Anonyme, Entretien de l’Emir des Muhajirîn avec le Patriarche Jean (631-648), v. 716 n-è

Ensuite, lettre de Mar Jean, patriarche, au sujet de l’entretien qu’il eut avec l’émir des Mahgrayê

1. Parce que nous savons que tous êtes dans le souci et la crainte à cause de nous, au sujet de l’affaire pour laquelle nous avons été appelés en cette région, (avec) notre bienheureux père le patriarche, nous faisons savoir à Votre Charité que le 9 de ce mois de mai, le jour du saint Dimanche, nous sommes entrés chez l’illustre général émir, et ce bienheureux père notre patriarche a été interrogé par lui si c’est un seul et même évangile sans aucune différence, qui est tenu par tous ceux qui sont chrétiens et qui portent ce nom par tout le monde.

Le bienheureux lui répondit qu’il est un et le même chez les Grecs, les Romains, les Syriens, les Egyptiens, les Kushites, les Hindis, les Arméniens, les Perses et le reste de tous les peuples et des langues.

2. Il lui demandait encore :

«Pourquoi, puisque l’Evangile est un, la foi est-elle différente ?

Et le bienheureux répondit :

« De même que la Loi est une et la même, et qu’elle est acceptée par nous autres chrétiens et par vous Mahgrayê, et par les juifs et par les samaritains, et chaque peuple est divisé pour la foi ; il en est de même pour la foi de l’Evangile, chaque hérésie le comprend et l’interprète de manière différente, et non comme nous.

3.  Il demandait encore :

« Que dites-vous qu’est le Christ ; qu’il est Dieu ou non ? »

Et notre père répondit :

« Nous disons qu’il est Dieu et le Verbe qui est né de Dieu le père, éternellement et sans commencement, et qu’à la fin des temps, pour le salut des hommes, il s’est incarné et s’est fait homme du Saint-Esprit et de la Sainte Vierge, Mère de Dieu, Marie, et il fut homme. »

4. L’illustre émir lui demanda encore ceci :

« Lorsque le Christ était dans le sein de Marie, Lui que vous dites être Dieu, qui portait et gouvernait le ciel et la terre ? »

Notre bienheureux père lui rétorqua le même argument :

« Lorsque Dieu descendit sur la montagne du Sinaî, et y fut en conversation avec Moïse durant quarante jours et quarante nuits, qui portait et gouvernait le ciel et la terre ? car vous dites que vous recevez Moïse et ses écrits. »

L’émir dit :

« C’est Dieu qui était et qui gouvernait le ciel et la terre. »

Et aussitôt il entendit de notre père :

« Il en est de même du Christ Dieu ; quand il était dans le sein de la Vierge, il portait et gouvernaît le ciel et la terre et toat ee qui est eu eux, en tant que Dieu, tout-puissant.»

5. L’illustre émir dit encore :

« Quelles étaient l’opinion et la foi d’Abraham et de Moïse ? »

Notre bienheureux père dit :

« Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, et le reste des prophètes, tous les sages et les justes, avaient et tenaient la foi des chrétiens. »

L’émir dit :

« Pourquoi dès lors n’ont-ils pas écrit avec clarté et n’ont-ils pas fait connaître ce qui concerne le Christ? »

Notre bienheureux père répondit :

« Ils le savaient, en tant qu’ils étaient les confidents et les familiers (de Dieu), mais — (à cause de) l’enfantillage et de la rudesse du peuple d’alors, qui penchait et tendait vers le polythéisme, au point de regarder comme dieux des bois, des pierres et beaucoup de choses, d’élever des idoles, de les adorer et de leur offrir des sacrifices, — les saints ne voulaient pas donner prétexte aux égarés de s’éloigner du Dieu vivant et de suivre l’erreur, mais ils proclamaient avec circonspection ce qui est la vérité :

“Ecoute, Israël, le Seigneur Dieu est un Seigneur Un”, car ils savaient en vérité qu’il n’y a qu’un Dieu et une divinité, du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; aussi ils parlaient de manière mystérieuse et ils écrivaient au sujet de Dieu que le même est un dans la divinité et (qu’il est) trois hypostases et personnes ; car il n’y a pas et on ne confesse pas trois dieux ou trois divinités, ni en aucune manière des dieux et des divinités, parce qu’il y a une seule divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme nous l’avons dit, et du Père procèdent le Fils et l’Esprit ; et, si vous le voulez, je suis prêt et disposé à confirmer tout cela à l’aide des Livres saints.»

6. Ensuite, lorsque l’émir entendit tout cela, il demanda seulement de lui démontrer par le raisonnement et par la Loi que le Christ est Dieu et qu’il est né de la Vierge et que Dieu a un fils.

Et le bienheureux dit que non seulement Moïse, mais encore tous les saints prophètes ont prophétisé d’avance et ont écrit cela au sujet du Christ. L’un a écrit au sujet de sa naissance d’une vierge, un autre qu’il naîtrait à Bethléem, un autre (a écrit) au sujet de son baptême ; tous, pour ainsi dire (ont écrit), au sujet de sa passion salvatrice et de sa mort vivifiante et de sa résurrection glorieuse du tombeau après trois jours ; et il commença à le confirmer d’après tous les prophètes et d’après Moïse en même temps.

 Et l’illustre émir n’accepta pas les (paroles) des prophètes, mais réclama Moïse pour lui démontrer que le Christ est Dieu ; et le bienheureux, avec beaucoup d’autres choses, cita Moïse :

« Le Seigneur fit descendre de devant le Seigneur le feu et le soufre sur Sodome et sur Gomorrhe. »

L’illustre émir demanda qu’on le lui montrât dans le livre même, et notre père le lui fit voir, sans erreur, dans les livres complets grecs et syriaques. Certains Mahgrayê étaient présents avec nous en cet endroit, et ils virent de leurs propres yeux ces passages et le nom glorieux des Seigneurs et du Seigneur. L’émir appela un juif qui était et qu’ils réputaient un connaisseur de l’Ecriture, et il lui demanda s’il en était ainsi textuellement dans la Loi. Et celui-ci répondit :

« Je ne le sais pas avec exactitude »

7. L’émir en arriva de là à interroger au sujet des lois des chrétiens ; quelles et comment sont-elles ; si elles sont dans l’Evangile ou non ? Il ajouta :

« Si un homme meurt, et laisse des garçons ou des filles, et une femme et une mère et une soeur et un cousin, comment convient-il de leur partager l’héritage ?

Quand notre père eut dit que l’Évangile divin enseigne et impose les doctrines célestes et les préceptes vivifiants; qu’il maudit tous les péchés et tous les maux; qu’il enseigne l’excellence et la justice, et que beaucoup de choses eurent été citées à ce sujet,

Il y avait là réunis en foule non seulement les nobles des Maghrayê, mais les chefs et les gouverneurs des villes et des peuples fidèles et amis du Christ, les Tanûkayê, les Tû’aïé et les ‘Aqûlayê, l’illustre émir dit :

« Je vous demande de faire une chose de trois : ou de me montrer que vos lois sont écrites dans l’Evangile, et de vous conduire par elles, ou d’adhérer à la loi Mahgrâ ! »

Et lorsque notre père eut répondu que nous avons des lois, nous autres chrétiens, qui sont justes et droites, qui concordent avec l’enseignement et les préceptes de l’Évangile et les canons des apôtres et les lois de l’Eglise, la réunion de ce premier jour fut dissoute là-dessus, et nous n’arrivâmes plus jusqu’ici à paraître devant lui.

8. (L’émir) avait fait venir aussi certains des principaux tenants du concile de Chalcédoine, et tous ceux qui étaient présents, orthodoxes ou chalcédoniens, priaient pour la vie et la conservation du bienheureux patriarche ; ils louaient et ils exaltaient Dieu qui avait donné abondamment la parole de venté à sa bouche et qui l’avait rempli de sa force et de sa grâce, selon ses promesses véridiques lorsqu’il a dit :

« Ils vous conduiront devant les rois et les gouverneurs à cause de moi, mais ne soyez pas en souci de ce que vous direz et ne méditez pas ; car il vous sera donné, en cette heure, ce que vous devez dire, parce que ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père parle en vous. »

9. Nous mandons à Votre Charité ces quelques mots des nombreuses choses qui furent agitées en ce moment, afin que vous priiez sans cesse pour nous avec zèle et soin et que tous suppliiez le Seigneur afin que, dans ses miséricordes, il visite son église et son peuple, et que le Christ donne à cette affaire l’issue qui plaît à sa volonté, qu’il aide son église et qu’il console son peuple.

Même ceux du concile de Chalcédoine comme nous l’avons dit plus haut, priaient pour le bienheureux patriarche, parce qu’il avait parlé pour tout l’ensemble des chrétiens et qu’il ne leur avait pas porté préjudice. Ils envoyaient constamment près de lui et ils demandaient à sa bonté de parler ainsi pour tout l’ensemble et de ne rien soulever contre eux, car ils connaissaient leur faiblesse et la grandeur du danger et du péril qui menaçait, si le Seigneur, selon ses miséricordes, ne visitait pas son Eglise. ».

10. Priez pour l’illustre émir, pour que Dieu lui donne la sagesse et l’éclairé sur ce qui plaît au Seigneur et lui est avantageux.

Le bienheureux père de l’ensemble (des chrétiens) et les saints pères qui sont avec lui : Abba Mar Thomas, et Mar Sévère, et Mar Sergis et Mar Aitilah et Mar Jean et toute leur sainte compagnie, et les chefs et les fidèles qui sont réunis ici avec nous; et surtout notre cher et sage directeur, protégé du Christ, Mar André, et nous, Humbles dans ie Seigneur, nous demandons votre salut et vos saintes prières, toujours.

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11. Ensuite fléaux divers qui sont venus sur la terre l’année 1024 comput d’Alexandrie (713) et les suivantes

Lorsque l’empire des fils d’Ismaêl tenait le pouvoir et sa domination s’étendait sur toute la terre, aux jours de Walid b. Malik b. Marwan, qui régnait à cette époque, et lorsque Elie, du monastère de Gûba-Baraya, célèbre dans le désert, était reconnu patriarche de la foi apostolique des orthodoxes par toute la terre de Syrie.

12. En l’an 1023 du comput des Grecs (712), le 8 du mois d’août, apparut un signe dans le ciel sous la forme d’une longue lance dont la pointe était étendue, élevée du côté nord; elle regardait et elle était inclinée vers le côté sud. Elle était visible, au moment du soir, environ deux heures.

13. L’an 1024, l’année suivante, aux mois de décembre à février, il y eut la punition d’une grande maladie (sahtâ) sur la terre; beaucoup d’hommes moururent alors sans miséricorde. Durant cette punition dont nous avons parlé, avant qu’elle eût pris fin, en cette même année, au mois de février, le 08 de ce mois, au matin du mardi, au milieu de la nuit, il y eut un grand mouvement et tremblement, au point que les maisons des bourgs et les églises avec des villes nombreuses et grandes tombèrent sur leurs habitants et les tuèrent de manières diverses et terribles :

Il y eut des maisons, des bourgs et des villes qui furent engloutis; il y en eut dont les habitants furent étouffés, d’autres ou ils furent écrasés; dans d’autres, les maisons servirent de tombeaui à beaucoup, tandis que d’autres s’échappèrent Tout cela arriva selon les justes jugements de Dieu, incompréhensibles et admirables. Cela fut connu surtout par la renommmée et par le récit qui nous en vint de la part de ceux qui allèrent voir dans le pays, c’est-à-dire la région que l’on nomme maintenant occidentale, je veux dire la ville d’Àntioche et le climat de Sidqâ et de Xiût, et tout le rivage de la mer et des îles. Ce mouvement, c’est-à-dire tremblement, dura depuis le 08 février jusqu’à l’année 1027 (716), de sorte que les habitants des bourgs, des villes et de tous les endroits, avec les biens qui leur restaient, passèrent tout ce temps en dehors de leurs maisons. Us demeuraient et habitaient dans les champs, dans les montagnes, dans les aires, dans jardins où ils se faisaient des tentes et des huttes; leurs biens gisaient sans protection, exposés à l’air, à cause de la crainte et du tremblement devant cette punition terrible, amenée à cause de nos péchés, — c’est-à-dire des illégalités — sur la terre et sur ceux qui y habitent.

14. Ensuite, lorsque ces deux fléaux redoutables, qui marchaient de pair, n’avaient pas encore cessé, c’est-à-dire n’avaient pas pris fin, Dieu envoya encore sur la terre un troisième fléau, celui qui est encore appelé peste (sar’ûtâ); dans les pays divers, on ensevelissait les hommes sans miséricorde et sans nombre.

15. En sus du fléau mentionné maintenant, Dieu envoya encore sur la terre la privation de la pluie et les sauterelles qui détruisirent les vignes, les racines et les plantes et tout ce qui a été fait et établi par Dieu peur sustenter les hommes.

16. De plus, le ?? du mois de mai, le samedi, il y eut un ouragan violent au point que les arbres furent déracinés, les maisons tombèrent et les hommes purent à peine se tenir debout sur la terre.

17. Après cela il y eut par endroits une grêle violente qui frappa les vignes et les plantes (2) ; afin que, par ces fléaux divers, effrayants, redoutables et insupportables, par toutes ces choses qui arrivaient en même temps, les survivants qui avaient péché fussent réprimandés et effrayés, qu’ils se repentissent de leurs péchés et qu’ils redoutassent ce qui est écrit : car le Christ, le Verbe de Dieu le Père, a dit aussi au peuple stupide et au cœur dur des Juifs : Pensez-vous, a-t-jt dit, que ceux sur lesquels la tour de Siloé s’écroula étaient plus pécheurs que vous ? En vérité, je vous le dis, si vous ne faites pas pénitence, vous périrez comme eux.

18. Ensuite, en Tannée 1026 (715), au mois de février, le roi Walid mourut ; il eut pour successeur au pouvoir son frère Sulaymân, qui jugea, soumit, dépouilla les satrapes, les chefs et les banquiers qui étaient sous sa main; il en tira beaucoup d’or et d’argent. Il réunit aussi tous les trésors des Sarrasins, les accumula et les plaça dans un trésor public dans la ville de Jérusalem, qui est, à ce qu’on dit, au milieu de la terre.

19. Après cela, en l’an 1026 (715), au mois d’avril, il y eut une pluie ou plutôt une grêle violente et redoutable, au point quelle tua et quelle étouffa des troupeaux de petit bétail en nombre considérable dans l’inondation qu’elle produisit A cette même occasion, des hommes aussi périrent avec des troupeaux de chameaux et d’ânes.

20. Ensuite, en l’année 1027 (716), le avril, un lundi, il y eut une grêle violente et redoutable au point que des plantes et des semences périrent ainsi que des oiseaux en grand nombre.