Idrissi, Sous, Aghmat et Arganier, v. 1150 n-è

On compte 4 journées de Dar’a au Sûs Extrême, pays dont la ville principale est
-Târoudant-Sûs

Le pays du Sous contient un grand nombre de villages et est couvert de champs cultivés qui se succèdent sans interruption. Il produit d’excellents fruits de toute espèce, savoir : des noix, des figues, du raisin de l’espèce dite adzârâ, des coings, des grenades de l’espèce dite amlîsî, des citrons d’une grosseur extraordinaire et fort abondants, des pêches, des pommes rondes et gonflées (comme les mamelles d’une femme), et la canne à sucre d’une qualité tellement supérieure, soit sous le rapport de la hauteur et de l’épaisseur de la tige, soit sous celui de la douceur et l’abondance du suc. On fabrique dans le pays du Sous du sucre qui est connu dans presque tout l’univers et qui porte le nom de son pays ; il égale en qualité les sucres appelés sulaymânî et tabarzad, et il surpasse toutes les autres espèces en saveur et en pureté. On fabrique dans le même pays des étoffes fines et des vêtements d’une valeur et d’une beauté incomparables.
Les habitants sont de couleur brune ; les femmes sont, en général, d’une beauté parfaite et très habiles dans les ouvrages manuels. Du reste, le Sous produit du blé, de l’orge et du riz qui se vendent à très bon marché. Le seul reproche qu’on puisse faire à ce pays, c’est le défaut d’urbanité, la grossièreté et l’insolence de ses habitants. Ils appartiennent à des races mélangées de Berber Maçmûdâ ; leur habillement consiste en un manteau (kisâ) de laine dans lequel ils s’enveloppent entièrement ; ils laissent croître leurs cheveux, dont ils ont un très grand soin ; ils les teignent chaque semaine avec du Hnna et les lavent deux fois par semaine avec du blanc d’oeuf et de la terre d’Espagne ; ils s’entourent le milieu du corps de mizar’ de laine qu’ils appellent âsfâky.
Les hommes sortent constamment armés de javelots dont le bois est court, la pointe longue et faite du meilleur acier. Ils mangent beaucoup de sauterelles frites et salées.
Sous le rapport des opinions religieuses, les habitants du Sous se divisent en deux classes :
-ceux de Târoudant sont Mâlikî avec quelques modifications
-ceux de Tîwyûîn professent les dogmes de Mousa bn Ja’far ; de là vient qu’ils vivent dans un état continuel de troubles, de combats, de meurtres et de représailles.
Du reste ils sont très riches et jouissent d’un bien-être considérable. Ils font usage d’une boisson appelée ânzîz, agréable au goût et plus enivrante encore que le vin, parce qu’elle est plus forte et plus spiritueuse ; pour la préparer, ils prennent du moût de raisin doux et le font bouillir jusqu’à ce qu’il n’en reste que les deux tiers dans le vase ; ils le retirent alors du feu, le mettent en cave et le boivent. Cette boisson est tellement forte qu’on ne saurait en faire usage impunément sans y ajouter la même quantité d’eau. Les habitants du Sous en considèrent l’usage comme permis tant qu’elle ne cause pas une complète ivresse.

Entre les deux villes du Sous, c’est-à-dire Târoudant et Tîouyouîn, on compte une journée de voyage à travers des jardins, des vignes, des vergers plantés d’arbres à fruits de toute espèce. Les viandes y sont abondantes et à très bon marché ; les habitants (comme je l’ai dit) sont méchants et pétulants.
De la capitale du Sous (c’est-à-dire de Taroudant) à la ville d’Aghmât on compte 6 journées ; on passe par les campements des tribus berbères Maçmûdâ dites :
Antî Nitât, Banu Wâsnî, Anqatûtâwan, Ansatît, Ar’an, Aguenfîs et Antouzgît, qui appartiennent toutes à la tribu de Maçmouda par laquelle cette contrée a été occupée.

A la même tribu appartiennent aussi les Berbers qui habitent Nafîs de la montagne et les alentours de cette ville, dont ils portent le nom. Nafîs est une petite ville entourée de champs cultivés ; on y trouve du blé, des fruits et de la viande en abondance. Il y a une mosquée Jâmi‘ et un marché bien achalandé qui est fourni particulièrement en diverses espèces de raisins secs d’une saveur exquise et d’une beauté et d’une grosseur incomparables, qui sont très estimés dans le Maghrib occidental.

Argân ; la tige, les branches et les feuilles de cet arbre ressemblent à celles du prunier ; le fruit, par sa forme, ressemble au fruit nommé ‘Uyûn (sorte de prune noire) ; lors de son premier développement, la peau en est mince et verte, mais elle devient jaune quand le fruit est mûr ; il est d’un goût âpre et acide et n’est point mangeable ; le noyau ressemble à celui des olives, car il est dur et pointu. On recueille ce fruit vers la fin de septembre et on le donne aux chèvres, qui l’avalent après avoir brouté l’enveloppe extérieure ; elles le rejettent quelque temps après ; on le ramasse, le lave, et après l’avoir cassé et broyé, on le presse et on en extrait beaucoup d’huile d’un très beau noir, mais désagréable au goût. Cette huile est d’un usage fréquent dans le Maghrib occidental, où elle sert même pour l’éclairage. Les marchands qui vendent des beignets (Usfunj) dans les carrefours l’emploient pour la friture, et elle n’est pas désagréable dans cette pâtisserie, quoique, lorsqu’elle vient en contact avec le feu, elle exhale une odeur âpre et fétide. Les femmes Maçmoudâ s’en servent à la toilette pour faire croître, tresser et teindre leurs cheveux ; par ce moyen, ils deviennent lustrés et d’un très beau noir.