87. HISTOIRE D’HÉRACLIUS ROI DES ROMAINS AVEC ḪOSRŌ
Lorsque Ḫosrō eut empoisonné par ruse et fait mourir An-Nu‘mān b. Al-Mundhir, roi des Arabes, et son fils, tous les Arabes qui se trouvaientdans les deux empires des Perses et des Romains se révoltèrent. Ils se dispersaient, chacun d’eux agissant selon sa fantaisie : ce qui causa bien démêlés entre Héraclius et Ḫosrō.
Les Arabes devinrent mêmepuissants et ne cessèrent de troubler les pays jusqu’à l’apparition du Législateur de l’Islam.
Ḫosrō avait envoyé depuis quelque temps dans les provinces grecques voisines Šahryon, le général de son armée, qui s’était emparé pendant ce temps de plusieurs villes et y avait laissé la trace de son passage. Puis Ḫosrō apprit que son général l’avait blâmé et méprisé en présence de l’armée. La cause du changement de Sahryon (Šahrbarz) à l’égard de Ḫosrō, et de sa rébellion, est que sa fille, un jour qu’elle traversait Séleucie avec ses servantes, avait été insultée par Samta b. Yazdin le chrétien ; elle écrivit à son père pour lui raconter la chose. Celui-ci écrivit alors à Ḫosrō pour lui demander s’il pouvait tirer vengeance de Samta, et compter sur lui pour défendre son honneur devant les Romains. Il ne fit pas cas de sa demande.
Alors éclata entre eux cette inimitié. Ḫosrō écrivit à l’un de ses généraux nommé Fardengan de tuer par ruse Sahryon. Les messagers, en approchant de la région de Khalatya, furent surpris par les Romains, qui les amenèrent à Héraclius. Celui-ci apprit le but de leur mission ; il écrivit alors à Sahryon de venir le trouver : il aurait la vie sauve. Celui-ci, voyant la sincérité de l’empereur, alla le trouver. Il connut alors la lettre de Ḫosrō qui le visait. Il en conçut aussitôt mi vif ressentiment; il pria Héraclius de lui pardonner le passé ; il implora sa protection et lui demanda pourquoi il s’abstenait d’attaquer les Perses et de les pourchasser.
« Je m’en suis préoccupé, répondit l’empereur, bien des fois ; j’avais même préparé l’expédition ; mais j’ai eu un songe : Ḫosrō monté sur un éléphant s’élançait contre moi, et chaque fois il me frappait, et chaque fois je prenais la fuite ; aussi par compassion pour l’armée, je me suis abstenu de l’envoyer contre les Perses, les laissant ainsi s’emparer des provinces romaines. »
Puis le général Fardengan et ic’ahryon adoptèrent ensemble le parti de le roi des Romains ; il leur fit jurer qu’ils lui donneraient loyalement leurs conseils ; il leur donna un sauf-conduit, et leur désigna un endroit pour y demeurer. Puis il commença à préparer l’expédition contre Ḫosrō, ayant vu dans un songe que, monté sur un éléphant, il attaquait Ḫosrō et que celui-ci fuyait devant lui. Il sut ainsi que Dieu le ferait triompher de son adversaire ; il sortit avec son armée, se dirigeant sur Ḫosrō. Il gagna l’Arménie avançant toujours, et reprenant les villes romaines dont les Perses s’étaient emparés, et y établissant une petite garnison, jusqu’à ce qu’il
arrivât à Mossoul. Lorsque Ḫosrō apprit ces événements, il envoya contre lui son armée ; mais une partie de ses soldats furent tués, et les autres prirent la fuite. Il envoya alors contre Héraclius Rozbihan le général de ses armées, qui le rencontra sur le Grand Zab ; la bataille fut acharnée entre les deux armées. Rozbihan fut tué ; on pilla tout ce qui se trouvait dans son camp. Les Romains continuèrent leur marche, ils arrivèrent à Sahrzor en démolissant les pyrées, à Beyt Garmay et dans la région de Ninive. Étant arives à Daskara’ où se trouvait Ḫosrō, celui-ci, craignant de tomber entre leurs mains, fit lever le camp et se retira avec ses armées, négligeant
d’emporter ce qu’il avait avec lui. Les hommes abandonèrent leurs biens et tout ce qu’ils avaient avec eux et le rejoignirent. Ḫosrō, plein d’inquiétude, continua sa marche se transportant d’un endroit à un autre, abandonnant ses richesses jetées à terre, sans qu’il se trouvât persone pour les prendre ; il arriva ainsi à Séleucie. On coupa les ponts qui étaient sur le Nahrwan pour
empêcher les Romains de paser. Héraclius entra avec son armée à Daskara, où ils s’emparèrent de tout ce que Ḫosrō avait abandonné et prirent tout ce qu’ils désirèrent. Puis ils se dirigèrent vers le Nahrwan pour le traverser.
Ayant vu que les ponts étaient coupés, et que le passage à gué était impossible, ils retournèrent à Nisibe chargés de butin.
88.HISTOIRE DES ÉVÊQUES JACOBITES ET DES SIÈGES NOUVEAUXQU’ILS ÉTABLIRENT DU TEMPS DE LEUR PATRIARCHE ATHANASE ; HISTOIRE DECELUI-CI AVEC LE ROI GREC.
Après la mort du patriarche des jacobites, on le remplaça par Julien, qui mourut après avoir occupé son siège pendant 5 ans. Athanase, appelé al-Jamal, lui succéda. Les Jacobites n’avaient point dans l’empire perse de sièges connus, où ils pussent établir des évêques, parce que depuis que le roi Justinien les avait chassés, ils erraient à l’aventure.
Athanase devint leur chef en la 34° année de Ḫosrō qui est la 936ème d’Alexandre (625) et la troisième de l’apparition du législateur de l’Islam dans sa ville (que la paix soit sur lui ).
Ils se réunirent dans le couvent de Mattay dans la région de Ninive, où ils établirent les sièges. Le premier siège fut celui de Tagrit, pour lequel ils ordonnèrent un métropolitain, appelé Maroutha ; le deuxième, Beyt ‘Arabāyē ; le troisième, Sinjar ; 4° Beyt Nouhadra ; 5° Arzun ; 6° Marga ; 7° Ba-raman et Ba-wazij ; 8° les bords du Tigre ; 9° la Mésopotamie et le Baḥrayn ; 10° ‘Ana et les Bani Taghlib, peuples nomades.
Le patriarche Athanase anathématisa quiconque combattrait cette hiérarchie, et il dit :
« J’institue le métropolitain de Tagrit mon vicaire dans l’empire persan. »
Héraclius, à son retour de la Perse, s’étant rendu à Mabboug Athanase, patriarche des Jacobites, sortit à sa rencontre pour le saluer. Le roi l’honora et alla avec lui à l’église pour recevoir les oblations :
« A qui sont, lui dit-il, cet autel et les oblations qui y sont déposées ?
-Cet autel, lui répondit Athanase, est à Dieu et les oblations qui s’ y trouvent sont le corps de Dieu et son sang. Alors, lui dit Héraclius, ne les reçois pas, car il ne se mêlera point avec le corps de Dieu ni avec son sang. »
Athanase craignit de lui répondre, parce qu’il venait de confesser que l’autel et ce qui était sur l’autel, c’était à Dieu ; il ne put donc se dédire en niant sa parole, et il craignait d’être chassé par ses partisans s’il venait à affirmer la croyance des Romains. Le roi insista dans sa demande, pour lui arracher une réponse; il répondit à la fin :
« Si tu juges convenable d’annuler le concile de Chalcédoine, qui a confessé 2 natures dans le Christ, moi aussi je ne m’empêcherai pas d’avoir une opinion différente. »
Alors Héraclius éleva la voix contre lui ; le patriarche sortit aussitôt de l’église et s’enfuit en Phénicie, où il resta jusqu’à ce que le roi quittât Mabboug.
Il fut patriarche pendant 11 ans ; il fut remplacé par son disciple Jean qui mit en recueil leurs prières.
89. CAUSE DE LA. PROPAGATION DES JACOBITESDANS L’EMPIRE PERSAN
Quand Sahrir revint du pays des Romains pour occuper le trône à Séleucie, il fut accompagné de plusieurs négociants de Šām. Les Arméniens lui prêtèrent main-forte, et se joignirent aux Romains qui étaient avec lui. Or, lorsque Sahrir fut tué et que la situation en Perse fut troublée, ils ne purent plus retourner au pays des Romains ; ils étaient 900, appartenant à la secte des Jacobites. Ils allèrent en Khorasan, d’où ils se dispersèrent en Sijistan, à Hérat et en Gorgan ; ceux qui s’établirent en Sijistan étaient arméniens. Ils y bâtirent une église, où ils priaient en arménien. Après la disparition de l’empire des Perses, comme ils s’étaient multipliés par la génération, ils préférèrent rester où ils étaient.
Le patriarche Jean s’occupa d’eux et ordonna des évêques pour ces régions éloignées ; c’est ainsi qu’ils eurent ces sièges en Khorasan.
90. HISTOIRE DE BABAY LE SCRIBE
Après la mort d’An-Nu‘mān b. al-Mundhir, roi des Arabes, et de sesenfants, Ḫosrō envoya à Ḥīra un général apelé Baboular; celui-ci,n’ayant pu y rester à cause des Arabes qui y étaient devenus très forts, laquitta et envoya à sa place un certain Marzban, nomé Rozbi b. Marzūq.
Celui-ci habita une forterese apelée Jafna dans le désert de Ḥīra, gardantles frontières de l’empire de Perse et combattant les Arabes du désert.
Il avait un scribe nommé Babay, d’un village voisin de Ḥīra. Un jour le marzban alla à la chasse avec Babay ; arrivés à un endroit apelé Qatqatâna, Babay rencontra un moine dans une grotte ; il entra chez lui pour le saluer ; le moine l’excita par ses paroles à embrasser la vie monastique. De retour à sa demeure, il distribua ses biens ; il quitta la maison sans que personne s’en aperçût et alla habiter avec le cénobite qui lui fit prendre l’habit monastique. Il fut rempli de la grâce divine. Dieu lui accorda le don de conaître les ruses du démon, et la force de lui faire la guerre. Il resta constament auprès de ce saint moine jusqu’à ce que celui-ci mourût. Après l’avoir enseveli, il alla au désert où se trouve le couvent de Beyt Halé tout près de l’endroit appelé Fila ; il s’y fit une grotte où il habita. Longtemps après, les chasseurs l’ayant vu dans cet endroit, rapportèrent à son maître son histoire. Son maître se rendit à sa grotte pour lui demander de retourner à son ancien état ; mais il s’y refusa. Le Marzban admira la fermeté avec laquelle il supportait la solitude et la privation des délices auxquelles il était jadis accoutumé ; il lui offrit de l’argent pour le distribuer aux pauvres, en le priant de renoncer à ses mortifications en retournant à son ancien genre de vie ; mais le Saint refusa. Puis son maître, étant tombé un jour malade, lui envoya quelqu’un pour l’en informer. Le Saint fit alors le signe de la croix sur l’eau et passa le fleuve à pied ; et, étant arrivé auprès de lui, il le frotta avec la main et lui obtint de Dieu la guérison.
Dieu révéla à ce Saint comment Rabban Khoudahwi réunirait des moines dans ce désert. Il ne cessait de sortir de sa grotte pour se rendre à l’endroit
appelé Beyt Ḥalē, où il clamait à haute voix et à plusieurs reprises :
« Venez, ô hommes, venez embrasser la vie monastique. »
Son disciple Mar `Abda lui ayant demandé qui était Khoudahwi, et où il était :
« Il est encore, lui dit-il, dans les reins de son père. »
Lors de l’expansion des dissidents aux jours de Gabriel as-Sinjarī, un groupe d’entre eux alla à Ḥīra, où ils disaient : « La vraie doctrine est avec nous. » L’évêque de Ḥīra (Sabr-Īšō‘), envoya alors quelqu’un à ce Babay et à son disciple Mar `Abda pour les informer du trouble qui venait de se produire.
Ils se rendirent à Ḥīra où ils assistèrent à la réunion que les habitants avaient formée. Les deux moines demandèrent qu’on amenât un enfant qui n’eût pas encore appris à parler, et ils lui parlèrent ainsi :
« Au nom de qui as-tu été baptisé ? »
A l’instant Dieu délia la langue de l’enfant ; il répondit :
« J’ai été baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; le Christ est Dieu parfait et homme parfait ; il y a en lui deux natures et deux hypostases ; Fils unique, véritable, vivificateur de tout, et seul Christ. »
Mar Babay s’écria alors :
« La croyance que cet enfant vient d’affirmer, c’est la mienne. »
Les habitants, émerveillés de voir s’exprimer de la sorte un enfant qui n’avait jamais parlé, et qui n’avait pas encore de raison, remercièrent Dieu d’avoir exaucé la prière du Saint ; ils chassèrent les dissidents de leur pays, et abandonnèrent les idées qu’ils avaient professées.
Mar Babay mourut à l’âge de 130 ans et fut inhumé dans sa grotte.
Mar `Abda b. Ḥanif et Rabban Khoudahwi le transportèrent, plus tard, et l’ensevelirent dans l’église du couvent de Marré, qui avait été édifié sous le vocable de Mar `Abda l’Ancien.
Par ses prières, le Marzban. Rozbi triompha des armées arabes et échappa aux pièges où Ḫosrō voulait le faire tomber. Il composa un livre sur l’exercice de l’autorité. Deux ans après sa mort fut bâti le couvent de Beith Hâlé. Que ses prières et celles de son disciple nous gardent, nous
assistent et nous conservent, Amen.
91. HISTOIRE ET DÉBUT DE MAR ‘ABDA L’ANCIEN, DISCIPLEDE MAR BABAY
Ce Saint était mazdéen, originaire d’un village des environs de Ḥīra. Ayant vu des chrétiens aller la nuit de Pâques au couvent de Mar Sergius à Ḥīra, pour le baptême, (il s’y rendit avec eux). Dieu (que son nom soit exalté) lui ouvrit les yeux de l’esprit, pour l’élire et le délivrer de la croyance impure des mazdéens. Il vit les anges mettre des couronnes de lumière sur la tête de ceux qui sortaient des fonts du baptême, et les vêtir d’habits d’une blancheur éclatante. Il se dépouilla aussitôt de ses habits et reçut le baptême.
Il alla à l’école de Ḥīra, où il demeura quelque temps à s’instruire. Puis il se retira auprès de Mar Babay le Scribe, dont il a été fait mention plus haut, il reçut de lui le baptême et se fit son disciple. Ils recevaient ensemble les oblations. Dieu lui accorda le don de connaître sans aucune peine le contenu des Écritures, comme il l’avait accordé aux Apôtres. Le froid rigoureux et la chaleur étouffante de ce désert amaigrirent son corps.
L’ange de Dieu lui apparut et lui dit :
« Voici qu’un jeune homme de Ḥīra se rendra auprès de toi pour te servir ; il faut que tu changes son nom et que tu l’appelles Mar ‘Abda de ton nom. »
A ce moment vint le trouver Mar ‘Abda b. Ḥanif, le futur fondateur du couvent de Gamra ; il habita la même grotte que lui, le servant comme Élisée avait servi Élie. Un jour, un lion attaqua les chasseurs qui étaient arrivés tout près de sa grotte, et se jeta sur l’un d’entre eux. Ses compagnons coururent auprès de Mar ‘Abda et lui dirent ce qui se passait ; il sortit alors de sa grotte et délivra le chasseur du lion ; il lui donna de l’huile avec laquelle il oignit ses blessures ; et au bout de deux jours Dieu le Très-Haut le guérit. Il remercia Dieu et le glorifia.
Il a été dit qu’il accompagna Mar Babay à Ḥīra lors de la réunion des Jacobites dans cette ville. Il mourut à un âge avancé. Quand Rabban Khoudahwi se rendit à ce désert, où il séjourna avec Rabban Mar ‘Abda b. Ḥanif, il bâtit un grand temple sous le vocable de Mar ‘Abda qui est appelé
actuellement couvent de ????
.
92. HISTOIRE DE LA MORT DE ḪOSRŌ PARWEZ ET DU RÈGNEDE SON FILS SIROI
Pendant ce temps, c’est-à-dire après qu’Héraclius, roi des Romains, fut revenu du territoire persan, comme nous l’avons dit, Ḫosrō, saisi de crainte et d’épouvante, ne quitta point Séleucie. Après la mort de Yazdin le fidèle, il avait poursuivi Samta, son fils, et confisqué tous ses biens ; il avait même emprisonné sa mère et lui avait enlevé tout ce qu’elle possédait. Samta se concerta avec Hormizd, et plusieurs Marzban ; ils firent sortir de sa prison Siroy, fils de Ḫosrō, que le roi avait eu de sa femme Marie, fille de Maurice, roi des Romains, et le placèrent sur le
trône à la place de son père Parwez, qu’ils tuèrent. Celui-ci avait régné 38 ans. Siroy, dès le début de son règne, fit du bien à ses sujets : il diminua les impôts ; il exempta son peuple des charges que son père lui imposait et le dispensa des impôts pendant 3 ans. Il professait en secret la foi chrétienne ; il portait même à son cou une croix ; car sa mère l’avait élevé de cette manière. Il écrivit à Héraclius, roi des Romains, pour demander la paix, et autorisa les chrétiens à établir un catholicos.
Samta étendit ses intrigues ; aidé par les mazdéens, il tua le reste des enfants de Ḫosrō ; il tua aussi Mardanîiah, fils de la reine Sirin, de peur que l’un d’eux ne vengeât la mort de son père, et n’engageât la lutte contre Siroy. Mais le général de l’armée le dénonça à Siroy, et dit qu’il prétendait à la royauté. Le roi le fit alors mettre en prison. Mais il s’évada et s’enfuit à Ḥīra. La vérité de ce qu’on lui avait dit, sur ainta apparut alors au roi ; il ne cessa alors d’employer des ruses jusqu’à ce qu’il l’eût arrêté ; il lui fit couper les mains et le jeta en prison.
Siroy avait épousé dans sa jeunesse une femme romaine appelée Boré, qui resta 8 ans avec lui sans avoir d’enfant ; Siroy s’en affligea ; il employa plusieurs moyens, mais sans résultat. Jean fils de Akhsidori le médecin nisibien, lui dit alors :
« Si tu le permets , nous demanderons à Babay de Nisibe, qui a fondé le couvent du mont Izla, de t’envoyer du Henné ; j’espère que tu obtiendras ce que tu désires. »
Autorisé à le faire, il écrivit au Saint une lettre dans laquelle il lui exposa sa demande. Le Saint lui répondit et lui envoya du Henné scellé de son sceau.
La femme le prit ; elle conçut, et enfanta un fils, qu’on nomma Ardašir, qui surpassait en beauté et en attraits tous les enfants qu’on eût jamais vus.
Quand Siroy fut maitre des provinces de Beyt`Arabâyé, il désira voir Babay. Īšō‘ Yahb (II), qui était déjà patriarche, et Jean le médecin lui écrivirent de se rendre auprès du roi. Mais il trouva trop pénible de sortir de sa cellule ; il pria Dieu le Très-Haut de lui révéler ce qui arriverait. Il annonça aux messagers qu’on lui avait envoyés la maladie de Siroï et sa mort prochaine.
Il annonça aussi au groupe de ses enfants les moines, les calamités qui surviendraient dans l’empire persan et son morcellement, et l’apparition du règne des Arabes.
Ce Mar Babay était saint et vertueux, mais il y avait de l’inimitié entre lui et Babay le Grand, comme il y en avait eu entre Épiphane métropolitain de Chypre (Qoupros) et Jean Chrysostome, et entre Sabr-Īšō‘ et Grégoire métropolitain de Nisibe. Cela a lieu entre les saints malgré leurs vertus ; parce qu’il n’y a personne qui puisse réunir la perfection,et vu la nature humaine, il faut que nous ayons des défauts de quelque manière.
Puis Siroyï alla à Hulwan pour y passer l’été selon la coutume des rois de Perse. Il tomba malade et mourut après un règne de 6 mois, d’autres disent 8. Les hommes le regrettèrent à cause de ses bienfaits, comme de nos jours on regretta Az-Zàher, que Dieu sanctifie son âme !
93. HISTOIRE DU CATHOLICOS [ĪŠO‘ YAHB II] DE GDALA
Cet homme naquit dans un village appelé Gdala en Beyt ‘Arabayé ; il était parmi ceux qui quittèrent l’École de Nisibe avec Grégoire le métropolitain, lors du schisme de Ḥnana le docteur. Après avoir enseigné à Balad, il en fut établi évêque après la mort de l’évêque Cyriaque. Il était intelligent et perspicace et il dirigea le pays avec la plus grande sagesse.
Puis le marzban de Balad le calomnia et l’accusa auprès de Ḫosrō roi de Perse, parce qu’il ne le laissait pas s’emparer de la vigne de l’Église, et parce qu’il avait empêché quelques ariens d’entrer à l’église. Le roi, qui avait de la sollicitude pour le marzeban, chassa l’évêque de son siège ; il resta dans l’exil jusqu’à l’avènement de Siroy fils de Ḫosrō. Ce prince accorda aux chrétiens l’autorisation qu’ils avaient demandée d’établir un catholicos. Dieu le choisit pour diriger son Église : ce qui eut lieu en la 7° année de l’apparition du législateur de l’Islam, que la paix soit sur lui, et en la 18° du règne d’Héraclius.
Les populations et les Pères se réunirent;
le choix tomba sur Īšō‘ Yahb ; les fidèles s’en réjouirent, car l’Église était restée sans chef depuis environ 18 ans. Elle était dirigée pendant ce temps par l’archidiacre Mar Aba. Il dirigea les affaires pendant son pontificat, avec beaucoup de sagesse.
Puis Siroy mourut ; son fils Ardašir, qui n’était encore qu’un enfant, fut désigné pour lui succéder ; car les Perses avaient beaucoup d’attachement pour Siroy.
On raconte que c’est Šīrīn qui tua Siroy par le poison, parce qu’il avait tué son fils Mardan Šah. Les hommes regrettèrent sa mort parce qu’à son avènement il s’était montré généreux envers eux et les avait rendus riches en les exemptant des impôts trois années de suite. Il aimait beaucoup de chrétiens et surtout Īšō‘ Yahb, évêque de Balad, qu’il lit ordonner catholicos.
Que Dieu lui fasse miséricorde !
Puis les choses se troublèrent ; ou écrivit alors à Sahryon qui était au service du roi Héraclius dans le pays des Romains, pour lui demander de revenir, parce que, de toute la famille des Sassanides, il ne restait plus que lui. Il refusa, craignant pour sa sécurité, et pour ne pas violer le serment qu’il avait fait à Héraclius, de rester à son service. Celui-ci, ayant eu connaissance de cette offre, et ayant vu sa belle fidélité, le munit d’une grande croix ; il envoya avec lui un général, nommé David. Sahryon se dirigea vers Séleucie dans le but de combattre Ardašir fils de Siroï. Quand il arriva auprès de Séleucie, on ferma devant lui les portes de la ville, dont on lui défendit l’accès. Mais il ne cessa d’user de fourberie auprès des chefs, qu’il ne se fît ouvrir les portes ; il y entra, tua Ardašir et s’empara du trône.
Le général des armées en fut irrité ; une foule de soldats se réunirent à lui, et refusèrent d’accepter Sahryon. Celui-ci combattit le général ; il en triompha, et se vit seul le maître de l’empire. Il honora les Romains qui étaient venus avec lui, et rendit le bois de la croix que Ḫosrō avait enlevé de Jérusalem, et le mit dans le trésor qu’il envoya à Héraclius avec David qui était venu avec lui du pays des Romains. Quarante jours après il tua Samta fils de Yazdin et le crucifia. Puis un des parents de Ḫosrō l’assaillit inopinément et le tua.
Dès lors l’empire de Perse fut agité par des troubles. Boran, fille de Ḫosrō Parwez et soeur de Siroy, occupa le trône, parce qu’il ne restait de la famille royale aucun enfant mâle qui fût arrivé à l’âge d’homme. Le peuple se réjouit de son avènement. Elle envoya ses partisans pour gouverner les provinces ; elle fit frapper des deniers et des drachmes à son nom.
Redoutant d’être attaquée par le roi des Romains, elle demanda au Catholicos Īšō‘ Yahb d’aller vers le Roi porter son message pour le renouvellement de la trêve, selon la coutume des rois précédents. C’est ainsi que Yazdgerd avait envoyé Yabalaha en ambassade à Théodose le
Jeune, de même Acace (Aqâq) fut envoyé par Balas en ambassade auprès du Roi Zénon ; de même Paul, métropolitain de Nisibe, fut envoyé par Ḫosrō même, fils de Qawad, auprès de Justinien roi des Romains.
Isô Yahb exauça la demande de Boran ; il alla tout comblé d’honneur et accompagné de métropolitains et d’évêques. Il trouva le Roi des Romains à Alep ; il pénétra auprès de lui et lui remit la lettre ; puis il lui présenta les dons qu’il avait apportés. Héraclius fut surpris d’apprendre qu’une femme avait obtenu la couronne, et il fut émerveillé de la supériorité du catholicos, de son intelligence, de sa perspicacité et de sa science. L’ayant interrogé sur sa croyance, il la lui exposa, et lui découvrit, manifesta, publia et déclara que sa profession de foi était la même que celle des 318.
Il lui écrivit aussi la profession de foi de saint Mar Nestorius. L’empereur se réjouit du discours d’Išō‘ Yahb et de sa déclaration ; il accueillit favorablement l’objet de son ambassade, et loua celle qui l’avait envoyé ; il lui donna tout ce qu’il désira, et lui demanda de célébrer la messe en sa présence afin qu’il y participât et qu’il se présentât avec lui à la communion. Il le fit. L’empereur, pour l’honorer, le revêtit d’une robe splendide, quand le catholicos demanda à prendre congé.
Le prince lui apporta Mar Paul. Išō‘ Yahb lui éclaircit la question avec beaucoup de lumière et de netteté. Le roi fut émerveillé ; et il lui dit :
« Je ne te démentirai pas, et j’ajoute foi au livre que tu m’as présenté. Mais je désirerais que tu recherchasses les preuves de la véracité de ce livre.
-Un tel examen, répondit-il, demande beaucoup de temps ; et le moment est venu où je dois repartir. »
Il lui demanda alors de célébrer encore une seconde fois la messe en sa présence afin qu’il reçût la communion de ses mains, lui, tous ses patriarches, ses évêques, tous ceux de sa cour et tous les assistants. Il exauça sa demande, mais il mit la condition que le diacre, en lisant les diptyques, qui portaient les noms des patriarches et des Pères, supprimât le nom de Cyrille, à cause du schisme et maure de la doctrine impie. Le roi accepta la condition ; le catholicos Išō‘ Yahb célébra alors la messe, et donna la communion à l’empereur, à tous les patriarches, aux évêques et aux assistants.
Puis Išô‘ Yahb écrivit un libelle de profession de foi et le présenta à l’empereur.
« Pourquoi, lui dit celui-ci, vous écartez-vous de la manière la plus claire d’énoncer une chose, et au lieu de dire : Marie enfanta Dieu, dites-vous : Marie enfanta le Christ qui est Dieu et homme ?
-Nous ne nous écartons pas de la vérité, répondit le catholicos, ni de la preuve éclatante.
En disant que Marie enfanta le Christ, nous impliquons que la naissance appartient au Christ, dans lequel se sont réunis l’humanité et le Verbe éternel, qui est descendu et habite en lui. Mais si nous disions : Marie enfanta Dieu, nous retrancherions le nom d’humanité, en supprimant sa
nature. » L’roi donna son assentiment à son explication et accepta le libelle de profession de foi qu’il avait écrit de sa propre main et à sa manière, et il en envoya la copie aux chefs connus par leurs vertus et qui n’étaient pas de la classe des obstinés. Tous l’approuvèrent. L’empereur
le munit de provisions de route, le revêtit lui et sa suite de robes, leur donna de magnifiques présents et fit réponse à Boran, l’assurant qu’il lui enverrait des troupes le jour où elle en demanderait, et. ajoutant qu’il faisait cela à cause de son ambassadeur Išō‘ Yahb. Et le patriarche quitta le pays des Romains chargé d’honneurs ; et la profession de foi de Išō‘ Yahb était d’accord avec celle de Sergius, patriarche de Constantinople, en ce qui concerne la reconnaissance d’une volonté unique et d’un acte unique.
L’histoire de la messe qu’il avait dite parvint aux Pères orientaux ; à son retour, ils lui reprochèrent sa mauvaise action d’avoir célébré la messe sur l’autel des Romains sans avoir fait mémoire des noms des trois Lumières éclatantes de l’Église Syrienne. Ils avaient, en effet, appris que les Romains n’avaient accepté la condition que Išō‘ Yahb leur avait faite de ne pas mentionner Cyrille, qu’à cette autre condition que lui aussi ne lirait point les noms des trois Lumières, Diodore, Théodore et Nestorius. Plusieurs d’entre eux, dans leur colère, murmurèrent
et dirent :
« Nous ne devons pas le laisser s’asseoir sur le siège patriarcal, parce qu’il a ébréché sa croyance ; et il a fait cela pour l’amour des présents. »
Du nombre de ses accusateurs étaient Bar Ṣawma, évêque de Karḫā de Ledan Suse, qui a établi dans l’Église les oraisons funèbres ; Biro le docteur, et d’autres. Celui-ci se jeta sur Išō‘ Yahb pendant qu’il siégeait dans sa salle d’audience, remplie de gens qui étaient venus le saluer; et il l’interpella, et l’injuria, en lui disant :
« Toi qui as vendu la foi pour des présents, toi qui as rassasié, pour de l’argent, le désir des empereurs; toi qui retournes vers tes ouailles tout couvert d’opprobre et de honte, pourquoi es-tu revenu ? Pourquoi n’es-tu pas resté où l’on t’a donné des présents, où tu as reçu des cadeaux et obtenu des largesses? » Les assistants, qui l’entendirent prononcer ces paroles, ne purent les supporter ; et loin de les lui permettre et de les tolérer, ils se mirent à le frapper à coups redoublés
de sorte qu’ils l’auraient tué ; mais le catholicos s’interposa en le couvrant de son manteau, et parvint à le délivrer à grand peine. Échappé de leurs mains, il se sauva, et marcha à pas lents jusqu’à Cašcar, sa ville, plein de ressentiment. Et il y demeura, séparé de l’Église ; et il se bâtit pour lui une chapelle dans sa demeure. Son zèle religieux était trop ardent, et c’est ce qui le poussa à agir ainsi. C’était un homme lettré. Quant à Išō‘ Yahb le catholicos, ayant compris la faute qu’il avait commise, il se mit à essayer d’effacer des coeurs de ses ouailles la mauvaise impression que sa conduite leur avait laissée.
94. CE QUI EUT LIEU ENTRE BAR ṢAWMA ÉVEQUE DE SUSEET LE CATHOLICOS ; LEUR CORRESPONDANCE.
Après l’incident de Biro le docteur, Bar Ṣawma évêque de Suse se mit à l’attaquer ; il lui écrivit deux lettres en deux écrits différents, dont l’une a été portée à la connaissance du public et l’autre lui a été cachée.
1 : Copie de la première :
« A celui que la grâce divine a élevésur l’estrade de la plus hautedignité de la religion, et a fait siéger sur le trône glorieux où s’épanouitla plénitude du sacerdoce, et a établi chef des provinces de l’Orient et de Perse, notre Père Saint, vertueux […] Mar Išō‘ Yahb catholicos
Bar Ṣawma, qui implore tes prières, te salue, et se prosterne devant toihumblement, en demandant que son Église soit préservée des bouleversements, sauvée des ouragans, protégée contre les hérétiques.
Maintenant, ô Père, j’ouvre la bouche pour parler le plus haut possible,et crier de toutes mes forces : entre nous et les Romains, il y a un gouffreprofond.
« Le concile de Chalcédoine fut l’origine de ce gouffre, et ce quicommença à le creuser; il écarta les hommes de l’équité et les laissa égaréset abandonnés ; il ensevelit la justice ; il prêcha l’opiniâtreté ; il obligea lesPères à renoncer à leurs opinions, et mit obstacle à leur retour sur leursiège, ce qui excita une persécution.
Secondement, ce même concile honora la famille de Cyrille, cette mined’obstination, cet auteur de schisme, ce vase d’impiété; il fit aussi les élogesde Célestin son compagnon.
Troisièmement, il ratifia le concile qui s’était réuni à Éphèse,qui avait déclaré fausse, et jugé impossible l’évidence ; qui avait banni lavérité éclatante et brillante.
Quatrièmement, il exila ce célèbre patriarche, Mar Nestorius, ce bonPère persécuté.
Cinquièmement, il réunit pêle-mêle les deux natures du Christ en une seule hypostase.
Sixièmement. Venons, maintenant, à ce qui pèse particulièrement surtoi. En négligeant de répondre, tu as ratifié la parole de ceux qui prétendentque Notre-Dame la pure Marie enfanta Dieu dans son essence : ce qui répugneà tous les novateurs eux-mêmes, sauf Cyrille, son peuple, sa famille et Eminaphius et ses partisans.
Le septième chef d’accusation qui pèse encore sur toi, est que tu asbanni les saints Pères, les Docteurs élus, les lampes lumineuses, Diodore,Théodore et Nestorius, en passant sous silence leur mémoire dans la messeque tu as célébrée dans l’église de cet empereur, qui les chasse et les persécute:tu as abandonné la cause de la revanche des élus du Saint-Esprit, àsavoir les 318 (Nicée) et les 150 (Constantinople) qui ont arrété la doctrine de vérité, et qui ont établidans l’Église les Canons justes; enfin tu as suivi le concile de Chalcédoine.
Quelle part ont ceux qui ont fait bon marché de leur foi, qui ont vu leursdésirs comblés, qui ont ébréché, qui ont fait les courtisans,qui se sont laissé gagner par les présents, avec ceux qui ont bravé lesmenaces et ont persévéré, qui ont reçu des blessures et les ont supportées,qui ont subi des tourments et sont restés inébranlables ? Ne sais-tu pas quedes 318 Pères choisis, il n’y en eut pas qui fût indemne d’une plaie, d’uncoup, d’une blessure, d’une meurtrissure, que leur portèrent nos ennemis lesnovateurs, si ce n’est quatre seulement? Ne t’a-t-il pas fait des reproches,l’Évangile qui prononce : Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham,
quand le roi parlait et que tu le laissais prétendre que la Vierge aenfanté Dieu! N’as-tu pas tremblé de célébrer la messe, en rayant les nomsde tes Pères spirituels du chapitre des vivants et du Diwan des morts, alorsque le diacre osait retrancher leurs noms dans sa lecture! C’est là l’abîme quise trouve entre nous et ce peuple, que tu as flatté, auquel tu as fait des concessions, auquel tu as donné la main, sur l’autel duquel tu as célébré lamesse. N’as-tu pas été épouvanté de dire la messe sur ces tréteaux prèsdesquels une heure après entrera une femme, qui sera peut-être en ses règles,ou un adolescent qui sera peut-être impur ; ou un homme qui sera peut-êtrelépreux, pour venir y toucher et en détruire la sainteté? Je vois, ô notre Père,que c’est toi qui as causé ce dommage et qui as fait ces concessions à ce Roi. C’est toi qui as semé la haine et qui as allumé le feu de l’hérésiedans le coeur d’un grand nombre. Je ne crois pas qu’il soit possible de remédierà cette blessure et de la panser, si ce n’est [ ???]. Car tu sais bien quenotre messe ne sera jamais achevée sans la commémoration des Pères que tuas chassés au moment de ta messe, et bannis au moment de ta prière. Nousautres, qui ne pourrions dire l’office des Vêpres sans y faire mention deces trois Lumières, comment pourrions-nous parfaire les mystères, la messeet les oblations, sans en faire mémoire? Et toi, maintenant, Père, tu asabjuré ta foi aux Lumières de l’Église, en retranchant leurs noms de l’officede la messe, par une omission que tu as consentie.
« Puis tu as raconté toi-même comment tu as écrit pour le roi taprofession de foi ; mais c’était là un piège où le roi t’a fait tomber ; en effetil en envoya la copie aux confins de l’Empire, ce qui fut connu de tous.
Tout son but en présidant la messe que tu disais devant lui sur son autel,c’était de faire connaître aux chefs de son Église que ta profession et tacroyance étaient semblables à sa profession et à sa croyance.
« Il nous est parvenu un petit écrit qui contient la profession de foi quetu as écrite pour l’empereur. En voici le titre : Croyance en la Trinité une,et à l’un de la Trinité le Verbe fils de Dieu. Hélas ! qui a voulu troubler tonesprit ? Ce dont je t’accuse, c’est d’avoir, dans ta profession de foi, affirmé ceque les 318 n’ont jamais dit dans leur symbole, que tu as reçu toi–même.
« Nous croyons, ont-ils dit, en un seul Dieu vivificateur de touteschoses et en un seul Seigneur Jésus-Christ fils de Dieu » ; or toi, en confessant les trois personnes, tu n’as rien dit de l’une d’elles, le Fils de Dieu quis’est manifesté à nous. Où donc fais-tu mention de la nature humaine, cettenature sur laquelle s’est levée la résurrection ; cette nature sur laquelle sesont étendues tant de discussions, et qui a été la cause de tant d’hérésies ?
C’est cet Un des Trois à qui la qualité de Fils est reconnue, que Cyrille aattaqué en disant avec opiniâtreté que cette personne est née dans sasubstance de la Vierge ; qu’elle s’est mue dans le monde ; qu’elle a souffert;qu’elle est morte et qu’elle a été ensevelie. Pourquoi as-tu écrit, et commentta plume t’a-t-elle fait sanctionner ce qu’avait anéanti le raisonnement de tespartisans, et as-tu pu justifier l’accusation que tes ouailles portent contre toi,que tu as fait le courtisan aux dépens de ta foi, et que tu t’es fait donner desprésents en vendant ton Christ ; que c’est pour l’une de ces deux raisons quetu as chancelé : ou bien l’avidité et l’amour des présents, ou bien la crainteet la peur.
Maintenant avec quoi te laverais-tu la face en présence des Orientaux si l’on venait à comparer ta conduite avec celle des 130, qui versèrent leur sang sur deux champs de bataille, tandis qu’on les pressait dedémolir leur croyance et qu’on leur faisait miroiter des faveurs ; mais ils nepenchèrent pas à la convoitise et n’eurent pas peur des menaces. Par Dieu,si c’est l’une ou l’autre de ces raisons qui t’a porté à tenir cette conduite,ta condition est très affligeante et déplorable.
« En écrivant, tu as fait triompher ce nuage et son obscurité, nuage queCyrille et Apollinaire avaient tissé, et dont s’est enveloppée la terre romaine.Quant à nos frontières à nous autres Orientaux, les ténèbres en ont été écartées; nos, prêtres ont vaincu l’erreur, et la lumière éclatante s’est levée surnotre contrée, grâce à nos Pères les héros Mar Diodore mine d’arguments,Mar Théodore promoteur de la vérité et libérateur, de tristesse, et MarNestorius consolateur des affligés et démonstrateur de l’évidence, grâce à leursémules, à leurs disciples et à leurs imitateurs. O chose surprenante, que lePère de si grande valeur et de si grand mérite que tu es, ait été trahi, et sesoit laissé tromper!
Que n’as-tu, Père, imité les catholicos qui se sont rendus avant toien terre romaine, et dont les noms sont en tête de notre lettre. Ceux-ciremplirent leur ambassade auprès des Rois ; ils s’en retournèrent munisde réponses et chargés de présents ; mais aucun d’eux ne viola la religion et
ne s’écarta de la vérité. Paul de Nisibe qui t’était inférieur en valeur, etqui était au-dessous de toi en rang, sut répondre aux empereurs, qui luidemandaient de leur expliquer la foi :
« On ne m’a pas envoyé pour discuter,ni pour donner des leçons, ni pour exposer, ni pour controverser, ni pourargumenter, ni pour attaquer. Mais je proclame ma foi dans les assemblées
et je la prêche en pleine chaire : le Christ a deux natures et deux hypostases : c’est la doctrine de mes pères, de mes docteurs, de mes prédécesseurs et de mes guides les 318. »
Ne t’es-tu pas rappelé, ô Père, la parole de Paul l’apôtre inspiré etchoisi :
« Si même un ange du ciel s’efforçait de m’écarter de la vérité, et quandil m’annoncerait et me prêcherait autre chose que ce que j’ai reçu de mes Pères,je n’écouterai point sa parole et je n’adhérerai jamais à son hérésie ».
Ne sais–tupas que Paul dit encore de soi-même qu’il offrit son corps aux tortures,qu’il s’exposa aux soufflets, qu’il reçut des coups de fouet sur les épaules,qu’il fut jeté en pleine mer 31 mais ne s’écarta pas de la route de la vérité etne murmura point contreDieu ?
Peut-être t’es-tu laissé séduire par l’erreur de Grégoire, qui a dit queMarie est mère de Dieu ? Quoique j’estime ce Saint, quoique j’approuveen plusieurs endroits ses paroles, toutefois je suis tenu de rejeter seserreurs et ses fautes ; on me demanderait raison de mon approbation, et jeserais blâmé de les avoir suivies. Ne sais-tu pas ce que Notre-Seigneurnous a enseigné dans son Évangile quand il dit :
« Les pontifes et les scribessont assis sur la chaire de Moïse; faites tout ce qu’ils vous diront de faire; maisne faites pas comme ils font ! »
Toi aussi, ô Père, tu dois écouter ce qu’ilsdisent ; ce qui est conforme à la croyance des Pères orthodoxes, y adhérer,et rejeter et contredire ce qui n’y est pas conforme.
Ce savant ne laissa échapper de pareilles expressions, que parce quedans son mouvement oratoire elles se présentèrent à son esprit, étant commeun homme qui flotte dans la mer : l’orateur ressemble en effet au nageur,que les vagues enveloppent, et que tantôt elles soulèvent, et tantôt précipitent jusqu’au fond ; car son esprit va à l’aventure, et son coeur s’enthousiasme. »
Puis il scella la lettre et l’envoya au catholicos Īšō‘ Yahb, qui, après l’avoir reçue et lue, lui fit une courte réponse en homme qui cherche à écarter ses torts et à aplanir les difficultés, lui disant que la raison de la conduite qu’il avait suivie en pays romain n’était pas dans les deux choses dont il l’avait accusé, mais seulement dans le désir de semer la paix dans les coeurs, en y faisant renaître l’amitié et de faciliter la mission dont on l’avait chargé.
2° Deuxième lettre de Bar Ṣawma adressée au Catholicos Īšō‘ Yahb.
Omettant, au début de sa lettre, toute formule de voeux, de respect, de vénération, il commença par accuser, reprocher, argumenter, disputer, réduire au silence et apostropher. Il commença en disant :
« Si tu avais célébré la messe à Constantinople sur un autel que toi outes évêques auraient consacré, je jure par ma vie que ta messe eût étésainte, ton sacrifice agréable; les péchés en expiation desquels tu auraisoffert la messe eussent été pardonnés, et les demandes que tu aurais faitespour le peuple, auraient été exaucées. Si, au contraire, tu as célébré lamesse sur un autel que ni toi ni tes évêques n’ont consacré ; si tu n’y as pasfait mention de tes Pères sans la commémoration desquels l’Église catholiquea défendu de réciter l’office, d’offrir les mystères, d’administrer le baptêmeet de dire la messe, alors moi, et tous ceux qui avec moi ont adhéré à la foides 318 et des 150 Pères, et qui ont confessé comme Pères les troislumières qui sont le sel de la foi et les colonnes de la religion, nousla désavouons car ce n’est que l’ambition et le désir de plaire aux Rois pour recevoir d’eux des présents qui t’ont poussé à la célébrer. Quand même je te rendrais amers tes présents; quand même je devrais assombrir ton visage :quand même j’exciterais en toi une ombre de ressentiment, je te dirai néanmoins avec franchise :
‘Tu as perdu les droits de ton investiture, tu as avilita condition aux yeux de tes ouailles; et tu es compté pour peu de chose dansla balance du Roi, malgré les présents qu’il t’a faits’. Ne pense pasque ce soit le respect dû à ton autorité, ni la douceur de tes paroles, ni ta sageconduite, qui ont poussé le Roi à agir ainsi à ton égard ; mais c’est lacoutume des Rois en principe, de faire du bien, de traiter favorablement, etd’accueillir l’intercession quand même elle serait absurde. Et c’est aussipour pouvoir dire :
‘J’ai tellement éveillé l’avidité du Catholicos d’Orient,que je l’ai fait renoncer à la fidélité à sa foi et chanceler dans sa croyance.’
En tout cas, tu es blâmable, tu t’es laissé égarer, tu fus une dupe.Toute ta destinée n’est pas dans ce bas monde que tu habites et que bientôt tu quitteras, mais le plus grand malheur t’attend dans la mêlée ai lefeu dévorant ronge les damnés. Et comment m’empêcherais-je de dire queton offrande a été repoussée, que ta messe n’a pas été agréée, alors que tul’as célébrée sur un autel où l’on meurtrit du matin au soir ta divinité, oùton Créateur est crucifié du lever du jour à son coucher? Ne crois pas queje t’adresse ces dures paroles par un sentiment de mépris, mais je fais celapar l’excessive affection que j’ai pour toi, et par compassion pour toi. Car si j‘étais indulgent, si j’étais flatteur, si j’approuvais ta conduite, je seraiscomplice de ta mauvaise action, je violerais comme toi ma religion et jem’éloignerais de mon Dieu. Ô toi qui es docteur d’Israël, disait Notre-Seigneurà Nicodème. Je t’applique cette parole, ô Īšō‘ Yahb, toi vers qui l’Orient a lesyeux tournés, toi dont la renommée est formidable; voilà ce que tu as fait !
Et maintenant tu as à choisir entre ces deux choses : oubien que tu te soumettes et que tu avoues que tu as commis ce crime parignorance et que tu te justifies, comme se justifient tous les excommuniés etles anathématisés, en déclarant que tu as fait cela par inconscience et sanspropos délibéré, afin que nous puissions nous autres prier les Pères de tepardonner et d’excuser ta faute. Si ces deux choses te paraissent égalementdures, interroge à leur sujet les oiseaux du ciel, les bêtes féroces desforêts, les autruches du désert, les lions des campagnes et les poissons desmers, qui te feront voir clair et te dirigeront.
Et comment le Saint-Esprit pourrait-il descendre sur un autel banal,qu’il n’aurait pas consacré ? Non, j’en jure par ma vie, il n’est pas descendu sur le sacrifice que tu as offert sur l’autel de Constantinople.
Mais qu’as-tu pensé, ô Catholicos d’Orient ? Que j’ignorerais les loisecclésiastiques? Ou bien que je ne remplirais pas entièrement les fonctionsde mes charges sacerdotales? Ou bien que je n’aurais point défendu la cause deDieu et de son Christ? Ou bien que je n’aurais pas lutté ni bataillé pour macroyance, contre l’hérésie ? Ou bien as-tu supposé que je labourais sous lejoug avec les boeufs, ou que je faisais paître mes fidèles dans le désert avec lesmoutons? Ou bien t’es-tu fait assez illusion pour penser que tu m’en imposeraisen m’ôtant complètement la notion que j’ai de ton savoir? Nous avonsfait ensemble nos études ; et s’il est permis de se glorifier, je suis plus habileque toi ; s’il est permis d’énumérer ses bonnes oeuvres, toi-même tu avoueras
que je te devance et que je te surpasse beaucoup, et que je lutte contre lespassions mieux que d’autres. Pour ce qui est de l’âge, j’ai blanchi avant toi,comme je t’ai devancé dans le sacerdoce et dans l’ascétisme. Faut-il parleraussi de l’attachement? Qu’on regarde le recueil de nos oeuvres,que l’Église possède, et qu’on voie combien nous avons argumenté, et travailléavec acharnement.
Chasse, à présent, l’espérance mensongère et l’ambition trompeused’être appelé Catholicos d’Orient. Ahaï (que sa mémoire soit avec celledes Apôtres) et Acace (que son souvenir soit avec celui des Saints), lesdeux catholicos, qui portèrent, comme toi, les messages des rois, ne
furent-ils pas jalousement avares de la perle de leur foi ? Ils ne profanèrent pasla pierre précieuse de leur croyance ; ils payèrent à Dieu ce qui lui était dû etrendirent à César ce qui lui appartenait ils s’en allèrent comblés delouanges ; ils reçurent des présents, expression de la reconnaissance des rois,et s’acquittèrent glorieusement de leur mission.
Maintenant qui te purifierait de ta souillure ! Il te faudrait les eaux desmers pour te laver de ta tache ! Les cendres de génisse, ou le sang dessacrifices, qui purifiaient du péché les enfants de l’ancienne loi, ne pourraient te laver de ta honteuse conduite de Constantinople. Tu t’es imaginé
que tu avais joué l’empereur. Mais la vérité, que je te dirai, est que c’est luiqui s’est moqué de toi derrière ton dos, qui a ri de ta barbe, et a méprisé tescheveux blancs. Et pendant que tu pensais le faire nicéen, lui, te faisait chalcédonien. En admettant que tu eusses perdu la raison ; que l’orgueil t’eûtenivré au point de changer ton caractère et de te rendre aveugle, il auraitalors fallu, en revenant “à toi, réparer ce que tu avais fait, rétracter ce quetu avais avancé, rétablir ce que tu avais abîmé, restaurer ce que tu avaisdétruit. Mais toi, tu as pensé que les hommes raisonnables, de bon jugement,savants et chercheurs, étaient devenus des boeufs comme toi, privés d’intelligence et de raison; et qu’il ne restait plus d’hommes capables de juger,de penser avec clairvoyance, de s’indigner pour la cause de Dieu, de s’élever contre ceux qui renversent les droits de Dieu. Et ta manière à toi dete rétracter, de réparer ce que tu as fait, de sanctifier ce que tu as profané, aété de porter orgueilleusement tes présents et d’étaler les vêtements dont ont’avait revêtu pour t’honorer.
Ne sais-tu pas que nous sommes dans un moment où il ne convientpas d’amasser de l’argent, ni de se glorifier de ses vêtements ? Ne sais-tu pasque l’on est dans la pire des situations à cause du bouleversement des empireset des irruptions des envahisseurs ? Mais tu vois que ta gloire s’est retournéecontre toi, que ton triomphe est retombé sur ta tête, maintenant que tes fidèlesfont brèche à ta réputation, te jettent la pierre, et te lancent cette accusation :
‘Tu as vendu ta religion pour le monde, tu as dissipé ta croyance, et grandbien te fasse !’
Résumons, maintenant, notre discours ; plions le rouleau de notre lettre,et disons de la part de tous les Pères orthodoxes et de tous les saints supérieurs que tu n’as aucun partage avec nous, et que tu n’as ni ami ni parentdans l’Église du Christ. Que Dieu te réjouisse avec le patriarcat de Constantinople, l’or de César et ses présents, avec la générosité de Boran etson argent ! Ta plaie ne sera point cicatrisée par des onguents terrestres ;tes maux ne seront pas adoucis par les simples des montagnes, ta maladiene sera pas guérie par les médecins de ce monde, et ta souillure ne pourraitêtre lavée par toutes les eaux de la mer.
Va plutôt trouver le médecin céleste, dont tu as violé la foi, et que tuas rougi de confesser. Apaise-le par des larmes continuelles; avoue eu saprésence ta faute et ton péché : peut-être t’accueillera-t-il et te relèvera-t-ilde ta chute. »
Lorsque le doux Père Mar Īšō‘ Yahb catholicos (que Dieu sanctifie son âme) reçut cette lettre, il l’accueillit comme un homme pécheur et humilié ; il n’en trouva pas les termes si durs, étant dictés par la justice, bien qu’ils eussent troublé ses entrailles, consumé sa conscience, et fait couler ses larmes. Et c’est aussi parce qu’il fit un retour sur soi, et comprit qu’il avait fait un faux pas dont il ne pouvait pas se relever. Il s’appliqua la maxime du sage, que le coup porté par l’ami vaut mieux que le baiser de l’ennemi. Il vit aussi que le zèle impétueux de l’évêque était animé par la religion de Dieu, et qu’il s’était appliqué la parole du prophète David qui déclare avoir fait aux rois des réprimandes en face, et ne les avoir pas flattés à cause de leur autorité.
Puis ce doux Père envoya une bonne réponse à Bar Ṣawma ; il se montra calme, bienveillant et résigné. Après les compliments, les voeux, les expressions de respect, d’estime et d’humilité, il commença ainsi sa lettre :
« J’aime que tu saches, ô homme admirable parmi les docteurs, que talettre pleine de sarcasmes ne m’a point irrité; que tes nuages orageux nem’ont point troublé ; que tes flèches empoisonnées ne m’ont ni blessé nivexé, et que tes lances acérées ne m’ont pas attristé, parce que nous nesommes pas de ces hommes qui aiment la gloire et les honneurs, qui cherchentla louange et l’illustration, qui s’irritent contre les propos offensantset les cris injurieux. La colère des frères, quand elle vient de l’affection, estplus douce que le rayon de miel qui serait donné par la haine, et plusagréable que le vin qui serait offert. par l’inimitié.
Quant à nous, dans les choses que nous avons faites, nous n’avonsagi que selon la parole du Livre que Dieu grand et puissant a fait descendre,à savoir, que le prêtre fait toujours ce qu’il juge convenable et utile de dire, etselon la parole de Paul, cet illustre et glorieux apôtre, que Dieu choisit entreles Hébreux : ‘Dieu, dit-il, ne, nous a appelés que pour la paix, afin que nous lui semions avec la charité parmi les hommes. Recherche, ajoute-t-il, la paix, lasimplicité, l’amitié, la douceur, la bienveillance, l’aménité.’
C’est le plus grandcommandement qu’il fit à son fils Timothée, son grand et saint disciple.
C’est pour cette raison que nous avons voulu semer la paix dans le coeur detous les hommes. Sache qu’en tout cela nous n’avons pas été sollicités parl’amour des présents, ni de l’or, ni de l’argent, ni des perles, ni des vêtements.
Cependant, nous avouons notre péché, nous confessons notre faute :notre nature, pétrie de faiblesse, ne devait pas être exempte d’imperfections.
Et maintenant, ô unique, nous désirons et nous demandonsà genoux humblement l’absolution, dans la conviction où je suis (toutesles fibres de mon coeur en protestent) que tu n’as jamais douté de monorthodoxie, de l’intégrité de ma conscience, de ma droiture, de mon affranchissement de l’hérésie. Je n’ai jamais confessé ni reconnu en Jésus-Christautre chose que deux natures : la nature éternelle, et la nature nouvelle,et deux hypostases, unies, jointes, égales, sans séparation, sans confusion,sans changement et sans corruption.
Je t’ai envoyé une copie de la discussion qui eut lieu entre moi et leurpatriarche ; expose-la sur le roc de ta foi, qui est, comme je sais, inébranlable; porte-la sur l’intégrité de ta conviction; pèse-la dans la balancede ton esprit; examine-la dans la bienveillance de ton jugement, afin quema position soit bonne, que mon innocence éclate à tes yeux, et que tusaches que si j’ai dit la messe dans leurs églises, je n’ai pas néanmoins violéma foi dans ma discussion avec eux. Si tu trouves ce que j’ai dit aussi sûrque la lumière du soleil, et aussi loyal que l’or pur, reconnais que je suisinnocent de toute hérésie, et ne revenons plus sur le passé. Si la raisonque j’ai dite, et que j’ai clairement expliquée, est de nature à absoudre,absous-moi, et’ écris de ta main, sur la copie de la controverse, que ladoctrine qu’elle contient est orthodoxe et véritable ; et scelle-la de tonsceau, afin de l’opposer à autrui, à quiconque n’a pas ta science ; pour que [ ???] est sans doute une faute pourle groupe de ceux qui combattent mon écrit marche sur tes pas, suive tavoie, et se modèle sur ta croyance. Et s’il ne doit pas être accepté, niapprouvé, brûle cet écrit, et jettes-en les cendres aux vents impétueux etaux tempêtes violentes. »
Telles sont les paroles (paroles qui valent des perles) qu’écrivit le saint catholicos, ce Père pur et doux. Lorsque la lettre parvint au Père courroucé, cet homme d’une haute érudition étouffa la flamme de son ressentiment, apaisa le bouillonnement de sa colère, pour proclamer la bonté,
la patience, la résignation, l’humilité, l’abnégation du catholicos. Il lui écrivit pour s’excuser. Une amitié sans troubles suivit ces nuages ; l’agitation de la mer se calma, les flots tumultueux s’apaisèrent, et la paix s’établit universellement par la bonté de Dieu et sa miséricorde.
Quand la trêve fut conclue entre les Romains et les Perses, des divisions éclatèrent parmi les Perses Piroz, général des armées persanes, trahit Boran et l’étrangla ; son règne avait duré seize mois. Alors les armées se mirent en désaccord : celles qui étaient en Khorasan reconnurent comme roi un enfant de la famille royale, nommé Mehar-Kosrō; celles qui se trouvaient
à Séleucie proclamèrent Arzémidokht, fille de Šīrīn, la femme de Kosrō ; et celles qui étaient à Istakhr et dans les régions de Perse nommèrent Yazdgerd fils de Sahryar, fils de Ḫosrō, fils de Hormizd. Les dissensions s’aggravèrent et la guerre civile éclata. Arzémidokht put régner un an, puis elle eut les yeux crevés et fut massacrée. On tua. aussi l’enfant qui régnait au Khorasan. Yazdgerd fut seul le maître de l’empire ; tous les Perses l’agréèrent ; ils lui firent quitter Istakhr, et le présentèrent à Séleucie, où il s’établit.
En ce temps apparut dans le ciel, du midi au nord, quelque chose comme une lance, qui s’étendit bientôt vers l’orient et l’occident, et on put la voir ainsi 35 nuits. Les hommes regardèrent cela comme un présage de l’apparition du règne des Arabes.
Puis Yazdgerd fit des largesses aux armées, au moment d’entrer en campagne contre les Arabes. Les Perses étaient persuadés que les Arabes devaient triompher jusqu’à ce qu’ils seraient arrivés aux rives du Tigre et de l’Euphrate, et qu’une fois arrivés là, ils seraient vaincus, et s’en retourneraient en déroute. Confiants dans cette idée, ils négligèrent de les combattre jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à Ḥīra. Là étaient deux généraux persans; ils combattirent les Arabes, et furent tués tous les deux. Les Arabes s’emparèrent du pays et commencèrent à recueillir les impôts en la cinquième année du règne de Yazdgerd à Séleucie. Il y avait 18 mois qu’il se trouvait réuni dans cette ville avec Mar Īšō‘ Yahb le catholicos. Les Arabes cernèrent ; ses soldats se dispersèrent en fuyant ; la plupart d’entre eux furent tués. L’empire lui échappa. Il s’enfuit de Séleucie avec ses enfants et ses femmes en la 7ème année de son règne qui est la 19ème année des Arabes et se dirigea vers la montagne. Les Arabes le poursuivirent après avoir pillé le palais du roi et s’être emparés de tout ce qui s’y trouvait.
Lorsque Yazdgerd arriva à Jalūla, Sa`d ben Abi Waqqāṣ le rejoignit et lui livra bataille. Yazdgerd fut mis en déroute ; un grand nombre de Perses périrent ; de toute l’armée une poignée d’hommes se sauva avec le Roi. Les Arabes qui l’avaient devancé jusqu’à Nehawend l’attaquèrent encore, et il fut obligé de prendre la fuite ; il se dirigea vers le Khorasan et atteignit
Merw. Là, il tenta désespérément de réunir des soldats et de l’argent, mais ne put réussir. Les Arabes, qui le poursuivaient jusqu’en Khorasan, attaquèrent Merw. Yazdgerd, n’ayant pu s’enfuir, se cacha dans un moulin situé près de la ville, où il fut découvert et massacré. L’empire des Perses prit ainsi fin ; il avait duré 385 ans.
Les pays furent bouleversés par la venue des Arabes pendant 5 ans, par des maux ininterrompus et des épreuves continuelles ; et cela dura jusqu’à ce que leur règne s’affermît avec solidité. lis demandèrent aux chrétiens et aux Juifs leurs sujets le payement de la capitation ; ils la payèrent.
Les Arabes les traitèrent avec bonté ; la prospérité régna par la grâce deDieu (qu’Il soit exalté !) et les coeurs des chrétiens se réjouissaient de ladomination des Arabes : que Dieu l’affermisse et la fasse triompher !
95. ÉVÉNEMENTS QUI EURENT LIEU DU TEMPS DE MAR ĪŠO‘ YAHB GDALAYA.
[HISTOIRE DE RABBAN UḪAMA, fondateur ou plutôt restaurateur du couvent
de Kamul, dans la région de Qardu, appelée aussi Beyt Zabday]
Ce Saint était l’un des compagnons de Īšō‘ Yahb dans l’école de Nisibe ; il était de la classe des docteurs et l’un de ceux qui quittèrent l’école lors du schisme de Ḥnana le docteur dont nous avons parlé plus haut. Il se retira auprès de Mar Babay dans son grand couvent, et il vécut en solitaire dans une grotte, jusqu’à ce qu’il atteignît la vieillesse. Il se rendit avec Babay de Nisibe à Jérusalem. Puis il fut contraint par Cyriaque, métropolitain de Nisibe, d’accepter le siège épiscopal d’Arzun ; mais il n’occupa ce siège que pendant trois ans, au bout desquels, cassé de vieillesse et de faiblesse, il se retira dans la grotte de Jean disciple de Mar Awgen, près d’un village appelé Kamoul, dans la région de Qardou, pour y vivre dans la solitude. Les gens, qui apprirent bientôt son genre de vie, se rendirent auprès de lui, et bâtirent autour de lui des cellules où ils habitèrent. Grâce aux secours de quelques habitants de la ville de Thmanoun, il bâtit un
couvent sur l’emplacement de la grotte de Jean. Durant trente ans, il fit des miracles; il mourut à l’âge de 75 ans, et il fut inhumé dans le couvent qu’il avait bâti. Que Dieu, grâce à ses prières, se souvienne de nous.