Plutarque, Vie de Pompée, En Mer rouge à la poursuite de Mithridate, Caton à Antioche, v. 100 n-è

Pendant son séjour dans cette ville, il conçut le plus violent désir de reconquérir la Syrie et de pénétrer par l’Arabie jusqu’à la mer Rouge, afin d’avoir de tous côtés, pour bornes de ses conquêtes, l’Océan, qui environne la terre.

En Afrique, il était le premier qui se fût ouvert par ses victoires, un chemin jusqu’à la mer extérieure (Atlantique) ; en Espagne, il avait donné la mer Atlantique pour borne à l’empire romain ; et tout récemment encore, en poursuivant les Albaniens, il s’était approché de bien près de la mer d’Hyrcanie (Caspienne).

Il partit donc dans la résolution de faire le tour de la mer Rouge ; car il voyait que Mithridate était difficile à suivre à main armée, et plus dangereux dans sa fuite que dans sa résistance. […]

Pompée, après avoir soumis, par son lieutenant Afranius, les Arabes qui habitent autour du mont Amanus, descendit dans la Syrie ; et, comme elle n’avait pas de rois légitimes, il en fit une province romaine. Il subjugua la Judée et fit prisonnier le roi Aristobule ; il y fonda quelques villes, rendit la liberté à d’autres et punit les tyrans qui en avaient usurpé l’autorité.

Mais il s’y occupa surtout de rendre la justice, de concilier les différends des villes et des rois; et quand il ne pouvait s’y transporter en personne, il y envoyait ses amis : c’est ce qu’il fit en particulier pour les Arméniens et les Parthes qui se disputaient quelque province ; ils s’en rapportèrent à sa décision, et il leur envoya trois arbitres pour juger leurs prétentions respectives, car l’opinion qu’on avait de sa justice et de sa douceur égalait celle de sa puissance ; c’était même par là qu’il couvrait la plupart des fautes de ses amis et de ceux qui avaient sa confiance ; trop faible pour les empêcher de les commettre ou pour les en punir, il montrait une si grande douceur à ceux qui venaient se plaindre, qu’il leur faisait supporter patiemment l’avarice et la dureté de ses agents.

Démétrius, son affranchi, était de tous ses domestiques celui qui avait le plus de crédit auprès de son maître ; il était jeune et ne manquait pas d’esprit, mais il abusait de sa fortune.

On raconte à ce sujet que Caton le philosophe, qui dans sa jeunesse même avait déjà une grande réputation de sagesse et de grandeur d’âme, alla voir la ville d’Antioche, pendant que Pompée en était absent. Il marchait à pied, selon sa coutume, et ses amis le suivaient à cheval. En arrivant aux portes de la ville, il vit une foule de gens vêtus de robes blanches, et des deux côtés du chemin de jeunes garçons et des enfants rangés en haie.

Caton, qui crut que tous ces préparatifs étaient faits pour lui et qu’on venait par honneur au-devant de lui, en fut très mécontent, car il ne voulait aucune cérémonie. Il ordonna donc à ses amis de descendre de cheval et de l’accompagner à pied. Lorsqu’ils eurent joint cette troupe, celui qui réglait la fête et qui avait placé tout le monde, étant venu au-devant d’eux, avec une verge à la main et une couronne sur la tête, leur demanda où ils avaient laissé Démétrius et à quelle heure il arriverait.

Les amis de Caton éclatèrent de rire : « O malheureuse ville ! » s’écria Caton; et il continua sa route sans rien ajouter. Il est vrai que Pompée lui-même adoucissait la haine qu’on portait à son affranchi, par la patience avec laquelle il souffrait son audace sans jamais se fâcher. On assure que souvent Pompée attendait les convives qu’il avait priés à souper, afin de les recevoir, pendant que Démétrius était déjà assis à table et qu’il avait sur sa tête son bonnet insolemment enfoncé jusqu’au-dessous des oreilles.