VI : L’épopée Nubelide

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Parmi ces chefferies, se dégage au milieu du IVè siècle une dynastie, que nous appellerons les Nubelides.

A : Le Royaume de Flavius Nuvel fils de Saturninus

Une dédicace nous a permis de connaître un certain Flavius Nuvel, fils de Flavius Saturninus, fils de Flavius Florus. Le nomen « Flavius » semble indiquer que son grand père a reçu la citoyenneté romaine sous Constantin ou ses successeurs. Il consacre, avec son épouse Monica (nom typiquement « maure », porté également par la mère de St Augustin d’Hippone, une contemporaine) et ses enfants une basilique de la Sainte Croix à Rusgunia, vieux port punique, à l’est d’Alger.

Le culte de la Sainte Croix étant typiquement post-constantinien, il révèle la conversion d’un aristocrate maure au christianisme, ou tout au moins, son désir de s’intégrer au culte romain désormais dominant.

Il est « ex préposé équestre des Jeunes Armés », c’est-à-dire, commandant militaire d’une troupe d’auxiliaire maures, son père Saturnin était lui « ex-Comte ». C’est-à-dire qu’il était un « ami » des Constantiniens, et leur représentant en Maurétanie.

Cette famille romanisée conserve à l’évidence une attache indigène en dépis du « cognomen » du grand père et du père, (Flore, Saturnin), le déclin de l’autorité romaine pourrait expliquer le « surnom » Nuvel/Nubel, typiquement « maure ».

Nous sommes donc en présence d’une dynastie de gouverneurs romains de culture maure, en partie chrétien.

On lui attribue notamment un mausolée qui s’inspire des traditions numides du Medracen des Aurès ou de la tombe de Juba II de Tipaza, il se situe en Kabylie côtière, non loin de l’église de la Sainte Croix. Il comporte notamment un symbole chrétien de poissons entourant un vase, un couloir circulaire permettait d’y réaliser des circambulations, selon le rite maure de vénérer les tombeaux des anciens et notamment des rois, nous y reviendrons.

B : La révolte de Firmus fils de Nubel :

On apprend chez l’historien Ammien Marcellin que « A la mort de Nubel, [vers 370]le plus puissant des « reguli » de Mauritanie » il « laissait plusieurs enfants tant de sa femme que de ses concubines. Zammac, l’un de ces derniers, qui avait la faveur du comte [d’Afrique] Romanus, fut tué en trahison par son frère Firmus, ce qui causa une rupture et la guerre, par suite des cabales du comte pour venger le meurtre de sa créature. »

Firmus, incapable de présenter ses arguments à Constantinople « finit par s’apercevoir des intrigues qui empêchaient sa défense d’être prise en considération ; et craignant de se voir, nonobstant ses bonnes raisons, traité en rebelle, il prit le parti de se constituer lui-même en insurrection ».

L’ensemble des Maurétanies Césariennes et Sétifiennes semble alors échapper à Rome, et même la Tunisie ne semble plus à l’abri de la constitution d’un royaume indépendant.

Le père du Grand Théodose, alors Préfet des Gaules, est chargé d’y remettre de l’ordre, en débarquant, il éloigne Romanus, fait arrêter son lieutenant, et s’associe Gildon, frère de Firmus, avant de prendre quartier général à Sétif.

C : L’empire Nubellide en Maurétanie Césarienne :

Le déroulé des évènements fait entrevoir un monde de petites tribus de type « kabyles » dans l’est de la maurétanie césariennes, directement vassales du Comte impérial, qui, lui, est associé avec un clan aristocratique à mi-chemin de la romanité et de la culture maure. Le clan nubelide est donc le sous-traitant local, le « roi fédéré ».

Dans les plaines, il agit en seigneur latifundiaire, et les fils du vieux Nubel s’y partagent les terres ; dans les montagnes, ils commandent aux tribus kabyles. Les frères les plus importants commandent en prince à de vastes régions, Mazuca à l’ouest, Firmus au centre et Sammac (Zammac ?) à l’est.

Ils entretiennent aussi des relations de clientèles plus éloignées avec les tribus « Mazices » en marge de l’Oranie, et leurs voisins « Bavares » qui persistent dans l’indépendance, mais aussi d’autres tribus aux noms moins prestigieux, peut-être d’autres sous-groupes « Baniures ».

Enfin, il maintient dans sa montagne d’origine, au sud du Tell, avec d’autres tribus de type kabyles (Iesalen, Isaflen, Iubalen), des relations de confraternité personnelles. La polygamie du vieux Flavius Nuvel explique aussi en partie la guerre intra-clanique, les sources antiques rappellent régulièrement les coutumes matrimoniales multiples des princes maures, et la faiblesse des liens conjugaux.

D : La campagne de Théodose contre l’empire de Firmus :

Théodose opte pour la stratégie du pillage des vastes territoires « indigènes », s’alliant ainsi les grands propriétaires romains latifundiaires. Il réunit les troupes romaines et auxiliaires et marche sur la Kabylie où il écrase « les tribus des Tyndenses et des Massissenses, qui ne sont armées qu’à la légère, et que commandaient Mascizel et Dius, frères de Firmus ».

Il s’agit de petits groupes de berbères montagnards, mais dont on s’aperçoit qu’ils sont immédiatement dirigés par des membres de la « famille royale ».

Dius, au cognomen romain, disparaît du récit, mais Mascizel, au cognomen maure, se replie, il attaquera à nouveau ayant « recruté dans diverses tribus »

Théodose est alors affairé en amont de Béjaia à détruire le château de Pétra de leur frère Salmaces. Les archéologues y ont retrouvé une belle dédicaces mentionnant un certain Sammac, peut être s’agit-il du même frère qui était allié de Romanus.

Il traverse la Kabylie, puis obtient, la soumission de Firmus, qui lui remet des otages issus de la famille Nubelide et des « Amghars » locaux. Il livre Alger, Tipaza, puis Théodose prend position à Césarée, dont on apprend qu’elle n’est plus que ruines. Ici, on voit réapparaître nos Mazices orientaux, qui vivent à l’ouest de l’Algérois, ils ont envoyé des députés demander pardon à Rome, qui le leur refuse.

On découvre alors que non seulement le prince Mazive (Mazice ?) Belles a rallié le royaume Nubellide, mais qu’il a aussi pu compter sur un Préfet, Férice, et sur l’infanterie « Constantinienne » et les archers des cohortes de Césariennes. Finalement, le général romain marche sur l’Algérois occidental où il détruit la tribu de ces « Amazigh ». Puis il écrase les tribus Musones et d’autres groupes recrutés par la sœur de Firmus, Cyria, à grand frais de cadeaux sonnants et trébuchants, et ravage le domaine de Mazuca, principal frère et allié de Firmus pour la vallée du Chellif.

E : La réduction des tribus Nubellides

Théodose, qui a rengagé les Mazices comme auxiliaires, envoie « d’habiles émissaires […pour] parcour[ir] en son nom le pays des Baiures, des Cantauriens, des Avastomates, des Cafaves, des Bavares et autres tribus circonvoisines, employant, pour obtenir leur concours tantôt l’argent, tantôt les menaces, et tantôt la promesse du pardon des excès précédemment commis ». On retrouve ici les Baiures et les Bavares, tribus périphériques, qu’un rien peut associer soit à Rome, soit aux mauro-romains de Nubel.

Car, cependant, le général n’en a pas fini avec Firmus et Mazuca, qui ont tenté lui de rallier les peuples de l’Atlas Saharien, et même les « éthiopiens » des oasis sahariennes, que Théodose parvient à vaincre. Ils se replient alors dans leur pays d’origine à 100 milles au sud d’Alger, là-bas, il est protégé par les « Amghars » (reguli) des tribus « Iesalen » et « Isaflen » et par sa propre tribu, les Iubalen. On apprend ainsi que notre famille de Maures romanisés est aussi en propre Amghar d’une tribu relativement excentrée et peu importante.

Après de nombreuses batailles et tractations, Igmaken, roitelet le plus respecté de ces montagnes décide d’accepter l’alliance romaine et, après une rencontre avec le Prince des Mazices, Massila, finit par livrer Firmus, qui se suicide.

F : Révolte de Gildon fils de Nubel, comte d’Afrique :

Finalement, Théodose remet à Gildon (Gellid : « le roi »), le propre demi-frère du rebelle, les rênes de la Maurétanie, puis en 385, de l’Afrique entière, l’ensemble continental maghrébin, preuve de la réussite du clan, en dépit de l’échec personnel de Firmus.

Gildon tente à son tour de se séparer de Rome, en prêtant hommage à Arcadius, Auguste de Byzance, contre Honorius, Prince d’Occident. Il se fait finalement acclamer Augustus à Carthage, en 393.

Le panégyriste Claudien évoque la grande campagne commandée par Stilikon, régent d’Honorius, celui-ci sous-traite l’expédition à Mascizel, celui-là même qui, sans doute, 20 ans plus tôt, commandait pour Firmus aux Kabyles.

A en croire Saint Augustin, citoyen mauro-romain d’Hippo Regius, en Numidie, Gildon obtient le soutient des donatistes (extrêmistes chrétiens refusant la réintégration des prêtres ayant abjuré sous la Tétrarchie), contre les orthodoxes. Déjà Firmus avait fait appel aux évêques comme intermédiaire entre lui et Théodose lors de sa première tentative de réconciliation. En 398, Gildon est mis à mort à Tabarka sur la côte tunisienne, et ses frères Dius et Mascizel sont éliminés peu après, afin d’éviter la résurgence du clan Nubellide.

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