimes.

Vous autres, Galiléens, qui avez inventé un nouveau genre de sacrifice, et qui n’avez pas besoin de Jérusalem, pourquoi ne sacrifiez-vous donc pas comme les Juifs[…] ? […] D’ailleurs, toutes les autres choses sauf le Dieu unique sont communes ente eux et nous : les temples, les autels, les lustrations, plusieurs cérémonies religieuses ; dans toutes ces choses nous pensons comme les Hébreux[…].

[…] Vous vous en rapportez à Pierre, qui vous a dit : Ne dis point que ce que Dieu a purifié, soit immonde. Mais par quelle raison le Dieu d’Israël a-t-il tout à coup déclaré pur ce qu’il avait jugé immonde pendant si longtemps ? […] Si depuis la vision de Pierre, le porc est un animal qui rumine, nous le croyons pur, c’est un grand miracle[…]

[…] Ils prétendent que Dieu, après avoir établi une première Loi, en a donné une seconde : que la première n’avait été faite que pour un certain temps […] Je passe un nombre de passages […] qui prouvent tous également que Moïse donna sa Loi comme devant être éternelle. Montrez-moi, O Galiléens ! dans quel endroit de vos Écritures il est dit, ce que Paul a osé avancer, que le Christ était la fin de la Loi. […] Entendons parler Moïse lui même. Vous n’ajouterez rien aux commandements que je vous donnerai, et vous n’en ôterez rien. Observez les Commandements du Seigneur votre Dieu, et tout ce que je vous ordonnerai aujourd’hui. Maudits soient tous ceux qui n’observent pas tous les Commandements de la Loi. Mais vous, Galiléens, vous comptez pour peu de chose d’ôter et d’ajouter ce que vous voulez, aux préceptes qui sont écrits dans la Loi. […]

Vous êtes si peu sensés, que vous n’observez pas même les préceptes que vous ont donnés les Apôtres. […] Ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc n’ont osé dire que Jésus fût un Dieu : mais lorsque Jean eut appris que dans plusieurs villes de la Grèce et de l’Italie, beaucoup de Personnes parmi le Peuple, étaient tombées dans cette erreur ; sachant d’ailleurs que les Tombeaux de Pierre et de Paul commençaient d’être honorés, qu’on y priait en secret ; il s’enhardit jusqu’à dire que Jésus était Dieu. Le verbe, dit-il, s’est fait chair et a habité dans nous. Mais […] en aucun endroit il ne nomme ni Jésus ni Christ, lorsqu’il nomme Dieu et le Verbe. […mais] il cherche à nous tromper, à mots couverts, il dit que Jean-Baptiste avait rendu témoignage à Jésus, et qu’il avait déclaré que c’était lui qui était le verbe de Dieu.

[…]

On doit regarder Jean comme le premier auteur du mal, et la source des nouvelles erreurs que vous avez établies, en ajoutant au culte du Juif mort que vous adorez, celui de plusieurs autres. Vous remplissez tous les lieux de tombeaux, quoiqu’il ne soit dit dans aucun endroit de vos Écritures, que vous deviez fréquenter et honorer les sépulcres. Vous êtes parvenus à un tel point d’aveuglement, que vous croyez sur ce sujet, ne devoir faire aucun cas de […]ce que Jésus répondit à un de ses Disciples, qui lui disait : Seigneur, permettez avant que je parte, que j’ensevelisse mon Père. Suivez-moi, répliqua Jésus, et laissez aux morts à enterrer leurs morts.

Cela étant ainsi, pourquoi courez-vous avec tant d’ardeur aux sépulcres ? […] vous l’apprendrez du Prophète Ésaïe : Ils dorment dans les sépulcres et dans les cavernes, à cause des songes. On voit clairement par ces paroles, que c’était un ancien usage chez les Juifs, de se servir des sépulcres, comme d’un espèce de charme et de magie, pour se procurer des songes. Il est apparent que vos Apôtres, après la mort de leur Maître, suivirent cette coutume, et qu’ils l’ont transmise à vos ancêtres […]

[…]

Il faut que je vous demande, Galiléens, pourquoi ne circoncisez-vous pas ? […]

La Genèse dit : « la circoncision fera faite sur la chaire. Vous l’avez entièrement supprimée, et vous répondez : Nous sommes circoncis par le cœur. Ainsi donc chez vous, Galiléens, personne n’est méchant, ou criminel : vous êtes tous circoncis par le cœur. Fort bien : Mais les Azymes, mais la Pâque ? Vous répliquez : nous ne pouvons point observer la fête des Azymes, ni celle de la Pâque : Christ s’est immolé pour nous, une fois pour toutes ; et il nous a défendu de manger des Azymes. Je suis ainsi que vous, un de ceux qui condamnent les fêtes des Judéens, et qui n’y prennent aucune part : cependant j’adore le Dieu qu’adorèrent Abraham, Isaac, et Jacob, qui étant Chaldéens, et de race sacerdotale, ayant voyagé chez les Égyptiens, en prirent l’usage de leur circoncision. Ils honorèrent un Dieu qui leur fut favorable, de même qu’il l’est à moi, et à tous ceux qui l’invoquent […] Il n’y a qu’à vous seuls à qui il n’accorde pas les bienfaits, puisque vous n’imitez point Abraham, soit en lui élevant des autels, soit en lui offrant des sacrifices.