IBN JUBAYR, Organisation des musulmans de Sicile, v.1175 n-è

Les musulmans de Palerme conservent un reste de foi; ils tiennent en bon état la plupart de leurs mosquées; ils font la prière à l’appel du muezzin ; ils possèdent des faubourgs où ils demeurent, avec leurs familles, sans le mélange d’aucun chrétien. Les marchés sont tenus et fréquentés par eux. La khutba leur étant défendue, ils ne font pas de Jumu’a ; mais, dans les jours de fête, ils récitent la khotbah avec l’invocation pour les Abbassides. Les musulmans ont à Palerme un cadi qui juge leurs procès, et une mosquée principale où ils se réunissent pour la prière : ils s’assemblent à l’illumination de cette mosquée, dans ce mois saint. Les autres mosquées sont si nombreuses qu’on ne saurait les compter, et la plupart servent d’écoles aux précepteurs du Coran. En général, les musulmans de Palerme n’aiment pas leurs confrères devenus vassaux des infidèles […] quant à leurs biens, ni à leurs femmes, ni à leurs enfants. Que Dieu, dans sa munificence, les console par ses bénéfices
[…]
Dans ces jours il est arrivé à Trapani le chef de parti des musulmans de Sicile, leur seigneur principal, le kaïd Abou’l Kassem ibn-Hamud, surnommé Ibn-al-Hadjer, un des nobles de cette île chez les quels la seigneurie s’est transmise d’aîné en aîné. On nous a assuré encore qu’il est un homme honnête ; désireux du bien; affectionné aux siens; très adonné aux œuvres de bienfaisance, comme la rançon des prisonniers, la distribution de secours aux voyageurs et aux pèlerins pauvres; et qu’il possède de grands mérites et de nobles qualités. A son arrivée, la ville a été tout en émoi. Dernièrement il s’est trouvé en disgrâce de ce tyran, qui le confina dans sa maison à la suite d’une dénonciation que ses ennemis avaient faite contre lui en le chargeant de faits controuvés et en l’accusant de correspondance avec les Almohades, que Dieu les aide ! Cette enquête l’aurait très probablement amené à une condamnation, sans l’intervention du Chancelier ; cependant, elle ne manqua pas d’attirer sur lui une série de vexations par lesquelles on lui extorqua au delà de 30 000 dinars mumini, sans qu’on lui eût rendu aucune des maisons et des propriétés dont il avait hérité de ses ancêtres, en sorte qu’il est resté très à court d’argent. Tout récemment, il est rentré dans la grâce du roi, qui l’a fait passer à un service dépendant du gouvernement; il s y est résigné comme l’esclave dont on a possédé la personne et les biens.