Anonyme, Rencontre entre Jean d'Antioche et 'Amr b. Sa’d b. Abi Waqqaç al-Ançarî, prétenduement 643, VIIè-VIIIè s. n-è

Ensuile, lettre de Mar Jean, patriarche, au sujet de l entretien qu’il eut avec l’émir des Mahgrayê

1. Parce que nous savons que vous êtes dans le souci et la crainte à cause de nous, au sujet de l’affaire pour laquelle nous avons été appelés en cette région notre bienheureux père le patriarche nous faisons savoir à Votre Charité que le 9 de ce mois de mai, le jour du saint Dimanche, nous sommes entrés chez l’illustre général émir, et ce bienheureux père de l’ensemble a été interrogé par lui si c’est un seul et même évangile sans aucune différence, qui est tenu par tous ceux qui sont chrétiens et qui portent ce nom par tout le monde.
— Le bienheureux lui répondit qu’il est un et le même chez les Grecs, les Romains, les Syriens, les Egyptiens, les Couschites , les Hindous, les Arméniens, les Perses et le reste de tous les peuples et langues!

2. Il lui demandait encore :
“Pourquoi, puisque l’Évangile est un, la foi est-elle différente ?”
Et le bienheureux répondit :
“De même que la Loi est une et la même, et qu’elle est acceptée par nous autres chrétiens et par vous Mahgrayê, et par les juifs et par les samaritains, et chaque peuple est divisé pour la foi ; il en est de même pour la foi de l’Evangile, chaque hérésie le comprend et l’interprète de manière différente, et non comme nous.

3. Il demandait encore :
« Que dites-vous qu’est le Christ ; qu’il est Dieu ou non ?”
Et notre père répondit :
Nous disons qu’il est Dieu et le Verbe qui est né de Dieu le père, éternellement et sans commencement, et qu’à la fin des temps, pour le salut des hommes, il s’est incarné et s’est fait homme du Saint-Esprit et de la Sainte Vierge, Mère de Dieu, Marie, et il fut homme !

L’illustre émir lui demanda encore ceci :
« Lorsque le Christ était dans le sein de Marie, Lui que vous dites être Dieu, qui portait et gouvernait le ciel et la terre ?
Notre bienheureux père lui rétorqua le même argument :
« Lorsque Dieu descendit sur la Montagne du Sinaï, et y fut en conversation avec Moïse durant 40 jours et 40 nuits, qui portait et gouvernait le ciel et la terre ? car vous dites que vous recevez Moïse et ses écrits »
L’émir dit :
« C’est Dieu qui était et qui gouvernait le ciel et la terre.”
Et aussitôt il entendit de notre père :
« Il en est de même du Christ Dieu ; quand il était dans le sein de la vierge, il portait et gouvernait le ciel et la terre et tout ce qui est eu eux, en tant que
Dieu tout-puissant. »

5. L’illustre émir dit encore :
« Quelles étaient l’opinion et la foi d’Abraham et de Moïse ?”

Notre bienheureux père dit :
“Abraham , Isaac , Jacob , Moïse , Aaron , et le reste des prophètes, tous les sages et les justes, avaient et tenaient la foi des chrétiens. »
L’émir dit :
“Pourquoi dès lors n’ont-ils pas écrit avec clarté et n’ont-ils pas fait connaître ce qui concerne le Christ ?”
Notre bienheureux père répondit :
« Ils le savaient, en tant qu’ils étaient les confidents et les familiers (de Dieu), mais — (à cause de) l’enfantillage et de la rudesse du peuple d’alors, qui penchait et tendait vers le polythéisme, au point de regarder comme dieux des bois, des pierres et beaucoup de choses, d’élever des idoles, de les adorer et de leur offrir des sacrifices, — les saints ne voulaient pas donner prétexte aux égarés de s’éloigner du Dieu vivant et
de suivre l’erreur, mais ils proclamaient avec circonspection ce qui est la vérité : Ecoute , Israël, le Seigneur Dieu est un Seigneur Un car ils savaient en vérité qu’il n’y a qu’un Dieu et une divinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; aussi ils parlaient de manière mystérieuse et ils écrivaient au sujet de Dieu que le même est un dans la divinité et 3 hypostases et personnes ; car il n’y a pas et on ne confesse pas trois dieux ou trois divinités, ni en aucune manière des dieux et des divinités, parce qu’il y a une seule divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme nous l’avons dit, et du Père procèdent le Fils et l’Esprit; et, si vous le voulez, je suis prêt et disposé à confirmer tout cela à l’aide des Livres saints. »

6. Ensuite, lorsque l’émir entendit tout cela, il demanda seulement de lui démontrer par le raisonnement et par la Loi que le Christ est Dieu et qu’il est né de la Vierge et que Dieu a un fils.
Et le bienheureux dit que non seulement Moïse, mais encore tous les saints prophètes ont
prophétisé d’avance et ont écrit cela au sujet du Christ. L’un a écrit au sujet de sa naissance d’une vierge, un autre qu’il naîtrait à Bethléem, un autre au sujet de son baptême ; tous, pour ainsi dire, au sujet de sa passion salvatrice et de sa mort vivifiante et de sa résurrection glorieuse du tombeau après 3 jours ; et il commença à le confirmer d’après tous les prophètes et d’après Moïse en même temps.

Et l’illustre émir n’accepta pas les prophètes, mais réclama Moïse pour lui démontrer que le Christ est Dieu ; et le bienheureux, avec beaucoup d’autres choses, cita Moïse : “Le Seigneur fit descendre de devant le Seigneur le feu et le soufre sur Sodome et sur Gomorrhe!”

L’illustre émir demanda qu’on le lui montrât dans le livre même, et notre père le lui fit voir, sans erreur, dans les livres complets grecs et syriaques. Certains Mahgrayé étaient présents avec nous en cet endroit, et ils virent de leurs propres yeux ces passages et le nom glorieux des Seigneurs et du Seigneur. L’émir appela un juif qui était et qu’ils réputaient un connaisseur de l’Ecriture, et il lui demanda s’il en était ainsi textuellement dans la Loi. Et celui-ci répondit :
“Je ne le sais pas avec exactitude!”

7. L’émir en arriva de là à interroger au sujet des lois des chrétiens ; quelles et comment sont-elles ; si elles sont dans l’Evangile ou non ?
Il ajouta :
“Si un homme meurt, et laisse des garçons ou des filles, et une femme et une mère et une sœur et un cousin, comment convient-il de leur partager l’héritage ?

Quand notre père eut dit que l’Evangile divin enseigne et impose les doctrines célestes et les préceptes vivifiants ; qu’il maudit tous les péchés et tous les maux ; qu’il enseigne l’excellence et la justice, et que beaucoup de choses eurent été citées à ce sujet, il y avait là réunis en foule non seulement les nobles des Mahgrayê, mais aussi les chefs (rêshân-ê) et les Gouverneurs (mdabrân-ê) des Villes (madinât-â) et des Ethnoï (‘ammê) importants/fidèles (mohîmân-ê) et aux « aimés » (rahemî) du Christ, les Tanûkayê (Tanûkh), les Tu’ayê (?) et les ‘Aqûlayê (Kufites) !

L’illustre émir dit :

«Je vous demande de faire une chose de trois : ou de me montrer que vos lois sont écrites dans l’Evangile, et de vous conduire par elles, ou d’adhérer à la loi Mahgrayâ.

Et lorsque notre père eut répondu que nous avons des lois, nous autres chrétiens, qui sont justes et droites, qui concordent avec l’enseignement et les préceptes de l’Evangile et les canons des apôtres et les lois de l’Eglise, la réunion de ce premier jour fut dissoute là-dessus, et nous n’arrivâmes plus jusqu’ici à paraître devant lui.

8. (L’émir) avait fait venir aussi certains des principaux tenants du concile de Chalcédoine, et tous ceux qui étaient présents, orthodoxes ou chalcédoniens, priaient pour la vie et la conservation du bienheureux patriarche ; ils louaient et ils exaltaient Dieu qui avait donné abondamment la parole de vérité à sa bouche et qui l’avait rempli de sa force et de sa grâce, selon ses promesses véridiques lorsqu’il a dit :
“Ils vous conduiront devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, mais ne soyez pas en souci de ce que vous direz et ne méditez pas ; car il vous sera donné, en cette heure, ce que vous devez dire, parce que ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père parle en vous.

9. Nous mandons à Votre Charité ces quelques mots des nombreuses choses qui furent agitées en ce moment, afin que vous priiez sans cesse pour nous avec zèle et soin et que vous suppliiez le Seigneur afin que, dans ses miséricordes, il visite son église et son peuple, et que le Christ donne à cette affaire l’issue qui plait à sa volonté, qu’il aide son église et qu’il console son peuple.

Même ceux du concile de Chalcédoine, comme nous l’avons dit plus haut, priaient pour le bienheureux patriarche, parce qu’il avait parlé pour tout l’ensemble des chrétiens et qu’il ne leur avait pas porté préjudice. Ils envoyaient constamment près de lui et ils demandaient à sa bonté de parler ainsi pour tout l’ensemble et de ne rien soulever contre eux, car ils connaissaient leur faiblesse et la grandeur du danger et du péril qui menaçait, si le Seigneur, selon ses miséricordes, ne visitait pas son Eglise !

10. Priez pour l’illustre émir, pour que Dieu lui donne la sagesse et l’éclaire sur ce qui plait au Seigneur et lui est avantageux. — Le bienheureux père de l’ensemble et les saints pères qui sont avec lui :
“Abbas Mar Thomas, et Mar Sévère, et Mar Sergis et Mar Attilaha, et Mar Jean et toute leur sainte compagnie, et les chefs et les fidèles qui sont réunis ici avec nous; et surtout notre cher et sage directeur’*’, protégé du Christ, Mar André, et nous, Humbles dans le Seigneur, nous demandons votre salut et vos saintes prières, toujours.