Guillaume de Tyr, Evêchés et Histoire d’Heraclius et Haroun ar-Rashid, v. 1170

On peut s’en assurer en examinant le catalogue des évêques suffragants qui ressortissaient à l’église d’Antioche.

Voici ce qu’on y trouve :

I : Tyr, sous lequel sont 13 évêchés : Bas-Liban-Jourdain

II : Tarse, sous lequel 5 évêchés : Cilicie

III : Edesse, sous lequel 10 évêchés : Jazîra Occ

IV : Apamée, avec 7 évêchés : Ghâb

V : Hiérapolis, avec 8 évêchés : Osrhoène

VI : Bostrum, avec 19 évêchés : Hawrân-Decapole-Gawlân

VII : Anavarse,(sic) avec 9 évêchés : Cilicie

VIII : Séleucie, avec 24 évêchés : (Ctésiphon ?)

IX : Damas, avec 10 évêchés : Anti-Liban

X : Amida avec 7 évêchés : Nord-Jazîra (Dyâr Bakr)

XI : Sergiopolis, avec 4 évêchés : Sud-Jazîra : Dyâr Mudâr

XII : Théodosiopolis avec 7 évêchés : Jazîra centrale

XIII : Emèse, avec 4 évêchés : Oronte central

8 Métropolitains indépendants et 12 archevêques.

[…]

On lit dans les histoires anciennes, et les traditions des Orientaux rapportent également, qu’au temps où l’empereur Héraclius gouvernait l’Empire romain, la doctrine empestée de Mahomet, ce premier-né de Satan, qui s’était dit faussement prophète envoyé par le Seigneur, et avait séduit les contrées de l’Orient et principalement de l’Arabie, s’était déjà répandue de tous côtés: en même temps toutes les provinces de l’Empire étaient tombées dans un tel état de langueur et de faiblesse que les successeurs de Mahomet, renonçant aux exhortations et à la prédication, n’employaient plus que le fer et la violence pour imposer aux peuples leurs erreurs.

L’empereur Héraclius, revenant victorieux de son expédition en Perse et rapportant en triomphe la croix du Seigneur, s’était arrêté en Syrie: il avait ordonné à Modeste, homme vénérable qu’il venait de nommer évêque de Jérusalem, de faire relever les églises que le méchant satrape de Perse, Cosroé, avait renversées,et s’était chargé de pourvoir à toutes les dépenses de leur restauration.

Omar, fils de Catab, troisième successeur du séducteur Mahomet, héritier de ses erreurs et de son royaume, et suivi de troupes innombrables d’Arabes, avait déjà occupé de vive force la belle ville de Gaza en Palestine. De là, ayant franchi les frontières du pays de Damas, avec ses légions et la multitude de peuple qu’il traînait à sa suite, il avait mis le siège devant Damas, tandis que l’empereur attendait encore en Cilicie l’issue de cette entreprise.

Lorsqu’on annonça à celui-ci que les Arabes, enflés d’orgueil et se confiant en leur nombre, ne craignaient pas même d’envahir les frontières de l’Empire et de s’emparer des villes qui lui appartenaient, l’empereur reconnaissant qu’il n’avait point assez de troupes pour s’opposer à de si nombreuses bandes et réprimer leur insolence,prit le parti de se retirer en sûreté chez lui, pour ne pas se livrer aux chances incertaines de la guerre, avec des forces aussi disproportionnées.

Celui qui était tenu de prêter son assistance aux citoyens affligés s’étant ainsi retiré, la violence des Arabes ne fît que s’accroître et en peu de temps ils occupèrent tous les pays qui s’étendent depuis Laodicée de Syrie jusqu’en Egypte.

[…]

Peu d’années auparavant, le même Cosroé, dont je viens de parler, était entré à main armée en Syrie, renversant les villes, portant le fer et le feu dans les campagnes, détruisant les églises et réduisant les peuples en captivité: les portes de la ville sainte avaient été brisées, trente-six mille citoyens y avaient péri sous le glaive de l’ennemi qui, en se retirant, avait transporté en Perse la croix du Seigneur et emmené l’évêque Zacharie, suivi des débris de toute la population, tant de la cité que de tout le pays environnant.

Ce très puissant roi de Perse épousa Marie fille de l’empereur Maurice : en faveur de ce mariage, le roi reçut le sacrement de régénération et demeura ami intime des Romains, tant que vécut l’empereur son beau père.

Celui-ci ayant été traîtreusement assassiné par le César Phocas, qui lui succéda dans l’Empire, le roi des Perses ayant en horreur la perfidie de ceux qui souffraient la domination d’un homme si criminel, encore couvert du sang de son maître, s’avouant ainsi en quelque sorte coupables avec lui d’une alliance secrète, et se sentant complices de son forfait, médita, à l’instigation de sa femme, de venger la mort de son beau-père; il entra à main armée sur le territoire de l’Empire, et répandit partout ses fureurs: après avoir subjugué les autres contrées soumises à la domination romaine, il occupa enfin la Syrie, ainsi que nous l’avons dit plus haut, et détruisit la population soit par le fer, soit en emmenant de nombreux captifs en Perse.

Les Arabes entrés en Syrie et la trouvant dépeuplée, saisirent cette facile occasion de s’en rendre maîtres. La ville chérie de Dieu, Jérusalem, fut en proie aux mêmes calamités; ils épargnèrent la faible population qui s’y trouvait encore, pour la rendre tributaire à des conditions très onéreuses, et lui permirent d’avoir son évêque, de rebâtir l’église qui avait été renversée, et de continuer à pratiquer librement la religion chrétienne.

L’empereur Héraclius, lorsqu’il s’arrêta dans cette ville, ainsi que je l’ai rapporté, s’informa avec grand soin auprès de tous les citoyens, et en particulier auprès d’un homme vénérable, Sophronius, alors évêque (qui venait de succéder à Modeste de pieuse mémoire), du lieu même où avait été le temple du Seigneur, que le prince romain Titus avait détruit en même temps que la ville.

On lui en fit voir l’emplacement, où l’on reconnaissait encore quelques vestiges de cet antique monument: l’empereur en ordonna la reconstruction et assigna des fonds suffisants pour la dépense ; on convoqua des ouvriers, on rassembla une grande quantité de matériaux, des marbres et des bois de toute espèce. Cet ouvrage fut heureusement terminé en peu de temps, selon les intentions du fondateur, et tel qu’on le voit encore aujourd’hui à Jérusalem: l’empereur le dota d’un nombre infini de possessions, afin que ceux qui seraient chargés du service du temple eussent toutes les ressources convenables pour conserver à perpétuité les toitures dans le même état, pour renouveler tout ce qui viendrait à vieillir, et pour entretenir les luminaires.

Presque tout le monde sait quelle est la forme de ce temple, on connaît l’élégance du travail, en sorte qu’il n’est pas nécessaire que j’en parle en détail. On trouve encore dans cet édifice, intérieurement et au dehors, des monuments très anciens, en lettres de l’idiome arabe, à la façon des mosaïques, et l’on croit que ces monuments remontent à l’époque de la construction: ils font connaître avec certitude quel en fut l’auteur, quelles sommes on y dépensa, en quelle année commença le travail et en quelle année il fut terminé.

La ville agréable et spécialement consacrée à Dieu se trouvant ainsi, en expiation de nos péchés, soumise à la domination des infidèles, subit pendant 490 ans le joug d’une injuste servitude, et fut travaillée de souffrances continuelles, cependant avec de grandes vicissitudes. Elle changea fréquemment de maîtres, par suite de l’extrême mobilité des événements; suivant les dispositions de chacun d’eux, elle eut quelquefois des intervalles lucides, d’autres fois des jours chargés de nuages, et, comme un malade, elle était oppressée ou respirait plus librement, selon l’état du temps. Il était impossible qu’elle ne se relevât jamais complètement, tant qu’elle avait à gémir sous la domination violente des princes infidèles et d’un peuple qui n’avait pas de Dieu.

La nation du Seigneur recouvra cependant la tranquillité du vivant de cet homme admirable et digne de louanges, Haroun, surnommé Raschid, qui gouverna tout l’Orient, dont aujourd’hui encore tout l’Orient admire la libéralité, l’extrême douceur, les mœurs singulièrement recommandables, et qu’il célèbre par des éloges immortels.

Ces bons traitements étaient dus à l’intervention d’un homme très pieux et d’immortelle mémoire, l’empereur Charles. Ces deux souverains s’adressaient mutuellement de fréquents messages; ils vécurent constamment en bonne intelligence, et consolidèrent leur amitié par un traité admirable.

Cette faveur de leur prince fut pour les habitants de Jérusalem une source de grandes consolations, si bien qu’on eût dit qu’ils vivaient sous la domination de l’empereur Charles; plus que sous celle de leur souverain. Voici ce qu’on lit dans la vie glorieuse de cet homme:

« Il fut lié d’une amitié si intime avec Harun, roi des Perses, qui gouvernait tout l’Orient, à l’exception de l’Inde, que celui-ci préférait ses bonnes grâces à la bienveillance de tous les rois et princes du monde, et le jugeait seul digne de ses respects et des actes de sa munificence. Aussi, lorsque les ambassadeurs que Charles avait envoyés avec des présents au sépulcre très sacré de Notre-Seigneur et Sauveur, et au lieu même de la résurrection, furent arrivés chez Harun, et lui eurent fait part du désir de leur maître, non seulement il permit de faire ce qu’on lui demandait, mais même il voulut que le lieu sacré, berceau du salut, fût placé sous l’autorité de Charles: lorsque les ambassadeurs repartirent, Harun leur adjoignit les siens, et envoya à Charles de superbes présents en vêtements, en aromates et en toutes les richesses que produit la terre de l’Orient. Peu d’années avant, il lui avait envoyé un éléphant, que Charles lui avait demandé, le seul qu’il eût en ce moment.

Charles consolait fréquemment par ses largesses et par ses couvres pieuses non seulement ceux des fidèles qui vivaient à Jérusalem sous la domination des infidèles, mais encore ceux qui, en Égypte et en Afrique, étaient soumis aux impies Sarrasins. On lit dans sa vie le passage suivant: « Plein de zèle pour le soulagement des pauvres, il prenait soin de répandre ses libéralités, que les Grecs ont appelées (aumônes), non seulement dans sa patrie et dans son royaume, mais encore au-delà des mers, en Syrie, en Égypte, en Afrique, à Jérusalem, à Alexandrie, à Carthage; partout où il parvenait à découvrir des Chrétiens vivant dans la pauvreté, il prenait compassion de leurs maux, et leur envoyait souvent de l’argent. Il recherchait l’amitié des rois d’outre-mer, surtout dans l’intention que les Chrétiens soumis à leur domination pussent obtenir quelque soulagement et quelques secours ».

[…]