Clot Bey, Coutumes Egyptiennes diverses, 1840

34. Costumes : Costume ancien. — Les vêtements qui étaient généralement portés en Egypte avant ces dernières années se composaient : 1° d’une chemise; 2° d’un caleçon; 3° d’un gilet; i° d’un caftan; 5° d’une ceinture; 6° d’un gebbeh; 7° d’un benich. Les caprices de la mode n’exerçant aucune action sur les orientaux, leur costume demeurait invariablement le même dans son ensemble comme dans ses détails.

Les chemises orientales diffèrent essentiellement des nôtres. Elles sont très-longues et très-larges ; leurs manches, très-amples, le sont également dans toute leur longueur et ressemblent à celles d’un surplis. Les chemises des gens du peuple sont de toile de lin ou de coton ; celles des personnes riches sont faites avec une toile fine appelée moghrabin ou avec une étoffe de soie. La chemise ne se met pas comme chez nous dans le caleçon, mais par-dessus.

Le caleçon (lebâs) est une large culotte; on dirait une jupe qui serait cousue dans la partie inférieure de manière à laisser deux ouvertures pour les jambes. Le caleçon descend jusqu’au genou; il est fixé autour de la taille par une gaine dont le cordon, plus ou moins richement brodé, suivant la fortune de l’individu qui le porte, est nommé dikkeh.

Le petit gilet, appelé sodeyry, est ordinairement de drap ou d’une étoffe de coton ou de soie.

Par-dessus le gilet on passe le caftan, espèce de robe de chambre à grandes manches.

La ceinture (hezam) est une longue pièce d’étoffe en mousseline, en laine ou en soie, large d’un mètre, longue de huit ou dix, que l’on roule et dont on entoure la taille au-dessus des hanches. Les gens riches se servent pour le même usage d’un cachemire.

Le gebbeh est une espèce de surtout, doublé de fourrures en hiver, dont les manches sont plus courtes que celles ducaftan, et que l’on revêt par-dessus celui-ci. On le laisse ouvert par devant. v

Quelques personnes portent encore, outre le gebbeh, une robe plus large nommée bcnick, dont les manches sont trèsamples et très-longues et fendues à l’extrémité. Le benich est un vêtement de cérémonie dont se servent spécialement les hommes de loi et les ulémas.

Quoique l’Egypte soit un pays chaud, l’usage des pelisses y est très-répandu, et ce n’est pas simplement par luxe. J’ai souvent moi-même senti pendant l’hiver le besoin de me revêtir de ces surtouts à manches larges, garnis de fourrures. Les transitions brusques entre des températures différentes rendent en effet le froid plus sensible en Egypte, Les pelisses turques sont d’amples redingotes en soie ou en drap, que les grands seigneurs portent fourrées en hermine, en sâmour(martre), etc. Elles sont généralement regardées comme un signe d’honneur. Les ulémas en sont revêtus. Lorsque quelqu’un est nommé à une charge importante, c’est avec une pelisse qu’il en reçoit l’investiture.

La coiffure n’est pas la partie la moins distinguée et la moins élégante de l’ancien costume : elle est formée d’untarbouch, bonnet rouge en laine, autour duquel est roulé le turban. Au-dessous du tarbouch, et pour le garantir de la sueur, les Égyptiens placent une petite calotte de toile appelée tackyeh. Le turban se fait avec un châl en mousseline simple ou brodée , en laine ou en soie. Les personnes’ riches se servent d’un cachemire.

Il y avait autrefois et il y a encore aujourd’hui, parmi les personnes qui ont conservé l’ancien costume, plusieurs manières d’arranger et de porter le turban. Après avoir plié le châle diagonalement, comme une cravate, on le roulait méthodiquement autour de la tête, le plus souvent en croisant les tours de manière à former au-dessus du front une espèce d’X; quelquefois on plaçait les tours l’un sur l’autre en spirale; ou bien on portait le châle d’un seul côté. Chacune de ces modes diverses indiquait le rang, l’emploi religieux, militaire ou civil qu’occupait celui qui la suivait. Il y avait les turbans à la militaire, à la marchande, à la marinière, à la turque , à l’albanaise , à l’arnaoule, à la cadi, à la mufti, etc.

Les ulémas se distinguent par la grosseur de leur turban: il forme autour de la tête des chefs de la loi une sphère volumineuse. Quelques-uns placent par-dessus une écharpe en mousseline ou en cachemire, en ramènent les deux pentes devant la poitrine où l’une demeure pendante, et d’où l’autre est rejetée sur l’épaule opposée. Ce voile flottant qui encadre leur figure caractérisée, et qu’ils portent avec noblesse, leur donne l’aspect majestueux et sévère des prêtres de l’antiquité.

La couleur du turban servait autrefois à distinguer les castes. Les musulmans seuls étaient autorisés à l’avoir blanc ou rouge. Les chérifs, ou descendants de la famille du prophète, avaient exclusivement le droit de se servir de la couleur verte. Aux rayas, juifs ou chrétiens, étaient affectés le noir, le brun, le violet et le rouge foncé.

Tel est l’ancien costume, appelé costume à la langue. Il n’est plus guère conservé aujourd’hui que par les ulémas, les marchands, les écrivains des administrations, et surtout par les chrétiens et les juifs indigènes.

35. Costume mameluk. — Il est porté encore par quelques vieux survivants de cette milice. Il différait légèrement de celui dont je viens de parler. Le caftan des mameluks, au lieu d’être très-long, se terminait, comme une veste, à la hauteur de la ceinture. Ils en avaient deux, l’un à manches étroites, l’autre à manches larges, par-dessus lesquels ils revêtaient la salta, espèce de carmagnole dont les manches étaient très-amples, mais s’arrêtaient au coude. Leur pantalon, en drap de Venise, qu’ils mettaient pardessus le caleçon , était retenu à la ceinture par le dikkeh. Il était très-large, descendait jusqu’à la cheville et ressemblait à un grand sac percé, dans le fond, de deux ouvertures. Ils serraient en outre autour de leurs corps un cachemire.

36. Costume nouveau.—La métamorphose qui s’est opérée dans le costume des Égyptiens date de l’époque de l’organisation des troupes réglées, vers l’année 1823 ; elle en fut la conséquence. La première chose que l’on supprima dans l’armée fut le turban. En 1826, de nouvelles modifications eurent lieu: on laissa toujours subsister la culotte large jusqu’au genou et terminée par une espèce de guêtre; mais on adopta un gilet à manches, par-dessus lequel on plaça une carmagnole dans le genre des vestes de nos hommes du peuple, mais plus ample, espèce de dolman, dont les manches ouvertes flottaient en arrière. On n’a pas tardé à comprendre combien ces manches étaient embarrassantes pour les mouvements militaires, et on les a supprimées.

L’armée étant devenue la chose la plus importante en Egypte, son influence devait toucher à tout; le costume traditionnel s’en ressentit. Les hauts personnages, qu’ils eussent ou non des commandements dans l’armée, adoptèrent peu à peu l’habillement militaire. Ibrahim-Pacha fut le premier à prendre le tarbouch ; son exemple fut bientôt suivi par tous, et le vice-roi lui-même revêtit le costume qu’il avait donné à ses troupes.

Autrefois les orientaux aimaient dans leurs vêtements les couleurs éclatantes : le rouge, le rose, le lilas, le blanc, le violet, etc. Ils ne portaient jamais les couleurs foncées, réservées aux rayas. Le goût et l’usage ont changé, aujourd’hui , sous ce rapport. Les couleurs vives ont été abandonnées par les personnes de la haute classe qui emploient maintenant les beaux draps noirs, bleus, marrons, etc. Les hommes du peuple les ont seuls conservées.

La coiffure actuelle, qui consiste en un simple tarbouch, est bien plus commode, sinon aussi gracieuse que le turban. Je ne pense pas que, de longtemps, elle puisse être changée. Du reste je ne sais par quoi on la remplacerait. Le chapeau européen n’a dans sa forme rien d’assez élégant ni d’assez noble pour faire souhaiter que le tarbouch lui soit sacrifié. Les musulmans nourrissent d’ailleurs contre lui une antipathie incroyable. Veulent-ils , dans un mouvement de colère, dire qu’ils sont capables de tout, ils s’écrient qu’ils prendront le chapeau, ce qui serait à leurs yeux une énormité presqu’aussi grosse que d’abandonner leur nationalité, que de renoncer à leur religion. Il serait à désirer, néanmoins, que les Égyptiens attachassent une visière au tarbouch , ce qui leur donnerait une coiffure analogue à celle de nos troupes d’Afrique. Dans un pays où la lumière est très-vive, il serait important en effet de garantir les yeux et le front contre les ardeurs du soleil. Mais comme une visière ferait ressembler en quelque chose le tarbouch au chapeau je doute que les musulmans se décident à l’adopter.

57. Chaussure. — En général les musulmans ne portent pas de bas. Les personnes aisées les remplacent par une espèce de chausson en peau jaune, nommé mezz : ce chausson est placé dans un soulier en maroquin rouge ou jaune, appelé markoub, qui est porté en pantoufle. La couleur jaune n’était permise autrefois qu’aux musulmans; les chrétiens pouvaient avoir des souliers rouges; mais le noir leur était principalement affecté. L’utilité de la double chaussure dont se servent les Orientaux est facile à comprendre. Grâce à elle, ils peuvent, en entrant dans un appartement ou dans une mosquée, déposer leurs souliers à la porte et marcher sur les nattes, les tapis, les divans, sans crainte de les salir et sans avoir néanmoins les pieds nus.

58. Réflexions sur le nouveau costume. — Ce costume, quoique introduisant des changements importants dans l’habillement ancien, n’en a pas altéré le type national. Il réunit aux avantages du costume franc, dont il n’est pas une absurde caricature, les traits les plus caractéristiques de celui des musulmans; il ne fut pas du reste une innovation, car il existait en Albanie et dans la Roumélie. Méhémet-Ali a fait, en le choisissant, acte de prudence et de bon goût: de prudence, parce qu’il aurait eu à combattre les antipathies religieuses les plus vivaces, s’il avait voulu imposer à ses sujets l’habillement européen; de bon goût, parce que des hommes habitués à la commodité des vêlements amples, qui laissent toute liberté à leurs articulations et à leurs mouvements , n’auraient pu qu’être gênés dans nos habits et les porter d’une manière ridicule.

Ce qui est arrivé à ce sujet à Constantinople a prouvé que le vice-roi avait agi avec son bon sens et son habileté ordinaires. On sait que le sultan Mahmoud a fait prendre à ses troupes le costume européen sans amendement. Chemise

étroite, cravate, pantalons serrés, redingote étriquée, souliers couverts, tout, excepté le tarbouch, est emprunté à l’Europe, dans le costume actuel des Turcs. Or Mahmoud a fait retomber par là sur ses réformes le dégoût qu’a soulevé chez les osmanlis l’adoption des vêtements européens. Ces vêtements ont toujours été un objet de mépris et d’horreur pour les musulmans. Il a été imprudent de heurter de front leurs répugnances sur ce point; et puis les Turcs sont si mal accoutrés sous la redingote et le pantalon, ils entretiennent leurs nouveaux habits avec si peu de soin, que la réforme somptuaire de l’ancien sultan n’a abouti en réalité qu’à une grotesque mascarade.

Il serait injuste néanmoins de ne pas reconnnaître qu’elle peut produire de bons résultats en effarant un des traits qui séparaient radicalement les musulmans du reste de l’Europe. Celle de Méhémet-Ali, qui a rapproché le costume égyptien du nôtre sans dénaturer néanmoins tous les deux, amènera, par une transition plus sûre, la même conséquence. Les différences des. costumes, surtout lorsqu’ils sont, comme pour les musulmans, tout un symbole de traditions religieuses et nationales, élèvent entre les peuples d’insurmontables barrières, qu’il est bon de faire tomber. En envisageant les choses sous ce point de vue, on ne saurait regarder comme puérils ou déplorables les changements opérés par Méhémet-Ali et Mahmoud. Les artistes regretteront sans doute ce qu’avaient de majestueux et de poétique le turban, les robes flottantes, les riches ceintures; mais les hommes positifs se consoleront aisément d’une perte de pittoresque, en songeant aux heureux effets qui peuvent la compenser.

Quoique les livres saints défendent aux musulmans de porter des vêtements de soie ou enrichis d’or, des bijoux en or ou en argent, la puissance religieuse n’a pu vaincre le goût passionné qu’ils ont pour ces sortes de parures; c’est sans doute parce qu’il connaissait ce penchant de* Arabes que le législateur s’est efforcé, mais en vain, de le réprimer par une prohibition spéciale. Il n’y a pas de peuple qui fasse autant qu’eux profusion d’or et de pierreries; mais un goût délicat ne règle pas la splendeur de leur costume; ils ne savent pas mettre d’harmonie parmi les richesses qu’ils étalent; ils ne savent pas les assortir entre elles; ils les dégradent quelquefois par de ridicules et grossiers disparates; il n’est pas rare, en effet, de voir un Oriental porter,en même temps une veste brodée en or et des guenilles.

Les Égyptiens ne tiennent pas leur garde-robe aussi bien fournie que les Européens aisés; ils n’ont pas beaucoup d’habillements; cependant les riches en changent assez souvent. Le linge de corps est renouvelé ordinairement plusieurs fois par semaine. Les gens du peuple sont loin de suivre, sous ce rapport, les lois de la propreté. En Egypte on ne fait pas de lessive avec les cendres; tout est lavé à l’eau simple ou au savon. On n’y porte pas, comme chez nous, du linge plissé et repassé.

39. Costume fellah. — Il est très-simple : il consiste en une chemise et en un caleçon de toile de lin par-dessus lesquels se passe une grande chemise bleue (herie), qui descend au-dessous du genou, serrée autour du corps par une ceinture de peau ou d’étoffe. Le fellah porte le tarbouch et le turban ou une calotte feutrée, de couleur blanche ou grise, appelée lebdeh. Dans l’hiver, il revêt une capote à manches amples que l’on appelle zabout.

Il y a quelques modifications dans le costume égyptien, suivant les différentes parties du pays. Les habitants de la basse Egypte, obéissant aux exigences du climat, sont vêtus assez confortablement; ceux d’Alexandrie ont en général, comme les Barbaresques, des vêtements de drap. Au Caire, l’habillement est plus léger. Mais là, comme dans la basse Egypte, ceux qui n’ont pas les moyens de soutenir le luxe du drap ont des vêtements de coton, tandis que, par unesingularité assez curieuse, les habitants de Saïd se couvrent d’étoffes de laine, même pendant les plus fortes chaleurs. Aux environs d’Assouan, l’habillement se réduit, pour les hommes et les femmes, à ces ceintures de peau coupée en bandelettes, que l’ont voit chez tous les sauvages ,et qui ne couvrent que le milieu du corps.

40. Usages des Égyptiens relativement aux cheveux, à la barbe, etc. — Le Coran ordonne aux musulmans de se raser entièrement les cheveux. La plupart des Égyptiens n’en laissent subsister qu’une petite touffe appelée choucheh,au sommet de la tête; car ils craignent que si, venant à être pris par les infidèles, ceux-ci leur tranchaient la tête, et ne trouvaient pas de cheveux pour la saisir, ils n’introduisissent leur main impure dans la bouche, la barbe pouvant ne pas être assez longue pour donner prise.

Les Égyptiens, comme les peuples des climats chauds, ont la barbe peu fournie; ils en rasent généralement la portion qui est au-dessus de la mâchoire inférieure, ainsi qu’une petite partie de celle qui vient sous la lèvre inférieure; ils laissent subsister cependant ce que nous appelons la royale. Ils rasent aussi une partie de la barbe, sous le menton, et tous les poils irréguliers qui peuvent se trouver sur le visage. Ils laissent ordinairement pousser leur barbe jusqu’à la longueur d’un travers de main (tel était l’usage du prophète). Ils coupent la moustache au niveau de la lèvre supérieure, tandis que les osmanlis la laissent croître librement.

La barbe est très-considérée par les peuples orientaux. Elle est à leurs yeux un symbole de virilité, de liberté et de puissance physique et morale. Le serment par la barbe et par la moustache est une parole d’honneur. Pour parler d’un homme qui a peu d’intelligence : « On pourrait, disent-ils, compter les poils de sa barbe. » Les soins assidus avec lesquels ils la cultivent sont proportionnés à la considération qu’ils lui accordent. Après chaque ablution légale, ils la lavent, la savonnent et souvent la parfument. Autrefois , on la teignait avec du heneh, parce qu’une barbe noire était estimée comme une très-grande beauté. Cet usage trop efféminé est aujourd’hui tombé en désuétude.

La barbe a été supprimée dans l’armée. Le vice-roi l’a défendue aux officiers comme aux soldats. Ainsi aujourd’hui, nous voyons des généraux, des pachas privés de cet ornement naturel auquel ils portaient autrefois un attachement superstitieux. Cette suppression, qui détruit encore un de ces traits caractéristiques qui marquaient entre les Européens et les Orientaux une différence profonde, me parait très-importante. En effarant les dissemblances extérieures, on prépare la fusion des peuples et leur assimilation morale.

Dans l’ordre civil, un jeune homme ne porte la barbe que lorsque son père le lui permet, ou à l’époque de son mariage. Les esclaves sont privés de cet honneur. Lorsqu’ils sont arrivés à l’âge mur, quelquefois leurs maîtres le leur accordent sur leur humble et suppliante requête.

Ceux qui n’ont pas la barbe laissent toujours pousser leur moustache. En Orient, l’homme qui ne porte pas la moustache est stygmatisé par une épithète outrageante; aussi conseillerai-je aux Européens qui voyagent dans le Levant de ne pas la raser.

J’ai été témoin d’une anecdote assez piquante relative à la barbe; je la raconte, parce que je pense qu’elle pourra donner une idée du prix que les Égyptiens de vieille roche attachent à ce glorieux signe de virilité.

Dans une tournée que je fis en 1834, pour le service du recrutement, j’assistai, à Zagazie, petit bourg situé dans la basse Égypte , sur la rive droite du canal de Moeys, à un procès assez curieux qui s’était élevé à propos de barbe. Voici le fait : Un cheik-el-bekd (maire de village) avait choisi pour l’armée un fellah trop avancé en âge que je réformai. Mais celui-ci ne se contenta pas d’avoir la permission de retourner dans ses foyers; il se présenta devant le mâmour, et regardant fixement le cheik-el-beled qui se trouve auprès de lui : « Je te l’avais bien dit que je n’étais plus bon à être soldat. » Puis se tournant vers le mâmour : « Entends-moi, ô Hassan le redouté, dit-il, le cheik-cl-beled est mon ennemi;ilavoulu,malgrémesquaranteans, que j’allasse vivre au milieu des fusils, et il m’a dépouillé de ma barbe pour que je parusse plus jeune aux beys qui nous prennent. Comment retournerai-je auprès des miens sans l’honneur de mon menton? Je serai la risée des petits enfants, et les pères me regarderont en pitié. Par le prophète , rends-moi justice, fils d’Ibrahim le juste et le fort. » La harangue fit effet. Le mâmour ordonna au cadi qui était présent, d’écrire son hakem.Un coup d’œil d’intelligence est échangé entre le cheik accusé et son juge. Celui-ci, accroupi sur un tapis et imprimant à sa tête le mouvement oscillatoire favorable à l’inspiration, eut l’air de réfléchir quelques instants, puis il prononça, toujours en se balançant, la sentence suivante : « Il est écrit au chapitre de la Vache, que celui qui coupe le nez, une oreille, qui arrache un œil, une dent à son frère, perdra le nez , une oreille, un œil, une dent. Mais le livre ne dit rien sur la barbe. J’ai jugé. » Le verdict plut fort au cheik , mais beaucoup moins au mâmour , qui répliqua, en caressant avec une malicieuse gravité sa barbe grise : « Gloire à Dieu! et respect aux paroles du prophète. Puisqu’il est licite de couper la barbe à son frère, vite qu’on lacoupeau cadi. » Un cadi sans barbe! mais ce serait un juge dégradé, voué au ridicule. Le nôtre, épouvanté, s’excuse, supplie, réforme son jugement et applique la loi du talion. Le cheik, coupeur de barbe, tenait lui aussi à l’honneur de son menton; tournant ses regards caressants vers sa victime : « 0 Halil, mon frère, dit-il, est-ce que ma barbe coupée fera pousser plus rapidement la tienne? arrangeonsnous plutôt. Tiens, que veux-tu pour le dommage que je t’ai causé? » Or, comme, d’après la loi musulmane, tout se rachète, la barbe du conscrit invalide fut évaluée à 60 piastres, ce qui fait à peu près 45 francs. Mais, quoiqu’il eût obtenu justice, il ne voulut pas retourner dans son village; il demeura au service du mâmour jusqu’à ce que sa barbe fût repoussée.

Les chrétiens du pays ont pour la barbe la même considération et suivent les mêmes usages que les musulmans. C’est surtout chez les prêtres que l’entretien d’une belle et majestueuse barbe commande le respect. Une chose qui n’a pas peu nui aux progrès du catholicisme dan s le Levant, c’est que ses ministres ont le menton dépouillé. Les musulmans et les chrétiens schismatiques ne pourraient pas se soumettre à des chefs spirituels, rasés comme les derniers de leurs esclaves, et l’idée que le pape est ainsi les fait sourire de dédain et de pitié. Je ne sais si j’ai cédé moi-même à l’influence du préjugé oriental; mais j’avouerai que lorsqu’à Rome j’ai vû officier S. S., au milieu de cette magnifique cérémonie, je me suis pris à regretter que l’auguste vieillard n’ajoutât pas à toutes les marques extérieures qui appellent sur lui le respect, l’effet que produirait infailliblement une vénérable barbe blanche. Je crois, du reste, que la barbe convient à la gravité sacerdotale, et je ne serais pas étonné qu’un jour quelque pontife l’enjoignit au moins aux cardinaux et aux évêques. Je suis persuadé que cette mesure, qu’approuvent également et l’art et la dignité du culte chrétien, amènerait des résultats dont on aurait beaucoup à se louer, auprès des Orientaux sur lesquels les choses extérieures exercent plus d’influence qu’on ne saurait se l’imaginer en Europe.

Excepté la barbe, toutes les parties chevelues du corps sont soigneusement épilées par les musulmans. L’épilation se fait de trois manières : en rasant les poils, en les arrachant ou en les faisant tomber avec un cosmétique composé de chaux et d’orpiment. Les hommes de basse classe se tatouent quelquefois les bras et les mains.

il. Propreté et malpropreté. — Le prophète, qui sentait l’importance de la propreté sous un climat brûlant, en a fait pour ses disciples un devoir religeux en leur prescrivant les ablutions. Les Égyptiens , et cela est rigoureusement recommandé, se lavent très-fréquemment les parties génitales et l’anus. Ils ne font jamais cette opération qu’avec la main gauche , qui est la main impure ; la droite est exclusivement consacrée aux usages relevés, à manger, à saluer , etc. Ils prennent souvent des bains : nous en parlerons bientôt.

Les musulmans ne crachent jamais dans les appartements ni dans les mosquées. Lorsqu’ils sont avec plusieurs personnes et que le besoin de cracher les presse, ils le satisfont en se détournant et avec le plus de précaution possible.

Les éructations leur sont permises à table, lorsqu’ils parlent, même lorsqu’ils prient; ils les font avec une sorte de sensualité. Les Européens sont souvent très-choqués d’une pareille licence, lorsqu’ils ne sont pas prévenus que les mœurs l’autorisent. Il parait que ce sont les Sarrasins qui ont transporté le même usage en Espagne.

Malgré toutes les mesures de propreté que la religion leur commande, les riches et les pauvres ont souvent des poux sur leurs vêtements. Ils n’en ont aucune honte, et ne tuent même pas ces dégoûtants insectes. Avec leur indolence accoutumée, ils les prennent et se contentent bénévolement de les jeter à terre. Les personnes aisées ont un instrument particulier qu’elles promènent sur le dos pour se soulager de leurs piqûres; c’est une espèce de râpe en bois, recourbée , qui ressemble à une grande cuiller. On a attribué l’existence des’ poux chez les Égyptiens, non-seulement à la malpropreté, mais à la chaleur du climat, à l’usage qu’ils font de vêtements de coton, au repos dans lequel ils se complaisent, et à l’abstinence de liqueurs fermentées qu’ils observent en général très-sévèrement.

Quoiqu’ils se lavent la bouche plusieurs fois par jour, les Égyptiens aisés ont presque tous les dentsgâtées. Lesfellahs,au contraire, les ont très-belles. Hérodote (Éuterpe, Lxxxiv), en parlant des médecins de l’Egypte , cite parmi eux une classe qui s’occupait particulièrement de la cure de la bouche. Il paraît donc que cette infirmité a existé de tout temps en Égypte. C’est à tort qu’on l’a attribuée à l’usage du café et du tabac. La vraie cause en est sans doute le régime alimentaire des riches qui mangent des viandes, des légumes préparés au beurre, des mets chauds; et qui soumettent sans transition ces organes à de brusques alternatives de chaud et de froid.

Les musulmans ne se servent jamais de nos brosses en crin. Ils redoutent en effet qu’elles ne contiennent des soies de porc, animal immonde d’après leurs lois. Leurs brosses sont faites avec une racine ligneuse , nommée nismtaq, qui vient du Sennaar ou de l’Arabie.

Les Égyptiens ne se taillent pas eux-mêmes les ongles; ils se les font rogner par leurs barbiers qui les coupent très-ras.

Ils ont l’habitude, assis sur leurs divans, les jambes croisées, de passer la main sur la plante de leurs pieds; ils aiment beaucoup le chatouillement qu’ils se procurent ainsi.

-42. Bains.—La religion a prescrit comme un devoir, aux Égyptiens, l’usage des bains chauds, et l’ardeur du climat leur a fait trouver un vif plaisir dans l’accomplissement du précepte du prophète; aussi le pratiquent-ils volontiers et fréquemment.

Nous avons déjà vu que le nombre des bains publics (hammans) est très-grand en Égypte, et que souvent ils sont annexés à une fondation religieuse. On en trouve au Caire soixante et dix, dontquelques-unssontexclusivement consacrés aux hommes, d’autres aux femmes et auxenfants en bas âge, et le plus grand nombre aux deux sexes. Ceux-ci sont livrés le matin aux hommes et l’après-midi aux femmes. Lorsqu’un bain est occupé par les femmes, une étoffe de lin ou de drap est placée sur la porte d’entrée pour avertir les hommes qu’ils ne peuvent plus pénétrer dans son enceinte. Des domestiques mâles font le service des hommes; les femmes ne sont servies que par des domestiques de leur sexe.

La façade des bains est ornée en général dans le goût de celles de beaucoup de mosquées. Des combinaisons de couleurs parmi lesquelles dominent le blanc et le rouge, en décorent l’entrée. L’édifice est composé d’une série d’appartements pavés en marbres de diverses couleurs, comme le dourkah (i) des maisons particulières, et couronnés de dômes, percés de petites ouvertures rondes qui donnent passage à la lumière. Les murs et les dômes sont construits ordinairement en briques et en plâtre. Sur le niveau des parties les plus élevées de l’édifice, une sakié est établie afin d’alimenter la chaudière, de l’eau d’un puits ou d’un bassin.

Le premier appartement dans lequel on entre se nomme mcslukh. Il est entouré de divans; c’est là que l’on dépose ses habits. Si l’on a une montre, de l’argent ou un sabre, on les confie en entrant au gardien du bain (mallim).

Lorsque l’on est déshabillé, on s’entoure les reins d’une serviette; on prend des sandales de bois, et l’on arrive au bain par plusieurs couloirs étroits dans lesquels on s’habitue progressivement à la chaleur que l’on ne pourrait pas supporter sans transition. Le bain est une salle voûtée, pavée et revêtue de marbre; des nuages de vapeur qui se condensent au-dessus d’un bassin d’eau chaude, s’y forment sans cesse et se mêlent aux suaves exhalaisons des parfums que l’on y brûle. Couché sur un drap, la tête “appuyée sur un petit coussin, et prenant les postures qui lui plaisent le mieux, le baigneur est entouré de nuages odorants qui flottent et roulent sur son corps et dilatent tous ses pores.

Après quelques instants de ce repos voluptueux, lorsqu’une douce moiteur s’est répandue sur la peau, un domestique du bain vient commencer le massage. D’abord, il presse mollement les membres, les plie, puis lorsqu’il leur a donné la flexibilié nécessaire , il fait craquer les jointures, et semble avec ses doigts pétrir la chair qu’il touche d’une manière délicate. Dans cette opération que l’on dirait violente et qui est faite pour alarmer les novices, quoiqu’il n’y ait pas d’exemple qu’elle ait amené quelque accident fâcheux, le cou lui-même doit craquer deux fois. Lorsque toutes les articulations ont été assouplies, le domestique frotte les calus des pieds avec une espèce de râpe en brique cuite, rude et poreuse, et la chair avec une pièce de laine nommée ris. Sous l’impression de cette friction vigoureuse, on croirait que la peau se détache; la crasse tombe, en petits rouleaux allongés , du corps inondé de sueur; les moindres parcelles qui obstruaient les pores sont enlevées, et la chair devient unie et douce comme du satin. On ne saurait se figurer la quantité de saletés que la main du masseur fait sortir du corps de la personne la plus propre qui ne prend que des bains ordinaires.

Le baigneur passe ensuite dans un cabinet où le même serviteur verse sur sa tête de l’écume de savon parfumée, et le lave encore avec un paquet de filaments de palmier semblables à du crin, nommés lyf. Il se plonge ensuite dans un bassin d’eau chaude; puis on lui couvre la tête et le corps de grandes serviettes, et il retourne dans la première salle; là, étendu sur un matelas, il est recouvert encore de linge sec, et on l’essuie en exerçant sur son corps un nouveau massage. Il passe ainsi une demi-heure dans un état de voluptueuse langueur, et savoure la pipe et le cafe. Enfin il s’habille; s’il l’a demandé, ses vêtements ont été parfumés à la vapeur du bois d’aloès.

Après avoir pris un bain oriental, on éprouve un sentiment de bien-être qu’il est impossible d’exprimer. On se dirait d’une souplesse et d’une légèreté inaccoutumées, et comme délivré d’un poids énorme. On croit renaître à une vie nouvelle, et on se nourrit avec bonheur de cette existence purifiée dont l’esprit et le cœur, comme toutes les parties du corps, ont la délicieuse conscience.

Plusieurs personnes vont au bain deux fois par semaine, d’autres une fois, quelques-unes moins souvent. Il en est qui se contentent de se baigner dans un bassin et de se faire laver avec l’eau savonneuse et parfumée. Le bain est ordonné aux musulmans, chaque fois qu’ils ont eu des rapports avec leurs femmes ou qu’ils ont éprouvé des souillures d’un autre genre.

Le prix des bains est très-modique, et à la portée de toutes les classes. Les pauvres ne donnent que de 5 à 10 paras (de 3 à 6 centimes). Il est vrai qu’ils ne sont à ce prix ni massés, ni savonnés. Les personnes un peu aisées payent pour le bain complet depuis 1 piastre jusqu’à 3 (25 cent, à fr. 1,23). D’ailleurs cet usage est si important, qu’il n’est presque pas d’homme riche qui n’ait un bain dans sa maison. Il serait trop incommode en effet de conduire souvent au bain public une famille nombreuse.

Sous le point de vue hygiénique, je crois que les bains orientaux sont salutaires au plus haut point; d’abord parce qu’ils assurent l’entretien de la propreté, entretien absolument nécessaire dans un pays où la chaleur du climat, les sueurs abondantes et la poussière sont tout autant de causes très-fortes de saleté; de plus, la suppression de la transpiration étant en Egypte la source de la plupart des maladies, ces bains produisent un heureux effet, comme préservatifs, en tenant en éveil les fonctions cutanées. L’expérience a prouvé naturellement aux Orientaux leur efficacité sous ce rapport. Aussi, à peine éprouvent-ils une douleur, la plus légère courbature, de la sécheresse de la peau, etc., qu’ils se rendent au bain, y passent plusieurs heures et y reviennent plusieurs jours de suite. Ils doivent encore à cet usage de guérir d’assez graves maladies, telles que les affections syphilitiques, la gale, etc., si communes en Orient. C’est l’introduction des bains orientaux que l’on doit regarder comme la cause de la diminution des maladies de la peau, telles que les dartres, la lèpre, etc., qui exerçaient autrefois de si déplorables ravages. Je considère donc les bains des Orientaux comme l’un des moyens les plus efficaces de leur hygiène, et je fais des vœux pour que l’usage s’en répande en Europe. Quant à ceux qui y ont été établis jusqu’à ce jour, ils ne sont que de pâles et imparfaites imitations; généralement, la distribution des pièces y est mauvaise! Les transitions de la chaleur à la température fraîche y sont mal ménagées, et personne n’y entend le massage et les frictions, comme les Orientaux.

Si répandus qu’ils soient dans l’Égypte inférieure, les bains d’étuves ne sont pas connus dans la partie du Saïd située au-dessus de Girgeh. Là, hommes, femmes et enfants, se plongent plusieurs fois par jour dans l’eau du Nil attiédie par les feux du soleil. La chaleur du climat y tient amplement lieu de celle que l’on irait chercher dans les bains de vapeurs.

-43. Emploi du temps, occupations.—Les Égyptiens se lèvent de très-bonne heure. Il est du devoir du musulman qui tient à réciter la prière du matin, d’êtresur pied et habillé avant l’aurore. La première chose qu’il fait, après avoir accompli son ablution et dit la prière, c’est d’allumer sa pipe et de prendre du café; la plupart se contentent pour le matin de cette boisson; quelques-uns mangent en outre un léger déjeuner.

L’homme de classe aisée, qui est maître de son temps, monte ensuite à cheval, va rendre des visites, faire des emplettes , ou attend l’heure de son diner en causant avec un ami. Il prend son premier repas une heure avant midi, fume ensuite et boit du café. Après le diner, il se retire dans le harem où sa femme ou son esclave veillent à son repos. Il dort là deux ou trois heures. Dès qu’il se réveille, il se lave la figure et fait le kheff. Ce mot, intraduisible dans notre langue, désigne un état de quiétude physique et intellectuelle, aimé des Orientaux, situation indolente et béate, pendant laquelle toute vie active est interrompue, sorte de léthargie qui se complaît en elle-même, et réunit dans une voluptueuse langueur lefar-niente et le pensar-nienle des Italiens. Il fume ensuite plusieurs pipes, prend du café, joue aux dames ou aux échecs jusqu’à l’asr (trois heures après-midi). A cette heure, il récite chez lui une prière ou va la dire à la mosquée. Ce devoir accompli, il fait une petite promenade à pied ou à cheval, et rentre ordinairement chez lui une heure avant le coucher du soleil : c’est le maghreb, l’heure de la prière du soir et du repas. Après le souper, il sort encore et va quelquefois dans un café entendre les conteurs, quelquefois passer une heure ou deux chez un ami. Il se couche ordinairement à huit ou neuf heures, à moins que quelque fête particulière, une noce, par exemple , ne prolonge sa veille; ou qu’invité par la beauté de la nuit, il ne monte sur sa terrasse pour jouir de la fraîcheur.

Telle est la vie nonchalante de l’homme opulent : point d’activité; c’est presque le repos absolu.L’Égyptien semble avoir horreur du mouvement. La marche ou la promenade, n’est pas une de ses distractions ordinaires; il ne peut concevoir que les Européens y prennent plaisir.

Celui qui a la direction ou la surveillance de quelque travail ou qui est employé dans une administration se rend à ses affaires ou à son bureau le matin, y passe toute la journée, y prend son repas et revient chez lui le soir.

Les marchands vont également passer la journée dans leurs boutiques. Celles-ci ne sont presque jamais en effet dans la maison et le quartier qu’ils habitent.

Les artisans commencent leurs travaux de bonne heure.

Les fellahs vont aux champs le matin et ne rentrent ordinairement chez eux que le soir. Le travail de l’agriculture est fort peu pénible; ils le font très-lentement et dorment une partie de la journée. Ils se couchent au soleil, en s’enveloppant de leurs manteaux, s’il n’y a pas d’arbres dans le voisinage du lieu où ils se trouvent. Ils sont tellement endurcis à la chaleur que les feux du soleil le plus ardent ne troublent pas leur sommeil et ne leur causent jamais d’accidents.

44. Sommeil, manière de se coucher. — Les peuples qui occupent l’empire ottoman ont presque tous été nomades à leur origine. Ce n’était donc pas pour eux, dans le principe, une bien grande affaire que de dormir. Accoutumés à lever à tout moment la tente pour entreprendre de fréquentes pérégrinations, ils ne pouvaient avoir entouré le sommeil des précautions et des commodités créées par les habitudes de la vie sédentaire. Les Turcs et les Arabes actuels ont hérité, en ce point comme en tous les autres, des mœurs et des coutumes de leurs ancêtres.

Généralement ils ne connaissent pas l’usage des lits. Depuis plusieurs années il est vrai que l’on en a introduit quelques-uns; mais ils sont loin encore d’être répandus. Les Égyptiens étendent un ou plusieurs matelas sur leur tapis et dorment dessus, habillés. Ils prétendent que cette couche, improvisée chaque soir sur le parquet de leur appartement , est plus commode, parce qu’elle conserve sur tous les points le plan horizontal; ils disent aussi qu’elle est moins embarrassante que nos lits. Comme ils n’ont pas de pièces spéciales pour en faire leurs chambres, les matelas roulés sont aisément enlevés et permettent de donner, pendant le jour, à la pièce où l’on s’est reposé la nuit la destination que l’on veut.

Les matelas des Orientaux sont fourrés en coton; ils sont peu épais; Les Égyptiens aiment mieux en augmenter le nombre que le volume. Les dimensions qu’ils leur donnent sont bien entendues, d’abord parce qu’elles les rendent plus aisés à ployer et à mouvoir, ensuite parce que, dans un pays chaud, une couche formée de matelas épais offrirait moins de prise à l’action rafraîchissante de l’air et concentrerait davantage la chaleur.

Chez les personnes riches, les draps de lits sont en soie ou en toile très-fine. Le drap supérieur est toujours attaché à la couverture.

Avant de se coucher, les personnes aisées des villes quittent l’habillement qu’elles ont porté pendant le jour; elles gardent leur chemise et leur caleçon et mettent par dessus une espèce de robe de chambre, dans le genre du caftan,qu’elles serrent avec une ceinture de cachemire ou de soie, fermée par des agrafes ou des boucles. Elles allégent aussi leur coiffure et se contentent d’un simple bonnet.

Parmi les artisans, beaucoup n’ont point de matelas et couchent sur leurs tapis. Les pauvres dorment sûr des nattes. Ce n’est pas pour eux une grande formalité que de se coucher : ils s’enveloppent d’une large tunique ou roulent autour d’eux une couverture, et s’étendent sur le sol. Ils sont tous tellement habitués à ces sommeils à la dure que, en organisant l’armée, on n’a pas jugé convenable de donner aux soldats des matelas et des paillasses; ils ont seulement des lits de camp, qu’ils recouvrent d’un tapis en laine.

Les Égyptiens semblent avoir le sommeil à leurs ordres. Pour s’endormir avec plus de facilité et d’agrément, les riches se font faire par leurs esclaves, leurs domestiques, et même leurs femmes, des frottements sur les jambes et les pieds, qui exercent sur eux une action magnétique. S’il fait chaud, un esclave veille, toute la nuit, occupé à chasser les mouches et à ventiler l’appartement. Ceux qui sont dans l’aisance se font réveiller d’une manière toute particulière: on n’interrompt pas leur sommeil, en les secouant ou en faisant du bruit; un esclave s’approche d’eux avec précaution et leur caresse la plante des pieds avec la main jusqu’à ce que ce chatouillement les ait rappelés, par une douce transition , du repos à la veille.

45. Exclamations ordinaires, jurons, serments. — Les musulmans, tout imbus d’idées religieuses, jettent souvent dans leur conversation des exclamations où Dieu, le prophète , le Coran, sont invoqués ou célébrés. Ils sont trèsportés à faire des serments; ce sont en général ces objets de leur respect qu’ils prennent à témoins. Ils prononcent souvent le motouallah ( par Dieu ). Avant de commencer quelque chose, ils s’écrient ordinairement : « Au nom de Dieu l’indulgent, le miséricordieux, » et après avoir terminé : « Honneur à Dieu. » « Dieu est bon, disent-ils souvent, Allah kerim. » Ils ne parlent jamais d’un événement futur sans dire d’abord : « Si c’est la volonté de Dieu, inchallach, » et d’un événement passé sans ajouter: « Dieu sait tout, Allaou dalem. »

Les musulmans ne blasphèment jamais; les imprécations contre la Divinité les rempliraient d’horreur.

Le vocabulaire des injures est très-riche. Il en est qui sont trop obscènes pour pouvoir être citées. Ils se traitent souvent de hanzir (cochon), thôr (bœuf).L’une de leurs fortes injures est : fils de chrétien ou fils de juif. Ils feignent quelquefois, et c’est le plus violent des outrages, de cracher sur la personne qu’ils invectivent.

46. Domestiques. — Les musulmans ont toujours à leur service un grand nombre de domestiques; ceux-ci se divisent en plusieurs classes, dont chacune a sa spécialité; ce sont : les farrachs, auxquels est confié le soin de l’intérieur de la maison, qui lavent les habillements, etc.; les sakkkas, ou porteurs d’eau; les tabbarhs, cuisiniers; les chiboukchi, qui ne s’occupent que de la pipe; les cavedji, du café; les saïs, ou palefreniers; chaque logement a un portier, bowab. C’est ordinairement le sakkha qui est le chef des domestiques. Dans les maisons même d’une médiocre aisance, il y a souvent un chef pour chaque classe de serviteurs.

Un domestique ne remplit jamais que les fonctions pour lesquelles il s’est placé et qu’il regarde comme constituantun métier, hors duquel il est tout à fait incompétent. C’est là un grave inconvénient pour les maîtres, qui sont sans cesse obligés d’avoir recours, même dans les plus petites choses, à des hommes différents. De plus, cet usage les force à entretenir un nombre démesuré de serviteurs, et leur occasionne des dépenses disproportionnées avec leurs besoins. Aujourd’hui, grâce à l’exemple salutaire donné par le vice-roi et Ibrabim-Pacha, le luxe des domestiques a beaucoup diminué; on s’en tient au nécessaire.

Les musulmans ont des égards pour leurs domestiques; ils les nourrissent, les habillent et les payent. Il est vrai que le salaire qu’ils leur donnent est très-peu considérable. Les domestiques s’acquittent assez bien de leur besogne, qui d’ailleurs, divisée comme elle l’est, n’est ni très-difficile ni très-fatigante. Un domestique, chez nous, fait sans efforts le travail de quatre ou cinq Égyptiens. Souvent néanmoins la crainte seule d’une punition est capable de dompter leur indolence.

Jamais les hommes n’ont à leur service des domestiques femmes, ni les femmes des domestiques hommes; cet usage européen est l’une des particularités de nos mœurs qui scandalise le plus les musulmans.

Les domestiques égyptiens sont très-avides d’argent; ils ont l’habitude de demander des étrennes à toutes les personnes qui viennent visiter leurs maîtres, particulièrement les jours de féte. A mesure que l’on sort d’une maison ils accourent pour vous aider à monter sur votre cheval ou votre baudet, et tendent la main pour demander le petit don, qu’ils appellent baschich. Le baschich est un usage aussi fatigant et aussi vexatoire que la bona mano dans certaines provinces de l’Italie. Les domestiques égyptiens poussent si loin leurs exigences, qu’ils réclament le baschich non-seulement pour les services qu’eux ou leurs maîtres vous ont rendus, mais aussi pour ceux que vous leur rendez. Avez-vous fait un cadeau? Il faut donner l’étrenne à celui qui vient le chercher. Recevezvous à diner? Il faut gratifier dubaschich les domestiques de vos hôtes. Moi-même. médecin, après avoir fait une visite gratuite, je suis assailli par les domestiques de la maison que je quitte et forcé de jeter quelques pièces de monnaie à ces effrontés mendiants, si je veux me débarrasser de leurs cris importuns. Le vice-roi a donné des ordres sévères pour faire cesser cet abus; mais il est tellement enraciné dans les mœurs, qu’il ne sera pas facile de le détruire.

Les domestiques égyptiens sont du reste peu fidèles et peu scrupuleux; il faut se méfier de leur penchant au larcin.

Dans aucun pays musulman, il n’était permis aux chrétiens d’avoir des domestiques mahométans. On aurait regardé une infraction à cette loi comme un outrage à l’islamisme. L’Egypte seule a toujours fait exception à cet usage dicté par un grossier fanatisme. Il faut avouer que, sans la tolérance des Égyptiens à cet égard, les Européens qui habitent leur pays seraient fort embarrassés.