Foucauld, Tadla Indépendant, 1883

Le Tadla […] n’est point une tribu : c’est une contrée, peuplée de prs tribus distinctes. Elle ets bornée :
-au nord par les Zayan et les Zâ’yr,
-à l’est par les Zayan et els Ishqern
-au sud par les Sari, ‘Atta d-Amalû, Bû Zyd, ‘Ayâd, ‘Atab
-à l’ouest par les Entifa, les Sraghna, les Shawya.
Elle se compose
-au sud d’une immense plaine, arrosée par l’Ûm At-Rby‘a et s’etendant jusqu’au pied du Moyen Atlas
-au nord d’une région montagneuse moins vaste
Les tribus qui l’occupent son au nombre de 9 :
[…]
En allant de l’est à l’ouest :
-au nord Zemmûr,Smâla,Khyrân,Wrdighra,Miskin
-au sud les Qata‘yâ, Ma‘dân, ‘Amir, Mûsâ.
Ces diverses tribus sont à peu près de même force, pouvant mettre […] environ 3 000 hommes à cheval chacune. Elles parlent les unes l’arabe, la plupart le tamazight. Toutes sont nomades et ne vivent que sous la tente. Elles sont riches, possèdent d’immenses troupeaux de chameaux et de moutons, un grand nombre de chevaux, et cultivent les rives fertiles de l’Ûm Ar-Rby‘a. Elles sont insoumises à l’exception d’une seule, les Bny Miskin. Celle-ci fait partie du Blad al-Makhzin ; elle est commandée par un Qâ’id résidant dans une qaçba.
Les autres sont blad As-Sîba, ne connaissant qu’une autorité, celle de Sidi Bn Dawud, le marabout de Bû Aj-Ja‘d. l’influence de ce saint personnage s’étend même sur une part des Zayan ; depuis le dwâr des Aît Mawlûd je n’entends plus parler que du Syd.
A partir d’ici, il y a une modification à noter dans les costumes ; sans changer complètement, ils présentent quelques différences avec le sprécédents. Les hommes ne laissent plus pousser les longues mèches qui distinguent les Zammûr Shllaha, les Zayan et les Shawya.
Les femmes conservent le même vêtement, mais elles ne le portent que d’une manière, attaché par des broches ou des nœuds au dessus des épaules ; de plus, il leur couvre les jambes jsuqu’à la cheville ; ce costume est celui de toutes les femmes du Maroc sauf les Zammûr er les Shawya : il peut être fait de divers tissus : soit de laine, comme ici, soit de cotonnade blanche, soit de guinée, mais partout la forme reste la même, partout aussi les femmes ne portent qu’une unique pièce d’étoffe pour tout vêtement : rien dessous, rien dessus : quelque fois un petit voile couvre la tête et le buste (shidd), rien de plus.

Départ de Bû Aj-Ja‘d à trois heure du matin […] à 7 heure du matin, j’arrive à Qasbat-At-Tâdla
Avant Mawlay Ismâ‘îl, le lieu où elle se dresse était, m’assure-t-on, désert : aucun village n’y existait ; le bourg que l’on voit aujourd’hui daterait du règne de ce sultan ; c’est lui qui fonda et la Qasba et la Mosquée, à lui aussi est du le pont de l’Ûm Ar-Rby‘a, pont de 10 arches, le plus grand du monde au dire des habitants. […] les eaux ont ici 30 ou 40 mètres de large ; le courant ets rapide, la profondeur considérable : on ne peut les traverser qu’en des guès peu nombreux ; hors de ces points, il faudrait, même dans cette saison, se mettre à la nage […]
La Qasba proprement dite, bien conservée, est de beaucoup ce que j’ai vu de mieux au Maroc, comme forteresse ; voici de quoi elle se compose :
1° d’une enceinte extérieure, en murs de pisé de 1,20m d’épaisseur det de 10 à 12m de haut, elle est crénelée sur totu son pourtour, avec une banquette le long des créneaux, de grosses tours la flanquent.
2° d’une enceinte intérieure, séparée de la première par une rue de 6 à 8 m de large. La muraille qui la forme est en pisé, de 1,50m d’épaisseur ; elle est presque aussi haute que l’autre, mais n’a point de créneaux […] elle s’ouvre sur une place qui divise la qasba en deux parties : à l’est, sont la mosquée et dar al-Makhzin ; à l’ouest les demeures des habitants : les unes et les autres tombent en ruine et paraissent désertes.
Je ne vis, lorsque je la visitai, qu’un seul être vivant, dans cette vaste forteresse : c’était un pauvre homme ; il était assis tristement devant la porte de dar al-Makhzin ; son chapelet pendait à ses doigts ; il le disait d’un air si mélancolique qu’il me fity peine. Quel était cet ascète vivant dans la solitude et la prière ? D’où lui venait ce visage désolé ? Faisait-il pêcheur converti, pénitence de crimes inconnus ? Etait-ce un saint marabout pleurant sur la corruption des hommes ? _ Non, c’est le Qâ’yd, le pauvre diable n’ose sortir : dès qu’il se montre, on le poursuit de huées.

Si la qasba n’est pas habitée, elle a deux faubourgs qui le sont : l’un sur la rive droite, formé de maison de pisé : les familles riches, les Juifs y demeurent ; l’autre, sur la rive gauche, composé de tentes et de huttes en branchages : c’est le quartier des pauvres. Qasba Tâdla est moins peuplée que Bû Aj-Ja‘d : elle a environ 1200 à 1400 hab dont 100 à 150 israélites.
Point d’autre eau que celle de l’Ûm Ar-Rby‘a, elle est claire et bonne quoique un peu salée.
[…]

Pendant ma route, j’ai remarqué sur les pentes de l’Atlas, soit isolées, soit dominant des villages, un grand nombre de constructions semblables à de petites Qasba, à des châteaux, c’est ce qu’on appelle des Tighremt (Tîghrmatîn). La forme ordinaire en est carrée, avec une tour à chaque angle ; les murs sont en pisé, d’une hauteur de 10 à 12 m. ces chateaux servent de magasins pour els grains et les autres provisions. Ici tout village, toute fractio a une ou plusieurs tighremt, où chaque habitant, dans un local particulier, dont ila la clef, met en sûreté ses richesses et ses réserves. Des gardiens sont attachés à chacune d’elles.
Cettes coutume des châteaux magasins […] est universellement en usage dans uen région étendue : d’abord dans les massifs du Grand et Moyen Atlas, sur els deux versants, depuis Qsabî Ash-Shurfa et les Ait Yûsî jusqu’à Tizi n Glawi, puis sur les cours tout entiers de l’Ouad Dra‘a et de l’Ouad Ziz, aisni que dans la région comprise entre ces fleuves. A l’ouest de Tizi n Glawi et du Dra‘a règne une autre méthode, en vigueur dans la portion occidentale de l’Artlas et du sahara, de l’Ouad Dra‘a à l’Océan : celle des agadir. Là, ce n’est plus le village qui réunit ses grains en un ou plusieurs châteaux, c’est la tribu qui emmagasine ses récoltes dans un ou plusieurs villages. Ces villages portent le nom d’Agadîr. Vers Taznakht, je les verrai, sur ma route, remplacer les Tighremt. Dans la première région, chaque hameau, en temps d’invasion, peut opposer séparément sa résistance ; dans la seconde, la vie de la tribu entière dépend d’un ou deux points : dans l’une, j’aurai chaque jour, le spectacle d’hostilités de village à village ; dans l’autre, ce n’est qu’entre grandes fractions qu’on se fait la guerre.

Qasbat-Bny Mlâl, qui porte aussi le nom de Q. Bl-Kûsh, est une petite ville d’environ 3000 hab dont 300 israélites. Elle est construite au pied même de la montagne, sur une côte douce qui joint celle-ci à la plaine ; de superbes jardins tapissent cette côte ; vers le nord, ils s’étendent fort loin ; au sud, ils s’arrêtent breusquement devant une falaise de pierre qui se dresse à 1 km de la ville. Au pied de cett muraille jaillissent, du sein du rocher, les sources qui arrosent Qasba Bny mlâl : les eaux en sont d’une pureté admirable et d’une abondance extrême : on les a réparties en 6 canaux, chacun d’eux forme un ruisseau de 2 m de large et de 30 cm de profondeur ; ensuite, elles sont distribuées à chaque maison, chaque clos, par une foule de petit conduits courant en toutes directions. Bien que ces eaux forment un volume total considérable, elles se perdent dans les jardins de la ville et dans la plaine du Tâdla, sans atteindre l’Ûmm Ar-Rby‘a, à leur confluent naturel. […] ce n’est qu’en hiver que leurs lits se remplissent et qu’ils gagnent […les 4 ouad-s].
[…]
Deux Qâ’yd résident ici, ce sont des qâ’yd in partibus, comme ceux des Zayan et de Qasba-t At-Tâdla, cependant le sultan avait en ce lieu, il n’y a pas longtemps, un parti assez nombreux : il s’était produit un fait que j’ai remarqué dans d’autres contrées insoumises, surtout, dans celles qui étaient riches et commerçantes. Une partie de la population, considérant les obstacles que l’anarchie mettait à la prospérité du pays, songeant aux dévastations continuelles de leurs terre,n résultat des guerres avec les tribus voisines, regardant combien le trafic était difficile à cause du peu de sûreté des routes, s’était prise à désirer un autre régime, à souhaiter l’annexion au blad al-makhzin. Ces idées étaient depuis quelques temps celles d’un tiers des habitants de QBM. Les autres restaient attachés à leur idnépendance et rejetaient toute pensée de soumission. Sur ces entrefaites, il y a 5 mois environ, Mawlay Al-Hasan, à al tête d’une armée, envahit le Tâdla. Il arrive devant QBM : à son approche, tout ce qui lui était hostile abandonne la ville et se retire dans la montagne ; le parti du sultan reste, et lui encoie une députation l’assurer de son dévouement. Comme réponse, il impose les Bny Mllâl de 10 000 ryal, les présents paieront pour les absents. Inutile d’ajouter qu’aujourd’hui il n’y a plus de parti du makhzin dans la Qasba.

[…] en 1882, prs tribus du haut Sûs se sont, de leur proproe gré, soumises au sultan. Mais partout le dénouement est le même : on en tarde pas à s’apercevoir que le makhzin n’est rien moins que le gouvernement rêvé : pas plus de sécurité qu’auparavant : les voleurs plus nombreux que jamais ; enfin, les rapines des Qâ’yd ruinant le pays en un an plus que ne l’eussent fait 10 années de guerre. Aucun bien ne compense de grands maux. Aussi, cet état ne dure-t-il pas. Après 2 ou 3 ans de patience […] voyant qu’il n’y a rien à espérer, on secoue le joug et on reprend l’indépendance.

[…]

Tous les ans, le sultan se met à la tête d’une armée et part pour guerroyer dans quelque portion du Maroc : ces campagnes ont pour but tantôt d’amener à l’obéissances des fractions insoumises, tantôt de lerver des contributions de guerre sur des tribus trop puissantes pour être réduites, mais trop faible ou trop désunies pour pouvoir empêcher une incursion momentanée sur leur territoire.
C’est une expédition de cette catégorie, simple opération financière, que Mawlay Al-hasan vient de faire dans le Tâdla. La méthode qu’il suit dans ces occasions est invariable : il marche pas à pas, de tribu, offrant à chacune, en arrivant à elle, le choix entre deux choses : pillage du territoire, ou rachat par une somme d’argent.
Dans cette alternative, prenant de deux mots le moindre, on se décide souvent à acheter la paix au prix demandé : c’est ce qu’espère le Sultan.
Mais parfois, il éprouve des mécomptes : à certains endroits, on lui résiste, avec succès même, témoin les Ghyata.
Dans le Tâdla, on prit un 3è parti, qui fut pour lui la source de la plus amère déception : à son approche, les tribus, toutes nomades, se contentèrent de plier bagage et de se retirer, qui dans les montagnes de Ayt Sary, qui dans celles des zayan. Là, elles étaient à l’abri, le sultan resta seul avec son armée, errant au milieu de la plaine déserte. Sa campagne fut désastreuse ; il ne put que tirer qq argent des petites qasba éparses de loin en loin dans le pays, maigre rentrée pour un grand déploiement de forces. « Fatigue sans profit », c’est ainsi que les habitants qualifient cette expédition.