Michel (Mikâ’îl) le Syrien, Rapporte les légendes de la Première Croisade, v. 1175

Dans ce temps, et tandis que les Turcs dominaient à Jérusalem et sur tout le littoral, un chef nommé Saint-Gilles vint visiter la Cité sainte. On perçut de lui un tahégan comme de chaque pèlerin, puis les infidèles voulurent exiger de force ce qui lui restait, et, comme il refusait de le leur livrer, ils le frappèrent sur la tête et lui arrachèrent l’oeil droit. Saint-Gilles, l’ayant recueilli, le mit dans sa poche, l’emporta à Rome; puis, allant le montrer en tous lieux, il excitait chacun à la vengeance. Les chrétiens quittèrent leur pays avec leurs comtes, et sous la conduite de leurs chefs; des troupes nombreuses se joignirent à eux. Ils se rendirent à Constantinople et assiégèrent cette ville pendant sept ans.
La septième année, un tremblement de terre se fit sentir à Antioche. Dans les ruines d’une tour qui s’écroula de fond en comble, on découvrit des figures en bronze montées sur des chevaux de la même matière, lesquelles avaient la forme et la ressemblance des Francs. Elles furent apportées à l’émir, et il rassembla les habitants pour voir ce que cela signifiait. Quelques-uns dirent que c’étaient des idoles remontant aux anciens temps. L’émir commanda de les casser et d’en disperser les fragments; cet ordre fut exécuté. Une femme très âgée et qui avait perdu la vue, ayant eu connaissance de cette découverte, prétendit que c’était un talisman fabriqué à l’aide de moyens magiques par les Grecs, pour empêcher l’arrivée des Francs qui habitaient au delà de la mer. «Car, dit-elle, vous avez « remarqué que ces figures étaient liées par des chaînes de fer. » L’émir, instruit de ce propos, eut beaucoup de regrets de ce qu’on les avait détruites.
Les croisés, ayant pris tout à coup Constantinople, traversèrent la mer, se portèrent sur Antioche et s’en rendirent maîtres. Ils avaient à leur tête neuf chefs; deux étaient d’extraction royale, et se nommaient Bohémond et Tancrède; sept avaient le rang de comtes, et s’appelaient Roger, Raymond, Josselin, Waléran, Godefroy, Salguès et Richard.
Le gouverneur d’Edesse, Théodore [Thoros], à qui l’Arménien Philarète avait confié cette ville, fit dire aux croisés d’envoyer un des leurs pour en prendre possession. Ce message les remplit de joie, et ils s’écrièrent: «Sois béni, ô Christ «notre Dieu; la première ville qui a cru en toi est Edesse; c’est dans ses murs ” que tu as régné pour la première fois, par la conversion du roi d’Arménie [Abgar], « et ensuite à Jérusalem. Maintenant tu nous as livré cette ville tout d’abord, comme » un gage que tu nous donneras Jérusalem, afin que tu règnes, Seigneur, désormais, avec ceux qui croient en toi. »