Chronique de Seert, 58-68, (590-602) Kosraw, Shirin, An-Nu’man et Maurice, v. 870 n-è

58. — HISTOIRE DE ḪOSRŌ PARWEZ B. HORMIZD

 

Quand l’armée détrôna Hormizd à cause de ses mauvais traitements et de l’emprisonnement des notables, auxquels il faisait donner du pain mêlé avec du plâtre, on écrivit à son fils Ḫosrō Parwez, qui lui était né de son mariage avec sa soeur et qui était en fuite, de retourner à Séleucie Madā’īn.

Il retourna et fut proclamé roi. Il était jeune, vaniteux, aimant la bonne chère, buveur et libertin. Il était versé aussi dans l’astrologie, à laquelle il s’adonnait et donnait toute sa confiance. Son père le maintenait sévèrement. Une fois en possession du pouvoir, il donna libre cours à ses goûts frivoles. Il relâcha les prisonniers et leur rendit ce que son père leur avait enlevé. Tout le monde s’en réjouit.

Bahram Jōbin se vit bientôt obligé de prendre la fuite.

Après avoir jeté le trouble dans l’armée, et avoir été la cause du désaccord entre Ḫosrō et son père, Bahram entra en rébellion contre Ḫosrō, lui fit la guerre, et s’empara de son trône, ce qui fit fondre sur le peuple de grands malheurs.

Parwez prit la fuite et se réfugia auprès de Maurice, roi des Romains pour implorer son secours. Il lui écrivit tout ce qui lui était arrivé et le supplia de le secourir en lui envoyant 40 000 combattants et 40 quintaux d’or pour les dépenses de l’armée.

Maurice examina sa demande et le reçut comme il convient à un homme plein de religion. Il lui accorda ce qu’il avait demandé. Il lui envoya les troupes deux généraux jusqu’à Qarqisiya et lui écrivit de se rendre à ‘Ana ou bien à Nisibe : car ces deux villes étaient situées sur les frontières des cieux empires.

Ḫosrō alla à Édesse ; il fut reçu avec honneur par les Romains qu’il rencontra sur son chemin ; il arriva ensuite à Manbij, il rencontra les troupes qui lui étaient données. Ḫosrō revint en ‘Iraq, où il battit Bahram, qui s’enfuit clans la montagne. Les Romains l’ayant poursuivi, il se réfugia dans le pays des Turcs. Ḫosrō fut maître de l’empire. Il fit aux troupes grecques de précieux et magnifiques présents ; il envoya aussi des cadeaux précieux à Maurice, qu’il appela son père ; il épousa sa fille Marie, d’autres disent qu’elle s’appelait Šīrīn — et lui céda Dara et Mayfarqat, dont son père Hormizd s’était emparé.

 

Ḫosrō, par reconnaissance pour Maurice, ordonna de rebâtir les égliseset d’honorer les chrétiens. Il bâtit lui-même deux églises pour Marie, et une grande église et un château dans le pays de Beyt Lašpar pour sa femme Šīrīn, l’araméenne. De son temps, les chrétiensjouirent de la paix, jusqu’aux derniers jours de Mar Sabr-Išō‘, qui succéda àIšō‘Yahb, et jusqu’à la mort de Maurice.

Que Dieu leur fasse miséricorde.

 

59. HISTOIRE DU PRETRE QUI S’ETAIT FAIT MAZDÉEN

Du temps de ce Ḫosrō, il y avait un prêtre, qu’un vif attachement au monde et à ses plaisirs avait porté à abjurer le christianisme pour embrasser la religion des Mazdéens. Le roi, qui l’avait honoré et élevé en dignité, voulut ensuite l’éprouver dans le but de savoir si c’était par conviction ou bien pour l’amour du monde qu’il avait changé de religion :

« Je désire, lui dit-il, voir comment les chrétiens célèbrent les mystères. »

Le prêtre lui demanda de mettre à sa disposition une maison isolée, avec tous les objets requis pour la célébration du sacrifice. Le roi ordonna de lui préparer tout ce qu’il demandait, et il s’assit à une place d’où il pût se rendre compte de ce que le prêtre alliait faire. Celui-ci commença à dire la messe. Au moment de la descente du Saint-Esprit, le roi vit la maison pleine

d’anges, vêtus de robes brillantes comme le soleil, et qui glorifiaient Dieu par leurs chants ; et le prêtre resplendissant de langues de feu et van d’une grande lumière.

Ḫosrō, frappé de ce spectacle, remercia Dieu de la vision qu’il lui avait accordée. Quand le prêtre eut fini la messe, on le vit dépouillé de ce dont il était vêtu.

« Tu n’es, lui dit le roi, ni chrétien, ni mazdéen. »

Il fit savoir cela au catholicos Išō‘ Yahb en lui faisant demander comment il fallait agir avec le prêtre :

« C’est au roi, dit-il, d’ordonner, et de faire ce qui lui semblera juste. »

Il ordonna de le crucifier et de confisquer ses biens. De ce jour, il honora les chrétiens et les aima d’avantage. Que Dieu lui fasse miséricorde.

 

60. — HISTOIRE D’AN-NU ‘MAN B. AL-MUNDHIR, ROI DE ḤĪRA

 

De même que Paul avait adhéré au judaïsme et Mar Aba au mazdéisme,de moine cet homme était attaché à la religion païenne. Il adorait l’étoileappelée Zohra et offrait des sacrifices aux idoles. Le démon le posséda. C’esten vain qu’il demanda secours aux prêtres des idoles. Il recourut à Siméon bJabir, évêque de Ḥīra, à Sabr-Išō‘, évêque de Lašom quidevint catholicos et au moine Išō‘ Zkha, et sollicita leurs prières, que noussollicitons nous aussi. Dieu le guérit; le démon sortit de lui.

 

Il reçut la foi et le baptême en la 4ème année du roi Ḫosrō (594). Il étaitattaché à la saine croyance ; il chassa les Jacobites de toutes ses provincesdans son zèle pour l’orthodoxie. Il régnait sur tous les Arabes qui se trouvaientdans les deux empires des Perses et des Romains. Si l’un ou l’autre de ces deuxrois, qui étaient alors en paix, lui demandait appui, celui-ci s’empressait delui venir en aide. Son fils agit pareillement.

Ses fils Ḥasan et Mundhir, avant vu la gràce dont jouissait leur père,reçurent eux aussi le baptême un an après lui (595), et firent baptiser tous les gensde leur maison. asan ordonna à ses esclaves de ne pas empêcher lespauvres d’approcher de lui quand il entrait dans l’église. Et quand Bistam se révolta contre Ḫosrō, asan le combattit et délivra Ḫosrō de sesmains.

Mais peu s’en fallut que Hassan n’y tombât lui-mème. Il était l’hommele plus attaché qui fût à la religion chrétienne. Que Dieu le Très-llaut leurfasse miséricorde.

 

61. — HISTOIRE DE YAUNAN, LE FONDATEUR DU COUVENT DE BAR ṬŪRĀ

Ce Saint naquit dans un village de la région de Beyt `Arbàyé ; il était laboureur, quand Dieu le Très-Haut le choisit. Il se rendit auprès des anachorètes, disciples de Mar Abraham, qui habitaient la montagne de Sinjar ; il passa avec eux 10 ans, s’occupant à semer, à moissonner et à moudre, se nourrissant de la même manière qu’eux et apprenant d’eux la vie monastique. Il leur révéla que Dieu l’avait choisi pour bàtir un couvent en cet endroit. L’un d’eux, Mar Aba’, dont Yaunan s’était fait le disciple, dit aux autres :

« C’est l’homme que Dieu le Très-Haut a envoyé pour fonder dans cette montagne un grand monastère. »

Quand Mar Aba lui en exprima sa volonté, Yaunan entra dans de nouvelles mortifications. Il se priva de toute nourriture sauf de feuilles de thym et d’herbes ; il opéra beaucoup de miracles ; il ouvrit les yeux d’un tigre, auquel une tigresse les avait crevés, à la porte desa cellule ; il prédit la fin de l’empire des Perses, l’apparition des Arabes etles malheurs que les hommes auraient à supporter. Les moines se groupèrentautour de lui pour la construction du couvent.

« Les Arabes, enfants d’ Ismaël, leur dit-il, viendront du désert et régneront. Ce couvent sera détruit ; mais 7 ans après, la paix régnera dans l’univers. Alors vous, qui aurez été dispersés, reviendrez à ce couvent et vous vous y retrouverez réunis. »

Puis il les bénit et mourut. Son couvent, dans lequel il a été enseveli, fut nommé couvent de

Bar Ṭūrā.

 

62. HISTOIRE DE JACQUES, FONDÀTEUR DU COUVENT DE ḤBĪS

C’est à cette époque que parut ce Saint dans la région d’Arzun. Il opéra beaucoup de miracles. On raconte qu’un jour, passant près de gens qui coupaient du sarment, il leur demanda ce qu’ils faisaient. Mais eux, se moquant de lui à cause des haillons dont il était vètu :

« :Nous déracinons, lui dirent-ils par raillerie, des ceps et nous plantons des épines. »

Il les traita comme le prophète Élisée avait traité les enfants qui s’étaient moqués de lui : « Que ce soit, leur dit-il, comme vous dites. » La vigne est restée jusqu’à nos jours comme un prodige étonnant ses tiges ressemblent à celles de la vigne, et ses feuilles à celles du lyciet épineux Sa renommée étant arrivée jusqu’aux moines, ils se réunirent autour de lui. Avec le secours d’un moine reclus, qui fut trouvé demeurant près de là, il bâtit un couvent et ils s’en occupèrent tous deux. C’est pour cela qu’il a été appelé le couvent de Jacques le Reclus

 

63. HISTOIRE DES PATRIARCHES JACOBITES.

Après la mort de Sévère, les Jacobites furent privés de patriarche connu depuis le règne de Justin jusqu’aux derniers jours de Maurice, parce que les empereurs romains les persécutaient, cherchaient attentivement à les expulser . Toutefois ils eurent deux patriarches occultes, mais qui ne purent arranger leurs affaires. Après la mort de Maurice, ils ordonnèrent un patriarche pour Antioche : c’était un homme de Raqqa, appelé Pierre ; celui-ci consacra des évêques pour plusieurs diocèses. Ils avaient aussi un autre patriarche à Alexandrie. Une querelle s’éleva entre ces deux patriarches, qui furent anathématisés l’un par l’autre.

 

64. HISTOIRE DE TITUS, EVEQUE D’AL-ḤADĪṯA

 

Dès les temps reculés, Ḥadīṯa était sous la juridiction du métropolitain d’Adiabène (Ḥazza). Les partisans de Sévère et de Jacques, s’y étant rendus en 866 d’Alexandre (555), en séduisirent les habitants et corrompirent leur esprit. Le catholicos l’avant appris, choisit un certain homme, appelé Titus, et le consacra évèque.

Celui-ci avait d’abord professé le mazdéisme ; mais ayant été choisi et illuminé par Dieu, il se fit baptiser. Il étudia dans l’École de Séleucie. Titus réfuta les Jacobites par ses controverses et les chassa de Ḥadīṯa. Il baptisa beaucoup de ses habitants, et des Juifs qui s’y étaient installés. Il opéra beaucoup de prodiges et guérit les malades. Il ressuscita par la permission de Dieu

un homme mort d’une piqûre de serpent, en lui faisant boire de l’eau dans laquelle il avait trempé sa croix. Yazdin, quand il accompagna Ḫosrō lors de son invasion dans la région de Dara (604), le visita, demanda sa bénédiction et lui donna trois cents deniers pour la construction de l’église de Ḥadīṯa. Titus, après sa mort, fut enseveli dans cette église. Que ses prières nous conservent.

 

65. HISTOIRE DE SAINT ET PUR MAR SABRIŠO‘ LE 31° CATIIOLICOS 3.

Ce saint Père était originaire d’un petit village, appelé Pirozabad, dans la contrée de Beyt Garmay ; son père, qui était berger, vit en songe un homme debout vêtu de gloire et de splendeur, qui lui disait :

« Tu auras un fils juste et pieux, et tu l’appelleras Sabr-Išō‘, car Jésus sera son espérance Il sera grand et pur; il s’élèvera en dignité et sera le chef de l’Église de Perse. Il réglera pendant son pontificat les affaires de l’Église aussi bien que celles de l’État. Les autres sectes, elles aussi, le regarderont comme leur chef. Son unique désir sera de glorifier Dieu et de le remercier. »

Il raconta cette vision à sa femme, qui loua Dieu en disant :

« Nous sommes ses serviteurs. Que sa volonté soit faite. Nous n’avons qu’à le remercier et à le louer. »

Quand elle fut enceinte, elle vit aussi en songe qu’elle avait mis son fils au monde ; il était comme assis sur un siège dans le temple de Jérusalem, couvert d’un voile et ayant sur la tête une couronne d’or ; des soldats se prosternaient devant lui et les foules se pressaient pour l’approcher et demander sa bénédiction ; et lui, il 4isait le signe de la croix sur leurs fronts. Elle entendit ensuite une voix qui lui disait :

« C’est celui-ci Sabrisô que tu as conçu. »

Aussitôt qu’elle se réveilla., elle prit l’encensoir ; elle y jeta de l’encens et remercia Dieu de la vision qu’elle venait d’avoir.

Enfin, son terme étant venu, elle enfanta un fils ; son père le porta à l’église pour le faire baptiser. L’enfant ayant pleuré comme pleurent tous les autres enfants, son père leva la main pour le faire taire. Mais un moine vertueux, qui se trouvait alors dans l’église, l’ayant. vu (faire ce geste) :

« Comment oses-tu, lui dit-il, lever la main sur le chef et le patriarche de l’Église »

Arrivé à l’âge de l’adolescence, ce Saint se mit à s’exercer à l’oraison. Il se rendit à Nisibe pour s’y instruire auprès d’Abraham l’interprète ; il excella en mérite et en science. S’abstenant, à l’instar de Daniel, des plaisirs de la table, il ne se nourrissait que de graines et de plantes. Puis il se fixa longtemps dans le couvent, où. s’étant engagé à contribuer avec les moines à la dépense de la nourriture, ceux-ci n’eurent pas occasion de soupçonner sa façon de vivre. S’en étant enfin aperçus, ils se mirent à l’observer.

Émerveillés de sa conduite et de ses austérités, ils vinrent le trouver en ebo,ur pour lui demander pardon de l’avoir obligé injustement à faire avec eux la dépense de la nourriture, dont il ne prenait rien. Voyant alors qu’ils avaient deviné sa vertu, il les quitta après être resté neuf ans avec eux, et alla à une montagne, dite de Sa trân où il bâtit une cellule et il y demeura pendant cinq ans.

Dieu, ayant voulu manifester aux hommes les dons qu’il avait accordés à ce Saint, inspira à un homme affligé par la mort de ses huit enfants qu’il avait perdus l’un après l’autre, d’aller le trouver pour lui demander de venir à sa maison. afin que par ses prières et ses demandes vécût l’enfant, qui devait lui naître. Le Saint alla avec lui ; entré dans la maison, il se mit à prier Dieu

en versant des larmes pour lui demander d’écarter de l’homme et de sa femme l’épreuve de perdre encore cet enfant. Il veilla toute la nuit. On entendit les voix des démons, qui criaient à la porte de la maison : « Ouvrez ; c’est le maitre de la maison qui est là. » En effet, le Saint, d’une parole, avait fermé sur eux les portes et les entrées, et avait fait tout autour de la maison

le signe de la croix. La femme enfanta un fils, qui fit la joie de ses parents et de sa famille.

La renommée du Saint se répandit dans les régions éloignées. Pour éviter les visites de la foule, qui avait commencé à venir le voir, il se retira dans un désert, pour y vivre dans la solitude. Deux esprits vinrent à lui et lui annoncèrent que son Seigneur lui ordonnait d’aller diriger son Église.

Puis, ayant mis sur sa tête un gros livre qu’ils avaient avec eux et dans lequel il y avait de l’écriture, ils commencèrent à y lire les paroles du rite de l’imposition des mains. Ils lui remirent aussi le bâton pastoral. Il eut deux fois cette vision Peu de jours après, les habitants de Lakan, inspirés du Saint-Esprit, vinrent le fiancer (à leur église) ; et le catholicos Īšō‘ Yahb le consacra leur évêque.

Une fois assis sur le siège épiscopal, il opéra des prodiges et des miracles étonnants. La nuit du dimanche des Rameaux, la pluie se mit à tomber ; elle continuait à descendre avec abondance ; le jour commençait dans les ténèbres ; la fête allait être troublée ; le peuple en était consterné. Sabr-Īšō fit élever les croix, et préparer l’appareil de la fête ; il sortit dans la cour, les mains levées au ciel. L’éclair cessa aussitôt de briller, le tonnerre de retentir et la pluie de tomber; le soleil se montra dans un ciel serein, la terre se sécha et le peuple, qui avait désespéré, se rassembla et célébra la fête avec une très grande joie.

On raconte qu’il se rendit après cela au (petit) Zab ; c’était au mois d’avril ; le fleuve avait débordé ; les eaux étaient grosses et très impétueuses. Le Saint fit sur les eaux le signe de la croix et passa le fleuve sans même que ses pieds fussent mouillés. Un hérétique, qui se trouvait là et qui avait sur lui des objets en or et en argent, le pria de le faire passer avec lui. Le Saint le fit passer. Le dissident se fit son disciple et l’accompagna ; il renonça à ses erreurs, et ne voulut jamais se séparer de lui.

On raconte aussi que la malédiction du Saint fit crever et mourir un homme injuste, qui avait faussement juré par son nom.

Une femme mazdéen alla le trouver pour lui demander de prier son Seigneur de lui accorder un fils. Il lui donna à boire de l’eau, dans laquelle il venait de se laver deux fois les mains ; la femme prit l’eau, mais éprouvant du dégout, elle n’en but pas ; toutefois étonnée et saisie de crainte de voir y pousser deux rameaux de myrte, elle consentit à la boire. Elle devint enceinte et mit au monde deux fils, semblables aux deux rameaux. Elle crut alors et reçut le baptême avec tous ses parents et tous ceux qui l’entendirent raconter son histoire.

 

Le Christ voulut convertir An-Nu‘man b.al-Mundhir et frère de Hindet de Marie. Celles-ci s’étaient faites chrétiennes avant leur frère. An-Nu‘mânadorait les idoles et offrait des sacrifices à Zohra; il était assassin et sanguinaire ; il ne pouvait entendre prononcer devant lui le nom du Christ ni parlerde quoi que ce soit de l’Église chrétienne. Mar Siméon ; évêque deḤīra, ne cessait de prier le Christ de choisir An-Nu‘mân. Dieu mit celui-ci àl’épreuve pendant trois ans.

Lorsqu’il voulait dormir après avoir mangé et bu,il lui apparaissait deux figures différentes : la première était un beau jeunehomme, au langage agréable, à l’odeur suave, qui se tenait debout devantlui ; et l’autre était un abyssinien, à la physionomie horrible, qui se tenait derrièrelui.

Le beau jeune homme lui disait :

« Si tu te faisais chrétien, ceserait ton bonheur. Ton empire grandirait, et, outre le royaume passager, tuaurais pour héritage le royaume éternel.

Loin de moi, lui répondait-il, derenoncer à ma maîtresse Al-‘Uzza, la Déesse souveraine, qui habite les cieux,pour me faire chrétien et adorer un homme crucifié par les Juifs. »

Quand ildisait cela, le garçon abyssinien qui était derrière lui le renversait par terre. Cenègre avait une figure vilaine, une physionomie horrible et une odeurrepoussante ; une écume dégoûtante lui sortait de la bouche : tout cela faisaittomber le roi en défaillance et lui faisait perdre connaissance. Il ne revenaità soi que le lendemain matin.

 

An-Nu‘mân eut à souffrir ces tourments et beaucoup d’autres maux que jepasse ici sous silence, comme ne faisant pas partie de l’histoire de ce Saint, jusqu’à ce qu’il eût recours à Simêon, évêque de Ḥīra, qui necessait de lui faire des exhortations :

« O homme vertueux, lui dit le roi,jeveux embrasser la religion chrétienne et recevoir le baptême. Mais je doisécrire à Ḫosrō b. Hormizd, pour lui rendre compte de ma résolution.

C’est bien, lui dit-il ; fais-le. »

Il lui écrivit, et reçut la réponse de Ḫosrō,qui lui en laissait la liberté. L’évêque, après avoir veillé toute la nuit, lebaptisa, lui, ses enfants, sa femme, tous les gens de sa maison et les plus

hauts dignitaires de son armée.

Mais il fut bientôt entouré par les hérétiques, qui se mirent à blâmer sa manière d’agir ; ils le portèrent à douter de ce que l’évêque Siméon lui avait enseigné, et firent alliance avec le démon contre lui.

Il fut donc possédé (une seconde fois) de l’esprit impur. Alors il écrivit au catholicos Īšō‘ Yahb d’Arzun, le priant de lui. envoyer l’évêque de Lašom, Sabr-Īšō‘ le thaumaturge, car le bruit des prodiges qu’il opérait et des guérisons qu’il obtenait sans remèdes aux malades les plus gravement atteints, s’était répandu partout. Il écrivit à Ḫosrō pour lui demander de le prier aussi d’aller le trouver. Le catholicos Īšō‘ Yahb et Ḫosrō écrivirent à saint Mar Sabr-Īšō‘ d’aller voir An-Nu‘mān. Il obéit ; il entra chez lui un vendredi, le 23 juillet ; il s’y rencontra avec Mar Īšō‘ Zkha, prieur du couvent,qu’il avait fait demander, connaissant son mérite et sa sainteté. Dès leur

entrée chez An-Nu‘mān, le démon se mit à crier :

« Malheur à nous, malheur à nous ! Nous sommes poursuivis par les disciples du Christ, notre ennemi. »

Les deux Saints, s’armant d’une courageuse énergie, élevèrent ensemble la voix en disant :

« Ferme la bouche, esprit rebelle et impur ; il ne t’est point permis de parler par une bouche qui a confessé le Christ, qui a reçu son corps et son sang, vivificateurs des fidèles. »

Le démon se tut. Saint Mar Sabr-Īšō‘ se tint devant l’autel et Išō‘-Zkha sous le soleil dans la plaine, et ils ne quittèrent leurs places que Dieu n’eût accordé la guérison au roi.

Le miracle fut éclatant et le bruit s’en répandit partout.

 

Ḫosrō b. Hormizd, étant parti selon sa coutume pour le pays des Mèdes en la 5ème année de son règne (594-5), Bistam le rebelle, qui était à Ray, fit ses préparatifs pour venir l’attaquer. Ḫosrō marcha contre le rebelle. Celui-ci de son côté s’avança avec son armée pour en venir aux mains.

Ḫosrō hésita devant le nombre des armées de Bistam et voulut retarder la guerre. Il descendit dé sa monture pour réfléchir sur ce qu’il devait faire. Pendant qu’il réfléchissait, lui apparut l’image d’un moine vieux, petit de taille, faible de corps, ayant un bonnet sur la tête et tenant un bâton dans la main gauche ; il saisit la bride de sa monture et se mit à la conduire avec énergie et vaillance sur le champ de bataille :

« Livre combat, lui disait-il, et ne crains pas ; car tu es vainqueur. »

Le roi dit à ceux qui étaient près de lui :

« Voyez-vous ce que je vois?

-Nous ne voyons rien, » lui répondirent-ils. Il comprit alors que c’était un secours venant de Dieu. Il leur dit alors l’apparition qu’il venait de voir :

« C’est ton aïeul, lui dirent-ils, qui t’a apparu. »

Mais, convaincu que cette vision n’était due qu’au Christ, le Dieu des chrétiens, il se moqua de leur parole ; il leva la main pour lancer ; son armée l’imita ; bientôt Bistam fut mis en déroute et son armée se réunit à celle de Ḫosrō. Après sa victoire, l’image, qui était sous ses yeux, disparut. Il retourna joyeux et pensant au secours que le Christ venait de lui prêter.

 

Mais quand la nuit vint,, pendant son sommeil, la même figure lui apparut en songe et lui dit : « Je te salue, ô roi victorieux. N’as-tu pas été étonné de la vision qui t’a apparu sur le champ de bataille ? C’est moi que tu as vu. Le Christ m’avait envoyé pour te porter secours.

-Vraiment, lui dit-il, c’était ton image ? Qui es-tu donc ?

-Je suis, lui dit-il, Sabr-Īšō‘, évêque de Lašom. »

Et il se réveilla. Il raconta cela à Šīrīn, sa femme, qui était chrétienne.

« Cet homme, dit-elle, dont tu parles, a fait des signes, des prodiges et des miracles. »

Dès lors il résolut de le faire catholicos.

 

Quand Išô Yahb d’Arzun mourut en la sixième année du roi Ḫosrō Parwez b. Hormizd, (595-6) celui-ci, en apprenant la nouvelle, dit :

« Nous remercions Dieu, qui prodigue ses bienfaits et ses merveilles, de nous avoir sauvé du sang de ce vieillard, qui est mort de mort naturelle ; malgré le crime qu’il commit envers nous, c’était un homme divin. »

Puis Ḫosrō ayant entendu le son des cloches à Madā’īn, sesouvint que les chrétiens avaient à ordonner un catholicos ; il se rappela en même temps la vision qu’il avait eue sur le champ de bataille et ce qu’il avait vu ensuite en songe. Il fit signe à ceux qui étaient présents de s’écarter, sauf Darjrō surnommé Taḫrid/Tajerbad et qui était chrétien :

« Pourquoi, lui dit-il alors, les chrétiens de notre empire ne cherchent-ils pas un chef ? »

Darjrō se prosterna la face contre terre devant le prince, et répondit :

« Ils n’ont pas différé de le nommer par négligence dans les devoirs de leur religion ; ils attendent seulement l’autorisation du roi. »

Puis Taḫrīd ordonna aux notables des chrétiens qui étaient à la porte de Ḫosrō de se réunir pour demander l’autorisation d’élire un chef. Les prêtres et les fidèles, réunis à la porte, unirent leurs voix pour rendre grâces au roi. En entendant ces cris, le roi dit à Takhrid de s’informer de cc qu’ils voulaient. Il répondit :

« Vos serviteurs les chrétiens veulent avoir un chef.

-Va les trouver, lui dit-il, et parle-leur ainsi : ‘Allez, et appliquez-vous avec zèle à choisir votre chef, faites-nous ensuite savoir qui il est et d’où il est, afin que nous l’appelions et l’établissions, s’il nous paraît digne !’ »

Takhrīd dit cela aux Pères, aux assistants et à tous les autres chrétiens. Ceux-ci furent contents et écrivirent aux autres Pères de se réunir pour faire l’élection. Le synode fut réuni le troisième vendredi du carême. Le roi qui avait connaissance de cette reunion, leur lit dire :

« Considérez comment j’ai agi avec vous en vous donnant la liberté de faire le choix que vous voulez. Vous avez en effet le pouvoir céleste, alors que moi, j’ai le pouvoir terrestre. Qu’il n’y ait personne parmi vous qui ait égard à un intérêt personnel qui puisse influencer son vote.

Vue celui que vous devez nommer soit parfait en sagesse divine, et en l’art, de gouverner à la satisfaction de tous ; afin qu’il soit capable d’être, par ses prières, un appui pour notre empire, et de vous gouverner pour le mieux. Si vous agissez autrement, nous vous retirerons le droit de suffrage, et nous désignerons nous-mêmes la personne qui nous plaira. »

Il faisait allusion à Mar Sabr-Išô’.

Les Peres et la foule des fidèles, qui se réunirent pour donner leur voix, ne furent pas d’accord et se divisèrent en deux groupes. Car quelques-uns d’entre eux se croyaient dignes du pontificat et le convoitaient. Chacun d’eux s’efforçait donc de tirer les suffrages de son côté. Les fidèles, au contraire, portaient leur choix sur d’autres. Le roi, qui, par ses émissaires, était tenu au courant de ce qui se passait, leur envoya Ṭaḫrīd leur dire : « Pourquoi tardez-vous tant à finir l’élection, et siégez-vous encore, livrés à d’oiseuses pensées ?

-Nous avons choisi, répondirent-ils, 5 évêques et d’autres personnages, tous sont bons ; nous ordonnerons celui que le roi autorisera ! »

Lorsque Ṭaḫrīd rapporta ce message, le roi remua la tète, se moquant d’eux, et dit :

« L’évêque Sabr-Īšō‘ est-il avec eux ou non ? Et s’il n’est pas venu, pourquoi ne l’avez-vous pas prié d’assister avec vous au synode ? »

Chagrinés par cette question, ils alléguèrent que Sabr-Īšō‘ était déjà vieux et que ses actes de mortification et sa grande sainteté l’avaient rendu débile.

« C’est, dirent-ils, pour ne pas le fatiguer que nous n’avons pas jugé convenable de l’appeler, mais si tu ordonnes, ô roi, qu’il soit présent, nous l’appellerons et nous l’honorerons. »

Le roi, en entendant cette réponse, rit de colère, et, remuant la tête, dit à Ṭaḫrīd :

« Dis-leur : Vous vous êtes écartés de ce que nous vous avions ordonné, chacun de vous a voulu l’autorité pour soi. C’est nous qui choisirons la personne qu’il vous faut, et nous lui donnerons l’autorité sur vous. »

Quand ils eurent entendu ce message, ils rendirent grâces, en les acclamant de toutes leurs forces, au roi et Ṭaḫrīd le chrétien.

 

66. — RÉCIT DE LA VISION QU’EUT MAR ṢABR-ĪŠō‘ ALORS QU’IL ÉTAIT

ÉVÉQUE DE LAŠOM

 

Pendant que les messages s’échangeaient entre le roi et le synode des chrétiens, et qu’on sellait les chevaux qui devaient ramener Mar Sabr-Īšō‘, ce Saint, qui reposait. sur un cilice après la prière, eut une vision pendant son sommeil. Deux pages, vêtus à la manière des cavalier persans.

s’étaient arrétés devant lui, et lui disaient :

« Debout, car les grands du roi des rois arrivent derrière et te demandent. » 11 répondit :

« D’où me viennent ces grand, à moi qui suis si petit ; et pourquoi me cherchent-ils ? »

Ils lui dirent :

« Ils sont assis dans l’église : ils nous ont dépêchés pour que nous l’amenions devant eux. »

Et pendant qu’il s’écriait :

« Je Ne suis pas digne de voir les grands du roi », voici que chacun des deux pages le liaient l’un par le bras droit et l’autre par le bras gauche et en faisant diligence, l’amenaient à ceux qui les avaient dépéchés, et qui attendaient assis devant le saint. Ils étaient vétus de. robes éclatantes, et portaient sur leurs têtes des couronnes ornées de pierreries. Et 1’un des pages disait :

« Seigneurs, nous vous l’amenons ; seulement, c’est un vieillard, et il aura du mal à monter à cheval. »

L’un des grands répondit :

« Il est en effet comme tu dis ; cependant, il ???? à monter à cheval pendant sept ans. » Et l’autre courtisan répliqua : « Et, méme pendant huit ans. »

Ils lui dirent :

«  Notre roi ordonne que tu sois cavalier de haut rang, et il te donne à conduire l’armée des chrétiens. L’un des Grands sortit de sa manche une bande de papier, sur laquelle il écrivit. Et en même temps qu’il écrivait, il proclamait d’une voix forte :

« C’est Sabr-Īšō‘, le cher des cavaliers qui adorent la croix. »

A ce moment, le Saint se réveilla.

 

67. REVENONSA CE QUI EUT LIEU LORS DE L’ÉLECTION

 

Ḫosrō envoya chercher saint Mar Sabr-Īšō‘ ; celui-ci arriva le lundi des Rameaux. Le roi, qui se réjouit de son arrivée, le fit descendre dans le palais de Šīrīn, sa femme, qui était chrétienne, et il interdit aux évêques et aux autres personnages d’entrer avec lui, si ce n’est Timothée, évêque de Beyt Bġaš. Il envoya celui-ci avec Takhrid le chrétien pour lui dire de sa part :

« Nous te permettons de te reposer pendant le reste de la journée, jusqu’à ce que nous t’ayons commandé ce que nous aurons décidé. »

Le jour du jeudi saint, le roi ordonna que les évêques, les métropolitains et tous les chrétiens se rendissent ‘à la porte de Sirin ; quand ils furent tous là, il dit à Takhrid d’amener Mar Sabr-Īšō‘ et de le mettre au premier rang des Pères en disant à ceux-ci :

« C’est le chef que Dieu vous a donné du ciel ; le roi l’agrée et le place à votre tête. Célébrez donc son élévation selon vos canons et vos règlements. Et quand la chose sera terminée, ramenez-le-moi avec le respect et les honneurs qui lui sont dus, afin que moi aussi je le voie et reçoive sa bénédiction. »

Takhrid exécuta l’ordre du roi. Les évêques et la foule ayant entendu le message, adorèrent Dieu et le remercièrent ; puis ils tombèrent aux pieds du Saint pour les baiser, et élevèrent leurs voix pour prévenir le roi. A huit heures, ils le conduisirent en cérémonie à Madā’īn, où ils l’ordonnèrent patriarche.

Le couronnement du patriarche et l ‘affluence de la foule doublèrent la ??? de la fête ; il célébra ensuite les mystères. Après la prière, on voulut le conduire hors de l ‘église, jusqu ‘à la porte du roi, comme il avait été ordonné. Mais la foule qui se pressait autour de lui était si grande, qu’il ne prit sortir de l ‘église ; peu s’ en fallut même qu ‘il ne pérît écrasé par la foule.

Takhrid alla informer le roi de ce qui se passait ; celui-ci lui donna sept cavaliers et il leur confia son propre cheval de selle afin qu ‘ils y fissent monter le Saint. Les envoyés furent étonnés de voir une si grande foule se presser autour de lui, et ils ne pouvaient parvenir jusqu ‘ à lui. Enfin ils s ‘approchèrent et lui dirent :

« Le roi t’ordonne de monter sur son cheval afin que tu te dégages et te présentes chez lui ; car il t ‘attend.

-Vive le roi ! leur dit-il ; mais je ne monte pas ; car il ne m’est point permis de voir la monture du roi, à plus forte raison, de la monter. Et puis je ne suis pas bon cavalier. Le roi veut me faire un honneur inouï. »

L’un d ‘eux se détacha pour informer le roi :

« Dis-lui, répondit le roi en riant : ‘Tu es cavalier céleste. Monte, notre cheval pour que tu parviennes jusqu’à moi et que nous recevions ta bénédiction. »

 

Et il ordonna que, s’il ne le voulait pas, ou l’enlevât pour le faire monter la bête malgré lui. Les évêques, ayant entendu l’envoyé redire cela de la part du roi, le prièrent avec la foule et tous les fidèles d’obéir au roi et de monter. Comme il refusait, les cavaliers l’enlevèrent et le placèrent sur le dos du cheval, et l’un d’eux saisit la bride pour le conduire. Mais le Saint, de la voix, arrêta le cheval, et lui parla ainsi :

« Ô cheval muet, si ceux qui parlent ne m’écoutent pas, toi qui n’es qu’une bête, tu n’avanceras plus, par le nom de Notre-Seigneur le Christ. »

Le cheval, qui était le plus vif des chevaux, s’arrêta, semblable à une muraille qu’on ne peut ébranler. On le frappa autant qu’on put sans pouvoir le faire bouger de sa place. Les Mazdéens, les Juifs et les Marcionites qui étaient présents, frappés d’étonnement et d’admiration à la vue de ce spectacle, remercièrent hautement Dieu de ce qu’ils venaient de voir et s’écrièrent :

« Heureux ceux dont tu es le chef ! »

Comme la foule se serrait de plus en plus sur lui, les cavaliers coururent en informer le roi. Celui-ci admira le prodige, remercia Dieu le Très-Haut, et s’en réjouit ; il ordonna que des fantassins munis de verges allassent écarter la foule du patriarche. Ce ne fut qu’à grand’peine qu’il put arriver à la porte du roi ; il était trois heures de la nuit. Il était suivi des évêques et des notables chrétiens, fonctionnaires du royaume. Le roi était assis sur son trône ; le palais était plein de lampes. Les domestiques, tenant à la main des encensoirs et des cierges, sortirent à sa rencontre de la maison de Šīrīn.

Quand le roi l’aperçut, il lui dit en souriant :

« O chef des chrétiens, sache bien que ce n’est pas nous qui avons fait d’admirables choses pour toi, mais c’est toi qui as fait des miracles, puisque, étant toi au pays de Beyt Garmay et nous à Ray, tu as saisi la bride du cheval et tu as poussé le cavalier, malgré lui, à entrer dans la mêlée et à gagner la victoire ; et aujourd’hui tu as rendu immobile, à l’instar d’une muraille, le cheval qui vole comme l’oiseau et qui ne peut pas souffrir d’entendre le bruit du fouet. Viens donc maintenant en paix. S’est accomplie la parole, qui se trouve dans votre livre, que la pierre que les maçons avaient rejetée est devenue la principale de l’angle. Sois donc heureux ; que notre empire se réjouisse de ton élévation à cette charge. » Sabri’Sô pria pour Lui et le bénit : et tous les hommes répondirent : Amen. »

 

Le roi se réjouit beaucoup ; les évêques nos Pères rougirent de ce qu’avait dit le roi touchant la pierre rejetée par les maçons, et furent confondus de l’histoire du cheval dont le Saint avait saisi la bride à Ray sur le champ de bataille. Le Saint s’en alla. Le lendemain matin il retourna pour son ministère à la porte du roi; on l’introduisit dans la maison de Šīrīn, où le roi vint avec Takhrid le trouver ; il avait donné l’ordre qu’on n’y laissât entrer personne.

Il le trouva humble selon sa coutume. Aussitôt qu’il vit le roi, il voulut se lever ; mais celui-ci l’en empêcha ; il lui baisa la tête, et s’assit devant lui ; puis il lui dit :

« Tes prédécesseurs étaient les esclaves de mon père et de mes aïeux ; mais moi je suis ton enfant et cette femme est ta fille. Tu seras admis en sa présence à tout moment que tu voudras soit de jour soit de nuit. Pour toutes les affaires importantes, envoie-moi un des tiens, ou bien viens me voir toi-même sans me demander si je t’autorise ; désigne quelqu’un en qui tu aies confiance pour donner la communion à ta fille Šīrīn quand elle le désirera ; et si tu peux la communier toi-même, fais-le. Prie toujours pour nous, pour notre empire et pour la prolongation de notre vie : c’est la dernière recommandation que nous te faisons. »

 

Le lundi de Pâques, le roi envoya dire aux évêques :

« Celui qui veut retourner à son pays, peut y retourner; et celui qui désire rester, peut rester ici. Mais choisissez quelqu’un parmi vous qui soit savant, versé dans les affaires, sage, patient et doux, qui n’aime point les richesses et qui soit agréé du catholicos, afin qu’il l’allège clans sa charge (le gouverner les affaires chrétiennes. »

Les évêques remercièrent Takhrid du souci qu’il prenait des affaires religieuses. Ils tombèrent d’accord avec le catholicos pour désigner l’évêque de Senna et l’introduisirent en sa présence. Takhrid informa le roi de leur obéissance à ses ordres et le pria de la part du catholicos de permettre aux évêques de rester chez lui un mois pour régler avec eux des affaires ecclésiastiques. Le roi le permit.

 

Puis des lettres de Ḫosrō arrivèrent à Maurice, roi des Romains ; il lui parlait des vertus de ce Saint, si bien qu’il lui donna un grand désir de le voir. Il envoya le maître de ses peintres avec le messager qui était venu vers lui :

« Va, lui dit-il ; prosterne-toi devant saint Mar Sabr-Īšō‘ patriarche des pays persans et peins fidèlement son image. »

A l’arrivée du peintre, lorsque le catholicos eut appris la chose, il s’y refusa en disant :

« Qui suis-je, pour qu’on agisse ainsi à mon égard ? Je n’en suis pas digne. »

Mais Ḫosrō lui demanda de laisser faire le peintre par égard pour l’amitié qui existait entre lui et Maurice. Le Saint y consentit alors bien. contre son gré, et le peintre s’en retourna en rapportant le portrait. Il appela quelques personnes qui avaient vu le Saint, mais qui n’avaient pas eu connaissance de la mission dont le roi l’avait chargé ; et il leur demanda :

« A qui ressemble cette image ? »

Ils répondirent, dans l’admiration où ils étaient :

« C’est Sabr-Īšō‘, le patriarche de l’empire des Perses, c’est lui-même en personne. »

 

Maurice continua à écrire à Mar Sabr-Īšō‘  pour lui demander sa prière. Puis il lui écrivit pour lui demander de lui envoyer le bonnet qu’il avait sur sa tête. Mais il en fut troublé et s’y opposa :

« C’est sa foi vive, lui dit le messager, qui a porté le roi victorieux Maurice à demander la bénédiction de la tète du Saint. Tu dois donc fortifier la foi des fidèles. »

A cette parole, il lui remit son bonnet après avoir prié secrètement et y avoir fait le signe de la croix ; il pria pour le roi Maurice, les fidèles et le messager. Celui-ci, ayant pris le bonnet, retourna chez Maurice et raconta sa mission.

Le roi baisa le bonnet ; ses parents et les habitants de son empire l’imitèrent; puis il le mit dans son trésor avec les ossements des Saints.

 

La correspondance continua entre Maurice et le catholicos. Celui-ci luidemanda de lui envoyer un petit morceau de la croix de Notre-Seigneur etde libérer de sa part les captifs d.’Arzun, de Beyt Zabday, de Beyt ‘Arabāyē et de Sinjar, il pensait que ce serait là une raison pour lui de prier Ḫosrō de libérer aussi les captifs romains ; et cela devait raffermir entre les deux princes l’amitié et les bons rapports. Le Saint demandait en outre à Maurice de lui donner un de ses vêtements. Maurice fit faire une croix en or ; il l’incrusta de pierreries ; il y mit un morceau de la croix de Notre-Seigneur le Christ, (que son nom soit adoré) ; il renvoya tous les captifs qui se trouvaient dans la capitale et dans le reste de l’empire et envoya la croix et un de ses habits à Mar Sabr-Īšō‘ le catholicos.

 

Mais Ḫosrō s’empara de la croix ayant qu’elle ne parvînt au catholicos, la posa avec beaucoup de respect sur une nappe de soie qu’il mit sur ses genoux : et après l’avoir ouverte, il en enleva le morceau de la vraie croix ; et il la rendit au messager. Lorsque le catholicos sut la chose, il écrivit à Maurice pour l’en informer et lui renvoya la croix d’or en disant :

« Je n’avais besoin que d’un morceau de la croix de Notre-Seigneur. Or Ḫosrō, dans l’excès de son amour pour Šīrīn sa femme, qui est chrétienne, vient de l’enlever. Je te prie donc de m’en donner un autre morceau, sinon je n’ai pas besoin de l’or.

 

Sur ces entrefaites, l’évêque Marūtā fut envoyé en ambassade auprèsde Ḫosrō et auprès du Catholicos. Il avait le plus somptueux costume etvoyageait avec la pompe la plus magnifique.

Sur l’ordre du roi, il fut reçu parTakhrid, Théodore, évêque de Cašcar, Mar Abda, évêque de Beyt Darâyē et Bot-Īšō‘, directeur de l’École.

Puis il demanda au roi l’autorisation d’aller saluer le catholicos : il croyait qu’il allait le trouver en costumede patriarche romain et dans leur somptuosité et leur apparat ordinaires.

Ayant donc vu Mar Sabr-Īšō‘ assis sur un sac dans un coin de sa cellule, vêtud’habits grossiers et ayant un bonnet sur la tête, il ne comprit pas quec’était le catholicos, jusqu’à ce qu’on le lui dît. Frappé d’étonnement :

« Leroi, lui dit-il, est obligé d’être avec sa famille en costume royal.

Notre-Seigneur le Christ, lui répondit le Saint, n’avait pas même comme les renardset les oiseaux une place pour y reposer sa tête »

Il repoussa ainsi ses attaques,et par beaucoup d’autres témoignages des Écritures ; si bien qu’il leconfondit et le réduisit au silence

68. RÉCIT DU MIRACLE OPÉRÉ PAR MAR Sabr-Īšō‘ CATIIOLICOS ENPRÉSENCE DE L’ÉVÊQUE MARŪTĀ

 

Un jour que l’évêque Marūtā et d’autres évêques étaient assis en présence de Mar Sabr-Īšō‘, un homme chrétien entra chez eux, conduisant son fils âgé de 14 ans, qui était aveugle et muet ; il s’arrêta au milieu d’eux et dit en pleurant amèrement :

« O notre Père, ayez pitié de moi, Sabr-Īšō‘ lui demanda son histoire :

« C’est mon fils, lui dit-il, qui faisait ses études ; il était vif et intelligent. Et voici qu’il y a quatre jours, sortant de l’école avec deux autres enfants, il rencontra un marcionite, un de ceux qu’on appelle (KHNH) ; ils se mirent à l’exciter en lui parlant avec mépris. Le marcionite, emporté de colère et de rage, se rua sur eux. Les deux camarades prirent la fuite ; quant à ce pauvre enfant, il resta et le marcionite le saisit.

Les deux garçons racontèrent qu’ils virent de loin le marcionite arrèter ce jeune homme, et lui étendre la main sur les yeux, sur la bouche et sur les lèvres, en lui disant :

‘Combien vous nous méprisez, vous enfants de la juive Marie !’

Il perdit aussitôt la vue et devint muet. Et le magicien marcionite s’en alla, laissant à la place où il était ce jeune homme, qui ne connaissait plus sa route. »

 

Les assistants furent frappés d’étonnement. Des chrétiens qui se trouvaient là rendirent témoignage à l’intelligence de l’enfant et à son jugement.

Le bienheureux Mar Sabr-Īšō‘ baissa les yeux ; puis il leva la tête et dit :

« Ne crains pas, mon enfant. Les prières de l’évêque Maroutha rendront à ton fils la vue et la parole, et confondront le démon avec ses suppôts. »

Puis il étendit sa main si pure vers l’enfant ; et, l’ayant saisi avec la main gauche, il lui frotta les yeux trois fois avec la main droite. Puis ayant mis son index dans la bouche, il fit avec ce doigt le signe de la croix sur le front et sur la bouche de l’enfant, en lui disant :

« Raconte, mon enfant, ce que t’a fait le démon. »

Aussitôt le jeune homme vit, et le noeud qui liait sa langue fut dénoué ; et il dit en prononçant très bien ses mots :

« Voilà ce que m’a fait le marcionite ; et j’ai vu sortir de sa bouche une sorte de corbeau noir, qui m’a frappé sur les yeux et sur la bouche et m’a rendu aveugle et muet. »

Les assistants, émerveillés de ce spectacle, unirent leurs voix pour remercier hautement Dièu. L’évêque Maroutha, stupéfait et tout troublé de ce qu’il venait de voir de ses propres yeux :

 

« Vraiment, dit-il, ô homme élu de Dieu : La fille duroi est toute resplendissante d l’intérieur I ; et Ceux qui portent des habits précieux sont dans les maisons des rois, ainsi que tu me l’as dit en me faisantdes reproches, alors que je te critiquais sur la pauvreté de ta mise. »

 

Marūtā resta chez lui pendant deux mois; il allait avec lui au palaisde Ḫosrō ; il célébrait avec lui la messe ; et il reçut les oblations sans plusde doutes ni de scrupules. Il visita l’École, où il écouta la lecture et le commentaire, et demanda l’interprétation de quelques passages. Il fit du bien auxécoliers, aux faibles et aux indigents, qu’il combla de ses dons.

Maroutharetourna tout content et remerciant Dieu le Très-Haut de ce qu’il avait vu.

Le catholicos lui donna des parfums et des présents, qui lui venaient desIndes et de la Chine, et le fit reconduire par l’évêque de BeytDārāyē et son secrétaire Bot-Īšô`.

A son retour, il raconta ce qu’il avait vu àMaurice, puis au patriarche et aux personnages de l’empire. C’est ainsi quela renommée du Saint se répandit dans le royaume romain.

 

Pour imiter Maurice, qui lui avait envoyé l’évêque Mārūtā, Ḫosrō voulut lui envoyer lui aussi un évêque en ambassade. Il demanda donc au catholicos de lui désigner quelqu’un de digne de cette mission. Le catholicos choisit Milas, évêque de Senna. Il l’envoya à Maurice muni de lettres. Le catholicos lui aussi lui remit des lettres pour le patriarche de Constantinople. Il fut accueilli avec honneur. Le patriarche l’introduisit en la présence de l’empereur ; il fit un discours dans lequel il pria pour celui-ci, pour ses enfants, pour l’empire et pour les généraux. Il fit des aumônes aux indigents et aux faibles. Au moment de son départ, Maurice lui remit un morceau

de la croix de Notre-Seigneur qu’il enferma dans cette croix d’or que Mar Sabr-Īšō‘ le catholicos lui avait rendue.

Que les prières de ce Saint soient avec nous.