Plutarque, Vie de Dion, restaurateur de Syracuse (vs Brutus), v. 100 n-è

Simonide dit, mon cher Sossius Sénécion, que la ville de Troie ne sut point mauvais gré aux Corinthiens de ce qu’ils s’étaient joints aux Grecs pour lui faire la guerre, parce que Glaucus, qui était originaire de Corinthe, combattait avec zèle pour sa défense. Il me semble de même que les Grecs et les Romains n’ont pas à se plaindre de l’Académie, puisqu’elle les a également favorisés, comme tu le verras dans ce volume, qui contient les Vies de Dion et de Brutus ; car, l’un ayant été disciple de Platon lui-même, et l’autre ayant été nourri des préceptes de Platon, ils sont sortis tous deux comme d’une même palestre pour exécuter les plus grands exploits. Or, que tous deux, par la ressemblance et, pour ainsi dire, la fraternité de leurs actions, ils aient rendu ce témoignage au philosophe qui fut leur guide dans la pratique de la vertu, savoir, qu’un homme d’État, pour donnera sa conduite politique toute la grandeur et tout l’éclat dont elle est susceptible, doit unir dans sa personne, à la fortune et à la puissance, la prudence et la justice, c’est de quoi il ne faut pas s’étonner. Car, de même qu’Hippomachus, le frotteur d’huile, reconnaissait de loin, à ce qu’il assurait, ceux qui avaient fait leurs exercices sous ses leçons, à la manière seule dont ils rapportaient 393 leurs provisions du marché, de même la raison accompagne toujours les actions des hommes qui ont été bien élevés, et met dans leur conduite un accord et une harmonie conformes aux prescriptions de la bienséance. Les divers accidents de fortune qu’éprouvèrent ces deux personnages, et qui furent moins l’effet de leur détermination propre que la suite des événements, mettent dans leur vie une grande ressemblance. Ils périrent l’un et l’autre avant d’avoir atteint le but de leurs entreprises, et sans avoir pu tirer aucun fruit de leurs grands et glorieux travaux. Mais, ce qu’il y a de plus étonnant encore, c’est que les dieux les avertirent également l’un comme l’autre de leur mort, par l’apparition d’un funèbre fantôme. Il est vrai que bien des gens rejettent ces sortes d’apparitions, prétendant que jamais ni spectres ni esprits ne sont apparus à un homme sensé, et qu’il n’y a que les enfants, les femmes, ou les hommes dont le cerveau est affecté par quelque maladie, l’esprit aliéné et le corps souffrant, qui admettent ces vaines et absurdes imaginations, et qui se frappent de l’idée superstitieuse qu’ils ont un mauvais Génie (2). Mais, si Dion et Brutus, hommes graves, profondément versés dans la philosophie, et incapables de se laisser abuser et surprendre par aucune passion, ont été émus de l’apparition d’un fantôme jusqu’à en faire part à leurs amis, je ne sais si nous ne devons point admettre, tout étrange qu’elle nous paraisse, cette opinion que l’antiquité nous a transmise : qu’il y a des démons envieux et méchants, qui s’attachent par jalousie aux hommes vertueux, mettent obstacle à leurs bonnes actions, et leur jettent dans l’es- 394 prit des troubles et des frayeurs qui agitent et quelquefois même ébranlent leur vertu, de peur qu’en demeurant fermes et inébranlables dans le bien, ils n’aient en partage, après leur mort, une meilleure vie que n’est la leur. Mais ce serait là le sujet d’un traité particulier. Nous allons, dans ce douzième livre de nos Parallèles, raconter d’abord les actions du plus ancien des deux.

Denys l’ancien, après s’être emparé de la tyrannie (3), épousa la fille d’Hermocratès le Syracusain. Mais, comme sa puissance n’était pas encore bien affermie, les Syracusains se soulevèrent contre lui, et exercèrent contre sa femme de telles indignités et tant d’outrages, que de désespoir elle se donna la mort. Depuis, ayant recouvré et mieux affermi sa domination, il épousa en même temps deux femmes : l’une du pays des Locriens, nommée Doris ; l’autre de Syracuse même, appelée Aristomaque, fille d’Hipparinus, un des premiers personnages de la ville, et qui avait partagé le commandement avec Denys, la première fois que celui-ci avait été élu général des troupes syracusaines. Il épousa, dit-on, ces deux femmes le même jour ; et jamais on ne sut à laquelle des deux il eut affaire avant l’autre. Quoi qu’il en soit, durant tout le cours de sa vie il témoigna à l’une et à l’autre une égale affection : elles prenaient leurs repas en commun, et passaient la nuit avec lui chacune à son tour. Le peuple de Syracuse voulait que celle du pays eût la préférence sur l’étrangère ; mais celle-ci eut le bonheur de donner la première un fils à son mari, ce qui lui aida à se soutenir contre la prévention qu’avait fait naître son origine. Aristomaque fut longtemps stérile : cependant Denys désirait si fort d’avoir des enfants d’elle, qu’il fit mourir la mère de Doris, comme empêchant, par des sortilèges, Aristomaque de concevoir.

395 Dion était frère d’Aristoinaque, ce qui lui attira d’abord la considération de Denys ; mais, dans la suite, ayant donné des preuves de son grand sens, son propre mérite le fit aimer et rechercher du tyran. Outre les autres marques que Denys lui donna de sa confiance, il commanda à ses trésoriers de lui fournir tout l’argent que Dion demanderait, pourvu qu’ils vinssent le jour même lui dire ce qu’ils lui auraient compté.

Dion était naturellement fier, magnanime et courageux : qualités qui se fortifièrent encore en lui pendant un voyage que Platon fit en Sicile, par une fortune vraiment divine ; car on ne peut imputer ce voyage à aucune prudence humaine. Ce fut visiblement quelque dieu, qui, jetant de loin les premiers fondements de la liberté de Syracuse et de la ruine entière de la tyrannie, amena Platon d’Italie à Syracuse, et ménagea à Dion la faveur de l’entendre. Dion était fort jeune alors, mais plus propre à s’instruire et plus prompt à saisir les préceptes de la vertu qu’aucun de ceux qui eussent encore entendu les leçons de Platon : Platon lui-même lui rend ce témoignage (4) ; et ses actions le confirment pleinement. Car, bien qu’élevé dans le palais d’un tyran, formé à des mœurs basses et serviles, à une vie lâche et craintive, toujours entouré d’un faste insolent, nourri dans un luxe effréné, et rassasié de ces délices et de ces voluptés dans lesquelles on place le souverain bien, néanmoins il n’eut pas plutôt goûté les discours de Platon et les leçons d’une philosophie sublime, que son âme fut enflammée d’amour pour la vertu. La facilité avec laquelle Platon lui avait inspiré l’amour du bien, jointe à la simplicité naturelle à son âge, lui fit croire que les mêmes discours auraient lé même pouvoir sur le cœur du tyran : il pressa si vivement Denys, et avec de 396 telles instances, qu’il finit par lui persuader d’entendre Platon, et d’avoir à loisir des entretiens particuliers avec lui.

Dans leur première entrevue, la conversation eut pour objet la vertu ; et l’on disputa longtemps sur le courage. Platon prouva qu’il n’y avait point d’hommes moins courageux que les tyrans. Puis, traitant de la justice, il démontra que la vie du juste était la seule heureuse, tandis que celle de l’homme injuste était de toutes la plus misérable. Le tyran, qui se sentait convaincu par les raisonnements du philosophe, souffrait impatiemment cet entretien, et voyait avec peine que tous les assistants admiraient Platon, charmés qu ils étaient par ses discours. Enfin, ne pouvant plus maîtriser sa colère, il demanda à Platon ce qu’il était venu faire en Sicile. « Y chercher un homme de cœur, répondit Platon. — Comment ? répliqua Denys ; à t’entendre on dirait que tu ne l’as pas encore trouvé. » Dion crut que le courroux de Denys s’en tiendrait là ; et, comme Platon montrait le désir de s’en retourner, il le fit embarquer sur une trirème qui ramenait en Grèce Pollis le Spartiate. Mais Denys pria secrètement Pollis de faire périr Platon pendant la traversée, ou tout au moins de le vendre. « Car, lui dit-il, il ne perdra rien à ce changement d’état, parce qu’étant homme juste, il sera aussi heureux esclave que libre. » Pollis mena, dit-on, Platon à Égine, et l’y vendit ; car les Éginètes, alors en guerre avec les Athéniens, avaient fait un décret portant que tout citoyen d’Athènes qui serait pris serait vendu dans Égine.

Cependant Denys ne laissa point pour cela de donner à Dion les mêmes marques d’estime et de confiance : il le chargea de plusieurs ambassades importantes ; et ce fut lui qu’il députa aux Carthaginois. Dion s’acquit dans ces emplois une grande réputation, et il demeura le seul qui osât sans crainte dire au tyran tout ce qu’il 397 pensait, sans que celui-ci fût blessé de sa franchise ; témoin la remontrance que Dion lui fit au sujet de Gélon. Denys raillait un jour sur la manière dont Gélon avait gouverné. « Gélon, disait-il, a été la risée de la Sicile (5). » Et, comme tous les courtisans se récriaient sur la finesse de la plaisanterie, Dion, indigné, adressant la parole à Denys : « As-tu donc oublié, lui dit-il, que, si tu règnes, c’est parce que la conduite de Gélon a fait prendre con¬fiance en toi ? et ignores-tu que tu seras cause que désormais on ne se fiera plus à personne ? » En effet, Gélon montra qu’il n’est pas de plus beau spectacle qu’une ville gouvernée par un prince sage ; tandis que Denys prouva que le plus odieux de tous les spectacles, c’est de la voir gouvernée par un tyran.

Denys avait trois enfants de Doris, et quatre d’Aristomaque, entre autres deux filles, l’une appelée Sophrosyne, qui fut mariée à Denys, fils aîné du tyran ; l’autre nommée Arété, épousa Théoridès, frère du jeune Denys, et, après la mort de Théoridès, Dion, qui était son oncle.

Denys étant tombé malade, et sa fin paraissant prochaine, Dion voulut lui parler en faveur des enfants qu’il avait eus d’Aristomaque ; mais les médecins, pour faire leur cour au jeune Denys, qui devait succéder à son père, n’en laissèrent pas le temps à Dion. Car, au rapport de Timée, le tyran ayant demandé un remède soporatif, ils lui en donnèrent un d’une telle violence, qu’il engourdit tous ses sens, et le fit passer promptement du sommeil à la mort (6). Cependant, la première fois que Denys le jeune assembla ses amis, Dion parla avec tant de 398 sens sur ce qu’exigeait la conjoncture présente, qu’il fit voir que pour la prudence tous les autres n’étaient auprès de lui que des enfants, et, pour la franchise, des esclaves de la tyrannie, et qui, par lâcheté et par crainte, ne donnaient leur avis qu’en vue de complaire au jeune Denys. Mais, ce qui étonna bien davantage encore les courtisans, ce fut de voir que, pendant qu’ils redoutaient l’orage qui se formait du côté de Carthage et menaçait la puissance de Denys, Dion osait se faire fort, si Denys désirait la paix, de s’embarquer sur-le-champ pour l’Afrique, et de faire conclure la paix aux conditions les plus avantageuses ; et, s’il préférait la guerre, de lui fournir cinquante trirèmes équipées à ses frais. Denys, plein d’admiration pour cette conduite généreuse, témoigna à Dion combien il était sensible à sa bonne volonté ; mais les courtisans, qui regardaient la magnificence de Dion comme la censure de leur avarice, et le crédit qu’il allait acquérir comme l’affaiblissement du leur, tirèrent de là un prétexte de lui nuire : ils n’épargnèrent rien de ce qui pouvait aigrir contre lui l’esprit du jeune homme, lui faisant entendre qu’avec des forces aussi considérables, Dion envahirait facilement la tyrannie, et transporterait la puissance souveraine aux fils d’Aristomaque, qui étaient ses neveux. Mais les causes les plus fortes et les plus apparentes de la haine et de l’envie qu’ils lui portaient, c’était la différence de leur genre de vie, et le peu de commerce qu’il avait avec eux.

Ces hommes s’étaient emparés de bonne heure de l’esprit du jeune tyran, qui avait été fort mal élevé : toujours assidus auprès de sa personne, ils lui prodiguaient les flatteries, l’enivraient de plaisirs, et lui ménageaient chaque jour de nouvelles voluptés. En le plongeant de la sorte dans la débauche de la table et dans l’amour des femmes, ils le livrèrent tout entier à la dissolution la plus honteuse. Cette vie voluptueuse finit par amollir la 399 tyrannie, comme le fer s’amollit par le feu ; ce qui la fit paraître plus douce aux sujets de Denys : elle perdit à leurs yeux ce qu’elle avait de dur et de farouche, émoussée, non par la bonté, mais par la paresse de celui qui gouvernait. Cette lâche négligence, en s’augmentant de jour en jour, affaiblit peu à peu la puissance du jeune homme, et finit par délier et par fondre, pour ainsi dire, ces chaînes de diamant dont l’ancien Denys s’était vanté de laisser la tyrannie enlacée. Une fois enfoncé dans ces désordres, le jeune Denys se livra à des débauches qui duraient, dit-on, jusqu’à des trois mois entiers, pendant lesquels son palais, fermé aux gens sages et aux conversations honnêtes, était rempli d’ivrognes, et ne retentissait que du bruit des danses, du son des instruments, et de toutes sortes de chansons et de bouffonneries obscènes.

Rien donc, comme on peut penser, ne devait être tant à charge aux courtisans que la présence de Dion, lui qui ne se permettait aucun des plaisirs et des amusements de son âge. Aussi donnaient-ils à ses vertus le nom des vices qui semblaient y avoir quelque rapport : ils en faisaient l’objet de leurs calomnies, appelant sa gravité arrogance, et sa franchise opiniâtreté. S’il donnait quelque sage conseil, c’était, suivant eux, une censure de la conduite des autres ; et, s’il refusait de prendre part à leurs débauches, c’était mépris. Il est vrai que Dion avait une fierté naturelle et une austérité de mœurs qui le rendaient d’un accès difficile, et presque insociable ; de sorte que son commerce paraissait désagréable et dur, non-seulement à un homme jeune et dont les oreilles étaient corrompues par la flatterie, mais à ceux-là même qui étaient le plus intimement liés avec lui ; car, tout en admirant la noble simplicité de son caractère, ils lui reprochaient d’avoir dans le ton et dans les manières quelque chose de rude et de sauvage, qui ne convenait 400 nullement aux affaires politiques. Et c’est par rapport à ce défaut que dans la suite Platon, prophétisant en quelque sorte ce qui devait lui arriver, lui écrivait de se garder de la fierté, compagne ordinaire de la solitude (7). Néanmoins, on le traitait alors avec la plus grande distinction : d’ailleurs l’état des affaires en faisait une loi au tyran, parce que Dion était le seul qui pût, ou du moins celui qui pouvait le mieux défendre la tyrannie, menacée par de grands orages. Il ne fut pas longtemps sans s’apercevoir que ce n’était point à l’affection du tyran qu’il devait les honneurs et la puissance dont il jouissait, mais que le besoin que Denys avait de son secours lui arrachait seul ces hommages.

Comme il était persuadé que les vices de Denys ne venaient que de son ignorance, il chercha à lui inspirer le goût des occupations honnêtes, à lui faire aimer les sciences et les arts propres à former les mœurs, afin qu’il cessât de craindre la vertu, et qu’il s’accoutumât à trouver du plaisir dans la pratique du bien. Denys n’était pas, de son naturel, un .des plus mauvais tyrans ; mais son père, craignant que, si son esprit venait à se développer et qu’il goûtât les entretiens des gens sensés, il ne conspirât contre lui, et ne lui enlevât le pouvoir suprême, l’avait tenu renfermé dans son palais, où, privé de tout commerce, et entièrement étranger aux affaires, il n’avait, dit-on, d’autre occupation que celle de faire de petits chariots, des chandeliers, des escabelles et des tables de bois. La crainte avait rendu l’ancien Denys si méfiant et si timide, que tout le monde lui était suspect : il ne souffrait pas même qu’on lui fit les cheveux avec des ciseaux ; c’était un de ses domestiques (8) qui, avec un 401 charbon ardent, lui brûlait la chevelure à l’entour. Ni son frère ni son fils n’étaient admis dans son appartement avec les vêtements qu’ils portaient en s’y présentant : il fallait, avant d’entrer, que chacun d’eux quittât sa robe, et en prît une autre, après avoir été visité par les gardes. Un jour, son frère Leptinès, voulant lui faire le tableau d’une terre, prit la pique d’un des gardes, pour en tracer le plan sur le sable. Denys entra contre lui dans une violente colère, et fit mourir le garde qui avait donné sa pique. Il suspectait jusqu’à ses amis, parce que, disait-il, les connaissant hommes de sens, il savait bien qu’ils aimeraient mieux être tyrans eux-mêmes que d’obéir à un tyran. Il tua Marsyas, un de ses officiers, à qui il avait donné un commandement dans ses armées, uniquement à cause qu’il avait rêvé que cet officier regorgeait ; prétendant qu’il n’avait en ce songe pendant la nuit, que parce que Marsyas avait formé le complot dans la journée, et l’avait communiqué à d’autres. Cependant cet homme si timide, si lâche, et dont l’âme était remplie de tant d’indignes faiblesses, s’emportait contre Platon, parce qu’il ne voulait pas le déclarer le plus courageux des hommes.

Dion donc, comme je viens de le dire, voyant le jeune Denys mutilé, si j’ose ainsi parler, par son ignorance, et de mœurs si dépravées, l’exhortait sans cesse à se tourner vers l’étude : il le pressait d’écrire au premier des philosophes, d’employer auprès de lui les plus vives instances pour l’attirer en Sicile, et, quand il y serait venu, de s’abandonner entièrement à lui, afin que Platon, par ses discours, corrigeât ses mœurs et les dirigeât vers le bien ; et que, formé sur le modèle de l’être divin, le plus 402 parfait de tous, qui conduit si sagement toutes choses, et à la voix duquel l’univers est sorti du chaos et a formé cet ordre merveilleux qu’on appelle le monde, Denys s’assurât à lui-même et à ses sujets une véritable félicité. « Tu verras alors, lui disait-il, tes sujets, qui n’obéissent maintenant qu’à la crainte et à la nécessité, s’attacher à un gouvernement paternel, fondé sur la tempérance et la justice ; et, au lieu d’avoir à détester un tyran, ils aimeront en toi un véritable roi. Sache bien que les chaînes de diamant ne sont pas, comme le croyait ton père, la crainte, la force, la multitude des vaisseaux, et ces milliers de Barbares qui composent la garde de ta personne, mais bien l’affection, le zèle et la reconnaissance, que font naître dans le cœur des sujets la justice et la vertu des chefs qui les gouvernent. Ces chaînes, bien qu’elles soient moins roides et plus douces que les premières, ont néanmoins une force autrement puissance pour maintenir les esprits. D’ailleurs un prince peut-il obtenir l’estime et l’affection des peuples, lorsque, couvrant son corps de vêtements magnifiques et ornant sa maison avec la somptuosité la plus recherchée, il n’a, par sa raison et par ses discours, aucune supériorité sur le dernier de ses sujets ; lorsqu’il ne tient aucun compte d’orner le palais de son âme avec la décence et la richesse qui conviennent à une reine ? »

Ces remontrances, souvent répétées, et auxquelles Dion avait soin, pour leur donner plus de poids, de mêler de temps en temps quelques maximes de Platon, firent naître dans l’âme de Denys un désir violent, une sorte de fureur de voir Platon et d’entendre ses discours. A l’instant partirent pour Athènes des lettres de Denys, auxquelles Dion joignit ses propres sollicitations. Les philosophes pythagoriciens d’Italie écrivirent aussi à Platon, pour le presser de venir s’emparer de l’âme d’un jeune homme aveuglé par la puissance, et qui se laissait 403 aller sans frein à une vie licencieuse, afin qu’il la domptât par la force de ses raisonnements. Platon donc, comme il nous l’apprend dans ses écrits (9), céda à ce qu’il se devait à lui-même, et ne voulut pas qu’on pût dire de lui, que, philosophe en paroles seulement, il démentait ce titre par ses actions : il espérait d’ailleurs que la guérison d’un homme qui était en quelque sorte la partie principale du corps politique amènerait le rétablissement de la Sicile entière, alors travaillée de maladies dangereuses ; et il se détermina à partir pour Syracuse,

Mais les adversaires de Dion, qui redoutaient le changement de Denys, persuadèrent à Denys de rappeler d’exil Philistus, homme fort versé dans les lettres, et qui avait une grande habitude des mœurs des tyrans, afin d’avoir en lui un contre-poids capable de contre-balancer Platon et sa philosophie. Philistus, lors de l’établissement de la tyrannie, s’en était montré un des plus zélés partisans, et avait commandé pendant longtemps la garnison de la citadelle : on disait même qu’il avait eu commerce avec la mère de l’ancien Denys, et que le tyran lui-même ne l’avait pas ignoré. Mais, dans la suite, Leptinès, qui avait eu deux filles d’une femme qu’il avait enlevée à son mari, ayant donné à Philistus une de ses filles en mariage, sans en avoir averti Denys, le tyran irrité fit mettre en prison cette femme chargée de fers, et chassa de Sicile Philistus, qui se retira à Adria (10), chez quelques-uns de ses amis et de ses hôtes. Ce fut là, je crois, que, jouissant d’un grand loisir, il composa la plus grande partie de son histoire (11) ; car il ne revint pas en Sicile du vivant du vieux Denys : ce ne fut qu’après sa 404 mort, ainsi que je viens de le dire, que l’envie des courtisans contre Dion le ramena dans sa patrie, parce qu’ils le crurent un instrument très-propre à leur dessein, et un des plus fermes appuis de la tyrannie. En effet, il ne fut pas plutôt arrivé, qu’il embrassa hautement le parti du tyran. Alors tous tes autres courtisans renouvelèrent leurs calomnies contre Dion, lui imputant d’avoir cherché, de concert avec Théodotès et Héraclide, les moyens de détruire la tyrannie. Il paraît, en effet, que Dion espérait que le séjour de Platon à Syracuse ferait perdre à la tyrannie ce qu’elle avait de despotique et d’arbitraire, et ferait de Denys un prince modéré, qui gouvernerait selon les règles de la justice. Que si le tyran résistait, et ne se laissait pas adoucir par les préceptes de la philosophie, Dion était résolu de renverser sa domination, et de remettre l’autorité entre les mains des Syracusains ; non qu’il approuvât la démocratie, mais il la croyait préférable à la tyrannie pour ceux qui ne pouvaient parvenir à établir une saine aristocratie.

Tel était l’état des affaires, quand Platon arriva en Sicile. On lui fit l’accueil le plus flatteur ; on lui prodigua les plus grands honneurs, des marques d’affection singulières. A la descente de sa trirème, il trouva un char du prince, magnifiquement orné, dans lequel il monta ; et Denys offrit un sacrifice aux dieux, comme pour l’événement le plus heureux qui pût arriver à son empire. La frugalité qui régna depuis lors dans les repas, la modestie qui parut à la cour, et la douceur que le tyran lui -même montra dans ses audiences et dans ses jugements, firent concevoir aux Syracusains de merveilleuses espérances d’un prompt changement. Les courtisans eux-mêmes se portaient avec une ardeur incroyable à l’étude des lettres et de la philosophie ; et le palais du tyran était semé partout, dit-on, de cette poussière sur laquelle les géomètres tracent leurs figures : tant était grand le  405 nombre de ceux qui s’appliquaient à la géométrie ! Peu de jours après l’arrivée de Platon, on fit dans le palais un sacrifice solennel ; et, comme le héraut, selon l’usage, priait les dieux de conserver longtemps la tyrannie à l’abri de tout revers, Denys, qui était présent : « Ne ces-seras-tu, lui dit-il,, de faire des imprécations contre moi ? » Cette parole affligea vivement Philistus et son parti, pensant bien que le temps et l’habitude rendraient invincible le pouvoir de Platon sur l’esprit du jeune homme, puisqu’un commerce de si peu de jours avait suffi pour produire un tel changement.

Ce ne fut donc plus séparément ni en secret, mais tous ensemble et à découvert, qu’ils se mirent à calomnier Dion. « On ne peut plus douter, disaient-ils, qu’il ne se serve de l’éloquence de Platon pour charmer et pour ensorceler Denys, afin qu’il abdique volontairement l’empire : il veut s’en emparer lui-même, et le transporter aux fils d’Aristomaque, ses neveux. C’est chose bien douloureuse, disaient quelques autres, de voir que les Athéniens, qui sont venus autrefois en Sicile avec des forces considérables de terre et de mer, et qui ont tous péri avant d’avoir pu se rendre maîtres de Syracuse, parviennent aujourd’hui, par le moyen d’un seul sophiste, à détruire la tyrannie, en persuadant à Denys de se débarrasser des dix mille étrangers qui composent sa garde, de se dessaisir des quatre cents trirèmes qu’il tient dans ses ports, de congédier ses dix mille hommes de cheval ainsi que la plus grande partie de son infanterie, et cela, pour aller chercher dans l’Académie un prétendu souverain bien dont on fait un mystère, et mettre son bonheur dans la géométrie, en abandonnant à Dion et à ses neveux la félicité réelle de la puissance, de la richesse et des plaisirs. » Ces propos jetèrent d’abord dans l’âme de Denys de violents soupçons contre Dion ; dos soupçons 406 il passa à la colère, qui aboutit enfin à une rupture ouverte.

Sur ces entrefaites, on apporta secrètement à Denys des lettres que Dion écrivait aux magistrats de Carthage, par lesquelles il leur mandait de ne point traiter de la paix avec le tyran sans qu’il fût présent aux conférences, parce qu’il servirait à rendre le traité plus solide. Denys communiqua ces lettres à Philistus ; puis, ayant délibéré avec lui sur ce qu’il devait faire, il abusa Dion, suivant le rapport de Timée, par une feinte réconciliation, et le trompa par de belles paroles. Un jour, il le mena seul sur le bord de la mer, au-dessous de la citadelle ; et là, lui ayant montré ses lettres, il l’accusa de s’être ligué contre lui avec les Carthaginois. Dion voulut se justifier ; mais le tyran, sans vouloir l’entendre, le fit monter à l’instant même, tel qu’il était, sur un brigantin, et commanda aux matelots de le déposer sur les côtes d’Italie. Cette violence ne fut pas plutôt connue, que tout le monde fut révolté de la cruauté de Denys : les femmes firent retentir le palais de leur douleur ; mais la ville reprit courage, dans l’espoir que le tumulte qu’excitait l’exil de Dion, et la défiance que cet acte jetait dans les esprits, amèneraient bientôt quelques changements favorables dans les affaires. Denys, voyant les esprits dans cette disposition, et en redoutant les suites, consola ses amis et les femmes du palais, les assurant que l’absence de Dion n’était point un exil, mais un simple voyage qu’il l’avait obligé de faire, de peur qu’en demeurant, son opiniâtreté ne l’eût forcé à prendre contre lui des mesures plus violentes. En même temps il donna aux parents de Dion deux vaisseaux, afin qu’ils y chargeassent ce qu’ils voudraient des richesses et des serviteurs de Dion, et qu’ils l’allassent joindre dans le Péloponnèse. Or, Dion avait des possessions immenses, et le train de sa maison était presque égal à celui d’un tyran : ses amis firent charger le tout sur les deux navi- 407 res, et le lui portèrent en Grèce. Les femmes du palais et ses amis particuliers y ajoutèrent des présents considérables ; de sorte que Dion, par ses richesses et par sa magnificence, fut fort renommé parmi les Grecs, et qu’on put juger, par l’opulence du banni, quelle devait être la puissance du tyran.

Aussitôt après le départ de Dion, Denys logea Platon dans la citadelle, en apparence pour lui faire honneur en le rapprochant de sa personne, mais en effet pour s’assurer de lui, afin qu’il n’allât pas joindre Dion, et lui servir de témoin de l’injustice que Denys lui avait faite. Le temps et l’habitude lui inspirèrent un goût si vif pour les entretiens du philosophe, que, semblable à une bête féroce qui s’apprivoise enfin avec l’homme, son amour pour lui devint tyrannique : il voulait que Platon n’aimât que lui, ou du moins qu’il l’estimât plus que personne, étant prêt à le rendre maître de ses richesses, et de l’empire même, s’il voulait ne pas préférer l’amitié de Dion à la sienne. Cette passion, ou plutôt cette manie, était pour Platon un véritable malheur, comme l’amour d’un amant jaloux en est un pour la personne qu’il aime. C’étaient des emportements subits, suivis presque aussitôt de repentirs et de vives prières pour obtenir son pardon : il brûlait d’entendre les discours de Platon, et d’être initié aux mystères de la philosophie ; et il en rougissait devant ceux qui cherchaient à l’en détourner comme d’une étude capable de le corrompre.

La guerre qui survint sur ces entrefaites le détermina à renvoyer Platon en Grèce. Avant son départ, il lui fit la promesse de rappeler Dion au printemps suivant ; mais il manqua à sa parole, et se contenta de lui faire passer ses revenus, priant Platon de l’excuser s’il ne tenait point sa promesse, et d’en accuser la guerre seule ; l’assurant, du reste, qu’aussitôt la paix conclue, il ferait revenir Dion, à condition pourtant qu’il se tiendrait en repos, 408 n’exciterait aucun mouvement, et ne le décrierait point auprès des Grecs. Platon n’oublia rien pour porter Dion à observer ces conditions : il dirigea son esprit vers l’étude dé la philosophie, et le retint auprès de lui à l’Académie. Dion logeait à Athènes chez Callippus, un de ses anciens amis ; mais il avait acheté une maison de plaisance dont il fit présent, lors de son départ pour la Sicile, à Speusippe (12), celui de ses amis qu’il avait le plus fréquenté. Platon avait cherché, en les liant ensemble, à adoucir les mœurs austères de Dion par le commerce d’un homme aimable, comme était Speusippe, qui savait mêler à propos à des conversations sérieuses des plaisanteries honnêtes ; ce qui fit dire au poète Timon, dans ses Silles (13), que Speusippe raillait avec finesse. Pendant le séjour de Dion à Athènes, Platon dut donner des jeux et défrayer un chœur de jeunes garçons : Dion exerça le chœur, et paya du sien toute la dépense. Platon avait bien voulu lui céder cette occasion de montrer aux Athéniens sa magnificence, quoiqu’il n’ignorât pas qu’elle procurerait à Dion plus de bienveillance de la part du peuple qu’elle ne lui ferait d’honneur à lui-même.

Dion visita aussi les autres villes de la Grèce : il assista à leurs fêtes solennelles, s’entretint avec les hommes les plus sages et les plus versés dans la politique, sans montrer dans sa conduite la moindre marque d’affectation, d’arrogance, de mollesse, ni rien qui se sentit de ses longues habitudes avec un tyran. Partout il fit paraître sa tempérance, sa vertu, sa force d’âme, et sa profonde connaissance des lettres et de la philosophie ; ce qui le fit 410 aimer et estimer de tout le monde : la plupart des villes lui décernèrent, par des décrets publics, les plus grands honneurs ; jusque-là que les Lacédémoniens, sans se mettre en peine de la colère de Denys, qui alors les secondait puissamment dans leur guerre contre les Thébains, le déclarèrent Spartiate. On rapporte qu’un jour Ptœodorus le Mégarien, un des plus riches et des plus puissants de la ville, invita Dion à venir dans sa maison. Dion trouva, en arrivant, une foule de peuple assemblée à la porte ; et la multitude d’affaires dont Ptœodorus était chargé empêchait d’aborder facilement. Voyant ses amis murmurer hautement de ce qu’on les faisait attendre : « Pourquoi nous plaindre, leur dit-il ; ne faisions-nous pas de même à Syracuse ? »

Denys, dont la jalousie contre Dion augmentait de jour en jour, et qui craignait les effets de la bienveillance que lui témoignaient les Grecs, cessa de lui envoyer ses revenus, et les fit régir par ses propres intendants. Et en même temps, pour détruire la mauvaise opinion qu’il avait donnée de lui aux philosophes de la Grèce par sa conduite envers Platon, il assembla plusieurs de ceux qui passaient pour les plus savants, et tint avec eux des conférences ; mais, ayant voulu les surpasser tous en savoir et en éloquence, il lui arriva nécessairement de se servir fort mal à propos de ce qu’il avait entendu dire à Platon. Alors il se reprocha d’avoir mal profité de sa présence, et de n’avoir pas suivi assez longtemps ses admirables leçons ; et il désira de le revoir. Et, comme un tyran toujours effréné dans ses désirs, et qui se portait avec violence vers les extrêmes, dans son impatience de le revoir en Sicile, il mit tout en œuvre pour y réussir, jusque-là qu’il obligea Archytas, philosophe pythagoricien, d’écrire à Platon pour l’engager à venir, et de se rendre caution auprès de lui qu’on tiendrait toutes les paroles qu’on lui avait données ; car c’était par l’entremise de 410 Platon qu’Archytas avait fait connaissance avec Denys et obtenu de lui l’hospitalité (14). Archytas envoya donc Archédémus à Platon ; et Denys, de son côté, fit partir deux trirèmes, avec plusieurs de ses amis, chargés de prier instamment Platon de faire encore ce voyage. Il lui écrivit même de sa propre main, lui déclarant sans détour que, s’il ne se laissait persuader de venir en Sicile, Dion ne devait rien attendre de lui ; mais que, s’il se rendait à son désir, il n’y avait rien qu’il ne fît pour Dion.

Dion reçut aussi des lettres de sa femme et de sa sœur, qui le pressaient vivement d’engager Platon à se rendre auprès du tyran, et de ne pas donner de prétextes à Denys d’en user mal à son égard. C’est ainsi que Platon, comme il le dit lui-même (15), aborda pour la troisième fois aux ports de Sicile,

Pour affronter encore le passage de la terrible Charybde  (16).

Son arrivée remplit Denys d’une grande joie, et la Sicile de grandes espérances. Les vœux ardents des citoyens et leurs efforts tendaient à ce que Platon l’emportât sur Philistus, et que la philosophie triomphât de la tyrannie. Les femmes du palais lui firent l’accueil le plus distingué ; et Denys lui donna une marque de confiance qu’il n’avait jusque-là accordée à personne, ce fut de le laisser approcher de sa personne sans le faire visiter. Aristippe le Cyrénéen (17) qui fut souvent témoin des présents considérables que Denys offrait à Platon, et des refus constants du philosophe, disait à ce propos . « Denys ne risque rien à se montrer généreux ; car il donne peu à ceux qui lui demandent 411 beaucoup, et donne beaucoup à Platon qui n’accepte jamais rien. » Après les premières caresses de la bienvenue, Platon voulut parler de Dion ; mais Denys remit d’abord à un autre temps ce sujet de conversation. Ensuite ce ne furent que plaintes et que querelles, qui pourtant n’éclataient point au dehors, parce que Denys avait grand soin de les cacher, prodiguant publiquement à Platon tous les honneurs et toutes les complaisances possibles, afin de le détacher de l’amitié qu’il avait pour Dion. Dans les commencements, Platon ne lui reprocha point sa perfidie ni ses mensonges : il sut les supporter et les dissimuler. Comme ils étaient dans cette disposition réciproque, qu’ils croyaient ignorée de tout le monde, Hélicon le Cyzicénien,-un des amis de Platon, prédit une éclipse de soleil (18). Cette éclipse étant arrivée au jour précis marqué par Hélicon, le tyran en fut si ravi, qu’il lui donna un talent d’argent (19). Aristippe, badinant à cette occasion avec les autres philosophes, dit qu’il avait aussi à prédire quelque chose d’extraordinaire. Et, comme on le pressait de dire ce que c’était : « Je vous annonce, dit-il, qu’avant peu, Denys et Platon seront ennemis. »

Enfin, Denys fit vendre tous les biens de Dion et en retint l’argent ; puis il fit quitter à Platon l’appartement qu’il occupait dans ses jardins, et le renvoya au milieu de ses satellites, qui le haïssaient de longue main, et qui cherchaient à le tuer, parce qu’il conseillait à Denys de renoncer à la tyrannie et de casser la garde de sa personne. Archytas n’eut pas plutôt appris le danger que courait Platon, qu’il envoya des députés sur une 412 galère à trente rames pour redemander Platon à Denys, et pour faire ressouvenir au tyran que Platon n’était venu en Sicile que sur la caution d’Archytas, qui avait répondu qu’il y serait en sûreté. Denys, pour se justifier du reproche de haïr Platon, eut soin, avant son départ, de le combler de témoignages d’estime et d’amitié ; et, quand il fut sur le point de s’embarquer : « Platon, lui dit-il, je crois que, de retour à Athènes, tu diras bien du mal de moi avec tes philosophes. — A Dieu ne plaise, répondit Platon en souriant, que nos sujets de conversations à l’Académie soient assez stériles pour que nous y fassions mention de toi. »

Voilà, suivant les auteurs, comment Platon fut renvoyé : cependant ce que Platon lui-même a écrit à ce sujet (20) ne s’accorde pas entièrement avec cette tradition. Dion fut indigné de la conduite de Denys ; et, peu de temps après, ayant appris les violences dont le tyran avait usé envers sa femme, il se déclara ouvertement son ennemi. Platon donna avis à Denys de ce grief de Dion, mais en termes obscurs et énigmatiques. Et voici de quoi il s’agissait. Après que Dion eut été chassé de Sicile, Denys, en renvoyant Platon, le chargea de s’informer secrètement auprès de Dion s’il voudrait consentir à ce que sa femme fût mariée à un autre ; car il courait un bruit, soit véritable ou forgé par les ennemis de Dion, que ce mariage n’avait point été de son goût, et que la société de sa femme lui était désagréable. Platon, de retour à Athènes, rendit compte à Dion de tout ce qui s’était passé en Sicile ; puis il écrivit au tyran une lettre intelligible pour tout le monde, à l’exception de l’article du mariage, que Denys seul pouvait entendre. Car il lui mandait qu’à la première ouverture qu’il avait faite à Dion sur ce sujet, Dion lui avait déclaré qu’il serait très-irrité contre Denys, s’il se permet- 413 tait de le faire (21). Comme il y avait encore quelque espérance de réconciliation, Denys n’entreprit rien contre sa sœur, et permit qu’elle demeurât avec le fils qu’elle avait eu de Dion ; mais, lorsque tout espoir fut évanoui, et que Platon eut été renvoyé d’une manière odieuse, alors Denys ne garda plus de mesures : il maria sa sœur Arété, femme de Dion, malgré qu’elle en eût, à Timocratès, un de ses amis, n’imitant point en cela la douceur dont son père avait usé. à l’égard de Polyxénus, mari de Thesta, sa sœur. Polyxénus, devenu l’ennemi de Denys et redoutant sa vengeance, s’était enfui de Sicile. Denys fit venir sa sœur, et se plaignit de ce qu’ayant su la fuite de son mari, elle ne l’en avait pas averti. Alors Thesta, sans témoigner ni étonnement ni crainte : « Denys, dit-elle, me crois-tu donc femme assez timide et assez lâche, pour n’avoir pas suivi mon mari et partagé sa fortune, si j’eusse connu sa fuite ? Mais je ne l’ai point sue ; car j’aurais beaucoup mieux aimé être appelée la femme de Polyxénus le banni, que la sœur de Denys le tyran. » Denys ne put s’empêcher d’admirer la réponse libre et courageuse de Thesta ; et les Syracusains furent si charmés de sa vertu, qu’ils lui conservèrent, même après le renversement de la tyrannie, les ornements et les honneurs de la dignité royale, et qu’après sa mort, tout le peuple accompagna ses funérailles. Je n’ai pas cru cette digression inutile.

Le retour de Platon à Athènes décida Dion à la guerre contre le tyran. Platon s’y opposait, d’abord par égard pour l’hospitalité qu’il avait reçue de Denys, et ensuite à cause de son grand âge ; mais Speusippe et les autres amis de Dion le pressaient d’aller affranchir la Sicile, qui lui tendait les bras, et qui le recevrait avec une extrême joie ; car Speusippe, pendant son séjour avec Platon 414 à Syracuse, avait beaucoup fréquenté les habitants de la ville, et avait pénétré leurs véritables sentiments. Au commencement, ils avaient craint de se découvrir à lui, soupçonnant que le tyran se servait de lui pour les sonder ; mais, quand ils eurent pris confiance en lui, tous lui dirent qu’ils désiraient ardemment le retour de Dion ; qu’il ne devait point se mettre en peine de ce qu’il n’avait ni vaisseaux, ni infanterie, ni cavalerie, mais monter sur le premier navire marchand qu’il trouverait, et venir prêter l’appui de son nom et de son bras aux Siciliens contre Denys. Ce rapport de Speusippe encouragea Dion ; et il leva secrètement des troupes étrangères, par l’entremise de personnes interposées, pour mieux cacher son dessein. Un grand nombre de philosophes et d’hommes d’État secondèrent son entreprise, entre autres Eudémus de Cypre, à propos de la mort duquel Aristote a composé son dialogue sur l’âme (22), et Timonidès de Leucade ; et ils attirèrent dans son parti Miltas de Thessalie, devin, et qui avait été un des disciples de l’Académie. De tous ceux que le tyran avait bannis, et qui n’étaient pas moins de mille, vingt-cinq seulement l’accompagnèrent à cette expédition : tous les autres, retenus par la crainte, l’abandonnèrent.

Les troupes s’assemblèrent dans l’île de Zacynthe. Elles ne formaient que huit cents hommes environ, mais tous éprouvés dans de grandes occasions, merveilleusement exercés et robustes, d’une expérience et d’une audace supérieures à celles des autres soldats, très-capables enfin d’enflammer le courage des troupes que Dion espérait trouver en Sicile, et de les porter à combattre avec la plus grande valeur. Mais, quand on leur annonça que cet armement était destiné à secourir la Sicile contre Denys, ils furent saisis de stupeur, et perdirent 415 courage. Cette expédition leur parut l’effet de la démence et de la fureur ; et ils regardèrent Dion comme un homme emporté par le ressentiment, et qui, faute de meilleures espérances, se jetait tête baissée dans une entreprise désespérée. Ils s’emportèrent contre leurs capitaines et contre ceux qui les avaient enrôlés, de ce qu’ils ne leur avaient pas déclaré d’abord quelle était la guerre où ils les voulaient mener. Mais, après que Dion, dans son discours, leur eut exposé tout ce que la tyrannie avait de faible, et leur eut fait entendre que c’était moins comme soldats qu’il les conduisait à cette expédition, que comme des capitaines destinés à commander les Syracusains et les autres peuples de la Sicile, disposés à la révolte depuis longtemps ; lorsqu’ensuite Alciménès, le premier des Grecs en naissance et en réputation, leur eut parlé, ils ne refusèrent plus de partir.

On était alors au milieu de l’été : les vents étésiens (23) régnaient sur la mer, et la lune était dans son plein. Dion fit préparer un magnifique sacrifice destiné à Apollon ; et, à la tête de ses soldats armés de pied en cap, il se rendit en pompe au temple du dieu. Après le sacrifice, il leur donna un grand festin dans le lieu de l’île où l’on faisait les exercices. La quantité de vaisselle d’or et d’argent, la magnificence des tables et autres meubles, qui paraissaient au-dessus de la fortune d’un particulier, surprit étrangement les soldats ; et ils pensèrent alors qu’il n’était pas vraisemblable qu’un homme d’un âge mûr, et qui possédait de si grandes richesses, se fût jeté dans une entreprise si hasardeuse, s’il n’avait des espérances bien fondées, et s’il n’était assuré que ses amis de Sicile lui fourniraient tous les moyens nécessaires pour réussir.

416 Mais, à la fin du repas, quand on eut fait les libations d’usage et les prières solennelles, la lune s éclipsa. Dion ne s’en étonna nullement, lui qui connaissait les révolutions périodiques du soleil et de la lune sur l’écliptique, et qui savait que l’ombre qui couvre alors la lune n’est que l’effet de l’interposition de la terre entre elle et le soleil ; mais les soldats en furent troublés, et il fallut, pour les rassurer, leur donner quelque éclaircissement. Le devin Miltas, se levant donc au milieu d’eux : « Prenez courage, leur dit-il, et concevez de meilleures espérances ; car la divinité nous montre, par ce signe, que ce qu’il y a maintenant de plus éclatant aura à souffrir quelque éclipse. Or, rien n’a plus d’éclat que la tyrannie de Denys, et vous allez la faire éclipser dès« que vous serez arrivés en Sicile. » Voilà quelle fut l’interprétation que Miltas donna de. l’éclipsé au milieu de l’armée. Quant aux abeilles qui parurent sur les vaisseaux, et dont un essaim alla se poser sur la poupe de celui de Dion, le devin dit en particulier à Dion et à ses amis qu’il craignait que ses actions, qui devaient certainement lui attirer beaucoup de gloire, ne fussent de courte durée, et qu’après avoir jeté un grand éclat, elles ne vinssent promptement à se flétrir.

Les dieux, dit-on, envoyèrent également au tyran des signes extraordinaires. Un aigle enleva la pique d’un de ses gardes, la porta très-haut dans les airs, puis la laissa tomber dans la mer. Les eaux de la mer qui baigne la citadelle de Syracuse furent douces et potables pendant un jour entier ; et cela parut à tous ceux qui en burent. Il naquit à Denys des cochons, bien conformés du reste, mais qui n’avaient point d’oreilles. Les devins, consultés sur ces divers prodiges, répondirent que le dernier était un signe de désobéissance et de révolte, et annonçait que les sujets du tyran seraient sourds aux ordres qu’il leur donnerait. Quant à la douceur des eaux de la mer, 417 ils dirent qu’elle annonçait que la situation triste et pénible des Syracusains allait éprouver un heureux changement. Ils déclarèrent enfin, sur le premier prodige, que, l’aigle étant le ministre de Jupiter et la pique le symbole de la domination et de la puissance, c’était un signe que le maître des dieux méditait la ruine et la destruction de la tyrannie. Voilà ce que rapporte Théopompe.

Les soldats de Dion s’embarquèrent sur deux vaisseaux ronds (24), suivis de deux vaisseaux de médiocre grandeur et de deux galères à trente rames. Outre les armes qu’avaient les soldats, Dion menait encore avec lui deux mille boucliers, et une grande quantité de traits et de piques ; il avait aussi fait d’abondantes provisions de vivres, afin qu’ils ne manquassent de rien pendant la traversée ; car ils devaient être, durant tout le cours de la navigation, à la merci des vents et des flots, parce qu’ils craignaient d’approcher de la terre, sachant que Philistus était à l’ancre sur les côtes de l’Iapygie, pour les attaquer au passage. Après douze jours de navigation par un vent doux et frais, ils arrivèrent le treizième au cap Pachynum, en Sicile (25). Là, le pilote leur conseilla de débarquer promptement, s’ils ne voulaient pas s’exposer, en s’éloignant des côtes et en abandonnant le cap, à être ballottés en pleine mer pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, pour attendre le vent du midi, dans la saison de l’été où l’on était alors. Mais Dion, qui craignait de faire sa descente si près des ennemis, et qui aimait mieux, aborder plus loin, doubla le cap Pachynum. Au même instant le vent du nord, s’élevant avec violence, et soulevant les flots, éloigna les vaisseaux de 418 la Sicile : c’était le lever de l’Arcture. Les éclairs et les tonnerres, accompagnés de torrents de pluie, excitèrent une si affreuse tempête, que les matelots effrayés ne reconnaissaient plus leur route. Tout à coup, ils s’aperçoivent que les vaisseaux, poussés par les vagues, étaient portés vis-à-vis de la côte d’Afrique, contre l’île de Cercine (26), et à l’endroit le plus dangereux, à cause des rochers dont elle est hérissée. Comme ils touchaient au moment d’être jetés et brisés contre ces rochers, les matelots firent, avec leurs perches, de si vigoureux efforts, qu’ils parvinrent, non sans peine, à éloigner les vaisseaux de la côte. Enfin la tempête s’apaisa ; et, ayant rencontré un petit bâtiment, ils apprirent qu’ils étaient à l’endroit appelé les têtes de la grande Syrte. Ils voguaient ainsi au hasard, découragés par le calme, lorsqu’il s’éleva de la côte quelques légers souffles de vent du midi : changement qui les surprit si fort, qu’ils osaient à peine y croire. Mais ce vent prit peu à peu de la force, et ils déployèrent toutes leurs voiles ; et, après avoir fait leurs prières aux dieux, ils s’éloignèrent des côtes d’Afrique, et cinglèrent vers la haute mer, pour gagner la Sicile.

Après quatre jours d’une navigation rapide, ils entrèrent dans le port de Minoa (27), petite ville de Sicile, sous la domination des Carthaginois. Le commandant de la place, nommé Synalus, Carthaginois de nation, était alors dans la ville. Il était hôte et ami de Dion ; mais, comme il ignorait que ce fût lui et sa flotte, il voulut s’opposer à la descente des soldats : ils débarquèrent pourtant, les armes à la main, mais ne tuèrent personne ; car Dion le leur avait défendu, à cause de l’amitié qui l’unissait au commandant : ils mirent aisément en fuite les troupes de Synalus, entrèrent avec elles dans la ville, et s’en ren-419 dirent maîtres. Quand les deux commandants se furent reconnus et salués, Dion rendit la ville à Synalus, sans y avoir causé aucun dommage ; Synalus, de son côté, nourrit les soldats de Dion, et donna à Dion tous les secours qui lui furent nécessaires.

Mais, ce qui encouragea Dion et les siens plus que toutes choses, ce fut l’heureux événement de l’absence de Denys : il s’était embarqué peu de jours auparavant avec quatre-vingts navires, et avait fait voile pour l’Italie. Aussi les soldats, malgré les exhortations de Dion pour les engager à se refaire des maux qu’ils avaient soufferts dans une navigation si longue et si pénible, voulurent-ils profiter d’une occasion si favorable, et pressèrent-ils Dion de les mener promptement à Syracuse.

Dion donc, laissant à Minoa les armes qui lui étaient inutiles, ainsi que tous ses bagages, et priant Synalus de les lui envoyer quand il en serait temps, marcha droit à Syracuse. Il fut joint en chemin d’abord par deux cents cavaliers agrigentins, du quartier d’Ecnomus, et bientôt après par ceux de Géla. Le bruit de sa venue ayant été porté promptement à Syracuse, Timocratès, celui qui avait épousé la femme de Dion, sœur de Denys, et à qui le tyran avait donné le commandement de tous les partisans qui lui restaient dans la ville, fit partir en toute diligence pour l’Italie un courrier chargé de lettres, par lesquelles il mandait à Denys l’arrivée de Dion. Pour lui, il chercha à prévenir les troubles et les mouvements qui pouvaient naître dans la ville, où tous les esprits étaient portés à la révolte, et ne se contenaient que par la crainte et par la défiance. Cependant il arriva au courrier dépêché par Timocratès un accident fort extraordinaire. Après qu’il eut abordé en Italie et traversé Rhégium, comme il hâtait la marche pour gagner Caulonie (28), 420 où était le tyran, il rencontra un homme de sa connaissance, qui portait une victime nouvellement immolée, et qui lui en donna une portion ; puis il poursuivit sa route. Quand il eut marché pendant une partie de la nuit, la fatigue l’ayant obligé de s’arrêter pour se reposer quelques instants, il se coucha dans un bois qui touchait au chemin. Un loup survint, attiré par l’odeur de la chair, qui emporta la portion de victime ainsi que la valise où étaient les lettres ; car le courrier les avait attachées ensemble. Cet homme, à son réveil, ne trouvant plus sa valise, battit tous les environs pour la chercher ; mais ce fut en vain : alors, n’osant se présenter devant le tyran sans les lettres, il prit la fuite, et ne reparut plus ; de sorte que Denys n’apprit que beaucoup plus tard, et par d’autres, la guerre qui se faisait en Sicile.

Comme Dion s’avançait vers Syracuse, les habitants de Camarine vinrent se joindre à lui, ainsi qu’un grand nombre de Syracusains, qui, s’étant révoltés contre le tyran, étaient répandus dans les campagnes. Les Léontins et les Campaniens (29), qui gardaient avec Timocratès le quartier de Syracuse appelé les Êpipoles, sur un faux avis que leur fit donner Dion qu’il allait commencer par assiéger leurs villes, abandonnèrent Timocratès pour aller défendre leurs concitoyens. À cette nouvelle, Dion, qui était campé auprès de Macres (30), fit prendre lès armes à ses troupes la nuit même, et arriva aux bords de l’Anapus, qui n’est distant de la ville que de dix stades (31). Là, il s’arrêta, fit un sacrifice sur le rivage, et adressa ses prières au soleil levant. En même temps les devins lui prédirent 421 de la part des dieux la victoire ; et tous ceux qui étaient présents, voyant Dion avec la couronne de fleurs qu’il avait prise pour le sacrifice, se couronnèrent aussi, par un mouvement unanime et spontané. Il n’avait pas avec lui moins de cinq mille hommes de ceux qu’il avait recueillis dans sa marche ; tous mal armés, à la vérité, car ils n’avaient pour se défendre que ce qui leur était tombé sous la main ; mais ils suppléaient au défaut d’armes par leur courage et par leur bonne volonté. Aussi, Dion n’eut pas plutôt donné l’ordre de partir, qu’ils se mirent à courir avec une extrême joie et en poussant de grands cris, s’exhortant les uns les autres à reconquérir la liberté.

Parmi ceux des Syracusains qui étaient restés dans la ville, les plus honnêtes et les plus considérables allèrent, vêtus de robes blanches, les recevoir aux portes de Syracuse. Le peuple courut se jeter sur les amis du tyran, et enlever les prosagogides (32), gens détestables, ennemis des dieux et des hommes, qui se répandaient chaque jour dans la ville, et se mêlaient aux Syracusains, recherchant avec curiosité ce que chacun disait et pensait, et allant ensuite en rendre compte au tyran. Ceux-là furent les premiers punis : le peuple les assomma sur-le-champ. Timocratès, n’ayant pu s’enfermer dans la citadelle, prend un cheval, sort de la ville, et, dans sa fuite, sème partout le trouble et l’effroi, exagérant à dessein les forces de Dion, afin qu’il ne parût pas avoir abandonné trop légèrement la ville. Dans ce moment, Dion se montra à la vue des Syracusains : il marchait à la tête de ses troupes, magnifiquement armé, ayant à ses côtés Mégaclès son frère et l’Athénien Callippus, tous deux couronnés de fleurs. Ensuite venaient cent soldats étrangers, qu’il avait choisis pour sa garde ; les autres suivaient 422 en ordre de bataille, conduits par leurs capitaines. Les Syracusains, ravis de les voir, les reçurent comme une procession sacrée et digne du regard des dieux, et qui ramenait dans leur ville, après quarante-huit ans d’exil, la liberté et la démocratie.

Lorsque Dion fut entré dans la ville par la porte Ménitide, il fit sonner les trompettes pour apaiser le tumulte, puis publier par un héraut, que Dion et Mégaclès étaient venus pour abolir la tyrannie, et qu’ils affranchissaient les Syracusains ainsi que les autres peuples de la Sicile du joug du tyran. Et, comme il voulait haranguer lui-même la multitude, il monta au haut de la ville, en longeant la rue de l’Achradine. Partout, sur son passage, les Syracusains avaient dressé des deux côtés des tables chargées de coupes, et préparé des victimes ; et, lorsqu’il passait devant eux, ils jetaient sur lui des fleurs et des fruits, et lui adressaient leurs prières comme à un dieu. Il y avait, au-dessous de la citadelle et du lieu appelé les Pentapyles (33), une horloge solaire fort élevée et très-découverte, que Denys avait fait bâtir : ce fut là que Dion monta pour haranguer le peuple et l’exhorter à défendre sa liberté. Les Syracusains, ravis de l’entendre, et voulant lui témoigner leur reconnaissance, l’élurent lui et son frère capitaines généraux, avec un pouvoir absolu ; puis, de leur consentement, et à leur prière même, ils leur adjoignirent vingt de leurs concitoyens, dont dix faisaient partie de ceux que le tyran avait bannis, et qui étaient revenus avec Dion. Les devins regardèrent comme un heureux présage pour Dion, qu’il eût sous les pieds, en haranguant le peuple, le magnifique bâtiment que Denys avait élevé : toutefois, comme cet édifice était une horloge solaire, et que c’était là qu’il avait été nommé général, ils craignirent qu’il n’éprouvât dans son entre- 423 prise quelque revers de fortune (34). Ces choses faites, Dion se rendit maître des Épipoles, délivra tous les citoyens qui étaient détenus, et environna la citadelle d’un mur de circonvallation.