Tacite, Annales, Insurrection berbère de Tacfarinas (17-24 n-è), v. 110 n-è

II, 52. Révolte de Tacfarinas

Cette même année, la guerre commença en Afrique contre Tacfarinas. C’était un Numide, déserteur des armées romaines, où il avait servi comme auxiliaire. Il réunit d’abord, pour le vol et le butin, des bandes vagabondes, accoutumées au brigandage : bientôt il sut les discipliner, les ranger sous le drapeau, les distribuer en compagnies ; enfin, de chef d’aventuriers, il devint général des Musulames. Ce peuple puissant, qui confine aux déserts de l’Afrique, et qui alors n’avait point encore de villes, prit les armes et entraîna dans la guerre les Maures, ses voisins : ceux-ci avaient pour chef Mazippa. Les forces furent partagées : Tacfarinas se chargea de tenir dans des camps et d’habituer à l’obéissance et à la discipline les hommes d’élite, armés à la romaine, tandis que Mazippa, avec les troupes légères, porterait partout l’incendie, le carnage et la terreur. Déjà ils avaient forcé les Cinithiens, nation considérable, de se joindre à eux, lorsque Furius Camillus, proconsul d’Afrique, après avoir réuni sa légion et ce qu’il y avait d’auxiliaires sous les étendards, marcha droit à l’ennemi. C’était une poignée d’hommes, eu égard à la multitude des Numides et des Maures ; mais on évitait surtout d’inspirer à ces barbares une crainte qui leur eût fait éluder nos attaques : en leur faisant espérer la victoire, on réussit à les vaincre. La légion fut placée au centre, les cohortes légères et deux ailes de cavalerie sur les flancs. Tacfarinas ne refusa pas le combat. Les Numides furent défaits ; et la gloire des armes, après de longues années, rentra dans la maison des Furius. Car, depuis le libérateur de Rome et Camillus son fils, l’honneur de gagner des batailles était passé à d’autres familles : encore le Furius dont nous parlons n’était-il pas regardé comme un grand capitaine. Tibère en fit plus volontiers devant le sénat l’éloge de ses exploits. Les pères conscrits lui décernèrent les ornements du triomphe, distinction qui, grâce au peu d’éclat de sa vie, ne lui devint pas funeste.

III, 20-21 Guerre en Afrique contre Tacfarinas

La même année Tacfarinas, battu l’été précédent par Camillus, ainsi que je l’ai dit, recommença la guerre en Afrique. Ce furent d’abord de simples courses, dont la vitesse le dérobait à toutes les poursuites. Bientôt il saccage les bourgades, entraîne après lui d’immenses butins, et finit par assiéger, près du fleuve Pagida (1), une cohorte romaine. Le poste avait pour commandant Décrias, intrépide soldat, capitaine expérimenté, qui tint ce siège pour un affront. Après avoir exhorté sa troupe à présenter le combat en rase campagne, il la range devant les retranchements. Elle est repoussée au premier choc : Décrias, sous une grêle de traits, se jette à travers les fuyards, les arrête, crie aux porte-enseigne “qu’il est honteux que le soldat romain tourne le dos à une bande de brigands et de déserteurs.” Couvert de blessures, ayant un oeil crevé, il n’en fait pas moins face à l’ennemi, et combat jusqu’à ce qu’il tombe mort, abandonné des siens.

XXI. À la nouvelle de cet échec, L. Apronius, successeur de Camillus, plus indigné de la honte des Romains qu’alarmé du succès de l’ennemi, fit un exemple rare dans ces temps-là, et d’une sévérité antique : il décima la cohorte infâme, et tous ceux que désigna le sort expirèrent sous la verge. Cet acte de rigueur fut si efficace, qu’un corps de cinq cents vétérans défit seul les mêmes troupes de Tacfarinas, devant le fort de Thala(1), qu’elles venaient attaquer. Dans cette action, Helvius Rufus, simple soldat, eut la gloire de sauver un citoyen. Apronins lui donna la pique et le collier. Comme proconsul, il pouvait ajouter la couronne civique : il laissa ce mérite au prince, qui s’en plaignit plus qu’il n’en fut offensé. Tacfarinas, voyant ses Numides découragés et rebutés des sièges, court de nouveau la campagne, fuyant dès qu’on le presse, et bientôt revenant à la charge. Tant qu’il suivit ce plan, il se joua des efforts de l’armée romaine, qui se fatiguait vainement à le poursuivre. Lorsqu’il eut tourné sa course vers les pays maritimes, embarrassé de son butin, il lui fallut s’assujettir à des campements fixes. Alors Apronius Césianus, envoyé par son père avec de la cavalerie et des cohortes auxiliaires renforcées des légionnaires les plus agiles, battit les Numides et les rechassa dans leurs déserts.

 

IV, 23-26. Fin de Tacfarinas en Afrique

Cette année délivra enfin le peuple romain de la longue guerre du Numide Tacfarinas. Jusqu’alors nos généraux, contents d’obtenir les ornements du triomphe, laissaient reposer l’ennemi dès qu’ils croyaient les avoir mérités. Déjà trois statues couronnées de laurier s’élevaient dans Rome, et Tacfarinas mettait encore l’Afrique au pillage. Il s’était accru du secours des Maures, qui, abandonnés par la jeunesse insouciante de Ptolémée, fils de Juba, au gouvernement de ses affranchis, s’étaient soustraits par la guerre à la honte d’avoir des esclaves pour maîtres. Receleur de son butin et compagnon de ses ravages, le roi des Garamantes, sans marcher avec une armée, envoyait des troupes légères, que la renommée grossissait en proportion de l’éloignement. Du sein même de la province (1), tous les indigents, tous les hommes d’une humeur turbulente, couraient sans obstacle sous les drapeaux du Numide. En effet, Tibère, croyant l’Afrique purgée d’ennemis par les victoires de Blésus, en avait rappelé la neuvième légion ; et le proconsul de cette année, P. Dolabella, n’avait osé la retenir : il redoutait les ordres de César encore plus que les périls de la guerre.

XXIV. Cependant Tacfarinas, ayant semé le bruit que la puissance romaine, entamée déjà par d’autres nations, se retirait peu à peu de l’Afrique, et qu’on envelopperait facilement le reste des nôtres, si tous ceux qui préféraient la liberté à l’esclavage voulaient fondre sur eux, augmente ses forces, campe devant Thubusque et investit cette place. Aussitôt Dolabella rassemble ce qu’il a de soldats ; et, grâce à la terreur du nom romain, jointe à la faiblesse des Numides en présence de l’infanterie, il chasse les assiégeants par sa seule approche, fortifie les postes avantageux, et fait trancher la tête à quelques chefs musulans qui préparaient une défection. Puis, convaincu par l’expérience de plusieurs campagnes qu’une armée pesante et marchant en un seul corps n’atteindrait jamais des bandes vagabondes, il appelle le roi Ptolémée avec ses partisans, et forme quatre divisions qu’il donne à des lieutenants ou à des tribuns. Des officiers maures choisis conduisaient au butin des troupes légères ; lui-même dirigeait tous les mouvements.

XXV. Bientôt on apprit que les Numides, réunis près des ruines d’un fort nommé Auzéa, qu’ils avaient brûlé autrefois, venaient d’y dresser leurs huttes et de s’y établir, se fiant sur la bonté de cette position tout entourée de vastes forêts. À l’instant, des escadrons et des cohortes, libres de tout bagage et sans savoir où on les mène, courent à pas précipités. Au jour naissant, le son des trompettes et un cri effroyable les annonçaient aux barbares à moitié endormis. Les chevaux des Numides étaient attachés ou erraient dans les pâturages. Du côté des Romains, tout était prêt pour le combat, les rangs de l’infanterie serrés, la cavalerie à son poste. Chez les ennemis, rien de prévu : point d’armes, nul ordre, nul mouvement calculé ; ils se laissent traîner, égorger, prendre comme des troupeaux. Irrité par le souvenir de ses fatigues, et joyeux d’une rencontre désirée tant de fois et tant de fois éludée, le soldat s’enivrait de vengeance et, de sang. On fit dire dans les rangs de s’attacher à Tacfarinas, connu de tous après tant de combats ; que, si le chef ne périssait, la guerre n’aurait jamais de fin. Mais le Numide, voyant ses gardes renversés, son fils prisonnier, les Romains débordant de toutes parts, se précipite au milieu des traits, et se dérobe à la captivité par une mort qu’il fit payer cher. La guerre finit avec lui.

XXVI. Le général demanda les ornements du triomphe et ne les obtint pas. Tibère eût craint de flétrir les lauriers de Blésus, oncle de son favori. Mais Blésus n’en fut pas plus illustre, et la gloire de Dolabella s’accrut de l’honneur qui lui était refusé. Avec une plus faible armée, il avait fait des prisonniers de marque, tué le chef ennemi, mérité le renom d’avoir terminé la guerre. À sa suite arrivèrent des ambassadeurs des Garamantes, spectacle rarement vu dans Rome. Effrayée de la chute de Tacfarinas, et n’ignorant pas ses propres torts, cette nation les avait envoyés pour donner satisfaction au peuple romain. Sur le compte qui fut rendu des services de Ptolémée pendant cette guerre, on renouvela un usage des premiers temps : un sénateur fut député pour lui offrir le sceptre d’ivoire, la toge brodée, antiques présents du sénat, et le saluer des noms de roi, d’allié et d’ami