Zayyanî, Oeuvres de Moulay Ismail (Mosquée, Palais, Greniers, Ecuries, Armée d’Esclave), v. 1820 n-è

Le sultan Ismaïl s’occupa ensuite de surveiller lui-même la construction de ses palais; à peine en avait-il terminé un qu’il en faisait commencer un autre. Comme la mosquée de la qasba ne pouvait plus suffire à contenir le peuple, il y fit édifier la mosquée d’Elakhdar : la porte principale de ce nouveau temple faisait face à la ville.

Greniers, Bassin et Ecuries

La nouvelle qasba était percée de vingt portes fortifiées et surmontées de bastions portant canons et mortiers.

A l’intérieur, le sultan avait fait établir une grande pièce d’eau sur laquelle on pouvait se promener en barque. On y trouvait aussi un grenier à grains près duquel étaient des réservoirs d’eau très profonds et recouverts de voûtes ; au-dessus il y avait une batterie de canons.

Le sultan avait également installé une écurie pour ses chevaux et ses mulets ; elle était longue de 3 milles et tout le pourtour était garni de râteliers ; on y pouvait, dit-on, attacher 12 000 chevaux. Le plancher reposait sur des voûtes sous lesquelles on mettait l’orge destiné à la nourriture des chevaux. Au milieu, on avait bâti un immense magasin très solide et très élevé qui servait à remiser les selles et autres parties du harnachement.

Ismaïl avait encore fait construire dans la qasba un palais appelé Elmansour; ce palais renfermait vingt coupoles, et chacune de ces coupoles avait une tour d’où l’ondominait le panorama formé par les plaines et les montagnes de Miknâs. Sur toute la longueur de l’écurie, on avait planté des arbres des espèces les plus rares. La qasba renfermait environ cinquante palais, chacun d’eux ayant sa mosquée, son bain et sa salle d’ablutions, en sorte qu’il était indépendant du palais voisin. Jamais semblable chose ne s’était vue sous aucun gouvernement arabe ou étranger, païen ou musulman. On rapporte que. la garde des portes de ce palais était confiée à 1200 eunuques noirs.

 Armée des Abids

La passion qu’avait Ismaïl de réunir des esclaves noirs l’amena à constituer une armée de nègres, et voici dans quelles circonstances. Un jour qu’il était à Murrâkush, un taleb de celte ville lui présenta un registre sur lequel figuraient les noms de tous les nègres qui avaient fait partie de l’armée d’Elmansour. Le sultan ayant demandé au taleb s’il restait encore quelques-uns de ces nègres : ce Beaucoup, répondit celui-ci, à Murrâkush même, autour de la ville et dans les tribus voisines. Si vous vouliez, seigneur, me charger du soin de les réunir, je le ferais volontiers, n Ismaïl écrivit alors à ses agents et leur enjoignit de seconder le taleb dans la mission qu’il lui confiait de réunir les nègres et leurs enfants. Le taleb se mit aussitôt en route. Quand le sultan fut de retour à Miknâs, après ce voyage à Murrâkush, il ordonna à son secrétaire Muhammad Elayyâchi de se rendre dans les tribus arabes, chez les Bni Hasen et dans les montagnes, et d’en ramener tous les nègres qu’il y trouverait.

Enfin, les agents du sultan dans les tribus reçurent l’ordre d’acheter ceux que celles-ci possédaient. Tous les nègres furent donc ainsi réunis et il ne resta pas dans tout le Maghreb soit dans les villes, soit dans les campagnes un seul nègre ni une seule négresse, même de condition libre.

Lorsque le taleb Ayyâch Elmarrekochi fut de retour de sa mission, que Ibn Elayyâchi et les autres agents eurent rassemblé tous les nègres qu’ils avaient trouvés ou achetés, le sultan fit distribuer à ces nègres des vêtementset des armes; puis il leur désigna des chefs et, leur ayant donné de quoi faire bâtir, il les dirigea sur Mechra Erremell. Arrivés sur les bords de l’Wad Felfela, ils construisirent des maisons, cultivèrent leurs terres et demeurèrent ainsi jusqu’au jour où leurs enfants atteignirent l’âge de puberté. Alors le sultan ordonna à tous ces nègres de lui amener leurs enfants, garçons ou filles, âgés de dix ans.

Certains de ces enfants furent placés pendant une année en apprentissage chez des maçons, menuisiers ou autres artisans, les autres furent employés comme manoeuvres à faire le mortier. La seconde année, on les exerça à conduire les mulets ; la troisième année, ils apprirent à damer et à faire du pisé; la quatrième année, on leur remit des chevaux qu’ils durent monter à cru sans selle et en se tenant à la crinière; la cinquième année, on leur fit monter des chevaux sellés sur lesquels ils se perfectionnèrent dans l’équitation, en môme temps qu’ils apprirent à tirer à cheval. Quand ces enfants eurent atteint l’âge de seize ans, ils furent enrégimenlés sous l’autorité de chefs choisis dans l’armée; on les maria alors aux jeunes négresses qui avaient été réparties dans les palais du souverain, où elles avaient appris la cuisine, le ménage et le savonnage. Quant à celles de ces jeunes filles qui étaient jolies, on les avait remises à des maîtresses qui leur avaient enseigné la musique; leur éducation musicale terminée, on leur donna un costume et une dot, puis chacune d’elles fut conduite à son mari, qui l’emmena après avoir été inscrit ainsi qu’elle sur un registre. Ces époux devaient remettre leurs enfants : les garçons au service militaire, les filles, à la domesticité dans les palais. Ce système de recrutement dura jusqu’à la fin du règne d’Ismaïl.

Chaque année, le sultan allait au camp de Mechra Erremel et en ramenait les enfants. Le registre militaire de l’armée noire compta jusqu’à i5o,ooo hommes, dont 70,000 à Mechra Erremel, 2 5,ooo à Wadjh Arous à Miknâs; le reste était réparti dans les forteresses que le sultan, ainsi que chacun sait, avait fait bâtir dans le Maghreb, de Oudjda à l’Wad Noun. La plupart de ces forteresses subsistent encore aujourd’hui. J’ai puisé ces chiffres dans l’histoire de Elliamidi et dans les registres de Seliman Ezzerhouni, secrétaire de Maulay Ismaïl. Dieu lui fasse miséricorde ! D’ailleurs le souvenir de ces chiffres s’est conservé jusqu’à notre époque. Quant aux forteresses