Ibn ‘Idhari, Histoire de l’Afrique et de l’Espagne (Bayanu al-Maghrib), 1312 : Oeuvre Complète non traitée

PARTIE I : Afrique

On dit que sur le littoral de rifrik’iyya se trouve

un lieu nommé Monastir, qui est Tune des portes du
paradis (*). Dans ce même pays se trouve aussi la monta-
gne nommée El-Mamt’oûr, qui est une des portes de
l’enfer ( 3 >. Une tradition dit que l’Ifrik’iyya produira
70,000 martyrs à la face aussi brillante que la lune dans
son plein.

Le Prophète, à ce que rapporte Ibn Wahb, a dit : « Pour
les habitants de l’Ifrik’iyya, il y aura grand froid, mais
aussi grande récompense (*). » D’après Sofyân ben c Oyey na,
on dit qu’il y a au Maghreb une porte qui est ouverte
au repentir, qui est large de quarante années (de marche)
et que Dieu ne fermera que quand le soleil se lèvera de

(1) Le ms unique d’après lequel ce texte a été publié est acéphale,
et la lacune, d’après la supposition vraisemblable de Dozy, est d’un
feuillet. Il y a en outre des défectuosités partielles dans les quelques
feuillets qui suivent : j’ai tâché de traduire ces fragments tels quels,
sans d’ailleurs me flatter que j’aie pu toujours saisir le sens exact de
quelques mots dépourvus de leur contexte.

(2) Cette ville est assez longuement décrite par Bekri {Descr. de
VAfr. sept., trad. de Slane, p. 88).

(3) Voir Bekri, 325 ; Hist. des Berh., trad. de Slane, i, 325. C’est le
Djebel Ouselat actuel (Tidjâni, J. As., 1852, n, 114).

(4) On retrouve cette tradition avec d’autres analogues dans
Bekri, p. 55.

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– 2 –

ce côté. Parmi les Compagnons de l’Apôtre de Dieu, il y
eut beaucoup de Mohâdjiriens primitifs qui se rendirent
en Ifrik’iyya, et de même beaucoup des successeurs (lâbi c )
pénétrèrent eh Espagne. Les souvenirs laissés par les
Maghrébins sont d’ailleurs innombrables.

Celui qui porta le premier la guerre en Ifrîk’iyya du
temps de f Omar ben e4-Khat’t’àb fut c Amr ben el- c Açi,
qui avait conquis l’Egypte en Tan 20 de l’hégire (20 déc.
640). Ce général envoya c Ok’ba ben Nâfi c Fihri dans la
Libye et la Marmarique, pays qui ^furent conquis; puis
c Amr lui-même s’avança jusqu’à Bark’a, dont les habi-
tants se rendirent par composition [moyennant ] sur

chaque individu pubère W. De là il poussa sur Tripoli,
qu’il conquit malgré les secours que demandèrent les
habitants de cette ville à la tribu [P. 3] berbère de
Nefoûsa à raison de leur commune conversion au Chris-
tianisme.

En l’année 21 (9 déc. 641), c Amr ben el- c Açi [conquit]
Alexandrie < 2 ). En cette même année il conquit la pro- vince de Tripoli et écrivit au Prince des croyants c Ômar ben el-Khat’t’âb pour lui annoncer de quelles conquêtes Dieu l’avait favorisé, en ajoutant qu’il avait maintenant devant lui l’Ifrik’iyya, région obéissant à de nombreux princes et dont les habitants et, pour la plupart, avaient des chevaux comme montures. Mais le khalife ayant répondu par l’ordre de revenir en arrière, c Amr fit rétrograder ses troupes du côté de l’Egypte. c Omar ayant ensuite trouvé la mort du martyre, son (1) Barka fut reçu à composition moyennant 13,000 dinars et à la fin de Tannée 2\ [Nocljoûm, i, 14 ; Belàdhori, p. 224). (2) Voir Belàdhori, pp. 218 et 220. Digitized by Google – 3 — successeur c Othmàn enleva le gouvernement de l’Egypte à c Amr et en investit, en l’an 25 (27 oct. 645), *Abd Allah ben Sa c d. En 27 (6 oct. 647), r Othmân donna à e Abd AUàh ben Sa c d ben Aboû Sarh. . . . l’Ifrîk’iyya. Conquête de l’Ifrîk’iyya par Ibn Aboû Sarh’. — l’armée Merwân ben el-Hakam ; il rassembla de nombreux Omeyyades c Abd Allah ben ez-Zobeyr ben el- c Awwâm avec nombre des siens, ainsi qu’ c Abd er-Rahmân [ben Zeyd ben el-KhatTâb] et c Abd Allah [ben *Omar ben el-Khat’t’àb] W, en moharrem de cette année. Conformément à son ordre on dressa le camp, et alors il leur fit la khotba (sermon), leur adressa de sages conseils et excita leur zèle à la guerre sainte ; après quoi il ajouta: « J’ai recommandé à c Abd Allah ben Sa c d [P. 4] d’agir au mieux à votre égard et de vous traiter avec bienveillance ; je vous confie à la direction d’El-H’ârith ben el-H’akam pour vous mener à c Abd Allah ben Sa c d, qui alors prendra le commandement. » Quelques détails sur ‘Abd Allah ben Sa’d ‘Amiri ; son commandement et la conquête qu’il fit de l’Ifrîk’iyya. Ce personnage avait d’abord servi de secrétaire à l’Envoyé de Dieu, puis avait apostasie et rejoint les polythéistes à la Mekke. Mo c âwiya ben Aboû Sofyân, qui était alors à la Mekke et qui avait sincèrement embrassé l’Islamisme, le remplaça en qualité de secré- taire auprès du Prophète. Lorsque ce dernier s’empara (1) Ibid. p. 226. Digitized by Google T 4 ~ de cette ville, c Abd Allah se réfugia dans la maison d ,e Othmân pour solliciter sa protection, et c Othmân obtint du Prophète le pardon d’Ibn Aboû Sarh’, qui était son frère de lait et dont, à partir de là, la foi resta sin- cère (*>. c Othmân, lorsqu’il fut devenu khalife, le nomma
gouverneur et chef militaire de l’Egypte. Après avoir à
maintes reprises envoyé des détachements de cavalerie
légère pour enlever du butin du côté de flfrîk’iyya, c Abd
Allah écrivit à c Othmân pour lui dire quels résultais il
avait obtenus, et ces informations déterminèrent l’envoi
qui lui fut fait d’un corps d’armée dont il devait prendre
le commandement pour entreprendre une campagne
contre lTfrîk’iyya.

c Abd Allah se mit donc en marche à la tête de vingt
mille hommes contre cette contrée, qui obéissait à un
patrice nommé Djerdjir, dont l’autorité s’étendait de
Tripoli à Tanger. Le général musulman envoya dans
diverses directions des. colonnes légères qui ramenèrent
toutes du butin. Lui-même rencontra un matin le patrice
que suis r ait une armée de cent vingt mille hommes, dans
un lieu connu sous le nom de Sobeytala (Suffetula). Le
grand nombre de leurs ennemis jeta les musulmans
dans l’angoisse, et ils ne partageaient pas l’avis de leur
chef, [P. 5] qui alors §e retira dans sa tente pour réflé-
chir. Mais Djerdjir, de son côté, fut pris de peur en-
voyant les musulmans ; il fit sortir la tour mobile
( Jj*xo) et y monta pour de là dominer les troupes, et il

fit distribuer les armes Sa fille monta sur la tour et

se dévoila, entourée de ses quarante servantes qui

(1) Sur ce personnage, voir entre autres les textes auxquels renvoie
FoboiTl Mehàsin, Nodjoûm, i, p. 120; Ibn el-
Athîr, m, 299, etc.

(3) J’ai restitué quelques mots manquants d’après Ibn el-Athir,
m, 379.

(4) Cette expédition maritime est aussi rappelée par le Nodjoûm^
i, p. 154. — La lacune qui suit est d’environ sept lignes.

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– 14 –

Nâfi* ben c Abd Kays ben. . . Ibn Aboû’l. . . . dit qu’ c Okba
naquit un an avant le Prophète. D’après Ibrahim ben
el-Kâsim, c Okba à la tête de dix mille musulmans arriva
dans l’Ifrik’iyya, qu’il conquit et où il s’avança, poursui-
vant le sabre à la main tous les chrétiens qui s’y trou-
vaient. Ce chef tint alors aux musulmans le discours
que voici : « Dans cette région, les habitants se conver-
tissent à l’Islam quand arrive un prédicateur de la foi,
mais quand il se retire, les nouveaux convertis retour-
nent à leurs erreurs. Je suis donc d’avis que vous pre-

• niez pour y fixer à toujours la foi musulmane. » Cet

avis fut unanimement accepté, et l’on décida que les

gens stationnés dans les ribât (couvents fortifiés)

pour la guerre sainte et la défense des frontières W. « Je
crains également, continua c Okba, que le prince de
Constantinople ne vienne la conquérir; établissez donc

aussi entre cette (ville) et la mer dont ne puisse se

rendre maître celui qui tiendrait la mer sans. . . . qu’il y
ait de là à la mer une distance qui nécessite l’abréviation

de la prière; on y tiendra garnison Rapprochez-la,

dit-il, de la sebkha (lac salé), car vous avez pour bêtes
de somme des chameaux qui vous servent à transporter

vos bagages des incursions et de la guerre jusqu’à

ce que Dieu nous en fasse faire la conquête de proche

en proche. Alors nos chameaux dont les pâturages

seront à l’abri des attaques des Berbères et des chré-
tiens. » Ichbili dit, dans son livre des Mesâlik

entrèrent dans le Maghreb, ils trouvèrent que les Francs

(1) Ces détails et ceux qui suivent se retrouvent, mais abrégés,
dans Ylstibçar, éd. Kremer, p. 4, et trad. fr., p. 8; voir aussi le récit
de Mouley Ahmed, ap. Voyages dans le sud de l’Algérie, de Ber-
brugger,*p. 219.

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– 15 –

les y avaient devancés : ils les poursuivirent, puis la paix
fut conclue à condition et que les Francs réside-
raient dans les plaines. Ce fut dans cette partie du pays
qu’ils édifièrent des villes.

Reprenons le fil de notre récit. En 50 (28 janv. 670),
c Okba commença à construire la ville de K’ayrawàn. Les
Arabes répondirent à l’appel qu’il leur adressa à ce
propos, mais ensuite ils lui dirent : « Tu nous fais bâtir
dans une région peu enviable, constituée par des fourrés
et des marais couverts de roseaux où il y a à redouter
les bêtes féroces, les serpents et autres animaux nuisi-
bles. » Or, comme son armée comptait dix-huit Compa-
gnons du Prophète et que le reste était formé de succès-
seurs, il adressa une invocation que tous ceux qui le
suivaient firent suivre d’un amen; puis s’avançant[P. 13]

vers la sebkha il s’écria : « Serpents et bètes féroces I

nous sommes les Compagnons du Prophète; éloignez-
vous, car nous allons nous fixer en ces lieux, et doréna-
vant nous tuerons tous ceux d’entre vous que nous ren-
contrerons ici ! » On assista alors à ce spectacle merveil-
leux du défilé des lions, des loups et des serpents qui
s’éloignaient en emportant leurs petits, et conformément
à son ordre on respecta ces animaux pendant qu’ils pro-
cédaient à leur exode. Quand il fut terminé, c Okba des-
cendit dans le creux et le fit déboiser, et pendant les
quarante années qui suivirent, on n’y vit plus ni scor-
pions ni fauves (*).

Il dressa alors le plan de la maison de gouvernement

(1) Cette légende se retrouve ailleurs (Ibn el-Athir, Annales, p. 19).
Sur la fondation de K’ayrawan, voir aussi Noweyri {H. des Berb., i,
327).

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– 16 –

et de la grande mosquée, mais sans faire élever les murs
de celle-ci, bien qu’il y fit la prière. Mais il s’éleva dans
la masse des discussions au sujet de la direction de la
Mekke (kibla): « Les indigènes, lui dit-on, régleront
leur kibla d’après celle de cette mosquée ; il faut que tu
fasses tous tes efforts pour la fixer exactement. » Pendant
quelque temps on observa les levers et les couchers des
étoiles, tant l’hiver que l’été, ainsi que les levers du
soleil. Gomme les observations n’étaient pas conformes,
il se coucha un jour tout soucieux et pria Dieu de lui
venir en aide. Alors il vit en songe quelqu’un qui lui
disait : « A ton réveil, prends l’étendard que tu as à la
main, mets-le toi au cou et alors tu entendras prononcer
un cri de « Dieu est grand » que nul autre musulman
que toi ne percevra ; regarde où s’arrêtera ce son, c’est
là la kibla. Dieu, par considération pour toi, accorde sa
faveur à ce camp, à cette ville et à cette mosquée, il s’en
servira pour humilier les infidèles. » c Okba, en proie au
plu» grand trouble, se réveilla et, après avoir procédé
aux ablutions légales, se mit à dire la prière dans la
mosquée et en compagnie de notables. Après que l’au-
rore eut paru et qu’il eut fait une prière de deux rek*a,
il entendit qu’on disait devant lui : « Dieu est grand. »
Il interrogea ceux qui l’entouraient, lesquels lui dirent
n’avoir rien entendu, ce qui lui fit conclure que ce signe
émanait bien de Dieu. Il prit donc l’étendard, se le mit
sur le cou et suivit la voix, qui le mena ainsi jusqu’à
l’emplacement du mihrâb de la grande mosquée, où elle
cessa de se faire entendre. [P. 14] Ce fut là qu’il ficha son
étendard, en ajoutant que là était le mihrâb qui devait
servir aux fidèles, et ce point servit de repère pour toutes
les mosquées de la ville.

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-17 –

Il se mit alors à élever les murs, les temples et les
habitations ; on y amena de toutes parts des charges de
marchandises, et l’importance de ce lieu s’accrut beau-
coup. Les maisons s’étendaient sur une longueur de
treize mille six cents coudées, si bien que… c Okba, dont
les prières étaient écoutées du ciel, était d’ailleurs un
excellent administrateur et général.

En 55 (5 déc. 674), Mo c àwiya ben Aboû Soiyàn préposa
à l’Egypte et à l’If rik’iyya Maslama ben Mokhalled Ançâri,
enlevant ainsi l’administration du premier de ces pays à
Mo’àwiya ben Hodeydj, et celle dij second, à c Okba ben
Nâfi c . Son administration dura quatre…. Maslama avait
déjà gouverné l’Egypte. Après sa nomination en Ifri-
k’iyya il révoqua c Okba et le remplaça par [Aboû’ 1-Mo-
hàdjir]. Mo c âwiya réunit sur la tête de ce chef tout le
pays depuis Tripoli jusqu’à Tanger, ce qui ne s’était pas
fait avant lui et ce qui dura jusqu’à la mort de Mo c âwiya
ben Aboû Sofyân.

Aboû 1 1-Mohâdjir devient gouverneur de l’Ifrlk’iyya ; dépossession
d’st en Tannée 73 que cette mort est racontée par Ibn cl-Athir
(texte, t. iv, p. 295).

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– 23 –

naies (proprement) musulmanes : ce fut le Prince des
croyants e Abd el-Melik qui fit frapper des dinars et des
dirhems au type musulman M.

En 77 (9 avril 696), eut lieu la révolte d’El-Mot’arrif
ben El-Moghîra ben Cho c ba contre c Abd el-Melik, qui
employa la ruse contre lui pour arriver à le tuer ( 2 ).

En la même année de nombreux chefs hérétiques
furent décapités ( 3 ).

Gouvernement de Hassan ben en-No’màn en Ifrlk’iyya.

En 78 (29 mars 697), Hassan ben en-No c mân, choisi à
cet effet par c Abd el-Melik ben Merwân, entra en Ifrîk’iyya
à la tête de 40,000 hommes qui lui furent confiés (*). Le
khalife l’avait d’abord envoyé avec cette armée en Egypte
pour parer aux événements, puis il lui adressa l’ordre de
se rendre en Ifrîk’iyya, en ajoutant : « Je te donne pleins
pouvoirs de disposer des richesses de l’Egypte; donnes-
en à ceux qui sont près de toi, donnes en à ceux qui te
viennent trouver, donnes-en au peuple et rends-toi en
Ifrik’iyya avec la bénédiction et la protection divines ! »

Hassan ben en-No c mân ben c Adi ben Bekr ben Moghith
[P. 19] ben c Amr Mozaykiyâ ben c Amir ben el-Azd péné-
tra en Ifrlk’iyya avec l’armée la plus considérable que
les musulmans y eussent jamais envoyée. A son arrivée

(1) Sur cette queslion, cf. notamment H. Lavoix, Cat. des monnaies
musulmanes de la B. N., Khalifes orientaux, introd., p. xiv et s.

(2) Cf. Weil, G. derKhalifen, i, 442; Ibn el-Athir, texte, iv, p. 350.

(3) J’ai interprété le texte d’après Ibn el-Athir, iv, 353 ; Weil, i,
428, elc.

(4) On trouve ailleurs les dates de’ 69 et de 74 (H. des Berbères, i,
339 ; Ibn el-Athir, Annales, p. 28).

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– 24 —

àK’ayrawân, il demanda aux habitants du pays quel était
le prince le plus puissant de la région, à quoi on lui
répondit que c’était le prince de Carthage, capitale de
rifriklyya. Hassan alla donc mettre le siège devant cette
ville, qui renfermait une population grecque (Roûm)
innombrable. Les habitants dirigés par leur prince firent
une sortie, mais Hassan les mit en fuite et en massacra
la plus grande partie ; après quoi il continua le siège et
finit par prendre cette capitale. Carlhage, actuellement
dénommée El-Mo c allak’a par les Tunisiens, était une ville
considérable dont les remparts étaient baignés par la
mer. Elle était* séparée de Tunis par une étendue de
douze milles où se trouvaient des bourgades florissantes.
La mer n’arrivait pas alors jusqu’à Tunis, qui n’y a été
reliée que plus tard W. Carthage renfermait des monu-
ments considérables, de grandes constructions et des
colonnes élevées qui prouvent la haute puissance des
peuples disparus ; de nos jours encore les Tunisiens
rencontrent toujours dans ces ruines des choses merveil-
leuses et des citernes que la suite des temps n’a pas
ravies aux regards.

Quand Hassan y arriva et qu’il en eut massacré les
cavaliers et les fantassins qui la défendaient, les habi-
tants survivants songèrent unanimement à fuir dans les
nombreux vaisse et au cours desquelles on fit 5,000 prisonniers.
Leur chef, nommé Kâmoûn, fut envoyé par Moûsa à
f Abd el- c Azîz ben Merwân, qui le fit exécuter près de
l’étang appelé encore de nos jours Birket Kâmoûn( 2 >,

(1) On écrit aussi Segouma et Sekiouma; voir H. des Berb, y
i, 206, et la table géog. ; Bekri, 267.

(2) Ce nom de lieu n’est que cité d’après notre texte dans les notes
du Merâcid (îv, 314).

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– 34 –

proche du bourg d , s’étaient rendus auprès de Moûsa, qui leur donna pour
chef l’un d’entre eux et se fit livrer des otages de
marque.

En djomàda I 85 (mai-juin 704), mourut c Abd el- e Aziz
ben Merwân, qui gouvernait l’Egypte au nom de son frère
c Abd el-Melik ben Merwân. Le khalife, qui le remplaça par
c Abd Allah ben e Abd el-Melik ben Merwân, avait déjà,
dans cette même année, voulu révoquer son frère tant à
cause de la disgrâce dont il avait frappé Hassan ben en-
No c mân qu’à cause de ses rapines. Il en avait été empê-
ché par K’abîça ben Dho’ayb, qui lui avait représenté
qu’une mort prochaine pourrait le débarrasser, mais
cependant il y songeait toujours. C’est dans ces disposi-
tions qu’il était un jour à causer avec Rawlv ben Zinbâ*
Djodhâmi, qui lui disait que cette révocation n’aurait pas
été de nature à provoquer de combat entre deux chèvres,
quand K’abiça survenant s’écria: « Prince des croyants,
[P. 27] veuille Dieu te récompenser à raison de ton
frère! — Il est donc mort? repartit le khalife. — Il
est bien mort. — Aboû Zor c a, Dieu nous a suffi pour
décider la question sur laquelle nous étions d’accord ! »(*)

A la suite de la mort du Prince des croyants *Abd
el-Melik ben Merwân, survenue en 86 (1 er janvier 705),
El-Welîd écrivit à son oncle [lisez frère] c Abd Allah
[ben c Abd el-Melik] ben Merwân, de nommer Moûsa ben
Noçayr au gouvernement de l’Ifrîk’iyya et du Maghreb,
pays qu’il enleva ainsi à son oncle [lisez frère] < 2 ). La (1) Cette anecdote se retrouve dans Ibn el-Âthîr (iv, 409) et le Nodjoûm (i, 192). (2) La nomination de Moûsa est ailleurs placée, soit en 89 soit Digitized by Google – 35 – plupart des villes d’Ifrîk’iyya étaient alors désertes par suite des conquêtes successives dont elles étaient l’objet de la part des Berbères. Moûsa ben Noçayr conquiert le Maghreb el-Ak’ça. Moûsa poursuivit sa marche guerrière d’Ifrik’iyya vers Tanger, car les Berbères, par peur des Arabes, se reti- raient vers l’ouest. La poursuite à laquelle il se livra lui permit d’en tuer une grande quantité et de faire de nombreux prisonniers. Il arriva ainsi jusqu’au Soûs el-Adna, c’est-à-dire au pays de Der’a. Les Berbères accablés lui ayant alors demandé quartier et s’étarit soumis, il teur donna un chef. Comme gouverneur de Tanger et des environs il nomma son client T’ârik’, à qui il confia un corps de 17,000 Arabes et de 12,000 Ber- bères, ceux-là ayant Tordre d’enseigner à ceux-ci le Koran et de les mettre bien au courant de la religion. Après quoi il se remit en route pour l’Ifrik’iyya. D’après Ibn el-K’at’t’ân, on raconte que Moûsa ben No- çayr, sitôt après avoir, en la dite année, été investi par El-Welid, envoya à des tribus berbères Zor c a ben Aboû Modrik, qui n’eut pas à subir d’hostilités dé leur part ; ces peuples se rendirent à composition, et il envoya leurs chefs à Moûsa, qui exigea d’eux dés otages. Le gouverneur donna ensuite le commandement de la flotte d’Ifrik’iyya à f Ayyâch ben Akhyal, qui se rendit en Sicile, où il attaqua et pilla complètement une ville nommée Syracuse, puis revint sain et sauf, chargé de butin. en 77; voir Ibn Khatlikân, m, 475, où ‘Abd Allah est aussi appelé oncle d’El-Welid. Digitized by Google – 36 – Quand AboùModrik Zor c a ben Aboû Modrik amena les otages dBs Maçmoûda, Moûsa les réunit aux otages [P. 28] berbères qu’il s’était fait livrer en Ifrik’iyya et au Maghreb et qui se trouvaient à Tanger : il les mit sous les ordres de son client T’ârik’, qui [plus tard] envahit l’Espagne avec eux. Dix-sept Arabes furent laissés par Moûsa à l’effet d’instruire ces Berbères dans le Koran et les préceptes de l’Islam. [Autrefois] c Ok’ba ben Nâfi e avait déjà laissé dans le même but quelques-uns de ses compagnons, parmi lesquels Châkir et d’autres. Dans le Maghreb el-Ak’ça n’avait pénétré aucun gouverneur Omeyyade autre qu’ c Ok’ba ben Nàfi c Fihri ; c’était le seul que les Maçmoûda eussent connu, et l’on dit que la plu- part de ces derniers opérèrent volontairement leur con- version entre ses mains. Ce fut Moûsa ben Noçayr qui pénétra après lui dans ce pays. En 92 (28 octobre 710), T’àrik envahit l’Espagne et la conquit avec une armée formée d’Arabes, de Berbères et des otages livrés par ces derniers, tant ceux que lui avait laissés Moûsa que ceux qui avaient auparavant été remis- à H’assân dans le Maghreb central. C’est en 85 (13 janvier 704) que T’ârik’ devint gouverneur de Tanger et du Maghreb el-Ak’ça, et c’est à cette date que la con- version des habitants de cette dernière région à l’Islam fut complète : on orienta dans la direction de la Mekke les temples élevés par les polythéistes et l’on installa des chaires dans les mosquées des communautés. Alors fut élevée la mosquée d’Aghmât HeylânaW. Quant à ce chef, son nom est T’ârik’ ben Ziyâd ben (1) On écrit aussi Aylàn ou Ilàn, voir Bekri et Edrisi; cf. H. des Berb., i, 174. Digitized by Google – 37 – e Abd Allah ben Oulghoû ben Ourfeddjoûm ben Neber- ghâsen ben Oulhàç ben It’oûmet ben Nefzâou ; il était Nefzi d’origineM. On dit qu’il figurait parmi les Berbères faits prisonniers. Il était affranchi de Moûsa ben Noçayr. En 93 (18 octobre 711), ce dernier, irrité contre T’ârik\ franchit la mer et se rendit en Espagne; il y suivit une autre route que son général et y remporta de nombreux succès que nous raconterons en faisant l’histoire de la conquête de l’Espagne, dans la seconde partie du pré- sent ouvrage. En la même année, f Abd Allah ben Moûsa remplaça son père comme gouverneur d’Ifrîk’iyya, à raison du départ de Moûsa, jusqu’au jour où celui-ci revint d’Es- pagne pour se rendre en Orient. Moûsa arriva à K’ayrawân à la fin de Tannée 95. En 95 (25 septembre 713), Moûsa quitta [P. 29] l’Espa- gne pour se rendre en Ifrik’iyya avec le butin dont Dieu l’avait gratifié : la flotte transporta à Tanger toutes les riches dépouilles que formaient l’or, l’argent et tes pier- reries, puis elles furent chargées sur des chariots. D’après [ïbn] er-Rak’ik’, cent quatorze véhicules furent employés à cet usage. La table [de Salomon], qui était faite d’or avec un peu d’argent et qui comptait trois cercles, l’un de rubis, l’autre d’émeraudes et le troisième de perles, fut un jour chargée sur un grand mulet, le plus agile el le plus vigoureux qu’on pût trouver, don»t les jambes cédèrent sous le poids même avant d’arriver à l’étape t-). Au dire d’EULeyth ben Sa c d, on n’avait (1) Sur les dires relatifs à l’origine de ce général, v. Fournel, i, 236. (2) Sur la table de Salomon, voir notamment Dozy, Recherches^ 3» éd., i, 52 ; Merràkechi, trad. fr. ; p. 10, Digitized by Google – 38 – jamais^ depuis la fondation de l’Islam, entendu parler d’un nombre de prisonniers aussi considérable: quand son fils Merwân revenu du Soûs se porta au-devant de son père, avec les principaux chefs, il ordonna à beux-ci dé donner à chacun des compagnons de son père un esclave nègre ou une négresse, et Moûsa ayant donné le même ordre à ceux qu’il commandait, chacun se trouva pourvu et d’un nègre et d’une négresse. On raconte encore que Moûsa en quittant l’Espagne y laissa comme gouverneur son fils c Abd el- c Azîz et que, rentré en Ifrîk’iyya, il parvint à K’ayrawân à la fin de 95 (comm. 25 sept. 713). Il ne pénétra cependant pas dans la ville et descendit au K’açr Elmâ, où il tint une audience à laquelle assistèrent les guerriers arabes de la ville, dont les uns l’avaient accompagné dans son expédition, tandis que les autres étaient restés en Ifrîk’iyya avec son fils c Abd Allah : « Aujourd’hui, leur dit-il, trois faits heureux se sont produits pour moi : j’ai d’abord reçu une lettre par laquelle le Prince des croyants me témoi- gne sa reconnaissance et m’accorde des louanges » (il énuméra ici les succès que Dieu avait réalisés par ses mains) ; « ensuite une lettre où mon fils c Abd el- c Azîz me décrit les victoires que Dieu lui a. fait remporter en Espa- gne » (ici il prononça les formules de louanges à Dieu, et les assistants se levèrent pour le féliciter)» ; quant à la troisième chose, continua-t-il, je vais vous la faire voir »; et, se levant, il fit tirer une tenture derrière laquelle se trouvaient diverses jeunes filles semblables à autant de pleines lunes montant à l’horizon et couvertes de bijoux et de parures. Comme on lui réitérait les félicitations, c Ali ben Rebâh’ Solami prit la parole : « Général, dit-il, c’est moi qui te donnerai le meilleur avis : rien n’arrive Digitized by Google – 39 — au sommet qui ne soit près de redescendre; modère-toi donc [P. 30] avant d’y être forcé! » Cette observation décontenança Moûsa, qui renvoya aussitôt ces jeunes filles. Il partit ensuite pour l’Orient, après avoir confié Plfrlk’iyya, l’Espagne et Tanger aux soins respectifs de ses fils c Abd Allah, c Abd el- c Aziz et c Abd el-Melik. D’après Ibn el-K’atTân, la plupart s’accordent à dire que T’ârik’, avant d’aller explorer l’Espagne, s’était établi à Tanger. Cependant, selon certains, il était ins- tallé sur l’emplacement de SidjilmâssaW, vu que Selà et le pays en-deçà, Fez, Tanger et Ceuta appartenaient aux chrétiens. Il ajoute qu’on n’est pas d’accord si Moûsa entra ou non à K’ayrawân dans ce voyage. Moûsa se mit donc en marche avec ses autres enfants, c’est-à-dire Merwân, c Abd el-A’la, etc. ; il était en outre accompagné des nobles K’oreychites, Ançâr et autres Arabes, de cent che # fs berbères, parmi lesquels les fils de Koseyla ben Lemzem, les Benoû Isder, MezdânaW, roi de Soûç, le prince de Mayorque et de Minorque, des fils de la Kâhina, de cent des princes espagnols chrétiens, et de vingt princes des villes conquises en Ifrik’iyya ; il emporta en outre des spécimens des produits de toutes les villes de ce pays. Il arriva ainsi à Miçr, où il n’y eut pas de savants ni de nobles à qui il ne fit des présents et des dons. D’Egypte, il se dirigea sur la Palestine, où il fut reçu par la famille de Rawh’ ben Zinbâ c , qui égorgea cinquante chameaux pour lui faire fête. Il en repartit en laissant une partie de ses femmes et ses plus jeunes (1) La fondation de cette ville date de 140, d’après Bekri, p. 328. Cf. Fournel, i, 233, n. 5, et 352. 12) Ailleurs on lit Merzàya. Digitized by Google – 40 – enfants auprès de ses hôtes, à qui il fit de riches présents. Mais alors il reçut une lettre du khalife El-Welid ben e Abd el-Melik, qui était malade et lui enjoignait d’arriver au plus vite pour le trouver encore en vie, tandis que d’autre part Soleymàn ben c Abd el-Melik, frère et héritier présomptif d’El-Welîd, lui écrivait de temporiser et d’attendre. Sans tenir compte de cette dernière lettre, Moûsa fit diligence, [P. 31] si bien qu’il arriva à la cour trois jours avant la mort du khalife El-Welîd. Aussi Soleymàn disait-il qu’il le ferait crucifier s’il l’avait en son pouvoir. Moûsa put donc remettre à El-Welîd les richesses qu’il apportait, laTable[deSalomon], les perles, les rubis, les diadèmes, ainsi que l’or et l’argent. Mas c oûdi, dans son livre intitulé ^Adjâ’ibel-bilâd wez- zemân (*), s’exprime ainsi : « A la suite de la conquête de Tolède, Târik’ pénétra dans le palais royal de cette ville, où il trouva les Psaumes de Davic^ transcrits sur des feuilles d’or à l’aide d’une solution de rubis et d’un travail si merveilleux que l’on n’avait en quelque sorte jamais rien vu de pareil. Là encore se trouvaient la Table de Salomon, précédemment décrite, vingt-quatre dia- dèmes rangés en ordre et correspondant au nombre des rois Goths d’Espagne, car il était d’usage que le diadème d’un roi mort fût déposé en cet endroit et que son successeur s’en fit faire un autre; enfin, une grande pièce remplie d’élixir alchimique (Ld~!==aJt j~~£=>\ pierre phi-
losophai). Tous ces objets furent remis à El-Welîd ben
c Abd el-Melik. »

(1) H. Kh., iv, 186, ne cite pas d’ouvrage de ce titre, mais seulement
un Lô jJ\ ^JjIsl* de Mohammed ben H’oseyn Mas’oûdi. L’auteur
des u^obJJl – jy s’appelle AboiYl-Hasan ‘Ali ben H’oseyn ben ‘Ali.

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– 41 –

En djomâda II 96 (février 715), le khalife El-Welid
mourut et eut pour successeur Soleymân. Celui-ci, qu’ani-
mait une vive colère contre Moûsa, le fit exposer au
soleil pendant une journée très chaude, jusqu’à ce que le
patient, homme corpulent et asthmatique, perdit con-
naissance. Soleymân alors lui dit : « Tu n’as voulu tenir
aucun compte de la lettre que je t’avais écrite ! Paie
maintenant cent mille dinars! — Prince des croyants,
répondit Moûsa, vous m’avez pris tout ce que je possé-
dais; d’où donc tirerais-je cent mille dinars? — Il t’en
faudra payer deux cent mille », reprit Soleymân ; et
comme Moûsa se défendait: « C’est trois cent mille,
continua le khalife, que tu auras à verser » ; et en même
temps il le fit mettre à la question, avec l’intention de le
faire mourir. Moûsa eut alors recours à l’intervention de
Yezid ben el-Mohalleb, qui avait du crédit auprès de
Soleymân et qui obtint du prince la grâce du prisonnier,
moyennant l’abandon par celui-ci de tout ce qu’il possé-
dait. On dit aussi, c’est la version d’Ibn H’abîb et d’au-
tres, que Moûsa racheta sa vie moyennant le paiement à
Soleymân d’un million de dinars. Plus tard, Yezîd ben
el-Mohalleb étant à causer un soir avec Moûsa lui dit :
« Aboû c Abd er-Rah’mân, quel groupe formez-vous, [P. 32]
toi et les tiens, clients et serviteurs ? Arrivez-vous à mille ?
— Oui certes, répondit Moûsa, et de plus mille et mille
autres encore. — Et pourquoi donc t’es- tu exposé à la
mort au lieu de rester au siège de ta puissance, à l’en-
droit où s’exerce ton pouvoir ? — Je le jure ! repartit
Moûsa, si je l’avais voulu on n’eût rien pu contre moi;
mais j’ai préféré le respect de mes devoirs envers Dieu,
et je n’ai pas cru que je dusse oublier que j’ai à obéir. »

On raconte qu’après s’être fait payer cette énorme

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_ 42 –

rançon, Soleymân ben c Abd el-Melik demanda un jour
une coupe d’or, et Moûsa, surprenant le regard qu’il lui
jetait, lui parla en ces termes : « Prince des croyants, il n’y
a pas là de quoi s’enorgueillir ! Cette coupe, je ne l’estime
certes pas dix mille dinars: or Dieu m’est témoin que
j’ai envoyé à ton frère El-Welid un vase à lampe en
émeraude verte dans lequel le lait qu’on y versait pre-
nait une teinte verte ; on a estimé qu’il valait cent mille
dinars. J’ai en outre trouvé telles et telles choses », dont
il se mit à faire une longue énumération, si bien que
Soleymân en resta stupéfait.

Moûsa ben Noçayr était né en 19 (1 er janvier 610) et
mourut en 98 (24 août 716), à l’âge de 79 ans. Il fut
nommé en 88 (11 décembre 708) gouverneur d’Ifrîk’iyya
et administra ce pays, de même que l’Espagne et le
Maghreb tout entier, jusqu’à sa mort, c’est-à-dire pen*-
dant environ dix- huit ans M. On raconte entre autres
choses au sujet de sa mort, qu’il fit avec Soleymân
le pèlerinage et que, lors de leur arrivée à Médine,
Moûsa annonça que le surlendemain mourrait un homme
dont le nom avait rempli l’Orient et l’Occident.

Gouvernement de Moh’ammed ben Yezld en Ifrîk’iyya
et au Maghreb.

Voici ce que dit Wâk’idi: « Soleymân ben c Abd el-
Melik dit alors à Redjà’ ben H’aywa< 2 ) qu’il voulait un
homme d’un mérite intrinsèque pour en faire le gouver-

(1) Le texte porte i8 en chiffres; le texte du manuscrit porte sans
doute, mais en toutes lettres, huit,

(2) On peut voir sur ce personnage Ibn Koteyba, p. 239; Ibn el-
Athir, v, 27 et 129 ; Nodjoûm, p. 302.

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– 43 –

neur d’Ifrik’iyya. Redjâ’ approuva ce projet, et au bout
de quelques jours lui dit qu’il avait trouvé l’homme
demandé en la personne de Moh’ammed ben Yezîd,
client de K’oreych. Soleymân se le fît présenter et lui
tint ce langage: « Moh’ammed ben Yezîd, crains Dieu
[P. 33] seul, qui n’a pas d’associé ; cultive la vérité et la
justice dans le pays que je te confie, car je te nomme
gouverneur d’Ifrik’iyya et du Maghreb tout entier. »
Alors, continue le chroniqueur, Moh’ammed ben Yezîd
fit ses adieux au prince et se mit en route, en disant
qu’il serait sans excuse aux yeux de Dieu s’il ne prati-
quait pas la justice.

En 97 (4 sept. 715), Moh’ammed ben Yezîd se fixa en
Ifrîk’iyya et l’administra de la façon la plus régulière et
la plus juste. Il reçut ensuite l’ordre de s’emparer d’ c Abd
Allah ben Moûsa ben Noçayr pour le mettre à la question,
et de confisquer la fortune des fils de Moûsa. En consé-
quence il emprisonna e Abd Allah, le tortura et finit par le
mettre à mort. Or, l’ordre du khalife était de saisir toute la
famille, les enfants et les partisans de Moûsa, de ruiner
leur situation et de leur arracher par la torture trois cent
mille dinars. c Abd Allah ben Moûsa subit donc son supplice
sous la surveillance de Khâlid ben H’abib K’oreychiM;
pour c Abd el- c Aziz ben Moûsa, quand il apprit le traite-
ment infligé à son père, à son frère et à sa famille, il refusa
de reconnaître plus longtemps les Omeyyades et se pro-
clama indépendant. Mais alors le khalife Soleymân
adressa à H’abib ben Aboû f Obda( 2 ) et aux chefs arabes des

(1) Ce personnage est nommé ‘Obeyd Allah ben Khàlid ben Çàbi
dans le Nodjoûm, p. 261.

(2) Sur ce nom voir la note de ma traduction de Merrâkechi, p. 9.

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-.44 –

lettres leur prescrivant de le mettre à mort, ce qu’ils
firent : sa tête et celle de son frère e Abd Allah furent
déposées sous les yeux de leur père Moûsa pendant qu’il
était lui-même à la torture* 1 ). La conduite de Soleymân à
l’égard de Moûsa et de ses fils, après les conquêtes
qu’avait faites ce général, est une chose honteuse qu’on
n’a jamais cessé de reprocher à ce khalife.

Moh’ammed ben Yezîd confia l’administration de l’Es-
pagne à El-H’orr ben c Abd er-Rah’màn K’aysi, car ce
pays relevait alors du gouverneur de l’Ifrik’iyya, de même
que celui-ci relevait du gouverneur de l’Egypte.

Au cours de son administration, qui dura deux ans et
quelques mois, Moh’ammed ben Yezid envoya [plusieurs
fois] des partis de cavaliers vers les frontières d’Ifrîk’iyya,
et le produit de leurs courses était partagé entre eux.

Soleymân ben c Abd el-Melik étant mort en 99, fut rem-
placé le jour même par c Omar ben c Abd el- c Azîz, qui
nomma gouverneur de l’If rîk’iyya Ismà c il ben c Abd Allah
ben Aboû’l-Mohâdjir, client des Benoû Makhzoûm. Ce
fut en l’année 100 [P. 34] que s’installa en Ifrik’iyya cet
excellent général et administrateur. Grâce aux appels
zélés et sans cesse renouvelés qu’il adressa aux Berbères
pour amener la conversion de ces peuples, celle-ci
s’acheva entre ses mains sous le règne d’ c Omar ben c Abd
el- c Aziz. Ce fut lui qui apprit aux habitants de ce pays ce
qui est permis ou défendu, tâche dans laquelle il fut aidé
par dix hommes de mérite et de talent choisis parmi les
successeurs (tâbi’oûn), entre autres c Abd er-Rah’màn ben
Nâfi c et Sa c id ben Mas c oûd Todjibi, par qui f Omar le fit’
assister. Ce sont eux qui firent connaître en Ifrik’iyya la

(1) Cf. Fournel, i, 274.

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– 45 –

prohibition dont est frappé le vin, qui avait jusqu’alors
passé pour permis.

En 100 (2 août 718), Ismâ c il ben ( c Abd Allah ben) Aboû’l-
Mohàdjir nomma pour son lieutenant en Espagne Es-
Samh’ ben Mâlik Khawlâni, qui s’y rendit en ramad’ân.

Le 6 cha c bàn 101 (20 février 720), le khalife «Omar
mourut à Deyr Sam c ân^), après un règne de deux ans et
cinq mois. Il eut pour successeur Yezîd ben c Abd el-Melik,
qui nomma au gouvernement d’Ifrik’iyya Yezid ben Aboû
Moslim, client et commandant de la garde d’El-H’addjàdj
ben Yoûsof. Ce nouvel administrateur, qui arriva en
Ifrîk’iyya en 102 (11 juillet 720), était un homme injuste
et imprévoyant, dont la garde était formée de Berbères.
Montant un jour en chaire, il annonça ce qui suit : « J’ai
décidé que, à l’imitation de ce que font les rois chrétiens
pour leur garde, chacun des hommes composant la mienne
portera inscrit dans sa main droite son nom, et dans sa
gauche, le mot garde; ils seront ainsi distingués du rpste
de la population, et quand ils seront envoyés à quelqu’un,
l’exécution de mes ordres se fera plus promptement. »( 2 )
En entendant cette annonce, ses gardes se dirent qu’il vou-
lait les traiter comme des chrétiens et complotèrent sa
mort, de sorte que quand il sortit de sa demeure pour
aller dire a la mosquée la prière du coucher du soleil, ils
le massacrèrent à l’endroit où il priait.

Après délibération sur le choix d’un gouverneur en
attendant la décision du khalife, le peuple s’accorda pour
nommer El-Moghîra ben Aboû Borda, qui était un

(1) Cette localité est proche de Damas. Sur le lieu et la date de la
mort de ce khalife, comparez Ibn el-Athîr, v, 42 ; Merâcid, i, 432 ;
Nocljoûm, 274, etc.

(2) Comparez le récit du Nodjoûm, p. 272.

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– 46 –

homme vaillant et de bonne famille. Mais’Abd Allah, fils
de ce chef, lui fit observer que Yezîd ayant été tué en sa
présence, son acceptation le ferait soupçonner d’être
l’auteur du meurtre et qu’il était préférable de choisir
Moh’ammed ben Aws Ançâri, qui était alors engagé dans
une expédition contre la Sicile. Ce guerrier, en effet, ne
tarda pas à revenir, chargé des dépouilles qu’il avait
faites, et ce fut lui que l’on investit du pouvoir. Il écrivit
au khalife Yezid ce qui s’était passé, et le prince nomma
gouverneur Bichr ben Çafwân.

Gouvernement de Bichr ben Çafwân.

Bichr ben Çafwân ben Tawil ben Bichr ben H’anz’ala
ben c Alk*ama ben Cherâh’il ben c Azîz ben Khâlid devint
en 103 (30 juin 721) gouverneur d’Ifrik’iyya et acheva de
détruire ce qui restait de la famille de Moûsa ben Noçayr ;
après quoi il se rendit auprès du khalife Yezid, mais il ne
le trouva plus en vie. A ce prince, mort en rebî c I 105
(août-sept. 723), succéda Hichânvben c Abd el-Melik, qui
renvoya Bichr en Ifrik’iyya. Après son retour Bichr nom-
ma comme gouverneur d’Espagne c Anbasa benSoh’aym
Kelbi; puis il dirigea en personne contre la Sicile une
expédition où il fit de nombreux captifs et retourna à
K’ayrawân. Comme il était près de mourir, la jeune
esclave qui le soignait s’écria : « joie maligne des enne-
mis! — Mais, dit Bichr, ce que j’ai dit aux ennemis ne
mourra pas avec moi ! » Il désigna pour le remplacer El-
c Abbâs ben Bâd’i c a Kelbi.

En 107 (18 mai 725), Bichr ben Çafwân avait nommé
en Espagne Yah’ya ben Solama Kelbi, qui arriva dans
ce pays en chawwâl (février 726).

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– 47 – –

En cette année-là, il y eut une grande confusion parmi
les gouverneurs d’Egypte* 1 ).

Bichr ben Çafwàn nlourut à K’ayrawân en 109 (27 avril
727), après avoir administré l’Ifrîk’iyya sept ans. Le
successeur désigné par lui resta dans cette ville jusqu’à
l’arrivée du gouverneur nommé par le khalife.

[P. 36] Gouvernement cT’Obeyda ben ‘Abd er-Rah’mân Solami.

Fils du frère d’Aboû’l-A c war Solami, qui commandait
la cavalerie de Mo c âwiya à Çiffin, il arriva en Ifrîk’iyya
en rebî c 1 110 (juin-juillet 728). C’était un vendredi, et le
lieutenant de Bichr ben Çafwàn venait de s’habiller
pour se rendre à la prière, quand on lui annonça que
l’émir c Obeyda était entré inopinément à K’ayrawân :
« Il n’y a, répliqua-t-il, de force et de puissance qu’en
Dieu ! La dernière heure arrivera aussi inopinément I »
Et ses jambes incapables de le supporter le laissèrent
s’affaisser. Après son arrivée, c Obeyda s’empara des fonc-
tionnaires et des partisans de Bichr et les emprisonna;
il leur fit payer des amendes et en mit plusieurs à la
torture.

En 110 (15 avril 728), c Obeyda nomma gouverneur
d’Espagne c Othmàn ben Aboû Nis c a, qui se trouva à son
poste au mois de cha c bân (novembre).

Le 1 er moh’arrem 111 (4 avril 729) arriva en Espagne,
en qualité de gouverneur et envoyé par c Obeyda, H’od-
heyfa ben el-Ah’waç K’aysi, ou, selon d’autres, Aehdja’K 2 ).

(1) Ce que dit ici notre auteur se rapporte, d’après le Nodjoûm, à
l’année 109.

(2) Cf. Ibn el-Athîr, Annales, p. 93.

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– 48 –

En 112. (25 mars 730), c Obeyda nomma à ce poste
El-Haythem ben c Obeyd KenâniW, qui arriva dans le pays
en moh’arrem, et qui mourut en 114 après avoir gou-
verné l’Espagne pendant deux ans et quelques jours.

Parmi les fonctionnaires et compagnons de Bichr
qu , KhatTâr el-H’osâm ben D’irâr Kelbi, qui non seulement
était un des nobles de sa tribu, mais avait de l’éloquence
et du talent. Bichr ben Çafwân lui avait confié en
Ifrîk’iyya un gouvernement important, d’où c Obeyda le
déplaça, en outre d’un châtiment qu’il lui infligea. Il
composa alors ces vers :

[P. 37 ; T’awîl] Vous avez, fils de Merwân, livré notre sang
aux K’aysites ; mais si vous ne vous montrez pas justes, Dieu
rendra un jugement équitable ! On dirait que vous n’avez
pas assisté à la bataille.de Merdj Râh’it’ et que vous ignorez
à qui cette victoire est due. Vous affectez clairement de ne
pas nous voir, et nous savons bien qu’il y a longtemps que
vous agissez ainsi à notre égard (2).

Il fit réciter ces vers devant le khalife Hichâm ben
c Abd el-Melik, et le résultat en fut que ce prince enleva
le gouvernement de l’Ifrik’iyya et du Maghreb à c Obeyda,
qui, en se retirant en chawwâl 114 (nov.-déc. 732), y
laissa en qualité de lieutenant c Ok’ba ben K’odâma. Son
administration avait duré quatre ans et six mois, et il
emporta en Syrie des dons considérables (pour le kha-
life). Quant à son lieutenant, il resta à K’ayrawân pen-
dant six mois.

(1) On lit ailleurs Kilâbi, voir ibid, .

(2) Sur ces vers, leur auteur et les variantes qu’ils présentent, cf.
Ibn el-Athlr, Annales, pp. 72 et 73.

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– 49 –

Pendant Tannée 113 (14 mars 731), les divers fonction-
naires d’Ifrîk’iyya et d’Espagne restèrent les mêmes que
Tannée précédente. Le gouvernement de TEspagne fut
ensuite confié à c Abd er-Rah’mân ben c Abd Allah
Ghâfik’i, qui fit campagne contre les chrétiens et qui
trouva, ainsi que nombre des siens, le martyre au lieu
dit BalâT ech-chohadâ, en 115 (20 février 733) (D.

En cette année il régna une grande disette.

[P. 38] Gouvernement d”Obeyd Allah ben el-H’abh’âb en Ifrtk’iyya
et en Maghreb.

Ce client des Benoû Seloûl était un chef remarquable,
un officier distingué, éloquent et bon prédicateur, con-
naissant bien les journées, les combats et les poèmes
des anciens Arabes. Il arriva en Ifrîk’iyya en rebî c II 116
(mai-juin 734). C’est à lui qu’on doit la construction de
la grande mosquée et de l’arsenal de Tunis. Il avait
débuté comme scribe, et la fortune le mena au poste de •
gouverneur d’Egypte, d’Ifrîk’iyya, d’Espagne et du Ma-
ghreb entier. Il se fit remplacer en Egypte par son fils
El-K’àsim, confia TEspagne à c Ok’ba ben el-H’addjâdj
Seloûli et nomma à Tanger et dans la région voisine du
Maghreb moyen d’abord son fils Ismâ c il, puis c Omar ben
c Abd Allah Morâdi. Il envoya H’abib ben Aboû f Obda( 2 )
ben c Ok’ba ben Nâfi c Fihri en expédition contre le Soûs
extrême : ce chef parvint jusqu’au Soudan en vainquant

(1) Cette sèche mention se rapporte à la bataille de Poitiers qui fut
livrée en octobre 732; cf. Fournel, i, 280. Le Balàt ech-chohâdâ de
notre texte ne peut donc être le château-fort d’Espagne ainsi dénom-
mé (Merâcid, i, 168 ; iv, 365 ; Mochtarik, 63).

(2) On lit ailleurs ‘Obeyda.

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^50-

tous ceux qui tentèrent de lui réàîster et en pénétrant chez
toutes les tribus sans exception ; il fit un nombre consi-
dérable de captifs, entre autres deux jeunes filles qui
n’avaient chacune qu’un sein (*), puis il rentra sain et sauf
avec tous les honneurs de la guerre. Il fit ensuite une
expédition en Sicile, où il remporta des succès sans
pareils.

c Omar ben c Abd Allah Morâdi, gouverneur de Tanger
et des environs, éleva des prétentions injustes et exagé-
rées au sujet des aumônes légales et de la dime. Il pré-
tendit traiter les [biens des] Berbères en butin et les
soumettre au quint, ce qu’aucun gouverneur n’avait
encore fait, car le quint n’était exigé que des Berbères
non convertis^). Cette conduite blâmable provoqua le
soulèvement du pays et amena de nombreux combats où
périrent beaucoup de serviteurs de Dieu.

Les Berbères de Tanger et de la région, quand ils
surent que H’abib ben Aboû c Obda était engagé dans une
expédition contre les chrétiens, refusèrent d’obéir plus
longtemps [P. 39] à c Obeyd Allah ben el-H’abh’âb, et à la
suite des appels qu’ils adressèrent aux autres Berbères,
l’insurrection s’étendit à tout le Maghreb, y compris le
Maghreb el-Ak’ça. Ce fut la première révolte qui éclata
dans ce pays et en Ifrîk’iyya depuis la conquête musul-
mane ; on était alors en 122 (6 décembre 739). Meysera
Madghari se mit à la tête de l’insurrection contre c Omar
ben c Abd Allah Morâdi, qui gouvernait à Tanger, et le
mit à mort. Tous les Berbères embrassèrent le parti de

(1) Et qui provenaient d’un peuple nommé Taràdjàn (Bclàdhori,
232).

(2) Comparez Ibn el-Athir, Annales, p. 63.

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– 51 –

leur chef Meyserael-H’ak’ir, qui, laissant à Tanger e Abd
el-A c lâ ben H’odeydj, s’avança du côté du Soûs contre
Ismà’il ben c Obeyd Allah ben el-H’abh’âb et le tua égale-
ment. Il y eut alors entre les habitants du Maghreb el-
Ak’ça et ceux de l’Ifrîk’iyya de nombreuses rencontres,
trop longues à raconter. En effet, il y avait alors dans le
Maghreb une tribu nombreuse et puissante: celle des
Berghawâta, qui professait la doctrine khârédjiteW. Cette
révolte des Berbères et de Meysera eut pour cause les
abus dont se rendit c’oupable le gouverneur nommé par
Ibn el-H’abh’àb. En effet, les khalifes d’Orient recher-
chaient les nouveautés d’origine occidentale et se les
faisaient envoyer par les fonctionnaires gpuverneurs
d’IMk’iyya, qui leur adressaient par exemple les captives
berbères ( 2 ). Or Ibn el-H’abh’âb leur fit de nombreux pré-
sents et il y mit tous ses efforts, ou peut-être exigea-ton
davantage de lui, si bien qu’il se trouva amené à com-
mettre des excès dont le résultat fut te soulèvement géné-
ral de la population et le meurtre du gouverneur.

c Obeyd Allah ben el-H’abh’âb avait des enfants qui se
montraient orgueilleux. Or comme c Ok’ba ben el-H’ad-
djâdj alla le trouver et que le père d’ c Abou c Ok’ba avait
affranchi El-H’abh’âb, père d’ c Obeyd Allah, quand c Ok’ba
arriva auprès d c Obeyd Allah, celui-ci se leva devant lui,
lui rendit des marques d’honneur et le fit asseoir sur son
trône. Après qu’ c Ok’ba se fut retire, les enfants d’ c Obeyd
Allah blâmèrent la conduite de leur père, qui leur
demanda leur avis : « Tu avais, lui dirent-ils, à lui faire

(1) Sur les Kharedjites, voir la note 5 de 17/. des Berb., i, 203 ; et
Biunnow, Die Charidschiten.

(2) Comparez //. des Berb., i, 203.

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– 52 –

quelque cadeau et à l’éloigner, de manière à ne pas
ravaler notre rang. — Oui, dit-il, vous avez raison ». Le
lendemain il fit entrer la population dans sa demeure :
dans la foule figurait c Ok’ba, [P. 40] devant qui il se leva
et qu’il fit asseoir sur son trône, tandis que lui-même
restait debout: « Mes fils que voilà, fit-il, obéissant aux
suggestions de Satan et à l’orgueil du pouvoir, ont voulu
me faire faire une chose contraire au droit et ont blâmé
le respect que j’ai témoigné à cet homme. Sachez qu’il
est mon patron, car son père a rendu le mien à la liberté.
J’en prends Dieu à témoin, toute hypocrisie m’est
odieuse 1 » Puis il donna à c Ok’ba le droit de choisir le
gouvernement dont lui, c 0beyd Allah, pouvait disposer,
et c Ok’ba porta son choix sur l’Espagne (*). Cela se passait
en 116 (9 février 734), et ce gouverneur resta en Espagne
jusqu’en 121 (17 décembre 738), où il en fut chassé par la
révolte d’ c Abd el-Melik ben K’at’an Fihri. D’après une
autre version, ce fut lui qui choisit ce dernier pour le
remplacer.

Revenons à Meysera Madghari, chef des Çofrites et du
Maghreb. A la nouvelle de la mort de Morâdi et de celle
de son propre fils, c Obeyd Allah rappela de Sicile H’abîb
ben Aboû c Obda, pour l’envoyer avec les soldats d’Ifri-
k’iyya contre Meysera. Le commandement de l’armée des
chefs et des nobles de l’Ifrîk’iyya fut donné par ‘Obeyd
Allah à Khâlid ben Aboû H’abîb ( 2 ) Fihri, qui marcha
contre Meysera et qui était suivi de près par H’abîb ben
Aboû c Obda. Khâlid franchit le Chélif, rivière voisine de

(1) Cette anecdote est racontée avec plus de détails, d’après YAkh-
bar madjmoû’a, par Dozy, H. des mus. d’Esp., i, 230.

(2) Ailleurs, on lit Khâlid ben H’abib (Annales, p. 64).

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– 53 –

Tâhert, et Habib, qui arriva ensuite, campa près du gué
de cette rivière, mais sans s’en éloigner. Khâlid poussa
en avant jusque près de Tanger, où il rencontra Meysera
et lui livra une bataille où se déploya un acharnement
inouï. A la suite de cet engagement, Meysera se retira à
Tanger, mais les Berbères commencèrent à blâmer sa
mauvaise administration et sa déviation du but pour
lequel ils l’avaient choisi.

Meysera, dit [Ibn] er-Rak’ik\ avait pris le titre de
khalife et s’était fait reconnaître comme tel,* de sorte
qu’on le mit à mort et qu’on le remplaça par Khâlid ben
H’amid Zenâti. Khâlid ben Aboû H’abib livra bataille
aux Berbères, mais il fut attaqué par derrière par une
armée considérable que menait Khâlid ben H’amid, et
les Arabes durent fuir devant cette avalanche. Mais Ibn
Aboû H’abib ne voulut pas reculer : il se jeta avec les
siens au devant de la mort, [P. 41] si bien qu’ils périrent
jusqu’au dernier. Tous les héros, les preux et les cheva-
liers arabes périrent dans cette affaire, qu’on a appelée
la Bataille des nobles et qui eut pour conséquence une
insurrection générale.

Cette nouvelle détermina également la révolte de
l’Espagne contre son gouverneur, qui fut déposé et rem-
placé par c Abd el-Melik ben K’at’an. Les affaires d’Ibn
el-H’abh ab s’étant ainsi gâtées, la population le déposa
à son tour. Quand le khalife Hichàm ben c Abd el-Melik
fut informé de ces événements, il s’écria : « Je le jure, je
vais leur témoigner une colère d’Arabe ! je vais envoyer
contre eux une armée dont la tête sera chez eux quand
la queue en sera encore ici ». Ibn el-H’abh’âb, sur Tordre
qu’il reçut du khalife d’aller le rejoindre, partît en djo-
màda I 123 (avril 741).

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54

Gouvernement de Kolthoûm ben ‘Iyâd’ en Ifrîk’iyya ; sa rencontre
avec Khâlid ben H’amld Zenâti, émir de l’Ouest.

A la nouvelle de Tinsurection du Gharb et de l’Espa-
gne, Hichâm ben c Abd el-Melik envoya en Ifrîk’iyya
Kolthoûm ben c Iyâd’ à la tête de douze mille Syriens (*),
et ce général entra dans ce pays en ramad’ân 123 (juil.-
août 741), de concert avec les gouverneurs d’Egypte, de
Tripoli et de Bark’a, qui en avaient reçu Tordre du kha-
life. Sang” passer par K’ayrawân, il s’avança précédé
d’éclaireurs commandés par son cousin paternel < 2 ) Baldj
ben Bichr K’ochayri. Celui-ci donna Tordre aux indigè-
nes de tenir leurs portes ouvertes pour que les Syriens .
pussent voir leurs demeures, et leur tint beaucoup
d’autres propos qui les irritèrent et au courant desquels
ils mirent H’abîb ben Aboû c Obda. Celui-ci écrivit à Kol-
thoûm : « Ton insensé de cousin a tenu tels et tels pro-
pos ; tiens ton armée à Técart des (indigènes), sinon
nous dirigerons nos forces contre loi. » Kolthoûm lui
adressa des excuses et Tordre [P. 42] d’attendre sur le
Chelif qu’il Teût rejoint; puis laissant à K’ayrawân c Abd
er-Rah’mân ben c Okba Ghaffâri, il s’avança avec son
armée jusqu’au camp de H’abîb. Il traita dédaigneuse-
ment celui-ci, tandis que de son côté Baldj ben Bichr lui
disait injurieusement : « C’est donc celui-là qui veut
tourner ses forces contre nous ! » Cela lui attira cette
réplique d’ c Abd er-Rah’mân ben H’abîb, qui s’avança en
lui criant : « Sache, Baldj, que celui-là c’est H’abîb ;

(1) Ailleurs, et même ci-dessous, on lit trente mille (Ibn el-Koû-
tiyya, p. 231 ; Bayân, n, 30 ; H. des Mus. d’Esp., i, 244, etc.).

(2) D’autres disent son neveu.

— 55 –

et si tu le veux, tiens-lui donc tête !» On se mit à crier
aux armes, et tous les Africains et les Egyptiens se ran-
gèrent du même côté, mais on s’entremit pour ramener
le calme. Cette mésintelligence, jointe aux mauvaises
dispositions prises par Kolthoûm et Baldj, occasionna le
désastre qui suivit.

Kolthoûm continua sa marche jusqu’au Wàdi Seboû
avec une armée de 30.000 hommes, dont un tiers, dit’Ibn
el-K’at’t’ân, étaient Omeyyades et les deux autres tiers,
Arabes. Khâlid ben H’amid Zenâti, qui avait remplacé
Meysera dans son commandement, se mit de son côté en
marche. Kolthoûm fit faire à Baldj une marche de nuit
pour attaquer les Berbères, et ce chef tomba sur eux de
grand matin ; mais ils se battirent sans vêtements, bien
que porteurs de boucliers en cuir, le mirent en fuite et
arrivèrent jusqu’à Kolthoûm. Celui-ci, installé sur une
tour mouvante qu’il avait fait dresser, dominait la bataille
qui s’engagea. Les deux cavaleries donnèrent d’abord,
et la cavalerie arabe, au début victorieuse, fut ensuite
battue ; puis les fantassins en vinrent aux mains et enga-
gèrent une lutte acharnée ; cavaliers et fantassins berbè-
res pénétrèrent dans les rangs de l’armée de Kolthoûm,
et ce chef fut tué, de même que H’abîb ben Aboû c Obda,
Soleymàn ben Aboû’l-Mohâdjir et les autres chefs arabes.
Les Syriens s’enfuirent en Espagne, les Egyptiens et les
Africains en Ifrik’iyya M.

D’après Ibn el-K’atTân, Hichâm ben c Abd el-Melik,
lorsqu’il envoya Kolthoûm en qualité de gouverneur de

(1) Cette bataille, livrée à Nakdoûra (ce nom présente diverses
variantes) est décrite par Dozy, H- des Mus., i, 246; cf. Ibn el-Athir,
Annales, 66-

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– 56 –

l’Ifrîk’iyya et du Maghreb, lui recommanda de remplir
ses fonctions avec tout le zèle et l’ardeur désirables, car
les Omeyyades, avaient trouvé dans les livres de prédic-
tions^) que le pouvoir des révoltés ne dépasserait pas le
Zâb, c’est-à-dire, croyaient-ils, le Zàb d’Egypte ( 2 ), tandis
qu’il s’agissait du Zâb d’Ifrik’iyya, et c’est pourquoi ce
prince insistait pour que la défense en fût bien assurée. Il
établit de plus [P. 43] que s’il arrivait malheur à Kolthoûm,
ce chef serait remplacé par son neveu Baldj. Or dans l’un
des combats qui furent livrés aux Berbères, Kolthoûm
périt, et Baldj en conséquence prit sa place en Ifrik’iyya.
Les fuyards se réfugièrent à Ceuta, où ils furent étroi-
tement bloqués, de sorle que Baldj s’adressa à c Abd el-
Melik ben K’at’an, gouverneur d’Espagne, pour lui
demander de les faire passer, lui et les siens, en Espa –
gne. Mais c Abd el-Melik, peu confiant, ne se pressa pas
tout d’abord d’envoyer des vivres ni des vaisseaux ; il se
trouva ensuite, forcé de les introduire dans ce pays par
suite de circonstances que j’exposerai dans la seconde
partie, où elles seront à leur place en parlant de l’Espa-
gne; il imposa à ces Arabes syriens, qui étaient environ
dix mille, la condition, à laquelle ils souscrivirent, de
n’y- faire qu’un séjour d’un an. Mais quand ils y furent
installés, ils trouvèrent qu’il y faisait bon vivre et ils
refusèrent d’en sortir lorsqu’ c Abd el-Melik leur rappela
les termes de leur engagement ; ils tuèrent ce chef, et
Baldj resta onze mois gouverneur d’Espagne, ainsi que

(1) Le texte porte dirâyàt ; ou trouve riwâyàt dans Ibn el-Koû-
tiyya.

(2) Peut-être y a-t-il là une erreur, car ce nom, autant que je
siche, n’existe pas ; cf. Fournel, î, 313,

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– 57 —

nous le disons dans la seconde partie, où il est traité de
ce pays.

D après [Ibn] er-Rak’ik’, c Abd er-Rah’mân ben H’abib,
seul Africain qui échappa, passa en Espagne et dit à c Abd
el-Melik ben K’at’an : « Ces Syriens te demandent des
vaisseaux pour les amener ici ; mais s’ils viennent, nous
n’avons nulle confiance dans leurs sentiments à ton
égard. » Et, en effet, quand c Abd el-Melik leur eut fait
franchir la mer, ils l’attaquèrent, sous la conduite de
Baldj, au bout d un an de séjour, et le résultat de douze
rencontres, toutes défavorables à c Abd el-Melik, fut que
Baldj resta maître de l’Espagne.

En 124 (14 novembre 741), Baldj fut tué dans ce pays,
et ses compagnons le remplacèrent, selon les instruc-
tions du khalife Hichâm, par Tha c leba ben Selâma f Amili.
Celui-ci eut à combattre le restant des Berbères, qui se
soulevèrent à Mérida et dont il fit un grand massacre,
[P. 44] en outre de ceux, au nombre d’un millier, qu’il fit
prisonniers. A la suite de cette affaire, il regagna Cor-
doue. C’est sous son gouvernement, qui dura dix mois,
que les Berghawât’a commencèrent à lever la tête.

Des Berghawât’a et de leur apostasie (*).

Au dire d’Ibn el-K’at’t’àn et d’autres encore, Tarif est
un descendant de Chim’oûn, [petit] fils du prophète
Ish’âk’. Or les Çofrites, après s’être partagé rifrik’iyya,
aussi bien que les femmes et les richesses qu’elle renfer-

(1) Voyez Bekri, p. 301 ; Hist. des Berb,, h, 125 ; Istibçar, tr. fr.,
p. 157 ; ci-dessous, p. 234 du texte arabe ; Ibn Haukal, éd. de Goeje,
p. 56.

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– 58 –

mait, se tournèrent contre K’ayrawàn, sous la direction
d’un chef berbère que suivaient trois cent mille des
siens; mais les habitants de cette ville, au nombre de
douze mille guerriers, soutenus par la protection divine,
les mirent en déroute. La crainte d’être trop long m’em-
pêche de raconter ici ces faits en détail. Or Tarif, de qui
Tarifa (Djezîrat Tarif) tire son nom, était l’un des chefs
de cette nombreuse armée. A la suite de cette défaite,
de la dispersion qui en fut la suite et des pertes que ces
guerriers subirent, Tarif se rendit à Tâmesna, où habi-
taient des tribus berbères, dont la profonde ignorance
lui permit de se mettre en avant et de les rallier à sa
personne, de sorte qu’elles le reconnurent pour leur
prince. Il avait depuis quelque temps commencé à leur
donner des lois religieuses quand il mourut, laissant
quatre enfants. Çâlih’, l’un d’eux, fut reconnu par les
Berbères comme son successeur, et continua de leur
inculquer les croyances que son père Tarif avait com-
mencé à propager. Il avait avec son père participé à la
guerre de Meysera el-H’ak’ir et de Maghroûr ben Tà-
ioût, les deux chefs çof rites, et se mit à prétendre que le
Koran propre à ces peuples et dont ils faisaient leur
lecture, lui avait été révélé, ajoutant qu’il était le Çâlih
el-mou’minîn dont Dieu a parlé dans son Saint Livre
(Koran, s. lxvi, 4). Çâlih transmit à son fils Elyâs [P. 45]
ses pratiques religieuses, lui enseigna ses doctrines et sa
foi, en lui recommandant de n’en rien manifester jusqu’à
ce que son pouvoir se montrât au grand jour et que, la
notoriété de son nom étant établie, il pût mettre à mort
ses adversaires; il y ajouta la recommandation de se
ménager l’amitié du Prince des croyants régnant en Espa-
gne; puis il gagna l’Orient en promettant de reparaître

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– 59 –

sous le règne du septième prince de leur race. Il préten-
dait être le Mahdi qui doit apparaître à la fin des temps
pour combattre Y Antéchrist et disait que c Isa (Jésus)
serait alors parmi les siens et prierait à sa suite, en
rapportant à ce propos des discours qui provenaient,
disait-il, de Moïse.

Après qu’il fut parti pour l’Orient, son fils Elyâs,*dont
le règne dura cinquante ans, cacha ses doctrines jusqu’à
l’année 173 (30 mai 789). De tout ce que nous venons de
dire de Çâlih’ et de son fils, il résulte que les débuts de
cette affaire remontent à 124 ou environ (741 ou 742),
puisque Ton compte cinquante ans de là jusqu’à Tan 173
(30 mai 789).

Gouvernement de H’anz’ala ben Çafwân en Ifrlk’iyya et dans tout
le Maghreb.

Le massacre de Kolthoûm ben c Iyâd’ et de ses compa-
gnons” fut cause que le khalife Hichâm ben c Abd el-Melik
envoya en Ifrik’iyya H’anz’ala ben Çafwân Kelbi, qui était
alors gouverneur d’Egypte, où il avait été nommé en 119 ;
il arriva en rebi c II (février-mars 742), dans son nouveau
gouvernement. Sur la demande que lui adressèrent les
Espagnols, H’anz’ala leur envoya en qualité de gouver-
neur Aboû’l-KhatTâr H’osâm ben D’irâr Kelbi, qui s’em-
barqua à Tunis pour rejoindre son poste et y arriva en
redjeb (mai 742). Je parlerai de lui en traitant de l’Es-
pagne.

H’anz’ala n’était que depuis peu installé à K’ayrawân
quand l’hérétique Çofrite c Okkâcha marcha contre lui à la
tête de [P. 46] forces berbères considérables, et c Abd el-
Wâh’id ben Yezid Hawwâri en fit autant avec des troupes

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– 60 –

non moins nombreuses. Ces deux chefs s’étaient séparés
au sortir du Zâb/Okkâcha ayant prisla route de Meddjâna
vers K’ayrawân, et c Abd el-Wàh’id, dont l’avant-garde
avait pour chef Aboû K’orrâ Meghili, celle des montagnes.
H’anz’ala jugea prudent d’attaquer le premier avant qu’il
eût fait sa jonction avec les deux autres chefs; il marcha
contre lui avec une troupe formée par les habitants de
K’ayrawân et lui livra à El-K’arn un combat acharné d’où
il sortit vainqueur après avoir tué d’innombrables Ber-
bères. On dit que le chef arabe, lorsqu’il vit qu’il avait
affaire à une si forte armée, annonça aux siens l’intention
de demander du secours au khalife, mais qu’un jeune
homme lui dit qu’il fallait attaquer l’ennemi et prendre
Dieu pour juge ; qu’alors H’anz’ala se décida à une cam-
pagne qui aboutit, après bien des incidents, à la défaite
d v Okkâcha.

Voici le récit que fait c Abd Allah ben Abou H’assân :
H’anz’ala tira des dépôts toutes les armes qui sy # trou-
vaient et réunit de l’argent, puis fit annoncer que le
registre d’enrôlement était ouvert. Le premier individu
qui se présenta fut un homme de Yah’çob, qui, répondant
à la demande qui lui était adressée, déclara se nommer
Naçr ben Yan c am. H’anz’ala souriant et comme prêt à le
taxer de mensonge, lui dit : «Au nom de Dieu, dis donc
la vérité ! — Je le jure, répondit l’homme, tel est bien
mon nom. » Le général en tira un augure favorable; il y
vit aide divine (naçr) et victoire. Après avoir payé la
solde à ses troupes, il marcha à la rencontre desÇofrites,
autrement dit des Kharédjites. Il serait long de raconter
les combats acharnés qui furent livrés, les provocations
que s’adressèrent les braves des deux partis, le nombre
des guerriers qui mordirent la poussière dans toutes ces

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^61 –

circonstances où l’on n’entendait que le choc du fer contre
le fer, le heurt des mains s’enlaçant. Une charge fut
d’abord dirigée contre l’aile gauche des Arabes, puis
l’aile gauche et le centre des Berbères furent enfoncés,
et alors l’aile gauche des Arabes se précipitant sur l’aile
droite des ennemis, ceux-ci furent mis en déroute. La
tête d’ c Abd el-Wâh’id fut apportée à H’anz’ala, de même
qu’on lui amena c Okkàcha, qui avait été fait prisonnier et
qu’il fit mettre à mort. Puis il se prosterna et offrit ses
hommages au Créateur. On dit que jamais on ne vit au
monde un pareil massacre. [P. 47] H’anz’ala voulut faire
compter les morls, mais on n’y put parvenir ; il fit alors
jeter un jonc sur chaque cadavre, puis on ramassa ces
joncs, dont le total s’élevait à 180.000. CesÇofrites regar-
daient comme licites (l’usage de toutes) les femmes et
l’effusion du sang.

L’avis de cette victoire fut transmis par H’anz’ala au
khalife Hichâm ben c Abd el-Melik, qui en manifesta une
joie très vive. El-Leythben Sa c d disait : «Après la bataille
de Bedr, c’est à celles d’El-K’arn et d’El-Açnâm M que
j’aimerais le mieux d’avoir assisté. »

En 125 (3 novembre 742), le khalife Hichâm mourut
d’une angine. Les gouverneurs des provinces étaient les
mêmes que l’année précédente, entre autres H’afçben el-
Welid en Egypte, H’anz’ala ben Çafwàn en Ifrik’iyya et
Aboû’l-Khat’t’âr en Espagne. Le jour même de la mort
de Hichâm, mercredi 6 rebi c II, El-Welid ben Yezid monta
sur le trône. Celui-ci fut tué le jeudi 27 djomàda II 126
(16 avril 744) par Yezid ben el-Welid, surnommé le

(1) Ibn el-Athir ne donne à cette bataille que le nom d’El-Açnâm
{Annales, 68 et 69 -, cl, H. des Berb., i, 364).

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– 62 –

révolté (hâk’icï), qui prit sa place. Il fut reconnu à Damas
et il ne se passa cette année-là rien en Ifrik’iyya ; il mourut
en dhoû’l-h’iddja de cette année, après avoir désigné
comme son successeur son fils Ibrahim ben Yezid. Celui-
ci, au bout d’un mois et demi environ, abdiqua en faveur
de Merwàn Dja c di,qui fit, dit-on, exhumer et crucifier le
cadavre de Yezîd ben el-Welid.

Tentative d”Abd er-Rah’màn ben H’ablb Fihri en Ifrik’iyya.

Ce personnage s’était réfugié en Espagne [P. 48] lors-
qu’il prit la fuite à la suite de la bataille où tombèrent son
père H’abib ben Aboû c Obda ben c Ok’ba ben Nâfi c et
Kolthoûm ben c Iyàd’, et il ne cessa de tenter de s’en
emparer. Mais il notait pas arrivé à atteindre son but
quand l’envoi d’AboiVl-Khat’t ar par H’anz’ala lui inspira
des craintes pour sa vie, de sorte qu’il s’embarqua furti-
vement et vint débarquer à Tunis en djomâda I 127
(février 745) (*). Là il adressa à la population un appel
qui fut entendu, et H’anz’ala eut tout d’abord l’intention
de marcher contre lui pour le combattre; mais son esprit
timoré et religieux répugnant à l’idée de faire la guerre
à des musulmans, il lui envoya quelques personnages
africains pour l’inviter à rentrer dans l’obéissance. Or le
rebelle les enchaîna et les emmena avec lui versK’ayra-

(1) En djomàda I 126, d’après Ibn el-Athir, Annales, p. 74. Noweyrr
place aussi le débarquement d’ ‘A bel er-Rahmàn en djomâda I 127 et
le départ de H’anz’ala, en djomâda 11 127 (H. des Berb., i, 364), ce
qui est le plus vraisemblable. La date de 129 qu’on trouve quatorze
lignes plus bas, est probablement une erreur ou de l’auteur ou de
l’éditeur (voir suprà, p. 42, n. 1 ; Fournel, i, 323, n. 7 et 325, u. 1).
On sait d’ailleurs combien les chroniqueurs sont peu d’accord pour
les dates do cette période,

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– 63 –

wân, en annonçant que si quelqu’un des partisans de ces
chefs et notables lui lançait seulement une pierre, il exé-
cuterait ceux qu’il détenait comme otages. Ce que voyant,
H’anz’ala, après avoir convoqué le kàdi et ses témoins
instrumentaires, fît ouvrir le trésor, où il ne prit que mille
dinars, en disant qu’il n’en voulait tirer que la somme
suffisante pour son voyage; puis il quitta l’ifrîk’iyya en
djomàda 1 129 (fév.-mars 747). c Abd er-Rah’màn pénétra
alors à K’ayrawàn et fit proclamer par son héraut la
défense de sortir avec H’anz’ala et de raccompagner, de
sorte que la population, rendue craintive par cette
menace, abandonna H’anz’ala. Celui-ci, dont les prières
étaient exaucées du ciel, lança sa» malédiction contre
l’ifrîk’iyya, qui fut ravagée par la peste et l’épidémie
pendant sept ans consécutifs, sauf deux interruptions,
l’une pendant l’hiver et l’autre pendant l’été.

Au dire d’un chroniqueur, Merwàn ben Moh’ammed
Dja c di conféra le gouvernement de l’Ifrik’iyya à c Abd er-
Rah’màn ben H’abib lorsque ce chef fut devenu maitre
de cette province.

Quand e Abd er-Rah’mân détint le pouvoir, un groupe
d’Arabes et de Berbères se révolta contre lui ; puis ce fut
c Orwa ben el-Welid ÇadafK 1 ) qui s’empara de Tunis ; les
Arabes du littoral ; Ibn e At’t’âf Azdi < 2 ) ; [P. 49] les Berbères des montagnes; enfin Thàbit ÇanhâdjU 3 ) s’empara de Bâdja. Contre ce dernier s’avança Elyâs ben H’abîb, frère d’ e Abd er-Rah’mân, à la tète de 600 cavaliers, mais en feignant, par suite d’une ruse arrêtée entre les deux (1) ‘Orwaben ez-Zobcyr, d’après Noweyri. (2) Aboû ‘Attàf ‘lmràn ben ‘Attâf (Ibn el-Athîr). (3) Thàbit ben Ouzidoûn, d’après Ibn Khaldoun {Berb., i, 218). Digitized by Google – 64 – frères, de ne pas se diriger contre lui, et il ne se mit en marche que quand les rapports des espions lui eurent appris qu’il était sans méfiance et ne se tenait pas sur ses gardes. Ibn c At’t’âf et les siens furent à leur tour massacrés. c Abd er-Rah’màn déploya un véritable zèle à envoyer les Berbères à la mort» et il mit les populations à l’épreuve en les transformant en exécuteurs : les Ber- bères qu’on lui amenait prisonniers étaient remis par lui à ceux qu’il soupçonnait de croire que verser leur sang était interdit, et c’étaient eux qui devaient les mettre à mort. L’Ifrik’iyya fut alors le théâtre de combats et d’événements trop long à raconter. A la suite d’une lettre accompagnée de présents et adressée par e Abd er-Rah’màn à Merwân ben Moh’am- med, celui-ci envoya à ce guerrier l’ordre de se rendre à la Cour. Mais l’affaiblissement du pouvoir omeyyade en Orient et la guerre contre les Abbassides qui occu- pait Merwân, permirent à c Abd er-Rah’mân de rester à K’ayrawân jusqu’en 135. Laissant alors dans cette ville son fils H’abib, il fit une expédition contre Tlemcen et ne rentra qu’après avoir vaincu plusieurs peuplades ber- bères. Il attaqua alors la Sicile, puis envoya contre la Sardaigne des troupes qui y firent un terrible massacre et concédèrent la paix moyennant paiement du tribut. Une expédition envoyée contre la France en ramena également des prisonniers. Le Maghreb tout entier fut dompté, et les tribus durent humblement courber la tête, sans que jamais ses troupes subissent d’échec ni que son étendard fût refoulé, de sorte que la terreur de son nom pénétra les âmes de tous les Maghrébins. A la suite de la mort violente de Merwân ben Moh’am- med en Orient et de la chute de la dynastie omeyyade, Digitized by Google – 65 – c Abd er-Rah’màn continua de rester gouverneur de l’Ifrîk’iyya et du Maghreb. Plusieurs Omeyyades, par crainte des Abbassides, s’enfuirent dans ce pays en emmenant des femmes de leur famille, et il se conclut des mariages entre elles et c Abd er-Rah’màn et ses frères. Parmi eux figuraient deux fils d’El-Welîd ben Yezid W, et leur cousine devint la femme d’Elyâs ben H’abib. Ces deux princes avaient été installés dans une demeure par e Abd er-Rah’màn, qui, une certaine nuit, vint les obser- ver d’un endroit où il n’était pas vu. Ils étaient à boire du vin de dattes que leur versait leur affranchi, quand l’un d’eux se mit à dire : « c Abd er-Rah’màn pense-t-il donc [P. 50] rester émir de ce pays, alors que nous, fils du khalife, nous sommes ici ? » Le gouverneur alors se retira, puis il les fit venir auprès de lui et leur fit bon visage; mais quand on leur apprit que leur conversation avait été surprise, ils s’enfuirent montés sur deux cha- meaux. Des cavaliers lancés à leur poursuite les attei- gnirent, et l’émir leur fît trancher le cou. Leur cousine dit alors à son mari Elyâs : .« Il a exécuté mes parents, ,tes alliés (2), à toi qui commandes ses armées et qui lui sers d’épée ; c’est son fils H’abib qu’il a désigné pour lui succéder ; voilà comment il te témoigne son mépris ! » Ces excitations toujours renouvelées firent qu’Elyâs et son frère c Abd el-Wàrith s’entendirent pour tuer c Abd er-Rah’màn, de concert avec plusieurs habitants de K’ayrawân, ainsi qu’il sera raconté. Nous avons dit que c’est en 127 (12 oct. 744), qu’ f Abd (1) On retrouve leurs noms dans Ibn el-Athir, Annales, p. 77. (2) C’est par une erreur de traduction qu’on lit tes frères dans Fouruel, Les Berbers, i, 329. 5 Digitized by Google ~ M – er-Rah’mân ben H’abib entra en Ifrik’iyya et y reven- diqua l’autorité. C’est aussi en cette année qu’eut lieu la tentative et la reconnaissance de Thawâba ben Selàma en Espagne : en 125 il avait chassé Aboû’l-Khat’t’âr. Son autorité fut pleinement reconnue en cette année (127 ?), mais elle n’était que le produit d’une usurpation violente et ne lui avait été déléguée ni par les Omeyyades ni par les Abbassides. Eç-Çomayl, qui était auprès de lui, exer- çait le véritable pouvoir, mais Thawâba avait le titre d’émir. Ce dernier mourut en cha c bân 128 (mai 745), après un règne d’un an environ, comme je le dirai dans l’histoire d’Espagne, et ce pays resta quatre mois sans émir. La population choisit alors Eç-Çomayl ben H’âtim, qui, d’accord avec elle, reconnut l’autorité de Yoûsoi ben c Abd er-Rah’mân Fihri. Ce fut en 129 (21 septembre 746) que celui-ci fut appelé à gouverner l’Espagne, ce qu’il fit pendant une période de dix ans. Il est possible que pas une de ces années ne se soit passée sans qu’il ait fait campagne, puisqu’on dit qu’il fit la guerre sainte sans interruption. Il sera parlé de lui dans l’histoire de l’Espagne. En cette même année, il se livra en Espagne des com- bats; divers événements y eurent lieu et la disette y sévit. On dit que c’est en çafar 129 (octobre-novembre 746) que commença le gouvernement de Yoûsof, et qu’ c Abd er-Rah’mân ben H’abîb, gouverneur de K’ayrawân, à qui on l’écrivit, [P. 51] lui envoya l’investiture. En 130 (10 septembre 747) eut lieu la prise de Merv par Aboû Moslim, qui sema la division parmi les Ara- bes, choisit les Yéménites pour aider à sa victoire et ni abandonna les Mod’arites, tout cela non sans combats -i – 67 – luttes (*>. De son côté c Abd er-Rah’mân ben H’abib avait,
en Ifrik’iyya,à livrer de nombreux combats aux Berbères.

En 131 (30 août 748) Aboû Moslim se rendit maître du
Khoràsân. Il n’y eut pas de changement dans les gouver-
neurs d’Egypte, d’Ifrik’iyya et d’Espagne. Cette année là
c Abd er-Rah’mân ben H’abîb entoura la ville de Tripoli
de murailles, et la population s’y rendit de toutes parts.

En 132 (19 août 749) se place la bataille où les Omey-
yades et Ibn Hobeyra furent battus ( 2 ), et à la suite de la-
quelle Koûfa tomba entre les mains des Abbassides ; puis
le pouvoir de cette dynastie s’étendit graduellement par
des conquêtes en Orient, suite de sa révolte contre les
Omeyyades. La mort violente de Mervvân ben Moh’am-
med Dja c di, qui arriva en cette année, marqua la fin du
pouvoir de cette famille, après quatre-vingt-onze ans
neuf mois et cinq jours partagés entre quatorze princes,
et dans lesquels Ibn Zobeyr figure pour neuf ans et vingt-
deux jours. Les membres de cette famille s’enfuirent
alors de côté et d’autre pour échapper à la mort. c Abd
er-Rah’mân ben Mo’àwiya se réfugia en Espagne où il
arriva au trône, et sa descendance y recommença à
régner jusqu’à 424 (6 déc. 1032) après une interruption
[à partir de 132J d’environ six ans, puisqu’ c Abd er-Rah’-
mân fut reconnu en 137 (26 juin 754). S’il est exact que
c Abd er-Rah’mân ben H’abîb, gouverneur omeyyade
de K’ayrawân et d’Ifrik’iyya, ait donné l’investiture à
Yoûsof ben c Abd er-Rah’mân, qui s’était rendu maître

(1) Sur ces événements on peut se reporter à Weil, Gesch. cl. Cha-
lifen, i, 696.

(2) Cette défaite de Yezîd ben ‘Omar ben Hobeyra eut lieu le 10
monarrem près de Kerbela (ibid., p. 699 ; Ibn el-Athir, texte, v, 309).

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– 68 –

de l’Espagne et y gouvernait lors de l’arrivée d’ e Abd er-
Rah’mân l’Omeyyade, le pouvoir de cette dynastie n’au-
rait pas subi d’interruption en Espagne. C’est là un lait
à observer et qui, s’il est exact, constitue une chose
extraordinaire et digne de remarque.

Ibn H’azni s’exprime ainsi : « Alors finirent les Omey-
yad.es, qui, malgré [P. 52] les hommes distingués qui
figurèrent parmi eux, formèrent une dynastie qui ne
fonda ni grande ville ni forteresse ; chacun d’eux conti-
nua, après être devenu khalife, d’habiter l’hôtel ou la
propriété où il résidait auparavant ; ils n’exigèrent pas
des fidèles l’emploi d’épithètes serviles et destinées à
faire ressortir leur propre autorité, ni le baisement de
la terre ou de leurs pieds. Ils s’occupaient seulement de
nommer ou de déplacer les gouverneurs des pays les
plus éloignés relevant d eux : Espagne, Chine, Sind,
Khorâsàn, Arménie, Yémen, Syrie, c Irâk, Egypte, Ma-
ghreb et autres régions W.

Ce fut en cette année que le pouvoir passa aux Abbas-
sides. Ibn H’azrn donne de leur gouvernement cette note
d’ensemble : « Sous cette dynastie étrangère, les bureaux
cessèrent d’être arabes : ce furent les étrangers du Kho-
râsàn qui devinrent le» maîtres, et Ton vit renaître l’in-
juste administration des Kosroès, avec cette seule
différence que Tordre ne fut pas donné d’injurier les
Compagnons. La discorde s’éleva chez les musulmans,
et dans l’intérieur de l’empire on vit les Kharédjites, les
Chi c ites et les Mo c tazelites remporter des succès ; Idris
et Soleymân, tous les deux fils d’ c Abd Allah ben el-H’asan
ben el-Hasan ben c Ali ben Aboû T’âleb, s’insurgèrent

(1) Comparez Bayân, n, p. 40 du texte.

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dans le Maghreb el-Ak’ça et s’en rendirent maîtres; des
Omeyyades s’emparèrent de l’Espagne, et ainsi de suite
pour beaucoup d’autres, tandis qu’à la faveur de ces
troubles les infidèles s’emparaient de ta majeure partie
de l’Espagne et du Sind » (*).

En 132(19 août 749), quatre chefs différents faisaient des
nominations de gouverneurs et de fonctionnaires : Mer-
wàn ben Moh’ammed, Aboû Selama el-KhallâM 2 ), Aboû
Mostim et. Aboû’l- c Abbâs es-Seffâh’. Merwân enleva à
El-Welîd ben c Orwa le gouvernement de Médine pour
en investir son frère c Isa ( 3 ). Aboû Selama nomma gou-
verneur de Koûfa Moh’ammed ben Khâlid, qui resta en
fonctions jusqu’au moment où le pouvoir d’Aboû’l- c Abbâs
es-Seffâh’ fut définitivement établi. Aboû Moslim, qui
était le plus puissant et dont les ordres ne rencontraient
pas d’opposition, mit Moh’ammed ben el-Ach c ath à la
tête du Fars et lui donna l’ordre de prendre et de déca-
piter les chefs nommés par Aboû Selama, ce qui fut fait.
[P. 53] Après cela, Aboû’I- e Abbâs nomma Ismâ c il ben e Ali
gouverneur du Fars, et son frère Aboû Dja c far gouver-
neur d’El-Djezira, d’Arménie et d’Adherbeydjân ; il en-
voya son frère Yah’ya ben Moh’ammed ben c Ali*à Mossoul
pour administrer les autres provinces orientales, et en
Egypte Aboû e Awn e Abd el-Melik (*) ben Yezid, et l’Ifri-
k’iyya fut confiée à c Abd er-Rah’mân ben H’abib à cause

(1) Comparez Bayân, n, p. 41.

(2) lbn Khallikan (i, 467) consacre un article à ce personnage, dont
le nom est orthographié Aboù Salama H’afç. ben Soleymàn el-Khallàl.
L’éditeur d’Ibn el-Athir (t. v, pass.) orthographie Salima. LeKanioûs
ne cite pas ce nom et partant ne nous apprend rien sur la manière
de l’orthographier. Ibn Koteyba ne le cite pas davantage. 11 porta le
premier le nom de vizir.

(3) Appelé Yoùsof ben ‘Orwa par Ibn el-Athir (v. 311).

(4) Ou ‘Abd Allah (îXodjoiïm, i, 361).

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– 70 –

de l’adhésion adressée par lui à AboûVAbbàs sitôt qu’il,
avait appris l’intronisation de ce dernier.

En 133 (8 août 750), Aboû’l – r Abbâs nomma son oncle
Soleymân ben r Ali gouverneur de Baçra, du territoire de
cette ville, du Bah’reyn, etc. ; son oncle Ismâ c il, gouver-
neur de l’Ahwàz ; son oncle Dâwoûd, gouverneur de
Médine; il laissa dans les autres provinces d’Orient, en
Ifrik’iyya et en Espagne les mômes gouverneurs que
précédemment.

En 134 (29 juillet 751), Aboû’l- c Abbâs fit marcher
Moûsa ben Ka e b à la tête de 12,000 hommes contre Man-
çoûr ben Djemhoûr, qui s’était soulevé contre les Abbas-
sides, Moûsa l’atteignit dans le Hind et dispersa les
révoltés. Mançoûr dut s’enfuir et périt de soif dans les
sables W.

Cette même année vit encore des déplacements et des
nominations de gouverneurs en Orient ; mais Aboû c Awn
continua de rester en Egypte, c Abd er-Rah’mân ben
H’abib en Ifrîk’iyya et Yoûsof Fihri en Espagne.

En 135 (17 juillet 752), eut lieu l’expédition d’ c Abd er-
Rah’mân ben H’abib contre la Sicile, d’où ce chef ramena
des captifs et du butin ; il attaqua également la Sardai-
gne, aux habitants de laquelle il concéda la paix moyen-
nant paiement du tribut ( 2 ). Il marcha aussi contre les
Berbères du côté de Tlemcen, capitale du Maghreb
central et siège du pouvoir des Zenâta. Au dire d’El-
Bekri, les Benoû Yaghmoràsen sont une tribu Hawwâ-
ride qui compte soixante mille âmes ; Tlemcen, depuis

(1) Cf. Weil, Gesch. ci. Chai., n, 14 ; Ibn el-Athir, v, 347, etc.

(2) Il semble bien qu’il n’y ait là qu’une répétition des faits signalés
p. 64, ainsi que Ta fait remarquer A mari, Biblioteca, n, 4. Cf. Ibn el-
Athir, Annales, 77.

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– 71 –

longtemps siège de l’empire zénatien, point central des
tribus de cette race et d’autres encore, est aussi un lieu
de rendez-vous pour les marchands. Moh’ammed ben
Soleymân, descendant d ,f Ali ben Aboû Tâleb, s’y fixa,
et son petit-fils Aboû’l- c Aych Isa ben Idris [P. 54] fonda
la ville de Djerâwa W.

Quant aux Zenâta, Aboû’l-Medjd Meghili, c Ali ben
ïTazm et d’autres encore les disent issus de Djâna ben
Yah’ya ben Çoûlàt ben Ourtâdj ben D’ari ben Sefkoû ben
K’aydewâd ben Ka c belà ben Mâdghis ben Hadak ben
Hersait’ ben Kedâd ben Mâzigh* 2 ). On dit aussi que D’ari
est le fils de Zedjîdj ben Klàdghisben irmoûled ben Ber-
noûs. Bernoûs fut le père de Kotâma, de Maçmoûda^
d’Ouriba, d’Ouzdâdja et d’Oûrik’a. Ce dernier devint père
de Hawwâra, et parmi les tribus qui portent le nom de
celui-ci, figurent les Benoû Keslân et les Meliia. Yah’ya
devint père de Djedâna, de Semdjân et d’Ourset’if. Dje-
dàna devint père d’Oursîdj, qui eut pour fils Merin, lequel
engendra Nedja et Nemâla. Ourset’if eut pour fils Er-
koûna et Miknàsa. D’ari engendra Ternzit, dont les
enfants furent Mat’mât’a, Madghara, Çadina, Meghîla,
Melzoûza et Medyoùna. Zedjidj engendra Lâvvi, l’ancien,
qui devint père de Làwi, le jeune, de Maghrâwa, d’Ifren,
de Nefza et d’It’awwoufet. Lâwi le jeune engendra
Ket’oûf et Ounit’at’; celui-ci devint père de Seddârata
(sic), et les Seddârata étaient frères utérins des Benoû
Maghrâwa. Ces derniers, ainsi que les Benoû Ifren,

(1) Voir Bekri, p. 178-180; snr Djerâwa ou Djoràwa, cf. plus loin;
Edrisi, Descr. de l’Afrique et de l’Espagne, pp. 91 et 205, ainsi que
le Merâcid et le Moschtarik.

(2) Ces noms sont reproduits d’après l’orthographe de notre texte ;
cf. Berbères, m, 180, et Edrisi, p. 101.

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– 72 –

comptaient parmi les branches les plus importantes des
Zenâta.

Rodjâr dit dans son livre* 1 ) que les Benoû Merin habi-
taient par delà Tlemcen, qu’ils sont Zenâtiens et descen-
dent de Djânâ ben Yah’ya ben D’aris ben Lawà ben
Nefzàou ben Lawâ ben Iter (Itber?) ben K’ays Ghaylân
ben Elyâs ben Mod’ar < 2 ). Les Benoû Merîn sont, dit-il,
des Arabes de race pure.

Ce fut en 136 (6 juillet 753) qu’Aboû*l- c Abbâs Seffâh’
commença ses manœuvres perfides contre Aboû Môslim,
qui les déjoua et mit à mort ceux qui servaient d’instru-
ments au prince, mais cela serait long à raconter W.
D’autres prétendent que cela commença en 135, année où
Aboû Moslim se rendit [P. 55] auprès d’Aboû’MAbbâs pour
lui demander la permission d’accomplir le pèlerinage.
Le khalife songeait déjà à le tuer, mais il renonça à son
projet, et Aboû Moslim fit le pèlerinage avec Aboû Dja’far
(el-Mançoûr). En dhoû’l-h’iddja 136 (juin 754), Aboû’l-
c Abbàs mourut après avoir désigné pour lui succéder son
frère Aboû Dja c far el-Mançoûr, dont l’autorité se conso-
lida et fut universellement reconnue. En 137(26 juin 754),
El-Mançoûr revint et la reconnaissance de son pouvoir
fut parachevée ; il entra à Koûfa et y prononça la prière
du vendredi. A H’ira, il reçut une lettre d’Aboû Moslim,
qui vint ensuite à Anbâr ( 4 ).

(1) Il s’agit du traité (TEdrisi, p. 101.

(2) Sur cette généalogie et ces noms, cf. Berb. i, 178 ; m, 180 ;
Edrisi, p. 102.

(3) Voir Weil, Gesch. cl. Chalif., ir, 16.

(4) Ces mots font une brève allusion à la correspondance échangée
entre le khalife et son puissant subordonné (Weil, ib., p. 26 ; lbn el-
Athir, v, 359).

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– 73 –

En la même année eut lieu la révolte cP e Abd Allah ben
c Ali contre son neveu, qu’il refusait de reconnaître comme
khalife ; ce fut Aboû Moslim qui fut chargé de le combat-
tre. C’est à là même date que se place l’exécution d’Aboû
Moslim par El-Mançoûr, fait dont l’exposé appartient à
l’histoire de l’Orient.

Suite de l’histoire d”Abd er-Rah’mân ben H’abib en Ifrik’iyya

El-Mançoûr, à son avènement, écrivit à e Abd er-
Rah’mân d’avoir à le reconnaître, chose à laquelle con-
sentit ce gouverneur, qui adressa au khalife des cadeaux
comprenant entre autres choses des faucons et des
chiens. [Il y ajouta un message] portant que l’Ifrik’iyya
étant entièrement devenue musulmane, on avait cessé
d’y faire des esclaves. Le khalife irrité répondit par une
lettre de menaces, dont la lecture excita chez c Abd er-
Rah’mân la plus vive colère ; il fit faire l’appel à la
prière, et quand tout le peuple fut réuni, il monta en
chaire vêtu d’une robe de soie et, après avoir célébré la
gloire de Dieu et l’avoir remercié de ses bienfaits, il
éclata en injures contre le khalife : « Je croyais, dit-il,
que ce perfide voulait propager et maintenir la vérité,
mais je vois clairement qu’il ne veut que ruiner la justice
au lieu de la maintenir, ainsi que je me l’étais figuré en
lui prêtant serment. Maintenant donc je me sépare de
lui comme je me sépare de cette sandale ! » Il joignit le
fait à la parole, puis se faisant apporter des robes d’hon-
neur noires (provenant des Abbassides), il les fit mettre
en pièces (*). D’après Er-Rak’ik’, [P. 56] il avait antérieure-

(1) Cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 78; Noweyri, ap. H. des Eterb., i, 367.

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– 74 –

ment porté ces robes pour invoquer le ciel en faveur du
khalife, mais il les fit alors mettre en pièces, puis jeter
au feu. Mais, d’après Ibn el-K’at’t’ân, c Abd er-Rah’màn,
bien qu’ayant reconnu El-Mançoûr et appelé sur lui du
haut de la chaire les bénédictions célestes, n’avait pas
revêtu la livrée noire, parce que, disait-il, c’étaient là des
vêtements de damnés; puis plus tard il se sépara de
cette dynastie et cessa de lui obéir. Ce refus d’obéis-
sance eut lieu, dit c Arib, en cette année.

Meurtre d’ ‘Abd er-Rah’mân.

e Abd er-Rah’mân, qui envoyait son frère en expédition,
écrivait dans ses lettres circulaires, quand des victoires
étaient remportées, que c’était son propre fils qui en était
l’auteur ; c’était d’ailleurs ce dernier qu’il avait désigné
pour lui succéder. Elyàs complota alors de tuer son frère
c Abd er-Rah’mân et s’ouvrit de ce projet à leur frère
c Abd el-Wârith, qui y donna son consentement (*).

Ils s’entendirent donc avec des Arabes de K’ayrawân
pour réaliser leur plan, élever au gouvernement Elyàs
ben H’abib et reconnaître la suzeraineté d’El-Mançoûr.
c Abd er-Rah’mân venait de nommer Elyâs gouverneur
de Tunis et avait reçu ses adieux.. Il était alors malade
et était chez lui, vêtu seulement d’une tunique et d’un
manteau, et ayant sur ses genoux un de ses jeunes fils.
Elyâs alla le trouver et resta longtemps auprès de lui,
tandis qu’ e Abd el-Wârith lui faisait divers signes. Il se
leva enfin et en se penchant pour lui dire adieu, il lui
planta un poignard entre les épaules avec une telle force

(1) Cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 78; Noweyri, ap. //. des Ber6.,i„ 367.

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– 75 –

qu’il le traversa de part en part, puis il saisit son épée et
l’en frappa encore, après quoi il s’enfuit tout effaré. Ses
complices lui demandèrent ce qu’il avait fait et, quand il
leur répondit qu’il l’avait tué : « Retourne donc, lui
dirent-ils, et coupe-lui la tête ! » C’est ce qu’il fit, puis un
grand tumulte s’étant produit, Elyâs s’empara des portes
de l’hôtel du gouvernement. Quant à H’abîb, son attention
fut d’abord éveillée par le tumulte, puis en apprenant le
meurtre de son père, il commença par se cacher et par-
vint ensuite à gagner l’une des portes de K’ayrawàn,
celle de Tunis, d’où il rejoignit son oncle e Imràn ben
H’abîb, qui gouvernait Tunis au nom du prince défunt.
c Abd er-Rah’m£n, qui avait régné en Ifrik’iyya dix ans
et sept mois, fut le premier qui s’empara de ce gouver-
nement par la force. .

[P. 57] Gouvernement d’Elyâs ben H’abîb.

A ta suite du meurtre de son frère, Elyâs devint gou-
verneur de l’Ifrik’iyya et de K’ayrawàn. H’abib s’était
retiré à Tunis auprès de son oncle c Imrân, qu’il informa
de ce qui s’était passé, et les clients et esclaves de ces
deux princes vinrent de partout se joindre à eux. Ces
deux princes s’avancèrent contre Elyâs, qui s’était mis
en marche pour les attaquer (0; mais on s’entendit avant
d’en venir aux mains, c Imrân restant dans son gouver-
nement de Tunis, de Çat’foûra et de la presqu’île [de
Bâchoû], H’abib gardant Gafça et K’ast’iliya, pendant
qu’Elyàs resterait maître du reste de l’Ifrik’iyya et du
Maghreb. Elyâs se rendit à Tunis avec c Imrân, et alors il

(1) A Semindja, d’après Nowevri, ap. //. des Berb, i, 369 ; Fournel,
i, 344.

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– 76 –

s’empara de sa personne et l’envoya en Espagne ; puis
nommant Moh’airçmed ben el-Moghira gouverneur de
Tunis, il rentra à K’ayrawân. On lui donna sur H’abîb des
renseignements qui lui déplurent, et celui-ci, apprenant
que son oncle était informé, obéit aux suggestions des
agents d’Elyâs qui rengageaient à passer en Espagne.
Elyâs fit aussi embarquer avec lui e Abd el-Wârith et ceux
de ses clients qui voulurent bien le suivre; mais le vent
contraire les força à relâcher à T’abark’a, et H’abîb en
informa Elyâs, qui écrivit à son représentant en cette
ville d’exercer une surveillance attentive. Mais alors les
clients d’ e Abd er-Rah’mân et ceux qui autrefois lui obéis-
saient, eurent connaissance de la présence de H’abîb et
arrivèrent de toutes parts ; ils surprirent de nuit Soley-
mân ben Ziyàd, le commandant de la place, qui était dans
son camp à surveiller H’abîb, l’enchaînèrent, puis tirè-
rent H’abîb de son vaisseau et le firent débarquer.

Révolte de H’abîb ben ‘Abd er-Rahmân ben H’abîb, qui s’empare
de l’Ifrîk’iyya.

Après son débarquement, H’abîb se mit à la tète des
anciens serviteurs de son père; il acquit du pouvoir, sa
renommée se répandit et il marcha sur Laribus, dont il
s’empara. A cette nouvelle, [P. 58] Elyâs, laissant à K’ay-
rawân Moh’ammed ben Khâlid K’orachi, se mit en cam-
pagne, et bientôt fut livré un combat sans importance.
Le soir, H’abîb fit allumer les feux pour faire croire qu’il
bivouaquait, puis se mettant en marche, il arriva au
matin à Djeloulâ, d’où il poussa jusqu’à K’ayrawân et se
rendit maître de cette ville. Elyâs alors, rebroussant che-
min, se mit à sa poursuite, mais ses partisans étaient dans

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de mauvaises dispositions à son égard, tandis que le pou-
voir de H’abîb s’affermissait. Ce dernier s’avança & la tête
d’une troupe considérable et, quand il se trouva en face
de sou adversaire, il lui fit crier cette proclamation:
« Pourquoi envoyer à la mort nos serviteurs et nos
clients, c’est-à-dire ceux qui nous servent de remparts?
Viens le mesurer avec moi, celui qui restera vainqueur
n’aura plus rien à redouter de l’autre I » Les soldats
d’Elyâs acclamant une proposition qu’ils trouvaient juste,
ce chef s’avança pour combattre son adversaire sous les
yeux des deux armées. Ils s’attaquèrent d’abord à coups
de lance et, quand les hampes furent brisées, ils mirent
le sabre à la main et déployèrent un courage admiré par
les spectateurs. Elyâs porta un coup qui, perçant les
vêtements et la cuirasse de H’abîb, arriva jusqu’à la
chair, mais le neveu riposta par un coup qui désarçonna
son oncle, puis il se pencha sur lui et lui trancha la tête.
Celle-ci fut placée sur une pique et portée devant le vain-
queur, quand il fit son entrée à K’ayrawân, avec d’autres
têtes de chefs arabes, notamment celles de son grand –
oncle paternel Moh’ammed ben Aboû e Obda ben c Ok’ba
et de Moh’ammed ben El-Moghîra K’orachi. Cet événe-
ment eut lieu en 138, de sorte que le pouvoir d’Elyâs
avait eu une durée d’environ un an et demi (*).

En 138 (15 juin 755), les Berbères d’Ifrik’iyya se révol-
tèrent contre H’abîb ben c Abd er-Rah’mân. A la suite de
la mort d’Elyâs, e Abd el-Wârith ben H’abîb s’enfuit avec
ses partisans de l’armée d’Elyâs, son frère, et alla se
réfugier dans la sous-tribu berbère des Ourfeddjoûma de

(1) Les chroniqueurs ne sont pas. d’accord sur le temps que dura
l’autorité d’Elyâs ; voir Ibn el-Athir, p. 81.

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– 78 ■-

Nefza, qui avait alors pour chef c Açim ben Djemîl. H’abîb,
à la suite du refus opposé à la demande qu’il leur fit de
lui livrer les réfugiés, marcha contre eux ; mais c Açim,
soutenu par les Arabes qu’il protégeait, le mit en fuite.
H’abib avait laissé, en qualité de lieutenant à K’ayrawân,
le kâdi Aboû Koreyb [Djemîl ben Koreyb]. Or des
[P. 59] habitants de celte ville écrivirent à *Açim et aux
cheykhs des Ourfeddjoûma, qu’ils croyaient devoir res-
pecter leurs engagements (*), pour leur dire qu’ils son-
geaient uniquement à reconnaître la suzeraineté d’El-
Mançoûr. Alors c Açim, accompagné de son frère Moker-
rim, de ses Berbères et des réfugiés Arabes, se porta vers
Gabès et de là se dirigea sur K’ayrawân. Un corps de
troupes de l’armée d ,e Açim tenta contre cette ville une
attaque où il subit quelques pertes; puis les gens de
K’ayrawân abandonnèrent le kâdi Aboû Koreyb et ren-
trèrent dans la ville même, ignorants des excès dont les
Berbères les rendraient victimes. Mais le kâdi tint ferme
avec environ un millier d’hommes pieux, résolus de
lutter jusqu’à la mort ; il périt avec la plupart de ces
braves, et alors les Ourfeddjoûma se précipitèrent dans
la ville où, violant les lois les plus sacrées, ils commirent
tous les crimes. c Açim établit son camp dans le Moçaila
de Roûh’, puis se faisant remplacer à K’ayrawân par
e Abd el-Melik ben Aboû’l-Dja c di If reni ( 2 ), il marcha contre
H’abib, qui était à Gabès. H’abîb fut de nouveau battu
et se réfugia dans le mont Aurès, où son ennemi, qui le
poursuivit, fut cette fois tué avec bon nombre de ses

(1) Cf. Fournel, i, 348.

(2) On écrit aussi ce nom Aboû Dja { da et Aboû’l-Dja’cl (Ibn el-
Athir, p. 80).

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– 79 –

guerriers. H’abib s’avança alors sur K’ayrawân, d’où
c Abd el-Melikben Aboû’l Dja c di sortit pour le combattre
et le tua en moh’arrem 140(mai-juin 757). c Abd er-Rah’mân
ben H’abîb avait régné un peu plus de dix ans environ,
son frère Elyâs dix-huit mois, et H’abîb ne fut qu’un
insurgé heureux.

Après la mort de H’abîb et d’ e Açim, les tribus çofrites
entrèrent à K’ayrawân, y attachèrent leurs montures
dans la grande mosquée, y tuèrent tous les K’oreychites ;
les Ourfeddjoûma firent subir aux habitants de K’ayra-
wân les plus terribles épreuves, [P. 60] et ceux qui les
avaient appelés et aidés eurent cruellement à s’en
repentir.

Alors Aboû’l-Khat’t’âb fîri (*), dont la révolte fut couronnée de succès, quitta
Tripoli, qu’il avait conquise, et marcha vers K’ayrawân
pour combattre les Ourfeddjoûma. Ceux-ci s’avancèrent
contre lui, mais ils durent fuir et furent l’objet d’une
poursuite meurtrière, puis le vainqueur se rendit à
K’ayrawân, y installa en qualité de gouverneur c Abd
er-Rah’mân ben Rostem, prince de TâherU 2 ), et regagna
ensuite Tripoli. Les troubles et les événements que nous
venons de résumer se passèrent dans une période de
trois années environ.

En 139 (4 juin 756) fut conclue entre El-Mançoûr et les
Roûm une trêve qui permit au premier de rendre à la

(1) Ce nom est écrit de la même manière par Noweyri {Berbères, i,
373). Ibn Khaldoûn nomme ce chef AboCfl-Khat’t’àb ‘Abd el-A’la Ibn
ech-Cheykh Ma’àfiri {Berbères, i, 220 et 242) et Ibn es-Samh’ Moghâ-
liri (Aglabides, trad. N. Desvergers, p. 54).

(2) Sur la généalogie de ce chef, voir la note de Fournel, i, 355 ;
pour ces événements, cf. Annales, 81 ; Berb., i, 373.

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liberté les captifs musulmans, et ce prince n’entreprit plus
d’expédition d’été contre les chrétiens jusqu’en 146
(20 mars 763).
i^ En 140 (24 mai 757) furent jetés les fondements de
Sidjilmâssa (*).

Ce fut en 141 (13 mai 758) qu’AboCfl-KhatVâb marcha
contre lesOurfeddjoûmaqui occupaient K’ayrawân; leur
chef e Abd el -Melik, abandonné par les habitants de cette
ville, succomba avec ses soldats en çafar de cette année
(juin 758), quatorze mois après avoir pris possession de
cette capitale.

En 142 (3 mai 749), Abovf l-Ah’waç Idjli (*) marcha avec
une armée abbaside contre Aboû’l-KhatTàb, qui s’avança
contre lui et le battit à Mighdâch ( 3 ), endroit situé au
bord de la mer, où il cerna ses ennemis. Aboû’l-Ah’waç
dut rentrer -en Egypte, et son vainqueur, qui regagna
Tripoli, resta maître de rifrîk’iyya entière jusqu’à l’envoi
d’Ibn el-Ach e ath par Ei-Mançoûr.

En 143 (21 avril 760), AboCfl-Khat’t’âb, informé qu’Ibn
el-Ach c ath -marchait contre K’ayrawân, se porta à sa
rencontre avec plus de 200,000 hommes, et campa dans le
territoire de Sort ; cette nouvelle, parvenue aux oreilles
de Moh’ammed ben el-Ach’ath Khozà’i [le fit reculer] M.

En 144 (10 avril 761), ce dernier général fut investi du
gouvernement de l’If rik’iyya. En effet, quand les Çofrites,

(1) Comparez Istibçâr, trad., p. 162, et la note.

(2) Aboù’l-AtTwaç ‘Amr (ou ‘Omar) ben el-Ah’waç (Noweyri, ap.
Berbères, i, 374 ; Annales, p. 81-82).

(3) Sur ce nom voir Fournel, r, 147; Bekri, p. 20 et 21, où on lit
Maghmedas ; Jakubi, Descriptio, p. rv, n. g. ; Edrisi, 143, 159 et 160;
Istibçâr, trad., p. 4, n. 3. Cf. Ibn el-Athir, Annales du Maghreb, p. 82.

(4) Cf. Annales, p. 82 et n. 2.

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– 81 –

à la suite des massacres commis par les Ourfeddjoûma
sur les K’oreychites et autres, se furent rendus maîtres
de Flfrlk’iyya, [P. 61] des Arabes de ce pays se rendirent
auprès d’El-Mançoûr, à qui ils dépeignirent leurs souf-
frances, en lui demandant de les protéger contre les
Berbères. Le khalife alors confia le gouvernement de
l’Egypte à Ibn el Ach c ath, qui envoya une armée com-
mandée par Aboû’l-Ah’waç ; mais celui-ci, comme on Ta
vu, ayant été battu, Ibn el-Ach c ath reçut du khalife Tordre
de se mettre lui-même à la tête des troupes, et il s’avança
en Ifrîk’iyya avec quarante mille hommes commandés
par vingt-huit généraux. Mais quand il se trouva en pré-
sence d’Aboû’l-Khat’fâb, qui avait recruté partout des
troupes dont le nombre était considérable, il reconnut
son impuissance à lui tenir tète. D’autre part, cependant,
des discordes éclatèrent entre les Zenâta et les Hawwâra,
car les premiers tenaient en suspicion les préférences
d’Aboû’l-Khat’t’àb pour les seconds. A la suite de la
défection d’un certain nombre de Zenâta, Ibn el-Ach c alh,
qui apprit cette bonne nouvelle, se porta en avant et livra
une bataille qui, après une lutte acharnée, se termina
par la défaile et le massacre d’Aboû’l-Khat’t’âb et de ses
guerriers. Ibn el-Ach c ath, qui croyait ainsi en avoir fini,
vit encore se lever contre lui Aboû Horeyra Zenàti avec
une armée de 16,000 hommes ; mais il le battit également
et anéantit une partie de ses troupes, en rebi c I de la dite
année (juin-juillet 761). Il envoya ensuite à Baghdâd la
tête d’Aboû’l-KhatTâb.

c Abd er-Rah’mân ben Rostem, en apprenant la mort
de ce dernier, s’enfuit versTâhertWety fonda une [nou-

(1) 11 est parlé de l’ancienne et de la nouvelle Tàhert dans Fournel,
i, 167 et 360 ; cf. ci-dessous, p. 205 du texte arabe.

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82 –

velle] ville pour y résider, tandis que les habitants de
K’ayrawàn, jetant dans les fers le gouverneur qu’il leur
avait donné, mirent à leur tête c Amr ben c Othmân K’ora-
chi, en attendant le retour dans cette ville, qui eut lieu
le l or djomâda I (6 août 761), d’Ibn el-Ach c ath.

En dhoû’1-kVda de la dite année, ce chef donna l’ordre
d’élever les fortifications de K’ayrawàn, travail qui fut
terminé en redjeb 140 (septembre-octobre 763). Il maintint
(ainsi) les diverses régions d’ifrîk’iyya ; les exécutions
auxquelles il se livra sur les Berbères qui se révoltaient
inculquèrent à ces populations un profond respect fondé
sur la crainte et les amenèrent à se soumettre. La révolte
de quelques-uns de ses ofiiciers, ayant à leur tète c Isa ben
Moûsa ben c Idjlân, qui faisait partie du djond, le força
d’abandonner K’ayrawàn [P. 62] sans combattre, en
rebf* 1 148 (avril-mai 765); il y avait commandé pendant
trois ans et dix mois, sous le khalifat d’El-Mançoûr.

En 145 (nous l’avons dit), Ibn el-Ach c ath s’occupa de
fortifier K’ayrawàn, et le développement de Tlfrik’iyya
[en fut la conséquence]. Il avait auparavant envoyé
(des troupes) à Zawila et à Waddân ; ces villes furent
conquises et les Ibâd’ites qui s’y trouvaient furent mis à
mort, entre autres c Abd Allah ben H’ayyàn ribâd’iteW,
chef de Zawila. Au cours de cette année, Ibn el-Ach c ath
rétablit Tordre en Ifrik’iyya, où le calme régna sans inter-
ruption. En 146 (20 mars 763), il acheva les fortifications
de K’ayrawàn, tandis que de son côté El-Mançoûr, ayant
poursuivi sans discontinuer, en cette même annéeis il regagna K’ay-
rawân.

Yezid ben H atim eut encore à combattre Aboû Yah’ya
ben K’aryâs( 2 )Hawwàri,qui se révolta du côté de Tripoli
et sous les drapeaux de qui se rangèrent de nombreux
Berbères. c Abd Allah ben es-Simt’ Kindi, qui était dans

(1) Ailleurs on litMezyed ; de même on trouve les variantes Semkoù
Semghoùn et Semdjoù, ainsi que Mezlàn ou Maslàn, au lieu des noms
Semk’oû et Médian qui suivent (ci-dessous, p. 154 du texte arabe ;
Berb. y i, 261 ; Bekri, 330; Annales, p. 120; Fourni, i, 353).

(2) Ce nom présente diverses variantes; cf. Annales, pp. 117 et 123.

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– 92 –

cette province en qualité de général de Yezid, lui livra
au bord de la mer une bataille acharnée, qui se termina
par la déroute d’Aboû Yah’ya et le massacre général de
ses partisans. L’Ifrik’iyya se trouva ainsi pacifiée et
l’administration de Yezîd ben H’àtim put s’exercer sans
obstacle.

En 157 (20 novembre 773), Yezid, dont la générosité
était extrême, fit rebâtir la grande mosquée de K’ayra-
wàn. En dhoû’l-h’iddja de la dite année survint la mort
du khalife El-Mançoûr.

[P. 70J En 158 (10 novembre 774), le trône du khaiifat
fut occupé par El-Mehdi, qui fut intronisé le jour même
de la mort de son père à la Mekke et conformément à la
désignation faite par celui-ci, le samedi 6 dhoû’l-hiddja
[157J, de sorte qu’il se trouva libre maître du pouvoir en
l’année 158. C’était un prince lettré et libéral, ami des
littérateurs et des poètes; nous avons cité des vers de
lui et rapporté divers traits le concernant dans l’histoire
de l’Orient [et qui ne seraient pas à leur place ici] où
il est traité de l’histoire du Maghreb extrême et du Ma-
ghreb central.

En 162 (27 septembre 778) mourut Aboû Khàlid c Abd
er-Rah’mân ben Ziyâd ben An c am, kadi de K’ayrawàn;
les dernières prières furent dites par l’émir Yezid ben
H’àtim, à qui la grande alïluence du monde lit réciter ce
vers :

[Basif] O Ka’b, jamais, ni soir ni matin, une troupe ne
s’avance sans avoir derrière elle un guide qui la pousse à la
mort.

Ce juge, qui avait plus de quatre-vingt-dix ans, se
trouva indisposé pour avoir, étant à la table de Yezîd,

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– 93 –

bu du lait après avoir mangé du poisson, et il mourut la
nuit même (*).

En 163 (16 septembre 779), El-Mehdi ordonna à Yah’ya
ben Khâlid ben Barmek de prendre le poste de secrétaire
auprès de son fils Hàroûn, en lui disant qu’il l’avait spé-
cialement choisi pour ces fonctions; il lui attribua, en
outre, cent mille dirhems pour voyager avec Hàroûn.

En 165 (25 août 781), El-Mehdi envoya Hàroûn en
expédition dans le pays chrétien à la tète de 95,000 hom-
mes, et muni de cent millions en or et vingt millions en
argent. Le fils du khalife arriva jusqu’au détroit, vis-à-vis
de Constantinopie ; il se relira avec 5,000 prisonniers et
du butin après avoir forcé les chrétiens au versement
annuel d’un tribut de quatre-vingt-dix. mille dinars ( 2 ).
En 166 (14 août 782), Hàroûn revint de cette expédition, et
les chrétiens firent parvenir des cadeaux et le montant
du tribut. En la môme année, El-Mehdi accabla de sa
colère son vizir Ya c koûb ben Dàwoûd, à qui il avait confié
la direction du gouvernement.

En 169 (13 juillet 785), mourut El-Mehdi, empoisonné
par erreur, dit-on, mais il y a aussi d’autres versions.
Son fils Moûsa el-Hâdi lui succéda.

En rebî c 1 170 (septembre 786), mourut Moûsa el-Hâdi,
à l’âge de vingt-six ans et demi, après un règne d’un an
[P. 71] et deux mois ; il eut pour successeur Hàroûn
er-Rechîd ben Moh’ammed.

En 171 (21 juin 787), mourut Yezid ben H’âtim, émir
dlfrik’iyya. Il avait été spécialement distingué par Aboû
Dja c far el-Mançoûr et, avant d’arriver en Ifrik’iyya, il

(1) Voir sur ce personnage Ibn el-Athir, Annales, p. 123.

(2) Cf. Ibn el-Athir, texte, vi, 44; Weil, n, 100.

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– 94 -.

avait exercé le gouvernement dans diverses pf-ovinces,
en Arménie, dans le Sind, en Egypte, de 144 à 152 M, en
Adherbeydjân et ailleurs. Sa bonne administration en
Ifrik’iyya a été l’objet des louanges de poètes du premier
ordre, à qui il témoigna largement sa libéralité. Voici ce
que rapporte Ez-Zobeyr ben Bekkâr ( 2 ), d’après un poète
qui lui avait parlé en ces termes : « Je faisais l’éloge de
Yezîd ben H’âtim sans le connaître ni l’avoir rencontré.
A sa nomination en Egypte par El-Mançoùr, il prit la
route de Médine, et l’ayant rencontré, je me mis à lui
réciter des vers, depuis sa sortie de la mosquée de
l’Envoyé de Dieu jusqu’à la mosquée de l’Arbre, et il me
fit donner deux paquets de vêtements et dix mille dinars. »
Tel est le récit d’Er-Rak’ik’. On a, entre autres choses, dit
de lui :

[Basif] Personnage unique parmi les Arabes, toi devant
qui s’incline tout K’aht’ân et qui commandes à Nizâr ! j’es-
père, si j’arrive sain et sauf jusqu’à toi, n’avoir plus ensuite
à affronter les périls des voyages.

C’est de lui encore qu’on a dit :

[T’awll] Quelle différence de générosité entre les deux
Yezîd, quand on tient compte des nobles actions et de la
gloire des hommes (3).

L’expression « quelle différence, etc. » est devenue
proverbiale et est répétée en tous pays et par tout le

(1) De dhoù’l-ka’da 145 à 151, d’après le Nocljoûm.

(2) Historien et traditionniste maintes fois cité par Ibn el-Athîr,
Mas’oûdi, etc. Il mourut en 256. Ibn Khallikan lui a consacré un
article (i, 531).

(3) Le vers sous* cette forme figure dans VAghâni, xv, 42; cf.
suprà p. 90.

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! : : i

– 95 –

monde. — Le poète Rebi c a devait une diya (indemnité pour
meurtre) dont Yezid lui donna dix fois le montant, en
outre de cadeaux et de bienfaits qui attestaient sa géné-
rosité.
On cite ces vers de Yezid :

[Basit’J La pièce de monnaie s’habitue à peine à ma bourse,
puis reprend sa liberté ; elle ne fait qu’y passer, et la bourse
même la rejette. Je suis un homme de qui la bourse et l’ar-
gent ne peuvent s’accordera).

[P. 72] Entre autres anecdotes relatives à son séjour
en Ifrîk’iyya, on dit qu’il interpella rudement un de ses
intendants qui avait semé un vaste champ de fèves dans
un de ses jardins de plaisance: « Fils de prostituée!
Veux- tu donc me déshonorer à Baçra et m’y faire appeler
marchand de fèves ? » Et, par son ordre, le peuple eut
toute liberté de disposer de la récolte. — Une autre fois,
il vit, en se promenant dans les environs de K’ayrawân, un
nombreux troupeau appartenant à son fils [qui en tirait
profit] ; après avoir vivement réprimandé celui-ci, il fit
égorger et livrer tous ces animaux au peuple, qui s’em-
pressa de profiter de l’aubaine. On en jeta les peaux sur
un tertre qui a conservé depuis lors le nom de t Colline
des peaux » (Kodyat el-djoloûd).

Il m ourut en ramad’ân 171 (février-mars 788), après
avoir gouverné pendant quinze ans et trois mois, compre-
nant une partie du règne d’El-Mançoûr, tout le règne
d’El-Mehdi et une partie du règne de Hâroûn er-Rechîd.

(1) Ces vers, de même que les deux anecdotes qui suivent, figurent
aussi dans Noweyri (ap. Berb., i, 385).

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– 96 –

Gouvernement de Dâwoûd ben Yezld ben B’âtim.

Désigné par son père, au cours de sa dernière maladie,
pour lui succéder, il gouverna ensuite Hfrîk’iyya pendant
neuf mois et demi, où il eut maintes fois à combattre les
chefs berbères; de nombreuses rencontres eurent lieu,
entre autres dans la région montagneuse de Bàdja. Contre
Noçayr ben Çàlih’ l’ibâdite, qui s’était révolté, s’avança
El-Mohalleb ben Yezid, qui fut battu et perdit nombre
de ses soldats. Dâwoûd fit alors marcher contre eux une
armée de 10,000 hommes, commandée par Soleymân ben
Yezid, devant qui les Berbères s’enfuirent, mais ils
furent poursuivis et plus de 10,000 des leurs furent mas-
sacrés. Dâwoûd exerça le pouvoir jusqu’à l’arrivée de
son oncle paternel, Rawh’ ben H’àtim, qui avait été
nommé émir du Maghreb.

Commencement de la dynastie Hâchemite ou Idrisite dans
les pays du Maghreb (i).

Tous les chroniqueurs s’accordent à reconnaître que
ce fut en 170 (2 juillet 786), que pénétra dans le Maghreb
Idrîs ben c Abd Allah ben H’asan [P. 73] ben el-H’asan ben
r AU ben Aboû T’âleb, sous le gouvernement de Yezîd
ben H’àtim en Ifrik’iyya, sous celui de Hichâm ben c Abd
er-Rah’mân ed-Dâkhel â Gordoue, et au début de l’auto-
rité exercée à Sidjilmàssa par les Benoû Midrâr. Il était
accompagné de son affranchi Râchid et s’installa dans le
Wâdi ‘z-Zeytoûn, au lieu dit Medînat el-Beled. D’après

(1) Voyez Annales, p. 133, et les auteurs cités; Istibçâr, trad., p. 149.

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– 97 –

El-Bekri, dans le El-Medjmoû* el-moftarik’M y il s’ins-
talla à Oulilit*); nom berbère de Tanger. Cette localité,
au dire de Moh’ammed ben Yoûsof, est à une journée de
marche de remplacement actuel de Fez, et constituait
une ville très ancienne. C’est là que mourut Idris [en 175].
Voici comment ce prince passa au Maghreb d’après les
récits d’Er-Rak’ik’, d’En-Nawfeli dans le El-Medjmoû*
el-moftarifc et d’autres chroniqueurs.

H’oseyn ben c Ali ben H’asan ben H’asan ben H’asan
ben Ali ben Aboû T’âleb prit les armes à Médine sous
Moûsa el-Hâdi et passa à la Mekke en dhoû’l-h’iddja 169
(juin 786) en compagnie d’un certain nombre de ses frères
et de ses cousins, entre autres d’Idris et de Yah’ya, tous
les deux fils d’ c Abd Allah ben H’asan. A cette nouvelle, le
khalife El-Hàdi fit marcher contre lui Moh’ammed ben
Soleymân ben c Ali, qui, à la bataille de Fakhkh, défit et
tua H’oseyn ben c Ali ainsi que la plupart de ses partisans.
Mais Idrîs, celui qui plus tard gagna le Maghreb, put
s’échapper et arriver en Egypte. La poste de ce derhier
pays avait à sa tête Wâd’ih’, client de Çàlih ben el-Mançoûr,
qui transporta le réfugié en poste jusqu’au Maghreb. Idris
arriva jusqu’à la ville d’Oulila (sic), sur le territoire de
Tanger, dont les tribus berbères répondirent à l’appel
qu’il leur adressa. Quand Er-Rechid, devenu khalife, con-
nut ce qui s’était passé, il erjvoya un messager décapiter
W’àd’ih’, et à Idris il députa un émissaiie secret, client
d’El-Hâdi et nommé Ech-Chemmâkh. Celui-ci, arrivé à

(1) Il n’existe pas, à ma connaissance, d’ouvrage de Bekri portant
ce titre. Dozy conjecture, avec quelque apparence de raison, qu’il
s’agit d’un livre de Nawfeli, dont le nom aurait été omis; cf. quel-
ques lignes plus bas.

(2) Bekri écrit Oulili et Oulileni (pp. 248 et 268).

7

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Oulila, se donna comme un médecin professant les opi-
nions de la secte Allde, et se présenta à Idris, qui le
reçut dans son intimité [P. 74] et lui accorda sa confiance.
Le prince s’étant un jour plaint d’un mal de dents, le
favori lui remit un dentifrice renfermant un poison
mortel et qui, d’après ses instructions, ne devait être
employé que le lendemain à l’aurore. Chemmâkh s’enfuit
la nuit même, et quand au lever du jour Idris se servit
du dentifrice, dont il se remplit la bouche, ses dents
tombèrent et il mourut aussitôt. On poursuivit, mais
inutilement, Chemmâkh, qui gagna l’Egypte et rejoignit
son patron Er-Rechid. Tel est le récit extrait de l’ouvrage
d’Er-Rak’ik.

En 172 (10 juin 788), les tribus berbères vinrent de
toutes parts se rallier autour d’Idrîs ben c Abd Allah,
qu’elles reconnurent et proclamèrent pour leur chef.
Aussi longtemps qu’il vécut, elles restèrent de son parti,
heureuses de lui obéir et honorées de le servir. Ce
prince d’ailleurs était maître de ses passions, avait une
nature distinguée, pratiquait la justice et les œuvres de
piété.

En 173 (30 mai 789), il s’avança à la tête des tribus
maghrébines jusque dans le Soûs el-Ak’ça et pénétra
dans la ville de Mâsina, d’où il repartit sain et sauf en
ramenant du butin et des prisonniers.

En 174 (19 mai 790), après être revenu du Soûs, il se
rendit avec son armée à Ribât’ TâzâW et découvrit la mine
d’or qui se trouve dans les montagnes qui portent ce

(1) Sur ce lieu, cf. Istihçâr, trad., p. 134. La mine d’or se trouve de
ce côté, d’après Bekri, et ne fut pas découverte par Idris, voir
Jakubi, p. 137, et les Corrections de Dozy, p. 13.

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– 99 –

nom. C’est en cette même année que toutes les tribus
[berbères] du Maghreb reconnurent son autorité et le
proclamèrent, de sorte que son pouvoir sur elles fut
complet.

Gouvernement de Rawh* ben H’âtim ben K’abîça ben el-Mohalleb.

Nommé par le khalife Hàroùn er-Rechid ben Moh’am-
med, ce gouverneur arriva en Ifrik’iyya en 171 (21 juin
787). Il avait plusieurs fois exercé ces fonctions, car,
après avoir été chambellan d’El-Mançoûr, il fut ensuite
nommé par ce prince gouverneur de Baçra; sous El-
Mehdi, il gouverna Koûfa, puis le Sind, le Tabaristan,
la Palestine, etc. Un jour qu’il était au soleil à attendre
près de la porte d’El-Mançoûr, un homme qui le vit lui
dit : « Voilà longtemps que tu restes en plein soleil 1 —
Qui, répondit Rawh’, mais c’est pour pouvoir rester long-
temps à- l’ombre ! » < l > — Il venait de perdre un fils quand
ses amis, venant le trouver et le voyant rire, s’abstinrent
de lui présenter leurs condoléances. Comprenant leurs
sentiments, il leur récita ce vers :

[P. 75 ; t’awll] Nous sommes d’une famille dont les larmes ne
coulent pas pour la mort, même violente, d’un des siens.

On dit qu’il envoya à son secrétaire 30,000 dirhems
accompagnés du billet que voici : « Je t’envoie telle
somme, que je ne puis dédaigneusement regarder comme
trop faible pour toi, dont l’importance n’est pas telle que
je puisse te la reprocher, et qui ne t’empêche pas d’espé-
rer de moi des dons ultérieurs. Je te salue ! »

(1) Ce commencement du paragraphe est traduit dans les Berbères y
i, 388, n.

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^p -^

Aboû Khâlid Rawh’ était l’aîné de son frère Yezîd et avait
plus fréquemment que lui rempli les fonctions de gouver-
neur; plus d’une fois, pendant son séjour à K’ayrawàn,
il lui arriva de tomber sous le poids du sommeil provo-
qué par la débilité sénile. Il mourut la nuit du samedi au
dimanche 23 ramad’ân 174 (2 février 791), après avoir
occupé ces dernières fonctions pendant trois ans et trois
mois.

Gouvernement de Naçr ben H’abîb Mohallebi.

Le directeur de la poste et le général AboiVl-*Anber
avaient, ainsi que d’autres officiers, écrit à Er-Rechid
pour lui signaler l’état de faiblesse auquel l’Age avait
réduit Rawh’ ben H’âtim et l’imminence de sa mort, en
faisant ressortir que l’importance d’une province fron-
tière telle que l’Ifrîk’iyya exigeait un chef énergique,
[Naçr par exemple]. Ce Naçr avait commandé la garde
(chorVa) de Yezid ben H’âtifn en Egypte et en Ifrîk’iyya,
et sa conduite était l’objet d’éloges. Er-Rechîd fit donc
dresser à son nom un diplôme d’investiture qu’il fit
secrètement parvenir à destination. A la mort de Rawh’,
son fils K’abîça fut reconnu dans la grande mosquée et
la population lui prêta serment de fidélité ; El-Fad’l ben
Rawh’ était à cette époque gouverneur du Zâb. Mais alors
Aboû’l- c Anber et le directeur de la poste sautèrent achevai
pour porter à Naçr ben H’abîb l’investiture précédem-
ment envoyée par le khalife Haroûn, le saluèrent du
titre d’émir et se rendirent avec lui et un certain nombre
de partisans {P. 76] à la mosquée. Ils y trouvèrent
K’abîça assis sur le tapis ; ils le firent lever et y assirent
Naçr ben H’abîb, en informant les assistants de la situa-

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– 101 –

tion : lecture fut donnée du rescrit adressé par le khalife
Hàroûn à Naçr, et l’assistance se soumit. Cela arriva
dans la dernière décade de ramad’àn 174 (1 10 février 791),
et pendant deux ans et trois mois Naçr rendit des juge-
ments marqués au coin de la justice et administra de
façon à mériter des louanges.

En 175 (9 mai 791) Er-Rechîd fît reconnaître à Baghdàd
son fils Moh’ammed, alors âgé de cinq ans et à qui il
donna le surnom d’Emin, en qualité d’héritier présomp-
tif, et lui fit prêter serment par les officiers et le djondM.

En 176 (27 avril 792) eut lieu dans le Deylem la révolte
de Yah’ya ben c Abd Allah ben H’asan ben H’asan ben
c Ali ben Aboû Tâleb ; le développement de son autorité
et la solidité qu’elle acquit rendirent soucieux le khalife,
qui s’abstint, pendant cette période, de boire du vin de
dattes. El-Fàd’l ben Yah’ya fut expédié avec 50,000 hom-
mes contre le révolté, qui fut mis en déroute W.

En 177 (17 avril 793) El-Fadï ben Rawh’ ben H’âtlm
fut nommé au gouvernement de l’Ifrik’iyya par le khalife
Er-Rechid, qui, en annonçant sa révocation à Naçr ben
Habib, lui ordonna de remettre le pouvoir à El Mohalleb
ben Yezid en attendant l’arrivée d’El-Fact’l. Celui-ci, dès
qu’il fut, en moh’arrem 177 (avril-mai 793), parvenu à
destination, nomma au gouvernement de Tunis son
neveu El-Moghîra, qui, inexpérimenté et ignorant de la
manière de traiter le peuple, agit inconsidérément à
l’égard du djond. Mécontents de ses procédés blâmables,
ses soldais se réunirent et adressèrent à El-Fad’l une lettra
où ils lui exposaient la singulière conduite de son neveu

(1 ) On trouve un peu plus de détails là-dessus dans Ibn el-Athir,vi, 83.
(2) Voir le même, ibid., p. 83 et 85; Chr. de Sacy, i, 3, etc.

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– 102 –

à leur égard. N’ayant pas obtenu de réponse, ils se dirent
qu’une troupe sans tête ne pouvait réussir dans ses efforts
pour atteindre un but, et, sur le conseil de l’un d’entre
eux, ils allèrent trouver c Abd Allah ben c Abd Rabbihi^
ben el-Djàroûd et lui tinrent ce langage: «Tu as été
témoin de la conduite d’El-Moghîra à notre égard, et,
d’autre part, la lettre que nous avons adressée à son
oncle est restée sans réponse. C’est toi qui es en vue,
[P. 77] c’est en toi que nous mettons notre confiance ;
nous te remettons le soin de nous diriger, assurés que
nous sommes de bien placer notre espoir. — Ma réponse,
leur dit-il, ne peut être qu’un sage avis pour vous comme
pour moi : je redoute d’exposer ma vie et je me contente
de vivre en paix. Mais en cas d’événement, je serai
comme le premier-venu d’entre vous. » Enfin, sur leurs
instances, il consentit, moyennant qu’ils lui prêtassent
des serments de nature à le rassurer ; ils le firent et
jurèrent de lui obéir.

En 178 (6 avril 794), le djond se révolta à Tunis contre
Témir El-Fad’l ben Ravvh’, après avoir pris Ibn el-Djà-
roûd comme chef. La troupe marcha contre l’hôtel du
gouvernement, occupé par El-Moghîra, que l’on invita,
lui et ses partisans, à aller rejoindre leur maître. En
même temps, Ibn el -Djâroûd écrivit en ces termes à El-
Fad’l : «Ce n’est point par esprit de révolte que nous
avons chassé El-Mogbira, mais à cause de certains de
§es actes à notre égard, qui sont de nature à mettre l’état
en péril. Envoie-nous donc promptement quelqu’un de

(1) On l’appelle aussi ‘Abdaweyh Anbàri (Annales, p. 145; corrigez,
aux 1. 5 et 14 de cette page, Habib ben Naçr en « Naçrben Habib », et
par suite, biffez la n. 2).

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— 103 —

ton choix pour nous administrer, faute de quoi nous
aurons à le faire nous-mêmes. » A quoi El-Fad’l répon-
dit : a L’arrêt divin s’accomplit, que les hommes le
veuillent ou ne le veuillent pas. Je ne choisis aucun gou-
verneur, prenez celui que vous voulez ; je me bornerai à
vous envoyer un administrateur (J^b). » Et, en effet, il fit
partir pour Tunis c Abd Allah ben Mo’hammed (*). A son
approche, Ibn el-Djàroûd dit aux siens : « Comment allez-
vous faire ? Si vous avez chassé ignominieusement le
neveu d’El-Fad’l, il est certain qu’il ne vous envoie un
autre que pour vous amener, par des persécutions, à
renoncer à votre projet; puis, une fois le calme rétabli,
il s’emparera de chacun de vous isolément. — Et que
nous conseilles-tu de faire? reprirent ses compagnons.
— Ce que je vous ai dit déjà. » En conséquence, on se
porta àu-devant de la troupe en compagnie de laquelle
arrivait le fonctionnaire envoyé par Ternir El-Fad’l, jus-
qu’à l’endroit appelé Ez Zeytoùn, et cet officier fut repous-
sé ; puis le djond se livra à des discussions trop longues à
raconter et qui aboutirent à une bataille qu’Ibn el-Djà-
roûd livra à l’armée d’El-Fad’l. Ibn el-Djàroûd resta
vainqueur [P. 78] et poursuivit les ennemis jusqu’à K’ayra
wùn, dont il entreprit le siège. El-Fad’l convoqua un con-
seil formé de ses cousins et de ses intimes, mais à partir
de là ses affaires tournèrent mal et rien ne lui réussit. Il
était avec ses partisans dans l’hôtel du gouvernement,
dont les portes étaient gardées par quelques officiers,
quand, au matin, s’approcha l’armée d’Ibn el-Djàroûd ;
les portes furent ouvertes sans résistance, et alors Ibn

(1) Appelé aussi ‘Abd Allah ben Yezid ben Hàtim Mohallebi, cousin
d’El-Fad’l (Noweyri ap. Berb., i, 390; Ibn Athir, Annales, p. 146).

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– 104’ —

el-Djàroûd, qui campait sous les murs de la ville, pénétra
dans l’hôtel et fit grâce à El-Fad’I et aux siens, qu’il fit
ensuite partir pour Gabès, en lui disant: « Je ne suis pas
sûr des sentiments de mes soldats à votre égard ; je vous
enverrai cependant en compagnie de quelqu’un qui vous
mènera à Gabès. » Il leur donna en effet une escorte
commandée par Aboû’l-Haythem, à qui il fit jurer de ne
pas livrer celui qu’il mettait sous sa garde. El-Fad’l, avec
trois de ses cousins. et quelques partisans, sortit par une
porte située de l’autre côté (*) de la ville, et le portier les
interpella grossièrement : « Partez, chiens de damnés !
Veuille Dieu ne pas vous accorder sa miséricorde ! — Il
n’y a de Dieu qu’Allah ! repartit El-Fad’l ; tous se tour-
nent contre nous, jusqu’à ceux qui nous doivent la
liberté ! » Il poursuivit sa marche toute la nuit et le len-
demain jusqu’au coucher du soleil, où, le bruit du tam-
bour ayant provoqué ses questions, on lui répondit qu’il
s’agissait de l’arrivée d’un officier commandant cent
cavaliers envoyés par Ibn el-Djâroûd, qui craignait, lui
dit-on, un attentat du djond contre lui. Puis un autre
tambour se fit entendre : c’était Mançoûr ben Hâchim,
qui, interrogé sur le motif de sa venue, donna Tune ou
l’autre raison. Une troisième fois le son du tambour re-
tentit : c’était le chef de la garde (chort’a) d’Ibn el-Djâroûd
qui arrivait : « Celui-là, dit-on à El-Fad’l, te ramènera à
K’ayrawân. »

En effet, quelques-uns des compagnons d’Ibn el-Djâ-
roûd lui avaient fait observer que s’il laissait entrer de

(1) Dozy a corrigé le dernier mot de *à*\ , >b ^ en »£&.\ (?) ;

peut-être faut-il lire f»

      Azdi, et Temmâm ben Temîm

 

      Temimi, gouverneur de Tunis, se mit en campagne con-

 

    tre Ibn tyok’âtii.

[P. 81] Révolte de Temmâm ben Temlm Temimi.

A la mi-ramad’àn 183 (mi-octobre 799), Temmâm, à la
tête de plusieurs officiers et de soldats des djond de
Syrie et du Khorâsân, s’étant avancé de Tunis contre
K’ayrawân, Ibn Mok’âtil marcha contre lui, mais fut
défait et dut se replier sur K’ayrawân, où, abandonnant
l’hôtel du gouvernement, il se fortifia dans un autre
hôtel qu’il avait fait construire. Temmâm, qui avait con-
tinué d’avancer, vint camper derrière la porte d’Aboû’r-
Rebi c , et le. lendemain, mercredi 25 ramad’ân 183 (29 oc-
tobre 799), pénétra dans la ville, dont on lui ouvrit les
portes. Il garantit à Ibn Mok’âtil que sa vie et celle des
membres de sa famille seraient respectées, de même
que ses biens. Ce chef avait, jusqu’à son expulsion de
K’ayrawân, gouverné pendant deux ans et dix mois.

Par suite de sa révolte, Aboû’l-Djahm Temmâm ben
Temîm, aïeul d’Aboû’l- c Arab ben Temîm, lequel est
auteur de plusieurs ouvrages, exerça l’autorité en Ifrî-
k’iyya, mais sans avoir reçu l’investiture du khalife. A la
suite de son entrée à K’ayrawân, Ibn Mok’âtil, à qui il
avait fait quartier, quitta la ville et se retira vers Tripoli.
Il fut rejoint en route par une troupe deKhorâsâniens où
figurait T’arh’oùn, chef de ses gardes, et il put ensuite,
grâce au consentement unanime des habitants, pénétrer
dans cette ville. Mais alors Ibrahim ben el-Aghlab, qui

(1) Ou, d’après Noweyri, Morra ben Makhled.

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– 109 –

était émir du Zàb, s’avança de ce pays contre Temmâm,
qui exerçait l’autorité à K’ayrawân, et que cette nouvelle
fit retirer à Tunis. Ibn el-Aghlab étant entré à K’ayra-
wân, se rendit aussitôt à la grande mosquée ; il avait la
parole facile et éloquente, et, montant en chaire, il
déclara à la population n’être venu que pour secourir
Ibn Mok’âtil, qui était le chef mis à leur tête par le Prince
des croyants. De plus, il écrivit au gouverneur expulsé
ce qu’il venait de faire pour lui, en insistant pour qu’il
opérât son retour. Ibn Mok’âtil revint en effet s’installer
avec ses partisans à K’ayrawân. Mais comme il passait
un jour dans la rue, une femme lui cria de sa fenêtre:
« Rends grâces à Ibrahim [P. 82] ben el-Aghlab, qui t’a
rendu le pouvoir en Ifrik’iyya !» et ce reproche lui fut très
sensible.

De son côté, Temmâm ben Temim, qui était à Tunis,
dit à ses compagnons: «Sans doute l’Aghlabide a res-
tauré Ibn Mok’âtil ; mais les partisans de celui-ci ont eu
grand’ peur lors de notre attaque, et quand ils appren-
dront que je pars de Tunis (pour les attaquer de nouveau),
ils me livreront leur chef et viendront à moi. Lui-même
est trop envieux pour appliquer les conseils que lui
donne Ibrahim ben el-Aghlab. » Or, d’autre part, la
population se disait qu’après avoir été débarrassée d’Ibn
Mok’âtil, elle se trouvait, par le fait d’Ibrâhîm, de nou-
veau livrée à l’injustice, et qu’il valait mieux mourir que
continuer de vivre sous un gouvernemeut pareil. Le
résultat de ces réflexions fut qu’on se porta auprès de
Temmâm pour lui demander aide. Ce dernier se trouva
alors, par suite du grand nombre de ses partisans, tout
disposé à réentamer la lutte, et il écrivit à son adver-
saire en ces termes: « Si Ibrahim ben el-Aghlab a

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^1

– 110 –

restauré ton auterité, ce n’est ni à cause de ta générosité
à son égard, ni à cause de la fidélité au khalife dont il
fait parade ; c’est simplement qu’il craignait qu’en
apprenant sa conquête tu ne fisses entendre des récla-
mations, qui, repoussées, le mettaient en état de rébellion
contre le khalife, et qui, écoutées, donnaient à autrui le
résultat de ses efforts. Aussi t’a-t-il invité à revenir pour
t’envoyer à la mort. Mais demain tu sauras positivement
ce dont notre attaque d’hier t’a donné seulement un
avant-goût. » La lettre finissait par ces deux vers :

[T’awll] Ibrahim en restaurant ton pouvoir n’a pas agi
par esprit de fidélité, mais dans le but de te faire périr. Si
tu avais, ô fils d”Akk ! l’intelligence de te rendre compte de
sa perfidie, tu n’accepterais pas.

Ibn Mokâtil, après avoir lu cette lettre, la remit à Ibn
el-Aghlab, qui s’écria en riant: « Est-il assez faible
d’intelligenoe, cet ennemi de Dieu ! » La réponse suivante
fut rédigée : « De la part de Moh’ammed ben Mok’âtil
au traître Ibn Temim. J’ai reçu ta lettre, qui m’a prouvé
ton peu de jugement, et j’ai compris ce que tu dis d’Ibn
el-Aghlab. Ton avertissement fût-il vrai, ce n’est pas
auprès d’un homme traître à Dieu et au khalife qu’on va
chercher conseil ; si c’est une ruse que tu as voulu
employer, sache que la pire est celle dont on s’aperçoit !»
A la fin de la lettre se trouvaient ces deux vers :

{P. 83 ; t’awll] J’espère que si demain tu rencontres Ibn
el-Aghlab, ta destinée sera d’être défait et tué ; car tu affron-
teras un héros qui s’élance dans la mêlée escorté par la
mort et qui soutient de sa lance une gloire héréditaire.

Temmâm alors ayant quitté Tunis à la tête d’une armée

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– ni –

considérable, Ibn Mok’âtil ordonna à tous ceux qui lui
obéissaient de marcher sous lesdrapeauxd’Ibn el-Aghlab.
A la suite d’une rencontre acharnée où il eut le dessous,
Temmâm retourna à Tunis, et Ibn Mok’âtil rentra â
K’ayrawân pendant que, d’après ses ordres, Ibn el-Aghlab
poursuivait sa marche sur Tunis W.

En moh’arrem 184 (février 800), l’armée partit de
K’ayrawân pour aller mettre le siège devant Tunis. A
cette nouvelle, Temmâm, qui était dans cette ville,
demanda et obtint quartier d’Ibrahim, qui fit avec lui
son entrée à K’ayrawân le vendredi 8 moh’arrem.

Gouvernement a dit :

[Sari 4 ] L’homme sûr à qui Dieu a confié ses créatures est
venu, poussé par la piété filiale, au lieu qui le vit naître,

(1) Cet incident est aussi rapporté dans les Prairies cVor, vi, 326.
Cf. Ibn Wàdhih, n, 501.

(2) Cf. Weil, il, 159; Ibn cl-Athir, vi, 230.

(3) C’est-à-dire Merzebàn ben Djostàn (Ibn el-Athir, vi, 131).

(4) Sur ce poète, mort en 211, voir Chrest. de Sacy, i, 34 ; Ibn Khal-
likân, i, 202; Aghâni, m, 126, etc. Les deux vers qui suivent sont aussi
cités par Ibn cl-Athir (vi, 132), mais ne figurent pas dans le divan
d’Abou’l-‘Atàhiya publié à Beyrout en 1887.

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– 115 –

pour rétablir Tordre à Rey et dans ses dépendances et y
verser de sa main le bien sans compter.

En la môme année intervint avec les chrétiens un traité
relatif au rachat des prisonniers, de sorte que tous les
captifs musulmans recouvrèrent la liberté.

En 190 (26 novembre 805), Rechid opéra la conquête
de la ville chrétienne d’Héraclée. « La ville était prise,
raconte l’interprète Chebil, quand je vis que la porte était
ornée d’une plaque de marbre où figurait une inscription
dans la langue des vaincus et que je me mis à lire, tandis
qu’à mon insu le khalife me regardait. [P. 86] En voici le
sens : homme, saisis l’occasion avant même qu’elle soit
possible ; ne confie tes affaires qu’aux gens compétents ;
ne verse pas dans le péché par suite d’un excès de joie ;
ne te préoccupe pas du jour à venir, car s’il est dans ta
destinée de vivre, Dieu pourvoira alors à ta nourriture ;
ne sois pas de ceux que séduit le plaisir de thésauriser,
car combien n’en a-t- on pas vu qui ne l’ont fait que pour
le mari qui leur succède, combien n’y en a-t il pas qui
ne s’imposent des privations que pour grossir le trésor
d’autrui ! M »

En 191 (16 novembre 806), Er-Rechid mit à la tête de
l’expédition d’été (contre les chrétiens) Harthema ben
A c yan, à qui il adjoignit 30,000 hommes du djond du
Khorâsân. En la même année, il fit démolir les églises
des pays frontières. Depuis cette date jusqu’à 215 (27 fé-
vrier’830), l’expédition faite chaque été par les musul-
mans fut suspendue.

(1) Sur cette campagne, voir Weil, n, 160 ; Ibn el-Athir, vi, p. 133 ;
Mas’oùdi, Prairies d’or, n, 340, etc. Ce dernier auteur rappelle éga-
lement Je texte de cette inscription et orthographie Chibl le nom de
J’interprète.

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– 116 –

La nuit du vendredi au samedi 3 djomâda II 193 (20
mars 809), Hâroûn er-Rechîd mourut à Tous en Khorâ-
sân ; il eut pour successeur son fils Moh’ammed Emîn.
Ibrahim ben el-Aghlab, confirmé par le nouveau khalife
dans son gouvernement d’Ifrik’iyya, mourut dans l’exer-
cice de ses fonctions à K’ayrawân dans la dernière déca-
de du mois de chawwâl 196 (3-13 juillet 812), à l’âge de
56 ans et après avoir gouverné lTfrîk’iyya pendant douze
ans et quelques moisW.

En 196 (22 septembre 811), le gouvernement de cette
province passa entre les mains d’ c Abd Allah ben Ibra-
him ben el-Aghlab, qui était à Tripoli à la mort de son
père Ibrahim. Mais son frère Ziyâdet Allah prit le pou-
voir au nom de l’absent, lui prêta serment de fidélité et
en fit faire autant par les membres de leur famille, par
les guerriers et les serviteurs, et en informa c Abd Allah.

En 197 (11 septembre 812), Aboû’l-‘Abbàs c Abd Allah
ben Ibrahim ben el-Aghlab arrivant de Tripoli fut
accueilli par son frère Ziyàdet Allah, qui lui remit le
pouvoir. .

En 207 (26 mai 822), Ziyàd ben Sahl se révolta contre
Ziyàdet Allah, marcha contre Bàdja et la tint assiégée
pendant quelques jours. Des troupes envoyées par
Ziyàdet Allah le mirent en fuite, tuèrent ses compagnons
de révolte et pillèrent ce qu’ils avaient (*).

En la même année, mourut El-Yasa e ben Aboû’l-K’âsim,
prince de Sidjilmâssa, après quoi les habitants mirent à
leur tête Elyâs el-Montaçir ben Aboû’l-K’àsim, frère du
défunt, et précédemment, déposé par eux ( 3 ).

En 208 (15 mai 823), f Amr ben Mo’âwiya K’aysi, gou-
verneur au service de Ziyàdet Allah, leva l’étendard de
la révolte à El-K’açreyn et se rendit maître de cette
région (*>. I! avait deux fils, H’obâb et Sim’ànW, dont le
premier lui dit: « Tu t’es lancé dans une grosse affaire

(1) Ce. paragraphe est traduit dans la Biblioteca (n, 4) ; cf. Annales,
182 et 196.
<2) Voir ci- dessus, p. 118; Annales, p. 182. (3) Cf. Annales» p. 198 et la note. (4) Ihn el-Atliir passe sous silence cette révolte, dont, au dire de Noweyri, celle de Mançoùr Tonbodhi ne fut que la suite. El-K’açreyn est à une trentaine de lieues O. S. O. de Kayrawàn (table géog. de YH. ci. Berb. ; Fournel, i, 482, n. 2). (5) HabbAb et SoknAn, d’après Noweyri et Ibn Khaldoun. Digitized by Google – 121 – où ta tète est en jeu, et tu n’es pas de ceux qui en peu- vent venir à bout; ni troupes ni approvisionnements ne te serviront de rien. Reprends tes anciennes occupations et prie Dieu de te conserver la vie ». Mais son père lui fit donner deux cents coups de fouet et persista dans ses projets. Une nombreuse armée que Ziyàdet Allah [P. 90] fit marcher contre lui le serra de près pendant quelques jours, puis il fut reçu à composition avec ses fils, et on les amena à Ziyâdet Allah, qui était à boire avec quel- ques-uns de ses principaux parents et qui les fit empri- sonner en attendant qu’il prît une décision à leur égard. Aussitôt après entra Aboû e Ammâr, bouffon qui était attaché à son service et à qui il demanda ce qu’on disait : a On dit, répondit le bouffon, que le seul motif qui t’empêche de faire exécuter e Amr ben Mo’âwiya, c’est la crainte de voir les Kaysites assaillir ton oncle à Miçr ». Ces paroles restèrent dans la tète du prince, qui continua encore de boire quelque temps, puis, se tournant vers son vizir Ghalboûn, il lui dit de faire transférer les trois captifs de sa prison à lui dans la prison gouvernemen- tale. Au milieu de la nuit il se rendit le sabre à la main dans ce dernier lieu et massacra c Amr ben Mo c âwiya, puis regagna le palais. Il fit ensuite venir les deux fils de la victime et ordonna de mettre H’obâb à mort : « Prince, dit celui-ci, je ne mérite pas ce sort, car tu sais que les avis que j’ai adressés à mon père à propos de sa rébellion m’ont valu des coups de fouet. — Sans doute, répondit Ziyâdet Allah, mais je sais que tes sen- timents à mon égard ne sont pas amicaux » ; et il le fit décapiter, mais laissa en vie Sim c àn, le fils cadet. Le lendemain matin il fit placer les têtes des deux victimes sur un bouclier, et les présentant à Sim c ân, il lui demanda Digitized by Google – 122 – s’il* les reconnaissait : « Oui, dit le malheureux, je reconnais bien ceux sans lesquels la vie n’aura plus d agrément pour moi ». Les trois têtes furent réunies sur un bouclier, et ce jour-là il but par-dessus, pendant qu’il était réuni avec ses commensaux. En 209 (3 mai 824), Mançoûr [ben Naçr] T’onbodhi s’étant révolté à Tunis 0), Ziyâdet Allah envoya contre lui trois cents cavaliers bien armés et commandés par Moh’ammedben H’amza, qui reçut Tordre de cacher son mouvement, de manière à surprendre Mançoûr à Tunis pour pouvoir s’emparer de lui et le ramener enchaîné. En conséquence, Ibn H’amza se rendit à Tunis, mais n’y trouva pas Mançoûr, qui était alors dans son château de Tonbodha. Il s’installa donc dans l’arsenal et lui envoya le kâdi Chedjra ben c Isa et quarante [P. 91] cheykhs de Tunis, chargés de l’adjurer, au nom de Dieu, de rentrer dans la voie de l’obéissance et de lui montrer les consé- quences de sa conduite, tant en ce monde que dans Tau- tre. Mançoûr, en recevant ces députés, se défendit d’avoir commis aucun acte de désobéissance ou tenté quelque révolte ; il se déclara prêt à se rendre avec eux auprès de Ziyâdet Allah, les invitant seulement à s’arrêter ce jour-là auprès de lui pour qu’il pût les traiter selon leurs mérites. Son offre ayant été acceptée, il envoya à Ibn H’amza et à ses soldats des bœufs, des moutons, du fourrage et quelques charges de vin, en même temps qu’il lui écrivit qu’il le rejoindrait le lendemain en compagnie du kâdi Chedjra. Ibn H’amza, confiant dans cette pro- messe, fit égorger les animaux qu’on lui envoyait, et sa troupe se mit à manger aussi bien qu’à boire. Mais quand (1) D’autres donnent la date de 208 (cf. Annales, 182 et la n. 3). Digitized by Google — 123 — la nuit lut venue, Mançoûr emprisonna dans son château le kàdi et les autres envoyés, puis, faisant monter ses soldats sur les montures des prisonniers, il marcha avec eux et avec ses cavaliers sur Tunis, en leur recommandant de ne se trahir par aucun geste ou mouvement jusqu’à leur arrivée à l’arsenal. Quand ils furent à proximité, il fit battre le tambour, et aux cris de Allah akbar, sa troupe fondit sur celle d’Ibn H’amza. La mêlée dura toute la nuit, car les assaillants avaient devant eux de nombreux enne- mis, mais ils en vinrent à bout, et ceux-là seuls échap- pèrent qui se jetèrent à la nage. Cet événement eut lieu le lundi 24 çafar (26 juin 824). Le lendemain matin le djond se rallia à Mançoûr, mais sous certaines réserves : « Nous n’aurons confiance en toi, lui dit-on, et ne croi- rons que le sultan ne te ramènera pas à lui par des avan- tages mondains et de l’argent que si, pour t’assurer notre concours, tu teins tes mains du sang de ses partisans et de ses parents. » En conséquence, Mançoûr lit saisir et exécuter le gouverneur de Ziyâdet Allah à Tunis, Ismâ e îl ben Sâlim ben Sofyàn (*), ainsi que Moh’ammed, fils dTsmâ c îl. A la nouvelle du massacre de ses soldats et de son gouverneur, Ziyâdet Allah mit son vizir Ghalboûn à la tête d’un corps d’armée important, en jurant que si un seul des soldats qui efi faisaient partie venait à fuir, il subirait sans rémission le dernier supplice. [P. 92] Ghal- boûn se mit en marche le 10 rebi c I (10 juillet 824) et arriva jusqu’à la sebkha de Tunis, où il se heurta contre (1) Ibn Khaldoùn {Ag/dabites, pp. rv et 99) l’appelle Ismâ’il ben Sofyàn; et Noweyri (ap. H. des Berbères, i, 408) lsmà’i ben Sofyàn ben Sâlim, Digitized by Google – 124 – les troupes que Mançoûr Tonbodhi avait organisées et à la tête desquelles il s’était mis en campagne. Après un long combat, une charge de Mançoûr provoqua la déroute- de ses adversaires, le 20 rebi e I (20 juillet). Ghalboûn, vaincu, rejoignit Ziyàdet Allah et se disculpa en jurant qu’ils s’étaient conduits loyalement et avaient fait tous leurs efforts, mais qu’on ne peut rien contre les décrets divins. Les divers généraux se jetèrent chacun sur une région, dont ils s’emparèrent pour s’y mettre à l’abri du supplice dont Ziyàdet Allah les avait menacés, de sorte que toute l’Ifrik’iyya se trouva en feu. Quant au djond, il remit la direction de ses affaires à Mançoûr et le reconnut pour chef. Ghalboûn alors se rendit auprès de Ziyàdet Allah pour lui exposer la situation, ainsi que les dispo- sitions hostiles du djond. Ce fut en vain que Ziyàdet Allah adressa à celui-ci des lettres de pardon, elles ne trou- vèrent pas créance et n’amenèrent pas la soumission de ceux à qui elles furent envoyées. Mançoûr, après sa victoire, se vit rejoindre à Tunis par tout le djond, ainsi que par des groupes divers et des troupes recrutées de tous les côtés, et, se mettant à leur tête, il marcha sur K’ayrawân, où il arriva le 5 djoinâda I (6 septembre 824). Les deux kâdis Aboû Moh’rizet Asad se portèrent au-devant de lui et entamèrent des pourpar- lers qui restèrent sans résultat. Mançoûr entoura son camp d’un fossé, puis, après avoir livré à Ziyàdet Allah maints et maints combats, il abandonna cet emplacement pour s’installer ailleurs. Il se mit alors à restaurer les fortifications deK’ayrawàn, dont les habitants lui prêtè- rent leur aide aussi bien pour cela que pour combattre. Les hostilités sous les murs de la ville duraient depuis quarante jours quand Ziyàdet Allah s’avança à la, tête des Digitized by VjOOQ IC – 125 – troupes qu’il avait formées lui-même et comprenant un centre Met une aile droite. Mançoûr, malgré la crainte qui l’envahit, dut faire face à l’ennemi, et il fut mis en fuite à la suite d’un combat acharné, où il fut fait des siens un horrible massacre, le 15 djomâda II W (13 octobre 824). Ziyâdet Allah arriva jusqu’à K’ayrawàn et fît cesser la lutte, pendant que Mançoûr, fuyant à toute bride, péné- trait dans [P. 93] srin palais de Tunis k Tinsu de tous. Ziyâdet Allah accorda un pardon complet à tous les K’ayrawâniens, et se borna, pour les punir, à démolir les fortifications de la ville jusqu’au ras du sol. En 210( 3 ) (23 avril 825) eut lieu l’affaire de la ville de Sebiba. Les soldats du djond dont nous avons dit la révolte provoquée par la défaite qu’ils avaient subie, avaient à leur tête c Amir ben Nàfi c . Ce général resta vainqueur dans la bataille que lui livra en cet endroit, le 20 moh’arrem (11 mai), Moh’ammed ben e Abd Allah ben el- Aghlab, à qui Ziyâdet Allah avait confié le commande- ment de ses troupes. Moh’ammed périt, et les fuyards furent l’objet d’une poursuite qui s’étendit jusqu’à K’ay- rawàn et qui dura depuis le matin jusqu’après la prière de la nuit close. Quant à Ziyâdet Allah, il fut vivement affecté de ce nouvel échec, et il se mit à dépenser sans compter pour faire de nouvelles levées. Les révoltés avaient à K’ayrawàn leurs familles, que Ziyâdet Allah (1) Le copiste a probablement omis « une aile gauche ». (2) Cette date semble bien être indiquée par la suite des événements, et ce doit être àtortqueBekri(trad.p.63) parle du 15 djomâda premier (cf. Fourncl, Berbères, i, 487; Annales, 185). (3) En 209, selon Ibn el-Athir, p. 186; cf. p. 201. On lit 218 dans Noweyri (l. I., p. 410), mais ce doit être une faute typographique, au lieu de V0& Digitized by Google – 126 – avait respectées. Ils demandèrent alors à Mançoûr de trouver quelque moyen de les faire sortir de la ville, et ce chef s’avançant à leur tête vint camper pendant seize jours sous le château; on put ainsi, sans qu’il y eût com- bat, faire sortir les familles en question. Mançoûr se dirigea alors sur Tunis, et de toute Tlfrik’iyya il ne resta plus à Ziyâdet Allah que Gabès, le Sàh’el, Nefzâwa et Tripoli, qui lui restèrent fidèles et ne cessèrent pas de lui payer régulièrement l’impôt ; Mançoûr était maître du reste du territoire et faisait frapper la monnaie en son nom. Ziyâdet Allah reçut alors du djond l’invitation de quitter* lTfrik’iyya contre la promesse que sa vie et ses biens seraient respectés. Ce prince, dans la situation précaire où il se trouvait, consulta à ce sujet ses parents et ses serviteurs, et Sofyân ben Sawâda lui demanda le pouvoir de disposer, pour gagner Nefzâwa, d’une troupe formée d’hommes qui auraient sa confiance, ce qu’il obtint. Cent cavaliers furent ainsi choisis et payés, et Sofyân se rendit à leur tête à Nefzâwa où il demanda aux Berbères leur concours, qu’ils lui promirent. c Amir ben Nâfi c marcha alors avec ses partisans [P. 94] sur Nefzâwa et recruta, à son arrivée à Kast’iliya, mille noirs armés de haches et de pelles, puis continuant sa marche sur Nefzâwa, il campa à Tok’yoûs. A cette nou- velle Sofyân marcha contre lui et livra une bataille où le djond fut battu et subit des pertes considérables. ‘AmirW alors regagna Kast’iliya, où il passa trois fois vingt-quatre heures à y ramasser jour et nuit toutes les (1) Le texte parle expressément de ce chef et non du « lieutenant de Ziyâdet Allah » comme le dit Fournel {Berbers, i, 491). Digitized by Google – 127 – richesses qu’il put trouver, et se dirigea ensuite sur K’ayrawân. En 211 (12 mars 826), c Amir ben Nâfi c se souleva à son tour contre Mançoûr Tonbodhi, qui lui avait adressé des menaces parce qu’il se livrait à la boisson. c Amir travailla donc le djond par dessous main, et Mançoûr, installé dans son château de Tonbodha, ignora tout jusqu’au jour où c Amir, partant de Tunis, vint l’y assiéger. Mançoûr ayant demandé à se rendre sous la condition qu’il pourrait s’embarquer pour l’Orient, e Amir y consentit. Mais Mançoûr au commencement de la nuit s’enfuit secrètement vers Laribus. Le lendemain matin, f Amir fila sur les traces de ceux qui tentaient de lui échapper, les rejoignit et les battit. Mançoûr put gagner Laribus et s’y fortifier ; mais le siège qu’en fit c Amir finit par fatiguer les habitants, qui mirent en demeure Mançoûr ou de se retirer ou d’être livré par eux à son ennemi. Il put cependant obtenir d’eux un délai pour qu’il pût tenter de s’échapper ; il députa en consé- quence à e Abd es-Selâm ben el-Moferridj, l’un des prin- cipaux du djond, et le pria de venir le trouver. Man- çoûr, du haut des murailles, lui parla en ces termes: « Telle est donc, hommes du djond, la récompense que j’obtiens de vous ! Vous n’ignorez pas cependant que, si je me suis révolté, c’était pour vous. Puisque maintenant les choses en sont là, je te prie, c Abd es-Selâm, de tâcher d’obtenir quartier pour moi, de manière que je puisse me retirer en Orient. » c Abd es-Selâm le lui promit, et son intervention auprès d’ e Amir ben Nâfi* décida le con- sentement de celui-ci. c Amir fit alors partir Mançoûr en compagnie de cavaliers au chef desquels il donna secrètement l’ordre de se détourner vers la ville de Digitized by Google — 128 — Djerba Wet d’y emprisonner celui qu’il conduisait, et cet ordre fut exécuté. Mais quand c Abd es-Selâm [P. 95] con- nut cet acte de trahison, il en conçut du ressentiment, et comme il se trouvait à Bâdja,où commandait Hàchem, frère d’ e Amir, lui et ses compagnons s’assurèrent de la personne du gouverneur et écrivirent à c Amir de rendre Mançoûr à la liberté s’il voulait sauver la tête de son propre frère Hàchem. c Amir leur répondit : « Je ne déli- vrerai pas Mançoûr et vous ferez ce qu’il vous plaira de mon frère, mais vous saurez ce qu’il vous en coûtera. » Au reçu de cette réponse, ils mirent Hàchem en liberté, et f Amir fit alors décapiter Mançoûr et son frère H’am- doûn, de sorte qu’il resta seul maitre. En 212 (1 er avril 827) Ziyâdet Allah envoya en Sicile un corps expéditionnaire de sept cents cavaliers, qui y furent transportés sur soixante-dix bâtiments. Le kàdi Asad ben Forât s’étant offert à faire partie de l’expédi- tion, en fut nommé chef par Ziyâdet Allah, de sorte qu’il reçut de lui à la fois les fonctions de général et celles de kàdi. Il fut suivi par des nobles d’Ifrik’iyya provenant du djond, Arabes, Berbères et Espagnols, par des savants et des gens prévoyants, le tout formant une masse considé- rable. Partis en rebî c I (juin 827), ils attaquèrent les forts et les villes des chrétiens et y enlevèrent un nombre considérable de captifs, de bestiaux et de chevaux, de manière à former un butin considérable. Le kàdi Asad mit le siège devant Syracuse ; il la bloqua par terre et par mer, livra sa flotte aux flammes et tua un certain nombre des habitants. Les. approvisionnements et les (1) Ce nom présente des variantes (Noweyri, l, J., p. 410; Annales, p. 202). Digitized by VjOOQ IC – 129 — secours nécessaires étaient envoyés d’Ifrik’iyya, d’Espa- gne et d’ailleurs M. En 2ia (21 mars 828) ( 2 ), e Amir ben Nâfi c mourut dans son lit, et Ziyâdet Allah, à cette nouvelle, déclara que l’ère de la guerre était close. Les fils du défunt obtinrent de Ziyâdet Allah l’amnistie qu’ils lui demandèrent. En la même année M mourut Idrîs ben Idris H’asani, dont l’autorité à Fez et sur les Berbères passa à son fils Moh’ammed. Le nouveau prince nomma son frère gou- verneur de Baçra, de Tanger et de leurs territoires, et les régions berbères furent confiées à ses autres frères. Baçra était une ville grande et ancienne, nommée Baçra du lin (Baçrai el-keitân) parce qu’au début on y trafiquait presque exclusivement à l’aide de ce produit, et aussi H’amrâ’, parce que le sol en est rouge. Les murs, bâtis en pierres et briques cruesW, étaient percés de dix portes. La grande mosquée avait sept nefs. On y remar- quait deux grands bains ; le cimetière principal était situé [P. 96] à Test, et l’autre, à l’ouest, s’appelait cime- tière de K’od’à c a. L’eau étant saumâtre, on n’employait pour la boisson que celle provenant d’un grand puits situé près de la porte [principale] de la ville et appelé puits d’Aboû Delfâ( r >). Les femmes l’emportaient sur tou-
tes celles du Maghreb par leur perfection de formes et

(1) Ce paragraphe figure dans la Biblioteca (n, 5 ; comparez le
récit du Mo’djam, ib., i, 201, et les Annales, p. 187).

(2) Sur cette date, cf. Annales, 203.

(3) Ailleurs on lit 214 {Annales, 205, et la note). — Sur le partage
opéré par Mohammed ben Idris, voir ib.

(4) Le mot Kmm ^i> du texte, signifie, dans certaines régions, brigue
cuite, et ailleurs brique crue (de Sacy, Abdollatif, p. 302).

(5) Dans Bekri (p. 251, texte p. 110), Bir Ibn Dhelfâ.

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leur beauté éclatante. C’est d’elles qu’Ah’med ben Fath*
Tâherti a dit dans un poème consacré à louer AboiVl-
c Aych H’asanK 1 ) :

[Kâmil] La beauté parfaite, agrémentée d’un teint blanc
et rosé, n’existe que chez la musicienne de Baçra : ses
œjilladès versent un vin (capiteux), ses joues sont rosées et
sa taille est fine.

La fondation de Baçra remonte à la même époque, ou
à peu près, que celle d’Azîlà( 2 ). De cette ville au Château
des Kotâma, autrement dit Château d’ c Abd el-Kerîm, il
y a une étape. Elle est aussi à une étape de la ville de
Djenyâra( 3 ), qui était, dit-on, située sur le Wàdi Seboû, à
une étape de Fez ; mais il y a aussi une autre route qui
va de Baçra à Fez. Jusqu’au Wâdi VVargha on compte une
étape, et de là jusqu’à Mâsina il en faut encore une. Cette
dernière ville est celle d v Isa ben FTasan H’asani, connu
sous le nom d’El-H’addjâm. On arrive ensuite à la ville
de Sedâk, résidence de Khalloûf ben Moh’ammed( 4 )Me-
ghiJi, puis à Fez, ce qui fait sept étapes.

(1) Bekri appelle le poète, Ah’med ben Fath Tàherti, connu sous
le nom d’Ibn el-Kharràz, et le prince à qui il adressa ses vers,
AboûVAych ben Ibrahim ben el-K ? àsim. De cette pièce il reproduit
six vers, dont nous avons ici les deux premiers, avec variantes ;
dans le dernier, le nom du prince est écrit ‘Isa, ce qui prouve xju’iL
est question d’ AboûVAych ‘Isa ben Idris, Lien que Bekri l’appelle
Aboîri-‘Aych ben Ibrahim ben el-K’àsim (p. 251).

(2) Ces détails relatifs à Baçra paraissent être extraits de Bekri
(trad., p. 250 et s. ; cf. Istibçar, trad., p. 139). Quant à Edrisi, il ne
consacre à cette ville qu’une très courte notice (trad. Dozy-de Goeje,
p. 202). ■ »

(3) Autrement nommée H’annàwa (Bekri, p. 252).

(4) Ahmed, dans la trad. de Bekri, p. 253, et vX»s£ dans le texte,
p. 111. ; – .

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— 131 –

En redjeb (septembre-octobre) de la même année,
mourut Asad ben el-Forât, alors occupé à assiéger Syra-
cuse. Après sa mort, les otages chrétiens qu’il détenait
s’enfuirent, et la mort causa des ravages dans les trou*
pes musulmanes, ce dont elles furent fort affectées. Elles
mirent alors à leur tète Ibn AboiVl-Djawàri <i). En 214 (10 mars 829) mourut le kâdi Aboû Moh’riz Kilâbi. En la même année arrivèrent d’Espagne en Sicile trois cents bâtiments sur lesquels se trouvait Açbagh ben Wekîl surnommé Ferghaloûch (*). Quand les musul- mans assiégés dans celte île connurent l’arrivée de leurs frères, ils leur demandèrent du secours, qui leur fut promis. En 215 (27 février 830) eut lieu la campagne [P. 97] entreprise par Ferghaloûch et les autres officiers arrivés avec lui sur la flotte. Après avoir pris diverses forteres- ses et avoir fait du butin et des prisonniers, ils reçurent une demande de secours de la part des musulmans ins- tallés dans Tile et ils y répondirent affirmativement, mais en stipulant que l’autorité serait exercée par Fer- ghaloûch. Cela convenu, on se mit en campagne et, tout en prenant divers forts, on arriva jusqu’à Mineo, à la grande joie des musulmans qui y étaient enfermés, après quoi on brûla et ruina cette ville. De là les musul- mans se portèrent sur Ghalwâliya* 3 ), qui fut assiégée et (1) Amari (Biblioteca y n, p. 5 de la trad.), reproduisant ce paragra- phe, a définitivement adopté la lecture « Ibn el-Djawàri ». (2) Ferghaloûch Hawwàri, dont le nom se retrouve aussi chez Noweyri (ap. Bibl. y trad., n, 119), était probablement un soldat de fortune. (3) Amari rapproche ce nom soit de la Ghalyâna (Gagliano) de Belàdhori soit de la Calloniànis de l’Itinéraire d’Antonin (Bi6Z.ii, p. 6). Digitized by Google — 132 – conquise ; mais la peste s’y déclara et emporta un certain nombre de fidèles, parmi lesquels Ferghaloûch et plu- sieurs officiers. On battit alors en retraite, mais l’ennemi entama la poursuite et il y eut beaucoup de monde tué, ce dont le récit serait long; puis les navires furent remis en état pour cingler vers l’Espagne. En la même année, Sa r îd ben Idrîs exerça son autorité sur la ville de Nokoûr (*>.

En 216 (17 février 83l), il y eut une collision sanglante
en Ifrik’iyya entre MolV Sehmi et IsimVil ben eç-Çam-
çàma ; celui-ci resta vainqueur et mit en déroute les
partisans de Mott% lequel fut tué. Aboû Fehr devint
gouverneur de la Sicile.

En 217 (6 février 832), Aboû Fehr Moh’ammed ben c Abd
Allah Temîmi se rendit d’Ifrik’iyya en Sicile, d’où s’enfuit
c Othmân ben K’orhob.

En 218 (26 janvier 833), Fad’l ben Aboû’l- c Anber se
révolta à Tunis, d’où il chassa la cavalerie de Ziyâdet
Allah et dont il se rendit maître. Cette ville fut reprise
par Aboû Fehr Moh’ammed ben e Abd Allah ben el-Agh-
lab à la tête d’un fort corps d’armée. Le vertueux juriste
‘Abbâs ben el-Welid y fut tué( 2 ).

En 219 (15 janvier 834), Ziyâdet Allah accorda une
amnistie générale à tous ceux qui, étant sortis de Tunis
lorsqu’était entré Aboû Fehr, la réclamèrent, et cette
mesure ramena le calme. On comptait [parmi eux] les
deux fils d’Aboû Selama, c Abd er-Rah’mân et c Ali, ainsi

(1) Bekri(pp. 212 et 213) et Vlstibçàr (p. 45) attribuent la fondation
de Nokoûr, a une d«*te antérieure à la conquête de Moûsa ben Noçayr,
à Sa’id ben Idris ben Çàlih\ Edrisi (p. 199 et 205) rappelle Nokoûr ou
Boùzkoùr. Le Meràgid n’en parle pas.

(2) Cf. Annales, p. 207; H. des Berbères, I, 411.

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– 133 –

qu’Abofl’l-Ghorâb (*>, qui étaient des poètes de talent, et
c Abd er-Rah’màn lui récita une pièce de vers où il le
louait de cet acte. Dès qu’il eut fini, [P. 98] le poète Ya’k’oûb
ben Yah’ya se leva à son tour, et, pour exciter Ziyàdet
Allah contre ces trois hommes, déclama ce que voici :

[Wàfir] Ecoute, ô prince secouru [de Dieu], ces rimes dont
les figures ont leur éloquence. On amnistie celui dont les
lances ont montré leur vigueur, on n’amnistie jamais un
poète, car la durée des vers est celle du temps lui-même ; l’on
peut espérer la guérison de la blessure faite par le sabre, la
blessure qui a la langue pour auteur est incurable.

Mais Ziyâdet Allah, sans se laisser influencer par ces.
paroles, confirma son amnistie et demanda à Aboû’l-
Ghoràb pourquoi il ne l’avait pas demandée plus tôt :
« Prince, répondit le poète, je me trouvais avec une
bande d’insensés qui, chaque jour, choisissaient un nou-
veau chef et déposaient celui de la veille; j’espérais que
j’aurais mon tour de royauté ! » Le prince se prit à rire
et lui pardonna.

En 220 (4 janvier 835), la place de kâdi d’Ifrik’iyya fut
donnée à Ah’med ben Aboû Moh’riz.

En la même année, Moh’ammed ben c Abd Allah ben
el-Aghlab, gouverneur de Sicile ( 2 >, partit en expédition
contre les chrétiens, qui furent mis en déroute, et il ren-
tra à Palerme chargé du butin conquis. Les musulmans

(1) Le manuscrit lit tantôt Aboû’l-Ghoràb, tantôt Aboû’l-Ghoràfa
ou Aboû’l-Ghorâf.

(2) Cet Aghlabide est le même personnage qui a été cité, sous un
nom un peu différent, aux années 216 et 217. Amari (Bibl., trad., p. 7)
ne fait à ce propos aucune remarque, mais admet aussi cette identité
dans son index (n, 762).

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— 134 —

entreprirent aussi, au cours de cette année, de nombreu-
ses incursions en Sicile aussi bien qu’en Espagne, tant’
par terre que par mer.

Au mois de ramadan de cette même année, Ibn el-
Aghlab (*) arriva en qualité de gouverneur à Palerme,.
capitale de la Sicile, après une traversée pénible, au
cours de laquelle plusieurs de ses bâtiments périrent,
tandis que d’autres furent pris. Les chrétiens lui ayant
enlevé un brûlot, Moh’ammed ben es-Sindi les combattit
à la tête des autres brûlots et les poursuivit jusqu’à ce
que l’obscurité les séparât.

En 221 (25 décembre 835) mourut le kâdi de Sicile < 2 >.
Il avait recommandé à son frère e Imrân de tenir sa mort
secrète jusqu’à l’accomplissement de l’ensevelissement
et. des dernières prières, de crainte queZiyâdet Allah ne
procédât à ces devoirs funèbres. c Imrân suivit ces ins-
tructions, et le cadavre hissé sur le brancard sortait de
la maison du défunt quand arriva le page Khalaf, por-
teur de musc et de linceuls envoyés par le prince. e Imrân
lui ayant dit que l’ensevelissement était fait, le page se
borna à asperger le cadavre avec les parfums dont il
était porteur. On se rendit au moçalla, et Ziyâdet Allah,
[P. 99] qui assista à l’inhumation, présenta ses condo-
léances à r Imrân, puis s’adressant au peuple, prononça
ces mots : « Habitants de K’ayrawân, si -Dieu vous vou-
lait du bien, il ne vous aurait pas enlevé Ibn Aboû Moh’-

(1) C’est-à-dire, d’après A mari (Bihl., n, 722), Ibrahim ben ?Abd
Allah.

(2) Je crois avec Fournel (i, 506) qu’il iaut lire le kàdi cTIfrîk’iyya,
ainsi d’ailleurs que semble le montrer la suite du récit. Ce lait n’a pas
attiré l’attention d’Amari (n, 8).

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— 135 —

riz ! »(*) Ce prince disait : « Je n’ai pas à m’inquiéter de
ce que je retrouverai au jour de la résurrection, car sur
ma feuille seront inscrites quatre bonnes œuvres : la cons-
truction de la grande mosquée de K’ayrawàn (*), celle du
pont d\Aboû’r-Rebi c ( 3 >, celle du fort de la ville de Sousse,
et ma nomination d’Ahmed ben Aboû Moh’riz au poste
de kâdi d’Ifrik’iyya. » Ces fonctions de kâdi furent en-
suite* remplies par Ibn Aboû’l-Djawàd.

En cette même année éclata à Sidjilmàssa la guerre
intestine entre Meymoûn et son frère, l’un et l’autre fils u^
d’El-Mançoûr ben El-Yasa.

En 222 (13 décembre 836), les musulmans firent en
Sicile une expédition dans la direction de l’Etna; ils en
revinrent sains et saufs, ayant tué des ennemis et fait
du butin.

En la même année, les musulmans conquirent le fort
Mednâr [Tindaro ?] et de nombreuses forteresses au
cours d’une expédition, à la tête de laquelle Aboû’l-
Aghlab [Ibrahim ben c Abd Allah] avait mis El-Fad’l ben
Ya c k’oûb. Mais une autre colonne, aussi organisée par
lui et commandée par c Abd es-Selàm ben c Abd el-Wah-
hâb, fut attaquée par l’ennemi et mise en fuite, non sans
subir des pertes. c Abd es-Selâm fut fait prisonnier; il
fut racheté plus tard( 4 >.

(1) Ce commencement de paragraphe, ainsi que les deux paragra-
phes précédents, figurent dans la Biblioteca, n, pp. 7-8. — Sur ce
kàdi, voir aussi les Fragm. hist. «r., p. 385.

(2) Une longue description de cette mosquée figure dans Bekri
(p. 57). Cette reconstruction date de 221 {Berb., i, 412).

(3) Nom d’une porte de K’ayrawân (Bekri, p. 63 ; ci-dessus, p. 108,
etc.).

(4) Ce paragraphe et le précédent se retrouvent dans la Bibl., n, 9.
Je crois qu’il faut lire Ibn el-Aghlab au lieu d’A&ou’J-Aghlab, cf. p. 134.

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— 136 –

Le mardi 14 redjeb 223 (10 juin 838) mourut Ziyâdet
Allah ben Ibrahim ben el-Aghlab, prince d’Ifrik’iyya,
âgé de 51 ans, après un règne de v:ngt-et un ans sept
mois et huit jours.

Règne d’Aboû ‘Ik’âl el-Aghlab ben Ibrahim ben el-Aghlab.

Ce prince, qui était surnommé DjezerW, étant monté
sur le trône, montra de la bienveillance à la population,
qui retrouva le calme, et il répandit ses bienfaits sur
elle et sur le djond; il réforma de nombreuses innova-
tions introduites avant lui, attribua aux fonctionnaires
de gros traitements et de fortes gratifications, mais
en supprimant leurs exactions, interdit le vin de dattes
[P. 100] à K’ayrawân et châtia ceux qui en vendaient ou
en buvaient. Il mourut dans la dernière décade de
rebi c II 226 (15-25 février 841) W, à 1 âge de 53 ans, après
un règne de deux ans neuf mois et quelques jours.

En 2? 1(22 novembre 838), d’après ce que raconte Ibn
el-K’at’t’ân, eut lieu une sanglante rencontre en If rîk’iyya
entre c Isa ben Rey c ân Azdi, envoyé par le sultan, et les
Lawâta, les Zawâgha et les Miknàsa, qui furent anéantis
jusqu’au dernier, entre Gafça et Kast’iliya ( 3 >.

En la même année, Sidjilmâssa reconnut comme son

/x chef Meymoûn ben Midrâr et chassa le frère de Meymoûn.

Le nouveau prince, sitôt son pouvoir établi, relégua son

(1) On lit ailleurs Khazer {Berb., i, 414 ; Fragm. hist. ar. t p. 398,
et Ibn el-Abbàr).

(2) Le jeudi 22 rebi* II (18 février 841), d’après Noweyri {Berbères»
i, 415); voir un peu plus bas.

(3) Cette guerre, que Noweyri passe sous silence, est aussi mention-
née par Ibn Khaldoun (Aghlàbides, p. 1 1 \) et Ibn el-Athir (Ann., p. 212).

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r- 137 –

père Midrâr et sa mère dans une bourgade dépendant
de cette ville (*).

En 225 (11 novembre 839) mourut Aboû Djalar Moûsa
ben Mo e âwiya Çomàdih’i, affranchi d’Aboû Dja e far, et
l’un de ceux d’après qui Soh’noûn parle ( 2 ).

En 226, dans la nuit du mercredi au jeudi 22 rebi e II
(18 février 841), mourut Aboû c Ik’àl el-Aghlab ben Ibra-
him, à qui son fils AboûVAbbâs succéda le jour même.

Règne d’Aboû’l-‘Abbâs Moh’ammed ben el-Aghlab.

Les débuts de son règne furent tranquilles et tout
marcha bien d’abord. Ce prince, qui confia à Ah’med ben
el-Aghlab la libre disposition d’une grande partie de ses
affaires, était peu instruit. On raconte qu’un jour, pendant
que le secrétaire Redjâ’ était auprès de lui, il écrivit les
mots IaKm d’abyin avec un d’âd, de sorte que quand les
assistants se furent retirés, ce fonctionnaire lui dit :
a Veuille Dieu secourir l’émir! ce mot s’écrit, avec un
zâ. » Mais le prince lui répondit : << Nous savons qu’on
n’est pas d’accord à ce sujet: si Aboû H’anifa emploie le
zâ, d’autre part Màlek emploie le d’âd. » Cette réponse
surprit tous ceux qui l’entendirent. — Il ne laissa pas
d’enfants, mais la guerre lui réserva maints succès ( 3 ).

En 227(20 octobre 811) mourut en Ifrik’iyya le juriste
Aboû Moh’ammed c Abd Allah ben Aboû H’assân Yah’çobi,

(1) Cf. Annales, p. 212.

(2) Les Fr, hist. ar. mentionnent aussi la mort de Moùsa (p. 407).—
Ibn Khallikàn (ir, 131 de la trad.) a consacré un article à Sohnoùn ou
Sahnoùn, auteur de la Modawwana ; cf. Berbères, i, 419; mss d’Al-
ger, n* 491, f. 1 v, et n» 884, f. 23 v°; ms de Paris 2103, f. 30.

(3) Sur le règne de ce prince, cf. Berb., i, 415; Annales, p. 213.

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– 138 –

qui avait fréquenté Mâlik et reçu son enseignement M.
Comme un jour Ziyâdet Allah lui demandait son avis sur
le vin, il répondit par cette question : « Quel est le prix du
rachat (diya) de la raison [ou du sang versé < 2 )] ? — Mille dinars. — Veuille Dieu amender l’émir ! Ainsi donc Thomme recherche [P. 101] ce qui vaut mille dinars et le vend pour un demi-dirheml — Mais, lui dit-on, [si la raison est éclipsée par le vin,] chaque fois elle revient. — Veuille Dieu amender l’émir I [si elle revient, c’est] après que Ton a étalé ce que l’on doit cacher, exposé aux siens sa nudité, battu les uns et injurié les autres. » En 228 (9 octobre 842), aucun trouble n’agita l’If rik’iyya. c Arib et d’autres disent que ni celte année-là ni les deux qui suivirent, il n’y eut aucun événement digne d’être noté ( 3 ). En 230 (17 septembre 841) mourut Behloûl ben c Amr ben Çâlih’, juriste qui reçut les leçons de Mâlik et de ses disciples ixub. En 231 (6 septembre 845), Ahmed ben el-Aghlab mar- cha contre son frère Mohammed et acquit la suprémalie de la manière que voici (*). Il s’entendit avec un groupe d’affranchis, et se retrouva avec eux au rendez-vous convenu à l’heure de midi ; puis cette troupe se rendit à l’Ancien château (Kaçr kadîm) et trouva la [première] porte sans gardes. On la franchit donc sans résistance, puis on la ferma, et on fit de même pour les autres. On se jeta alors sur Aboû c Abd Allah ben c Ali ben H’omeyd, (1) Voyez Annales, p. 215. (2) L’intraduisible jeu de mots du texte roule sur le mot ‘a/*’/, raison, ou paiment du prix du sang. (3) Comparez, Annales, p. 216. (4) Voirie, p. 222, Digitized by Google – 139 – le vizir, à qui Ah’med fit trancher la tête. Le combat s’ètant alors engagé avec les gardes de Moh’ammed ben el-Aghlab, ceux-ci furent interpellés par les partisans d’Ahmed.: « Pourquoi voulez-vous nous combattre, alors que nous sommes toujours fidèles à Moh’ammed ben el- Aghlab ? Nous n’en voulions qu’aux fils d’ e Ali ben H’omeyd, qui vous ont appauvris et ont pris pour eux, sans vous, en faire part, les biens de votre maître, mais nous ne sommes pas des rebelles. » Ces paroles arrêtèrent toute résistance, et Moh’ammed, en présence d’événe- ments qui le surprenaient sans qu’il fût préparé à y faire face, prit séance dans le salon réservé aux audiences publiques et reçut son frère Ahmed et les assaillants, qui ne déposèrent même pas leurs armes. A. la suite d’une scène de reproches réciproques, les deux frères se récon- cilièrent et jurèrent de ne commettre aucune trahison l’un contre l’autre. Tout le pouvoir, moins le titre, passa à Ahmed, qui emprisonna, confisqua et châtia à sa guise, récompensa ses soldats et préleva les impôts. Il prit comme vizir Naçr ben H’amza (*). •En 232 (27 août 846), Moh’ammed ben [P. 102] el- Aghlab reprit le dessus sur son frère Ah’med et l’em- prisonna, de sorte qu’il reconquit le pouvoir ( 2 >. Aidé
dans son entreprise par plusieurs de ses cousins pater-
nels et de ses clients, il enivra les portiers et ftt si bien
qu’il pénétra dans la ville, où il se battit contre son
frère toute la nuit. Il rendit à la liberté ceux qu’Ahmed

(1) Noweyri donne à ce ministre le nom de Naçr ben fiamza Dje-
ràwi (Berbères, i, 415 et 417).

(2) Noweyri (ibid.) raconte plus au long les préparatifs de
Moh’ammed, mais sans donner de date ; Ibn Khaldoûn [Aghlabides,
p. 113) les recule à Tannée 233. Gf. Annales, p. 222.

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— 140 —

avait fait emprisonner et dont il obtint le concours; il
vida ses trésors et ses provisions de vêtements au profit
des K’ayrawâniens (pour les faire marcher avec lui).
Ahmed, exilé en Orient, alla mourir dans l’Irak.

En la môme année, le kàdi c Abd Allah ben e Aboû’l-
Djawâd fut révoqué, ce qui amena Soh’noûn à dire à
Moh’ammed ben el-Aghlab : « émir, veuille Dieu te
récompenser! tu viens de révoquer le Pharaon, l’oppres-
seur, le tyran de ce peuple ». Ibn Aboû’l-Djawâd était
présent à ce moment, et sa barbe, qu’il portait tout
entière, tremblait sur sa poitrine (lorsqu’il entendit,
parler ainsi).

En 233 (16 août 847), Soh’noûn ben Sa c id ben H’abib
Tenoûkhi, dont le nom était c Abd es-Selàm, mais que
son acuité d’intelligence fit surnommer Soh’noûn, fut
investi des fonctions de kâdi d’Ifrîk’iyya. Pendant toute
une année il résista aux offres que lui fit l’émir, et ne
finit par revenir sur ses refus réitérés qu’à la suite des
serments* les plus formels et des engagement les plus
positifs du prince, de lui laisser toute liberté de juger,
qu’ils lû
Hâchim surnommé H’arwiya.

En cette année aussi, la guerre sainte lut faite en
Sicile par le gouverneur de cette île, El- e Abbâs ben el-
Fad’l, qui commanda l’expédition d’été et fit du butin et

des prisonniers. Il marcha contre la forteresse [de ];

il conquit la majeure partie du pays et une portion de la
population lui demanda la paix.

En 243 (29 avril 857), la campagne d’été contre les
chrétiens en Sicile [P. 106] fut menée par El- f Abbàs ben
el-Fad’l, qui fit du butin et des prisonniers. La popula-
tion de K’açr el-H’adîdM, après un siège de deux mois,
obtint la paix au prix de quinze mille dinars. Les habi-
tants du château de Chalfoûda (Cefalù) durent sortir de
cette forteresse, que le vainqueur démantela.

En 244 (18 avril 858), El- C Abbàs s’avança de nouveau
sur le territoire chrétien et y fit un butin abondant. Son
frère entreprit une expédition maritime contre l’île de
Crète et commença par y faire des prisonniers et du
butin, puis les choses tournèrent contre les musulmans,
qui perdirent du monde et auxquels vingt bâtiments
furent enlevés < 2 ). En 245 (7 avril 859), le prince d’Ifrik’iyya Aboû Ibrahim ben el-Aghlab dépensa des sommes considérables à faire creuser des réservoirs, à bâtir des mosquées et à édifier des ponts, à cause d’un mot qui lui était échappé dans un moment d’ivresse. (1) Gagliano (? Storia dei Mus., i, 327). Dans Ibn el-Athîr (Annales, p. 226), on lit El-Kaçr el-djedîd. (2) Ces trois alinéas figurent dans la Biblioteca, pp. 11-12. — L’ex- pédition de 244 contre la Crète n’est pas mentionnée dans les An- nales, 10 Digitized by Google – I4tf — En 246 (27 mars 860), fut creusé le grand réservoir près la porte de Tunis, et eut lieu la mort de l’ascète et pieux serviteur de Dieu, Aboû Khalaf, dont le nom était Mat’roûh’ ben K’ays. En 247 (16 mars 861), une grande inondation rompit le pont de K’ayrawân, et le prince en ordonna la restaura- tion. En cette année moururent c Abd er-Rah’mân ben c Abd Rabbihi, dont les prières étaient exaucées du ciel, ainsi qu’El- c Abbâs ben el-Fad’l, gouverneur de Sicile, le 3 djomâda I (14 juillet 861) (*>. Les habitants de cette île
choisirent Ah’med, oncle paternel du défunt, pour leur
chef, et ce choix, qu’ils firent connaître à Aboû Ibrahim
Ah’med ben Moh’ammed ben el-Aghlab, fut ratifié par le
prince d’Ifrik’iyya.

L’année 248 (6 mars 862) vit l’achèvement de la cons-
truction du grand réservoir de la porte de Tunis ( 2 ), des
agrandissements de la grande mosquée- de K’ayrawân,
et de la restauration du pont de la porte d’Aboû’r-Rebî c .

En cette année eut lieu l’expédition de Rebâti’ [ben
Ya c k’oûb ben Fezâra], lequel, après avoir heureusement
débuté, subit une défaite où ses tambours et ses éten-
dards tombèrent aux mains de l’ennemi; une partie de
ses soldats fut aussi faite prisonnière. Mais ensuite il
reprit le dessus et s’empara de la ville de Djebel Aboû
Mâlik (Erice), où tout tomba entre ses mains et qu’il
livra aux flammes. Il organisa en outre diverses colon-
nes, qui obtinrent des succès* 3 ).

– (t) Ou le 3 djomâda II, d’après les Annales, p. 229.
(2) Ce grand bassin est décrit dans Bekri (p. 65) et dans Ylstibçâr
(-p.il).

– (3) Cet alinéa figure dans Amari (t. n, p. 13) ; j’ai complété le nom
de Rebâh d’après Noweyri.

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– 147 –

Le mardi 13 dhoû’l-k’a’da 249 (27 décembre 863) mourut
Aboû Ibrahim Ah’med ben Moh’ammed ben el-Aghlab,
prince [P. 107] d’Ifrîk’iyya, après un règne de sept ans et
dix mois et demi, à l’âge de 28 ans.

Gouvernement de Ziyâdet Allah ben Moh’ammed ben el-Aghlab
ben Ibrahim ben el-Aghlab.

Il monta sur le trône le jour même de dhoû’l-kVda où
mourut Aboû Ibrahim (*). Il écrivit ensuite à Khafâdja, en
lui envoyant des vêtements d’honneur, pour le confirmer
dans sa situation de gouverneur (de la Sicile). Ziyâdet
Allah, second prince aghlabide de ce nom, fut un homme
actif, doux, administrateur très juste, aux actes irrépro-
chables, sage, énergique, libéral et brave. La brièveté de
son règne ne lui permit pas d’accomplir des actes destinés
à passer à la postérité. Il mourut dans la nuit du vendredi
au samedi 20 dhoû’l-kVda 250 (24 décembre 864), après
avoir régné un an et sept jours.

Gouvernement d’Aboû’l-Gharânlk’ Moh’ammed ben Ahmed
ben Moh’ammed ben el-Agfilab.

Ce prince, fils du frère de son prédécesseur, monta sur
le trône le samedi 20 dhoû’l-kVda 250 (24 décembre 864);
il tire son surnom d’Aboû’l-Gharânîk’ (l’homme aux
grues) de la passion qu’il mettait à chasser ces oiseaux,
passion telle qu’il consacra 30,000 mithkâl d’or à cons-
truire un pavillon où il se rendait pour se livrer à ce

(1) Ibn Khaldoûn est seul à le dire fils de son prédécesseur (Aghla-
bides p. 116; Berb., i, 422).

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~ 148 –

genre de chasse. Sa générosité touchait à la prodigalité,
mais ses sujets n’avaient qu’à se louer de son adminis-
tration ; puis l’amour des voluptés le domina entièrement
et jusqu’à la fin de sa vie. Il ne songea nullement à thé-
sauriser, à ce point qu’après sa mort, son frère ne trouva
dans le trésor rien qui vaille-la peine d’être mentionné.
Son règne fut rempli de guerres, de la plupart desquelles
il va être parlé.

En 251 (1 er février 865) eut lieu l’expédition dite des
mille cavaliers. Khafâdja, gouverneur de Sicile, marcha
contre Castrogiovanni, dont il ravagea les cultures, puis
s’avança [P. 108] vers Syracuse et dirigea des attaques
contre cette ville ; ensuite il s’éloigna, mais en faisant
marcher contre elle son fils Molf ammed, qui, à l’aide
d’un stratagème, tua mille cavaliers sortis de Syracuse,
d’où le nom de a expédition des mille cavaliers. » (*)

En 252 (21 janvier 866), Moh’ammed ben H’amdoûn
Andalosi Ma c âfiri éleva à K’ayrawân le saint djâ?nî c qui
porte son nom, et dont les matériaux sont des briques
cuites, du plâtre et du marbre; il y fit aussi installer des
réservoirs. — Khafâdja, gouverneur de Sicile, fit une
expédition en territoire chrétien; après avoir conquis
plusieurs forteresses, il fut atteint d’une maladie grave
et transporté en litière à Palerme.

L’année 253 (10 janvier 867), dit Ibn el-K’at’t’ân, ne vit
en Ifrîk’iyya aucun événement qui mérite d’être rapporté.

En 254 (31 décembre 867), Khafâdja, gouverneur de
Sicile, marcha contre un patrice venu de Constantinople
avec des forces considérables de terre et de mer, le
battit à la suite d’un combat acharné, lui tua plusieurs

(1) Cet alinéa figure dans la Biblioteca, n, 13.

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– 149 –

milliers d’hommes et lui enleva ses armes et ses che-
vaux. Khafâdja pénétra ensuite dans Syracuse et dans
plusieurs autres villes, et après y avoir fait un butin
considérable rentra le 1 er redjeb (25 juin 868) dans sa
capitale Palerme.

En 255 (19 décembre 868), Khafâdja, s’étant mis en
campagne, se heurta à des forces ennemies considéra-
bles; à la suite d’une lutte acharnée, un brave d’entre
les braves musulmans vint à périr, et sa mort jeta le
désordre chez les nôtres. Khafâdja se dirigea alors sur
Syracuse, qui se défendit, et il campa sous les murs en
ravageant les campagnes environnantes. Ce fut en cette
même année que mourut ce chef; son expédition terminée,
il s’éloigna de Syracuse pour regagner Palerme quand,
à la nuit tombante, un de ses soldats le frappa d’un coup
de lance dont les suites furent mortelles, le 1 er redjeb
(14 juin 869) ; l’assassin put s’enfuir à Syracuse, et le
cadavre de Khafâdja fut rapporté et inhumé à Palerme.
Le choix des Siciliens se porta alors sur Moh’ammed,
fils du défunt, et l’émir Aboû’l-Gharânîk’ Moh’ammed,
que l’on informa de cette élection, la ratifia et envoya des
vêtements d’honneur au nouveau gouverneur (*).

En 256 (8 décembre 869) mourut le très pieux juriste
Moh’ammed ben Soh’noûn Tenoûkhi ( 2) .

En 257 (28 novembre 870), les fonctions de kâdi d’Ifrî-
k’iyya furent confiées [P. 109] à c Abd Allah ben Ah’med
ben T’âleb, en remplacement de Soleymân ben c Imrân.

(1) Les renseignements concernant Khafâdja pendant les années
252, 254 et 255, se retrouvent dans la Biblioteca, II, 13-14. Cf.
Annales, p. 244.

(2) On trouve des articles consacrés à ce personnage dans les mss
d’Alger, n° 851, f. 4, et 884, f. 31 ; 2103 de Paris, f. 34, et 5032, f. 104 v°.

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— 150 —

Le 3 redjeb de cette année (26 mai 871), Moh’ammed
ben Khafàdja, gouverneur de Sicile, fut assassiné en
plein jour, par ses serviteurs, qui purent cacher leur
méfait jusqu’au lendemain de leur fuite ; mais ils furent
pris, et plusieurs furent mis à mort. Ibn el-Aghlab nomma
au gouvernement de la Sicile Ah’med ben Ya e k’oûb, et la
Grande Terre eut pour gouverneur c Abd Allah ben
Ya c k’oûb. L’un et l’autre firent, Tannée même, des expé-
ditions qui causèrent des pertes aux infidèles, mais il
n’y eut en 257 aucun événement en lfrik’iyya qui mérite
d’être noté.

En 258 (17 novembre 871), mourut Ah’med ben
Ya c k’oûb, gouverneur de Sicile; son ûls El-H’oseyn le
remplaça et fut confirmé dans ses fonctions par le prince
d’Ifrîk’iyya.

En 259 (6 novembre 872), Soleymân ben c Imrân prit la
place d ,
mâda I 261 (16 février 875) après un règne de dix ans et
cinq mois et demi, sous le khalifat total ou partiel d’El-

Mosta’in billàh, d’EI-Mo c tazz, d’El-Mohtadi et d’El-

MoHamid.

Gouvernement d’Ibrahim ben Ah’med ben Moh’ammed
ben el-Aghlab.

Aboû’l-Gharânik’ avait désigné son fils Aboû c Ik’âl
comme héritier présomptif et avait fait jurer cinquante
fois W à son propre frère, Ibrahim ben Ah’med, qu’il
respecterait cette décision. [P. 110] Mais après la mort
d’Aboû’l-Gharânik’, les habitants de K’ayrawân allèrent
trouver Ibrahim ben Ah’med, qui était alors leur gou-
verneur, et dont ils étaient très satisfaits, rengageant à
se révolter et à pénétrer dans le palais, et lui disant qu’il
était le (véritable) émir : « Mais, leur répondit-il, vous
n’ignorez pas que mon frère a choisi son fils pour lui suc-
céder et a exigé de moi le serment cinquantenaire que je
ne susciterais aucun obstacle à son héritier et que je n’en-
trerais pas dans son palais. — Tu seras, lui dit-on, émir
dans ta propre demeure, dans l’Ancien château, et tu ne
feras pas d’opposition à son fils ; mais nous ne tenons pas
à ce qu’il règne et c’est toi que nous reconnaissons, car
nos têtes ne sont soumises à aucun serment de fidélité. »
Il sortit alors à cheval de K’ayrawân et fut suivi de la
plupart des habitants, qui livrèrent combat aux habitants
du Château, si bien qu’il pénétra dans sa demeure, où les

(1) Sur les cinquante serments, voir Khalil, tràd. Perron, v, 460 ;
le Minhadj de Van den Berg, m, 191 ; Querry, Recueil de lois, n, 583.

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– 152 –

cheykhs et les principaux d’Ifrîk’iyya, ainsi que l’ensôm-
ble des Benoûl-Aghlab, lui jurèrent fidélité (*>.

En 262 (5 octobre 875) mourut Aboû Zeyd Chedjra ben
e Isa, kâdi de Tunis, qui était âgé de 99 ans ; il était rem-
pli de qualités et compte parmi les meilleurs kâdis( 2 >. —
Alors aussi fut fondée, par des marins espagnols, la
forteresse de la ville de Ténès.

En 263 (23 septembre 876) Ibrahim ben Ah’med ben
el-Aghlab commença à bâtir la ville de Rak’k’âda ( 3 ).

En 264 (12 septembre 877) fut achevée la construction
du château connu sous le nom d’El-FathW, où Ibrahim
ben Ah’med se transporta. C’est dans l’Ancien château
qu’il fut tué plus tard par ses clients révoltés.

Le mercredi 14 ramad’ân de cette année (19 mai 878),
Syracuse fut conquise : on y massacra plus de quatre mille
renégats, on y fit un butin plus considérable que jamais
dans aucune ville chrétienne, et pas un dés guerriers qui
la défendaient n’échappa. Les musulmans l’emportèrent
après neuf mois de siège, et après y avoir séjourné pen-
dant deux mois, ils la ruinèrent.

En cette année, le gouverneur de Sicile, Dja’far ben
Moh’ammed, fut tué par ses pages joints à El-Aghlab ben
Moh’ammed ben El-Aghlab, surnommé Khordj er-Ro c –
oûna, et à Aboû c Ik’âl el-Aghlab ben Ah’med, qui étaient
l’un et l’autre retenus en prison par lui. Khordj er-Ro c –
oûna devint alors maître [P. 111] de Païenne ; mais les

(1) Voirie récit de Noweyri (ap. Berbères, i, 424) et Annales^ p. 247;
cf. Fournel, i, 523.

(2) Le ms 5032 de Paris lui consacre un article, f. 63.

(3) Bekri (p. 68) parle longuement de cette ville de Rakkàda ; cf.
Istibçàr, p. 12, et Fournel, i, 526.

(4) On lit « Aboû’l-Fath » dans Noweyri (l. J., p. 425, et Des Vergers,
Hist, de l’Afrique, p. 127 n.).

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– 153 –

habitants de cette ville attaquèrent ces deux chefs et leurs
partisans, les chassèrent en Ifrîk’iyya, et ce fut El-H’oseyn
[ou H’asan ?] ben Rebâti’ qui devint gouverneur de Sicile.

En 265 (2 septembre 878), ce dernier entreprit l’expé-
dition d’été dans la direction de Taormine. Les musul-
mans, qui eurent d’abord le dessous dans cette campagne,
revinrent ensuite à la charge, mirent les chrétiens en
fuite et en tuèrent un certain nombre, parmi lesquels
leur patrice.

En 266 (22 août 879), une grande disette, suite d’une
sécheresse intense, régna en Ifrîk’iyya. — Le gouverneur
de Sicile entreprit une expédition maritime contre les
chrétiens, qui armèrent une flotte d’environ cent quarante
bâtiments. A la suite d’une bataille acharnée, les musul-
mans durent livrer leur flotte, et ceux qui la montaient
se retirèrent à Palerme, d’où, pendant plusieurs mois, ils
envoyèrent des colonnes piller, les terres chrétiennes
avoisinant cette ville W.

En 267 (11 août 880), c Abd Allah ben Ahmed ben T’âleb
Temîmi prit la place de kàdi aux lieu et place de Soley-
mân ben e Imrân. — El-H’asan ben el- c Abbâs devint
gouverneur de Sicile. — Le fils d’Ibn T’oûloûn fit, pour
s’emparer de l’Ifrîk’iyya, une tentative que je vais
raconter ( 2 ).

El- c Abbâs ben Ah’îned ben T’oûloûn, fils du gouverneur
d’Egypte, s’avança en rebi c II (novembre-décembre 880), à

(1) Ces quatre alinéas se retrouvent dans la Biklioteca n, pp. 15-17.

(2) Cf. Annales, pp. 253 et 255. Noweyri (ap. H. cl. Berbères, I, 426)
fait de cette tentative du fils d’Ibn Toûloûn, en l’année 265, un récit
beaucoup moins circonstancié ; et la concision d’Ibn Khaldoûn (d’a-
près qui les divers incidents de cette aftaire se déroulèrent de 265
à 267) est plus grande encore (des Vergers, Hist. de l’Afrique, 128).

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— 154 –

la tête de huit cents cavaliers et de dix mille nègres de son
père, fantassins portés par cinq mille chameaux, contre
la ville de Bark’a, dans l’intention de se rendre ensuite en
Ifrîk’iyya pour la conquérir sur les Aghlabides. Il était
accompagné de huit cents charges de dinars en or prove-
nant du trésor égyptien et destinés à subvenir au paîment
de la solde de ses troupes; on dit que cela faisait douze
cent mille dinars. Le secrétaire Aboû c Abd Allah Ah’med
ben Moh’ammed figurait dans sa suite, mais enchaîné,
car il avait refusé de faire partie de l’expédition. [P. 112]
En effet, son avis avait été qu’El- c Abbâs ne se rendit à
Tripoli qu’après avoir gagné les Berbères à sa cause.
Mais le prince, qui était en état de rébellion contre son
père, lui répondit: «En procédant ainsi, il y a lieu de
craindre que les troupes gouvernementales n’arrivent
de Syrie avant que j’aie réussi de ce côté, et, d’autre part,
que ce délai ne permette à Ibrahim ben Ah’med de pré-
parer sa défense. En partant sur le champ, j’arriverai à
l’improviste à Lebda (*) et à Tripoli, où je commencerai
aussitôt à gagner les Berbères par l’argent et les bien-
faits, et mon éloignement de l’Egypte ne laissera à mon
père Ah’med ben T’oûloûn aucun espoir de me poursui-
vre sérieusement. » Mettant ce plan à exécution, il se mit
en marche pour Lebda; mais, à cette nouvelle, Ibrahim
ben Ah’med fit partir Ah’med ben K’orhob* 2 ) avec seize
cents hommes armés à la légère, tous cavaliers, qui,
brûlant les étapes et marchant même la nuit, étaient à
Tripoli avant qu’El- c Abbàs fut arrivé à Lebda; leur chef
se mit aussitôt à faire toutes les levées qu’il put dans le

(1) Sur Lebda (Leptis mar/na), voirBekri, 26, 199 ; Edrisi, trad., p. 154.
(?) Ou, d’après Noweyri, Mohammed ben Korhob (l. l.> p. 426).

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– 155 –

djond et les Berbères de Tripoli, et arriva en toute hâte
à Lebda, où il pénétra. Alors s’avança El- c Abbâs ben
Toûloûn, qui avait fait faire à Bark’a cinq-mille bend ou
ceintures (*), avait lait monter chacun de ses fantassins
avec son bend à chameau, et se trouvait ainsi à la tête de
huit cents chevaux et de cinq mille fantassins. Ah’med
ben K’orhob se heurta contre lui à quinze milles de
Lebda ( 2 ); mais bien que les chameaux sur lesquels
étaient montés les fantassins d’El- c Abbâs fussent restés
en arrière, il n’y eut qu’un court engagement : Ibn
K’orhob, qui croyait n’avoir affaire qu’à une avant-garde,
fut battu et se retira à Tripoli. El- c Abbâs se mit à sa
poursuite et arriva sous les murs de cette ville, devant
laquelle il dressa ses mangonneaux; il en commença le
siège, et pendant quarante-trois jours dirigea contre elle
ses attaques. Mais quelques-uns de ses nègres s’étant
montrés trop entreprenants vis-à-vis de Bédouines dont
ils soulevèrent les voiles, les Tripolitains demandèrent
du secours à Aboû Mançoûr, chef de Nefoûsa, qui, obéis-
sant à sa foi et prenant fait et cause pour ses voisins
musulmans, marcha à la tête de douze mille guerriers
de Nefoûsa contre El- c Abbâs, [P. 113] à qui il déclara la
guerre. Celui-ci ayant alors demandé conseil au secré-
taire Aboû c Abd Allah, reçut cette réponse : « [lacune] à
Bark’a son lieutenant. Les Nefoûsiens, redoublant d’ar-
deur au combat, le fils d’Ibn Toûloûn, vaincu < 3 ), dut fuir à Bark’a après avoir vu ses troupes entièrement dépouil- (1) Ce mot n’a pas été relevé par Dozy dans son lexique ; on voit qu’il doit désigner une sorte de lien ou de ceinture ayant pour but de maintenir en selle un cavalier inexpérimenté. (2) A Wàdi Ourdasa, selon Noweyri (ap. Berbères, i, 426). (3) A Kaçr H’àtim, selon lbn Khaldoûn (des Vergers, p. 128). Digitized by Google – 156 – lées par lés Tripolitains, tandis que les Nef oûsieris s’abs- tinrent complètement de piller* Ibrahim ben Ahmed avait (dans l’entretemps) procédé à des levées dans le djond et avait, puisqu’Aboû’l-Gharânik avait laissé le trésor vide, fait frapper des dinars et des dirhelns avec le métal provenant des bijoux de ses femmes. Il s’avan- çait en personne vers Tripoli, quand il apprit la fuite du fils d’Ibn Toûloûn, et alors il fit rechercher, pour les reprendre à ceux qui les détenaient, les valeurs enle- vées aux fuyards : aussi les soldats vendaient-ils secrè- tement, et comme ils pouvaient, tous les milkhàl d’Ibn Toûloûn, de crainte de se les voir enlever. En 268 (31 juillet 881), Ibrahim ben el-Aghlab dirigea une attaque inopinée contre les habitants du Zâb, qu’il massacra eux et leurs enfants ; des charriots emportè- rent les cadavres amoncelés. jusqu’aux fosses où on les jeta. En la même année, El-Hasan ben el- c Abbâs, gouver- neur de Sicile, fut révoqué et remplacé par Moh’ammed ben el-Fad’l. En £69 (20 juillet 882) mourut Soleymân ben H’afç el- Ferrâ’, qui était djahmideW et affirmait la création du Koran. Le peuple, à qui il prêchait ses doctrines, son- geait à le tuer. En 270 (10 juillet 883) moururent le kâdi Soleymân ben e Imrân, qui était paralytique, H’oseyn ben Zeyd ben e Ali, et le juriste Aboû H’âtim Hichàm ben H’âtim, dont le ciel exauçait les prières. En 271 (28 juin 884) mourut El-H’oseyn ben Ah’med, (1) C’est-à-dire partisan de Djahm ben Çafwàn, hérésiarque dont parlent Chahristani (trad. ail., I, 89 ; texte, p. 60; Djordjani, Tarifât, p. 84 ; Khitat, de Makrizi, t. n, p. 351). Digitized by Google – 157 – gouverneur de Sicile, qui fut remplacé par Sawàda ben Moh’ammed ben Khafâdja Temîmi. En 272 (17 juin 885) le dit Sawàda organisa diverses colonnes qui rentrèrent en rapportant les dépouilles enlevées aux chrétieps. Il y eut aussi diverses rencon- tres entre les musulmans et Nicéphore, patrice arrivé de Constantinople à la tête d’une armée considérable. Ce chef put entrer dans la ville de Santa Severina, d’où les musulmans furent autorisés à sortir pour se retirer en Sicile. En 273 (7 juin 886), la population de Palerme attaqua le gouverneur de nie, Sawàda ben Moh’ammed, ainsi que son frère et quelques-uns des principaux conseillers, et on les renvoya [P. 114] enchaînés en Ifrik’iyya; après quoi on tomba d’accord pour élever au pouvoir Aboû’l- c Abbâs ben e Ali W. En 274 (27 mai 887) eut lieu l’arrivée d’Ahmed ben ‘Omar ben f Abd Allah ben Ibrahim ben el-Aghlab, sur- nommé H’abechi( 2 >. Cette année-là aussi mourut en Ifri-
k’iyya Ah’med ben H’odeyr, qui avait reçu les leçons de
Soh’noûn.

En 275 (15 mai 888), une attaque soudaine des musul-
mans de Sicile eut pour résultat le massacre de plus de
sept, mille infidèles et la noyade d’environ cinq mille.
Aussi les chrétiens évacuèrent-ils de nombreuses villes
et forteresses avoisinant le territoire musulman. Des

(1) Ces trois alinéas figurent dans la Biblioteca, n, 17-18. Cf.
Annales, 261 et 262.

(2) Il doit s’agir de l’arrivée de ce prince en Sicile, mais ce passage
n’a pas été relevé dans la Biblioteca; voir cependant ce qui y est dit,
1. 1, p. 400, et il, 718 et 724.

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– 158 —

colonnes poussèrent jusque dahs la Grande terre et en
ramenèrent des captifs (*).

En la même année eut lieu en Ifrîk’iyya l’affaire connue
sous le nom d’insurrection des dirkemsW. A la suite de
la frappe de dirhems justes de poids^que fit faire Ibrahim
ben Ah’med, ce prince abrogea l’usage des fragments de.
métal; mais la populace mécontente ferma les boutiques
et se réunit pour se rendre à Rak’k’âda en poussant des
cris contre Ibrahim, qui fit enfermer ces braillards dans
la mosquée principale. A cette nouvelle, les K’ayrawâ-
uiens se portèrent vers la porte de la ville en manifes-
tant l’intention d’en repousser le prince. Ce dernier leur
envoya son vizir Aboû c Abd Allah ben Aboû Ish’âk’, qui,
assailli par des injures et des coups de pierre, se retira
auprès de son maître et l’informa de la situation. Alors
Ibrahim se dirigea à cheval vers K’ayrawân, accompagné
de son chambellan Naçr ben eç-Çamçâma et d’un cer-
tain nombre de soldats du djond. Le prince commença
l’attaque et il s’ensuivit une mêlée qui dura quelque
temps ( 3 ), puis le prince.se retira vers le moçalla, où il
mit pied à terre et s’assit, défendant aux siens de conti-
nuer la lutte. Quand il. eut recouvré son calme et que la
population elle-même se fut apaisée, le juriste et ascète
Abou Dja c far Ahmed ben Moghîth vint le trouver, (et à
la suite de leur conversation) le vizir Aboû c Abd Allah
ben Aboû Ish’âk’ entra à K’ayrawân avec Ahmed ben
Moghîth, parcourut le bazar et ramena le calme chez les

(1) Biblioteca, n, 18.

(2) Il n’est parlé de cette insurrection ni par Ibn Khaldoûn, ni par
Ibn el-Athir, ni par Noweyri.

(3) J’ai déplacé ces mots, qui dans le texte viennent plus bas, con*
lormément à la correction proposée par Dozy.

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-. 159 ^

habitants. Ibrahim retourna alors à Rak’k’àda, où il fit
rendre à la liberté ceux qui étaient détenus dans la
grande mosquée. A partir de ce moment et jusqu’à
aujourd’hui, les dirhems de mauvais aloi (*) et les frag-
ments de métal cessèrent d’avoir cours, [P. 115] et.
Ibràhîm ben Ahmed fit frapper des dinars et des dirhems
qu’il appela *àchiri parce que chaque dinar valait dix
dirhems.

En la même année il enleva ses fonctions de kûdi
d’Ifrik’iyya à c Abd Allah ben Ahmed ben T’âleb ben
Sofyân et l’emprisonna ; puis il lui envoya un plat
empoisonné que Tex-kâdi mangea dans sa prison et dont
il mourut foudroyé, au mois de redjeb (novembre 888).
Cette place fut donnée à Ibrahim ben Ahmed ben Mo-
h’ammed ben c Abdoûn ben Aboû Thawr, dont le grand-
père était meunier et écrivait son nom Moh’ammed ben
c Abd Allah Ro c ayni.

En 276 (5 mai 889), la guerre sainte fut faite en Sicile
par Sawâda ben Moh’ammed, qui fit une expédition dans
laquelle il assiégea Taormine ( 2 >.

En la même année Ibràhîm jeta en prison son secré-
taire Moh’ammed ben H’ayoûn, surnommé Ibn el-Beridi,
qui lui adressa alors ces vers :

[Basît’j Suppose que j’ai mal agi : où y aura-t-il faveur et
magnanimité, puisque l’obéissance et le repentir me ramè-
nent à toi? O toi, le plus généreux de ceux vers qui les

(1) Texte en-nok’oûd, que Sauvaire, traduisant ce passage, rend
par « les monnaies », de même qu’il rend par « les derhams entiers »
r ls^\ *jbL jJ\ ce que j’ai traduit plus haut justes de poids {Journal
as., 1880,1, pp. 243 et 478).

(2) Biblioteca, n, 18.

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– 160 –

mains se tendent, seras-tu sans pitié pour celui dont la
plume du Destin t’a déjà annoncé la mort? Ta colère est
bien grande, mais pardonne en souverain puissant; les
princes qu’on implore se montrent miséricordieux.

Ibrahim, en lisant ces vers, dit: « Il m’écrit « suppose
que j’ai mal agi », comme si la chose n’était pas certaine I
Si encore il avait écrit :

[Wâfir] Nous sommes des secrétaires et nous avons failli ;
mais suppose que nous sommes des secrétaires d’hommes
magnanimes !

je lui aurais pardonné » ; et alors ce prince, que Dieu
confonde 1 fit enfermer le malheureux dans un cercueil
où il mourut.

En 277 (24 avril 890), Ibrahim fit périr son chambellan
Naçr ben eç-Çamçâma sous le fouet : cinq cents coups
lui en furent appliqués, de sorte qu’il ne proféra plus
une parole ni ne fit le moindre mouvement, après quoi on
lui trancha la tète. (Pendant qu’on le frappait), il dit aux
assistants : « Ne croyez pas que je m’afflige de mourir ; je
vous promets d’ouvrir et de fermer la main à trois
reprises quand j’aurai été décapité >/. Il le fit comme il
avait dit, et Ibrahim, surpris de ce qu’on lui raconta, lui
fit légèrement inciser la poitrine pour en retirer le cœur ;
il examina cet organe qui présentait la curiosité d’être
placé (?) dans le foie et d’être muni de poils presque par-
tout m.

[P. 116] En 278 (14 avril 891), Aboû’l- c Abbâs Ah’med
ben Ibrahim ben Ah’med ben el-Aghlab fut chargé de
recevoir les réclamations contre les actes arbitraires ;

(1) Cf. Amari Storia, n, 59.

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– 161 –

Moh’ammed ben el-FacTl fut nommé gouverneur de
Sicile. Le bureau de l’impôt foncier (kharâdj) fut offert
au chrétien Sawâda à condition qu’il embrassât l’isla-
misme ; mais comme il répondit n’être pas homme
à abandonner sa religion pour obtenir une place, il fut
coupé en deux, puis crucifié.

En 279 (2 avril 892), Moh’ammed ben el-Fad’l, gouver-
neur de Sicile, fit son entrée dans Palerme, la capitale,
Ie2çafar(3mai892)( 1 ).

En cette année, Ibrahim ben Ah’med fît exécuter des
habitants d’Ifrik’iyya [lacune] et de volupté. Au nom-
bre des victimes figurait Ish’âk’ ben c Imrân, qui prati-
quait la médecine et était connu sous le nom de Poison
foudroyant; il fut exécuté et crucifié (*). Le chambellan
Fath’ périt également paf le bâton. En outre, tous les pages
furent mis à mort. En effet, les astrologues et les devins,
auxquels le prince prêtait une oreille attentive, lui
avaient prédit qu’il mourrait de la main d’un assassin
au caractère mal fait qui serait peut-être un page ; aussi
Ibrahim croyait-il voir son homme dans chacun des
pages qui, agile, ardent, prompt et susceptible, s’exer-
çait au maniement du sabre, et il le faisait exécuter. Il en
avait déjà fait périr plusieurs quand il se dit qu’il était
devenu odieux à leurs yeux, et pour se mettre en garde
contre eux il les fit tous égorger en la dite année. Il les
remplaça par des nègres, puis hanté “par les soupçons
qui l’avaient fait se débarrasser des pages slaves, il fit
aussi massacrer tous les nègres.

(1) Biblioteca, n, 19.

(2) Wustenfeld (Arab. Aerzte, p. 32, n° 77) a consacré une notice à:
ce médecin.

il

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^TT”*

– 462 –

En 280 (22 mars 893) eut lieu l’affaire des guerriers de
Belezma. Après avoir fait la guerre â Belezma, Ibrahim fit
venir à Rak’k’âda environ sept cents des plus braves de
cette ville, leur donna l’hospitalité et les traita généreu-
sement. Il fit construire pour eux un vaste édifice renfer-
mant des demeures particulières n’ayant toutes qu’une
même porte de sortie, et il les y installa. Lorsqu’il les vit
complètement rassurés, il convoqua §es guerriers de
confiance pour leur payer leur solde et leur ordonna
d’aller le lendemain matin trouver son fils c Abd Allah et
d’exécuter les ordres qu’il avait donnés à ce dernier.
Quand c Abd Allah eut autour de lui les hommes du
djond, il marcha à leur tête contre les Belezmïens, qui
défendirent leur vie jusque dans l’après-midi, mais
qui lurent massacrés jusqu’au dernier. [P. 117] Ce fut là
une des causes qui contribuèrent à la chute de la dynas-
tie aghlabide, car les Belezmiens, la plupart d’origine
K’aysite, formaient un millier d’Arabes et de guerriers
du djond arrivés en Ifrîk’iyya lors de la conquête et pos-
térieurement, et maintenaient en respect les Kotâma.
Le massacre qu’en fit Ibrahim permit à ceux-ci de rele-
ver la tête, et ils purent, de concert avec le Chi c ite, se
révolter contre les AghlabidesW.

La même année vit divers territoires se soulever et se
détacher d’Ibrâhîm. Les habitants de Tunis, de la pres-
qu’île [de Bâchoû]; de Laribus, de Bâdja et de K’amoûda
se révoltèrent et mirent à leur tête soit des guerriers du
djond, soit d’autres, par suite des actes tyranniques
d’Ibrâhîm, qui leur enleva leurs esclaves et leurs che-
vaux. Toute l’Ifrîk’iyya fut en feu contre lui, et il ne resta

(1) Cf. Noweyri, ap. Berb., i, 427.

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— 163 —

plus entre ses mains que le Sâhel et la partie orientale
jusqu’à Tripoli. Il fit creuser autour de Rak’k’âda un
fossé qu’il munit de portes de fer, appela à lui ses guer-
riers de confiance et installa à proximité du palais les
cinq mille (^ nègres qu’il avait enrôlés. Mais à la suite de
divers événements Tunis fut, cette année même* empor-
tée de vive force. En effet, comme les habitants de
K’amoûda révoltés se mettaient en campagne, Ibrahim
envoya contre eux Meymoûn H’abechi,. qui leur livra
bataille, les mit en fuite et leur fit subir des pertes. Les
Tunisiens, qui s’étaient aussi mis en campagne, furent
ensuite dispersés par Meymoûn ; ceux de la presqu’île
[de Bâchoû] et de Ça’lfoûra subirent le même sort et
perdirent tant de monde qu’on emporta les cadavres sur
des charriots à K’ayrawân. Le 20 dhoû’l-hiddja (2 mars
894J, Tunis fut prise d’assaut et livrée au pillage pendant
que les enfants étaient faits prisonniers et les femmes
abandonnées à la soldatesque &h

C’est en cette année ( 3 ) qu’entra en Ifrîk’iyya Aboû
c Abd Allah, missionnaire des Chi c ites, dont nous allona
raconter brièvement les débuts jusqu’au jour où il arriva
au pouvoir.

Débats de la dynastie Obeydite chi’ite (*).
Depuis la mort d’ c Ali ben Aboû Tâleb, dit El-Warrâk,

(1) Noweyri dit cent mille (ib., p. 428).

(2) Comparez Noweyri, l. L, p. 428.

(3) D’autres auteurs donnent la date de 288, qui a été adoptée par
Fournel (n, 56).

(4) Sur les origines de cette dynastie, on peut consulter de Sacy,
Exposé de la religion des Druzes, t. i, introd. ; Quatremère, dans le
Journal asiatique, 1836, n, 97 ; Ibn Khaldoûn, Histoire des Berbères,

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— 164 –

les Chi c ites ont toujours [P. 118] prêché la croyance en
un imâm impeccable qui doit, prétendent-ils, établir la
vérité, et n’ont pas cessé d’envoyer partout leurs mis-
sionnaires, mais sans succès jusqu’alors. A la suite de
consultations et de correspondances, il fut décidé d’en-
voyer au Maghreb un missionnaire chargé d’y développer
l’amour de la famille [d’ c Ali]. Le résultat des correspon-
dances échangées à ce sujet entre tous les centres, fut
qu’on choisit un adepte intelligent, éloquent, instruit et
bon controversiste nommé Aboû c Abd Allah Çan c âni, à
qui l’on fournit les fonds nécessaires pour sa mission, et
qui se rendit (à la Mekke) à l’époque du pèlerinage pour
y rencontrer les pèlerins venus du Maghreb, tâter leurs
habitudes, apprendre à connaître leurs croyances et s’in-
génier à arriver au pouvoir par les procédés les plus
simples. Gloire à Celui dont les arrêts fixent les événe-
ments et qui détermine les choses à son gré ! Il n’y a
d’autre divinité que Lui !

Son voyage à la saison du pèlerinage n’avait pas celui-
ci pour but, car cette secte odieuse ne le pratique pas, ce
n’était qu’un moyen pour arriver à ses fins. Il trouva une
dizaine de Maghrébins originaires des Kotâma, parmi les-
quels un de leurs cheykhsW, et entra en relations étroites

il, 506; Makrizi, ap. Chrestomathie de Sacy, n, 88; Nicholson, The
establishment of the fatemite dynasty in Africa, Tubingen, 1840 ;
Wustenfeld, Geschichte der Fatimiden Chalifen, Gottingen, 1881 ;
Ibn el-Athir, Annales, p. 272; lbn Khallikàn, r, 465, et n, 77 ; Four-
nel, Les Berbers, n, 40; Ibn llammàd, dans ]e Journal Asiat., 1855,
i t 529 ; de Goeje, Mém. sur les Carmathes du Bahraïn, Leide 1886 ;
ci-dessous, pp. 157 et 292 du texte ; Nodjoûm, ms 1780 de Paris, fol.
32 v°, etc.

(1) D’après le récit d’Ibn Khaldoûn {Berbères, n, 510), ce cheykh était
Moùsa ben H’oreyth, chef des Sekyan ; cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 281.
Cela se passait en 280.

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– 165 –

avec eux. Il leur demanda et obtint d’eux la description
de leur pays, ainsi que des renseignements sur leur rite.
Il se mit alors à leur parler des divers rites, et trouva
que le cheykh penchait pour le rite ibâd’ite nakkârite^
ce qui lui fournit une entrée en matière. Peu à peu il les
attira et les séduisit grâce à ses dons de talent oratoire
et à sa science dans la controverse, si bien que son élo-
quence lui livra entièrement leurs intelligences. Etant près
de rentrer chez eux, ils l’interrogèrent sur ses affaires et
sa situation : a Originaire de l’Irak, répondit-il, j’étais
au service du sultan, mais j’y ai renoncé quand j’eus
reconnu que ce n’était pas là une bonne œuvre. Je me
suis alors mis à chercher quelque moyen licite de gagner
ma vie, et le seul que j’aie trouvé, c’est d’enseigner le
Koran aux enfants. D’après les renseignements que j’ai
recueillis, c’est en Egypte que cela peut se faire le mieux.
— Eh bien ! lui dirent-ils, nous passons par l’Egypte,
qui [P. 119] est sur notre route ; fais le voyage avec nous. »
Se rendant à leurs instances, il partit avec eux. Au
cours de la route, il les amena, par ses conversations,
à incliner vers sa croyance, et, peu à peu, leurs cœurs se
remplirent d’amour pour sa personne, de sorte qu’ils le
prièrent de venir enseigner le Koran à leurs enfants ;
mais il s’en défendit en alléguant leur trop grand éloigne-
ment : « Si je trouve en Egypte ce qu’il me faut, je m’y
fixerai ; sinon, je vous accompagnerai peut-être jusqu’à
K’ayrawân ». Quand on fut arrivé en Egypte, il les quitta
quelque temps, feignant de chercher ce qu’il voulait; puis

(1) Sur les Ibàdites, voir entre autres une note de Y Histoire des
Berbères, h 203; Ghahristâni, texte, p. 100, et trad. Haarbrucker, i,
151 ; cf. Bekri, Description de l’Afrique, p. 322; Istibçâr, tr. h\, p. 59.

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– 166 –

quand les Maghrébins l’eurent rejoint et l’interrogèrent,
il dit que ses recherches étaient restées vaines, mais, en
présence de leurs nouvelles instances, il condescendit à
les accompagner. Enfin, ils renouvelèrent à K’ayrawàn
leur demande pour qu’il se rendît chez eux, s’engageant
à lui confier l’enseignement du Koran à leurs enfants,
ainsi qu’il le demandait : « Je ne puis, dit-il, ne pas rester
à K’ayrawàn pour y chercher mon affaire; mais si je ne
réussis pas,7*>irai vous trouver. » Le cheykh, qui était le
plus pressant et qui lui rendait le plus d’honneurs, lui
décrivit sa demeure et la localité des Kotâma où il habi-
tait.

Resté à K’ayrawàn, le missionnaire s’entoura de ren-
seignements sur les diverses tribus et ne douta plus
que de toutes les tribus d’Ifrîk’iyya les Kotâma ne cons-
tituassent la plus nombreuse, la plus puissante et la
moins soumise au sultan. Sa conviction faite, il se mit
en route pour retrouver son ami le cheykh, et, monté sur
une mule blanchâtre dont il fit l’acquisition, il partit
avec une caravane jusqu’à ce qu’il fût arrivé non loin du
lieu où habitait son ancien compagnon. Il se détourna
alors, et trouva bientôt une aire où l’on dépiquait le blé
à l’aide de bœufs et où se tenaient un vieillard Kotâmien
et son fils. Il s’approcha, et à son salut les deux hommes
répondirent en se levant et en lui adressant les souhaits
de bienvenue et des offres d’hospitalité, qu’il accepta. Le
missionnaire fut honorablement reçu, et sur sa demande,
il apprit que Temmâm était le nom du fils et Mo c ârik
celui du vieillard, ce qui lui fit penser en lui-même qu’il
réussirait, mais non sans combats (*). Il manifesta alors le

(1) Ce présage est tiré du sens qu’on peut donner à ces deux noms
propres.

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— 167 —

désir de se retirer, et on lui donna une femme chargée
de lui indiquer la route, car les hostilités régnaient entre
eux et leurs cousins. Poursuivant son chemin, il arriva
[P. 120] dans un endroit occupé par les Kotâma et passa,
monté sur sa mule blanchâtre, près de la mosquée où se
trouvait, en train d’enseigner, un instituteur qui se leva,
le salua et le considéra longuement. Cela intrigua Aboû
c Abd Allah, qui, mettant pied à terre, entra dans la
mosquée et appela l’instituteur en lui disant : « J’ai re-
marqué que tu nous regardais longuement, moi et ma
mule ? — C’est pour une raison que je vais te dire : il y
avait autrefois chez les Kotâma un devin nommé Feylak’,
qui, voyant leurs guerres civiles, leur disait : « Vous ne
verrez la[vraie] guerre qu’à l’arrivée chez vous de l’Oriental
à la mule blanchâtre ». Aussi cette prédiction m’est-elle,
en te voyant, revenue à la mémoire ». L’importance de
ces paroles frappa Aboû c Abd Allah, qui s’en réjouit, et
comme elles s’ajoutaient au présage favorable qu’il avait
déjà recueilli, elles le confirmèrent dans son projet et
augmentèrent son audace, car sans cela il n’aurait rien
osé entreprendre; louange à Celui qui est cause de tout !
Il arriva enfin jusqu’au lieu habité par son ami le
cheykh et mit pied à terre dans la mosquée, où se
trouvait un instituteur qu’entouraient les enfants, parmi
lesquels les fils du cheykh. A l’heure du zohr, l’insti-
tuteur fit l’appel à la prière, et le cheykh, ainsi appelé à
la mosquée, aperçut Aboû c Abd Allah, qu’il salua et
embrassa. Quand l’instituteur voulut ensuite se diriger
vers le mih’râb, le cheykh l’en empêcha et y envoya le
nouveau-venu ; puis, la prière terminée, il l’emmena chez
lui, le combla d’honneurs et s’entretint avec lui jusqu’à
la prière de Yaçr. A ce moment, il se rendit à la mosquée

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– 168 –

avec lui, et l’instituteur, soupçonnant alors quelque
chose, quitta la mosquée, et renonçant à y enseigner plus
longtemps, se retira. Aboû c Abd Allah commença alors
à dire la prière dans cette mosquée et à y enseigner les
enfants avec tant de zèle, que ceux-ci réunirent une
somme de 40 dinars à laquelle le cheykh ajouta quelque
chose et qu’il offrit à son ami, en s’excusant de cette
démarche. Mais le missionnaire, sans y toucher, plongea
sa main dans une sacoche qui était à son côté et en tira
500 dinars qu’il étala devant le cheykh, en disant : « Je ne
suis pas un instituteur, et mon but est celui que je vais
te dire : nous ne sommes pas autre chose [P. 121] que les
partisans de la famille (d’ c Ali), et il existe une tradition
vous concernant, vous autres les Kotâma, et portant que
vous serez nos aides, que vous établirez notre gouverne-
ment, que, par vous, Dieu, manifestera sa foi, élèvera par
vous la famille (d ,f Ali), d’où sortira un imâm que vous
soutiendrez et pour lequel vous verserez votre sang,
fera par vous la conquête du monde entier, et que vous
serez de cela récompensés au double, par l’obtention des
biens de ce monde et de l’autre. — J’aspire, dit le
cheykh, à ce dont tu m’as inspiré le désir, et nous
verserons pour cela, moi et ceux qui me suivent, notre
sang et notre or; je te serai plus soumis que tes propres
membres, ordonne ce que tu veux et j’obéirai ! — Appelle
(à mes doctrines) les plus intimes de tes cousins par
ordre de proximité ! — Je vais les y appeler », dit le
cheykh, qui se mit aussitôt à répandre ces doctrines chez
ses proches et ses intimes.

Le mois de ramad’àn étant arrivé, Aboû c Abd Allah dit
au cheykh : « Nous voilà en ramad’àn, mois où notre rite
ne nous permet pas de dire les prières terâwîh\ car elles

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– 169 –

ne reposent pas sur la tradition d u Prophète, mais sur celle
d ,f Omar seulement ( j ). Je me bornerai, à la prière de la
nuit close, à prolonger la lecture du Koran, à lire les lon-
gues sourates ( 2 ), aux lieux et place des dites prières. —
Mon obéissance t’est acquise, fais ce que tu voudras », dit
le cheykh. Mais l’histoire de cette prière transpira, de
même que s’ébruitèrent des renseignements relatifs aux
prédications faites par le missionnaire à certains de
ceux qui s’étaient rendus dans la demeure du cheykh et
auprès de son fr&re. Celui-ci même demanda au cheykh
ce qu’il avait à faire avec cet Oriental qui corrompait, sa
foi et dénaturait son rite: « Je t’ai appelé, dit le cheykh,
pour l’affaire où je me suis mis moi-même; ou bien
suis-moi, ou bien cesse de m’adresser des reproches qui
vont à l’adresse de quelqu’un dont j’ai mis à l’épreuve la
vertu, le mérite et la religion ! » Son frère s’éloigna
irrité, et le cheykh, prenant alors à part tous les autres,
leur dépeignit sous de si brillantes couleurs le mérite
d’Aboû v Abd Allah, que tous leurs cœurs se remplirent
pour lui d’un amour qui vint s’ajouter à la haute estime
dont il jouissait déjà auprès d’eux. A son invitation,
l’étranger prit la parole et leur adressa dans sa langue
un discours où il leur dit qu’ils étaient les soutiens et les
partisans de la famille d’ c Ali, et la douceur de son lan-

(1) Ainsi qu’on le voit par notre texte, ces prières surérogatoires
qu’on dit dans la nuit pendant le mois sacré, et qui ne reposent que
sur la Sonna, ne son! pas admises par les Fatimides. On peut con-
sulter à ce sujet la Chrestomathie de Sacy, i, 167 ; Sidi-Khalil, texte,
p. 28, 1. 1, et trad. Perron, i, 191 et 536.

(2) C’est-à-dire celles qui sont les plus longues, ou les sourates n
à vu et xviii ; mais il y a néanmoins divergence sur le point de
savoir celles qui méritent le plus cette épithète (voir les commen-
taires de Khalil ad l. I, et le Olctionary of the tçchnical ternis,
p. 658 et 659),

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– 170 –

gage les séduisit si bien qu’ils répondirent sur le champ
à son appel. Alors [P. 122] arriva le frère du cheykh qui,
prônant le maître de ses enfants et le prétendant plus
instruit qu’Aboû c Abd Allah, demanda qu’il y eût entre
eux une discussion contradictoire, pour laquelle rendez-
vous fut pris. Au jour dit, le frère du cheykh arriva avec
ses fils et leur maître ; mais le cheykh, qui savait son
arrivée, réunit quelques-uns de ses cousins qui étaient
devenus ses coreligionnaires et leur dit d’attaquer, quand
la conférence serait commencée, la tente de son frère,
tandis qu’il en plaçait d’autres en embuscade sur le
chemin menant à la tente. Le frère du cheykh était avec
ses enfants et leur maître quand des cris provenant de sa
tente le firent revenir au galop de ce côté ; mais il tomba
dans le groupe placé en embuscade, qui l’assaillit à coups
de sabre et le laissa mortellement blessé sur le terrain.
A cette nouvelle, le cheykh, jouant l’ignorance, s’empressa
d’accourir et reçut les doléances de ses cousins. On égor-
gea alors du bétail pour préparer un repas qui leur était
destiné et où il leur annonça la mort de son frère. Il
employa la ruse auprès d’autres de ses cousins et prit
d’eux des engagements écrits par lesquels ils déclaraient
se soumettre aux ordres du missionnaire, si bien que
beaucoup d’entre eux se joignirent à lui.

Pendant sept ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, le
cheykh fit la guerre avec ses gens et ses cousins. Près de
mourir, il rassembla ces derniers ainsi que ses proches
pour leur recommander de ne pas faire d’opposition au
missionnaire, et mourut après l’avoir spécialement confié
à ses enfants. Les Kotâma obéirent fidèlement à Aboû
c Abd Allah, et quantité d’autres tribus se rendirent à
son appel; il institua un bureau (d’enregistrement) et

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– 171 –

les soumit au service militaire. « Ce n’est pas, leur
disait-il, dans mon intérêt personnel que je vous appelle,
mais pour l’imâm impeccable issu de la famille d’ c Ali,
dont les signes sont tels et tels »; et il leur dépeignait
les miracles qu’il devait faire et que l’intelligence se
refuse à admettre, mais qui furent regardés par eux
comme une chose certaine. «C’est lui, disait-il encore, qui
sera le chef, je ne serai que l’exécuteur de ses ordres
lorsqu’il — c’est-à-dire c Obeyd Allah — paraîtra ». Il ne
l’avait jamais vu, mais il savait par les cheykhs de la secte
ce qui le concernait, et il y ajoutait une foi absolue et
sans réserve. Arrivé enfin à être entièrement maître des
Berbères, il assiégea [P. 123] les villes les prlus impor-
tantes, battit le prince d’Ifrik’iyya et lui enleva le pays.

En 281 (12 mars 894), Ibrahim ben el-Aghlab envoya
Meymoûn H’abechi (*) à Tunis pour y exécuter des Temî-
mites et autres, dont les cadavres furent crucifiés à la
porte de la ville. Les principaux de Tunis se rendirent
avec Meymoûn H’abechi auprès du prince, qui donna à ce
général des vêtements de soie brodée et de brocard, lui
passa au cou un collier d’or, le fit promener à cheval et
le renvoya le lendemain à Tunis. Lui-même se rendit
dans Cette ville le huit redjeb^et s’y installa.

En 282 (1 er mars 895), une trêve de quarante mois fut
conclue en Sicile avec les chrétiens, moyennant la mise
en liberté de mille captifs musulmans et la livraison
d’otages musulmans qui devaient alternativement et par

(1) Je lis Habechi, aiusi que ce mot est écrit plus haut (p. 163)
et conformément à la correction de Dozy. Fournel a accepté la
leçon Hàchemi (i, p. 572).

(2) Correspondant au 12 septembre 894 ; Noweyri donne la date du
31 juillet.

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– i7â —

périodes de trois mois être tantôt arabes tantôt berbè-
res ( l ). En la même année, Ibrahim donna à ses fils des
commandements dans les diverse^ provinces d’Ifrik’iyya.

En 283 (18 février 896), Ibrahim quitta Tunis et re-
tourna à Rak’k ada ; Aboû Mançoûr Ah’med ben Ibrahim
se rendit à Tripoli, et Aboû Bah’r ben Adhem se rendit
en Egypte.

En cette année eut lieu l’affaire de Nefoûsa. Une
vingtaine de mille hommes à pied de ce pays, sans cava-
lerie, s’opposèrent, entre Gabès et Tripoli, au passage
d’Ibrahim ben Ah’med ( 2 ), qui alors les attaqua, les battit
et en massacra la plus grande partie. Puis il s’en alla
tout doucement vers Tripoli, où il fit exécuter Aboû’l-
e Abbâs Moh’ammed ben Ziyâdet Allah ben el-Aghlab,
homme instruit, policé et auteur de divers ouvrages ( 3 ).
Le motif de sa mort fut la lettre adressée par le khalife
abbaside El-Mo c tad’id billâh à Ibrahim ben Ahmed pour
lui reprocher sa cruauté envers les Tunisiens et lui dire
qu’il devait renoncer à de pareils procédés ou trans-
mettre l’autorité à son cousin Moh’ammed ben Ziyâdet
Allah. De Tripoli, Ibrahim se rendit à Tâourghâ, où il
fit exécuter quinze individus dont il fit cuire les têtes,
comme s’il voulait les manger en compagnie de ses
conseillers W. Alors ses soldats prirent peur, car ils le
crurent fou, et un certain nombre l’abandonnèrent. En pré-

(1) Ces cinq lignes figurent dans la Biblioteca (n, 19).

(2) Ibrahim marchait dans la direction de l’Egypte pour y attaquer
Ibn Touloun (Noweyri et Ibn Khaldoun, ap. Des Vergers, p. 131, et
Hist. des Berbères, i, 430).

(3) (îf.Fournel, i, 576, n. 1.

(4j On sait combien cet acte de barbarie est souvent raconté au
moyen-âge (Dozy, Recherches, 3 a éd., i, 37).

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— 473 —

sence de ces défections [P. 126] et craignant de rester
seul, Ibrahim regagna Tunis, et à son arrivée, il frappa
ceux qui l’avaient abandonné d’une amende de trente
dinars, qui fut appelée « l’amende des fuyards. »

En 284 (7 février 897) un mouvement qui se produisit
à Nefoûsa fut cause qu’AboûVAbbâs [ c Abd Allah] ben
Ibrahim massacra un grand nombre d’habitants ; ce
prince fit en outre environ trois cents prisonniers qu’il
mena à son père. Celui-ci les ayant fait venir, un cheykh
s’avança: « Connais -tu, lui dit Ibrahim, ‘Ali ben Aboû
T’âleb? — Veuille Dieu, ô Ibrahim, répondit-il, te mau-
dire à cause de ta tyrannie et te faire périr I » M Ibrahim
le fit égorger, lui arracha le cœur de sa propre main et
fit subir le même supplice à tous les prisonniers sans
exception ; puis leurs cœurs furent enfilés dans une corde
et exposés à la porte de Tunis.

Anecdote relative à Ibrahim ben el-Aghlab et an vertueux cheykh
Aboû’l-Ah’waç.

Aboû’l-Ah’waç Ah’med ben c Abd Allah Mekfoûfi, pieux
ascète voué aux exercices religieux, était originaire de
Sousse( 2 ). Les actes de tyrannie et de cruauté d’Ibrâhîm
devenant tous les jours plus nombreux, il fit venir un
homme de Sousse, à qui il dicta un message adressé à
Ibrahim et où on lisait quelque part : « Homme impie,
tyran et fourbe, tu t’es détourné des lois religieuses de
l’Islam., mais bientôt tu verras ta place marquée dans la

(1) Cette campagne parait n’être que la suite de celle de Tannée
précédente ; Noweyri n’en parle pas (Berbères, i, 430). La réponse du
cheykh, qui était khàredjile, est donnée plus au long et, par suite,
d’une manière plus intelligible, par cet auteur.

(2) Il est parlé de lui dans les mss d’Alger n° 851, f* 9, et 884, f. 29.

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– 174 –

géhenne ; tu y descendras et alors tu sauras. » A la
réception de cette lettre, Ibrahim furieux fit porter à
Aboû’i-‘Ah’waç ce message : « Nous te pardonnons à
raison de ton mérite et de ta piété, mais tu vas nous
envoyer celui qui Ta écrite; faute de quoi, je jure que je
ferai exécuter tels et tels Soussiens, ce dont tu porteras
la responsabilité. — Tues-en mille, répondit le saint
homme, toi seul en seras responsable. Tu réaliserais ta
menace que je ne nommerais pas celui que tu cherches.
Porte ton repentir à ton Créateur et mets un terme à ta
conduite tyrannique ! » Le prince n’osa rien faire, et
Aboû’l-Ah’waç mourut dans Tannée.

WEn 285 (17 janvier 898), éclata en Sicile, entre les
Arabes et les Berbères de cette île, une guerre civile, au
cours de laquelle arriva une lettre d’Ibrâhîm les exhor-
tant à se soumettre et amnistiant tout le monde, sauf
Aboû’l-H’asan [P. 125] ben Yezîd et ses deux fils, ainsi
qu’El-H’ad’rami. On arrêta donc ces quatre personnages
et on les envoya à Ibn el- Aghlab : mais le premier absorba
un poison qui le foudroya, et son cadavre fut crucifié,
puis ses deux fils furent exécutés. Quant à El-H’ad’rami,
le prince mit d’abord des gens pour rire et plaisanter avec
lui, puis il lui dit que ce n’était pas le moment de plaisan-
ter, et il le fit périr sous les verges en sa présence.

En 286 (16 janvier 899), la colère d’Ibrâhîm s’abattit
sur plusieurs de ses pages ( 2 ). Il y eut, la même année,
des difficultés à Biskra entre Aboû’l- c Abbàs ben Ibra-
him ben Ahmed et les Benoû Belt’ît’ ; il dispersa les ban-

(1) Le paragraphe qui suit figure dans la Biblioteca (n, 19).

(2) Peut-être est-il fait là allusion à ce que raconte Noweyri (Ber-
bère8, i, 437 ; voir plus bas).

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– 175 –

des de ces derniers, non sans en tuer un bon nombre, et
Y démêla la situation embrouillée.

<*) En 287 (6 janvier 900), un événement important se
produisit en Sicile. Aboû’l-Abbàs c Abd Allah ben ibràhîm
ben Ah’med, envoyé par son père à la tête de la flotte
pour y remettre les choses en ordre, gagna promptement
Palerme en promettant l’amnistie aux habitants. Mais le
kâdi de cette ville étant venu le trouver avec plusieurs
de ses concitoyens, tous furent emprisonnés ; cependant,
le kadi fut renvoyé. Huit cheykhs d’Ifrik’iyya, qu’il
envoya ensuite aux Palermitains, furent à leur tour, et
par représailles, emprisonnés. Ils attaquèrent ensuite
Aboû’l- c Abbâs, mais furent défaits et subirent des pertes
considérables, en outre de plusieurs bâtiments qui furent
anéantis, si bien que leur fuite ne finit qu’à Palerme même.
Aboû’l-‘Abbâs s’étant alors avancé, leur livra bataille à
la porte de la ville, et par suite des nouvelles et sensibles
pertes qu’il leur infligea, les força à demander quartier,
ce qui leur fut accordé. Il entra à Palerme le 20 ramad’àn
287 (17 septembre 900).

En 288 (25 décembre 900), Ibrahim envoya son fils Aboû
c Abd Allah avec un fort corps d’armée dans le Zâb.

En la même année, le gouverneur de Sicile, Aboû-
c Abbâs, au cours d’une expédition qu’il entreprit, enleva
d’assaut la ville de Reggio, où il fit un butin considérable;
diverses forteresses offrirent de se rendre et payèrent la
capitation W.

En 289 (15 décembre 901), Ibrahim, à la suite des pro-

(1) Ce paragraphe figure dans la Biblioteca (h, 20).

(2) Ces cinq lignes se retrouvent ibid., p. 21 ; j : ai suivi la correction
du nom Reggio, proposée par A mari.

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— 176 –

grès accomplis chez les Kotâma par Aboû c Abd Allah, le
missionnaire (chiite), revint à de meilleurs sentiments et
tâcha, par sa conduite, de satisfaire le peuple et de se con-
cilier les grands: il renonça aux actes arbitraires, abolit
les impôts non canoniques (k’abâlât) et le prélèvement de
la dîme en nature, fit aux propriétaires fonciers [P. 126]
la remise de l’impôt foncier pour cette année, qui prit le
nom A’ année équitable, rendit ses mamlouks à la liberté
et remit aux juristes et aux principaux de K’ayrawân des
sommes considérables, destinées à être réparties par eux
entre les malades et les indigents; mais elles furent gas-
pillées, distribuées à des gens qui n’y avaient pas droit,
et servirent à payer des voluptés et des plaisirs. Il rappela
de Sicile son fils Aboû’l- c Abbâs, et à son arrivée lui confia
l’exercice du pouvoir, de sorte qu’Aboûl- c Abbâs fit à son
gré les nominations de gouverneurs.

Renseignements généraux sur Ibrahim ben Ah’med ; sa mort.

Né le jour des Victimes de 230(17 août 845), il mourut le
lundi 17 dhoû’l-ka c da de la dite année (22 octobre 902) en
pays chrétien ; son cadavre, ramené en Sicile, y fut inhumé
quarante-trois jours plus tard ; il était âgé de quarante-
deux ans et en avait régné vingt-huit, plus six mois et
douze jours W. Pendant les six premières années de son

(1) Les dix lignes qui précèdent figurent ilrid. A mari n’a pas, en cet
endroit, relevé la contradiction que renferme notre texte, d’après
lequel Ibrahim, né en 230, serait mort à l’âge de quarante-deux ans,
en 289 (cf. Fournel, i, 582). Ibrahim mourut devant Cosenza, en Cala-
bre (voir le récit d’Ibn el-Athîr, Annales, p. 249, et Berbères, i, 433).
On peut voir sur ce prince et son caractère des appréciations beau-
coup moins pessimistes dans Noweyri (Berbères, i, 435) et dans Ibn
el-Athir [Annales, p. 247).

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-177 –

règne, son administration fut aussi bonne et ses actes
aussi louables que ceux de ses ancêtres; mais ensuite,
ses procédés changèrent, il se mit à rechercher l’argent,
et d’année en année, le changement alla en s’aggravant.
Sa méchanceté devint terrible, il se mit à faire périr
ses compagnons et ses chambellans, et jusqu’à son fils
Aboû’l-Aghlab et à ses filles, en un mot à commettre des
actes inconnus jusqu’alors. Il était rongé par l’ennui et
dévoré par l’envie. Après avoir dans ses débuts été l’au-
teur de beaux traits et d’actes louables, il fut attaqué
d’une maladie noire qui dérangea ses facultés et lui fit
commettre les méfaits que nous avons dits. On raconte
que, ne retrouvant pas un petit mouchoir avec lequel
il s’essuyait la bouche et qui, tombé de la main d’une
jeune esclave, avait été ramassé par un domestique, il
fit pour cela exécuter trois cents serviteurs ! L’exécution
de son fils, qu’il fit décapiter sous ses yeux, eut pour
cause les soupçons qu’il avait conçus contre lui. Il fit
aussi “trancher sous ses yeux la tête de ses frères au
nombre de huit. Sa mère, [P. 127] chaque fois qu’il nais-
sait une fille à ce prince, la tenait cachée et la faisait
élever secrètement, afin de la sauver de la mort, et elle
arriva ainsi à réunir seize jeunes filles semblables à
autant de pleines lunes. Elle dit alors à Ibrahim, un jour
qu’elle le vit dans des sentiments de clémence : « J’ai,
seigneur, élevé à ton intention de belles esclaves musi-
ciennes que je veux te faire voir. » Il y consentit, et quand
elles furent en sa présence, elle lui dit : « Celle-ci est la fille
que tu as eue dételle femme, celle-là de telle autre », et
ainsi de suite. Sorti de chez sa mère, Ibrahim appela un
de ses esclaves noirs et lui dit d’aller couper la tête de ces
jeunes filles et de les lui apporter. Gomme l’esclave

12

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– 178 –

frappé d’horreur restait immobile : «Va, te dis-je, reprit
Ibrahim, sans quoi tu subiras le premier leur sort. » La
mère du prince, en recevant le messager, fut à son tour
glacée d’horreur par Ténormité du crime, et voulut ren-
voyer l’esclave auprès de son maitre. Mais le nègre lui
répondit que c’était impossible ; il accomplit sa funèbre
besogne et rapporta, les tenant par les cheveux, les seize
têtes qu’il jeta aux pieds de son maitre, que puisse Dieu
punir ! Il fit aussi entrer bon nombre de ses pages dans
le bain, ferma sur eux les portes de l’éluve et les fit ainsi
tous périr. Il commit de nombreux méfaits analogues,
rapportés par Er-Rak’ik’ et par d’autres (*).

En 289 (15 décembre 901), Aboû’l- c Abbàs ben Ibrâhîm
ben Ah’med exigea la restitution des sommes versées
par son père aux juristes et aux principaux habitants
pour être distribuées aux pauvres, « car, dit-il aux
cheykhs dlfrîk’iyya, vous avez profité de la maladie de
mon père et de mon absence pour vous procurer de l’ar-
gent ». Il en fît ainsi rentrer la majeure partie.

En la même année, Aboû c Abd Allah el-Ah’waK 2 ) ben
Aboû’l- c Abbâs se rendit dans la ville de T’obna pour
faire la guerre au Chi c ite. Le 22 dhoû’l-k’a’da (29 octobre
902), il y eut une chute considérable d’étoiles filantes ( 3 ),
de sorte que le peuple appela aussi année des étoiles celle
qui portait déjà les deux noms d’année équitable et d’an-
née de tyrannie.

En 290 (4 décembre 902), une circulaire d’Aboû’MAbbâs

(1) Ces traits de barbarie et d’autres analogues sont racontés par
Noweyri {Berbères, i, 436).

(2) On trouve aussi ce surnom écrit différemment, voir Ibn el-
Athir, Annales y 266, n. 2.

(3) Voir Fournel (i, 582).

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– 179 –

ben Ibrahim invita les différents gouverneurs à faire
prêter le serment de fidélité à son autorité, vu que son
père, la lui ayant transmise et le laissant seul maitre, se
consacrait à la dévotion. Cela se fit avant qu’il connût la
mort d’Ibrâhîm.

[P. 128] Gouvernement d’Aboû’l-‘Abb&s ben Ibrahim ben An’med.

Ce prince fit montre de mortification, se tenant
accroupi sur le sol, rendant justice aux opprimés, faisant
sa société des savants aux avis desquels il recourait, et
ne montant à cheval que pour se rendre à la grande mos-
quée. Certains disaient qu’il agissait ainsi d’après l’avis
des astrologues, et d’autres qu’il était sous le coup d’une
hallucination (*). Il écrivit à son fils Ziyâdet Allah, qu’on
lui avait dénoncé comme ayant des idées de révolte, de
quitter la Sicile et de se rendre auprès de lui. Ziyâdet
Allah, arrivé le 19 djomàda II (19 mai 903), fut dépouillé
par son père des richesses et des approvisionnements
qu’il apportait avec lui, et habita un appartement faisant
partie de la demeure de son père ; en même temps plu-
sieurs de ses compagnons furent emprisonnés.

Aboû’l- e Abbâs ben Ibrahim fut tué le mercredi avant-
dernier jour de cha’bàn (26 juillet 903), ayant régné
depuis la mort de son père neuf mois et onze jours, ou,
depuis que lui avait été remis le pouvoir, treize mois et
vingt -deux jours (*). A la sortie du bain, il se retira dans

(1) Je ne crois pas, malgré l’avis de Dozy, qu’il soit nécessaire de
supposer qu’il y a ici une lacune; le texte porte dL*^-**^ &* f_** <J^>
mots qui, il est vrai, pourraient aussi être rattachés à ce qui suit. —
La portion restante de cet alinéa figure dans la BibL, h, 22.

(2) Sur la date de ce meurtre, voir Fournel (i, 584).

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— 180 —

une demeure (jta) inoccupée et se coucha sur un lit de
jonc après avoir placé son sabre sous sa tête et après
avoir renvoyé tout le monde, sauf deux pages de con-
fiance. Ceux-ci, en le voyant livré au sommeil, se dirent
que l’occasion était bonne pour avancer leurs affaires
auprès de Ziyâdet Allah et rendre ce prince à la liberté
sans qu’il eût plus rien à redouter de son père ; qu’il
prendrait sa place et qu’eux-mêmes auraient de l’in-
fluence auprès du nouveau prince (*). L’un d’eux dégaina
alors le sabre placé sous la tête d’Aboû’l-‘Abbâs et lui en
appliqua un coup si vigoureux qu’il trancha la barbe et
le cou, pénétrant même dans le lit. Son complice franchit
alors un mur de la maison et, arrivant jusqu’à Ziyâdet
Allah, l’informa de la mort de son père. Mais ce prince < 2 >,
craignant quelque embûche, lui dit [P. 129] de prouver
ce qu’il disait en montrant la tête du mort, et le page, en
la lui rapportant presque aussitôt, dissipa tous ses
doutes.

Règne de Ziyâdet AUâh ben Aboû’l-‘Abb&s r Abd Allah ben Ibrahim
ben Ah’med ben el-Aghlab.

– Dès que Ziyâdet Allah fut certain de la mort de son
père, il se débarrassa de ses liens et fit toute diligence
dans la crainte qu’un de ses oncles ne fût mis au cou-

(1) Ce meurtre, selon d’autres, eut Ziyâdet Allah pour instigateur
{Berbères, i, 439; Fourncl, i, 584).

(2) C’est ici que commence la portion du ms d’Arib conservée à
Gotha. Comme Ibn Adhari a le plus souvent reproduit ce texte sans
y rien changer, nous indiquerons par la lettre a ceux des passages
importants qui ne figurent pas dans le ms de Gotha, par b ceux qu’on
trouve dans ce ms et qui manquent dans Ibn Adhari, ces deux lettres
correspondant respectivement aux ( ) et aux [] du texte arabe imprimé.

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– 181 –

rant et ne le devançât dans la prise de possession du
pouvoir. Sitôt arrivé au palais, il fît venir auprès de lui
c Abd Allah ben eç-Çâ’igh et Aboû Moslim Mançoûr ben
Ismâ’il, a l’un et l’autre emprisonnés à raison des
soupçons qu’ils avaient excités a, ainsi qu ,e Abd Allah
ben Aboû Tàleb, et leur dit de faire le nécessaire pour
lui aussi bien que pour eux-mêmes. Ils lui conseillèrent
de faire venir au nom de son père ses oncles et les prin-
cipaux guerriers et officiers. Il le fit, donna des cadeaux
à ces personnages et reçut leur serment de fidélité ; il fit
ensuite proclamer à Tunis que les hommes du djond pré-
sents dans cette ville eussent à se présenter à la porte du
palais. Ces soldats arrivèrent en armes, chacun fut intro-
duit séparément, prêta serment de fidélité et reçut cin-
quante mithkâl; il fut fait de même pour les principaux
habitants, b et le même jour fut rédigé et lu dans la chaire
de la grande mosquée de Tunis l’acte d’investiture 6,
puis on fit prêter serment à la population de la ville, et
les gouverneurs [P. 130] des provinces reçurent Tordre
de faire de même pour leurs administrés ; enfin, à l’appro-
che de la soirée, une proclamation annonça au djond que
les gratifications lui seraient payées le lendemain matin.
Mais les oncles de Ziyâdet Allah disposés à faire défection
attendirent jusqu’à l’arrivée de la nuit. Il les fit enchaîner,
embarquer sur un bâtiment et remettre à des hommes
de confiance, qui reçurent l’ordre de les emmener dans
file d’El-Korrâth <*), à douze milles de Tunis, où ils furent décapités la nuit du vendredi au samedi 3 rama- d’ân. Le djond et les clients se présentèrent le lende- (1) L’île Plane ou Kamela de nos cartes, que cite Bekri (p. 195) ; Tai suivi la transcription de M. de Slane. Voir aussi Fournel, i, 585. Digitized by Google – 182 – main matin pour toucher les gratifications promises; mais quand le commencement du jour fut passé, on leur dit de se retirer, ce jour-là étant consacré aux affaires. Ils se représentèrent le lendemain, ils furent encore renvoyés; cela recommença plusieurs fois, si bien que leur enthousiasme se refroidit et qu’ils trouvèrent ces contradictions rebutantes. Après avoir procédé à son intronisation, Ziyâdet Allah fit venir les deux meurtriers de son père, leur fit couper les pieds et les mains et les fit crucifier à la porte de K’ayrawân et à celle d’El-Djezîra, deux des portes de Tunis. Il fit également mourir son oncle Pascète Aboû’l- Aghlab, qui habitait Sousse, ainsi que son frère (*) Aboû e Abd Allah el-Ah’wal, qu’il rappela de Tobna, b et fit ramener par Fotoûh le chrétien à la tête de cinquante cavaliers b. Il nomma au vizirat b et à la direction des postes b c Abd Allah ben eç-Çà’igh, b à la direction du kharâdj Aboû Moslim Mançoûr ben Ismâ c îl 6, aux fonc- tions de kâdi de K’ayrawân Djemmâs ben Merwân ( 2 ) ben Semmâk Hamadâni, homme dévot et versé dans la con- naissance du rite de Màlek et de ses disciples, qui se montra équitable dans ses jugements et qui, dans l’exer- cice de sa charge b et l’examen des affaires, ne tint aucun compte de la qualité des personnes. (1) Ou son oncle, comme il est dit quelquefois (v. H. des Berb., i, 440 ; Fournel, i, 587 ; Ibn el-Athir. Annales, p. 268). (2) Hammàd ben Merwân dans Noweyri {Berb., i, 440). Il est parlé de ce savant dans les ms 851 d’Alger, f. 9 v., et 884, f. 30 v. ; son nom y est écrit H’ammàs ben Merwân ben Semmàk Hamadâni, et sa mort fixée à 303. L’orthographe H’ammâs est deux fois répétée dans le ms 884 d’Alger, ff. 31 v. et 32, dans les articles consacrés à ses deux fils Sàlim et Harnmoûd, morts Pun en 307 et l’autre en 367. Ni sous Tune ni sous l’autre forme, ce nom ne figure dans le Moschtabih de Dhehebi. Digitized by Google – 183 – En la même année moururent Moh’ammed ben Mo- h’ammed ben el-Faradj Baghdâdi, client des Benoû Hâchim, qui était un homme soigneux et attentif, ainsi que Moh’ammed ben Aboû’l-Minhâl, [P. 131] qui avait une grande situation en Ifrik’iyya. Ziyàdet Allah, pris de soupçon à Tégard d’Ibn el-K’ayyàd, dont les conseils avaient poussé son père Ibrahim à le punir et à l’empri- sonner, le fit exécuter. Alors aussi mourut H’oseyn ben Moh’ammed ben Soleymân, dont le père avait reçu les leçons de Sofyân ben ‘OyeynaW, et qui était un tradi- tionniste et un narrateur sûr b. En cette année fut fondée la ville d’Oran par Moh’am- med ben Aboû c Awn et b Moh’ammed b ben c Abdoûs( 2 ) et par des Espagnols, b Alors aussi moururent le tradition- niste c Ali ben el-Haythem et Ibrahim ben c Othmàn K’orachi Toûnisi, qui étaient l’un et l’autre savants et versés dans les traditions (riwâya). En 291 (23 novembre 903), Moh’ammed ben Ziyâdet Allah fut désigné comme héritier présomptif et reconnu comme tel. b Hodheyl Neft’i, directeur du kharâdj, et Ibn el Manbet, surnommé El- c Idjl, furent exécutés. Le juriste persan Moh’ammed ben Zorzoûr mourut; adepte d’Aboû H’anîfa, il était un habile h’âfiz* et s’occupa d’astronomie et de calcul; son esprit se dérangea, et quand pour l’appeler on lui disait : « Eh corbeau ! » il se mettait à courir et à s’agiter 1 3 ) b. Le gouvernement de K’ayrawân fut donné à c Ali ben (1) Célèbre docteur, mort en 107 hég. (Ibn Khallikàn, 1, 578). (2) Qu’on trouve ordinairement écrit « ‘Abdoùn » (Bekri, 165, etc). (3) Je crois qu’il y a là un jeu de mots entre Zorzoûr, étourneau, et Zawàghi, que je suis tenté de regarder ici comme un adjectif formé du persan l\j corbeau. Digitized by Google — 184 — Aboû’l-Fawàris Temîmi, puis lui fut enlevé et donné à Ah’med ben Mesroûr. Ibrahim ben H’abechi Temîmi fut chargé des opérations militaires contre Aboû e Abd Allah Chi c iW. b En cette année mourut Aboû Dja’far Ah’med ben Dâwoûd Çawwâf, client de Rebî c a, homme de talent remarqué parmi les meilleurs disciples de Soh’noûn; il s’adonna, dans sa jeunesse, à la poésie, puis y renonça. El-H asan ben H’àtim fut envoyé par Ziyâdet Allah en Irak avec des cadeaux et des curiosités b. El -H’asan ben AboûVAych ben Idrîs ben Moh’ammed [P. 132] ben Soleymân ben c Abd Allah ben el-H’asan ben el-H’asan ben c Ali ben Aboû Tâleb succéda à son père, Aboû’l-‘Aych c Isa, dans le gouvernement de DjerâwaŒ. Ziyâdet Allah convoqua à Tunis les juristes d’Ifrîk’iyya pour leur demander de lui venir en aide dans sa lutte contre Aboû c Abd Allah, b Dans la réunion qui fut tenue chez c Abd Allah ben eç-Çâ’igh, directeur des postes b f on étudia cette affaire, et Ibn eç-Çâ’igh leur dit : « L’émir vous fait dire que cet étranger originaire de Çan e à qui, de concert avec les Kotâma, se. révolte contre nous, maudit Aboû Bekr et c Omar, prétendant que les Compa- gnons du Prophète ont après lui apostasie. Il appelle (1) Le nom H’abechi présente diverses variantes qui sont indiquées dans Ibn el-Athir, Annales, p. 291 (Hobeycb, Hawcheb, Khoneych, etc.). Voici la variante b de ce passage : « Ibrahim ben H’abechi quitta Lajlbus pour se mettre en campagne contre Aboû *Abd Allah le chi’ite; il commandait à des troupes nombreuses composées des djonds dlfrik’iyya et s’élevant, dit-on, à 40,000 combattants. ‘Ali ben Aboù’l-Fawàris fut ensuite destitué du gouvernement de K’ay- rawàn et remplacé par Ah’med ben Mesroûr el-Khàl. » (2) Ville fondée par Aboû’1-Aych ‘Isa, sur la rive droite du Kis, à six milles de la mer et à dix milles S.-E. de l’embouchure de la Molouya (Bekri, 180, 207 et 317 ; Edrisi, trad., p. 91 ; ci-dessus, p. 71, et ci-dessous, p. 203 du texte arabe). Digitized by Google – 185 – croyants ses adeptes et infidèles ceux qui ne partagent pas ses croyances, b il permet de verser le sang de ceux qui s’opposent à sa manière de voir. » Les juristes pro- noncèrent Fanathème contre lui, le déclarèrent hors la loi, engagèrent le peuple à le combattre et rendirent des consultations proclamant la guerre sainte b. a Ziyàdet AUâh envoya au khalife Abbaside des présents, compre- nant entre autres choses dix mille mithkâl, dont chacun en valait dix (ordinaires), et portait une inscription for- mée par ces deux vers : [Kâmil] Toi qui vas trouver le khalife, dis-lui : En toutes choses, Dieu t’a donné pour aide suffisante Ziyâdet Allah ben ‘Abd Allah, l’épée de Dieu, qu’il suffit de dégainer pour la protection du khalife a. En 292 (12 novembre 904), b Aboû Moslim Mançoûr ben Ismâ c îl ben Yoûnos se rendit à Rak’k’âda pour restaurer cette ville et remettre tout en ordre ; il fit construire sur le bassin de K’ayrawàn un bateau nommé le glisseur (*). Ziyâdet Allah arriva de Tunis en rebî c II (février-mars 905} et descendit à K’ayrawàn auprès du grand bassin. El-Khâl subit le supplice de la bastonnade et fut promené dans les rues de K’ayrawàn les menottes de bois aux mains et monté sur un mulet bâté. En redjeb (8 mai-7 juin 905), une comète apparut [P. 133] dans la constellation du Capricorne, du côté du Nord, non loin de la Grande Ourse b. L’armée du sultan subit une grande défaite dans les circonstances que voici. Quand Aboû c Abd Allah, le missionnaire, sut que des troupes marchaient contre (1) Bekri parle également de ce bateau (texte p. 26 ; trad. p. 65-66). Digitized by Google – 186 – lui b et qu’il connut combien grand était le nombre des chefs de marque, des héros arabes et des clients qui s’y trouvaient, et quelle était l’importance de leurs appro- visionnements et de leurs engins de guerre, il fut pris de peur, b et convoqua les Kotâma, mais sans employer de liste d’enrôlement ; il se borna à écrire aux chefs des tribus de réunir ceux de leurs hommes qui consenti- raient à lui obéir et désireraient le servir, n’ajoutant rien autre chose sinon que le rendez-vous était tixé à tel jour et en tel endroit, mais en se faisant précéder d’un héraut qui déclarait anathème quiconque n’obéirait pas. Pas un des Kotâma ne manqua à l’appel, et il se constitua ainsi une armée innombrable, b avec laquelle il prit ses dispositions pour livrer bataille à Ibrahim ben H’abechi 6. La rencontre, qui eut lieu à KoboûnaW b et qui dura toute la journée b, fut épouvantable :,elle commença à coups de lance, et quand ces armes furent rompues, les sabres entrèrent en jeu et ne s’arrêtèrent que quand ils furent brisés. Ibrahim fut battu et perdit un grand nombre de ses soldats ; le reste put s’enfuir b à la faveur des ténèbres de la nuit b, car les Kotâma cessèrent la poursuite pour faire main-basse sur les richesses, les armes, les selles, les mors et autres objets. Ces dépouilles, les premières dont s’emparèrent le^ partisans du Chi e ite, leur permirent de se vêtir de soie, de se ceindre de sabres ornés de pierreries, d’employer des selles garnies d’argent et des mors dorés, b et de se constituer une grande réserve [P. 134] d’armes b. La réa- lisation de leurs espoirs exalta leurs esprits; ils se con- (1) Ou trouve ce nom écrit sous diverses formes; je crois qu’il faut lire Belezma (Ibn el-Athir, Annales, p. 291 ; Fournel, n, 63). Digitized by Google – 187 – vainquirent que les promesses de victoire faites par le Chiite n’étaient pas vaines, b que les assurances dé la protection divine qu’il leur avait données étaient bien réelles b, tandis que d’autre part la tristesse et le décou- ragement envahirent les habitants d’Ifrîk’iyya. Aboû e Abd Allah envoya la nouvelle de cette victoire à c Obeyd Allah, qui se trouvait alors à Sidjilmâssa (*), en l’accom- pagnant de fortes sommes W b qu’il lui fit parvenir secrè- tement par quelques Kotâmiens. Voici ce qu’a raconté un homme des Benoû Hâchim ben c Abd el-Mot’t’alib appelé Ahmed ben Moh’ammed ben e Abd Allah berf Dja c far ben c Abd Allah ben c Ali ben Zeyd ben Rekàna ben c Abdoûn ben Hàchim, qui se trouvait alors à Sidjilmâssa avec c Obeyd Allah : « c Obeyd Allah mé fit un don considérable en dinars qu’on ne trouvait pas dans ce pays. Voyant le vif étonnement que suscitait en moi la vue de ces pièces et sachant d’ailleurs que, par mes actes antérieurs, je méritais sa pleine confiance, il me lut le message par lequel Aboû c Abd Allah annonçait sa vic- toire, en me recommandant de n’en rien dire, de ne pas changer ma manière de vivre ni de modifier mes orne- ments ou mes vêtements, ajoutant qu’il y avait autour de . nous des espions et des indicateurs à qui il ne fallait pas que notre enrichissement se trahit par des modifications extérieures. » (1) Le Mahdi, après s’être tenu caché quelque temps en Egypte, était parvenu à Tripoli, et c’est ainsi qu’il avait pu rejoindre Sidjil- mâssa (voir entre autres Fournel, n, 68) ; comparez aussi ses obser- vations de la p. 70 sur les conditions où le novateur habitait cette ville. (2) A ajoute : Obeyd Allah tint cette nouvelle secrète et ne la révéla sous le sceau du secret qu’à quelques hommes de confiance. Digitized by Google – 188 – En cette année mourut le juriste Aboû Sahl Forât ben Moh’ammed e Abdi, qui, après avoir reçu en If rîk’iyya les leçons de Soh’noûn, d’ € Abd Allah ben Aboû H’assân, de Moûsa ben Mo e âwiya et d’autres, se rendit en Orient, où il suivit les cours des principaux disciples de Mâlek. Il était bavard et versé dans les généalogies, connaissait les gens mieux que personne, mais en médisait plus que personne, si bien qu’on le traita de menteur. En cette année aussi, naquit à K’ayrawân Moh’ammed ben Yoûsof el-Warrâk’d) b. En 293 (1 er novembre 905), b Ziyâdet Allah [P. 135] en- voya à Laribus pour combattre Aboû e Abd Allah une armée commandée par Modlidj ben Zakariyyà et Ah’med ben Mesroûr el-Khàl ; mais le lundi 10 djomâda II (8 avril 906), ces deux officiers se révoltèrent, et ils arri- vèrent le jeudi 13 djomâda II (11 avril) avec leurs troupes devant K/ayrawàn. La populace ameutée se porta contre eux et les repoussa; Modlidj, étant tombé par suite d’une bronchade de son cheval, fut aussitôt massacré, de même qu’Ibn Berber ( 2 ), et l’un et l’autre furent crucifiés à la porte de Rak’k’âda. Ziyâdet Allah, .qui s’avançait pour combattre Modlidj, apprit que le peuple l’avait massacré, et la lettre où il annonçait la chose comme une victoire fut lue à K’ayrawân et dans la circonscription. La cause du mécontentement de Modlidj fut le jugement rendu contre lui à propos d’une métairie appelée El-Djelidiyya, dont la propriété lui fut déniée (1) Il s’agit du célèbre auteur dont parle Makkari (n, 112; éd. Bou- lak, n, 129). et que Bekri cite si fréquemment; cf. Fournel, n, 85; Bekri, texte arabe, in ti\, p. 15 ; Tecmilah y éd. Codera, p, 367; (2) Ce nom, que je ne retrouve pas ailleurs, est formé de quatre caractères, dont le premier et le troisième peuvent se lire fe, t 3 n et y. Digitized by Google — 48d — par une sentence du kàdi Djemmàs bén Merwân. La chose lui fut si sensible qu’elle causa sa révolte. En la même année arriva une lettre, dont il fut fait publiquement lecture, d’El-Moktafi billâh, appelant les habitants de l’Ifrik’iyya à aider Ziyâdet Allah dans sa latte contre le Chi c ite. — Le soleil subit une éclipse totale, à l’occasion de laquelle le kâdi Djemmàs ben Merwân dit, devant la population, la prière de l’éclipsé dans la grande mosquée b. Ziyâdet Allah se porta vers Laribus, b à l’ouest de laquelle il établit son camp et où de nombreuses troupes le rejoignirent 6. Il fit de grandes distributions d’argent, qu’on ne pesa même pas ; on se borna à le mesurer en en versant un grand plat dans le pan du vêtement de cfhaque homme, b cérémonie à laquelle présida le prince, à cheval b ; mais ensuite chacun s’en alla et ne reparut plus. De grosses sommes furent ainsi dépensées par le prince, qui fit des prodiges de libéralité, mais le Chiite n’en continuait pas moins ses efforts pour l’emporter. Ziyâdet Allah envoya des troupes à Bâghàya; il garnit T’obna d’une forte garnison, à laquelle il donna pour chefs son chambellan Aboû , l-Mok’âri e H’asan ben Ah’med ben Nàfidh, Chebib ben Aboû Cheddâd K’amoûdi et Kha- fâdja e Absi, braves guerriers tous les trois, qui reçurent Tordre de harceler [P. 136] les Kotàma. Ils s’y confor- mèrent, et de fréquentes rencontres laissèrent sur le terrain bien des morts des deux côtés (*). En cette année fut nommé kâdi de Rak’k’àda Moh’am- med ben f Abd Allah, surnommé Ibn Djemâl [var. H’aymâl], (1) Ces détails, plus complets que ceux d’Ibn el-Athîr (Annales, p. 292), ont été reproduits par Fournel, u, 71. Digitized by Google — 490 — client des Omeyyades, qui n’avait ni science ni crainte de Dieu, et dont le seul titre était la»faveur d’ c Abd Allah ben eç-Çâ’igh. Il était d’une extrême niaiserie et faible d’es- prit. On dit qu’étant jeune, il se vendit, dans une période de détresse, contre des figues, puis qu’il établit sa qualité d’homme libre et fut rendu à la liberté. Des témoins attestant un jour par devant lui qu’une femme avait confié à son fils l’exercice de ses droits, il leur dit : a Est- elle pubère, cette femme qui se fait représenter par son fils ? — Dieu te garde ! lui dirent-ils, puisque c’est son fils, comment donc ne serait-elle pas pubère ? » Et leurs rires le couvrirent de honte. En cette môme année, le médecin Aboû Ya e k’oûb Ish’âk 7 ben Soleymân Isrâ’ili (*) arriva d’Orient en compa- gnie d’Aboû’l-H’asan ben H’âtim et se rendit auprès de Ziyâdet Allah, qui se trouvait alors à Laribus. «Dès mon arrivée, raconte Ish’âk, je me rendis chez le prince, et je vis qu’à sa cour il régnait peu de sérieux et qu’on y recherchait surtout la plaisanterie. Ibn Khanbech (*), sur- nommé El-Yoûnani, m’interpella le premier en ces termes : « Tu prétends que la salure est agréable ? — Sans doute. — Et tu prétends aussi que ce qui est doux est agréable? — Certes. — Alors ce qui est sucré est salé et ce qui est salé est sucré? — Une chose douce, répondis-je, plaît par sa nature bénigne et agréable, et la chose salée, par son (1) Ce médecin, qui est cité par Wûstenfeld {Gesch. d. arab. Aerzte % p. 51), est l’objet d’une biographie d’ibn Aboû Oçcybiyya, traduite par de Sacy (Abdollatif, p. 42). Sa mort y est fixée aux environs de 320, mais il figure encore dans un événement qui eut lieu en 341, à en croire Ibn el-Athir {Annales, p. 357), cf. Fournel, u, 72. (2) Ce nom est écrit Ibn JTobeych L l. } où cette anecdote est aussi rapportée. Digitized by Google – 194 – piquant et sa force. » Comme il persistait à me chicaner à ce propos, je finis par lui dire : « Tu dis que tu vis et qu’un chien aussi vit ? — Certes. — Eh bien ! tu es un chien et un chien, c’est toi. » L’explosion de rire par laquelle Ziyâdet Allah accueillit cette réplique me montra qu’il aimait mieux plaisanter que s’appliquer aux choses sérieuses b ». WEn cette année, Aboû c Abd Allah s’empara de Belezma, ainsi que de T’obna, qui se rendit à composition et où il trouva, à son entrée, qui eut lieu le dernier du mois de dhoû’l-hiddja (20 octobre 906), Aboû’l-Mok’âri* H’asan ben Ah’med, qui y commandait et y prélevait les impôts au nom de Ziyâdet Allah, b et les deux autres chefs pré- cités. Les collecteurs des diverses sortes d’impôts qui se trouvaient dans cette ville b lui apportèrent leurs recettes. [P. 137] L’un d’eux ayant répondu, à sa demande d’où provenait cet argent, qu’il était le produit de la dîme, b Aboû e Abd Allah s’écria : « Mais le produit de la dîme ne peut être qu’en nature, et tu me présentes de l’argent monnayé ! Emportez, dit-il à quelques hommes sûrs de T’obna, cet argent et restituez-le à chacun de ceux qui l’ont versé, et dites aux habitants qu’ils doivent la contri- bution dont Dieu a frappé le sol qu’ils cultivent; le mode de prélèvement de l’impôt traditionnel de la dîme est connu, et la répartition en doit être faite d’après les règles portées dans le Livre de Dieu. » Puis, s’adressant à un autre, il lui demanda d’où provenait l’argent qu’il lui présentait, et il lui fut répondu que c’était le produit (1) Les débuts des Chi’ites en Afrique sont exposés par Ibn el-Athir d’une manière un peu différente. Wtistenfeld (Geschichte der Fati- miden Chalifen) a rapporté successivement les deux versions au commencement de son livre. Digitized by Google ^^Bj^^ -192- de la capitation payée par les juifs et les chrétiens pour Tannée écoulée : « Et comment donc, dit le conquérant, me présentes-tu de l’or ? L’Envoyé de Dieu prélevait sur le riche quarante-huit dirhems, sur l’homme de condition moyenne, vingt-quatre, et sur le pauvre, douze. — J’ai, répondit le percepteur, échangé les dirhems contre de l’or, comme faisait c Omar. — Cet argent, dit alors Aboû e Abd Allah, a une origine légale, » et il le fit répartir par un de ses missionnaires entre les soldats. Au percepteur du kharâdj, il dit que cet argent était impur, car ni impôts anticanoniques (k’abâla) ni kharâdj ne doivent frapper les biens des musulmans, et il le fit restituer à ceux qui l’avaient versé par des gens sûrs de T’obna. Il consentit à recevoir l’argent de la çadak’a, prélevée sur les espèces cameline, bovine et ovine, quand on lui eut dit qu’on n’avait taxé que les animaux soumis par leur âge au paî- ment de cet impôt et que l’argent provenait de la vente faite en bloc des animaux prélevés ; il approuva et auto- risa ce mode de procéder. La population de T’obna le voyant ainsi agir se réjouit, espérant qu’il lui appliquerait les règles du Koran et de la tradition, et la chose s’étant ébruitée dans toute l’Ifrik’iyya, les populations, attirées vers lui, lui adressèrent des lettres d’adhésion et de sou- mission b (*). Ces faits, qui parvinrent à la connaissance de Ziyâdet Allah, [P. 138] lui causèrent un grand souci : il fit b procéder à de considérables levées d’homfnes et b maudire le Chi e ite du haut des chaires des mosquées. b En cette année, Ibn et-T’obni, de retour de Baghdâd, rejoignit Ziyâdet c Abd Allah. — Alors mourut en Sicile (1) A résume en trois lignes tous ces détails relatifs au prélève- ment des impôts. Digitized by Google – 193 – le juriste Aboù Djalar Moh’ammed ben el-Hoseyn Merwezi, qui fut accusé de mensonge W. Cette année vit aussi mourir le juriste Moh’ammed ben el-Monib Azdi, qui suivait le rite des gens de l’Irak (ou hanéfites), et était un homme de bien : on lui offrit le poste de kàdi, qu’il refusa. Citons aussi le décès du dévot Moh’ammed ben Naçr, qui avait une certaine connaissance des tradi- tions, de Moh’ammed ben Aboû H’omeyd Soiïsi et de Zeydân ben Ismâ*il Azdi, deux hommes d’une science sûre b. En 294(21 octobre 906), b à la mi-moh’arrem, Ibrahim ben H’abechi ben c Omar sortit de Laribus à la tête de ses troupes pour attaquer Aboû c Abd Allah à T’obna. c Abd Allah ben Moh’ammed ben Mofarridj, surnommé Ibn ech-Châ c ir, fut destitué de ses fonctions de kâdi de Kast’iliya ; on l’entrava et on l’amena à Laribus par devant Ziyâdet Allah, qui lui fit donner la bastonnade et le jeta enchaîné dans la prison de Laribus. Voici les causes de ce traitement. Les grands de Kast’iliya ayant fait entendre au prince leurs plaintes contre les actes injustes de ce magistrat, Ziyâdet Allah écrivit au gouver- neur de cette province de le destituer, de le charger de chaînes et de l’envoyer ainsi à la cour. Cette lettre étant arrivée en l’absence du gouverneur, plusieurs des plai- gnants se portèrent à l’audience tenue par le kàdi, l’in- jurièrent et voulurent même lui faire violence. Il les fit saisir par ses gardes, battre et emprisonner, de sorte que le gouverneur à son retour constata qu’ c Abd Allah les (1) C’est-à-dire, probablement, de rapporter de fausses traditions, comme le conjecture A mari (Bibl. ar. sic, trad. u, 22). J’ai d’ailleurs vainement cherché le nom de ce personnage dans Ibn Khallikan Nawawi, Ibn el-Athir, Ibn Farhoùn et Karàfi. 13 Digitized by Google – 194 – avait maltraités à son gré ; il le lit enchaîner et entraver, puis l’adressa à Ziyâdet Allah, qui le fit à son tour flageller et emprisonner 0). Cela arriva à la mi-moh’ar- rem (4 novembre 906). Ziyâdet Allah se retira à Rak’k’àda, laissant à Laribus à la tête des troupes Ibrahim ben Ah’med ben Aboû c Ik’àl. Il fit reconstruire les murs de Rak’k’àda en briques et en torchis. Il s’adonna entièrement aux plaisirs et s’amusa tant à se promener sur le lac qu’autrement, fai- sant [P. 139] des vagabonds, des bateleurs, des joueurs de flûte et des vauriens ses compagnons de table. Quand la pensée de l’effondrement de son royaume et de la con- quête par son ennemi de la plupart des territoires qu’il gouvernait revenait troubler son esprit : « Emplis ma coupe, disait-il à l’un de ses compagnons de plaisir, boire me suffit (*) ». Il conçut une vive passion pour KhatYàb, l’un de ses pages, au nom de qui il fit même frapper des dirhems et des dinars; puis il se fâcha contre son favori et le fit jeter en prison enchaîné. Une jeune esclave lui chanta ces vers, pour provoquer sa pitié envers le prisonnier : [Baslt] O prince dont (le nom) est un heureux présage de clémence ! puisque celui que tu aimes est à ta discrétion^ songe combien de cœurs palpitants doivent faire preuve de patience! Daigne Dieu te faire faire violence à tes sentiments ! Le prince pardonna à KhatTâb et lui rendit sa situa- tion. — On s’efforçait de le consoler quand le souci que (1) Cf. le résumé qu’a fait Fournel de ce passage, t. n, p. 73. (2) Annales, d’Ibn el-Athir, p. 294 ; Wùstenfeld, G. der Fatim., p. 22. Digitized by Google – 195 – lui causait le Chiite l’assombrissait, et comme un jour une esclave lui chantait : [Kâmil] Réponds par la constance à la fortune qui t’é- prouve, car tels sont ses procédés : tantôt la joie et tantôt le chagrin, sans que ni l’une ni l’autre durent toujours ; « Tu as raison », s’écria-t-il, et il lui accorda une gra- tification. Djemmâs ben Merwàn obtint, sur sa demande, d’être déchargé des fonctions de kâdi à K’ayrawân, et fut rem- placé par Moh’ammed ben Djemàl (*), qui resta en charge jusqu’à la fuite de Ziyâdet Allah. Au mois de cha’bân (mai juin 907), Aboû c Abd Allah entra à Bâghâya, qui se rendit à composition. Ziyâdet Allah, fort affligé de cette nouvelle, consulta Ibn eç- Çâ’igh, qui lui conseilla de s’enfuir secrètement en Egypte en confiant le commandement de l’armée d’Ifrik’iyya à un général à qui il laisserait l’argent (nécessaire). Il fit, après réflexion, acheter cinq cents chameaux pour préparer sa fuite; mais ensuite, reconnaissant les mauvais côtés de ce projet et redoutant que la population ne se soulevât contre lui, il y renonça. Ibrahim ben H’abechi ben ‘Omar, qui eut connaissance des intentions de fuite de Ziyâdet Allah, les combattit et le fit entrer dans le Château du lac ( 2 ); il lui fit examiner tous les préparatifs qu’il y avait faits et lui tint ce langage : « Quelle comparaison, sei- gneur, y a-t-il à faire entre la construction actuelle et la (1) Ce nom est écrit ici H’ayrnâl, de même que plus bas, mais dans le second passage les deux points du yâ manquent. (2) En arabe, Kaçr el-hahr, ce qui semble bien indiquer que cette scène se passe à Rakkàda, ainsi que l’a conjecturé Foùrnel (n, 74) ; cf. Bekri, p. 66. Digitized by Google – 196 – forteresse où ton aïeul (*) soutint un siège de plusieurs années, alors qu’il avait à lutter contre l’hostilité de la plus grande partie de ses sujets et la révolte des chefs du djondf Pourtant il ne bougea pas et sut s’y maintenir [P. 140] jusqu’à ce que le secours de Dieu lui permit de vaincre ses ennemis. Toi, au contraire, tu disposes de grandes richesses, les troupes te sont affectionnées, le peuple est avec toi, et tu n’as à lutter que contre un cheykh ignoré et qui n’a d’influence que sur les Berbères, alors que tu es abrité dans une forteresse inexpugnable; Dieu te donnera la victoire ! N’écoute pas les conseils qu’on t’adresse et, secouru par la force et la puissance de Dieu, tu resteras le plus fort. » Ziyâdet Allah, rasséréné par ce discours, et conformément au conseil d’Ibrâhîm, fit des envois de troupes et d’argent à Laribus, point frontière extrême, et la cavalerie de cette place répondit par ses incursions contre Bâghàya à celles qu’Àboû c Abd Allah dirigeait de Bâghâya contre Laribus ( 2 ). H’abechi, Ibn Aboû H’adjar et Ibn e Abbâs revinrent des pays chrétiens en compagnie d’un ambassadeur de Constantinople. Ils reçurent des vêtements d’honneur de Ziyâdet Allah, qui installa l’ambassadeur dans le jeu de mail proche de Rak’k’âda ; pour lui faire honneur, il convoqua le peuple à une grande réunion, où il y eut une afïïuence considérable. On dressa de grandes tentes et des huttes autour de Rak’k’âda, et les K’ayrawaniens, qui s’y installèrent, organisèrent des patrouilles dans les environs ; Ziyâdet Allah continua de procéder aux enrôlements et excita le zèle des soldats par des distributions d’argent. (1) C’est-à-dire Ibrahim ben Ahmed, en Tannée 280. (2) Tous ces détails sont résumés par A en trois lignes. Digitized by Google – 197 – Le juriste Moh’ammed ben Aboû’l-Haythem Loulouwi mourut cette année-là, et au mois de cha’bân (mai-juin 907) K’orhob fut nommé chambellan b. En moh’arrem 295 (octobre-novembre 907), Ziyâdet Allah se transporta à Tunis pour tâcher d’y améliorer ses affaires. b Le 6 rebi c II (13 janvier 908), le kàdi Abou l-‘Abbàs ben Djemài M fit devant le peuple la prière pour demander de la pluie. Le 15 du même mois, la charge d’imàm fut enlevée à Ibn Aboû’t-Welid et confiée à Ibn Yezid. Aboû’l-H’asan ben H’âtim, qui avait été envoyé comme ambassadeur à Baghdàd, mourut en chawwâl (juillet 908). [P. 141] Le kâdi Aboû Moûsa c Isa ben Meskin ( 2 ) mourut, et les dernières prières furent dites sur lui dans sa bourgade du Sâh’el par Aboû Dja c far Atfmed ben Khâled Sehmi. Le juriste Aboù c Ayyâch Ah’med ben Moûsa ben Makhled, b descendant de Ghâfîk’, mourut ( 3 ) : disciple de Soh’noûn ben Sa c îd b, c’était un homme de mérite, rempli de la crainte de Dieu, et qui se livrait aux pratiques religieuses, b connaissant bien les livres de son maître, très versé dans les récits, qui eut pour élèves de nombreux habitants de K’ayrawàn ; il lut enterré à la porte de Sâlim ( 4 ). Le juriste Sa c id ben Ish’àk’, client des [Benoû] Kelb et l’un des bons élèves de Solfnoûn ben Sa c id, mourut également; il avait aussi reçu les leçons (1) Sur l’orthographe de ce nom voir la note (1) de la p. 195. (2) Il est parlé de lui par Ibn Farhoùn (ms 5032 de Paris, f. 87 v.) et dans les mss d’Alger n° 851, f. 5, et n» 884, f. 26 v. (3) Ibn Farhoùn parle de lui (l. L, i. 21). (4) Bekri (pp. 63 et 64) énumère les portes de K’ayrawàn. M. de Slane a transcrit Selm le mot que j’ai cru pouvoir écrire Sâlim; cf. infra, p. 162 du texte arabe. Digitized by Google – 198 – de plusieurs cheykhs d’Ifrîk’iyya ; né en 212 (1 er avril 827), il avait souvent fait la guerre sainte (?) et il était versé dans les récits et dans les traditions b. En 296 (29 septembre 908), les cavaliers d’Aboû e Abd Allah pénétrèrent dans (la province de) K’ast’iliya, et Aboû Moslim Mançoûr ben Ismâll, b ainsi que Chebib ben Aboû’ç-Çârim b> furent battus, et se retirèrent vers
Tawzer, où la cavalerie d’Aboû c Abd Allah se déployait,
brûlant les centres habités et détruisant le bétail qu’elle
rencontrait de ce côté, b Les troupes du Chi c ite avaient
reçu de leur chef Tordre de cesser toute expédition et de
ne pas bouger, de sorte que pendant environ deux mois
elles ne firent aucun mouvement, si bien que les uns le
disaient malade et les autres mort. Mais la nouvelle
qu’elles marchaient contre Ziyâdet Allah terrifia ce
prince, jeta l’agitation dans la capitale et bouleversa
les soldats du djond, qui se prirent à désespérer du
pays et à redouter l’esclavage pour leurs femmes et leurs
enfants.

c Abd Allah ben eç-Çâ’igh se mit alors à dire à Ziyâdet
Allah que c’était là le résultat des méchantes manœuvres
et des intentions perverses de ce coquin d’Aboû Moslim.
En effet, Ibn eç-Çâ’igh, d’abord secrétaire d’Aboû Moslim,
sous le règne d’Ibrâhîm ben Ah’med, se brouilla avec lui,
et ses réclamations incessantes aboutirent à la disgrâce
de son ancien patron. Quand se produisirent ces mal-
heureux événements de Kast’iliya et qu’Aboû Moslim fut
chassé de cette province, [P. 142] Ibn eç-Çâ’igh lui en
attribua la responsabilité et attisa la colère de Ziyâdet
contre lui, si bien que ce prince envoya à Chebib ben
Aboû’ç-Çàrim l’ordre de décapiter Aboû Moslim et de
n’inhumer son cadavre qu’après l’avoir crucifié et exposé

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— 199 —

pendant tout un jour et toute une nuit, message qu’il fit
transmettre par des hommes sûrs chargés de s’assurer
de sa mise à exécution. Ghebib, très affligé de cet ordre,
mais ne voyant pas le moyen de s’y soustraire, remit la
lettre à Aboû Mpslim, qui se trouvait alors avec lui à
Tawzer, en lui disant combien cela lui était pénible.
Aboû Moslim, l’ayant lue, seborna à dire : « Nous som-
mes à Dieu et c’est à lui que nous devons retourner
(Korart, h, 151). On a circonvenu ce sot enfant, dont
l’empire est perdu » ; puis, saisissant sa barbe de la main
gauche et se donnant de la droite plusieurs coups sur la
nuque, il ajouta : « Voilà la rétribution qui attend ceux
qui, infidèles aux ordres de Dieu, obéissent aux hommes
et versent un sang sacré. J’en prends Dieu à témoin, si
j’avais laissé ce prince à lui-même et qu’au lieu de lui
conseiller le meurtre de ses oncles et de ses frères
j’eusse suscité ceux-ci contre lui, j’aurais évité ce qu’il
m’inflige maintenant! » Puis, s’adressant à Chebib, il lui
demanda le délai nécessaire pour procéder aux ablutions
légales et faire une prière de deux rek c a destinée à clore
sa vie. Il put dire sa prière, adressa une invocation au
ciel, puis se livra en pleurant au bourreau, qui lui
trancha la tête. Il fut crucifié, puis enterré le lendemain,
15 çafar (22 novembre 908).

En cette année moururent Aboû’l- c Abbâs ben Aboû
Khidâch, préposé aux réclamations contre les actes
arbitraires du temps d’Ibn c Abdoûn, et le juriste Aboû
c Ik’àl ben Kheyr, qui suivait le rite des Irakiens (hanè-
fites), et qui fut secrétaire dlbn c Abdoùn pendant que
celui-ci exerçait les fonctions de kâdi.

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– 200 –

Les Aghlabides quittent l’Ifrlk’iyya et Ziyâdet Allah s’enfuit
de Rak’k’âda.

Aboû c Abd Allah se porta cette année-là en avant et
mit le siège devant Laribus, où se trouvait Ibrahim ben
Aboù’l-Aghlab à la tête des troupes d’Ifrîk’iyya et de
toutes les troupes du djond de cette province. [P. 143] A
la suite de diverses attaques 6, il emporta cette ville
d’assaut et y entra l’épée à la main le samedi 23 djomâ-
da II (19 mars 909). Le gouverneur Ibrahim put s’enfuir
avec un certain nombre d’officiers et d’hommes du djond ;
quant aux habitants et aux soldats survivants, ils s’en-
tassèrent dans la grande mosquée, où ils se montaient
les uns sur les autres. Le vainqueur les fit tous massa-
crer, b si bien que le sang coulait à flots par les portes
du temple, comme l’eau d’une rivière gonflée par une
pluie abondante b. Trente mille hommes, dit-on, furent
égorgés dans l’intérieur du temple, et le massacre com-
mencé dans l’après-midi ne finit qu’à la lin de la nuit.
Le lendemain matin, quand tout eut été égorgé ou pillé,
Aboû c Abd Allah, b craignant un retour offensif des habi-
tants de l’Ifrlk’iyya b, donna le signal du départ et battit
en retraite vers BâghâyaO).

b La nouvelle de cet événement parvint le lendemain
dimanche 24 djornâda II, à Ziyàdet Allah, qui, perdant
ainsi ce qui [lui restait de] possessions b } comprit qu’il
n’avait plus qu’à s’en aller. Mais Ibn eç-Çâ’igh s’attacha
à atténuer les choses et à les représenter sous un faux
jour, b annonçant que le Ghi c ite avait été battu, tout en

(1) Cf. le récit d’Ibn el-Athir, trad. p. 296; Wûstenfeld, p. 26 et 29,
qui n’a pas connu Fournel, n, 77 et 84 ; infrà, p. 204 ; Religion des
Dwzes, i, cclxix.

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– 201 –

faisant crier aux portes de la ville de Rak’k’âda que
ceux qui voulaient rester et recevoir la forte somme de
vingt dinars par cavalier et dix par fantassin n’avaient
qu’à se rendre au palais du prince. Le peuple, en appre-
nant ces distributions, fut pris de sinistres appréhen-
sions, et ne douta plus que Ziyâdet Allah n’eût le
dessous b, [P. 144] mais resta incertain sur ce qu’il devait
faire, tandis que les courtisans et les serviteurs du palais
commençaient à sortir de Rak’k’âda. Alors Ziyâdet Allah
se mit à empaqueter les pierreries les moins lourdes et
l’argent, b et les intimes firent leurs préparatifs pour rac-
compagner b. A l’heure de la prière nocturne du dimanche
au lundi 25 djomâda II (20 mars 909), il ceignit son épée,
monta à cheval et prit la fuite du côté de l’Egypte, pré-
cédé de ses bagages, b des principales de ses femmes, de
ses proches parentes et de ses enfants. Alors une de ses
esclaves, saisissant un luth qu’elle appuya contre sa
poitrine, lui chanta ces vers pour tâcher de se faire
aussi emmener :

[Monsarih’J Je n’ai pas oublié le lieu où, le jour de notre
séparation, elle se tenait les paupières noyées de larmes, ni
ce qu’elle me dit lorsque les chevaux se mirent en marche :
« Tu nous abandonnes, seigneur, et tu pars. » Je confie à Dieu
une gazelle dont le cœur est brisé par la séparation ; mais la
séparation ne me consume-t-elle pas aussi le cœur *?

Les yeux de Ziyâdet Allah se remplirent de larmes en
l’entendant, mais les difficultés de sa situation ne lui
permirent pas de l’emmener (*>, et dans le premier tiers

(1) D’autres disent au contraire qu’il remmena ; cf. infra, p. 168
du texte; Berbères, i, 442 ; Wtistenfeld, 27; Fournel, u, 78.

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– 202 –

de la nuit, il quitta Rak’k’àda, se dirigeant vers l’Egypte b,
et accompagné de ses principaux guerriers, de ses pages
et de ses esclaves noirs; 6 il suivit la grande route b jus-
qu’à Tripoli. e Abd Allah ben eç-Çâ’igh, qui était chargé
de tous les soins et qui veillait sur les serviteurs, se
mit d’accord avec ceux qui devaient transporter les colis
de métaux précieux pour s’en faire adresser trente char-
ges, chacune de seize mille mithkâl, à un rendez- vous fixé.
Mais les conducteurs s’étant trompés dans les ténèbres
de la nuit, ne le rencontrèrent pas et arrivèrent à Sousse,
où Ibn ei-Hamadâni, qui y gouvernait, mit la main sur le
précieux chargement et l’entreposa dans cette ville, dans
le Kaçr er-Ribât’ ; puis cet argent tomba entre les mains
du Chi c ite. D’autre part, le lendemain matin de la fuite
du prince, la population se précipita à Rak’k’àda[P. 145]
et mit au pillage toutes les choses de valeur, vases d’or
et d’argent et autres objets abandonnés par les fuyards,
dont la valeur dépasse toute description, b le plus fort
enlevant au plus faible le butin de celui-ci. Le prince en
fuite s’appelait Aboû Mod’ar Ziyâdet Allah ben c Abd
Allah ben Ibrahim ben Ah’med ben Moh’ammed ben el-
Aghlab, connu sous le nom de Khazer, ben Ibrahim ben
el-Aghlab ben Sâlim ben c Ik’âl Temimi b. Son règne en
Ifrik’iyya avait duré cinq ans onze mois et quatre jours,
et celui de la dynastie dont il fut le dernier représentant,
cent onze ans et trois mois (*).

b Alors Ibrahim ben Aboû’l-Aghlab, qui avait dû s’enfuir
de Laribus, arriva à K’ayrawân avec les quelques offi-
ciers qui l’avaient suivi, descendit à l’hôtel du gouverne-
ment et fit venir les notables de la ville, à qui il tint un

(1) Sur ces deux périodes, voir les remarques de Fournel, h, 78 n.

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• 203 —

discours où il jeta le blâme sur Ziyàdet Allah, apprécia
sévèrement ses actes et l’accusa d’avoir remis le soin
des affaires à des gens qui ne cherchaient que sa chute :
« Les Kotâma, continua-t-il, commettant des ravages,
c’est à vous à soutenir Dieu et notre sainte foi ; [pour les
combattre], il faut que vous me fournissiez des hommes
et de l’argent. » L’heure de la prière du zohr étant ensuite
arrivée, il se fit saluer en qualité d’émir. Mais alors la
population se réunit autour de lui et lui dit : a Notre pays
ne connait pas la guerre civile et nous ne [pourrons]
soutenir les hostilités. Tu n’as pu, malgré armée, arme-
ment et argent, repousser les Kotâma ; comment pour-
rions-nous, avec le seul argent du peuple, en venir à
bout ? » Puis on se mit à crier : « Nous ne voulons pas
t’obéir, ni te reconnaître pour souverain ; éloigne-toi ! »
Il dut sauter à cheval, Pépée à la main, pour repousser
ses agresseurs, et sortit par la porte d’Aboû’r-Rebî c ,
d’où il rejoignit Ziyâdet Allah (*).

Quant à c Abd Allah ben eç-Çâ’igh, qui s’était embarqué
pour se rendre en Orient, l’état de la mer le rejeta à
Tripoli. Il fut mené à Ziyâdet Allah, qui se trouvait en
cette ville et qui, le faisant comparaître devant lui, lui
reprocha de l’avoir quitté. Le ministre s’excusa en invo-
quant le trouble et la crainte dont il avait été saisi. Ziyâdet
Allah ne voulait que lui faire honte ; mais en présence de
l’avis unanime de sa famille et de ses officiers, qui était
de le faire exécuter, il donna au nègre Râchid l’ordre
[P. 146] de le décapiter. Le médecin c Ali ben Ish’âk’ ben
c Imràn racontait que jamais c Abd Allah ben eç-Çâ’igh
n’avait vu le nègre Râchid sans pâlir et que, quand le

(1) Cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 297, et les autres auteurs cités.

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– 204 –

nom de ce dernier venait à être prononcé, son humeur
subissait un changement visible à tous les yeux. « Un
jour, continue ce médecin^ que je lui en demandai le
motif, il me répondit : a Quelque chose me dit que l’ange
de la mort viendra sous les traits de ce noir couper le fil
de ma vie, de sorte que quand je le vois je ne puis plus
me contenir. »

Règne des Chi’ites.

A la nouvelle que Ziyâdet Allah ‘s’était enfui, Aboû
c Abd Allah s’avança de Laribus sur K’ayrawânW. Les
habitants furent effrayés de ses progrès et craignirent
pour leur vie, de sorte que les juristes et les principaux
se portèrent à sa rencontre ; mais Mah’boûb ben c Abd
Rabbihi Hawwâri leur coupa la route le mercredi
27 djomâda II (22 mars), au lieu dit Fah’ç Bàroûk’as,
entre Djeloûla et H’ammâm es-Serâdik’, de sorte qu’ils
durent piteusement se retirer. Ils exposèrent alors par
écrit à Aboù c Abd Allah ce qui leur était arrivé, en lui
présentant leurs excuses et le priant de fixer un lieu où
ils pussent le rencontrer. Il fixa le rendez-vous à la date
du samedi, et au lieu nommé Sâk’iyat Mems< 2 ). Il envoya Gharaweyh M ben Yoûsof Meloûsi à la tète d’un escadron de cavalerie occuper la ville de Rak’k’âda et mettre en lieu sûr les richesses qu’il y trouverait. Cet officier, arrivé le vendredi, dernier jour de djomàda 11(24 mars), trouva (1) Cf. supra, p. 200. (2) Mems est « à TO. de Cairouan. vers la source de la branche orientale du Medjerda C’est le Mampsaron oros de Ptolémée ». {Table gêoyr. de TH. des Berbères). Fournel (u, 86), estime à une faible journée la distance qui séparait Mems de K’ayrawàn. $) Ibn el-Athir orthogiaphie ‘ Aroûba {Annales, p. 298). Digitized by Google – 205 – les gens sortant ou entrant librement; il défendit aux premiers de revenir et expulsa les seconds, mais ne prit d’ailleurs que des mesures bienveillantes b (*). Aboû c Abd Allah s’avança à la tête de sept corps d’armée sur Rak’k’âda, où se trouvaient, [P. 147] à ce qu’on dit, trois cent mille hommes, tant cavaliers que fantassins, et y arriva le samedi l or redjeb (25 mars). Les juristes, les principaux habitants et les chefs des mar- chands de K’ayrawân se présentèrent devant lui, à Sâk’iyat Mems, où ils lui adressèrent les salutations d’usage, lui manifestèrent le désir qu’ils avaient de se soumettre et demandèrent quartier. Il accueillit leur demande et, approuvant leur démarche, promit de les traiter avec générosité et justice, b Or il avait promis aux officiers et aux guerriers Kotâma de leur remettre K’ay- rawân pour qu’ils y agissent à leur guise et répartissent entre eux^tous les biens des habitants. Ils lui exprimèrent leur mécontentement de la sauvegarde qu’il venait de leur accorder et lui rappelèrent ce à quoi il s’était engagé. Il leur répéta alors les paroles du Koran (xlviii, 21): « Et d’autre butin dont vous ne vous êtes pas emparés encore, mais dont Dieu s’est rendu maître », ajoutant qu’il s’y agissait de K’ayrawân. Ils acceptèrent son dire et ne firent aucune résistance b. Après avoir veillé au campement de ses troupes dans les environs de Rak’k’âda, il fit son entrée en cette ville, précédé d’un homme qui lisait les passages du Koran (lix, 2) : « C’est lui qui, au début de l’émigration, a fait sortir de leurs demeures ceux des adeptes des religions révélées qui étaient incrédules, etc. », et encore (1) Voyez le récit d’Ibn el-Athir, l. I. Digitized by Google – 206 — (Xliv, 24) ; « Combien de jardins et de sources n’ont-ils pas abandonnés, etc. ». Il descendit dans le palais dit Kaçr eç-Çah’n. Il envoya à Sousse Gharaweyh ben Yoûsof, qui accorda l’amnistie aux habitants et lui ramena les trente charges d’argent que nous avons dit être entreposées au K’açr er-Ribàt’. Il fit grâce aux Aghla- bides qu’il trouva à K’ayrawàn, ainsi qu’aux officiers de Ziyâdet Allah qui n’avaient pas suivi leur maitre, mais il fit exécuter les nègres clients des Aghlabides, b de même qu’il lit étrangler Ibrahim ben Berber (*) ben Ya c k’oûb Temimi, surnommé El-K’oûs, [P. 147] lesquels songeaient à se soulever; Aboû c Abd Allah disait d’ailleurs qu’il ne se croirait pas en sûreté en Ifrik’iyya tant que vivrait El-K’oûs b. Le vainqueur envoya alors chercher à Tripoli son frère, Aboû’l- c Abbâs el-Mâkh- t’oûm, qui y était emprisonné, ainsi qu’Aboû Dja’far Khazeri et la mère d ,c Obeyd Allah Chi c i, laquelle était en compagnie du précédent. Aboû’l- c Abbâs, qui était un homme vif et verbeux, mais peu réfléchi, voulait expul- ser de K’ayrawân tous les juristes qui ne professaient pas le rite des Médinois [les non-malêkites], mais son frère s’y refusa. Aboù c Abd Allah nomma gouverneur de cette ville El-H’asan ben Ah’med ben c Ali ben Koleyb, connu sous le nom d’Ibn Aboû Khinzir, avec ordre de tuer quiconque sortirait la nuit, boirait des liqueurs enivrantes, en transporterait ou en détiendrait^). A El- K’açr el-k’adim (l’ancien Château), il préposa Khalaf ben Ah’med ben c Ali ben Koleyb, frère d’Ibn Aboû Khinzir, à (1) Ce mot est formé de caractères dépourvus de points diacriti- ques ; peut-être faut-il lire Yezîd. (2) Sur les mesures prises alors à K’ayrawân, cf. Ibn el-Athir trad. p. 299. Digitized by Google – 207 – qui il donna les mêmes ordres, et par qui il fît ajouter, dans la formule d’appel à la prière, les mots accourez à V œuvre excellente, à la suite de accourez à la prière. De la formule d’appel à la prière de l’aurore il fit supprimer les mots la prière vaut mieux que le sommeil. Il fit [rechercher et] réunir tout ce qui avait été pillé à Rak’k’âda, rassem- bler les esclaves de Ziyâdet Allah et mettre en lieu sûr les jeunes filles de son harem, opérations dont fut chargé Ah’med ben Ferroûkh T’obni, le bossu. La direction de la fabrication des monnaies fut confiée à Aboû Bekr, le phi losophe, connu sous le nom d’ibn el-K’amoûdi, qui y fit frapper les mots Louanges à Dieu maître des mondes) ces pièces furent appelées Seyyidiyya. On lisait sur le sceau d’Aboû c Abd Allah, Mets ta confiance en Dieu, tu seras dans la voie du droit évident, et sur celui qu’il employait à sceller les rescrits, «Les paroles de ton maître sont d une vérité et d’une justice parfaites; nul ne peut chan- ger ses paroles ; il est l’entendant et le connaissant (Koran, vi, 115) ». La cuisse des chevaux fut marquée des mots [P. 149] La royauté esta Dieu. Sur les étendards on lisait : « La troupe sera mise en fuite et ils tourneront le dos (Koran, liv, 45). Dis, la vérité est venue et le men- songe s’est évanoui ; certes le mensonge a disparu (Id. xvn, 83) », ainsi que bien d’autres versets de sens analogue. Dans la khotba il fit faire la prière en l’honneur d’ c Ali ben Aboû T’âleb immédiatement après celle en l’honneur du Prophète, b et on y ajouta les noms de Fâtime, d’El-H’asan et d’El-Hoseyn ; il manifesta ouver- tement les opinions chiites en faveur d’ c Ali et hostiles à ceux des compagnons du Prophète qui avaient régné avant lui. Comme kâdi de K’ayrawân, Aboû e Abd Allah nomma, Digitized by Google – 208 – le jeudi 18 cha’bân (11 mai 909), Moh’ammed ben c Omar ben Yah’ya ben c Abd el-A c la Merwezi, qui appartenait au djond de Khorasân, et qui siégea dans la grande mos- quée. Il fit supprimer la prière nocturne de deux rek’a (chaf c ) pendant le mois de ramad’ân, b en argumentant sur ce point contre les juristes : il leur dénia le droit de suivre l’exemple donné par c Omar ben el-KhatTâb en ce qui a trait aux prières perpétuelles pendant ce mois, mais les laissa libres d’ajouter dans l’appel à la prière, à l’exemple d v Ali ben Aboù Tàleb, les mots accourez à l’œuvre excellente: « Suivez, leur disait-il, la même voie que la famille du Prophète, et négligez les additions surabondantes b. » Le premier jour de ramad’ân, Mer- wezi, en arrivant dans la grande mosquée, trouva ces mots écrits sur la paroi de la kibla, à l’endroit même où il devait prendre place : « Y a-t-ii personne de plus injuste que celui qui empêche de mentionner le nom de Dieu dans les mosquées et qui s’efforce de détruire ces édifices, etc. (Koran, II, 108). » Il demanda aux préposés de la rçiosquée qui s’était assis en cet endroit, mais ils l’ignoraient. Il fit alors raturer cette inscription et s’ins- talla ailleurs. Un mauvais drôle, quelque peu sot, se campa un jour au milieu de la foule devant Merwezi et lui dit : « Veuille Dieu te garder I Tu as déjà eu la gracieu- seté de supprimer les prières perpétuelles pendant le mois de ramad’ân ; si tu trouvais le moyen de nous supprimer le jeûne de cette même période, nous n’au- rions plus rien à te demander. — [P. 150] Arrière, mau- dit 1 » cria Merwezi, qui le fit éloigner. Conformément à l’ordre d’Aboù c Abd Allah, les chefs des Kotâma invitèrent les populations à adhérer à leur propre croyance relativement à la supériorité de la Digitized by Google – 209 – descendance d’ c Ali et à la mise à l’index de ce qui n’était pas elle. Beaucoup répondirent à cet appel, et cette croyance, parce qu’elle répondait aux enseignements d’un Oriental, fut appelée orientalisation {techrlW). Aboû ■ Abd Allah va rejoindre ‘Obeyd Allah à Sidjilmâssa. b Après avoir organisé et approvisionné ses troupes pour faire une expédition sur Sidjilmâssa, où étaient emprisonnés c Obeyd Allah Chi c i et son fils Aboû’1-Kâ- sim, b car Aboû c Abd Allah travaillait pour le compte d’ c Obeyd Allah qu’il disait être l’Imâm c alide, il se mit en marche, bien approvisionné, armé et muni de tout le nécessaire, laissant en If rik’iyya son frère A ben c Ali et d’Aboû’l-H’asan T’ayyib ben Ismâ’il, connu sous le nom [P. 157] d’El-H’âd’in b. Il fut reçu par les juristes et les notables de K’ayrawân, qui, en lui présentant leurs vœux et leurs félicitations, lui exprimèrent leur joie de vivre sous son règne et lui demandèrent de confirmer le sauf-conduit qu’ils avaient obtenu. Il leur répondit qu’ils n’avaient rien à craindre pour leur vie ni pour leurs enfants, sans mentionner leurs biens, b et comme quelques-uns, revenant à la charge, parlèrent aussi de ceux-ci, il se détourna b. Aussi les gens réfléchis conçurent-ils dès lors des crain- tes. Il fit son entrée à Rak’k’âda b portant un vêtement de soie grège noirâtre et un lurban de même, et monté sur un cheval roux ; derrière lui s’avançait son fils Aboû’l-K’àsim, monté sur un cheval alezan, vêtu de soie grège couleur safran, avec un turban de même; devant c Obeyd Allah s’avançait, sur un cheval bai brun, Aboû c Abd Allah, avec un vêtement violet foncé, recouvrant une tunique de lin, coiffé d’un turban enroulé d’une étoffe iskenderâni (alexandrine), tenant à la main un mouchoir qui lui servait à essuyer son visage couvert de sueur et de poussière; le peuple l’entourait, et une foule nombreuse le précédait en lui adressant des salutsô. c Obeyd Allah descendit dans le château dit Eç-Çah’n 0), et (1) Ci-dessus, p. 206. Digitized by Google – 219 – son fils, dans le palais d’Aboû’l- Fath\ Le nouveau prince prit le surnom de Mahdi. a Sa généalogie est l’objet de controverses (*); lui-même prétendait être c Obeyd Allah ben Moh’ammed ben Ismâ c îl ben Dja c far ben c Ali ben el-Hasan ben c Ali ben Aboû Tâleb ; cette opinion est aussi celle d’El-Hakam el- Mostançir billâh l’Omeyyade [d’Espagne, 350 à 366 H.]. Mais les autres disent que c’est un imposteur, que sa prétendue généalogie alide manque de base et qu’El- K’âsim ben T’abât’aba r Alide* 2 ) s’est exprimé ainsi: « Je le jure par le Dieu unique, ‘Obeyd Allah le chi c ite n’est pas de notre famille et n’a avec nous aucun rapport de parenté ». Selon Mok’àtil, c Obeyd Allah est le fils de Moh’ammed ben c Abd er-Rah’mân Baçri. Le kâdi Aboû Bekr [Moh’ammed] ben et-Tayyib Bâk’illânif 3 ) a, dans le Kechfel-esrâr vca-heik el-estâr, déshonoré son origine et la fait remonter aux Karmates, ajoutant que c’est Aboû e Abd Allah qui a reconstitué leurs croyances au profit des Obeydites, et qui leur a fourni [P. 158] cette généalogie. Un chroniqueur avance que Dja c far ben c Ali avait une esclave que séduisit un Karmate, ou, selon d’autres, un juif à qui elle donna de l’argent; une pas- sion réciproque les poussant l’un vers l’autre, elle tua Dja c far, et plus tard naquit de leurs relations l’aïeul d’ c Obeyd Allah. Ceux qui ignorent cette dernière version le disent Alide ; ceux qui la connaissent et qui savent ses (1) Cf. Ibn el-Athir, trad., p. 272; Istibrar, trad. fi\, p. 167; ci- dnssus, p. 163 et ci-dessous, p. 292 du texte arabe. (2) Probablement le chérît Alide Aboù’l-K asim T’abàt’abà, dont Ibn el-Athir mentionne la mort sous Tannée 418 (texte, t. ix, p. 256) (3) Théologien ach’arito -f 403 (Ibn el-Athir, Annales, p. 273; ms 851 d’Alger, f. 24). Digitized by Google — 220 — prétentions, le regardent comme un faussaire. Dieu sait mieux la vérité! Tels sont les termes dans lesquels Ibn el-K’atYân parle de cette généalogie a. Le Mahdi fit graver sur son sceau ces mots (Koran, X, 36) : Quel est le plus digne d’être suivi, de celui qui dirige vers la vérité ou de celui qui ne dirige qu étant lui- même dirigé? Qu est-ce qui vous fait savoir comment juger? Il prit comme chambellans Aboû’l-Fad’l Dja’far ben c Ali, Aboû Ali’med DjViar ben r Obeyd, Aboîfl- H’asan Tayyib ben Ismâ^il surnommé El-H’àd’in, Aboû Sa c id c Othmàn ben Sa c id surnommé Moslim Sidjilmâssi; comme secrétaires, Aboû’l-Yeser Ibrahim ben Moh’am- med Baghdâdi Cheybàni ; préposa au trésor public Aboû Dja c far Khazeri; au bureau du kharâdj, Aboû’l-K’àsim ben el-K’adîm ; à la monnaie, Aboû Bekr le philosophe, connu sous le nom d’Ibn el-K’amoûdi ; aux gratifications, c Abdoûn ben H’abâsa ; nomma kâdi de RakVâda Aflah* ben Haroûn Meloûsi; confirma comme gouverneur du canton de K’ayrawàn, El-H’asan ben Aboû Khinzird), et comme kâdi du même lieu, MerwezH 2 *. b Par ses ordres on fit disparaître des mosquées, des réservoirs, des palais et des ponts les noms de ceux qui les avaient élevés, et il les remplaça par le sien b. Le nouveau prince étala au grand jour ses déplorables croyances chi’ites, b en prononçant des injures contre les Compa- gnons du Prophète ainsi que contre ses femmes, n’excep-. (1) Cf. Wiïstenfeld, p. 40 ; Fournel, n, 99 ; Ibn cl-Athir, p. 303. (2) Dès le vendredi qui suivit son arrivée, il fut tenu, sous la pré- sidence d’un homme appelé le C/térif, une séance publique pour inviter, de gré ou de force, la population à embrasser les doctrines professées par les nouveau- venus (Bibars, ap. Relig. des Druzes, i, p. cclxxiv ; Ibn cl-Athir, p. 302 ; Mokaffa, ms 2144 de Paris, f. 220). Digitized by Google — â2l — tant de ceux-là qu v Ali ben Aboû T aleb, El-Mik’dâd ben el-Aswad, ‘Ammâr ben Yàsir, Selmân Fàrisi et Aboû Dherr Ghifàri, les seuls, prétendait-il, qui n’eussent pas apostasie après la mort de Mahomet. [P. 159] Merwezi interdit aux juristes de donner aucune consultation en contradiction avec ce qu’il disait, être la doctrine de Dja c far ben Moh’ammed, par exemple l’inexistence du parjure au cas où le divorce définitif est donné comme sanction à un serment, l’exclusive participation des filles aux héritages, et autres points trop longs à énumérer. Les poètes louèrent c Obeyd Allah d’une impiété dont il proclama lui-même le caractère licite, et Ton trouve dans un poème de Moh’ammed el-Bedil, secrétaire d’Aboû K’od’â c a, des vers tels que ceux-ci : [Basîf] A Rak’k’âda est descendu le Messie, là se trouvent Adam et Noé, aussi bien qu’Ah’med le prophète élu et le bélier destiné au sacrifice ; là réside la divinité ornée de ses hauts attributs et en dehors de qui il n’y a rien que du venu*). Cependant le prince irrité blâma très vivement le poète et lui fil honte de son œuvre. Les Kotàma, dans les premiers temps qu’ils occupè- rent rifrik’iyya, employaient comme formule de ser- ment «par le droit de celui qui connaît les choses cachées et le témoignage de notre seigneur, le Mahdi résidant à Rak’k’âda! » Alors l’un des jeunes gens de K’ayrawân écrivit ces deux vers que des camarades firent adroi- (1) Ces vers se retrouvent aussi dans Elmaciu (ap. Religion des Druzes, intr., 396), et dans Ibn el-Athir, {Annales, p. 372), celui-ci les attribue à Ibn Hàni, à tort d’après M. de Goeje (Mém. sur les Car- mathes, 167). Digitized by Google – 22â — tement parvenir par une main inconnue à c Obeyd Allah: [Modjtatth] La tyrannie nous pouvons la supporter, mais non l’impiété ni la sottise. Toi, qui te targues de connaître les choses cachées, qui donc a écrit ceci ?(•>

Ce billet vexa profondément le Mahdi, qui en fit secrè-
tement chercher l’auteur, mais ses investigations n’abou-
tirent à aucun résultat.

Dans le pays des Kotâma, Babàb se souleva cette
année-là et réunit sous ses drapeaux de nombreuses tri-
bus berbères. c Obeyd Allah envoya à ceux de cette région
qui lui restèrent fidèles Tordre de combattre les insur-
gés, dont la plupart furent massacrés tandis que Babàb
était fait prisonnier, et il fut donné à K’ayrawân lecture
d’une lettre annonçant cette victoire. La tribu des Zenàta
retourna vers Tâhert et y assiégea Dawwâs ben Çoûlât,
ce qui força c Obeyd Allah à envoyer des troupes contre
eux ; le général qui les commandait et qui était appelé
le grand cheykh (*), battit les Zenàta et leur fit subir de
fortes perles.

A la fête de la Rupture du jeûne, Aboû’l-K’âsim se
rendit, accompagné d’Aboû c Abd Allah Chi e i et d’officiers
Kotàmiens au moçalla de Rak’k’àda et y fit la prière
devant le peuple, ainsi que la khotba. [P. 160]. Cette fête
était la première qu’il célébrait en If rik’iyya en y faisant
la prière, et c Obeyd Allah fit, à ce propos, lire dans les
chaires de K’ayrawàn et des cantons qui en dépendent,
un message émanant de lui b.

(1) On dit aussi que ces vers furent insérés dans un placet présenté
au khalife Fatimide Hàkem {Druses, intr. p. 392).

(2) C’est-à-dire Aboû Moùsa Hàroùn ben Yoùnos (Moka /fa).

1

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– 223 –

Aboû e Abd Allah Chi e i se rendit au Maghreb b avec
plusieurs officiers et missionnaires Kotâmiens pour y
mettre un terme aux troubles et à rinsécurïté des rou-
tes, résultats du soulèvement des tribus berbères contre
les administrateurs de ce pays b. II y conquit diverses
villes dont les habitants furent ou tués ou réduits en
esclavage ; b les nombreux messages par lesquels il
annonça ses diverses victoires furent lus dans [les mos-
quées d’] Ifrik’iyyaW.

Alors mourut Djebala ben H’ammoûd ben Djebala
ÇadafiW, client d^Olhmân ben c Afïân; juriste et ascète,
il avait compté parmi les principaux disciples de Soh’-
noûn, s’était retiré de la vie mondaine et avait quitté son
père du vivant même de celui-ci, qui était au service du
prince et avait de la fortune ; plus tard, il renonça à la
succession paternelle, qui était d’environ 8,000 mithkâL

Alors aussi moururent le juriste Di c àma ben Moham-
med, l’un des principaux élèves de Sohnoûn, qui avait
été kâdi en Sicile sous les Aghlabides, — le kâdi Mo-
hammed ben c Abdoûn — Ahmed ben Mohammed ben el-
Aghlab Temîmi — et c Abd Allah ben Aboû’l-Minhâl.

Le jour de la fêle des victimes, Aboû’l-K’àsim fit la
prière en public et prononça la khotba, faits que rapporta
un message d’ c Obeyd Allah, dont il fut donné lecture à
K’ayrawàn ( 3 >.

(1) C’est d’après notre texte qu’il est parlé de ces événements dans
FourncJ (h, 99) et Wûstenfeld (p. 40).

(2) Je lis Çadafiy d’accord avec Ibn Farho£n, qui fait mourir ce
savant en 299 (ms ar. 5032 de Paris, f. 51), et avec le Mokaffa de Ma-
krizi ; voir aussi les mss d’Alger 851 f. 8, et 844, f. 28.

(3) Peut-être ce renseignement fait-il double emploi avec quelque
chose d’analogue qui est dit quelques lignes plus haut.

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— 224 —

En cette année encore moururent Moh’ammed ben Khâ-
lid K’aysi, connu sous le nom d’Ibn et-T’arari, et l’un
des principaux élèves de Soh’noûn, — ainsi qù’Aboû’s-
Someyda c , versé dans les belles-lettres et grammairien.
A Rak’k’âda, fut mis à mort le médecin Ah’med ben
Yahya ben T’ayyib, qui était aussi juriste de l’école ira-
kienne (hanéfite) b.

Le vendredi 26 dhoû’l-h’iddja de cette année (5 sep-
tembre 910), Aboû c Abd Allah Chi c i, arrivé à Ténès b et
descendu au lieu dit Et-Thawr b, rassembla les prin-
cipaux Kotâma, s’entretint avec eux d’ c Obeyd Allah
]P. 161] et chercha, de concert avec ses auditeurs, un
moyen de le déposer : « Ses actes, dit- il, ne ressemblent
en rien à ce que devraient être ceux du Mahdi, en faveur
de qui j’ai fait de la propagande. Je crains de m’être
trompé à son sujet et d’avoir été victime de la même illu-
sion qu’Abraham, qui crut voir son maître dans la pre-
mière étoile dont l’éclat perça l’obscurité de la nuit. Il
faut donc que vous aussi bien que moi nous le mettions à
l’épreuve et que nous cherchions sur sa personne les
signes que doit porter l’Imâm b et qui sont connus des
syndics des chérifs. D’après la tradition, en effet, leur
affirma-t-il, le vrai Mahdi doit porter ces mots écrits
entre les omoplates : « Mahdi envoyé de Dieu » tout
comme le Prophète avait au même endroit le sceau de
la prophétie; il doit faire des miracles évidents et pou-
voir imprimer son cachet sur la pierre ( J ) b. » Le résultat
de cette conférence fut que lui et plusieurs Kotâmiens
convinrent de tenter cette épreuve après leur retour à

(i)

Cf. sur cette expression la note des Annales, p. 305.

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– 225 –

RakVàda, et Gharaweyh ben Yoûsof s’entendit égale-
ment avec eux à ce propos.

En 298 (8 septembre 910), Aboû c Abd AUàh pénétra en
pays berbère et y porta la guerre chez les Çadîna et les
Zenâta, où il se livra au meurtre et au pillage, réduisit
les enfants en esclavage et livra plusieurs villes aux
flammes, b Le récit de ces victoires, envoyé à e Obeyd
Allah, fut, par ordre de ce prince, lu publiquement b, et
le vainqueur retourna à RakVàda b après avoir passé de
nombreux mois en Maghreb. Ce fut après son retour que
b Gharaweyh ben Yoûsof informa e Obeyd Allah des pro-
pos tenus sur son compte à Ténès par Aboû c Abd Allah
et de l’entente intervenue avec plusieurs Kotâmiens à
l’effet de le déposer. Aussi c Obeyd Allah se vit-il alors
forcé de se tenir sur ses gardes pour déjouer le complot^).

En cette année, Aboû Dja’far Baghdàdi fut chargé du
bureau des recherches conjointement avec c Imrân ben
Aboû Khâlid ben Aboû Selâm.

Alors moururent, en fait de juristes médinois et élèves
de Soh’noûn, Yah’ya ben c Awn [P. 162] ben Yoûsof et
‘Abd Allah ben el-Welid, dit Ibn el-Fondoki(?), ce dernier,
particulièrement connu pour ses vertus et sa réserve. Le
dimanche 16 djomâda I (19 janvier 911) mourut Aboû’l-
Yeser Ibrahim ben Moh’ammed CheybAni Baghdàdi,
surnommé Er-Riyâd’i, qui fut inhumé à la porte de Sâlem.
C’était un homme fin, lettré, habile dans la correspon-
dance et la poésie, auteur de bons livres. Il se rendit
une fois en Espagne auprès de l’imâm Moh’ammed ben
f Abd er-Rah’mân, à qui il présenta une lettre de son
invention et attribuée par lui aux Syriens. Le prince le

(1) Cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 304.

15

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– 226 –

reçut, bien) lui donna Thospitalité et le traita largement
et généreusement, mais il n’ignorait pas que la lettre était
supposée. Quand Aboû’l-Yeser voulut s’en aller, il lui fut
remis une lettre scellée et constituant une soi-disant
réponse au message des Syriens; après avoir franchi la
mer, il en rompit le sceau pour prendre connaissance
du contenu, mais il ne trouva qu’un feuillet blanc au
haut duquel figuraient les seuls mots : « Au nom de Dieu
clément et -miséricordieux ». Il dut alors reconnaître
que sa tromperie n’avait pas réussi et que les cadeaux
qu’il emportait étaient de simples témoignages de libé-
ralité et de faveur, ce qui lui donna une haute idée des
princes et des hommes d’Espagne. Il ébruita cette affaire,
qui provoqua une admiration générale. Aboû’l-Yeser,
après avoir servi en qualité de secrétaire la dynastie
Aghlabide tant qu’elle dura, entra en la même qualité au
service d’ c Obeyd Allah et y mourut. Il est auteur de plu-
sieurs bons ouvrages sur des sujets divers : un Mosned
sur les traditions, le Sirâdj el-hoda, sur le Koran, le
Lak’W el-merdjân f l’opuscule El- Wah’ida wa’l-mou’nisa,
le K’ot’b el-adab, etc.

En cette année, c Obeyd Allah nomma secrétaire, en
remplacement d’Aboû’l-Yeser, Aboù Dja c far Moh’ammed
ben Ah’med ben Ah’med ben Haroûn Baghdâdi, à qui il
accorda sa faveur particulière et aux services de qui il
recourut pour ce qui touchait l’affaire d’Aboû c Abd Allah,
d’Aboû’l- c Abbâs et des Kotàmiens ; ce fonctionnaire fut
pour lui de bon conseil et d’une grande utilité, b C’était
un homme fin et très intelligent arrivé à l’époque de
l’imàm c Abd Allah (*) en Espagne, [P. 163] où il se rendit

(1) C’est-à-dire ‘Abd Allah ben Mohammed, Omeyyade d’Espagne,
H- 300 H.

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– 227 –

populaire et fréquenta les littérateurs ; plus tard, il
n’oublia pas ses anciens camarades de Cordoue qui,
quand ils se rendaient en pèlerinage en passant dans le
pays où il s’était fixé, trouvaient auprès de lui préve-
nances et bon accueil b.

En la même année, les Hawwâra de [la région de]
Tripoli se révoltèrent et mirent à leur tête Aboû Hâroûn
Hawwâri; des Zenâta, des Lemâya (*) et autres tribus
berbères marchèrent contre Tripoli, devant laquelle ils
mirent le siège. c Obeyd Allah envoya contre eux Aboû
Zâki Temmâm ben Mo f â’rik’ Adjàbi (-), qui songeait,
comme Aboû f Abd Allah, à trahir et à déposer le Mahdi
et que celui-ci voulait éloigner, b pour ainsi ne pas lui
laisser deviner son projet de se débarrasser d’Aboû c Abd
j{Ulâh. Ce général, à qui furent confiées des forces consi-
dérables, dispersa les rebelles à la suite de plusieurs
combats et en tua un grand nombre, dont il envoya les
tètes et les oreilles ornées de leurs pendants à Rak’k’âda,
où il en fut fait une exposition publique b.

‘Obeyd Allah fait mettre à mort Aboû ‘Abd Allah et Aboû Zâki

Alors c Obeyd Allah, b conformément à la résolution
qu’il avait prise et à son plan de faire exécuter Aboû Zâki
Temmâm ben Mo’àrik Adjâbi d’abord, puis Aboû c Abd
Allah, envoya l’ordre par écrit à Mâk’enoûn ben Debbâra
Adjâbi, gouverneur de Tripoli b, de mettre à mort le pre-
mier de ces chefs. Ce gouverneur, qui était l’oncle de la
victime désignée, l’envoya chercher et lui montra l’ordre

(1) LemsA lit Lawàta.

(2) II faut probablement lire addjâni (supra, p. 209).

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– 228 –

qu’il venait de recevoir. Après l’avoir lu, Aboû Zâki se
borna à dire : « Exécute, mon oncle, les ordres qui te sont
envoyés! » On lui trancha donc le cou, et la nouvelle en
fut sur le champ envoyée par pigeon à Rak’k’âda. [P. 164]
Cette exécution eut lieu le mardi 1 er dhoû’l-hiddja 298 (*).
Dès qif c Obeyd Allah sut que la première partie de son
projet était réalisée, il ordonna à Gharaweyh ben Yoûsol
Meloûsi et à Djebr ben Nomàsibt 2 ) Mîli de se tenir en
embuscade derrière le Kaçr eç-Çah’n, pour en sortir
quand ils verraient passer Aboû e Abd Allah et son frère
AboiYl- f Abbàs, et les massacrer à coups de lance. Ces
chefs s’étant apostés avec quelques Kotâmiens, e Obeyd
Allah envoya chercher les deux frères pour qu’ils vins-
sent, comme d’habitude, partager son repas. Ils furent
attaqués à l’endroit convenu, et alors Aboû c Abd Allah
s’écria: « Gharaweyh, mon fils! épargne-moi »; mais
l’autre lui répondit: « Je te tue d’après les ordres de
celui à qui tu m’as commandé d’obéir ; a car tu as renoncé
au pouvoir dont tu -lui as préparé l’acquisition ! a » et le
frappant de sa propre main, d’un coup de pique il
l’étendit raide mort. Aboû’l-‘Abbâs reçut pour sa part
dix-neuf coups de lance. A la suite de ces meurtres,
accomplis au moment où le soleil commençait à décliner,
le mardi 1 er dhoû’l-h’iddjat 3 ), les deux cadavres, aban-

(1) C’est-à-dire le 31 juillet 911 ; mais Fournel (n, 106) conteste cette
date et fixe l’exécution d’Aboù Zàki, en partie d’après Ibn Khallikân,
au 19 février de cette année.

(2) Ce nom est écrit par Wûstenfeld, sous la forme qu’il a dans le
Mokaffa, Djebr ben el-K’àsim (p. 44), et Ibn Khaldoûn (Berb., n, 522)
appelle ce second meurtrier H’obacha ben Yoûsof. Cf. infra, p. 237;
Fournel, n, 107.

(3) 31 juillet 911 ; sur cette date, cf. Fournel, n, 106; Wûstenfeld,
p. 44. Makrizi donne la date du 15 djomâda II 298 = 17 février 911
{Moka/fa, ms 2144 de Paris, f. 221 v«\). Aboû ‘Abd Allah aurait encore

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— 229 —

donnés près du canal connu sous le nom d’Ël-Bah % r, y
restèrent jusqu’après l’heure de midi, puis le Mahdi les
fit inhumer dans les jardins et prononça ces paroles :
« O Aboû c Abd Allah, puisse Dieu avoir pitié de toi et
récompenser dans l’autre vie les peines que tu t’es
autrefois données! Quant à toi, Aboû’l-‘Abbâs, puisse
Dieu te refuser toute miséricorde, car c’est toi qui as
détourné ton frère du droit chemin et qui l’as mené à sa
perte ! » Puis il récita les versets (Koran, xliii, 35-36) :
« A celui qui se détournera des dires du Miséricordieux
nous lui amènerons un démon qui s’attachera à lui et le
détournera de la droite voie, .et cet homme se croira
bien dirigé ». Voici en quels termes il fit parler de cette
affaire aux chiites orientaux : « Après les saluts d’usage;
vous n’ignorez pas le mérite des services rendus par
Aboû c Abd Allah et par AboûVAbbâs à la cause de
l’Islam; mais Satan les a fait glisser dans la voie de
l’erreur, et le glaive m’a servi de moyen de purification.
‘ Je vous salue ».

à Des gens dignes de foi rapportent qu’Aboù c Abd
Allah s’étant un jour endormi en présence de ses com-
pagnons, [P. 165] parmi lesquels plusieurs missionnaires
kotàmiens, mit à découvert, par suite d’un mouvement
qu’il fit tout endormi, ses parties naturelles. Les assis-
tants s’entreregardèrent, mais aucun ne s’avança poul-
ies lui couvrir, sauf Gharaweyh ben Yoùsof, qui tira la
couverture sur lui. Quand, à son réveil, Aboû c Abd
Allah demanda qui avait caché sa nudité et qu’il sut que
c’était Gharaweyh : « C’est lui, s’écria- t-il, qui me tuera ! »

vécu en 323, d’après Bekri (p. 182) ; il n’y a là qu’un lapsus certain,
mais qui a échappé à l’attention de son savant traducteur.

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72″*r

— 230 —

Gharaweyh se mit alors à pleurer, lui demandant de le
faire tuer à l’instant: « Non, répondit-il, cela n’est pas
possible, mais, et j’en, prends Dieu à témoin, c’est toi qui
me tueras ». Et la prédiction se réalisa b.

Pendant quelques jours, c Obeyd Allah ne se laissa pas
voir aux Kotâma, puis il recouvra sa confiance en eux,
et il les laissa de nouveau pénétrer auprès de sa per
sonne, mais en prenant la précaution de ne pas les rece-
voir par groupes. Il s’occupa ensuite d’en faire exécuter
quelques-uns et employa pour les faire disparaître diffé-
rents genres de mort.

En cette même année,. Si ben Doûk’àn et Redjâ ben
Aboû K’inna marchèrent avec des forces considérables
contre les Lawàta, chez qui ils portèrent le meurtre et
le pillage et dont ils emmenèrent les enfants en captivité.
c Obeyd Allah fit lire la nouvelle de ses succès à K’ayra-
wàn et dans la région.

En 299 (28 août 911), ce prince envoya vers l’Occident
plusieurs de ses officiers à la tête de nombreux soldats v
pour combattre les Zenâta. Une grande bataille s’enga-
gea au lieu dit Felek MedikW, et les Zenàta y perdirent
un nombre de guerriers incalculable.

La ville de Tâhert fut conquise la même année. A la
suite de la révolte des habitants contre leur gouverneur
Dawwâs et de leur projet de le massacrer, cet officier se
réfugia dans l’ancienne Tâhert, où il organisa la résis-
tance et où la plupart des siens, au nombre d’environ
mille cavaliers, périrent. [Les habitants de Tâhert] appe-
lèrent alors Moh’ammed ben Khazer pour le mettre à
leur tête, allèrent à sa rencontre avec la mère et la famille

(1) On no trouve pas ailleurs le nom de cette localité.

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– 231 –

ainsi que la plus grande partie des armes de Dawwâs, et
l’installèrent dans la ville ; mais ensuite une scission
s’opéra entre eux et lui, de sorte qu’il s’éloigna et rentra
chez lui. c Obeyd Allah envoya alors contre Tàhert “|P. 166J
des forces d’une importance hors ligne, qui, arrivées sous
les murs de cette ville le vendredi 30 moharrem (27 sep-
tembre 911), commencèrent par l’attaquer pendant trois
jours, puis y pénétrèrent par la ruse le mardi 4 çafar
(l or octobre) : les hommes, au nombre de huit mille, fu-
rent massacrés, les femmes et les enfants réduits en
captivité, la ville pillée et incendiée. f Obeyd Allah mit à
la tète de cette [province] Meçâla ben H’aboûs ben Me-
nàzil ben Behloûl Miknâsi. Dâwwàs ben Çoûlàt partit
pour Rak’k’Ada, et le Mahdt le fit exécuter quelque temps
après (*).

h En cette année, il y eut à K’ayrawàn des tremblements
de terre ; des chutes de constructions et des effronde-
ments se produisirent à Elbâs, localité du Sàhel 6(2).

Il y eut à K’ayrawàn une affaire provoquée par les Ko-
tàma b le mardi 20 cha’bànWet par suite de laquelle
plus de mille d’entre eux furent massacrés dans les rues
et marchés de la ville h. Ils réclamaient d v Obeyd Allah
l’autorisation de se livrer au pillage à K’ayrawàn, et il

(1) La prise et la mise à sac de Tàhert sont regardées par Fournel
(ir, 109) ot Wûstenfeld (p. 45) comme la suite des opérations qui
avaient abouti à la victoire de Felek Medik. — En ce qui a trait au
gouvernement de Tàhert par Dawwàs,voir Berbères (n, 523), et cf. i,
244), où il parait y avoir une confusion (cf. Fournel, n, 116).

(2) Ces tremblements de terre sont aussi mentionnés par Ibn el-
Athir, p. 308. Quant à la localité d’Elbas, elle m’est inconnue.

(3) 11 avril 912, mais cf. Fournel, n, 110. On lit le 29 chabàn dans
Wûstenfeld (p 46), ce qui n’est probablement qu’une faute d’impres-
sion.

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\

– 232 –

tâchait de réfréner leurs appétits et d’en rétarder la
satisfaction. [En attendant] ils violentaient et maltrai-
taient les habitants, si bien que ceux-ci, exaspérés,
finirent un jour par se soulever à propos d’un acte de
violence exercé par un Kotâmien du djond sur un mar-
chand de la ville. L’agresseur ayant été repoussé, ses
camarades dégainèrent et voulurent mettre les boutiques
au pillage; mais alors les boutiquiers des soûks se
mirent à crier aux armes, si bien que plus de mille Kotâ-
miens furent massacrés. Le gouverneur de la ville,
Ah’med ben Aboû Khinzir, monta alors à cheval pour
ramener le calme et fit disparaître les cadavres des vic-
times en les jetant dans les égouts.

Alors les Kotâma résidant dans les environs de Rak’-
k’àda ne sortirent plus de chez eux, mais, cessant d’obéir
à e Obeyd Allah, ils mirent à leur tête [P. 167] un jeune
homme, K’âdoù ben Mo c àrik’, connu sous le nom d’El-
Mâwat’it 1 ); ils firent de lui la kibla vers laquelle ils se
tournaient pour prier, écrivirent un livre contenant les
préceptes divins tels qu’ils lui avaient [soi-disant] été
révélés (*) et présentèrent leur chef comme étant le Mahdi
attendu. Ce prétendant devint maître de tout le Zàb et
acquit une puissance véritable, de sorte qu’ c Obeyd Allah
fit marcher contre lui plusieurs de ses officiers, b dont
l’un, Çoûlàt ben Djonda, se joignit, avec environ deux
cents hommes, à celui qu’il devait combattre b. Alors le

(1) Variantes, Màriti et Mâroùti. Le nom de ce prétendant n est
donné ni par Ibn el-Athir, ni par Ibn Khaldoùn, ni par Makrizi ; le
premier de ces chroniqueurs place cette révolte en Tannée 298.

(2) 11 semble que- le texte doit ici être corrigé et complété, et qu’on
doit ajouter, avec les deux premiers auteurs cités, « prétendirent
qu’Aboû ‘Abd Allah était encore en vie».

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– 233 –

propre fils du prince, Aboû’l-K’àsim, fut envoyé par son

père b chez les Kotàma pour y combattre El-Mâwat’i, et

partit à cet effet de Rak’k’àda le samedi 25 ramad’ân

(15 mai 902) 6. Il conquit Constantine et d’autres villes du

pays des Kotàma, et il livra plusieurs combats à son

adversaire. 11 fut abandonné par plusieurs de ses officiers

qui rejoignirent El-Mâwat’i, mais il leur promit le pardon

et usa de procédés assez gracieux pour les ramener.

On exécuta à K’ayrawàn un groupe d’individus accusés
de sympathie pour Aboû c Abd Allah, qui avait voulu se
défaire du Mahdi ; parmi eux figuraient Moh’ammed ben
Aboû Sa c id Mili, préposé au marché (çdhib es-soûk’), c Abd
Allah ben Moh’ammed, surnommé lbn el-K’adim, Mo-
h’ammed ben Aboû Reddjâl Bâghà’i, Aboul-Wahab ben
c Amr ben Zoràra c Abderi, ainsi que plusieurs membres et
[anciens] officiers de la famille Aghlabide.

Il” fut aussi procédé à l’exécution d’Aboû Ibrahim, dit
lbn el-Bidjàwi Korachi Fihri, qui s’était révolté avec les
Tunisiens contre Ibrahim ben Ah’med ben el-Aghlab W .—
En cette année aussi naquit Aboû’t-T’âhir Ismà c îl ben
Aboû’l-K’âsim (*) ben c Obeyd Allah, qui gouverna l’Hri-
k’iyya pendant sept ans b. Alors aussi mourut Ziyàdet
Allah ben c Abd Allah ben Ibrahim ben Ah’rqed ben el-
Aghlab, qui avait fui d’Ifrik’iyya pour se diriger vers
l’Egypte, et qui fut enterré à Jérusalem, a Quand il partit
de K’ayrawàn en emmenant ses femmes, ses richesses et
un millier de Slaves, une de ses jeunes esclaves, pour se
faire emmener aussi, lui chanta ces vers :

(1) Il s’agit, je crois, do la révolte de 280 (voir p. 162).

(2) Le texte porte par erreur « ben Aboû’t-T’âhir », ce qu’a corrigé
Wûstenfeld, p. 86, n. 1.

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– 234 –

[P. 168 ; Monsarih’] Je n’ai pas oublié la station que nous
fîmes au jour de notre séparation, alors qu’elle avait les
paupières noyées de larmes, ni ce qu’elle me dit lorsque les
chevaux se mirent en marche : « Tu m’abandonnes, seigneur,
et tu pars ! » (*)

D’après Tabari, il fit décharger une bête de somme
pour y faire monter celle qui se plaignait ainsi ; mais
‘d’après- e Arib, le prince, bien que touché jusqu’aux
larmes, était trop absorbé par des préoccupations plus
graves, et il dut la laisser. Arrivé en Egypte, il resta huit
jours auprès cT c Isa Noûcheri, gouverneur de ce pays,
puis se rendit à Er-Rak’k’a ; mais rentrée de Baghdâd
lui fut interdite, et Tordre lui fut donné de regagner
l’Egypte. Il mourut empoisonné par un de ses escla-
ves ( 2 ) a.

h En cette année mourut, à l’âge de 87 ans, le juriste
médinois, versé dans la lexicographie, la grammaire et
les beautés de la langue, f Abd AUâh ben Moh’ammed
Temimi, connu sous le nom cTEl-Beydi, descendant
(PAbbâd ben KethirWé.

En 300 (17 août 912), Tripoli se révolta contre c Obeyd
Allah ( 4 >. Le gouverneur qu’y avait nommé ce prince,

(1) Des troïs vers cités p. 201, les deux premiers seulement sont ici
répétés, avec deux variantes.

(2) On n’est d’accord ni sur le lieu ni sur la date de la mort du der-
nier Aghlabide ; voir les textes réunis par Fournel (n, 82).

(3) Qui fut l’ifh des maitres du kàdi Aboû Mohriz Mohammed ben
‘ Abd Allah Kinâni (lbn el- Athir. vi, 23 ; Fr. hist. ar., 266et 374) ; 1 e nom
de ce dernier est orthographié de même par lbn Farhoùn (f. 133 v.
du ms 5032 de Paris) ; cf. ci-dessus, p. 131.

(4) C’est en 299 qu’Ibn el-Athir (p. 308) fait commencer la révolte
de Tripoli et il place en djoniàda II 300 le départ d’Aboû’l-Kasim à la
tête des troupes chargées de réduire cette ville, tandis que notre auteur,
un peu plus bas, le fixe au 2 djomàda I. Tidjàni assigne à cette expé-
dition la date do 303 V. As., 1853, i, p. 142),

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– 235 —

Màk’enoûn ben Debbâra Adjâbi, laissa à ses cousins
kotàmiens toute liberté de maltraiter le peuple et même
de violenter les femmes. La masse alors se souleva, fit
main basse sur les Kotâma qu’on put trouver et les
massacra, de sorte que Mâk’enoûn s’enfuit. Tripoli ferma
ses portes, les Kotàma qui se trouvaient dans la ville
furent massacrés et Moh’ammed ben lsh’àk’, connu sous
le nom d’Ibn el-K’arlin, fut choisi comme chef. Mâk’enoûn
s’était réfugié auprès d’ c Obeyd Allah, dont un corps d’ar-
mée marcha contre les insurgés et les combattit pendant
plusieurs mois.

Aboû’l-K’àsim le Chi c ite revint du pays des Kotàma à
Rak’k’âda, traînant à sa suite Màwat’i et les siens
réduits en captivité. Les vaincus furent promenés dans
les rues de K’ayrawàn montés sur des chameaux; b ils
portaient les longs bonnets d’ignominie ornés de cornes
[P. 169] et étaient, accompagnés de bouffons, b puis ils
furent exécutés à Rak’k’âda.

b En la même année, une révolte éclata en Sicile contre
lés gouverneurs El-H’asan et c Ali, l’un et l’autre fils
d’Ahmed ben Aboû Khinzîr, qui furent chassés et dont
les hôtels furent livrés au pillage. Les habitants vou-
lurent prendre pour chef Ah’med ben Ziyadet Allah ben
K’orhob, qui, repoussant leurs offres, s’enfuit et alla se
cacher dans une caverne. Alors les principaux du pays
se rendirent en corps auprès de lui et le prièrent de
prendre le pouvoir, eux-mêmes s’engageant par acte
écrit à ne pas l’abandonner. Il accepta et écrivit alors au
khalife de Baghdàd El-Mok’tadir qu’il reconnaissait sa
suzeraineté et détenait le pouvoir en son nom en Sicile.
Le khalife lui fit parvenir l’investiture demandée et lui
envoya des étendards et des vêtements de couleur noire,

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– 236 –

ainsi qu’un collier d’or. Ah’med ben Ziyàdet Allah, que
cet envoi remplit de joie, manifesta sa résolution et son
zèle à soutenir les intérêts du khalife b (*).

En la même année, Aboû’l-K’âsim ben ‘Obeyd Allah
marcha contre Tripoli b et quitta à cet effet Rak’k’âda le
dimanche 2 djomâda I W ; f Obeyd Allah expédia aussi
quinze navires de guerre, qui furent, à leur arrivée
devant Tripoli, combattus par la flotte de cette ville et
livrés aux flammes, tandis que ceux qui les montaient
étaient massacrés. Aboû’l-K’âsim, parti par terre, infli-
gea d’abord une leçon aux Hawwâra, puis campa sous
les murs de la ville b, dont il entama un siège si rigoureux
que Ton y mangea les morts. Il reçut alors des offres de
soumission qu’il accepta, mais en refusant tout quartier
à trois individus b qui devaient être remis à sa discrétion,
Mohammed ben Ish’âk’ K’orachi, Moh’ammed ben -Naçr
et un nommé El-Hawh’ah’aW. Après avoir fait son entrée
dans la ville et en avoir pris possession, il ramena ses
troupes à Rak’k’àda en se faisant précéder des trois
personnages cités, qui, après avoir été promenés dans
les rues de K’ayrawàn, montés sur des chameaux et
porteurs des bonnets (d’ignominie) ô, furent exécutés.
Aboû’l-K’âsim fit aussi exécuter à Tripoli ceux des
Aghlabides et de leurs officiers qu’il y trouva.

c Obeyd Allah partit de Rak;kâda [P. 170] et se dirigea
vers Tunis, Carthage et la région du littoral, à la recher-
che d’un emplacement où il pût établir sa capitale. Son

(1) Cet alinéa est traduit dans Amari, Bibl. Ar. Sic, n, 22. Sur cette
révolte, cf. lbn el-Athir, p. 309; Fournel, n, 113.

(2J Voir la note 4 de la p. 234.

(3) Ce nom, probablement altéré, est transcrit « H’oweydj » par
Wûstenfeld, p. 48,

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– 237 –

choix s’arrêta sur la presqu’île de Djemma (*), et il y fit
commencer la construction de la ville qui devait être
Mehdiyya.

b Aboû Dja c far Moh’ammed ben Ah’med ben Hàroûn
Baghdâdi fut nommé au bureau des postes, fonctions
qu’il occupa jusqu’à sa mort.

Moh’ammed ben Aboû Ayyoûb, connu sous le nom de
d’Aboû’l- c Aha, figurait parmi ceux qu’on accusait de
préparer secrètement un soulèvement contre c Obeyd
Allah. Il se cacha, ce qui fut cause qu’on démolit plu-
sieurs maisons [pour le chercher, mais en vain] ; puis il
reparut en répandant dans la ville deK’ayrawân de bons
conseils adressés à c Obeyd Allah en faveur de celle-ci.
Ce dernier le laissa d’abord faire, puis au bout de quel-
que jours le fit mettre à mort.

Aboû Dja c far ben DjabroûnW, marchand d’origine
espagnole et fixé à K’ayrawàn, qui était çâhibW de la
sainte mosquée et des fondouks avoisinant la prison, fut
l’objet auprès du kàdi Merwezi d’une dénonciation con-
firmée par témoignage et l’accusant d’avoir reçu en dépôt
des valeurs importantes ; il fut mis à la question et tor-
turé jusqu’à ce que la mort s’ensuivît b.
En 301 (6 août 913), H’abâsaW ben Yoûsof, envoyé vers

(1) Variante, H’amma,- Sur la^ondation de Mehdiyya, voir Annales ,
p. 314; Foumel, n, 121; Wustenfeld, p. 48. La ville est décrite
notamment par Bekri (p. 72), Edrisi (p. 126), Ibn Khaldoùn (Berb.,
il, 525), Tidjàni (/. As., 1853, i, p. 358), dans Ylstibçâr, p. 13, etc.

(2) La lecture de ce nom, dépourvu de points diacritiques, est
douteuse ; cf. p. 148.

(3) Ce mot est trop vague pour que j’aie osé le traduire ; Wusten-
feld (p. 49) le rend par «qui avait fait construire une magnifique
mosquée, etc. »

(4) Le Nodjoûm et Ibn Khaldoùn orthographient H’obâcha.

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– 238 –

l’Orient à la tête d’une armée que lui confia c Obeyd Allah,
entra dans la ville de SortW b en lui accordant quartier;
les troupes du djond Abbaside qui y tenaient garnison
s’enfuirent, et une circulaire annonçant ces faits d’armes
fut lue dans les mosquées principales d’Ifrik’iyya ; il
pénétra ensuite b dans la ville d’Adjdâbiyya* 2 ), à laquelle
il accorda également quartier et d’où s’enfuirent les sol-
dats Abbasides ; puis ce fut le tour de Bark’a, b c Obeyd
Allah ayant d’ailleurs soin de fournir à H’abâsa les ren-
forts nécessaires b. Les habitants des villes conquises
étaient mis à mort et torturés, leurs biens confisqués, b
et l’on inventait des prétextes pour chercher querelle
[P. 171] aux gens paisibles: ainsi, lors de la prise de
Bark’a, on trouva quelques hommes qui s’amusaient
avec des pigeons, et Habâsa, sous prétexte que ces
oiseaux leur apportaient des nouvelles des Abbasides,
fit allumer un bûcher autour duquel il rangea ces hom-
mes, leur fit manger des lambeaux rôtis de leur propre
chair, puis les fit précipiter dans le feu. A Bark’a encore,
il appela à s’inscrire tous ceux qui désiraient des grati-
fications et une solde élevée ; un certain nombre ayant
répondu à cette invitation, il ordonna aux officiers ( e arif)
kotâmiens de dresser le signalement personnel des ins-
crits, en ajoutant que chacun d’eux devait en garder un
chez soi. Le lendemain, il convoqua les enrôlés pour
toucher les sommes promises et il les fit alors massacrer,
au nombre d’un millier environ, jusqu’au dernier. Sur
leurs cadavres amoncelés, il fit placer un trône où il

(1) Sort ou Çort, au fond de la grande Syrte (Bekri, p. 15 ; Edrisi,
p, 143 ; Istibçâr, trad. fi\, p. 1).

l2) Adjdâbiyya, à 27 lieues S. de Ben-Ghazi, est décrite par Bekri
(p. 14), par Edrisi (p. 157 de la trad.), par Y Istibçâr (trad., p. 58), etc.

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– 239 –

s’assit, et les chefs de la ville, qu’il fit alors introduire,
contemplèrent avec épouvante ce tas des malheureux
assassinés ; trois d’entre eux moururent da peur et de
saisissement. Il se mit alors à les injurier et les menaça
de les faire tous massacrer s’ils ne lui apportaient pas
le. lendemain cent mille mithkâh. Aussi cette somme
lui fut-elle payée b. Des troupes nombreuses furent en-
voyées d’Egypte contre H’abâsa ; une grande bataille
eut lieu, où ce général, b après diverses péripéties b,
mit ses adversaires en déroute, les poursuivit et en tua
beaucoup,

b H’abâsa fit aussi exécuter à Bark’a Hârith et Nizâr,
fils Pun et l’autre de H’ammàl Mezàti, ainsi que plu-
sieurs de leurs enfants et de leurs cousins ; il fit vendre
leurs femmes et confisqua leurs biens. c Obeyd Allah en
effet avait logé chez eux lors de sa venue d’Egypte au
Maghreb et il les accusa de lui avoir volé une charge
d’argent et d’effets ; la réclamation (Ju’il présenta alors
lui valut les insultes de l’un d’eux, qui, s’avançant contre
lui, l’injuria et le souffleta. H’abàsa ne lit en cela qu’exé-
cuter les ordres qu’il avait reçus du prince. Les habitants
de cette ville écrivirent à f Obeyd Allah quels étaient les
procédés de H’abâsa à leur égard : massacre des hom-
mes, captivité des femmes, confiscation des biens. Il
leur répondit en s’excusant, affirmant par serment n’avoir
rien ordonné de ce genre [P. 172J sinon pour les trois
individus cités (*), et il donna à H’abâsa l’ordre de s’éloi-
gner b. Ce général continua donc avec ses troupes de
s’avancer vers l’Egypte, établit son camp au *( 2 )

(1) Plus haut, il n’a été question nommément que des deux fils de
ilammàl Mezàti.

(2) La lecture de deux mots est douteuse : djebel Mahka t

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– 240 –

attaquant les châteaux du voisinage et ne leur laissant
aucun repos tant qu’il ne les avait pas pris et livrés au
massacre et au pillage, tandis que les enfants étaient
réduits en esclavage.

b Aboû’l-K’âsim marche contre l’Egypte b.

En la dite année, Aboû’l-Kâsim ben c Obeyd Allah
quitta Rak’k’âda à la tête de forces considérables et
s’avança contre l’Egypte (*).

Moh’ammed ben Ah’med ben Ziyâdet Allah ben K’or-
hob livra aux flammes, dans le port de Lamt’a( 2 ), la flotte
d’ c Obeyd Allah. El-H’asan ben Ah’med ben ‘Aboû Khin-
zir, qui la commandait, fut égorgé de la propre main de
Moh’ammed ben K’orhob, qui lui coupa ensuite les pieds
et les mains, fit environ six cents prisonniers b et incen-
dia tous les navires b, c Obeyd Allah, quand il apprit ces
événements, b et dans la croyance que sa flotte existait
encore b, envoya des secours, mais Ibn K’orhob combat-
tit et mit en fuite les nouveau-venus, dont les bagages
et approvisionnements tombèrent entre ses mains ( 3 ).

b A K’ayrawân mourut Aboû Bekr Moh’ammed ben
el-H’asan Baçri Korachi. A K’açr et-T’oûb, couvent for-
tifié (ribâf) du voisinage de Sousse, mourut l’ascète Aboû

(1) La campagne du fils (T’Obeyd Allah semble donc être indépen-
dante de celle de Habàsa, qui vient d’être racontée. Plus tard, sous
l’aiyiée 302, ces deux chefs semblent marcher ensemble ; cf. Ibn el-
Athîr, trad. ïi\, p. 312, et le Nortjoûm.u, 181 et 193.

(2) Au sud de Monastir ; c’est la Leptis parva de l’antiquité. Edrist
et Bekri mentionnent cette localité.

(3) Ce paragraphe figure dans la Biblioteca, d’Àmari (n, 23) ; cf.
Fournel, n, 114.

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– 241 –

Yoûnos, à l’enterrement de qui les habitants de K’ayra-
wàn se rendirent b.

En 302 (26 juillet 914), Aboû’l-K’âsim, qu’accompagnait
le général H’abâsa, entra à Alexandrie, qu’il trouva
déserte, les habitants s’étant embarqués avec leurs biens
les plus facilement transportables et ayant abandonné
leurs autres meubles, dont les vainqueurs s’emparèrent.
Aboû’l-K’âsim s’avança alors dans le Fayyoûm, [P. 173]
où il établit son camp jusqu’à ce que le page (fêta)
Mounis arrivât de l’Irak pour le combattre. Habàsa
abandonna alors l’Egypte et se retira au Maghreb, parce
qu’Aboû’l-Kâsim lui avait envoyé du Fayyoûm Aboû
Feridoun, général qui devait le remplacer dans son^
commandement, tandis que lui-même irait rejoindre
Aboû’l-Kâsim au Fayyoûm. Irrité de cette mesure et
s’écriant que, quand il était près de rester vainqueur,
Abôû Ferîdoun allait recueillir le bénéfice et la gloire de
ses faits d’armes, H’abâsa s’enfuit à cheval du côté du
Maghreb à la tête d’une trentaine de ses cousins aussi à
cheval. Une dépêche d’Aboû’l-Kâsim, adressée aux gou-
verneurs [des provinces situées le long] de la route W
leur ordonna de faire bonne garde b et de le prendre s’il
passait à leur portée ; en outre il informa aussi son père
c Obeyd Allah. A l’arrivée de Mounis en Egypte, le lundi
15 ramad’ân (2 avril 915) b, Aboû’l-K’âsim quitta le
Fayyoûm et se dirigea vers l’Ifrîk’iyyaW, en emportant
ce qu’il avait de moins lourd en fait de choses précieuses,

(1) ^ J*J\ JU-ft peut-être, les gens chargés de veiller à la sûreté
des roules. Rapprochez pettc expression de L ^—>Ja3\ J^-> de Zer-
kechi (texte, p. 109, trad. fr. t p. 201).

(2) A la suite de quatre sanglants engagements, au dire d’ibn el-
Athir, (trad., p. 313 ; Wustenfeld, p. 50).

16

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– Ihà –

de vêtements et d’armes. Les troupes égyptiennes, qui
serraient de près l’arrière-garde, lui enlevèrent ses
tentes et une grande quantité d’armes et autres objets.
b Quant à H’abâsa, il gagna d’abord la région de Bark’a,
et delà Nefzâwa b; mais il était serré de- près, b et ses
compagnons l’ayant abandonné, il fut pris et enchainé, b
puis mené à c Obeyd Allah, qui le jeta en prison lui et sa
famille.

Gharaweyh se prépara secrètement à fuir b de Tàhert
b, car il avait appris l’histoire b et la fuite de H’abâsa,
lequel, dit-on, lui avait écrit et espérait le rejoindre
[P. 174] et trouver de l’aide auprès de lui. La capture de
H’abâsa fit prendre peur à Gharaweyh b, qui s’enfuit en
emportant ses richesses, mais qui fut pris et tué b dans
l’Aurès b. Sa lête fut envoyée à c Obeyd Allah, qui, b en
apprenant la complicité du défunt el de H’abâsa b, donna
Tordre d’exécuter celui-ci et tous ses proches. On les
tira donc de prison et on les décapita, après quoi toutes
ces. tètes, chacune portant un écriteau suspendu aux
oreilles et indiquant le nom de celui à qui elle avait
appartenu, furent présentées à c Obeyd Allah, qui les
examina toutes,, y compris celles de H’abâsa et de Gha-
raweyh, et qui s’écria : « Etrange retour des choses de
ce monde ! Ces têtes, pour qui l’Orient et l’Occident
étaient trop petits, les voilà toutes réunies dans ce
panier! » b II les fit jeter secrètement dans la grande
mosquée d’Alexandrie (*).

Alors mourut le juriste Sa c id ben Moh’ammed ben

(1) C’est à K’ayrawàn qu’Ibn el-Athîr place la révolte cT’Aroûba en
302. Si ce chef s’était trouvé à Tàhert, ainsi que le dit le Bayan> son
mouvement vers l’Aurès n’aurait pas été une fuite, mais une tenta-
tive de jonction avec H’abâsa.

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– 243 –

Çabih’ Ghassàni, compagnon et disciple de Soh’noûn ben
Sa c id 6.

Lorsqu’Aboû’l-K’âsim revenant d’Egypte avait passé
dans le voisinage de Bark’a, les habitants de cette ville
lui avaient apporté leurs salutations, et il leur avait dit
qu’il était à la poursuite de H’abâsa pour le punir des
mauvais traitements qu’il leur avait infligés ; il leur
avait ordonné de réparer les brèches des murailles de
leur ville et leur avait donné des Kotamiens pour chefs.
Mais quand il se fut éloigné et qu’on sut dans quelles
circonstances il avait quitté l’Egypte, une émeute éclata
contre les chefs kotamiens, qui furent massacrés. Aboû’l-
K’âsim arriva du Fayyoûm à Rak’k’Ada, le dimanche
10 dhoûl-kVda (26 mai 915).

En 303 (16 juillet 915), b mourut Ziyâdet Allah ben
c Abd Allah ben Ibrahim ben el-Aghlab, à Ramla, lais-
sant comme fortune, au dire de ceux qui étaient auprès
de lui, mille dinars frappés à son nomW b. Il y eut en.
Ifrik’iyya et dans les régions voisines une violente épidé-
mie, qui emporta, [P. 175] parmi les Koreychides habi-
tant K’ayrawân, Aboû’l-Moç c ab ben Zorâra c Abderi.
Cette année vit encore mourir : le kàdi Djemmâs ben
Merwân ben Semmâk Hamadâni, juriste pieux et cons-
ciencieux; Moh’ammed ben c Obâda Soûsi; Khalaf ben
Mo’ammer ben Mançoûr, juriste irakien (hanéfite), qui
avait reçu les leçons de son père, élève d’Asad ben el-
Forât;il avait, dès rentrée des Chiites en If rîk’iyya, adopté
leurs doctrines pour mettre ainsi à l’abri des investiga-
tions des nouveaux maîtres son fils, qui s’était approprié

(1) On a vu ci-dessus (p. 233), la mort du dernier Aghlabide
fixée à l’année 299.

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* -“JUM 11 !

– 244 ^

des valeurs lorsque Ziyâdet Allah s’était’ enfui de Rak’-
k’âda. Son père, Mo’ammer ben Mançoûr, qui avait été
élève d’Ibn Ferroûkh et aussi d’Asad ben el- Forât, dont
l’enseignement était le plus fidèlement rapporté par lui,
disait que l’usage des boissons enivrantes est permis,
que l’abus seul en est interdit. — Alors aussi mourut
dans la torture, à Rak’k’âda, le kâdi Moh’ammed ben
c Omar Merwezi, qui fut inhumé de nuit au Bâb Sàlem.
On rechercha ses biens auprès des habitants de K’ayra-
wân, dont plusieurs, chefs, hommes distingués et mar-
chands, subirent à ce propos la torture.
– b c Obeyd Allah envoya contre Bark’a des troupes
commandées par Aboû Medini ben Ferroûkh LahîçH 1 ) b.
Il nomma directeur du«kharâdj d’Ifrik’iyya le kâdi Aboû
Mo c ammer e Imrân ben Ah’med b ben c Abd Allah ben
Aboû Moh’riz, qui eut ensuite à procéder à la répar-
tition (de l’impôt) sur les propriétés rurales b. Après les
avoir toutes recensées, et relevé les produits annuels
maximum et minimum de la dîme, il divisa le total par
deux, et chaque propriété fut taxée au chiffre ainsi
obtenu.

Des troubles surgirent en Sicile contre Ibn K’orhob, b
dont une partie de la population était d’accord pour
demander le renvoi et écrivit à c Obeyd Allah. En vain le
gouverneur menacé recourut aux cajoleries [P. 176] et
rappela à ses adversaires les serments qu’ils lui avaient
prêtés 6, la guerre civile éclata, et Ibn K’orhob n’eut
pour le soutenir qu’une partie de la population. Il voulut
alors passer en Espagne et fréta à cet effet des bâtiments

(1) Ici comme ailleurs, je conserve la lecture d’Ibn Khaldoûn
Lahîçiy et non LahîcTi.

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– 245 —

qu’il remplit d’une foule d’objets divers ; mais la popu-
lation empêcha la réalisation de son projet, livra au
pillage le contenu de ces navires et emprisonna le gou-
verneur, son fils et son kâdi b connu sous le nom d’Ibn
el-Khâmi. Tous les trois furent enchaînés 6 et envoyés
à c Obeyd Allah, avec une lettre demandant un gouver-
neur et un kâdi, b mais où il était dit aussi que ni soldats
ni secours n’étaient nécessaires b; les Siciliens y ajou-
taient une condition qui irrita ce souverain et les excita
contre eux, au point de lui faire, comme on le verra plus
loin, envoyer une expédition contre euxW.

En.ô moharrem b 304 (juillet 916), Ibn K’orhob et ses
compagnons arrivèrent b enchaînés à Sousse, où se trou-
vait b c Obeyd Allah. Celui-ci fit comparaître l’ex-gou-
verneur devant lui et lui demanda pourquoi il s’était
révolté et avait méconnu les droils de la dynastie ; à
quoi le prisonnier répondit qu’il avait été élevé au
pouvoir malgré lui et qu’il en avait été précipité de
même. f Obeyd Allah emmena ses prisonniers à Rak’-
k’àda, b où, après avoir subi la flagellation, ils eurent
les pieds et les mains coupés près du tombeau d’El-
H’asan ben Aboû Khinzir, à la porte de Sàlem, puis cru-
cifiés sur place.

En rebi e I (septembre 916^, les murs de Mehdiyya
furent terminés et l’on y plaça les portes b.

c Obeyd Allah envoya en Sicile des troupes et des
navires b commandés par Aboû Sa c id connu sous le nom
d’Ed-D’ayf b, qui, pendant plusieurs mois, tint les
rebelles bloqués et en tua un grand nombre. [P. 177] Les

(1) Ce paragraphe, de même que le suivant, figurent dans la
Biblioteca d’Amari (n, 24) ; cf. Founiel, u, 124.

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– 246 –

Kotàma, lancés sur les femmes et les enfants qu’ils trou-
vèrent dans les faubourgs de la ville, assouvirent sur
eux leurs passions et violèrent même les vierges, b Aboû
Sa c id annonça ses succès à c Obeyd Allah, qui lui envoya
(tes renforts considérables en bâtiments et en soldats b.
Les SicUiens alors demandèrent quartier b en s’offrant à
livrer les (principaux) complices de lçur rébellion b ; leur
demande fut entendue et la ville fut démantelée ; b les
‘armes, les chevaux et les esclaves furent livrés, une
contribution de guerre leur fut imposée et Aboû Sa c id
embarqua, pour les envoyer à c Obeyd Allah, les coupa-
bles qui lui furent remis, mais ils furent engloutis par la
mer. Avant de reprendre le chemin de K’ayrawân b, il
nomma au gouvernement de la Sicile Sâlim ben Aboû
Ràchid, avec qui il laissa une troupe de Kotàma (*).

b Aboû Medini, qui avait été envoyé contre Bark’a,
conquit cette ville après un siège de dix-huit mois où la
plupart des habitants avaient été fauchés dans les com-
bats. Le vainqueur en fit périr toute une troupe dans les
flammes, confisqua tous les biens et envoya un groupe
de prisonniers à c Obeyd Allah, qui les fit exécuter.

Cette année-là moururent le kàdi Moh’ammed ben
Aswad ben Gho’ayb Çadini, le juriste Meymoùn ben
c Omar et l’ascète Moh’ammed ben Ah’med Çadafi b.

Meçàla ben H’aboûs* 2 ) s’avança de Tâhert contre Sa c id
ben Çàlih’ ben Sa c id ben Idris, prince de Nàkoûr M, et lui
livra de nombreux combats.

(\) Ce paragraphe se retrouve dans la Biblioteca (n, 26).

(2) Ibn Khaldoùn le cite comme étant l’un des officiers les plus
capables d’ Obeyd Allah (Bey hères, i, 259 et 266; Dozy, Histoire des
Mus. d’Esp.y m, 38).

(3) Cette orthographe établit la prononefation Nakour, et non

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– 247 –

En 305 longtemps reçu l’ensei-
gnement de Soh’noûn et d’autres; ainsi que le kâdi de
Gafça, Mâlek ben c fsa ben Naçr, qui, à deux reprises
formant un total de vingt ans, avait voyagé pour
recueillir les traditions et qui était devenu habile et

(1) A cinq milles au nord de Nàkoûr, dit Bekri, qui ailleurs con-
fond ces deux localités (pp. 209 et 227 ; lbn Haukal, éd. de Goeje,
p. 53; Dozy, Recherches, 3 e éd., n, 279).

(2) Nom d’une lecture douteuse.

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– 2&6 ~.

pénétrant dans cette science. A Rak’k’àda mourut un
Koreychide d’Ifrik’iyya, Aboûl-Fad’l Moh’ammed ben
cendait d’ c Abd el-Melik ben Merwàn. Il avait, pour
pénétrer auprès de ceux de sa race et rester avec eux,
exercé la charge de percepteur d’impôts à Tripoli et à
Tunis, et avait ainsi pu acquérir [P. 184] sa fortune. Les
Chiites le firent périr dans les tortures.

Les habitants ruraux des divers cantons d’Ifrik’iyya
eurent, cette année-là, à payer une contribution nommée
iacTyt* (ruine?) et que (les vainqueurs) prétendirent être
l’arriéré de l’impôt des métairies ^) b.

En 306 (13 juin 918), le lundi l* r dhoû’1-kVda (4 avril
919), Aboû’l-K’âsim ben ç Obeyd Allah partit pour sa
seconde expédition d’Egypte, pour laquelle il réunit des
forces nombreuses composées de Kotâma ainsi que
d’Arabes et de Berbères d’Ifrik’iyya ( 2 ). b Entre autres
conseillers de son père, il emmena Khalil ben Ish’âk’, le
secrétaire Aboû Ghânem, et Menn Allah ben el-H*asan
ben Aboû Khinzir, qu’ c Obeyd Allah déplaça de K’ayra-
wân pour l’envoyer avec Aboû’l-K’âsim, tandis qu’il le
remplaçait en qualité de gouverneur de cette dernière
ville par Aboû Sa’id ed-D’ayf.

Un incendie éclata dans le marché (souk) de K’ayra-
wân, dans la nuit du mardi au mercredi 13 dhoû’l-hid-
dja (16 mai 919).

Cette année-là moururent Aboû Sa c id Moh’ammed ben
Moh’ammed ben Soh’noûn, qui avait été élève de son

(1) Tah’sîf parait avoir ici cette signilication ; cf. suprà, p. 244, où
le même mot est employé, et Dozy, Supplément, s. v. ££^ôj .

(2) Sur cette date, cf. Fournel et les auteurs qu’il cite (n, 135).

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– 257 –

père et qui s’adonna entièrement à l’ascétisme et aux
œuvres de piété, — ainsi qu’Aboû’l-Aswad Moûsa ben
c Abd er-Rah’mân ben DjondobW, connu sous le nom de
Moûsa el-K’at’t’ân, élève de Moh’ammed ben Soh’noûn.
Du temps d ,e Isa ben Meskîn il occupa, à Tripoli, le poste
de kâdi, que lui enleva Ibrahim ben Ah’med pour l’en-
voyer en prison ; il avait fait (un livre en) douze parties
sur les décisions (ah’kâm) du Koran. A Bark’a mourut
aussi Aboû Medîni ben Ferroûkh Labîci, qui demeurait
dans cette ville en qualité de général chi c ite b.

En 307 (2 juin 919), il y eut en Ifrîk’iyya b et dans les
régions avoisinantes, jusqu’à l’Egypte b, une violente
épidémie et une grande cherté de vivres coïncidant avec
les exactions les plus odieuses des Chi c ites, à qui tous
les prétextes étaient bons pour dépouiller le peuple.

Aboû’l-K’âsim envoya contre Alexandrie Soleymân
ben Kâfi, qui commandait son avant-garde. [P. 185] Ce
général, avecdes troupes considérables, Kotâmaet autres,
surprit les habitants sans défense, et cette population,
en présence de ces nombreux cavaliers et des troupes
qu’amena bientôt Aboû’l-K’âsim, évacua complètement
la ville, que ce dernier livra au pillage. Après avoir
informé son père de ce succès, il fit marcher contre le
Fayyoûm Soleymân ben Kâfi, qui y entra de vive force,
s’y livra au meurtre et au pillage, réduisit les enfants en
captivité, b et y préleva l’impôt foncier^). Des troupes
nouvelles, venant d’Ifrîk’iyya, ne cessaient d’affluer au-
près d’Aboû’l-K’âsim, qui, partant d’Alexandrie à la

(1) On lit ben Hahîb, au lieu de Djondob, dans Ibn Farhoûn (ms
5032 P., f. 135 v°).

(2) Voir l’exposé et l’explication de ces rapides succès dans Four-
nel (il, 136) et Wustenfeld (p. 55).

17

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– 258 –

tête d’une armée innombrable et se dirigeant vers le
Fayyoûm, installa son camp à Ochmoûneyn en redjeb
(novembre-décembre 919). Les céréales qu’il y trouva
encore en gerbes et non emmagasinées furent livrées au
pillage b ; aussi les vivres se firent-ils rares tant en
Egypte b qu’au c#mp, puis une épidémie éclata b f et
beaucoup de gens émigrèrent. b Gomme à ce moment
l’Egypte était dépourvue de djond, le peuple réuni déci-
da, après délibération, de confier le pouvoir à Moh’am-
med ben c Ali Mâderâ’i et à son frère Aboû Zenboûr.
Ceux-ci informèrent secrètement AboiVl-K’àsim de l’ab-
sence du djond et de l’état de faiblesse du pays et mani-
festèrent tout leur empressement à le reconnaître, lui
demandant seulement de ne pas les presser parce qu’ils
avaient à compter avec la masse populaire. Ils comp-
taient qu’il les laisserait tranquilles jusqu’à l’arrivée des
guerriers de Baghdâd. Mâderâ’i écrivit d’ailleurs à El-
Mok’tadir pour lui annoncer que l’envahisseur était
campé dans le pays.

Le page Themel arriva à la tète des bâtiments syriens
au secours d’Alexandrie, dans le port de laquelle se
trouvait une flotte chi’ite; il l’attaqua et la battit le di-
manche 17 chawwàl (11 mars 920). [P. 186] Il fit prison-
niers un certain nombre de Kotâma qui la montaient et
les conduisit à Fostât, où on les promena ignominieuse-
ment par les rues, montés sur des chameaux ; parmi eux
figuraient plusieurs officiers chi c ites bien connus pour
leur bravoure W.

b Alors mourut en Ifrîk’iyya le kâdi Moh’ammed ben
Mah’foûz’ Kamoûdi, dont le jugement était médiocre et

(1) Cf. Ibn el-Athir, Annales, p. 316; Fournel, n, 138.

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– 259 –

les sentences injustes b. Ish’âk’ ben Aboû’l-Minhâl devint
kàdi à K’ayrawân.

b Sur K’ayrawân souffla un vent qui rendit l’atmos-
phère d’un jaune noirâtre et en fit disparaître pendant
plusieurs jours la transparence, à ce point qu’on ne dis-
tinguait pas celui à côté de qui l’on était assis. A ce
brouillard succéda l’épidémie dont il a été question.

A cette époque moururent Ah’med ben c Ali ben Doû-
dân le juriste, qui avait entrepris un voyage au cours
duquel il reçut les leçons de Yoûnos et de Mozni; — le
juriste Moh’ammed ben Ah’med ben Yah’ya ben Mihrân,
élève de Moh’ammed ben Soh’noûn ; — Fascète et homme
distingué Aboû Soleymàn Dâwoûd ben Mesroûr Ghas-
sâni ; — Moh’ammed ben c Abd Allah, fils du kâdi Ah’med
ben Mohriz. A Tunis mourut le koreychide Moh’ammed
ben Ah’med ben c Abd Allah ben Sa c id ben Khâlid ben
e Obeyd Allah ben c Amr ben c Othmân ben c Affân, sur-
nommé El-Ba c ra, qui était venu de Médine auprès
d’Ibrâhîm ben Ah’med et qui se rendit deux fois en
Espagne b.

A K’ayrawân, on exécuta, après l’avoir flagellé et lui
avoir coupé la langue e Aroûs, muezzin à la mosquée
du juriste Ibn c Ayyâch, à la suite de la déposition de
plusieurs orientaux (Chiites) qu’il n’avait pas, dans
l’appel à la prière, crié : Accourez à l’œuvre excel-
lente, b La victime était un ascète qui gagnait sa vie à
moudre de la farine et à faire des travaux de sparterie.

Entre autres juristes moururent à K’ayrawân c Abd
Allah ben Moh’ammed ben Yah’ya Ro c ayni, élève de
Soh’noûn; Moh’ammed ben Moûsa Temîmi, cheykh ira-
kain (hanéfite); Ish’âk’ ben Ibrahim ben Aboû c Açim
Fârisi ; Aboû Dja c far Ah’med ben Mançoûr, client des

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— 260 — •

Benoû Temim, connu sous le nom d’Ibn el-Mokra e a
[P. 187] le blanchisseur, qui avait étudié à la Mekke et
en Egypte. Il mourut également bien des marchands,
des serviteurs du sultan et des médecins, dont la liste
allongerait trop ce livre b.

En 308 (22 mai 920), Meçâla, général d’ c Obeyd Allah,
s’avança avec ses troupes dans la direction du Maghreb.
Lorsqu’il approcha de Nakoûr, Çâlih’ ben Sa e id quitta
celte ville pour s’installer solidement dans une montagne
non loin de là, b la montagne d’AboûVHoseyn b, et
Meçâla entra à Nakoûr, dont il prit possession. Il en
repartit pour marcher contre Fez, alors occupée par
Yah’ya ben Idrîs ben c Omar ben Idris, avec sa famille et
ses guerriers. Yah’ya tenta de résister, mais après plu-
sieurs jours de combat il fut mis en déroute, et Meçâla
put prendre possession de Fez.

a Voici des vers du poète des (Chi c ites), relatifs à cette
ville :

[Baslf] Je suis entré à Fez, que je désirais vivement (visi-
ter), mais les émanations du fromage m’ont pris aux yeux
et à la tête. Je n’y rentrerai plus de ma vie, me la donnât-
on même, elle et tous ses habitants (*) ! a

b Aboû Sa c id Moûsa ben Ah’med massacra à K’ayra-
wân Ziyâd ben Khalfoûn le médecin, client des Benoû’l-
Aghlab, qui était savant dans son art et y apportait de
brillantes dispositions naturelles. c Obeyd Allah, qui
avait eu besoin de Ziyâd et lui avait accordé sa faveur,

(1) Bekri (p. 266) cite ces vers et leur donne pour auteur Ibrahim
ben Moh’ammed Açili. — Sur cette campagne de Meçâla, voir Bekri,
p. 283 et 285 ; Berbères, u, 145 et 526 ; Fournel, n, 141.

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– 261 –

l’avait mis en garde contre la rancune que lui gardait
Aboû Sa c id par suite d’un différend survenu entre eux,
lui défendant d’aller à K’ayrawàn pendant qu’Aboû Sa f id
y serait. Ziyàd respecta d’abord cette recommandation ;
mais il entra une fois dans la ville pour y passer la nuit,
et Aboû Sa f id, qui était à RakVàda et le faisait surveil-
ler par des espions, envoya des émissaires le massacrer
dans sa maison même b.

c Obeyd Allah alla habiter Mehdiyya avec sa famille et
y transporta ses richesses et son mobilier, le jeudi
[P. 188] 8 chawwàl (19 février 921), â la suite de l’achè-
vement de son palais, de celui de son fils Aboû’l-K’àsim,
des fortifications de la ville et d’une partie des demeures
des grands, et bien qu’il restât encore des travaux à
exécuter, a Les poètes lui adressèrent à ce propos leurs
félicitations et firent des éloges qui frisaient l’infidélité,
comparant Mehdiyya à la Mekke et disant d’autres cho-
ses indignes d’être citées a. b Les pluies violentes qui
tombèrent à K’ayrawàn et à RakVàda ruinèrent les
constructions et forcèrent f Obeyd Allah à précipiter son
déménagement. Les poètes d’Ifrik’iyya firent, à propos
de son installation nouvelle, des poésies dont nous cite-
rons quelques vers pour montrer ce que ce prince jugeait
permis et laissait dire en poésie :

[Wâfir] Tous mes vœux, ô prince magnanime, pour ton
arrivée qui est pour notre époque un sourire ! Tu t’installes
sur un noble sol qu’ont préparé pour toi tes glorieux messa-
gers. Si le temple et ses entours, si les tombeaux qui s’y
trouvent ont’ une haute importance, il est au Maghreb une
noble demeure vers laquelle se tournent les faces de ceux
qui prient et qui jeûnent : c’est la sacrée et respectable Meh-
diyya. de même que l’on trouve au Tehâma la ville sacrée.

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– 262 –

Le Mak’àm Ibrahim M peut n’y être pas, tes pieds en foulant
le sol de cette cité font comme s’il y était ; et si le pèlerin va
à la Mekke donner un baiser au coin sacré (rokn), nous
donnons le nôtre aux parois de ton palais ! Un empire vieilli
par le cours du temps ne repose plus que sur des bases hors
d’état de résister à l’épreuve ; mais ton empire à toi, ô Mahdi,
sera toujours jeune, et c’est le temps même qui le servira ;
à toi et à ta race, là où vous êtes le monde est à vous, et il
trouvera un imâm en chacun de vous !

En cette année fut exécuté à K’ayrawân le Koreychide
de la branche de Teym c Ali ben Moh’ammed ben c Abd
Allah ben c Abd er-Rah’mân ben Hàchim ben e Abd el-
c Aziz ben c Abd er-Rah’màn ben Aboû Bekr Çiddik\
L’auteur de sa mort fut Aboû Saîd Moûsa ben Ah’med,
qui le soupçonnait d’avoir écrit à f Obeyd Allah pour le
dénoncer comme coupable d’une entente avec les K’ayra-
wâniens [P. 189] à l’effet de provoquer un soulèvement.
c Obeyd Allah, après avoir jugé le Koreychide, le fit em-
prisonner et étrangler.

Alors moururent Aboû Dja c far Ah’med ben Temim,
officier (autrefois) au service des Aghlabides, — l’ascète
et juriste Sa c id ben H’akmoûn ; — Ibrahim ben Yoûnos,
dit Ibn el-Hassab, client de Moûsa ben Noçayr et sur-
nommé le H’àrith [ben c Obàd] du calcul, qui avait rendu
la justice à K’ayrawân et avait été kâdi à Rak’k’âda; —
les juristes irakains Ah’med ben c Abd er-Rah’màn
Lakhmi, élève de Moh’ammed ben Wahb et d’autres, —
ainsi qu’Ah’med ben c Abdoûn ben Wahb. Citons encore

(1) Le «piédestal d’Abraham», que Ton montre encore de nos jours,
est le quartier de roche qui porte, prétend-on, la marque du pied de
ce patriarche : il s’en servit pour continuer la construction de la Ka’ba
quand le mur eut atteint une certaine hauteur.

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– 263 –

la mort du chaste ascète Er-Rebi* ben Hichàra Temimi i.

En 309 (11 mai 921), Meçâla ben H’aboûs conquit et
pilla la ville de Sidjilmàssa, dont le chef Ah’med ben
Midràr fut tué. Il s’éloigna b après en avoir remis le gou-
vernement à El-Mo c tazzben Moh’ammed ben Midràr b (*).

En cette année, le missionnaire Mounib ben Soleymân
Miknâsi dévoila, du côté de Tàhert, les doctrines orien-
tales et (entre autres choses) le caractère licite de choses
réputées illicites. c Obeyd Allah, dit-on, les avait, lui et
d’autres missionnaires, envoyés de divers côtés avec
mission de propager les nouvelles doctrines ; et quand
ils rencontraient des adeptes bien disposés et fermant
les yeux sur ce qui leur était conseillé, ils développaient
et exposaient la foi nouvelle devant la foule. Quand
donc Mounîb crut avoir trouvé dans la montagne de
Wàncherich un terrain favorable, il appliqua les instruc-
tions d’ c Obeyd Allah : un missionnaire, par exemple,
allait trouver la femme de son voisin et avait commerce
avec elle sous les yeux de celui -ci ; puis, en s’en allant, il
disait au mari, en lui crachant à la figure et en le frap-
pant à la nuque : « Supporteras tu tout cela ? » S’il répon-
dait affirmativement, b sa foi était censée complète et b
on le comptait dorénavant parmi les patients W. [P. 190]
Mais le peuple se souleva contre ces missionnaires, et le
meurtre qu’il fit de quelques-uns arrêta les autres W.

Aboûl-K’âsim rentra à Mehdiyya le samedi 1 er redjeb

(1) Cf. Bekri, p. 335; Berbère», n, 259 et 527 ; Fournel, n, 143 ; Wûs-
tenfeld, 58.

(2) Je lis 3o^LoJ\ ^

(3) M. de Goëje admet que Vordalie de patience a pu être prèchée
par un enthousiaste insensé sans cependant faire partie des doctrines
nouvelles (Mém. sur les Carmathes y p. 159).

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– 264 –

(4 novembre 921), de retour de son expédition du Fay-
yoûm, qui avait duré deux ans et huit mois.

c Obeyd Allah fit emprisonner environ deux cents hom-
mes qui avaient publiquement manifesté leurs opinions
chi c ites à K’ayrawàn,à Bàdja et à Tunis, cohabitant avec
des femmes qui leur étaient interdites, mangeant du porc
et buvant du vin en ramad’ân, et cela au su de tout le
monde, grands et petits, si bien que cela fut reproché à
Aboû’l- K’àsim pendant qu’il était dans le Fayyoûm. Ces
faits étant devenus le sujet de toutes les conversations,
‘Obeyd Allah écrivit aux gouverneurs qui le représen-
taient dans ces divers endroits d’envoyer par devant lui
les coupables garrotés. 11 les fit jeter en prison, où ils
moururent pour la plupart. Parmi ces hommes, tous bien
connus en Ifrîk’iyya, figurait Ah’med Balawi le marchand
d’esclaves, qui, quand c Obeyd Allah était à Rak’k’àda,
priait en se tournant vers cette ville, bien qu’elle fût à
l’ouest, et qui ensuite se tourna vers Mehdiyya, qui était
à Test, quand ce prince s’y fut transporté, car, disait-il,
«je n’adore pas un être invisible ». b II interpellait c Obeyd
AUàh en lui disant: « Monte donc au ciel ! Combien de
temps veux-tu donc encore rester sur cette terre et con-
tinuer de marcher dans les rues? b». Comme il disait
aussi aux K’ayrawâniens que ce prince connaissait leurs
secrets et leurs pensées, b l’un d’eux s’approcha de lui
pendant qu’il parlait ainsi et lui glissa ces mots dans le
tuyau de l’oreille : « Cet c Obeyd Allah dont tu parles est
un fornicateur issu de l’adultère; qu’il se venge donc s’il
sait ce que je dis! » L’autre poussa un grand cri et lui
répondit: « Malheureux que tu es ! sache que son carac-
tère est doux et que sa vengeance n’est pas immédiate. »
Un autre coupable était Ibrahim ben Ghâzi, qui prenait

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– 265 –

de la nourriture sans se cacher au mois de ramadan
[P. 191] et qui commettait les plus grands péchés; cepen-
dant, sous les Aghlabides, il vivait en ascète, séjournant
au ribâV de Kaçr et-T’oûb, non loin de Sousse, ville dont
les habitants voulurent le choisir pour en faire leur
imam de la prière du vendredi.

La même année, des K’ayrawâniens accompagnés de
leurs f em mes et de leurs enfants se présentèrent à Aboû’l-
Kâsim pour lui exposer secrètement leurs plaintes contre
la violence d’Aboû Sa c ld.et des préposés des corps de
garde, dépeignant leurs injustices et leurs exactions. Ce
prince leur procura une audience de son père, et là ils
renouvelèrent leurs plaintes en présence d’Aboû Sa c id
lui-même. c Obeyd Allah leur jura qu’il ignorait ces ini-
quités et les renvoya avec la promesse de les faire trai-
ter avec justice. Aboû Sa c id reçut Tordre d’amener son
secrétaire et un certain nombre des préposés des corps
de garde, qui furent emprisonnés ; mais le secrétaire fut
relâché b.

Un ordre d’ c Obeyd Allah enjoignit aux pèlerins de
prendre, à l’exclusion de toute autre, la route de Meh-
diyya, pour y payer les impôts qu’on exigeait d’eux b
dans les diverses provinces (?). Sous les Aghlabides, les
K’ayrawàniens disaient en proverbe, pour indiquer une
chose impossible : Si tu veux aller en pèlerinage, prends
par Bendoûn, parce que Bendoûn est une bourgade sur
la route de Djemma, tandis que le chemin direct est par
l’Egypte. La défense faite par c Obeyd Allah aux pèlerins
de passer par un autre point que Mehdiyya rendit l’an-
cien proverbe vrai b.

c Obeyd Allah fit exécuter le juriste Aboû c A|i H’asan
ben Mofarredj et le dévot Moh’ammed Chidhoûni, qui

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– 266 –

furent accusés par devant lui d’accorder à certains Com-
pagnons la prééminence sur Ali.

b A Sousse mourut le juriste Aboû’l-Ghoçn Nak’ch,
élève de Soh’noûn, d’ f Awn ben Yoûsof et d’autres encore.
Il faut aussi citer la mort du juriste Moh’ammed ben
Haythem ben Soleymân ben H’amdoûn [P. 192] K’aysi,
ainsi que des deux Moh’ammed, fils d’ c Abd es-Selâm ben
Ismà c il, descendants d’ c Abd el-Melik ben Merwân b.

En 310 (30 avril 922), Meçâla ben H’aboûs vint à Meh-
diyya trouver c Obeyd Allah ; après qu’il y eut séjourné
quelques jours, il fut renvoyé par le prince à Tàhert, b et
partit en cha c bân (novembre-tlécembre 922).

Il fut donné lecture dans la grande mosquée de K’ay-
rawàn d’une dépêche d’ c Obeyd Allah relative à un com-
bat survenu à Dhàt el-HomàmM entre Felàh’ ben K’a-
moûn et le djond d’Egypte.

Un général d’ c Obeyd Allah, Aboû Ma e loûm Fah’loûn
Kotâmi, trouva la mort dans la montagne de l’Aurès, où
il avait été envoyé par le prince. Il exigea des habitants
des sacrifices dépassant leurs forces et leur commanda
de mener leurs familles W à Mehdiyya. Feignant d’obéir,
ils se mirent d’abord en marche ; puis une certaine nuit
ils l’attaquèrent lui et son djond de Kotâma, et ils les
massacrèrent tous.

Nefoûsa se détacha d’ c Obeyd Allah et prit pour chef
Aboû Bat’t’a, qui recruta bientôt de nouveaux adhérents
et acquit une grande autorité. c Obeyd Allah envoya con-

(1) A trente-huit milles d’Alexandrie (Bekri, p, 7 ; Edrisi, p. 164).

(2) Le sens que j’ai donné à ce mot est celui qu’il a habituellement
en Algérie. Cependant, il signifie aussi fourrage et Wùstenfeld
(p. 61) l’a rendu par « bestiaux. »

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– 267 –

tre lui le missionnaire e Ali ben SelmânM à la tête d’un
fort corps de troupes; mais ce général, battu dans une
attaque de nuit, laissa sur le champ de bataille de nom-
breux soldats, tandis que le reste se débandait et l’aban-
donnait. c AIi gagna Tripoli, et f Obeyd Allah, informé par
lui des événements, envoya à c Ali ben Lok’mân, gou-
verneur de Gabès, Tordre de tuer tous les fuyards qui
passeraient à sa portée ; il en fut ainsi mis à mort un
certain nombre. e Ali ben Selmân put ensuite, grâce aux
secours que lui envoya c Obeyd Allah, entamer résolu-
ment le siège de Nefoûsa.

Le page Mas c oûd, à la tête de vingt galères, fit une
expédition contre les chrétiens ; il conquit Aghâthi (Santa
Agata, en Calabre), en fit les habitants prisonniers et
rentra ensuite à Mehdiyya< 2 ).

En cette année mourut Moh’ammed ben Sellâm ben
Seyyâr Bark’i Hamadàni, qui était versé dans la con-
naissance des doctrines chi’ites, ainsi que le Koreychide
Ah’med ben Yah’ya ben Khàlid Sehmi, qui avait dépassé
quatre-vingt-dix ans ; il avait voyagé (pour étudier) et
avait entendu expliquer le Mosned d’Aboû Sindjar par
l’auteur même b.

[P. 193] a H’asan ben r Ali< 3 ) H’asani, soutenu par les
Berbères, se révolta et marcha sur Fez (qu’il prit). Le
général Kotâmien [Rih’àn ben c Ali ?] qui arriva dans eetle
ville pour y représenter l’autorité d’ c Obeyd Allah dut se
retirer et laisser la place à son adversaire. Celui-ci en-

(1) Un peu plus loin on lit : « Ali ben Aboû Selmàn. »

(2) Cet alinéa figure dans la Bihlioteca (n, 27).

(3) Il doit s’agir de Hasan ben Moh’ammed ben el-K’àsimHaddjàm,
ainsi qu’on le voit par Bekri, p. 285. La date de 310 ne parait pas
non plus être exacte. Cf. Fournel, n, 142 et 153 ; infra, p. 220 du texte.

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— 268 –

suite, grâce à une attaque perfide de H’àmid ben H’am-
dân, dut en sortir et fut remplacé par [Moûsa] Ibn Aboû’l-
f Afiya, qui était au service desOmeyyades, et qui y resta
jusqu’à ce qu’il dut se retirer en présence de l’arrivée de
Mesroùr et de Djawher, généraux envoyés par f Obeyd
Allah. Le représentant de celui-ci détint la ville jusqu’à
ce qu’il en fut chassé par les Idrîsides, lesquels à leur
tour en restèrent maîtres jusqu’au jour où une armée
envoyée par En-Nâçir, le prince omeyyade d’Espagne,
s’en empara.

En cette année aussi mourut Aboû Dja c far T’abari [le
célèbre chroniqueur] a.

En 311 (20 avril 923), b le samedi 19 djomàda II (4 octo-
bre 923), c Obeyd Allah révoqua le kàdi de K’ayrawân,
Ish’âk’ ben Aboû’l-Minhâl, à qui il fît dire par un messa-
ger: « Cette mesure n’est pas motivée par quelque acte
coupable de ta part, mais seulement par ta douceur et
ton indulgence, b » Il le remplaça par Moh’ammed ben
c Imràn Nef ti, alors kâdi de Tripoli, ville où ce magistrat
avait amassé de grandes richesses provenant tant des
habous que de pots de vins; il les offrit à c Obeyd Allah
et sut ainsi se concilier la faveur du prince.

Le lundi 17 cha c bân (30 novembre 923), c Ali ben Aboû
Selmân infligea aux habitants de Nefoûsa une défaite
qui le rendit maître de leur forteresse; il la ruina, mas-
sacra les hommes et réduisit les enfants en esclavage.

h Le juriste Moh’ammed ben El- c Abbâs Hodheyli,
dépouillé de ses vêtements, reçut la bastonnade dans la
grande mosquée ; frappé à la nuque de coups qui lui
firent saigner la tête, il fut ensuite l’objet d’une procla-
mation criée dans les marchés de K’ayrawàn, à la suite
de la déposition provenant de plusieurs chi’ites qu’il dé-

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blatérait contre le prince et rendait des fetwas d’après
la doctrine malékite.

Mesroûr ben Soleymân ben Kàfi pénétra dans les
oasis du Ça’id d’Egypte, qui sont deux forteresses situées
[P. 194] dans le désert, au milieu des sables, et où com-
mandait KerbàziW au nom du souverain d’Egypte. Mes-
roûr le battit, fit prisonniers son fils et son neveu et
s’empara du pays. La peste ayant ensuite éclaté parmi
ses troupes, ce général ruina les deux forteresses, arra-
cha les palmiers et se retira à Bark’a.

En cette année, mourut à K’ayrawàn Moh’ammed ben
Cheyba ben H’assân, qui était un homme juste, vertueux
et connaissant la tradition. Cheyba figurait parmi les
officiers entrés en Ifrik’iyya avec Yezid ben H’âtim.

A Tunis mourut Aboû Dja’far Moh’ammed ben Temîm,
ancien officier de Ziyûdet Allah çfui s’était enfui auprès
d’Aboû c Abd Allah le chi c ite et qui entra avec lui en Ifri-
k’iyya. Citons encore la mort d’Aboû’l-Fad’l Ah’med ben
Dja c far ben Moûsa Çomâdih’i b.

En 312 (8 avril 924), Meçâia ben H’aboûs, quittant
Tàhert pour attaquer les Zenâta, conquit leur territoire
où il mit tout à feu et à sang. Mais il (commit l’impru-
dence d’) envoyer contre un certain point du territoire
d’Ibn-Khazer une troupe de cavalerie composée de la
plupart de ses guerriers et des principaux de ses offi-
ciers et de ne garder avec lui qu’un petit nombre d’hom-
mes. Ibn Khazer, qui l’apprit, marcha contre lui et lui
livra, le vendredi 19 cha c bân (21 novembre 924) un com-
bat où Meçâia, après une résistance acharnée, succomba
et où les siens furent mis en déroute W.

(1) Cette lecture est douteuse, le signe rendu par 6 étant sans point.

(2) Sur la date de la mort de Meçàla, voir Fournel, n, 144 et 146.

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– 270 –

b Le chambellan Dja c far ben c Obeyd partit avec une
flotte considérable pour tenter une attaque contre les
chrétiens de Sicile ; il hiverna dans ce pays, mais n’eut
pas d’occasion de livrer bataille 60).

En rebî c I (juin-juillet 924) mourut à K’ayrawân le
kâdi Moh’ammed ben c Imrân Neffi, b juge vénal et
commettant toute sorte d’actes défendus b, c Obeyd Allah
confia de nouveau cette charge à Ish’àk ben Aboû’l-
Minhàl, b et inséra ceci dans l’acte de nomination :
« Nous t’avions révoqué à cause de ta douceur et de ton
indulgence, nous te renommons à cause de ta piété et de
ton intégrité. »

En cette année mourut Moh’ammed ben H afç, homme
intelligent, distingué et pieux. Sous les Aghlabides il
avait été imâm [P. 195] chargé des prières nocturnes de
deux rek’a à la grande mosquée de K’ayrawân, puis
imâm à la grande mosquée de Rak’k’âda, où il gagnaity
dix mithkal par mois. Merwezi le fit appeler et lui parla
en ces termes : « Les fonctions d’imâm ne sont exercées
chez nous que par des amis du Prince des croyants;
va donc trouver l’un des missionnaires qui te donnera
l’initiation, et tu garderas ta place. » Il voulait ainsi le
faire devenir chi c ite et l’engager dans la même voie d’in-
fidélité qu’eux. Moh’ammed demanda une journée de
réflexion, ce qui lui fut accordé ; mais le lendemain il
revint dire qu’il lui répugnait d’accepter aucune de leurs
doctrines, et il fut révoqué.

On lut à K’ayrawân et dans la région une circulaire
d’ c Obeyd Allah annonçant, à la date du jeudi 8 moh’arrem

(1) Cet alinéa figure dans la Biblioteca d’Amari, n, 27.

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– 271 –

(15 avril 924), la conquête des oasis car Mesroûr ben
Soleyrnân. ben Kàfi b.

En 313 (28 mars 925), le chambellan Aboû Ah’med
Dja c far ben c Obeyd dirigea contre la Sicile une expédi-
tion où il fît de nombreuses conquêtes, entre autres la
ville de Wàri(Oria), où il massacra six mille combattants
et fit dix mille prisonniers, b Parmi eux figurait un
patrice qui se racheta, lui et la ville, moyennant cinq
mille mithkâl. Dja c far alors regagna la Sicile (musul-
mane) et arriva (à Palerme) le 25 rebi c II (20 juillet 925).
Il envoya la nouvelle de ses victoires à c Obeyd Allah,
b puis regagna Mehdiyya où il remit au prince tout le
butin qu’il avait fait. Un de ses officiers raconta qu’étant
entré chez le prince, il y avait vu de nombreuses pier-
reries, du brocard précieux et de l’or, ce qui lui fit dire
qu’il n’avait jamais assisté à un pareil déploiement *de
richesses : « Tout cela, lui dit c Obeyd Allah, provient du
butin fait à Oria. » Mais cet homme voulant faire l’éloge
de Dja c far, reprit : « Seigneur, celui qui t’a livré ces dé-
pouilles est l’homme sûr par excellence 1 — Par Dieu !
repartit aussitôt c Obeyd Allah, du chameau, il ne m’a
remis que les deux oreilles ! b »( ! ).

Ah’med ben Bah’r ben c Ali ben Çâlih’, connu sous le
nom d’Ibn AkhoûW Kirâm, fut nommé au bureau des
réclamations [P. 196] à K’ayrawàn b et prit possession de
son poste le 11 djomâda II (2 septembre 925).

A Sousse mourut le juriste Moh’ammed ben Best’âm
ben Redjâ D’abbU 3 ), qui avait fait un voyage d’études et

(1) Ce paragraphe figure dans la Biblioteca, n, 27. Cf. Fournel, n,
150; lbn el-Athîr, Annales, p. 317.

(2) Variante Aboû.

(3) Il est parlé de lui par lbn Farhoûn (ms 5032 de Paris, f, 107 v.).

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— 2?2 —

écouté les leçons d’Ibn e Abd el-H’akam et d’autres. Citons
aussi la mort d’ e Abd el- e Aziz ben Cheyba, qui avait aussi
fait un voyage d’études au cours duquel il assista aux
leçons de Bondâr, d’Aboû Moûsa er-Raman (?) et d’Aboû
H’afç K’allâs. A défaut d’autres héritiers, ce fut e Obeyd
Allah qui recueillit sa succession, où figurait une mos-
quée attenante à sa demeure et à son fondouk. Le cura-
teur aux successions fit fermer à e Obeyd Allah les portes
de la mosquée, mais lui remit l’habitation et le fondouk b.

c Obeyd Allah fit commencer par c Ali ben H’amdoûn
Djodhâmi, surnommé Ibn el-Andalosi, la construction de
la ville de Mesila qu’il appela Moh’ammediyya, au milieu
du territoire des Benoû Berzàl et des Benoû Kahlân,
et non loin des Hawwâra< 2 >. Elle était -située sur une
rivière et avait une double muraille tout à côté de
laquelle se trouvait un canal (alimenté par) cette rivière.

b En 314 (18 mars 926), ‘Obeyd Allah enleva le gouver-
nement de K’ayrawân à son page Nesîm et l’interna à
Mehdiyya, où il fut emprisonné chez le page Djawdher
tandis que ses biens étaient confisqués, car cet homme
était emporté et prompt à la bastonnade. Cette place fut
donnée au page Çâbir, client d’Ibn K’orhob b.

Ibn Khazer marcha contre Tâhert, mais ses attaques
furent repoussées et il dut fuir. e Obeyd Allah lança à sa
poursuite Moûsa ben Moh’ammed Kotâmi avec plusieurs
autres officiers, b A l’arrivée de ceux-ci à T’obna b, Mo-

(1) Il est appelé ‘Ali ben Ah’mcd ben Hanidàn par Dbehebi, ms
1636 du Brit. Muséum., f. 86.

(2) Sur la fondation de cette ville, voir Ibn el-Athir, p, 318 ; Four-
nel, ii, 147 ; Wûstenfeld, 65, et aussi Bekri, 143 ; Istibçar, trad. fr.,
p. 107 ; IbnKhaldoûn, n, 527 ; Edrisi, 99. – Il faut, si je ne me trompe,
lire « Benoû Kemlàn » avec Ibn Khaldoùn et Ibn el-Athir.

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– 273 –

h’ammed ben Khazer gagna le désert, laissant à Wâdi
Marmara (*) son frère c Abd Allah et ses principaux
guerriers. L’attaque des troupes chi e ites détermina un
violent combat [P. 197], où l’avantage resta à Ibn Khazer,
b de sorte qu’ c Obeyd Allah envoya contre lui Ish’âk’ ben
Khalifa b. Alors les Lemàya et les tribus berbères qui
leur étaient voisines se prononcèrent contre les Chi’ites
et demandèrent à Ibn Khazer de les appuyer, b e Obeyd
Allah répondit à la demande de secours que lui adressa
Ish’âk’ par l’envoi d’un renfort considérable, qui fut
battu par les Berbères. Moh’ammed ben Khazer, qu’ils
informèrent de leur succès b, leur donna pour chef son
frère e Abd Allah, qui les mena à de nombreux combats
contre les troupes chi’itesi 2 ).

b A Mehdiyya mourut subitement le chanteur Mounis
Baghdâdi, client de Moûsa ben Boghâ b.

En 315 (7 mars 927), le jeudi 9 çafar (14 avril), Aboû’l-
Kâsim ben c Obeyd Allah quitta Mehdiyya pour marcher
contre le Maghreb. Il prit la route de K’ayrawân, b puis
il campa à Laribus, où il attendit quelques jours que ses
troupes fussent rassemblées b ; il se dirigea alors sur
Bâghûya, puis marcha vers le territoire des Kotâma et
arriva à une montagne où se trouvaient les Benoû Berzàl
b et un groupe des Meklâta 6. Ils lui opposèrent de la
résistance, mais il vint à bout d’eux et s’avança alors vers
Medghara < 3 ), puis vers Soûk’ Ibrahim < 4 >, et l’intensité du

(1) Le texte porte « Mez’mâma ». Les Mat’màt’a, qu’on retrouve
maintenant dans la Tunisie méridionale, habitaient alors de ce côté,
comme le fait remarquer Dozy, et ainsi que le dit par exemple
Bekri, pp. 158 et 208.

(2) Fournel, n, 155; Wûstenfeld, 63.

(3) Probablement Milyâna, ainsi désignée du nom de la tribu qui y
habitait (de Goeje, Jakubii descr. el-Maghribi, p. 98 ; Fournel, n, 160).

(4) Sur les bords du Chélif, voir notamment Jakubi, p. 99.

18

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– 274 –

froid aussi bien que la quantité de boue le retinrent dans
cette région plus d’un mois, b L’un des principaux guer-
riers d’Obeyd Allah a ratonté qu’il était un jour assis
auprès de ce prince avec d’autreà de ses serviteurs et de
ses compagnons, alors que le manque de nouvelles
d’Aboû’l-K’àsim autorisait des conjectures fâcheuses.
Tout à coup une lettre de lui arriva pendant qu’ils étaient
là, et son père, après l’avoir lue, se mit à pleurer ; nous
craignions quelque malheur et nous allions aussi nous
mettre à pleurer, quand c Obeyd Allah prit la parole : «
grand Dieu ! tu sais qu’en envoyant mon fils au Maghreb
je n’ai cherché qu’à t’être agréable, à propager ta religion
et à abattre tes ennemis, car ce n’est pas sans douleur que
je me sépare de lui un seul jour; » puis se tournant vers
nous : « Mon fils et votre maître m’informe [P. 198] par
cette lettre qu’il a dû séjourner un mois tout entier dans*
le même campement, où la pluie n’a pas cessé de tomber
chaque jour du matin jusqu’au soir 6, et qu’il a dû fran-
chir à pied de nombreuses montagnes, trop abruptes
pour permettre l’emploi du cheval, ne prenant comme
nourriture quotidienne qu’un œuf ou quelque chose
d’analogue, tant les mouches étaient nombreuses au
camp. »

b Le page Çâbir, à la tête de quarante-quatre bâtiments,
dirigea contre les chrétiens de Sicile une expédition qui
réussit ; il y fit des prisonniers et tua un certain nombre
d’hommes W.

Par ordre d’*Obeyd Allah, on décapita dans la Ramla

(1) Cet alinéa ligure dans la Biblioteca (n, 28). Sur cette expédition
et celle de 316, cf. Ibn el-Athir, p. 320; Fournel, ir, 161 et 162. — Ou
trouve aussi le nom de Çâbir écrit Çâ’in et Çârib.

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— 2Î5 —

de Mehdiyya (*) le missionnaire Mo’alla ben Moh’ammed
Meloûsi, qu’Aboû’l-K’àsim lui avait envoyé chargé de
chaînes du Maghreb.

On tua chez les Maçmoûda du Sahel, dans les environs
de Tanger, l’imposteur H’âmim ben Menn Allah. Il s’était
donné comme prophète dans la montagne qui porte
son nom, et de nombreux Berbères idolâtres avaient
répondu à son appel et reconnu son caractère d’apôtre.
Il leur avait présentée jeûner le jeudi, et l’infraction à
cette règle était punie d’une amende de cinq bœufs ; de
jeûner le lundi, et l’infraction à ce jeûne coûtait deux
bœufs, et d’autres sottises analogues (*). On a fait sur lui
des vers dont voici quelques-uns :

[T’awil] Ils ont faussement prétendu que H’âmim leur a
été envoyé porteur d’une religion à la clarté évidente et
lumineuse. « Vous mentez, leur ai-je dit, et puisse Dieu
rompre votre ligue! Cet homme n’est qu’un débauché issu
de la fornication, et si H’âmîm est un apôtre, je serai le pre-
mier à ne pas croire à celui de qui il tient sa mission ! Ils
tiennent d’une vieille fourbe et astucieuse (3), plus habile en
sortilèges que nul autre magicien, des paroles de mensonge
dont Satan a ourdi la tramer ils veulent les tenir cachées,,
mais Dieu dévoile tous les secrets (*). »

(1) C’est-à-dire dans l’espace sablonneux, qui a retendue d’un jet de
flèche, entre Mehdiyya et Zawila (Edrisi, p. 128).

(2) Voir Bekri (p. 229), où l’on trouve plus de détails et où il est parlé
du jeûne partiel du mercredi, et non du lundi; Istibçàr, p. 79 ; trad.,
p. 143 ; H. des Berb., n, 143 et 492.

(3) Allusion au rôle important joué auprès de H’âmim par sa tante
Tànkit, et aussi par sa sœur Daddjoû.

(4) Ces vers ont pour auteur ‘Abd Allah ben Moh’ammed el-Mek-
foûf ou ‘Abd Allah el-Kaôf. Sur les variantes qu’ils présentent, voir
la p. 14a de la trad. de VIstibçàr,

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– 276 –

b Celte année-là, mourut en Ifrik’iyya Moh’ammed ben
Selmoûn el-K’at’t’ân, [P. 199] qui avait pendant long-
temps suivi les leçons des disciples de Soh’noûn. H’âtim
ben e Abd er-Rah’màn ben H’àtira, qui, après avoir
voyagé en Irak et reçu les leçons de Soh’noûn, pratiquait
le commerce et était un homme juste, mourut égale-
ment b.

En 316 (24 février 928), Aboû’l-K’àsim marcha contre
les tribus berbères du Maghreb étudia camper sous les
murs du fort de Bark’aM appelé Aghrar, le mardi 16
moh’arrem (11 mars 928). Il en commença l’attaque, puis
fît miner les fortifications, qui s’écroulèrent en enseve-
lissant un grand nombre des assiégés et des assaillants.
Ceux-là, voyant qu’ils allaient avoir le dessous, incen-
dièrent leurs richesses, coupèrent les jarrets de leurs
montures et de leurs bêtes de somme et combattirent
jusqu’à la mort; un certain nombre furent faits prison-
niers et la place fut livrée au pillage. Les Hawwâra et
les Letnâya reconnurent alors l’autorité des Chi c ites, et
Aboû’l-K’âsim leur accorda l’amnistie. Il se dirigea
ensuite vers Tàhert, où il séjourna un mois environ, b
puis poussa vers Tâmghale.tW, d’où il surveilla pendant
deux mois Ibn Khazer, qui était alors dans la localité
nommée Awren b. Il regagna ensuite T’obna, d”où il
repartit pour Mehdiyya, mais sans s’être mesuré avec
Ibn Khazer. Son départ, dit-on, fut provoqué par une
lettre de son fils K’âsim, lui annonçant qu’on parlait du
projet d’ c Obeyd Allah de faire reconnaître (pour son

(1) Peut-être faut-il lire Bark’âna (Fournel, n, 162).

(2) Bekri cite deux fois la localité de ce uora ou à peu près (p. 157
et 319 ; Jakubi, p. 93; ci-dessous p. 207 du texte arabe.

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— 277 —

héritier) son fils Aboû e Ali Ah’med, qui avait dit la
prière à la fête de la Rupture du jeûne et à celle des
Victimes, et l’agitation où le mit cette nouvelle déter-
mina son départ pour Mehdiyya (*).

b Çâbir fit, cette année -là, une expédition dirigée de
Sicile contre le pays chrétien: Il se rendit maître du lieu
dit les Cavernes, ainsi que du château-fort d’El-H’asab.
Après avoir mis la main sur ce que renfermaient ces
deux places, il marcha sur Salir (Salerne), dont les habi-
tants achetèrent la paix à prix d’argent et de pièces de
brocard. Il s’avança ensuite contre Naples, qui acheta
également la paix contre une rançon en argent et en
vêtements; après quoi il rentra en Sicile W.

Cette année-là moururent le juriste de K’ayrawàn
Moh’ammed ben Ah’med ben Aboû Zàhir, [P. 200] et e Abd
Allah connu sous le nom d’ e Ayni, qui s’adonnait aux exer-
cices de piété. Alors aussi le prix des vivres commença
à monter fort haut à K’ayrawàn b.

a A la même époque se manifestèrent les premiers
symptômes de l’agitation provoquée par Aboû Yezid
Makhled ben Keydâd ZenâtK 3 ). Cet homme embrassa les
doctrines nekkarites, déclara licites le meurtre des mu-
sulmans et l’usage de leurs femmes, outre qu’il s’expri-
mait en termes outrageants contre c Ali ben Aboû T’àleb.
D’abord instituteur à Tok’yoûs, mais bien résolu à tenter
un soulèvement, il demandait compte aux habitants du

(1) Cf. le récit des Berbères, n, 527; Fournel, n, 163.

(2) Cet alinéa figure dans la Biblioteca d’Amari (n, 28).

(3) C’est aussi à Tannée 316 qu’Ibn el-Athir (voir p. 325 et la note)
place les débuts d\Aboû Yezid. Cf. Istit>çar, p. 174 ; la Chronique
d’Abou Zakaria (trad. Masqueray, p. 226) en fournit une version
ibadite.

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— 278 –

voisinage de la plupart de leurs actes et intervenait
auprès des collecteurs d’impôts. Cette année-là, il se
brouilla tout à fait avec le gouverneur de Tok’yoûs, que,
sur son conseil, les habitants mirent à mort. Effrayé
cependant des conséquences de cet acte, il entreprit le
pèlerinage ; mais à son arrivée à Tripoli, un ordre
d’ c Obeyd Allah était parvenu dans cette ville, enjoignant
de rechercher un certain nombre de Berbères, ce qui le
décida à fuir avec un adhérent de ses erreurs, Aboû
c Ammâr el-A c ma, qui raccompagnait, et à regagner
Tok’yoûs; puis un ordre d ,e Obeyd Allah le visant person-
nellement fut cause qu’il prit la fuite et se tint toujours
caché jusqu’au jour où plus tard il releva la tête a.

En 317 (13 février 929) il y eut à K’ayrawân et dans la
région une violente épidémie, et la disette y sévit b à ce
point que le kafîz de blé, mesure de Cordoue, se vendit
un dinar monnaie d’or b,

Moh’arnmed ben Khazer conquit le Zâb et s’empara de
Djemila W.

Les Benoû Moh’ammed, des Benoû Idris < 2 ), fondèrent
la ville nommée H’adjar en-Nesr.

Moûsa ben AboûVAfiya marcha contre la ville de
Nakoûr, où commandait alors El-Mo’ayyed ben e Abd el-
Bedi c ben Idrîs ben Çâlih’ ben Mançoûr ; à la suite d’un
siège il se rendit maître de cette ville, qu’il pilla et livra
à la fureur de la soldatesque, puis qu’il démantela; quant

(1) Je ne retrouve pas ailleurs le nom de cette ville.

(2) Les Benoù-Mohammed sont ceux des frères d’El-Haddjàm qui,
après la mort de celui-ci, se rallièrent autour d’Ibrahim ben Moh’am-
med ben el-Kàsim {Berb., h, 568). Sur Hadjar en-Nesr et sa fondation,
cf. Berbères, 1. 1., et 145 ; Bekri, 258 et 287; Edrisi, p. 203; Ibn Hau-
kal, p. 56; Fournel, n, 165 ; Dozy, Mus. d’Esp., m, 126.

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– 279 —

à El-Mo’ayyed, il fut mis à mort M. Ce général marcha
ensuite contre les Benoû Moh’ammed ben Soleymàn ben
e Abd Allah, Idrisides dont le chef était alors El-H’asan
ben e Isa, connu sous le nom d’Ibn [P. 201] Aboû’l- e Aych,
qui était maître de Djeràwa, la ville la plus importante
de la région. Il mit le siège devant cette ville, et il était
près de s’en emparer quand Ibn Aboû’l- c Aych, devant
rimminence du danger, s’enfuit dans la nuit avec ses
femmes, ses enfants et ceux qui s’attachèrent à son sort
pour se réfugier dans le port de Djerâwa, connu sous le
nom d’Akâs, a qui est aujourd’hui, je crois, le lieu
dénommé Tikîsâs aW ; puis il s’embarqua, gagna les îles
de la Moloûya (»), puis Tile d’Archgoùl, que sa forte
position garantit de toute attaque, et il s’y fortifia,
entouré de tout son monde. Moûsa ben Aboû’l-‘Afiya
parcourut tout ce pays à la tête de son armée : il prit les
villes de Terbiya (*) et d’Archgoùl, tous les Benoû Mo-
h’ammed ben Soleymàn s’enfuirent devant lui et le lais-
sèrent libre maître de la région, d’où il expulsa les
officiers des Benoû (sic) Khazer et les fonctionnaires
qu’ils y avaient installés, de sorte que les contrées qui
s’étendent de Tàhert jusqu’au Soûs el-Akça lui obéirent.
b Le page Çàbir, qui entreprit alors sa troisième expé-
dition (contre les chrétiens), était accompagné de quatre

(1) Sur ces événements, voir plus bas; Bekri, 180, 182 et 224; Ber-
bères, i, 141, 268, et il, 570 ; Fournel, n, 167 et 170.

(2) Je ne retrouve pas ailleurs le nom de Akàs ; Bekri (p. 245) parle
de Tik’isàs (sic), mais donne Tafcrk’ennit pour port à Djeràwa (pp. 204
et 318).

(S) C/est-à-dire les iles Zaffarines (Bekri, p. 207).
(4) Variante, Merîna. Je ne connais ni Tun ni l’autre de ces noms,
qui, si je ne me trompe, ne se trouvent pas ailleurs.

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– 280 –

bâtiments seulement quand il rencontra la flotte du
Stratège, qui en comptait sept et qui fut mise en déroute.
Çâbir conquit la ville de Teriolo, où il fit de nombreux
prisonniers, et se retira ensuite à MehdiyyaW.

Alors mourut à K’ayrawân le juriste Ah’med ben Naçr
ben Ziyâd, qui avait suivi les leçons de Moh’ammed ben
Soh’noûn, dlbn c Abdoûs et de Yoûsof ben Yah’ya Mo-
ghâmi( 2 ); il était versé dans la science de la controverse,
et citait de nombreuses autorités ; c’était un homme au
cœur pur et de doctrine correcte. « Un jour, raconte
Moh’ammed ben H’ârith, que j’assistais à une réunion
où, sous sa direction, plusieurs personnes discutaient
diverses questions de droit, je vis entrer Moh’ammed
ben [P. 202] c Abd Allah ben Meserra K’ort’obi^, qui se
rendait alors en pèlerinage, et qui, après avoir salué,
s’assit quelque temps en promenant ses regards sur les
visages de ceux qui prenaient la parole. Bien que je ne
connusse pas son nom, je ne doutais pas qu’il ne fût un
savant. Ah’med ben Naçr, s’étant enfin levé, lui dit :
« Jeune homme, c’est aujourd’hui seulement que tu es
venu ici; as-tu quelque chose à dire ? » Moh’ammed ben
Meserra lui répondit en termes choisis et éloquents qu’il
était venu s’éclairer auprès de lui et recourir à sa
science. Ah’med ben Naçr lui répliqua aussi en termes
choisis, puis il se retira et nous le suivîmes ».

(1 ) Cet alinéa se retrouve dans la Biblioteca, h, 29, où on lit Termoli ;
j’ai lu Teriolo avec La cronaca sicuîo saracena di Cambridge, Pa-
ïenne, 1890, p. 75.

(2) Moghàm est une localité peu éloignée de Tolède et dont parle
Edrisi, p. 228. Le Lobb el-lobâb en fixe la prononciation.

(3) Ce personnage, aux doctrines peu orthodoxes et qui mourut en
319, est l’objet d’une courte notice de Dhabbi {Desiderium qucercn-
tis… éd. Codera, n* 163).

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— 281 —

Alors aussi mourut Moh’ammed ben Moh’ammed ben
Khàlid K’aysi, connu sous le nom d’Et-T’arzH 1 ), qui avait
été préposé aux réclamations à K’ayrawàn. Quand Ibra-
him ben Ahmed voulut lui donner ce poste, il s’excusa
de ne pouvoir l’accepter à cause de sa timidité, de sa
douceur de caractère et de son insuffisante connaissance
du droit : « Ta timidité et ta douceur, lui répondit Ibra-
him, disparaîtront par l’habitude du commandement; et
pour suppléer à ton insuffisance juridique, recours aux
juristes de profession ! » Il le nomma donc, et il ne se
trouva pas à K’ayrawàn de plus sévère dépositaire de
l’autorité que lui b.

En 318 (2 février 930), H omeyd ben Yeçel < 2 > s’avança,
sans y être autorisé par c Obeyd Allah, de Mehdiyya sur
Tâhert et éleva le fort des BenoûBesouhà b&); il renvoya
H’ammâd ben H’âchim dans son pays, s’unit à lui par
les femmes et le remit sur un pied d’amitié avec Seyyâr
ben e Abd el-Wahhàb b. Alors arriva une lettre d’ c Obeyd
Allah enjoignant à Yeçel ben H’aboûs de renvoyer sur le
champ H’omeyd à Mehdiyya. Celui-ci dut donc effectuer
son retour, mais c Obeyd Allah ne le punit d’aucune
manière.

b Les pluies étant survenues à K’ayrawàn, remirent
les choses en ordre : le prix des vivres, qui, par sa cherté,
avait fort éprouvé le peuple, s’abaissa ; la famine et
l’épidémie disparurent b.

A Mehdiyya mourut Hichâm ben er-Rebi c Temîmi, qui
était un homme de bien b et de talent. Comme f Obevd

(1) Orthographié T’arari à la page 224.

(2) On trouve aussi ce nom écrit Içlî et Içlften (Bekri, 288 ; Ber-
bères, i, 268, et il, 528.

(3) Lecture douteuse.

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— 282 –

Allah l’avait fait châtier et fouetter à cause d’Ibn el-
K’odeym, ses dernières volontés furent qu’on ne l’enterrât
pas à Mehdiyya, et son corps fut en conséquence emmené
et inhumé à K’ayrawân b.

[P. 203] Description de la ville de Djerâwa.

En dehors des murailles, qui étaient de briques crues,
on trouvait des sources saumâtres, mais à l’intérieur il
y avait de nombreux puits qui fournissaient de bonne
eau potable, et à l’entour il y avait des faubourgs qui
s’étendaient dans toutes les directions. Elle était pour-
vue d’une kaçba destinée à la défendre, renfermait cinq
établissements de bains, avait une mosquée principale
à cinq nefs, et fut édifiée en 257 (28 novembre 870) par
Aboû’l- c Aych c Isa ben IdrîsW. Ce prince eut pour suc-
cesseur, en 291 (23 novembre 903), son filsEl-Hasan ben
Aboù’l- c Aych, qui, en 319 (23 janvier 931), quitta la ville
pour se rendre au château d’El-Mak’çoûra W, mais qui y
revint en 323 (10 décembre 931) pour ensuite se trans-
porter à Tlemcen en 325 (18 novembre 936V Djerâwa,
qui comptait quatre portes, était entourée d’une banlieue
propre à la culture des céréales et à l’élevage des
bestiaux. Du côté de la mer se trouvaient les villages de
Medghara, dans la montagne des Benoû Iznàten< 3 >, à
l’est les Benoû Ifren, tribu Zenatienne, et à l’ouest les
tribus berbères de Zawàgha et autres.

(1) Bekri donne la date de 259, (p. 317) ; cf. ci-dessus, p. 71 et 279.
Djerâwa, à six milles de la mer, était une ville florissante et peuplée,
(Ibn Haukal, p. 63).

(2) Ce lieu m’est inconnu ; cf. Fournol, h, 176.

(3) M. de Gœje (Jaqubi, p. 92) veut corriger ce mot par Irniyân,
mais je ne crois pas que cela soit nécessaire.

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– 283 —

Quant à Tàhert, elle doit sa fondation à e Abd er-
Rah’rnàn ben Rostem ben Behrâm, client d ,f Othmân ben
«Affân. Il servait de lieutenant à Aboû’l-KhatYàb* 1 ) lors
de la conquête d’Ifrik’iyya par celui-ci, et lors de rentrée
d’Ibn el Ach c ath à K’ayrawàn, il s’enfuit vers l’ouest
avec ce qu’il put emmener sans trop de peine des siens et
de ses biens. Les Ibâd’ites se rallièrent ensuite à lui et l’on
résolut de fonder une ville qui leur servit de centre ; on
s’installa sur l’emplacement de Tàhert, qui était alors
un marais boisé situé entre trois rivières, on y édifia une
mosquée à quatre nefs et le peuple y éleva des habita-
tions. Cela se passait en 161 [8 octobre 777). Il y avait eu
là autrefois une ville qu’ c Abd er-Rah’màn ben Rostem
releva, et il y resta jusqu’à sa mort, survenue en 168
(23 juHlet 184). Ces faits ont été précédemment racontés.

Histoire de Tàhert, depuis sa fondation, sous les Rostemides et

antres.

864), qui fut remplacé par son fils Aboû Bekr ben Aflah’
ben e Abd el-Wàrith, dont les affaires se gâtèrent et qui
fut expulsé par la population de Tàhert, puis rappelé, et

(1) C’est-à-dire *Abd el-A’la ben es-Sarah’, voir Ibn el-Athir,
Annales, p. 61 ; Berbères, i, 373 ; Bekri, 160 ; ci-dessus, p. 79 et s.

(2) Partout ailleurs on lit ‘Abd el-Wahhàb ; voir de Gœje, Jaqubi,
p. 101, o:’i la liste de ces princes est discutée ; cf. Chron. d’Aboû
Zakaria, p. 49 et s.

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– 284 –

qui mourut dans cette ville. Il fut remplacé par son frère
Aboû’l-Yak’z’ân Moh’ammed ben Aflah’, qui régna vingt-
sept ans et mourut en 281 (12 mars 894). A celui-ci suc-
céda Aboû H’âtim Yoûsof ben Aboû’l-Yak’z’àn, contre
qui, au bout d’un an, la population se souleva et qui,
s’étant retiré dans le château de Lawâta, livra de vifs
combats à ses anciens sujets. Ceux-ci choisirent pour
mettre à leur tête Ya’k’oûb ben Aflah’ ben f Abd el-
Wârith ben c Abd er-Rah’màn ben Rostem, que le peu-
ple déposa au bout de quatre ans et remplaça par Aboû
H’âtim ben Aboû’l-Yak’z’ân, qui fut tué après six ans de
règne en 294 (21 octobre 906) par les fils de son frère.
Yak’z’àn ben Aboû’l-Yak’z’ân, qui monta alors sur le
trône, fut tué avec plusieurs membres de sa famille en
chawwâl 296 (22 juin 909), à la suite d’événements trop
longs à raconter, par Aboû e Abd Allah Chii, et avec lui
finit la dynastie des Rostemides à Tàhert.

Celui qui gouvernait cette ville à l’époque dés Chi’ites
était Aboû H’omeyd Dawwâs Lahiçi, nommé à ce poste
par Aboû c Abd Allah lors de son départ de cette ville
pour Sidjilmâssa, et qui y était depuis six mois lorsqu’il
vainquit, en 299 (28 août 911), les troupes d’Ifrik’iyya qui
vinrent l’y attaquer* 1 ). Meçàla ben H’aboûs Miknàsi la
gouverna ensuite pendant treize ans, jusqu’en cha c bàn
312 (novembre 924), où il fut tué par Moh’ammed ben
Khazer Zenâti. Après lui, son frère Yeçelben H’aboûs la
gouverna jusqu’en 319 (23 janvier 931), date de sa mort.
[P. 205] Il fut remplacé par Aboû Màlik ben Yaghmorâsen
ben Aboû Choh’ma Lahiçi, qui en fut chassé par le soulè-
vement des habitants en 323 (10 décembre 934). Le choix

(1) Cf. suprà, p. 214 et 231.

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~ 285 –

du peuple se porta alors sur AboiVl-K’àsim el-Ah’dab
(le bossu) fils de Meçàla ben H’aboûs. Il ne régnait que
depuis un an quand Meysoûr, lors de son départ du
Maghreb pour Tlfrik’iyya, s’empara de la ville à la suite
de combats et le tua. Le vainqueur nomma à sa place
Dâwoûd ben Ibrahim f Adjisi, qui fut chassé de son gou-
vernement par H’omeyd ben Yeçil en djomâda II 333
(18 janvier 945), du temps d’Aboû Yezed Makhled ben
Keydâd Ifreni. En la même année 333 et à la suite de
faits trop longs à raconter, H’omeyd ben Yeçel quitta
Tâhert pour passer en Espagne, et Ismâ’il le Chi’ite, après
avoir établi son camp dans cette ville, y nomma gouver-
neur le page Meysoûr. Mais les habitants, mécontents
de la mauvaise administration de celui-ci, se mutinèrent
et Moh’ammed ben Khazer Zenâti, son fils El-Kheyr et
leurs partisans Zenâtiens, se rendant à l’appel qui leur
fut adressé, arrivèrent en grand nombre à Tâhert. Trompé
par les allures de ceux-ci, car ils se donnaient comme
venant à son secours, Meysoûr sortit à leur rencontre et
fut fait prisonnier par trahison, de sorte que les Benoû
Khazer et les Zenâta pénétrèrent à Tâhert et descendirent
à l’hôtel du gouvernement. Puis les affaires se gâtèrent,
et le Zenâtien Ya c la ben Moh’ammed Ifreni se rendit
maître de la vilte et le resta (*) jusqu’à l’arrivée du géné-
ral chiite Djawher, en 349 (2 mars 960).

Tâhert avait une ceinture formée de jardins où se
cultivaient toutes sortes de fruits et où les arbres abon-
daient, mais il y fait très froid et il y pleut beaucoup. Un

(1) Sur les circonstances et la date de la chute de Ya’la, voir Ibn
el-Athir, Annales, p. 359 et s. : Berb., n, 542 ; Fournel, n, 320 et 322 ;
ci-dessous, p, 230 du texte arabe, etc. La date de 349 ne parait pas
être exacte.

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-• 286 -.

homme d’esprit de cette ville, à qui Ton demandait
combien on y comptait de mois d’hiver, répondit qu’il y
en avait treize. Voici le début d’un poème qui a un
Tâhertien pour auteur :

[T’awil] Avec la passion, l’oisiveté est une occupation, la
vie un meurtre; avec elle, un jour c’est un an, une portion
est un tout ; [P. 206] avec elle générosité c’est avarice, modé-
ration c’est excès, proximité c’est éloignement, avance c’est
retard. Puisse Dieu verser sur Tâhert, objet de mes désirs,
et sur Soweyk’a et celui qui l’habite, assez d’eau pour en
faire disparaître la stérilité ! On dirait que nous n’avons pas été
réunis dans cette demeure et qu’entre nous il n’y ait eu nulle,
nulle jonction ! Mais la vie se poursuivant et la discorde étant
survenue,, les pluies du départ, et combien abondantes ! sont
successivement tombées. Salut à celle qui, au jour de la
séparation, n’a pu me dire adieu, mais qui était aussi triste
que la mère privée de ses enfants ! Ce n’était pas du coin de
l’œil qu’elle laissait échapper quelques pleurs, c’était sa vie
elle-même qui s’enfuyait rapidement.

Voici encore des vers écrits à propos de la réalisation
des décrets divins relatifs à sa destruction et à son éva-
cuation par ses habitants et ses chefs :

[T’awil] O mes deux amis, détournQz-vous vers des traces
de ruines et saluez les débris de ce qui fut puissant et qui
est devenu poussière ; approchez-vous des traces qu’a laissées
Tâhert, traces effacées par les pluies matinales et vespérales,
si bien que ces restes n’abritent plus personne. Ainsi le
voulait le destin, qui l’a fait périr avec d’autres.

Cette ancienne Tâhert est celle que détruisit El-Kheyr
ben Moh’ammed ben Khazer Zenâti a.
b En cette année mourut à K’ayrawân le Koreychide

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-. 287 –

Aboû’l-H’asan Mott’alibi Ah’med ben Moh’ammed ben
c Abd Allah ben Dja c far ben c Ali ben Zeyd ben Rokâna
ben c Abdoûd ben H’âchim ben c Abd el-Mott’aleb, le mer-
credi 14 djomâda I (13 juin 930). Il accompagnait c Obeyd
Allah à Sidjilmàssa avant que celui-ci conquit K’ayra-
wân, et vers la fin de sa vie il jouissait dans cette ville
d’une haute considération. [P. 207] Citons aussi la mort
du juriste Moh’ammed ben c 01hmân Khorâsâni, chargé
des actes judiciaires à K’ayrawân; il suivait la doctrine
des gens de Koûfa et n’était pas de ceux qui affirment
la création du Koran; il avait suivi à Miçr les leçons de
Yoûnos ben c Abd el-A f la b.

En 319 (23 janvier 931), Moûsa ben Aboû’i- c Afiya écri-
vit de la côte africaine au Prince des croyants c Abd er-
Rah’mân en-Nâçir, qui régnait en Espagne, pour lui
demander son amitié et offrir de le reconnaître, en ajou
tant qu’il lui concilierait celles des populations de la
côte qu’il avait pour voisines. Le prince accepta cette
offre avec un vif plaisir, y répondit par des envois de
vêtements d’honneur et d’argent, et par ses secours sou-
tint ce chef, qui cherchait à combattre Jbn Aboû’l^Aych
et d’autres. A partir de là, on dut compter avec l’autorité
de Moûsa b sur la côte africaine; le concours de nom-
breuses tribus berbères lui fut acquis b, et il se rendit
maître de la ville de Djerâwa, d’où il chassa El-H’asan
ben AboûVAych ben Idris l’Alide, qui eut avec lui de
nombreux combats et rencontres (*). a Celui-ci bâtit un fort
inexpugnable sur une montagne située à quatre milles

(1) On retrouve ce commencement de paragraphe dans le t. n du
Bayân, p. 219. Sur ces événements, cf. Berbères, ir, 141, 146, 492,
526, 529.

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– 288 –

de Djerâwa W, au centre des villages habités par les
Medghara, les Benoû Ifren et autres tribus. Ce chef et
ses fils possédaient encore la ville de Tlemcen et son
territoire, où habitaient des populations telles que les
Zawâgha, les Nefza et d’autres encore. Bekr ben FTam-
màd dit à ce proposa) :

[Kâmil] Demande aux Zawâgha de quels coups de sabre et
de lance il a frappé l’éblouissante rangée (de leurs armes) ;
demande aux Nefza comment il a violé leur territoire jus-
qu’alors intact, tandis que ses chevaux faisaient des lances
flexibles leur pâture. Son épée a frappé et abattu les Meghîla,
il a abreuvé Djerâwa d’une infusion de coloquinte.

De Djerâwa à Tàhert il y a trois journées de marche ;
de Djerâwa au fort de Tàmeghalet W, habité par les Benoû
Demmer, qui sont des Zenâta, on en compte deux. Tlem-
cen, dit-on, est la capitale du Maghreb moyen, et ce dire,
qu’a consigné Bekri, est confirmé par de nombreux infor-
mateurs M. On lit ce qui suit dans le Livre de Roger:
« [P. 208] Entre Tlemcen et Tâhert, dit-il, habitent les
Benoû Merîn et toutes les tribus Zenâta, parmi lesquelles
les Toudjin, les Maghrâwa, les Benoû Râchid, les Ourtîd,
etc. La plupart sont cavaliers et emploient le cheval
comme monture ; ils ont des connaissances étendues et

(1) A quatre milles vers le sud, dans le djebel Memâloû (Bekri,
p. 317). Peut-être y a-t-il ici une confusion, puisque, sous Tannée 317,
nous avons vu que H’asan ben AboûVAych dut se réfugier à Arch-
goul.

(2) Bekri rapporte aussi les vers qui suivent (p. 318).

(3) On retrouve ce nom sous l’orthographe Tamaghîlt dans Bekri
(p. 319), que notre auteur a en partie copié ; cf. ci-dessus, p. 276.

(4) J’ai conservé au mot ,j;.Uà.\ le sens que lui donnent Dozy et de
Goeje. Il semble pourtant ici signifier plutôt chroniqueur, narrateur.

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– 289 –

se montrent intelligents et sagaces, notamment dans Fart
de deviner l’avenir à l’aide des omoplates de mouton. Ils
descendent de Djânâ. Les Zenàta sont parfaitement con-
vaincus qu’ils sont de race arabe pure, mais qu’ils se sont
berbériséspar le voisinage des Berbères et des alliances
qu’ils ont contractées avec eux. On ‘a dit aussi qu’ils
descendent de Ber ben K’ays ben Elyâs ben Mod’arWa. »

En cette année eut lieu la conquête de la ville de Ceuta,
située en Afrique, a sur la mer du Détroit (de Gibraltar),
” soutien de la porte des deuxMaghrebs, clef de la porte
des deux machrek (pays orientaux) ; c’est, dit-on, le con-
fluent des deux mers, la capitale du continent et de la
mer, la perle appliquée entre le poumon et la gorge. du
monde. ”

c Obeyd Allah ben Yah’ya ben Idrîs, s’adressant à En-
Nâçir, parle ainsi de cette conquête :

[T’awll] Elle a dû s’incliner devant ton épée, et des yeux qui
depuis longtemps devaient détourner leurs regards se sont
trouvés rafraîchis. Les désirs qu’excitait sa proximité ne pou-
vaient être satisfaits, ses charmes étaient comme inexistants;
mais des talismans auxquels ne pourrait résister le plus
indomptable serpent ont fait céder ses voûtes inébranlables.
La puissance d’un prince que Dieu protège et aux étendards
victorieux recouvre, gloire au Tout-Puissant, un éclat (nou-
veau) ; voici venu pour elle le temps du triomphe, voici qu’à
Ceuta jusqu’à la camomille en donne l’heureuse nouvelle ! a

En-Nàçir éleva des fortifications autour de cette ville,
lui donna une garnison qu’il forma de ceux de ses officiers

(1) Ce passage reproduit, en l’abrégeant un peu, le texte d’Edrisi
(p. 88 du texte arabe, 101 et 102 de la trad. Dozy et de Goeje) ; une
note des traducteurs propose, au lieu de « Ourlid », la lecture Our-
tenîd ou Ournîd. Cf. ci-dessus, p. 72.

19

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— 290 —

et de ses soldats qu’il accepta à cet effet, et en fit ainsi la
clef du littoral africain, ou, comme dit c Arîb, « la porte
par où y entrer, la mise sous séquestre des ports de cette
région ». La khotba y fut dite [P. 209] au nom de ce prince
le vendredi 3 nebî r I (25 mars 931) de la dite année W.

c Obeyd Allah apprit à Mehdiyya que Moûsa ben Aboû’1 –
c Afiya et les habitants de Ceuta avaient fait leur soumis-
sion à c Abd er-Rah’mân ben Moh’ammed en-Nâçir et
qu’un navire avait été envoyé dans le port de Djerâwa à
l’adresse de Moûsa. El-H’asan ben AboûVAych fit une
descente dans ce bâtiment et enleva le chargement:
Moûsa eut beau lui écrire, à lui aussi bien qu’à son
kâdi et aux principaux de son entourage, les démar-
ches de ceux-ci auprès de H’asan n’aboutirent pas et
Moûsa ne put recouvrer les objets qui lui étaient des-
tinés, b II marcha alors contre Çâ c ( 2 ), d’où il chassa c Amir
ben Aboû’l- c Aych, mais en accordant l’amnistie aux
habitants. Il s’avança ensuite contre les Zawâgha ; mais
Ibn AboûVAych ayant marché contre -lui, il< 3 ) se retira
sans combattre lorsqu’il vit la force qu’il avait devant
lui b. Moûsa incendia les environs de Djerâwa et par-
courut pendant plusieurs jours le pays à la tête de ses
troupes. Puis il s’engagea entre Moûsa et H’asan une
correspondance, qui eut pour résultat de provoquer chez

(1) Cf. Bayân, n, 220 et 240, où la conquête de Ceuta est racontée
de la même manière. Les faits sont exposés autrement par Ibn Khal-
doûn {Berbères, n, 136 et H6) ; voir Bekri, p. 238; Fournel, n, 172;
Wûstenfeld, p. 67.

(2) Çà est le nom d’un affluent de la Molouya et d’une localité
située sur cette rivière, à trois journées de Tlemcen, dans la direc-
tion de Fez (Edrisi, pp. 91 et 92).

(3) Je crois que cet il doit désigner Moûsa, et j’ai traduit en con-
séquence; Wûstenfeld (p. 68) l’entend de H’asan.

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— 2Ôi —

celui-ci le désir de la paix, et l’accord se rétablit entre
eux, moyennant la restitution par H’asan de ce qu’il
avait enlevé, b Moûsa regagna alors son pays; mais il
marcha ensuite contre Oûzek’k’oûr, et les habitants des
places fortes (k’oloû*) de DjâraW réclamèrent contre lui
le secours de H’asan. Celui-ci leur envoya des cavaliers,
qui firent des incursions sur le territoire de Moûsa, y
enlevèrent de nombreux chameaux lui appartenant et
donnèrent à H’asan sa part de butin, ce qui eut pour
résultat de rallumer la guerre entre ces deux chefs.
Alors les habitants de Djeràwa ayant écrit à Moûsa pour
lui promettre l’entrée de la ville, celui-ci marcha avec
ses partisans de leur côté, et cette ville lui ouvrit ses
portes et se soumit. Il se dirigea ensuite vers Ei-Man-
çoûr( 2 ), dont une partie seulement accepta l’offre d’am-
nistie qu’il leur adressa; il resta vainqueur des autres,
dont il tua un certain nombre. On dit qu’il y fit prison-
niers les enfants et la femme koreychide de H’asan,
[P. 210] et qu’il s’empara de ses chevaux et de ses
armes ; après avoir livré la ville aux flammes, il rega-
gna son camp, mais renvoya la femme de H’asan auprès
des siens, sous la garde de gens sûrs de Djerâwa b. La
nouvelle de ces événements impressionna vivement et
inquiéta c Obeyd Allah, qui envoya aux tribus du Maghreb
des lettres destinées à ranimer leurs sentiments d’obéis-
sance et leur promettant secours et assistance.

Ceuta est une ville très ancienne, située sur le bord de
la mer Roûmi, c’est-à-dire sur le détroit où cette mer

(1) Le nom de cette localité figure à plusieurs reprises dans Bekri
(voir la table s. v. Golouê Djàra).

(2)* Je suppose qu’il s’agit des Benoû Mançoûr, tribu çanhâdjienne
qui habitait de ce côté (Edrisi, 69 ; Bekri, 187).

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– m –

communique avec l’Océan (*). Bâtie sur une langue de
terre que la mer entoure de partout, sauf d’un côté bien
resserré, les habitants, s’ils le voulaient, pourraient y
creuser un canal où pénétrerait la mer par les deux bouts ;
c’est donc une presqu’île, et c’est l’eau de la mer qui sert à
alimenter les bains. Elle a pour habitants des Arabes et
des Berbères, et les sciences y ont toujours été cultivées.
Elle est dominée par une montagne* 2 ) qui fait saillie en
pleine mer et en de certains points de laquelle on recueille
des rubis de petit volume mais très purs ; dans la mer
même, on se livre à la pêche du corail. L’origine du nom
de la ville est controversée. Il lui a, disent les uns, été
donné à cause de son isolement en mer, car on dit en
arabe tailler (sabata) une chaussure, synonyme de cou-
per (k’altfa) ; mais selon d’autres, un nommé Sebt, des-
cendant de Sâm ben Noûh’ (Sem fils de Noé), ayant eu
des raisons pour quitter l’Orient, s’enfonça vers l’Occi-
dent, et, arrivé à l’emplacement de cette ville, il le choisit
pour y habiter.

* Voici la tradition rapportée par nos maîtres sur l’auto-
rité de Wahbben MeserraH’adjari. Ils entendirent en 400
Aboû c Abd Allah Moh’ammed ben r Ali leur raconter
d’après le dit Wahb, qui le tenait d’Ibn Wad’d’àh’ et, en
remontant successivement par Soh’noûn, par Ibn el-K’â-
sim, par Mâlik, par Nâfi c et par Ibn c Omar, du Prophète
lui-même, qu’il y a au fond du Maghreb une ville nommée
Sebta (Geuta), fondée par un homme vertueux du nom de
Sebt, descendant de Sâm ben Noûh’, laquelle tire son

(1) On trouve une description beaucoup plus détaillée de Ceuta dans
Bekri (p. 234), dans VIstibçâr (p. 46) et dans Edrisi (p. 199).

(2) Il faut probablement, avec les auteurs qui viennent d’être cités,
lire « à Test de cette ville se trouve une montagne ».

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– 293 –

nom de celui de son fondateur ; celui-ci a prié Dieu de
lui donner bénédiction et victoire, et le mai qu’on peut
chercher à lui faire est retourné par Dieu même contre le
malveillant. Ibn FTammâda s’exprime ainsi : « D’après
notre maître, le savant Aboû’l-Fad’l [P. 211] c Iyâd’ (*),
l’expérience prouve l’authenticité de cette tradition, car
cette ville est toujours restée bien gardée entre les mains
de ceux qui la détenaient, et il est rare que celui qui a
tenté contre elle quelque mauvais coup n’ait pas péri
lui-même. »

Voici ce que raconte El- c Adhari : « Un des rois goths
d’Espagne nommé Toûdoûch (Théodose) franchit la mer
et vint assiéger les Berbères renfermés dans cette ville
de Céuta. Mais ils s’entendirent bien pour lui résister,
profilèrent de sa négligence pour l’attaquer par un point
mal défendu, et un petit nombre seulement des assié-
geants échappa à la mort. Toûdoûch repassa ensuite en
Espagne ( 2 ), et les Berbères continuèrent d’occuper la ville
jusqu’à ce que les chrétiens y revinssent une seconde
fois. Youlyân (Julien) l’occupait quand c Okba ben Nâfi c ,
après avoir envahi et conquis le Maghreb tout entier,
parvint jusqu’à cette ville. Alors Julien, qui était un
homme intelligent et expérimenté, en sortit pour lui offrir
divers présents et tâcher de se le concilier. c Okba lui fit
quartier en effet et le laissa en place ; puis les Arabes y
pénétrèrent par composition. Mais ensuite les Berbères
de Tanger se révoltèrent et expulsèrent de Geuta ceux
qui l’occupaient, après quoi ils ruinèrent la ville, qui,

il) Célèbre savant et jurisconsulte + 544 hég. ( n° 540; Cat. des mss arabes de Pans, n° 2106, etc.).
(2) Sur cet événement, voir Dozy, Recherches, 3 e éd., i, 62.

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— 294 –

pendant un certain temps, ne servit que de refuge aux
bêtes sauvages. Elle fut relevée de ses ruines par un
homme des Ghomâra, nommé MâdjeksenM, qui se fit
musulman et qui exerça le pouvoir dans cette ville, où
les Berbères se groupèrent autour de lui. Quand il mou-
rut, son fils c Içâm ben Madjeksen lui succéda; à c Içàm
succéda Moh’ammed< 2 ) ben c Içâm, et à ce dernier Er-
Râd’itë) ben e Içâm, qui se guidait dans son administra-
tion d’après les principes des juristes espagnols. Il y
arriva ensuite des gens de K’alsânaW, qui achetèrent
aux Berbères du terrain où ils élevèrent des habitations
et la portion ruinée des murailles qui forme aujourd’hui
le parapet. Ils reconnaissaient cependant la souveraineté
des Benoû Idris, et cet état de choses dura jusqu’à la
conquête qu’en fit c Abd er-Rah’mân en-Nàçir, dont
le général Farad j ben r Ofeyr( 5 ) y entra le vendredi 2
cha’bân 319 (19 août 921).

Ceux qui y gouvernèrent successivement au nom des
Omeyyades furent Faradj ben c Ofeyr en 319 (23 jan-
vier 931), puis Ah’med ben c Abd eç-Çamad Gharnâti,
ensuite Moh’ammed ben H’izb Allah en 323 (10 décembre
934), qui fut révoqué et remplacé en 326 (7 novembre 937),
par Moh’ammed ben Masiama; il fut à son tour révoqué
eU 6 ) Ibn Masiama en devint le gouverneur jusqu’en 330

(1) Ce nom est écrit Màdjken ^X.a»Lj dans Bekri (p. 237), et
kes dans Ibn Khaldoûn (Berbères, il, 136).

(2) Ecrit respectivement l. I. Modjebber, et Modjir.

(3) Ecrit Er-Rid’a l. L

(4) Il s’agit probablement de la ville de Galchana, voisine de
Xérès (note de M. de Slane ad Bekri, 237).

(5) On lit Nedjàh’ ben Ghofeyr dans les Berbères, n, 137.

(6) Il semble bien que le copiste a ici oublié un nom propre.

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– 295 –

(25 septembre 941). Après lui [P. 212] Ibn Mok’àtil la
gouverna jusqu’en chawwâl 332 (mai-juin 944), où il fut
fait prisonnier par les Benoû Moh’ammed, Idrisides qui
le retinrent jusqu’en ramad’ân 333 (avril-mai 945) ; où le
kâdi de Ceuta, Moh’ammed ben Aboû c Isa, étant allé les
trouver, ils consentirent à conclure la paix par son inter-
médiaire : ils relâchèrent Ibn Mok’âtil et expédièrent
des otages à Cordoue, auprès du Prince des croyants
En-Nâçir, qui envoya divers gouverneurs à Ceuta
jusqu’en 346 (3 avril 957) a.

b En cette année [319 = 23 janvier 931], mourut Ah’med
ben Ah’med ben Ziyâd Fârisi, préposé aux actes judi-
ciaires à K’ayrawân. Il avait étudié (sous divers maîtres)
et avait du jugement; il avait servi à c Isa ben Meskin de
secrétaire pour la rédaction des rescrits et des jugements,
et est auteur d’ouvrages traitant des actes judiciaires,
des clauses (qui peuvent y figurer) et dès moments de la
prière.

A Tàhert mourut le gouverneur de cette ville, Yeçel
ben H’aboûs, que les habitants remplacèrent par e Ali
ben MeçâlaM, en informant r Obeyd Allah de leur choix.
Mais le prince désigna pour ce poste H’omeyd ben Yeçel,
qu’il y envoya à la tête d’un fort corps de troupes et qui
y arriva en dhoû’l-hiddja (décembre 931-janvier 932).

Le lundi 9 ramad’ân (24 septembre 931), naquit dans
le palais de Mehdiyya Aboû Temim Ma’add ben Ismâ c il
le Chiite b.

En 320 (12 janvier 932), b H’omeyd ben Yeçel attaqua
Dàwoùd ben Meçâla, Sinân et Aboû H’amlil ben Bernoû;
il leur tua un certain nombre d’hommes et les tint pen-

(1) Cf. suprà p. 284, et Fournel, n, 175.

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– 296 —

dant trois mois assiégés dans le château-fort d’Aboû
H’amlil. On lut du haut des chaires la circulaire d’ r Obeyâ
Aliàh relatant ces faits et datée du jeudi 2 djomâda II
(9 juin 932) b.

Moûsa ben Aboal- r Afiya se porta à marches forcées
contre Moh’ammed ben Khazer, émir des Zenâta, qu’il
surprit et mit en déroute en massacrant ses compa-
gnons; après quoi il se retira à Djeràwa. b Le motif de
cette attaque fut une lettre adressée par Moh’ammed à
Moûsa à propos d’Ibn AboûVAych et conçue dans des
termes qui irritèrent Moûsa, car Moh’ammed ne cachait
pas qu’il favorisait Ibn AboûVAych contre Moûsa, qui fit
alors cette expédition (*).

Cette année-là fut révoqué le préposé aux actes judi-
ciaires c Abd Allah ben Selmân, [P. 213] qui jouissait de
la faveur d’Aboû Dja c far Baghdâdi,mais qu’on soupçon-
nait de se livrer à la sodomie et qui fut dénoncé au prince
par c 01ayya ( 2 ), qui était un ami de xe dernier et qui
ajouta : g Ce Baghdâdi ne fait, Seigneur, autre chose que
nuire à notre glorieux gouvernement et chercher à le
saper : il a nommé kâdi et préposé aux actes à Tripoli
un homme qui recherche les jeunes garçons. » En même
temps il lui fit lire les vers d’Ibn c Amir el-Fezâri sur les
jeunes garçons d’Ifrik’iyya sous les Aghlabides, où il est
parlé en termes outrageants de cet Ibn Selmân. Cette
pièce débute ainsi :

[Redjz] Plus d’un parterre revêt la surface terrestre d’un

(1) Voir les observations que fait Fournel (n, 177) à propos de
cette campagne.

(2) Ce mot est, sous cette forme, encore employé dans le Sud de
l’Algérie comme nom propre masculin.

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– 297 –

merveilleux coloris provenant de plantes toutes fraîches,
#*un kâdi, par exemple, qui décide que telles âmes sont
blanches et telles autres rouges.

II y est dit aussi :

Ainsi que la pleine lune au-dessus d’un rameau de saule,
Ibn Selmân brille d’un éclat qui l’emporte sur celui des
(jeunes filles semblables aux) gazelles ; sa beauté est sans
pareille, et on la dirait faite d’or natif.

En conséquence Ibn Sjelmàn fut révoqué et remplacé
comme kàdi de Tripoli par Ahïned ben Bah’r, qui était
alors préposé aux réclamations et à la prière à K’ayra-
wàn, poste pour lequel il avait été choisi par Ish’âk’ ben
Aboû’l-Minhâl b.

En cha c bân de cette année (août 932), Moûsa ben
Abotfl- e Afiya reconnut ouvertement la souveraineté du
Prince des croyants En-Nàçir (TOmeyyade), ce qu’il fit
après être entré à Nakoûr Tépée à la main, b en avoir tué
le prince El-Mo’ayyed ben c Abd el-Bedi c ben Çâlih’ ben
Sa c id ben IdrisM, et avoir, à la suite du blocus auquel il
soumit les Benoû Moh’ammed dans la montagne [P. 214]
dite H’adjar en-Nesr, conclu, moyennant rançon, la paix
avec eux.

b ATunis mourut Aboû H’abîb Naçr Roûmi, élève d’Ibn
c Abd el-H’akam, dont la mémoire était bien meublée en
ce qui a trait aux questions juridiques b.

En 321 (31 décembre 932) le pouvoir à Sidjilmâssa < 2 )

(1) Il a été question do ces faits plus haut, p. 278.

(2) Voir p. 215 l’histoire de cette ville. Notre auteur a ici mal copié
Bekri (p. 335), qui écrit Semghoù, fait mourir El-Mo l tazz ben Moh’am-
med en 321, et lui donne pour successeur Moh’ammed ben el-Mo’tazz,
lequel mourut en 331 et fut remplacé par Aboû’l-Montaçir {sic, voir
le texte arabe, p. 151, 1. 4) Semghoù.

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– 298 –

échut à Aboû’l-Mançoûr Semghoûl ben el-Mo e tazz ben
Moh’ammed, qui était âgé de treize ans. Au bout de deux
mois, son cousin Moh’ammed ben el-Fath’, aussi nommé
El-EminW, se révolta contre lui, resta vainqueur et
expulsa son rival de Sidjilmàssa. Il était sunnite et fit
fleurir la justice, bien que cependant il ait pris en 342
(17 mai 953) le titre A’emir el-mouminîn et le surnom
d’Ech-Chàkir billâh, qui figure sur les monnaies d’or et
d’argent qu’il fit frapper. Telle resta la situation jusqu’au
moment où s’approchèrent les troupes du prince Obeydite
Aboû Temim Ma’add. •

Gouverneurs de Sidjilmàssa à partir de la conquête chi’ite.

El-Mezâti, dont il a été question déjà, fut nommé gou-
verneur de cette ville en 298 (18 septembre 910), mais
les habitants le massacrèrent au bout de cinquante jours^.
Aboû’1-Fath’ ben el-Emîn( 3 ) lui succéda, et, au bout de
deux ans et quelques mois, fut remplacé en 300 (17 août
912), par Ah’med ben el-Emin( 4 ), qui resta au pouvoir
jusqu’à ce que, assiégé par Meçâla ben H’aboûs, il fût
mis à mort par son vainqueur, en moharrem 309 (mai-
juin 921). Meçâla institua alors à Sidjilmàssa El-Mo c tazz
ben Moh’ammed, des Benoû Midrâr, qui y resta jusqu’à
sa mort, en 321 (31 décembre 932), et fut remplacé par
Aboû’l-Mançoûr précité* 5 ).

Dans la nuit du lundi au mardi, 15 rebi c I 322 (4 mars
934), mourut le Mahdi c .Obeyd Allah, après un règne de

(1) Dans Bekri, « Moh’ammed ben el-Fath 1 ben el-Emir ». “Cf. Ibn
llaukal, p. 57.

(2) Ci-dessus, p. 212 et 217; Bekri, p. 334.

(3) El-Fath Waçoùl ben el-Emir Meymoùn (Bekri, ibid.).

(4) Ah’med ben el-Emir {ibid.,, p. 335).

(5) Voir n. 1.

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– 299 –

vingt-quatre ans et dix mois et demi (U. Arrivé en Egypte
en 289 (15 décembre 901), sous un costume de marchand,
il se déclara à Sidjilmàssa en dhoû’l-hiddja 296 (août-
septembre 909), fut salué du titre d’Imàm, puis se rendit
à Rak’k’àda en rebi e II 297 (décembre 909-janvier 910);
il fonda Mehdiyya, où il se retira [P. 215] en 308 (22 mai
920). Son départ fut le signal de la décadence de Rak’kâ-
k’àda, dont les habitants s’éloignèrent et dont l’impor-
tance diminua de jour en jour, jusqu’au règne de Ma’add
ben Ismâ c il, époque où en disparurent les derniers
restes.

Rak’k’àda était la capitale des Aghlabides, et Ton
raconte que quiconque y entrait ne cessait de rire, et
cela sans motif. On dit aussi qu’un prince de cette
dynastie avait perdu le sommeil, qu’il recouvra en
arrivant dans cette ville, et que de là vient son nom*.
Ibrahim ben Ah’med s’y fixa et abandonna l’Ancien
château; il y éleva de magnifiques palais, une mosquée
principale, des établissements de bains et d’autres cons-
tructions. Sa fondation remonte à 263 (23 septembre 876),
celle de l'[ Ancien] château à 184 (30 janvier 800). Ibn el-
Aghlab ayant défendu la vente du vin à K’ayrawân tan-
dis qu’il la permettait à Rak’k’àda, on dit à ce propos :

[Monsarih’] O Seigneur des hommes, ô fils d’un autre qui
fut leur Seigneur, toi devant qui se courbent toutes les tètes,
pourquoi déclarer interdit dans notre ville le vin qui est
licite dans le territoire de Rak’k’àda ?(*)

(1) Voir Fournel, n, 181.

(2) Ces vers sont souvent cités, p. ex. dans Bekri, p. 70; dans
Vlstibçar, tr. fi\, p. 13, etc. Plus haut (p. 112), notre auteur a placé
la fondation de l’Ancien château en Tannée 185 ; voir là-dessus
et sur Rak’k’àda, Bekri, L l. ; Ibn el-Athir, p. 157 et la note, etc.

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– 300 —

Mehdiyyà, qui doit son nom au Mahdi c Obeyd Allah
le chi’ite, est située à soixante milles tle K’ayrawân.
Celle-ci était la plus grande de toutes les villes du Ma-
ghreb, la plus peuplée, la plus riche, celle où la vie était
le plus large ; chez les habitants régnait généralement
l’ardeur au bien, l’abstention des choses d’une légalité
douteuse, l’éloignement pour les choses interdites, et
cela dura jusqu’au jour où l’arrivée des Arabes, ainsi que
nous le dirons, l’accabla d’une série de calamités et n’y
laissa plus subsister que des vestiges indistincts, des
traces à peine visibles. On dit qu’elle reverra son an-
cienne splendeur, et à l’époque actuelle, tin du septième
siècle, elle recommence à fleurir.

Le royaume d’ c Obeyd Allah comprenait l’Ifrik’iyya,
tout le Maghreb, Tripoli, Barka et la Sicile, toutes régions
où résidaient ses fonctionnaires. Il tenta la conquête de
l’Egypte par son fils et héritier présomptif Aboû’l-K’âsim,
qui était l’aîné de six fils, et au nom de qui les lettres
étaient rédigées, du vivant même d’ c Obeyd Allah. Celui-
ci, mort à l’âge de soixante- trois ans, [P. 216] eut donc
pour successeur son fils Aboû’l-K’âsim ben f Obeyd
Allah, dont l’inauguration se fit le jour même de la mort
de son père, 15 rebi c 1 322 (4 mars 934), qui prit le surnom
d’El-K’â’im bi-amr Allah et qui mourut le dimanche 13
chawwâl 334 (17 mai 946) après un règne de douze ans et
sept mois, et à l’âge de cinquante-cinq ans, laissant sept
fils. El-K’â’im eut comme chambellan Dja f far ben c Ali,
et Ibn Aboû’l-Minhâl fut l’un de ses kâdis. Pendant tout
son règne, ce prince sortit à cheval sans se faire accom-

(1) II aurait, d’après Ibn el-Athîr {Annales, p. 319), tenu la mort de
son père cachée pendant un an.

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— 301 —

pagner du parasol. Il suivit d’ailleurs la même voie que
son père, de la mort de qui il témoigna une tristesse
inconnue à un homme de son rang et qu’il garda (long-
temps encore) après sa disparition. Depuis ce moment
jusqu’au jour où lui-même rendit le dernier soupir, il ne
franchit sur une monture la porte de son palais qu’à
deux reprises. Sous son règne, de nombreuses villes
furent conquises sur les chrétiens. Il eut aussi à faire
face à plusieurs soulèvements que Dieu lui permit
d’étouffer. Entre autres rebeHes, Ibn T’âloût Korachi
s’avança avec de nombreux partisans dans la direction
de la province de Tripoli ; mais les habitants de cette
ville résistèrent et lui firent subir des pertes sensibles (*).
Cet imposteur se disait fils du Mahdi et souleva ainsi
avec lui les Berbères ; mais ces tribus, ayant reconnu la
fraude, le massacrèrent et apportèrent elles-mêmes sa
tête à El-K’â’im bi-amr Allah.

Le premier acte d’Aboû’l-K’âsim fut de faire fabri-
quer par tous les gouverneurs de provinces des armes et
toutes sortes d’instruments de guerre. Le page Meysoûr,
qu’il envoya dans le Maghreb avec de nombreux soldats,
poussa jusqu’à Fez et mit en déroute Ibn Aboû’l- c Afiya,
dont il fit le fils prisonnier £). Contre le pays chrétien il
fit partir une flotte confiée à Ya c k’oûb ben Ish’âk’, qui
s’empara de Gênes< 3 ). Il nomma Aboû Dja’far Baghdâdi

(1) Cette révolte est mentionnée dans des termes presque identiques
par Ibn el-Athir {l. I.) et par Ibn Khaldoûn {Berbères, n, 528).

(2) Ce qui eut lieu dans les années 322 et 323 (Ibn el-Athir, p. 320 ;
Bekri, 225 et 289; Berbères, n, 529; Fournel, n, 187; Wustenfeld,71 ;
ci-dessous à Tannée 323, etc.).

(3) Y eut-il deux expéditions en pays chrétiens, Tune en 322, l’au-
tre en 323? Voir Amari, Biblioteca, i, 412; n, 29; Ibn el-Athir, p. 320
et les auteurs cités.

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– 302 –

directeur de la poste et du secrétariat, et lui confia le
soin de nombreuses affaires gouvernementales.

En 323 (10 décembre 934), il expédia à Bark’a une
armée commandée par Zeydân, et fit partir ce général
ainsi qu v Amir el-Medjnoûn, Aboû Zorâra et une partie
[P. 217] des troupes kotâmiennes qui étaient à Bark’a,
pour l’Egypte. Les envahisseurs entrèrent à Alexandrie,
et ils firent un grand nombre de prisonniers sur l’armée
de quinze mille cavaliers que-Moh’ammed ben [Toghdj]
el-Ikhchîd fit marcher contre eux M.

En la dite année, mourut El-Fad’l ben r Ali ben Z’afar,
Thomme le plus lettré de son temps, le plus habile en
science (religieuse), en droit et en littérature, en un mot,
parfait.

Comme le Slave Meysoûr était arrivé proche de Fez,
Ah’med ben Bekr ben Aboù Sahl Djodhâmi, qui y com-
mandait, sortit pour le combattre, mais il fut fait prison-
nier par trahison et envoyé à Mehdiyya. Les habitants
de cette ville choisirent alors pour les commander
H’asan ben K’âsim Lawâti, et tinrent tête pendant sept
mois à Meysoûr, dont les efforts contre eux échouèrent.
Celui-ci alors assiégea Ibn Aboû’MAfiya, et réclama à
cet effet l’aide des Benoû Idris, à qui il montra des
égards et dont il ne méconnut pas les droits. Alors Ibn
Aboû’l- e Afiya, fuyant devant eux, gagna le désert, et tout
ce qui appartenait aux Benoû’l-‘Afiya passa aux Benoû
Idris. Le pouvoir chez ces derniers était exercé par les
Benoû Mohammed ben el-Kâsim, qui étaient au nombre
de trois, H’asan, K’annoûn et Ibrahim, ce dernier connu

(1) Sur cette campagne, voir Ibn el-Athîr, p. 320 et la note 3.

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– 303 –

sous le nom d’Er-RehoûniW. K’annoûn, dont le nom était
El-K’àsim, résidait ordinairement dans la ville de Çakh-
rat en-Nesr.

Histoire des Idrîsides ; pourquoi ils pénétrèrent dans le Maghreb
et y fondèrent Fez ; chefs Idrîsides et antres qui ont gouverné
cette ville jusqu’à présent.

El- c Adhari et d’autres racontent qu’Idrls et Soleymân,
l’un et l’autre fils d’ c Abd Allah ben H’asan ben el-H’asan
ben c Ali ben Aboû T’âleb, échappèrent au désastre de
Fakhkh ( 2 ), sous le règne d’Aboû Dja c far el-Mançoûr. De
leurs quatre autres frères, Moh’ammed, Ibrahim, e Isa et
Yah’ya, le premier gagna [P. 218] le Hidjâz, où il fut tué;
le second se révolta à Baçra, dans l’Irak, et fut tué sous
le règne d’El-Mançoûr ; Yah’ya se révolta dans le Deylem
sous le khalifat d’Er-Rechîd, se soumit contre promesse
d’être gracié, et mourut ensuite empoisonné. Idris, qui
se réfugia au Maghreb, s’y vit ensuite rejoindre par di-
vers c Alides descendants d’Aboû T’âleb, savoir, son pro-
pre frère Soleymân ( 3 ), qui s’installa àTlemcen, ainsi que
Dâwoûd ben el-K’âsim ben Ish’âk ben e Abd Allah ben

(1) Le Bayân porte « Er-Rcmoûni », que je n’ai pas hésité à corri-
ger d’après Bekri (p. 290), d’autant plus que Rehoùna est un lieu
voisin de Hadjar en-Nesr. Mais sur ce passage, comparez le texte
arabe de Bekri, p. 129, i. 3, et Jaqubi, Descriptio, p. 123.

(2) L’affaire de Fakhkh, près de la Mekke, est de 169, sous le règne
du khalife Abbàside El-Hàdi (voir le commentaire d’Ibn Badroûn,
p. 224 ; suprà, p. 97 ; Berbères, n, 559, etc.).

(3J Soleymân ben ‘Abd Allah, fait prisonnier à Fakhkh, fut décapité
à la Mekke, d’après Mas’oûdi (Prairies d’or, vi, 266). Notre auteur
suit probablement le récit de Nawfeli ap. Bekri, p. 277, et Istibçâr,
trad., p. 149.

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– 304 –

Dja c far ben Aboû T’âlebM; celui-ci regagna ensuite
l’Orient, mais ses enfants restèrent au Maghreb. Idris
ben c Abd Allah, arrivé au Maghreb en 170 (2 juillet 786)
avec son client Râchid,se fixa d’abord dans l’antique ville
d’Oulîli, puis s’installa en 172 (10 juin 788) chez Ish’àk’
[ben Moh’ammed] ben c Abd el-H’amîd. Les tribus ber-
bères le prirent pour chef et lui prêtèrent obéissance, ce
qui fut cause que Hâroûn er-Rechîd, l’ayant appris,
envoya un de ses affidés, nommé EchChemmàkh, avec
mission de l’empoisonner; c’est ce que fit cet homme,
qui s’enfuit ensuite en Orient. A la suite de la mort
d’Idrîs, survenue en 175 (9 mai 791), le commandement
fut exercé par son client Râchid ; puis Kenzi, concubine
berbère du prince défunt, accoucha d’un fils qui reçut le
même nom que son père.

En 187 (29 décembre 902), Idrîs ben Idrîs, qui avait
alors onze ans, ou, selon d’autres, davantage, prit le
pouvoir en mains, et fut reconnu par toutes les tribus
(berbères). [Ce qui devint plus tard] le quartier Kayra-
wanien était alors des marécages boisés autour desquels
s’élevaient des huttes habitées par les Zawàgha. A la
demande de ces populations, il résolut de tâcher d’y
établir une ville, Fez, dont la fondation remonte à 193
(21 octobre 808). Idrîs ben Idris fit une expédition contre
les Nefza et parvint jusqu’à Tlemcen, puis il s’en retourna,
alla jusqu’au Wâdi Nefiset se rendit maître du territoire
des Maçmoûda. Il mourut en 213 (21 mars 828), empoi-
sonné, mais on n’est pas unanime sur son genre de mort.
D’après Ibn H’ammâda, Bekri et d’autres, il laissa douze
fils : Moh’ammed, Ah’med, c Obeyd, Allah, c Isa, Idris,

(1) Bekri, p. 276.

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– 305 –

Dja e far, Yah’ya, H’amza, e Abd Allah, -El-K’âsim, Dàwoûd
et ‘Omar.

Moh’ammed ben Idris, qui monta sur le trône, suivit
le conseil de sa grand-mère Kenzi et répartit les diverses
provinces de l’empire entre ses frères: à El-K’âsim il
donna [P. 219] Tanger et ses dépendances, à c Omar les
Çanhâdja d’El-H’abat’ et les Ghomâra, à Dàwoûd les
H’awwâra de TàmeliU 1 ), et ainsi de suite pour ‘Isa,
Yah’ya et e Abd Allah; les autres, trop jeunes, furent
laissés de côté. Alors e Isa s’étant soustrait à son autorité,
Moh’ammed écrivit à leur frère El-K’âsim de l’attaquer,
mais il essuya un refus ; au contraire, c Omar, qui avait
reçu le même ordre, s’empressa de prêter aide à Mo-
h’ammed, car des dissensions l’avaient auparavant sé-
paré d’ e Isa. ‘Omar mourut dans le pays des Çanhâdja, t
et son corps fut ramené à Fez ; c’est de lui que descendent
les H’ammoûdites. Moh’ammed ben Idrîs étant ensuite
mort, ce fut Yah’ya ben [Yah’ya ben] Moh’ammed ben
Idris qui lui succéda. Le nouveau prince répartit aussi
les diverses provinces entre ses oncles, tant paternels
que maternels ; il donna à H’oseyn le sud, de la ville de
Fez à Aghmât; à Dàwoûd l’est de Fez, (c’est-à-dire) les
Miknâsa, les Hawwâra et les Çadina ; à El-K’âsim l’ouest
de Fez, c’est-à-dire les Leh’âta( 2 ) et les Kotâma, tandis
que Yah’ya lui-même se désintéressait des devoirs de
souverain qui lui incombaient. Alors chacun de ses frè-
res se conduisit en prince indépendant et attira à soi les
Berbères, leur disant : a Nous sommes tous fils d’un

(f) Chez Bekrî (p. 280) « de Taselmet ». Sur ce partage, voir Four-
nel, i, 498 ; Jakubi, Description p. 127.

(2) Ce nom parait corrompu : on peut songer à lire Lehàha ou
Lemàya ? (Dozy).

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-~ 306 «

même père, et vous voye^ comment notre frère Yah’ya
laisse aller son pouvoir à vau-l’eau. » Aussi les.Berbères
leur reconnurent- ils de plèinsv pouvoirs, pendant que
Yah’ya s’adonnait entièrement â la boisson et aux fem-
mes. On raconte qu’il entra un jour au bain pour y pour-
suivre une femme 0). Enfin la désaffection de la popula-
tion de Féz fut cause de sa perte, et il s’enfuit dans le
quartier des Andalous( 2 ), où il mourut. Sa femme était
la fille d ,c Ali ben c Omar, aïeul des HammoûditesW.

Ce fut c Ali ben c Omar ben Idris qui lui succéda, car
quand Yah’ya fut perdu, son beau-père, le dit c Ali, étant
arrivé, pénétra dans le quartier des Kayrawaniens et y
exerça l’autorité souveraine, de sorte que le pouvoir
passa des mains des fils de Moh’ammed ben Idrîs à
.celle des fils de e Omar ben Idris. Il eut à résister au
soulèvement d’ c Abd er-Rezzâk, Khàredjite-Çofrite de
Medyoûna qui, à la suite de nombreux combats, le mit
en fuite et s’empara de Fez( 4 ). c Ali dut passer chez les
Awreba, et ce fut c Abd er-Rezzâk qui devint maître du
quartier des Andalous, mais non [P. 220] du quartier des
K’ayrawânien?. En effet, les habitants de ce dernier firent
venir Yah’ya ben el-K’âsim ben Idrîs, connu sous le nom
d’El- c Addâm( 5 ), et le mirent à leur tète. Ce prince conquit

(1) Qui était juive et s’appelait Hanna (Bekri, 289).

(2) J’ai lu Crr ^uJjô , *\ ÏjsXa avec Bekri (texte, p. 125, 1. 1). *

(3) C’est ‘Obeyd Allah ben ‘Omar (ou ‘Omar ben Idris lui-même,
suprà, p. 305, et Bekri, p. 281), qui est l’aïeul des Hammoûdites. En
outre, j’ai (d’après Bekri, p. 282, et de Goeje, Jaqubi, 123), corrigé le
texte, qui fait d”Ali le gendre de Yah’ya.

(4) Ce rebelle était Espagnol d’origine et se révolta dans la monta-
gne de Medyoûna, au sud de Fez (Békri, 282).

(5) Ce nom est écrit de bien des manières, relevées dans/une note de
la traduction do Bekri, p. 283.

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– 307 –

ensuite le quartier des Andalous et en chassa c Àbd er-
Rezzâk, faits dont le récit trop long. Yah’ya régna donc
sur Fez, les régions, les cantons, les tribus et les forts du
voisinage jusqu’en 292 (12 novembre 904), où il fut tué
par Rebî e ben Soleymân.

Son successeur fut Yah’ya ben ldrts ben c Omar ben
Idris ben Idris. En effet, après la mort de Yah’ya ben
el-K’âsim, ce fut ce Yah ya ben Idrls qui s’avança vers Fez
et qui y recueillit le pouvoir, de sorte que l’autorité
revint ainsi pendant quinze ans aux mains des descen-
dants d ,e Omar ben Idris, jusqu’à Tannée 307(2 juin 919),
où arriva Meçâla ben H’aboûs. Celui-ci, venu pour la
première fois dans le Maghreb en 305 (23 juin 917), avait
commencé par accorder bienfaits et honneurs à Moûsa
ben Aboû*l- e Afiya et lui avait confié le gouvernement des
territoires conquis par lui; mais Yatfya ben Idris, prince
de Fez, avait dirigé ses forces contre Moûsa et anéanti
ses espérances. Revenu en 307 (2 juin 919), Meçâla resta
dans le pays pendant cinq ansW. Ibn Aboû’l-‘Afiya cher-
cha à nuire à Yatfya et à le perdre dans l’esprit de Meçâla,
employant les anciens liens d’amitié qui l’unissaient à
celui-ci pour satisfaire l’inimitié qu’il nourrissait contre
Yah’ya. Meçâla se décida à s’assurer de la personne de
ce dernier, et comme, après avoir déjà tenté à cet effet
diverses ruses, il le vit venir dans son camp, il se saisit
de lui par trahison ; il lui enleva tout ce qu’il possédjait et
lui ordonna en outre de retirer de Fez et de lui présenter,
à lui Meçâla, les richesses qu’il détenait dans cette ville.
Un agent de Meçâla fut installé à Fez, et ce général se

(1) Meçâla vint pour la première fois au Maghreb en 304 ou en 305,
puis y revint en 310 (Bekri, pp. 220 et 284).

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— 308 —

retira ensuite, laissant Moûsa dans le Maghreb en qualité
d’émir (*).

En 310 (30 avril 922) m se révolta H’asan ben Moh’am-
med ben el-K’àsim ben Idris ben Idrîs, surnommé El-
H’addjâm, qui infligea notamment à Moûsa une sanglante
défaite dans une rencontre à laquelle participèrent les
chefs berbères et telle que le Maghreb n’en avait pas vu
de pareille [P. 221] depuis l’arrivée d’Idris l’ancien :
environ deux mille Berbères restèrent sur le terrain, et
Moûsa y perdit un fils du nom de Minhal. H’asan resta
alors pendant environ deux ans le maître de Fez et de
ses dépendances; après quoi les habitants de la ville se
soulevèrent traîtreusement contre lui et prirent comme
chef H’âmid ben H’amdân Hamadâni, connu sous le
nom d’El-Loûzi, du nom de Loûza( 3 ), localité d’Ifrîk’iyya
d’où il était originaire. H’âmid jeta Hasan ben Moh’am-
med en prison et rappela Moûsa ben Aboû’l- c Afiya, qui
vint avec ses troupes reprendre possession de Fez.
Moûsa voulait faire exécuter H’asan, qui avait été cause
de la mort de son fils Minhal ; mais H’âmid l’en détourna
en lui représentant les inconvénients d’une exécution

(1) Sur la manière dont finit Yah’ya ben Idris, il y a trois versions
(Bekri, p. 283 et 285 ; Fourneî, n, 248).

(2) Le texte porte 313, date que Dozy a corrigée en s’appuyant sur le
Kartâs et sur ce qu’on a vu plus haut, p. 267. D’après Bekri (p. 285),
El-Haddjàm chassa RnYàn Kotàmi de Fez en 316, et y resta deux ans.
Sa mort serait donc survenue en 318. Mais d’après Ibn Khaldoûn(Zter-
béres, i, 267 ; n, 145 et 568), le mouvement tenté par ce chef est de 313,
sans indication de la période pendant laquelle il exerça le pouvoir.
Cf. Fournel, n, 142 et 153, qui a eu le tort de reprendre Dozy à pro-
pos des renvois de celui-ci, et d’accorder la moindre autorité à la
traduction du Kartâs par Beaumier»

(3) Loûz est le nom d’une localité près de Belezma (Bekri, 123); mais
il y a un Kaçr el-Loùza entre Mehdiyya et Sfax (Edrisi, 150).

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— 309 —

publique, et le poison fut employé. D’après une autre
version, H’àmid l’ayant emmené sur les murailles,
H’asan en tomba et se cassa le pied ; il arriva jusqu’au
quartier des Andalous, où il mourut. Moûsa resta donc
maître de Fez et du Maghreb, par suite de la mort de
H’asan ben [Moh’ammed] el-H’addjâm.

Le surnom donné à ce dernier lui venait de ce que,
dans un combat contre ses cousins, il frappa d’un coup
de lance un premier adversaire à l’endroit où l’on pra-
tique la saignée, puis un second, puis un troisième, tou-
jours à la même place. Son oncle Ah’med dit alors de
lui : « Mon neveu est devenu H’addjàm (ventouseur) »,
et ce nom lui resta. Lui-môme a dit :

[T’awîl] Si Ton m’appelle H’addjàm, ce n’est pas que je
pratique la saignée, c’est que je frappe à l’endroit où l’on
saigne (*).

Moûsa, redevenu maître de Fez, fît exécuter c Abd
Allah ben Tha c leba ben Moh’ârib Azdi, ainsi que son
frère Mohammed ; mais leur père, Tha c leba ben Moh’â-
rib, s’enfuit à Cordoue* 2 ). Moûsa, projetant également la
mort de H’âmid, grâce à qui il était rentré à Fez, celui-
ci s’enfuit à Mehdiyya. Il chassa des endroits qu’ils habi-
taient tous les Benoû Idris, qui furent forcés de se retirer
dans la ville de Hadjar en-Nesr, fort inexpugnable dont
la construction est due à Ibrahim ben Moh’ammed ben
el-K’âsim [P. 222] ben Idrîs. Moûsa voulait les assiéger,

(1) Ce vers et les détails qui précédent se retrouvent encore ailleurs
(Bckrt, p. 286 ; Kartàs, texte, pp. 49 et 50 ; Berbères, n. 568).

“(2) Selon Bekri (p. 287), *Al)d Allah ben Tha’leba et ses deux fils
Moh’ammed et Yoùsof furent exécutés par ordre de Moûsa, tandis que
son troisième fils Mohàrib s’enfuit ou à Gordoue ou à Mehdiyya.

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— 310 —

mais les principaux chefs de la population du Maghreb
blâmèrent son projet : « Déjà, lui dirent-ils, tu lés as
expulsés et réduits à la pauvreté ; voudrais-tu donc, toi
Berbère, la mort de tous les Idrîsides ? » Ces reproches
l’arrêtèrent . et il s’éloigna avec ses troupes, laissant
cependant pour les surveiller l’un de ses officiers, Aboû
K’amhMi), q U j établit son camp à proximité et les serra
de près. Moûsa avait confié la garde de Fez à son fils
Medyen, qui y resta jusqu’à l’arrivée de H’omeyd ben
Yeçâb*), lequel, étant entré dans le Gharb, nomma à Fez
H’âmid ben H’amdân : en effet, Medyen, à l’annonce de
l’approche de H’omeyd et de H’âmid, s’était enfui de
cette ville ( 3 ). Alors les Idrisides, réunissant leurs forces
contre (Aboù K’amh’), l’officier de Moûsa, le mirent en
déroute et pillèrent, en 317 (13 février 929), la plus
grande partie de son camp. Ensuite survint à Fez la
révolte d’Ah’med ben Bekr [ben c Abd -er-Rahmàn] ben
Aboû Sahl Djodhâmi, qui mit à mort H’âmid ben H’am-
dân et envoya sa tête ainsi que celle de son fils à Moûsa
ben Aboû’l- c Afiya ; celui-ci les fit porter l’une et l’autre à
Gordoue par Sa e id ez-ZerràdW. Quant à H’omeyd ben
Yeçâl, qui avait, sans l’ordre du prinee Obeydite, quitté
le Gharb en y laissant Moûsa, il fut, pour cette raison,

(1) Ou Aboù’1-Fath’ Tesoùli d’après le Kartâs (texte, p. 51) et Ibn
Khaldoûn {Berbères, i, 268).

(2) Nommé ci-dessus Homeyd ben Yeçel ; son arrivée à Fez eut lieu
en 321 d’après Bekri (p. 288), date qui est en contradiction avec celle
de 317, que notre auteur donne aussitôt après et qui doit être fausse.

(3) Il faut corriger le C^oyb, correction malheureuse de Dozy
(p. 222 1. 8) en «^yb, ce que montrent et le contexte et le texte de
Bekri (p. 128, l.*6).

(4) Appelé Sa’id ben ez-Zerràd par Bekri (p. 289).Voir Fournel, H, 187.

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~ 311 –

emprisonné à son arrivée en îfrik’iyya; il parvint cepenr
dant à s’enfuir en Espagne. En effet, les sympathies de
Moûsa étaient pour le prince Omeyyade régnant à
Cordoue.

En 324(29 novembre 935) c Ali ben H’amdoûn, connu
sous le nom d’Ibn el-Andalosi, ruinai) la ville [d’Adena,
proche de celle] de Mesila, située à deux étapes de
Tobna et dans le voisinage de laquelle était la ville
ancienne nommée Er-Rommâniyya. Elle est dominée
par la montagne de TAurès, longue de sept journées de
«îarche et renfermant de nombreux chàteaux-forts habi^
tés par lesHawwàra, qui professent les doctrines khàred-
jites. C’est datis ces montagnes qu’habitait la Kâhina, et
c’est là aussi qu’Aboû Yezîd Makhled ben Keydàd se
révolta [P. 223] contre Aboû’l-K’âsim Chi c i.

En 325 (18 novembre 936), Aboû’l-K’àsim ben f Obeyd
Allah nomma en Sicile AboiïVAbbâs Khalii ben Ish’âk’,
qui agit dans ce pays comme nul n’avait fait avant lui ni
ne fit depuis: il fît mourir les musulmans tant en les
affamant qu’en les exécutant, si bien qu’ils s’enfuirent en
pays chrétien et que la plupart abjurèrent. Il resta en
Sicile quatre ans et en partit en 329 (5 octobre 940). Plus
tard,. dans une réunion où figuraient plusieurs per-
sonnages importants et où la conversation portait sur
des sujets divers, on vint à parler du temps qu’il avait
passé en Sicile, et alors, se vantant de sa cruauté, il dit:
« J’y ai tué, disent ceux qui exagèrent, un million d’hom-
mes, ou, d’après ceux qui sont au-dessus de la vérité,

(1) Le texte est certainement corrompu. En consultantBékri(pp.320
et 321 , trad., 144, texte), on voit qu’en 324 Ibn el-Audalosi ruina Adena,
qui est à deux journées :de Tobna. Je propose donc de lire <^— oy^c ilx-uJL\ ^LoJoo [^J>j-Àl 23 >l]. •

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— 312 .—

six cent mille; mais je le jure, ajouta-t-il, la vérité est
qu’il y en a plus (que ce dernier nombre). » Alors Aboû
e Abd Allah el-Mo’addib (l’instituteur) lui dit : « Aboû’l-
e Abbàs, il te suffit d’en avoir tué un seul I » c Obeyd Allah
l’avait employé dans l’administration des districts, le pré-
lèvement des impôts et l’examen des comptes des bu-
reaux et des gouverneurs; mais certains propos lui étant
revenus sur son compte, il lui adressa un blâme et le
prit en aversion, si bien qu’il se serait débarrassé de lui
sans l’intervention d’Aboû’l-Kâsim, le fils d’ c Obeyd
Allah W. Voici des vers de Khalil qui montrent jusqu’à
quel point il était inféodé à c Obeyd Allah :

[Kâmil] C’est l’imàm qui a établi pour les musulmans la
tradition de son aïeul, de même que moi je l’ai suivie ; c’est
lui qui a vivifié les préceptes religieux de son parent, qui
en a dressé les livres et les prescriptions relatives aux choses
licites et illicites.

L’émir Aboû’l-Kâsim ben c Obeyd Allah* 2 ) avait en 313
(28 mars 925) fait édifier la ville de Mesila par Ibn el-
Andalosi, à qui il en confia ensuite le gouvernement et
qui y resta jusqu’à ce qu’il périt dans le soulèvement
d’Aboû Yezîd Makhled ben Keydâd en 326 (7 novembre
937). Dja c far, fils d’Ibn el-Andalosi, continua d’y demeu-
rer et devint émir du Zàb tout entier, qu’il quitta en 360
(3 novembre #70) lors de la guerre soulevée par Ziri( 3) .

(1) Ce commencement du paragraphe figure dans Amari, Biblio-
teca t ii, 29. Comparez Ibn cl-Athir, p. 321 ; Fournel, n, 213.

(2) Lisez : L’émir ‘Obeyd Allah », voir euprà, p. 272.

(3) Il est parlé de la révolte de Dja’far dans Yffist. des Berbères,
n, 554.

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– 313 –

Les Chi c ites donnent à Mesila le nom de Moh’amme-
diyya : ainsi El-MerwezH 1 * a dit:

[Sari 4 ] Ensuite vers la ville favorisée de Moh’ammediyya,
à qui la crainte de Dieu servit de fondement.

[P. 224] Quant à la ville d’Achir, la construction en est
due à Ziri ben Mennâd Çanhâdji, ainsi que le prouvent
les vers d’ e Abd el-Melik ben c Aychoûn :

[Redjez] Toi qui t’enquiers de nos combats (2) et d’Achir,
siège de l’infidélité, demeure du libertinage, habitée par des
gens injustes, bâtie pour l’impiété et le mensonge, sache
qu’elle a été édifiée par Zlri, sur qui soit la malédiction de
Dieu!

Elle fut détruite postérieurement à 440 (15 juin 1048)
par Yoûsof ben H’ammàd Çanhâdji, qui la livra au
pillage.

En 327 (28 octobre 938), dans le Maghreb extrême
(ak’ça) appelé aujourd’hui Maghreb rapproché (adncr),
c’est-à-dire dans le pays de Tâdelâ et de Tàmesnâ, se
souleva, après la mort de son père, Aboû’l-Ançâr ben
Aboû c Ofeyr Berghawâti, qui avait commencé par faire
des promesses de fidélité. Nous en reparlerons.

Quant à Aboû Yezîd Ifreni ZenâtK 3 ), il s’appelle Makh-
led ben Keydâd ben Sa c d AUâh ben Moghîth ben Kermàn
ben Makhled ben c Othmân ben Ourîmet ben Tabak’-

(1) Le nom de ce poète est écrit Ahmed ben Mohammed el-Merou-
di, dans Bekri (p. 143), qui cite quatre vers de la pièce qui suit.

(2) Dans Bekri (p. 144), où se retrouvent ces vers, on lit : « Toi qui
t’enquiers de notre pays d’Occident. »

(3) Voir Iim el-Atbir, p. 324, et ci- dessus, p. 277.

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– 314 –

râsen ben Semîdàn ben Ifren, lequel Ifren était père dé
la Kâhina. Tous les Zenâta tirent leur origine deDjànà
ben Yah’ya.. .

Ibn H’ammâdat 1 ) raconte qu’Aboû’I-K’âsim. Chi c i, à la
suite de la mort de son père c Obeyd Allah, manifesta
publiquement ses croyances, fit injurier les gens de la
Caverne et du Manteau <*) et lancer d’autres accusations de mensonge contre le saint Livre de Dieu ; quiconque s’occupait de théologie était châtié et puni de mort, et les musulmans lurent soumis à de terribles épreuves. Alors Aboû Yezid descendit des montagnes de l’Aurès en appelant les populations à embrasser la doctrine qu’il disait être la vraie ; bien qu’elles ne la connussent pas, elles espéraient trouver en lui le bien et le maintien dé la foi traditionnelle. Il se souleva donc contre les Chi c iles et pénétra en If rîk’iyya, où il détruisit les villes, ravagea le territoire et fit des massacres sans nombre. En 332 (3 septembre 943), Aboù’l-R’àsim Chi c i dut fuir de Rak’k’âda pour se retirer à Mehdiyya, tant étaient grands les succès d’Aboû Yezid .Celui-ci, qui était un imâm des Ibâd’ites nakkarites du Maghreb, avait étudié, ditEr- Rak’ik’, sous [Aboû] c Ammâr el-A c ma, employait l’âne comme monture et portait le titre de Cheykh des croyants (1) Cet auteur, qui a été cité antérieurement, ne parait pas être le même qu’Ibn Hammàd, à en juger d’après le récit de ce dernier tra- duit dans le J- As. 1852, t. n, 472. Au surplus, nous savons qu’un Ibri H’ammàda Bernesi a vécu postérieurement au célèbre kàdi Aboù’l- Fad’l ‘Iyâd\ de qui il cite un ££.U’J\ £*^-, chronique traitant de l’Espagne et du Maghreb, et qui n’est peut-être autre chose que le Crt^j^ t^ du même 4 Iyâd* (ms 2106 de Paris, f. 354, v). (2) C’est-à-dire le Prophète et sa famille, par allusion à la caverne où il se réfugia avec Aboû Bekr et au manteau dont il couvrit sa fille, son gendre et ses deux petits-fils, . Digitized by Google — 315 ->

Çcheykh el-mouminîn). [P. 225] « Alors, dit Ibn Sa’doûn,
Dieu suscita contre Aboû’l-K’âsim le khâredjite Makh-
led ben Keydàd, qui le vainquit et livra ses guerriers à
la mort. Il était soutenu par les musulmans, les juristes et
les gens voués à la dévotion, » qu’Ibn SaMoûn énumère
tous dans son livre, « qui marchèrent avec lui contre
l’ennemi commun. Il s’avança contre K’ayrawàn, où il
entra en çafar de cette année (octobre 943), fit montre
devant les habitants d'[opinions] correctes et employa
la formule « que Dieu leur fasse miséricorde », en par-
lant d’Aboïl Bekr et d’ c Omar; enfin il appela le peuple
à la guerre sainte contre les Chi c ites et ordonna d’étudier
(et d’appliquer) la doctrine malékite. Lés juristes et les
gens de bien se répandirent dans les marchés en pronon-
çant les’prières pour le Prophète, pour ses Compagnons
et pour ses femmes. Les insurgés plantèrent alors
leurs étendards auprès de la grande mosquée. Le ven-
dredi ils se réunirent dans ce temple, montés et armés,
en compagnie d’Aboû Yezid et précédés d’étendards et de
tambours. Entre autres, deux étendards jaunes portaient
l’un les formules « au nom de Dieu » et « Moh’ammed
est 1 apôtre de Dieu » ; l’autre « Une aide venant de Dieu et
une victoire prochaine [seront réalisées] par le cheykh
Aboû Yezid ; ô grand Dieu, secours ton ami contre ceux
qui injurient tes amis ! » Un autre étendard portait :
« Combattez les chefs de l’impiété, etc. » (Koran, ix, 12);
on lisait sur un autre : « Combattez-les, Dieu les châtiera
par vos mains, les couvrira d’opprobre et vous viendra en
aide » (ib. t ix, 14) ; un autre encore portait, à la suite de
Au nom de Dieu, etc., « Moh’ammed est l’apôtre de Dieu ;
Aboû Bekr le véridique ; c Omar le diviseur». Enfin le
septième portait ; « Il n’y a de divinité qu’Allah ; Mob’am-

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– 316 –

med est l’apôtre de Dieu. Si vous ne le secourez pas,
Dieu l’a secouru lorsque les infidèles l’ont fait sortir lui
second, alors que, se trouvant avec son compagnon dans
la caverne, il lui disait : « Ne te chagrine pas, Dieu est
avec nous » (Koran, ix, 40).

« Quand tout le peuple fut réuni, l’imâm monta en
chaire, prononça une khoiba enflammée et appela le peu-
ple à la guerre sainte, en lui dépeignant les récom-
penses qu’elle devait lui procurer. Il termina en mau-
dissant c Obeyd Allah et son fils, et le peuple, sortant
à sa suite, marcha à la guerre, si bien qu’Aboû Yezid,
toujours le plus fort, vainqueur de ses adversaires et
les envoyant à la mort, resta mai Ire de la presque tota-
lité de l’Ifrîk’iyya. [P. 226] Quand Aboû Yezîd se vit
maître du souverain pouvoir ou à peu près, que le Chi c ite
ne comptait plus ou que peu s’en fallait, il dit à ses
soldats de laisser dans les rencontres les K’ayrawâ-
niéns à découvert, de façon que l’ennemi tombant sur ces
derniers et les épargnant eux-mêmes, on se trouvât
débarrassé de ces auxiliaires sans avoir à les tuer. IL
voulait ainsi ne pas endosser aux yeux de la foule
l’odieux de leur mort, car son intention était de se débar-
rasser d’eux dans la conviction où il était que, après la
mort des cheykhs et des chefs religieux de K’ayrawàn, il
resterait maître de ceux qui les suivaient et les amène-
rait à suivre ses doctrines. C’est ainsi que périrent ceux
des hommes de bien et des juristes de K’ayrawàn dont
Dieu voulait la félicité par le martyre; mais alors la
masse, saisie de regret et voyant que tous les amis de
Dieu étaient morts en martyrs, se sépara fort irritée
d’Aboû Yezîd. Quant à Aboû’l-K’àsim, il était serré des
plus près quand il mourut. »

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^ 317 -»

En 333 (23 août 944), Aboû Yezîd tua le page Mey-
sera ( 4 ), général d’Aboû’l-K’âsim. Cette année vit de nom-
breuses rencontres entre ce dernier et Aboû Yezîd,
notamment l’affaire célèbre du Wâdi’1-Malh’, où Aboû’l-
Kâsim perdit un nombre d’Jhommes incalculable.

Aboû’l-K’âsim el-K’â’im bi-amr Allah, fils d ,f Obeyd
Allah, mourut en 334, le dimanche 13 chawwâl (17 mai
946), après un règne de douze ans.

Règne d’Ismà’tl ben Aboûl-K’&sim ben ‘Obeyd Allah.

Ce prince, dont le langage était choisi et éloquent,
naquit à Mehdiyya en 302 (26 juillet 914) et monta sur le
trône à l’âge de trente-deux ans; porteur du prénom
d’Aboû’t-T’âhir et du surnom d’El-Mançoûr, il avait été
proclamé héritier présomptif au mois de ramad’ân et
reconnu comme tel dans les prônes prononcés du haut
des chaires en Ifrîk’iyya.

En 335 (10 août 946), Aboû Yezid s’avança vers Meh-
diyya, puis se porta sur Sousse, dont les habitants
l’accueillirent les armes à la main, ce qui a fait dire (*):

[P. 227 ; Wâfir] Il a marché sur Sousse et l’a audacieu-
sement attaquée, mais cette ville avait Dieu pour protecteur.
Sousse est pour le royaume un rempart devant lequel s’in-
clinent villes et places fortes. Maudits ceux qui l’attaquent,
comme furent maudits K’oreyz’a et Nad’îr ! Le Créateur de

(1) Ce nom est aussi écrit Meysoûr. Wâdi’1-Malh’ est situé entre
Tomàdjir et Mehdiyya (Bekri, p. 73 ) cf. lbn el-Athir, p. 331 ; Fournel,
n, 242).

(2) Des six vers cités par Bekri (p. 86) et attribués par lui à Ahmed
ben Beledj (?), nous avons ici les quatre premiers, avec une variante
inacceptable dans le second hémistiche.

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– – 318 rr^

toutes choses a, dans la confusion universelle, employé
Sousse pour exalter la vraie foi.

Aboû Yezid s’en éloigna donc, retourna vers Mehdiyya
et fit de tels progrès, qu’il vint cogner de sa lance la porte
de cette ville. Un fantassin pénétra alors dans le palais
et y trouva Ismâ e il jouant avec une anguille dans le
réservoir : « Tu joues, dit-il au prince, pendant qu’Aboû
Yezid plante sa lance dans la porte ! — Tu es sûr qu’il
Ta fait ? — Je l’affirme. — 11 n’y reviendra pardieu ! plua
jamais, car son heure est arrivée ; c’est là ce que nous
avons trouvé dans nos livres. » Et aussitôt il fit monter
ses troupes à cheval pour attaquer le rébelle (‘).

En 336(22 juillet 947), AboûVTàhir el-Mançoûr décida
la fondation de Cabra, dont il traça le plan et qu’il
appela El-Mançoûriyya. D’après El -Bekri, Mehdiyya
resta la capitale des Benoû ‘Obeyd, jusqu’à ce qu’Aboû’t-
T’âhir, l’un d’entre eux, se rendit à K’ayrawàn après
qu’il eut tué Aboû Yezid (*). Il bâtit alors la ville de Cabra,
dont il fit sa résidence, et la plupart des faubourgs de
Mehdiyya se vidèrent et tombèrent en ruines, [d’autant
plus que] ce prince transporta à Cabra le marché de
K’ayrawàn. Située à environ un demi-mille de cette der-
nière, elle comptait quatre ( 3 ) portes. De Mehdiyya à

(1) Sur cet incident et la date qui lui est assignée, cf. la note de
Fournel, n, 274.

(2) Le texte de Bekri n’est pas reproduit littéralement: notamment
dans ce passage, le célèbre géographe dit qu’El-Mançoûr se rendit
en 334 à K’ayrawàn pour combattre Aboû Yezid (qui en effet ne lut
tué qu’en ,336), et il place sous Tannée 337 la fondation de Cabra
(Bekri, pp. 64 et 76; cf. Fournel, il, 283).

(3) Bekri (p. 64) dit cinq portes, et il en donne les noms; lbn
H’ammàd dit aussi quatre (/. asiat., déç. 1852, p. 479).

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— 319 –

Sellak’t’aW, il y avait huit milles, et c’est de ce dernier
endroit que partit Aboû Yezîd pour mettre le siège
devant Mehdiyya ; son camp était à Ternoût’. On lit dans
les livres de prédictions: « Quand le Khâredjite aura
attaché ses chevaux à Ternoût’, il n’y aura plus rien de
sûr pour les gens du littoral ; habitants du littoral, gare
au camp d’Ibn Keydâd !»

Bâdja eut aussi; à subir des pertes, tant en morts
qu’en prisonniers, du fait d’Aboû Yeztd, ce qui a fait dire :

[Redjez] Ensuite il fit du mal à Bâdja, dont il chassa et
dispersa les habitants (2).

[P. 228] Quand El-Mançoûr fut résolu à marcher contre
lui pour l’attaquer, il distribua la solde à ses troupes et
procéda à des levées ; puis il s’avança, et Aboû Yezid dut
fuir; Ismâ e il le fit poursuivre jusqu’au pays des Kotâmat 3 ),
où l’agitateur vaincu se fortifia dans la montagne dite
H’içn Aboû Yezîd. Il fut pris vivant, mais couvert de
blessures, et El-Mançoûr l’emmena dans une cage de
fer à Mehdiyya, où il le fit exécuter, puis crucifier sur la
porte même qu’Aboû Yezîd avait autrefois cognée de sa
lance. D’après El-K’od’â e i (*), ce rebelle mourut en môh’ar-
rem 336 (juillet-août 947); il fut écorché, bourré de coton
et mis en croix dans cet état. D’après Ibn H’ammâda,

(1) Voir Bekri (p. 76, n. 2. et p. 198) ; Edrisi ne compte que six
milles entre Mehdiyya et SellakVa.

(2) Ce vers est extrait d’un poème satirique dirigé contre Aboû
Yezid (Bekri, p. 138).

(3) On lit ailleurs Kiyàna, qui est probablement la bonne leçon
(Ibn el-Athir, p. 346).

. (4) Le kâdi Moh’ammed ben Selàma, -f 454 H., est auteur des
f Oyoûn el-me’ârif, bref résumé historique où Ton retrouve en effet
le renseignement qui suit (ms 1491 de Paris, f. 116 v°).

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— 320 —

El-Mançoûr, à la suite de sa victoire sur Aboû Yezîd, se
dirigea sur K’ayrawân, où il fit son entrée dans cette
môme année, fit exécuter certains parents du vaincu et
mettre’ d’autres à la torture; les supplices auxquels il
les soumit durèrent tant qu’il vécut. Au dire d’El-K’od’â’i,
ce fut en 337 (10 juillet 948) qu’El-Mançoûr s’installa à
Mançoûriyya.

En 339 (19 juin 950), Aboû’t-T’àhir el-Mançoûr se trans-
porta en Orient et remit en place la Pierre noire, à l’an-
gle du saint Temple de Dieu, alors qu’El-Mot’i* était
depuis cinq ans sur le trône. Elle en avait été enlevée
par Soleymân ben el-H’asan K’armatt, que Dieu mau-
disse ! en 317 (13 février 929), sous le règne d’El-Mok’ta-
dir l’Abbaside; l’hérétique avait lait perpétrer ce sacri-
lège par la main de Dja c far ben Aboû e Iladj. Les frères
de Soleymân, après la mort de celui-ci, renvoyèrent la
Pierre, qui lut remise en place en la dite année par la
main de H’oseyn ben el-Merwezi Kinâni, après une
interruption de vingt-deux ans environ. Elle était tout
entière, à l’exception de la face externe, d’un blanc écla-
tant du temps d’ibn ez-Zobeyr; elle devint noire au
cours des temps par le sang provenant des holocaustes
dont la noircirent les infidèles et par leurs attouche-
ments. Ed-Dhi’bi raconte avoir assisté aux deux opéra-
tions, de l’enlèvement et de la remise en place M.

En 340(8 juin 951), Aboû’t-T’àhir Ismâ c îl [P. 229] dési-
gna son fils Aboû Temîm Ma c add comme héritier présomp-
tif. Il alla à Djeloûla en partie de plaisir et en revint

(1) Ibn el-Athir. (texte, vm, 365} ne mentionne pas la coopération
d’El-Mançoûr à la remise en place de la Pierre noire ; voir d’ailleurs
de Goeje, Carmathes, pp. 100 et 158»

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— 321 –

malade, et ce fut dans cet état de santé qu’il prononça la
prière de la Rupture du jeûne.

Le dernier jour de chawwâl 341 (18 mars 953) mourut
ce prince, fils d’Aboû’l-K’âsim el-K’â’im ben f Obeyd
Allah le Mahdi, à l’âge de trente-neuf ans, après un
règne de sept ans et quinze jours ( l >. Il avait eu pour
chambellan Dja c far ben c Ali.

Règne de Ma’add el-Mo’izz li-dîn Allah ben Ismâ’îl.

AboûTemim Ma c add, surnommé El-Mo c izz li-din Allah
et fils d’Ismâ c il ben Aboû’l-K’âsim ben c Obeyd Allah, né
à Mehdiyya en ramad’ân 319 (septembre-octobre 931),
monta sur le trône à l’âge de vingt-deux ans et fut le
premier Obeydite qui régna en Egypte. Après la mort
de Kâfoûr Ikhchîdi, émir de ce dernier pays, Mo c izz y
envoya son général Aboû’l-H’asan Djawher, qui avait fait
partie de la garde de son père Ismâ c il. Chrétien d’ori-
gine, Djawher avait été importé par l’eunuque Çàbir et
était passé ensuite entre les mains de l’eunuque Khafif,
qui l’offrit à El-Mançoûr Ismâ c il II s’était distingué au
service de celui-ci, et fut envoyé par El-Mo c izz avec une
armée en Egypte, dont il conquit la capitale, le mardi 17
cha r bàn (6 juillet); les chefs Ikhchîdites s’enfuirent en
Syrie, et la prière fut dite au nom d’El-Mo c izz, le ven-
dredi 20 cha c bân 358 (9 juillet 969), dans la Vieille mos-
quée (el-Djâmi c el^atlk”), par Aboû Moh’ammed Chim
chât’K 2 ) ; la prière fut aussi dite en son nom à la Mekke,

(1) On trouvera le récit des circonstances de sa mort dans Ibn el-
Athir, p. 356 ; Wûstenfeld, p. 95, etc.

(2) J’ai rétabli la lecture exacte de ce nom, telle qu’elle est fixée
par le Lobb el-Lobâh, et qu’elle figure d’ailleurs dans lbn el-Athir
(p. 336).

21

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– 322 –

lors du pèlerinage de la même année, et à Médine ce fut
Aboû Moslim c Alewi qui ‘s’acquitta de cette fonction.
Dja ff far ben Felâh se rendit en Syrie et s’empara de la
personne d’El-H’oseyn ben c Abd Allah, qu’il envoya à
Djawher ; [P. 230] celui-ci l’expédia dans un convoi qui
comprenait en outre plusieurs Ikhchidites ainsi que des
présents, et qui, conduit par son fils Dja c far, arriva au-
près d’El-Mo c izz, en llrîk’iyya, en redjeb 359 (mai-juin
970).

En 342 (17 mai 953), le kbatib de K’ayrawân étant
mort en chaire d’une attaque de paralysie, la khotba fut
achevée par le juriste Aboû Sofyân.

En 344(26 avril 955), il naquit à El-Mo c izz un fils, qu’il
nomma Nizâr.

En 346 (‘3 avril 957), arriva à Ceuta un gouverneur
nommé par le khalife d’Espagne EinNàçir c Abd er-RalV-
mân, avec mission de fortifier cette ville et d’en recons-
truire les murailles; cet officier, se conformant à Tordre
du prince, les édifia en tuf U).

En 317 (24 mars 958), Djawher, général d’Aboû Temîm
el-Mo c izz, arriva dans le Gharb; il s’empara d’abord de
Fez, puis marcha vers Tetuan ; il arriva alors à la pénin-
sule qui constitue Ceuta (^:u~> ^r^)> et ses efforts
devant cette place étant restés infructueux, il se dirigea
sur Sidjilmàssa. Moh’ammed ben el-Emîn( 2 ) el-Fath’,
prince de cette ville, prit la fuite devant lui et se fortifia
dans un forU 3 ), à douze milles de Sidjilmàssa, où il era-

(1) Dans le t. n du Bayân (p. 234 et s.), il est plus longuement
parlé des rapports de l’Espagne avec l’Afrique à cette époque ; voir
aussi Founiel (u, 315).

(2) Ou « ebEmir », d’après Bekri (suprà, p. 298); cf. Ibn Haukal,
p, 57.

(3) Que Bekri (p. 335) appelle Tàseâjàlt, nom que portait aussi la
K’al’at H’awwâra, ou Calaa de THillil actuel.

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– 323 –

mena sa famille et ses biens, ainsi qu’une partie de ses
adhérents. Nous avons dit déjà quelque chose de ce
prince, qui portait le surnom d’Ech-Châkir billàh. Sidjil-
mâssa était occupée par Djawher. Or, Moh’ammed ben
el-Fath , sortit du fort avec un très petit nombre des
siens pour se renseigner incognito; reconnu par une
troupe de Medghara, il fut pris par trahison et emmené
par ces gens à Djawher, qui le fit exécuter en redjeb
(septembre-octobre 958). Ce général, après un séjour
d’environ un an dans le Gharb, regagna rifrik’iyyaM.

En la même année arriva à Cordoue, fuyant devant
Djawher, El-H’asan ben K’annoûn Tldrîside. Les Benoû
Moh’ammed ben el-K’âsim, qui étaient de la famille
d’Idris ben Idris, s’étaient d’abord entendus pour déman-
teler Tetuan ; mais après avoir exécuté ce projet, ils en
eurent du regret et recommencèrent à la reconstruire.
Les habitants de Geuta, à qui cette reconstruction faisait
tort, leur cherchèrent querelle, et alors c Abd er-Rah’-
màn en-Nâçir envoya des troupes commandées par
Ahmed ben Ya c la pour mettre les Benoû Moh’ammed à
la raison, en même temps qu’il écrivait à H’orneyd ben
Yeçâl, prince de Tikîsâs et de la région, de prêter
main-forte à son général. [P. 231] En présence de ces
deux armées réunies, les Benoû Moh’ammed durent cé-
der, et ils envoyèrent à Cordoue leurs enfants comme
otages.

(1) II est peu vraisemblable que Djawher ait attaqué Ceula et les
villes de la côte avant Sidjilmàssa. D’ailleurs, c’est en 347 que notre
auteur a plus haut fait arriver Djawher dans le Gharb (voir Four-
nel, ii, 320 et 322). C’est à 347 aussi que Bekri (p. 336) fixe la date de
la prise de Sidjilmàssa, de mémo qulbn Khaldoûn (Berbères, i, 264).
Voir encore Ibn el-Athir, p. 360.

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– 324-

En 348^13 mars 959), c Abd er-Rah’màn en-Nàçir reçut
du gouverneur commandant à Ceuta une lettre l’infor-
mant du succès remporté sur Djawher, le général chiite.

En 349 (2 mars 960), El-Mo c izz fit intimer par le kàdiles
ordres suivants aux imams et aux crieurs des mosquées:
dans Tappel à la prière, on devait ne dire que accourez à
V œuvre excellente) prononcer en tête de chaque sourate
du Koran au nom du Dieu clément et miséricordieux en
faisant deux salutations; répéter à cinq reprises dans
les- funérailles Dieu est grand) ne pas retarder la prière
de l’après-midi, ni dire au point du jour la dernière prière
de la nuit; enfin les femmes ne devaient pas crier lors
des funérailles, ni les aveugles réciter, sauf lors de
l’inhumation, le Koran sur les tombes.

En 350 (19 février 961), mourut à Cordoue, où il était
en qualité d’otage, H’oseyn ben Ah’med ben Ibrahim ben
Moh’ammed ben IdrisH’asani. Les deux fils qu’il laissa,
Moh’ammed et H’oseyn, continuèrent de résider à Cor-
doue jusqu’au khalifat d’El-H’akam, qui les renvoya
vivre auprès de leurs frères dans le Gharb, où ils arri-
vèrent, en redjeb 354 (juillet 965).

En 351 (8 février 962), les chrétiens conquirent et gar-
dèrent les deux villes d’El-Meçiça et de T’arsoûs.

En 352 (29 janvier 963), au mois de chawwâl (octobre-
novembre 963), arriva auprès d’El-H’akam el-Mostançir
billâh un ambassadeur du nom d’Aboû Çâlih’ Zemmoûr
Berghawâti, envoyé par Aboû Mançoûr c lsa ben Aboû’l-
AnçârC 1 ), émir des Berghawâta. c Isa ben Dâwoûd Mes-

(1) Appelé par lbn el-Athir (trad., p. 379) « ‘Abs ben Oumm el-
Ançar ». Comparez ci-dessus, p. 57, et les auteurs cités., ainsi que le
Kartàs, p. 82. L’arrivée de cet ambassadeur est aussi rappelée dans
le Bayân, h, 250.

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– 325 —

t’âsH 4 ), qui lui servait d’interprète arabe, donna à El-
H’akam les renseignements que lui demanda ce prince
sur l’origine et les croyances des Bergbawàta. D’après
les renseignements fournis par Zemmoûr, le père de
leurs princes est Tarif, descendant de Chim c oûn (Si-
méon), fils de Jacob, fils d’Isaac. Tarif figurait parmi
les partisans de Meysera, prince du Magbreb dont il a
été parlé, et à la suite de la mort de celui-ci et de la
dispersion de ses compagnons, il s’installa dans la
région de Tâmesnâ. [P. 232] Les Berbères le prirent pour
leur chef et il les gouverna; il professait la religion mu-
sulmane, et la presqu’île de Tarif tire son nom de lui. Il
resta à leur tète jusqu’à sa mort et laissa quatre fils,
dont l’un, Çàlih’ ben Tarif, né en 110 (15 avril 728), lui
succéda. Celui-ci se donna comme prophète, prit le nom
de Çâlih* el-mou’mintnW, et transmit à son fils Elyâs la
croyance nouvelle qu’il avait instituée, en lui recom-
mandant de ne la dévoiler que quand, devenu assez puis-
sant, il pourrait faire de la propagande et mettre à mort
ceux qui lui feraient de l’opposition ; il lui recommanda
aussi de rechercher l’amitié du prince régnant en Espa-
gne, et il partit pour l’Orient, prétendant qu’il reviendrait
sous le règne de son septième successeur, qu’il était le
grand Mahdi qui doit apparaître à la fin des temps pour
combattre l’Antéchrist, qu’il remplirait la terre d’autant
de justice qu’elle avait été remplie d’iniquité, faisant
enfin sur ce sujet un long discours qu’il attribuait au
prophète Moûsa (Moïse), au devin Satih'( 3 ) et à d’autres.

(1) Settàsi chez Bekri.

(2) A qui le Koran fait allusion (S. lxvi, v. 4).

(3) Célèbre devin qui vivait encore lors de la naissance du Pro-
phète (Desvergers, Vie de Mohammed, p. 202).

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– 326 —

Son successeur fut Elyâs ben Çâlih’ben Tarif, qui pro-
fessa [extérieurement] l’islamisme et respecta les lois de
la pureté ; il régna cinquante ans et mourut en laissant
plusieurs enfants. Il fut remplacé par son fils, Yoûnos
ben Elyâs, qui avait voyagé en Orient et qui, le premier
de sa famille, avait été en pèlerinage. Il enseigna publi-
quement la religion de son aïeul, invita les populations à
l’embrasser et massacra ceux qui ne répondirent pas à
son appel, si bien qu’il laissa désertes huit cents des
localités habitées par les Berbères et tua, dit-on, environ
7,700 hommes. Il mourut après quarante ans de règne,
et l’autorité ne passa pas aux mains de ses fils. En effet,
ce fut Aboû e Ofeyr Moh’ammed ben Mo c âdh (*) ben El-
Yasa e ben Çàlih* ben Tarif qui s’empara du pouvoir. Il
pratiqua la religion de ses ancêtres et acquit une très
grande puissance. Il livra aux Berbères diverses ba-
tailles restées célèbres, notamment celle de Tâma c zà( 2 ),
où le massacre se poursuivit pendant trois jours, et
celle de Beht, dont on ne put venir à bout de compter
les morts. Aboû c Ofeyr, qui avait quarante-quatre fem-
mes-,.laissa un nombre d’enfants proportionné et mourut
après [P. 233] vingt-sept ( 3 ) ans de règne.

Il eut pour successeur, à la fin du troisième siècle,
son fils Aboû’l-Ançâr c Abd Allah ben Aboû c Ofeyr, qui
était un homme généreux, aimable, scrupuleux obser-
vateur de sa parole et des traités, protecteur de ses
voisins et rendant largement les cadeaux qu’on lui fai-
sait. Il avait le nez camus et portait une longue barbe;

(1) Dans Bekri (p. 305), « Aboù Ghofeyr Yah’med ben Mo’àd ».

(2) Chez le même, Timghasen.

(3) Bekri dit « vingt-neuf ».

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— 327 –

le teint de son visage était très coloré, et il avait le
corps très blanc ; comme costume, il portait les pantalons
larges et le manteau (milKafa), mais non la tunique
(kamîç) ; le turban ne lui servait de coiffure que pour le
combat, car nul de son peuple ne le porte, et on ne
le voit chez eux que sur la tête des étrangers. Chaque
année, il faisait des levées comme s’il préparait quelque
expédition contre les tribus voisines, qui s’empressaient
de lui faire des présents, de sorte qu’alors il ne bougeait
pas. Son règne fut tranquille et dura environ quarante-
deux ans.

Il eut pour successeur son fils Aboû Mançoûr c Isa ben
Aboû’l-Ançâr, qui députa en 352 (29 janvier 96o) le dit
Zemmoûr au prince Omeyyade El-Mostançir billâh, et
dont voici la généalogie- c Isa ben Aboû’l-Ançâr c Abd
Allah ben Aboû c Ofeyr Moh’ammed ben Mo c àdh ben El-
Yasa c ben Çàlih’ ben Tarif. Monté sur le trône à vingt-
deux ans, il marcha sur les traces de son père, pratiqua
la même religion et acquit une gratnde puissance. Son
père, en mourant, lui avait recommandé de cultiver
l’amitié du prince régnant en Espagne, « car, lui dit-il,
tu es le septième prince de notre maison et j’espère que
tu verras revenir ton aïeul Çâlih’, ainsi qu’il l’a promis. »
Ici s’arrêtent les renseignements que j’ai résumés
d’après le récit de Zemmoûr.

D’après Aboû’l- c Abbâs [Fad’l ben Mofad’d’el] Madh-
h’idji, Yoûnos, l’instaurateur de la religion des Bergha-
wâta, tirait son origine de Chidhoûna (Sidonia, en
Espagne), dans la région du Wàdi Berbât’d), et s’était

(1) On retrouve le nom de cette rivière dans Edrisi (p. 214), ainsi
que dans le Bayân (n, 39, 1. 5) ; cf. Bekri, p. 308, note ; Istibçâr,
p. 157.

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—■ 328 —

rendu en Orient en 201 (29 juillet 816) avec c Abbâs ben
Nâçih’, Zeydben Sinân Zenâti, adhérent (çâhib) des Wâ-
çiliya, Barghoûth ben Sa f id Tirâri, l’aïeul des Benoû
c Abd er-Rezzâk, lesquels sont connus sous le nom de
Benoû Wekîl et qui sont çofrites, Mennâd, prince de la
K’al c a Mennâdiyya, autrement nommée K’al e at H’ammâd,
ainsi qu’un autre dont le nom m’échappe. Quatre de ces
hommes se distinguèrent par leurs connaissances dans
les sciences religieuses. Yoûnos, continue-t-il, qui était
le chef des Berghawâta, prétendit avoir reçu le don de
prophétie; il absorbait une boisson (*) pour se fortifier
la mémoire et retenait en effet tout ce qu’il entendait ; il
étudia [P. 234] l’astrologie et la divination et s’appliqua
à la controverse ; après quoi il alla s’installer chez les
Berbères. Se rendant compte de leur ignorance, il leur
prédisait des choses dont l’astrologie lui révélait la réa-
lisation et qui arrivaient comme il l’avait dit ou à peu
près. Il acquit ainsi une grande influence, et alors, bien
convaincu de leur inintelligence et de leur ignorance, il
leur exposa son système de religion et s’attribua le
caractère de prophète. Il donna à ses adhérents le nom
de Berbât’i, que leur prononciation transforma en Ber-
ghawâti. Yoûnos avait d’ailleurs fait périr un grand
nombre de Berbères, si bien que les autres en vinrent à
lui obéir et à embrasser sa religion.

Voici des vers extraits d’une longue kaçîda de Sa c id
ben Hichâm Maçmoûdi sur la bataille de Beht :

[Wâfir] Femme ! ne pars pas encore ; reste et dis-nous,
raconte-nous des détails certains. Les Berbères, égarés et per-
dus, sont frustrés dans leurs espoirs ; puissent-ils ne plus

(1) Dans Bekri, « la boisson qui sert à fortilier, etc. ».

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– 329 –

s’abreuver d’une çau limpide ! « Le Prophète, disent-ils, c’est
Aboû Ghofeyr » ; puisse Dieu couvrir d’opprobre la mère de
ces menteurs ! N’as-tu pas vu et entendu la journée de Beht
et les gémissements poussés sur les traces de leurs coursiers
par des femmes éplorées, les unes hurlant à cause des en-
fants qu’elles avaient perdus, les autres ne pouvant retenir
le fruit de leurs entrailles? Là [au jugement dernier] se trou-
veront Yoûnos et les fils de ses fils, tout près de leur perte
et toujours orgueilleux (i). Ce n’est pas maintenant [leur dira-
t-on] qu’il faut vous convertir, c’était au temps où vous étiez
les adhérents de Meysera !

Par le mot motamayyisir, il entend les Meyâsara ou
adhérents de Meysera. Les doctrines erronées dont il
est question consistent en ce que ces gens reconnaissent
le caractère de prophète à Çâlih’ ben Tarif et affirment
que les paroles qu’il rédigea pour eux sont une révéla-
tion divine au sujet de laquelle ils n’ont pas le moindre
doute. Il leur imposa de jeûner pendant le mois de redjeb
et de manger en ramad’ân, de faire cinq prières chaque
jour et autant chaque nuit, de faire le sacrifice le onze
de moh’arrem, de faire les ablutions purificatrices en se
lavant le nombril et les flancs, en se nettoyant les par-
ties génitales, en se rinçant la bouche, en se lavant la
face, en s’humectant et se frottant la nuque, en se lavant
les avant-bras et les épaules, en s’humectant à trois
reprises la tète [P. 235] et les oreilles, puis en se lavant
les pieds à partir des genoux. Une partie de leur prière

(1) Ce vers présente dans notre texte une variante que j’ai tenté de
rendre; mais la leçon qu’où trouve dans Bekri (texte, p. 138, trad.,
p. 308) et dans Ibn Khaldoûn {Berbère*, u, 128) est préférable. Ces
deux derniers textes donnent d’ailleurs dix vers de cette pièce, au
lieu de sept.

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– 330 –

se faisait sans prosternation, une autre à la mode musul-
mane ; ils faisaient trois prosternations à la suite Tune
de l’autre, levaient la figure et les mains à un demi-
empan du sol, récitaient la moitié de leur Koran pen-
dant qu’ils étaient debout et l’autre moitié étant incli-
nés, faisaient la salutation en leur langue par ces mots :
o Dieu est au-dessus de nous ; rien de ce qui est sur la
terre et dans les cieux ne lui est inconnu » ; puis ils
répétaient vingt-cinq fois les mots MoWor bâkoch^>qy\\
veulent dire le (grand par excellence) est Dieà et disent
A isem enW bâkoch, c’est-à-dire aie nom de Dieu, et
d’autres formules. Un homme peut épouser toutes les
femmes qu’il peut [nourrir], les répudie et les reprend à
sa guise. Le voleur dont la faute est prouvée par son
aveu et par des témoignages est puni de mort ; le forni-
cateur est puni de mort ; le menteur, qu’ils appellent le
trompeur, est banni. Le prix du sang est de cent têtes de
gros bétail. La tète de< 3 ) tous les animaux est illicite ; le
poisson ne devient licite que s’il est égorgé ; le coq et
les œufs passent pour illicites, et l’usage de la poule, à
moins de nécessité, pour blâmable. Il n’y a ni appel à la
prière ni réappel (ik’âma), le coq seul leur indiquant par
ses chants les heures de la prière, ce qui est cause de la
défense de manger. la chair de det animal. Ils se font
bénir en recevant (dans leurs mains) la salive de leur
(prophète). Des plus savants dans la science des astres,
ils étaient aussi, tant hommes que femmes, des plus

(1) Le mot inokor est vocalisé dans le ms, qui lit Bakoch, tandis
que les mss de Bekri présentent tous la leçon Yakoch.

(2) Dans Bekri, a bisem en Yacoch.

(3) J’ai introduit ces trois mots, qui manquent dans notre texte,
d’après Bekri.

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— 331 –

beaux. Le Koran que Çâlih’ composa à leur usage comp-
tait quatre-vingts sourates, donl la plupart portaient un
nom de prophète : ainsi la première était celle d’Ayyoûb
(Job), et il y avait celle de Yoûnos (Jonas) et d’autres
encore portant des noms de prophètes; il y avait aussi
celles de Pharaon, du Coq, des Sauterelles, du Chameau,
de Hàroût et Mâroût, du Jugement dernier, des Phéno-
mènes terrestres; cette dernière renferme une science
[P. 236] très cbnsidérée à leurs yeuxW. En 352(29 jan-
vier 963), beaucoup de tribus continuaient encore de sui-
vre cette doctrine.

Revenons-en maintenant à la suite de notre chroni-
que. El-H’akam (Mostançir ben c Abd er-Rah’màn), qui
devint en 350 (19 février 961) khalife d’Espagne, était
obéi de tout le Maghreb, et ce fut lui qui fit achever en
351 (8 février 962) la construction des murs de Ceuta.
En 353 (18 janvier 964), un rescrit adressé par ce prince
aux habitants de Ceuta les dispensa de toutes les rede-
vances gouvernementales et de toutes les charges réga-
liennes. Ibn H’ammâda dit avoir vu entre les mains -du
kâdi c Iyâd’ ce rescrit daté de çafar 353 (février-mars
964), où il était dit: « Et ce qui, dans la répartition géné-
rale ( 2 ), lui incombait en fait de charges alimentaires ré-
galiennes est reporté sur l’Aljarafe de Séville^). »

(1) On lit dans Bekri ^-dx«.J\ p\sô\ « chapitre qui, selon eux, ren-
ferme la science la plus sublime » (texte, p. 140, 1. 12 ; trad., p. 313).
Le Kartâs donne la même leçon (p. 84, 1. 3) ; cf, Istibçàr, trad.,
p. 161.

(2) Tak’sît”. sur ce mot, cf. pp. 244 et 256.

(3) Ech-Gharaf, l’Aljarafe des Espagnols, est une région de 40
milles de long sur 12 de large, qui s’étend entre Séville, Niébla et
l’Océan (Edrisi, p. 208 et 215).

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– 332 –

En 354 (6 janvier 965), mourut un personnage trop
célèbre pour qu’il soit besoin d’en parler, Aboû’l-T’ayyib
Motenebbi, qui, né à Koûfa en 303, était par suite âgé de
cinquante et un ans* 1 ).

En 357 (6 décembre 967 j, mourut à Miçr Kâfoûr
VoustâdW.

En 358 (24 novembre 968), à la suite de la mort de
Kâfoûr Ikhchidi, émir d’Egypte, Aboû Temim el-Mo c izz
envoya contre Miçr son général Aboû’l-Hasan Djawher,
qui la conquit au mois de cha c bàn (juin-juillet 969).

En redjeb 359 (mai-juin 970), Djawher fit parvenir à
El-Mo c izz de nombreux présents conduits par son fils
Dja’far.

En 360 (3 novembre 970), le Karmate El-H’asan ben
Ah’med arriva à Damas et fit exécuter Dja c farben Felâh’.
A la suite de la conquête de Damas, les Karmates s’avan-
cèrent vers Ramla( 3 ).

Le 22 chawwâl 361 (4 août 972), El-Mo c izz partit de
Mançoûriyya pour l’Orient, laissant Aboû’l-Fotoûh’ pour
le remplacer en Ifrik’iyya.

[P. 237] Débuts de la dynastie Çanhâdjienne en Ifrik’iyya ; gouverne-
ment d v Aboû’l-Fotoûh’ Toûsof ben Ztrl benHennâd Çanhâdji (*).

Lors de son départ pour l’Orient, EI-Mo c izz se fit rem-
placer par lui en Ifrik’iyya et fit écrire par les secrétaires

(1) Il s’agit du poète moderne le plus goùlc par les Arabes, voir
Ibn Khallikàn, i, 102, etc.

(2) D’autres le font mourir en 356, voir Fournel, n, 342.

(3) Sur ces événements on trouve des détails dans lbn el-Athir
(texte, vin, 451); voir aussi Wùstenfeld, p. 112, et les auteurs cités
par Fournel, n, 351.

(4) Plus connu sous le nom de Bologgin (voir Bçrbères, n,9; lbn

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– m –

aux gouverneurs et employés des finances qu’ils eussent
à obéir entièrement à Aboû’l-Fotoûh’, tandis que lui-
même, se transportant à Miçr, en fit sa capitale, de sorte
que ce chef devint l’émir de rifrîk’iyya et du Maghreb
tout entier. Quand, raconte El-K’od’à’i, Aboû Temîm fut
arrivé à Alexandrie, le kâdi de Miçr, ses témoins instru-
mentantes et les principaux de la ville se portèrent à sa
rencontre pour le saluer et lui présenter leurs vœux et
leurs prières, et le 7 ramad’ànW ce prince s’installa
dans le palais dit d’EI-Mo c izz.

En djomâda I 363 (27 janvier-lfr février 974), le Kar-
mate arriva à Et-Tawâh’in [près de Ramla, en Palestine] ;
il tut mis en fuite au mois de cha’bân (avril-mai).

En 365, le vendredi 11 rebî c II (17 novembre 975), mou-
rut Aboû Temîm El-Mo c izz lidîn Allah, après un règne
de vingt-trois ans cinq mois et quelques jours, dont il
avait passé à Miçr deux ans et sept mois* 2 ).

Son successeur au trône d’Egypte fut Aboû’l-Mançoûr
el- c Aziz billâh Nizâr ben Aboû Temîm Ma c add, né à
Mehdiyya en moh’arrem 344 (avril-mai 955) et proclamé
héritier présomptif à Miçr, le 10 rebi c I 365 (16 novembre
975). On tint cachée la mort deson père et on leproclama
aussitôt Prince des croyants. Nous avons en partie ra-
conté ce qui le concerne dans l’histoire de l’Orient, en
parlant des princes d’Egypte.

Khallikân, i, 267; Ibn el-Athir, trad., p. 370). Un récit, qui parait
légendaire, des circonstances dans lesquelles le choix du Fatimidc
s’arrêta sur Bologgin est rapporté par Tidjàni («/. As. 1852, n, p. 81),
et ci-dessous, p. 305 du texte araj^e.

(1) Ou 11 juin 973 ; mais d’autres disent deux jours plus tôt (Four-
nel, il, 366).

_ (2) On n’est pas d’accord sur la date de la mort de ce prince, voir
les auteurs cités ibid., 366 et 367.

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— 334 —

En djomâda II 365 (comm. 4 février 976), Aboû’l-
Fotoûh’ envoya àEl- c Azîz billàh des cadeaux qu’il accom-
pagna, et l’émir d’Ifrik’iyya retourna ensuite à Rak’k’âda.
Les habitants de K’ayrawân se portèrent au-devant de
lui ; il leur fit très bon accueil et les hébergea somptueu-
sement. [P. 238] Aboû’l-Fotoûh* se résolut après cela à se
transporter au Fah’ç Aboû Çâlih’ (*), et les kàdis et les
cheykhs allèrent lui porter leurs adieux le 27 redjeb
(1 er avril 976) de la dite année.

En dhoû’l-hiddja (août 976), il ordonna au secrétaire
c Abd Allah ben Moh’ammed( 2 ), qu’il avait nommé gouver-
neur d’Ifrik’iyya, de préparer à Mehdiyyaune flotte bien
armée et munie de bons équipages. En conséquence,
c Abd Allah se rendit en cette ville et fit faire partout des
levées de matelots ; à K’ayrawân même, on mit la main
sur ceux qui étaient restés dans cette ville, et l’on en remplit
les prisons. Cette dernière mesure effraya tout le monde,
à ce point que ni grands ni petits ne sortirent plus de
chez eux et que, si quelqu’un venait à mourir, c’étaient
les femmes seules qui sortaient le cadavre.

Le 1 er moharrem 366 (29 août 976), la flotte appareilla
de Mehdiyya, mais les vents étant contraires, elle ne put
avancer, épuisa ses provisions et se trouva à court d’eau;
alors les matelots se rapprochèrent du continent et s’en-
fuirent après avoir pillé les approvisionnements et les
armes des bâtiments. c Abd Allah les fit chercher partout
où ils s’étaient réfugiés, et ceux qui furent pris furent
exécutés M,

(1) Localité proche de ZaghwAn (ci-dessus p. 118).

(2) Noweyri nous fournit sur ce personnage des détails qu’a repro-
duits M. de Slane {Berb., n, 13).

(3) S’agit-il là d’un projet d’attaque des pays chrétiens ? Rien ne

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– 335 –

En la même année, Ziyâdet Allah ben el-K’odeym
mourut dans la prison où le retenait le secrétaire f Abd
Allah ben Moh’ammed, qui, dit-on, le lit périr dans les
supplices (*)..

Ce fonctionnaire, qui avait à administrer l’Ifrîk’iyya et
K’ayrawân, fit convoquer toute la population, se saisit
d’environ six cents des plus riches et frappa chacun
d’une contribution déterminée, exigeant de l’un dix mille
dinars comme de tel autre un seul dinar. Il réunit ainsi
des sommes considérables qui furent prélevées dans les
divers cantons et au paiement desquels n’échappèrent
que les juristes, les gouverneurs, les lettrés et les amis
d k’oûb ben Yoû-
sof ben Killis grandit beaucoup auprès d’El- c Azîz, qui
abaissa et réduisit les Kotàma, en même temps qu’il
confia des commandements aux Turcs et aux Ikhchidites.
Il révoqua Djawher et d’autres vizirs.

En 371, le samedi 8 rebi c I (10 septembre 981), les pri-
sonniers Berghawâta firent leur entrée à Mançoùriyya ;
jamais les habitants d’Ifrîk’iyya n’en avaient vu un
nombre aussi considérable. On les promena dans les
rues de Mançoùriyya et de K’ayrawàn.

En la même année, Bàdîs ben Zirî apporta d’Egypte
un message commandant à Aboû’l-Fotoûh’ de choisir [et
d’envoyer à Miçr] mille des plus vaillants cavaliers
choisis parmi ses frères (de race, tels que) chez les
Çanhâdja, H’aboûs, Mâksen et Zâwi, chez les H’ammàma,
les Benoû Ziri, les Benoû H’ammâma ben Mennâd,
Zâwi ben Mennâd, et autres héros de la même valeur.
Du Gharb, où il se trouvait, Aboû’l-Fotoûh’ répondit

(1) Cf. Ibu el-Athir {Annales, p. 389),

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T^’

– m –

que les Omeyyadës d’Espagne s’étaient rendus maîtres
du pays du Gharb et que la prière s’y faisait dans les
mosquées à leur nom ; qu’il y était en expédition avec
les héros désignés par le Prince des Croyants et que,
si celui-ci persistait à se les faire envoyer, lui-même
quitterait le Gharb pour les lui conduire. A la suile de •
cette réponse le khalife n’insista pas.

Il y eut à Mehdiyya des tremblements de terre qui
durèrent pendant tout le mois de djomâda I et pendant
les dix jours qui suivirent (1 er novembre-10 décembre
981). Les secousses se répétèrent plusieurs fois par jour
et firent fuir la plupart des habitants, qui abandonnèrent
leurs demeures et ce qu’elles renfermaient.

En 372 (25 juin 982), Aboû’l-K’âsim H’asani, émir de Sicile depuis onze ans, fut tué dans une
rencontre avec les Francs. Son fils Djâbir prit le gou-
vernement et le garda un anW.

En 373 (14 juin 983), le secrétaire c Abd Allah ben Mo-
h’ammêd, gouverneur d’Ifrîk’iyya, fit son achat d’escla-
ves nègres : il imposa à chaque chef de canton de four-
nir trente esclaves par exemple, ou un nombre moindre,
et il en fut de même pour chacun des employés du kha-
râdj et des principaux de ses hommes. Il en réunit ainsi
des milliers, qu’il établit à Mançoûriyya.

Il installa la maison de fer qu’il remplit de richesses,
puis une maison de bois qu’il remplit également d’objets
de prix. Il laissa Dja c far ben H’abîb à Mançoûriyya et se
rendit à Mehdiyya, ainsi qu’il le faisait tous les ans.

(1) Cet alinéa figure dans la Biblioteca, n, 30, où on lit Hoseyni&u.
lieu de H’asani. Ibn el-Athîr (p. 389 et s.) parle plus longuement de
ces faits.

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^VW^jWBWÇ*?

– 350 ~

[P. 248] Mort d’Aboû’l-Fotoûh’ Yoûsof ben Zîrî ben Mennâd.

En cette année, alors qu’il venait de terminer son mas-
sacre des Berghawàta, mourut Àboû’l-Fotoûh’, qui s’éloi-
gnait de Sidjilmâssa et se trouvait au lieu dit Wârken-
foû (i), le dimanche 21 dhoû’l-hiddja (24 mai 984). Ibn
Khazroûn Zenâti avait tenté un coup de main contre
Sidjilmâssa, que gouvernait un officier d’Aboû’l-Fotoûh’,
y était entré et l’avait pillée. Cette nouvelle fut cause
qu’Aboû’l-Fotoûh’ se remit en marche vers cette ville ;
mais en route il fut pris de colique et mourut au lieu
susdit (2). Il adressa ses dernières recommandations à
l’un de ses intimes, Aboû Za c bel ben Hichâm, qui
informa El-Mançoûr de la mort de son père.

Gouvernement d’Aboû’1-Fath’ el-Mançoûr ben Aboû’l-Fotoûh’.

Il commença à exercer le pouvoir au commencement
de l’année 374 (3 juin 984), dans la ville d’Achîr < 3 ), et
mourut le jeudi 5 rebi c 1 386 (27 mars 996), c’est-à- dire au
bout de douze ans; il fut enterré à MançoûriyyaW.
C’était un homme généreux et bienfaisant, décidé et
entreprenant. « J’ai, dit Er-Rak’îk, raconté sa vie, ses

(1) Ce nom est différemment orthographié ; voir là-dessus et sur
la mort de Bologgin Ibn el-Athir, p. 394 ; Berbères, n, 12, et m, 256.

(2) Ibn Khaldoûn place la mort de Bologgin tantôt en 372 tantôt
en 373 (Berbères, n, 12; m, 259); Ibn el-Athîr en fixe la date au
22 dhoù’l-hiddja 373 (p. 394).

(3) Cette ville est décrite ailleurs {Berbères, u, 6 et 489 ; cf. Istibçâr,
trad. p. 105).

(4) Plus loin notre auteur place la mort d’El-Mançoûr au jeudi
3 rebî’ I 386, et le fait inhumer dans le nouveau palais du défunt en
dehors de Mançoùriyya.

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– 351 –

combats et ses actes de générosité dans un ouvrage
spécialement consacré aux biographies de son aïeul, de
son père et de lui ». Son surnom était c Oddat el- c Azîz
billâh fils de Yoûsof el- c Aziz billàh.

En 374 (3 juin 984), El-Mançoûr* dès qu’il connut la
mort de son père, fit partir d’Achîr en toute diligence
son frère ItewwoufetW avec ordre de marcher sur K’ay-
rawân et Mançoûriyya pour s’emparer d’ c Abd Allah ben
Moh’ammed. Ce personnage était alors à Mehdiyya et
avait comme lieutenants, à Mançoûriyya, Dja e far ben
H’abib, et à K’ayrawân Barhoûn. Itewwoufet les surprit
le mardi 15 moh’arrem (18 juin), au point du jour. Trou-
vant les dépôts fermés et le trésor muni d’une serrure,
[P. 249J il prit les clefs, ouvrit celui-ci ainsi que l’arse-
nal, et il procéda à un partage entre ses. compagnons;
de plus, il donna des montures à ceux des Çanhâdja de
Mançoûriyya qui n’en avaient pas. Après quoi il sortit,
et comme il rencontra dans unej*ug c Abd Allah il se
précipita sur lui, le jeta à bas de son cheval, le dépouilla
de ce qu’il avait et l’emprisonna pendant plusieurs jours.
Mais ensuite un ordre d’El-Mançoûr enjoignit à Itew-
woufet de le relâcher et de ne pas s’emparer de cette
région. ainsi que je l’ai fait; voir à la
page précédente.

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– 362 –

donné satisfaction. » Mais El-Boûni ayant nié la chose,
il fut [arrêté et] égorgé, et Yoûsof ben Aboû Moh’am-
med, gouverneur d’Ifrik’iyya, fut révoqué et remplacé
par le secrétaire Moh’ammed ben Aboû’l-‘ArabW.

En cette même année, arriva un rescrit d’El- e Aziz bil-
lâh attribuant la qualité d’héritier présomptif (de son
père) à Aboû Mennâd Bâdis. El-Mançoûr en conçut une
vive satisfaction, et à cette occasion des présents lui
furent adressés de partout.

Sa c id ben Khazroûn étant arrivé deTobna à Mançoû-
riyya, El-Mançoûr se porta au-devant de lui et l’em-
brassa, puis il l’emmena [P. 256] dans son palais où il
lui donna l’hospitalité, et il lui accorda de fortes ^gratifi-
cations. Sa c îd tomba alors malade et mourut-au bout de
quelques jours, le 1 er redjeb (1 er septembre 992). El-Man-
çoûr le fit ensevelir dans soixante-dix linceuls (*).

Du Soudan furent envoyés des cadeaux parmi lesquels
figurait une girafe ( 3 ), dont El-Mançoûr lui-même prit
possession ; il sortit à cet effet de son palais.

Felfoûl ben Sa c id ben Khazroûn vint, à la suite de la
mort de son père, trouver El-Mançoûr, qui lui donna
trente charges d’argent, quatre-vingts coffres (takht) de
vêtements de toute sorte, des chevaux avec des selles
ornées de pierreries et dix étendards dorés et tout
neufs; il le renvoya ensuite à T’obna en qualité d’émir (*).

(1) La nomination d’Ibn Aboù’l-‘Arab est de 381, d’après Ibn el-
Athîr, p. 400.

(2) Il mourut en 381, au dire cVIbn el-Athir, p. 398.

(3) La girafe figure maintes fois dans les cadeaux ; voir une note
(p. 281) de la traduction de Zerkechi, Chronique des Almohades et
des Hafcides.

(4) lbn Khaldoùn donne des détails analogues et ajoute que Fel-
foûl épousa une fille d’El-Mançoùr {Berbères, m, 260).

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– 363 –

En 383 (25 février 993), Bàdis ben el-Mançoûr se rendit
à Achir.

El-Mançoûr reçut de son frère Itewwoufet une lettre
lui annonçant l’arrivée auprès de lui de son oncle Aboù’l-
BehârW. Sur la demande qu’en fit El-Mançoûr, Aboû’l-
Behàr se mit en route et arriva à Mançoûriyya dans la
nuit du (dimanche au) lundi 15 cha c bân (4 septembre
993): El-Mançoûr manifesta la joie la plus vive de le
voir, le reçut parfaitement bien et lui fit don de vête-
ments, dé tapis et de jeunes filles esclaves.

En 384 (14 février 994), Aboû Mennâd Bâdis, de retour
de sa première expédition, qui avait eu lieu dans le Gharb,
rentra à Mançoûriyya; il fut reçu par son père, par les
troupes, par le peuple de K’ayrawân, etc.

Des présents arrivèrent d’Egypte conduits par Dja c far
ben H’abîb, qui amenait notamment un énorme éléphant.

En 385 (4 février 995), mourut l’émir c Abd Allah ben
Yoûsof ben Ziri ben Mennâd. Le kàid Yoûsof ben Aboû
Moh’ammed se rendit dans la Mettîdja en qualité de
gouverneur.

En djomâda II (juillet 995), K’âsim ben H’addjâdj
arriva d’Egypte à Mançoûriyya, rapportant les têtes des
chrétiens tués à Alep par Màrek’ le Kotâmien.

En 386, le jeudi 3 rebî c I (25 mars 9Q6), mourut Aboû’l-
Fath’ el-Mançoûr c Oddat el- c Aziz billâh ben Yoûsof el-
c Aziz billàh ben Ziri ben Mennâd Çanhàdji, après un
règne très heureux. Il fut inhumé dans son nouveau
palais en dehors de Mançoûriyya.

(1) Voir ci-dessus, p, 359.

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— 364 –

[P. 257] Gouvernement d’Aboû Mennâd Bâdls ben Aboû’1-Fath’
ben Aboû’l-Fotoûh’ Toûsof ben Zlii ben Mennâd.

A son avènement, les populations d’Ifrîk’iyya vinrent
de toutes parts lui présenter leurs condoléances en
même temps que leurs félicitations. Les Benoû Ziri et
les Benoû H’ammâma avaient formé des projets en con-
tradiction avec les engagements de ceux qui les accom-
pagnaient, mais les esclaves noirs de Bâdis ainsi que
ceux de son père ne leur permirent pas de les réaliser W.
Aboù Beybàch Itewwoufet ben Aboû’l-Fotoûh vint aussi
à Mançoûriyya apporter ses condoléances et ses sou-
haits, puis il retourna à Tobna et dans l’ouest vers la fin
de cha c bân (mi-septembre 996).

En cette année < 2 ), mourut Aboû’l-Mançoûr Nizàr el^ c Aziz billâh TObeydite, souverain d’Egypte : il souffrait de la pierre et mourut dans la piscine des bains, où il avait [commis l’imprudence d’Javaler un remède. 11 eut pour successeur l’héritier présomptif désigné, Aboû c Ali, surnommé El-H’àkim bi-amr Allah. Aboû Mennâd avait fait préparer les cadeaux destinés h l’Egypte, qui étaient, le 6 ramadan (21 septembre), par- tis de Mançoûriyya pour Rak’k’àda sous la conduite de Dja c far ben H’abîb. Or El- c Aziz billâh avait adressé à Aboû Mennâd un rescrit lui ordonnant d’envoyer en Egypte le kâdi Moh’ammed ben c Abd Allah ben Hâchim, qui était malade à l’arrivée de cet ordre. Aboû Mennâd (1) Ibn cl-Athir (trad., p. 402) fait allusion égalemerit à cette ten- tative. (2) A la lin de ramadan, ou mi-octobre 996 ; on trouve des détails sur la mort de ce prince dans Wûstenfeld, p. 158. Digitized by Google V)P>

– 365 –

voulant le faire partir avec les cadeaux et le kàdi s’excu-
sant à cause de son état de santé, l’émir lui envoya, le
3 dhoûl-kVda (16 novembre), Moh’ammed ben Aboû’l-
c Arab et d’autres personnages de la cour, tandis que les
troupes se tenaient au Bàb Aboû’r-Rebi c , car on croyait
que la population de K’ayrawân interviendrait pour em-
pêcher son départ. On fit irruption chez lui et on l’enleva
sur les tapis où il étaitVetenu par la maladie et avec les
vêtements d’intérieur dont il était couvert lorsqu’on le
surprit. Ce fut dans cet état qu’on l’emporta, tandis que
la foule considérable qui stationnait devant sa demeure,
sans d’ailleurs proférer une parole, lui fit la conduite
jusqu’à Rak’k’âda ; il était suivi d’un esclave chrétien
qui le soutenait, ainsi que de ses enfants [P. 258] et de
ses parents. Toute la population était affligée de .son
départ et laissait paraître les signes de la tristesse qu’elle
éprouvait, multipliant ses prières et le comblant de
louanges. On apprit ensuite la nouvelle de la mort d’El-
c Aziz billâh, et Aboû Mennâd fit ramener le kàdi à sa
demeure en lui faisant rendre de grands honneurs.

La mort d’Aboû Moh’ammed ben Aboû Zeyd remonte
à cette année (*).

En 387 (13 janvier 997), la nouvelle de la mort d’El-
f Aziz billâh fut confirmée de plusieurs côtés. Ce fut alors
que le kàdi, toujours malade, fut ramené chez lui ; la
considération dont il jouissait aux yeux de la population
s’accrut encore.

En çafar (février-mars 997), Aboû Mennàd confia le
gouvernement d’Achîr à H’ammâd ben Abôû’l-Fotoûh’

(1) Il s’agit de l’auteur de la Risâla ou compendium de droit reli-
gieux et civil qui a été longtemps en grand honneur chez les Malé-
kites (Catalogue des mss arabes d’Alger, n 0i 1037 et s.).

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– 366 —

Yoûsof ben Zîrî ben Mennâd, qui partit pour rejoindre
son poste après avoir reçu quantité de chevaux et de
vêtements magnifiques. Plus tard, le gouvernement de
H’ammâd prit de l’extension, il eul de nombreuses trou-
pes et acquit une grande situation (*).

En rebî c II (avril-mai), le kâdi El-Bâhiri étant venu
d’Egypte à Mançoûriyya, Aboû Mennâd se porta au-
devant de lui avec ses troupes ef tous ses conseillers et
lui rendit des honneurs que ne connaissait pas celui à
qui ils étaient adressés. Ce messager était porteur de
deux rescrits dont il fut donné lecture dans la grande
mosquée à K’ayrawân et à Mançoûriyya : l’un était la
nomination d’Aboû Mennâd, à qui était octroyé le sur-
nom de Naçir ed-Dawla ; l’autre annonçait la mort d’El-
c Azte billâh et l’avènement au khalifat d’El-H’âkim bi-
amr Allah, et renfermait la réponse à la notification de
la mort d’El-Mançoûr c Oddat el- c Aziz billâh. Il en appor-
tait encore un troisième relatif à la reconnaissance que
devaient faire Bâdîs et tous les Benoû Mennâd de la
souveraineté d’El-H’âkim. En conséquence Bâdis tint
une audience à laquelle furent convoqués tous les chefs
çanhâdjiens et où il reçut leur serment. Le kâdi etchérif
El-Bâhiri retourna alors en Egypte, après avoir reçu
une forte somme d’Aboû Mennâd.

En cette année, Naçîr ed-Dawla (Bâdis), couvert de
magnifiques vêtements et en grand appareil, se rendit
au Moçalla, précédé de l’éléphant (dont il a été parlé),
de deux girafes et de chameaux d’un blanc éblouissant;
jamais le peuple n’avait vu pareille chose.

En 388 (2 janvier 998), Naçir ed-Dawla reçut d’Egypte

(1) Voyez Ibn el-Athîr, trad., p. 402.

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– 367 —

des cadeaux, consistant en un joyau précieux et en riches
vêtements; il sortit pour les recevoir et rentra à Man-
çoûriyya en s’en faisant précéder.

A Miçr eut lieu entre les Turcs et les Kotâma un
combat où ceux-ci eurent le dessous W.

En 389 (22 décembre 998), Ziri ben e At’iya, [P. 259]
prince de Fez et des parties avoisinantes du Maghreb,
alla camper devant Tâhert, dont il commença le siège.
Itevvwoufet ben Yoûsof ben Ziri, qui gouvernait cette
dernière ville, envoya une demande de secours à son
neveu l’émir dTfrik’iyya, qui lui adressa Molvammed
ben AboûVArab.

Déroute de l’armée d’Ifrîk’iyya ; succès remporté par Zlrî ben
‘At’iya et les Zenâta sur les Çanhâdja.

A l’arrivée de la lettre d’Itewwoufet, Bâdîs Naçir
ed-Dawla donna au secrétaire Moh’ammed ben Aboû’l-
c Arab (*) Tordre de marcher contre les Zenâta. Les trou-
pes qu’il lui confia partirent en pompe le 15 çafar (4 fé-
vrier 999) et arrivèrent à Achîr, où se trouvait comme
gouverneur H’ammâd ben Yoûsof ben Zirî, qui disposait
d’une armée importante. Après y avoir fait un court sé-
jour, Ibn el- c Arab en repartit renforcé par H’ammâd et
par ses troupes r et opéra à Tâhert, le l or djomâda I (19
avril), sa jonction avec Itewwoufet, dont les forces éga-
lement étaient considérables. Ils marchèrent contre Ziri
ben c At’iya, qui était campé à deux journées de Tâhert,

(1) Sur les troubles occasionnés alors au Kaire par les Kotàma,
voir Wiistenfeld, p. 168.

(2) lbn el-Athir l’appelle nâ’ih, ou vice-roi ; sur cette campagne,
voir d’ailleurs le récit de ce chroniqueur, Annales, p, 402.

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– 368 –

au lieu dit Emsâr, et une lutte sanglante s’engagea. Le
gros de l’armée de H’ammâd était constitué par les
Outelkâti (*), que ce général avait traités sans ménage-
ment* 2 ) et qui, au plus fort de la mêlée, se débandèrent
et tournèrent le dos, en quoi ils furent suivis par toutes
les troupes d’Ifrîk’iyya. Les. efforts d’Ibn AboiVl- c Arab
pour les rallier restèrent vains, et la fuite, devenue géné-
rale, ramena ces troupes jusqu’à Achîr; elles avaient
abandonné leur camp, leurs tentes et leur contenu, leurs
armes, etc., et toutes ces richesses tombèrent entre les
mains de Zirî ben c At’iya et de ses frères. Le massacre
fut grand, mais il fut aussi fait de nombreux prisonniers
à qui le vainqueur fit de belles promesses, et qui, relâ-
chés par lui quand il fut entré à Tâhert, regagnèrent
[P. 2601 Achîr. C’est dans cette ville que restèrent Aboû’l-
c Arab, H’ammâd et Itewwoufet, tandis que Ziri se tint
près de Tâhert. Cette défaite, survenue le samedi 4 djo-
mâda I (22 avril), fut connue à Mançoûriyya le 19 du
même mois.

Naçîr ed-Dawla partit alors de cette ville le samedi
2 djomâda II (20 mai) pour marcher contre Zîrî ben
‘At’iya et arriva d’abord à T’obna. Il fit demander Fel-
foul ben Sa c id ben Khazroûn Zenâti, gouverneur de la
ville, qui, pris de peur, se fit excuser et lui demanda un
rescrit l’investissant du gouvernement de T’obna. Bâdis
lui ayant envoyé cette pièce et ayant continué sa marche

(1) Dans le passage correspondant de 17/. des Berb. (ni, 260), on
lit a Tologgana », avec cette note de M. de Slane : « Gomme il s’agit
ici de la tribu sanhadjienne descendue de Tiklat, il faut probable-
ment lire Tokollata ou Tiklata ». Cf. lbn el-Athir, p. 416, n. 2;
Bayân, texte, pp. 276 et 278.

(2) p^gSj.à* A **\ dit le texte. D’après lbn el-Athir, l’avarice de

H’ammàd avait indisposé ses troupes.

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– .%9 –

en avant, Felfoul, sitôt qu’il le vit éloigné, tomba sur
une région voisine, en ravagea les environs, se livra à la
dévastation et au pillage, puis alla mettre le siège
devant Bàghaya, dont il ravagea et pilla aussi tous les
environs. Cependant Bâdis, qui poursuivait son mouve-
ment en avant, arriva à Achir ; quand il fut à Mesila, Zirî
ben c At’iya quitta Tàhert, tandis que Bâdis marchait ré-
solument vers lui ; mais la nouvelle que Zirî se dirigeait
vers Fez fit rétrograder Bàdis vers Tahert et Achir ( j ),
tandis qu’Itewwoufet confiait la première de ces villes
à son fils Ayyoùb, assisté de quatre mille cavaliers.
Bàdis ayant alors été informé des actes de Felfoûl, en-
voya contre lui des troupes d’avant-garde qu’il suivit
bientôt, emmenant avec lui AboiVl-Behàr ben Zirî. Il
était à Mesila, où il célébra la fête de la Rupture du
jeûne, quand Aboù’l-Behâr y apprit que ses frères Mà-
ksen, Zâwî et Maghnin avaient soulevé des troubles à
Achir et s’étaient saisis de la personne d’Itewwoufet, ce
qui le détermina à s’enfuir avec ses fils, ses femmes et
ses conseillers ( 2 ).

Bâdis, parti le 3 chawwâl (16 septembre) pour Tlfrî-
k’iyya, apprit à Belezma que Felfoul ben SaMd continuait
sa marche vers K’ayrawàn; lui-même se rendit à Bà-
ghaya, dont les habitants lui dirent leurs efforts [P. 261]
pour résister à Felfoul, qui les avait tenus assiégés qua-
rante-cinq jours. Il en partit pour se remettre à la
recherche de Felfoul, avec qui il se rencontra le 10 dhoû’l-
k ada (22 octobre), et engagea une bataille formidable^).

(1) Cela ferait supposer, si le texte est exact, que Bàdis avait donc
dépassé Tàhert.

(2) Comparez les versions d’Ibn Khaldoûn (h, 16 ; m, 261) et d’Ibn
el-Athir (trad. p. 404).

(3) Au lieu dit Wàdi Aghlàn, d’après ïbn el-Athir (trad. p. 404).

24

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:$?”£ ‘***■

– Mi) ~

Son ennemi, qui avait avec lui une quantité innombrable
de Berbères, s’enfuit, autant que je puis le savoir, dans
la montagne dite Djebel el-H’annâch ; les Çanhâdja et
les esclaves noirs, qui avaient d’abord commencé à le
poursuivre, revinrent sur leurs pas quand ils virent qu’il
ne s’arrêtait pas, et mirent son camp au pillage. Sept
mille Zenâta environ mordirent la poussière ce jour là.
Naçir ed-Dawla envoya à K’ayrawân une lettre relatant
sa victoire.

En 390 (12 décembre 999), Naçir ed-Dawla se mit en
campagne pour rechercher Felfoul, qui, se voyant hors
d’état de lui tenir tête, s’enfuit vers les sables tandis
que ses partisans se dispersaient. Alors Bâdls retourna
en Ifrik’iyya, accompagné d’Aboû’l-Behâr ben Zîri, qui
s’était excusé des méfaits commis par ses frères et avait
obtenu son pardon. Felfoûl alors retourna à Tripoli.
Bâdis, toujours poursuivant sa marche, était à K’açr
el-Ifrik’H 1 ) quand il apprit que les Benoû Ziri avaient,
par peur de lui, repris le chemin du Gharb, et que ceux
d’entre eux qui restaient avec Felfoul se réduisaient à
Mâksen et à son fils Moh’sin. Il rentra alors à Mançoû-
riyya,.sa capitale.

Le 1 er redjeb (6 juin 1000), il s’avança jusqu’à Rak’k’ada
pour aller combattre Zirî ben ‘At’iya, émir du Gharb,
qui s’était, d’après les nouvelles reçues, rendu à Achir ;
mais il apprit alors le départ du chef zenâtien pour le
Gharb, et il retourna à Mançoûriyya.

En 391 (31 novembre 1000), Naçir ed-Dawla se mit une
seconde fois en campagne pour rechercher Felfoul ;

(1) A une journée de Teyfàch, sur la route qui mène à Mesila
(Edrisi, 140; Bekri, 130).

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– 371 –

mais une lettre de Yoûsof- ben e Amir, gouverneur de
Gabès, fit savoir que Felfoul s’était rendu d’auprès de
Gabès à Tripoli le 24 redjeb (20 juin); qu’à son arrivée
près de ce dernier endroit Fotoûh’ ben c Ali et un groupe
de Tripolitains étaient sortis à sa rencontre et l’avaient
fait entrer dans la ville. A partir de ce moment il se fixa
en cet endroit.

Postérieurement au 3 ramad’ân, FFammâd ben Yoûsof
el- c Azîz billâh envoya un message annonçant qu’il avait
marché contre son oncle Mâksen ben Ziri et ses parti-
sans et que, à la suite de plusieurs sanglantes rencon-
tres, il avait tué Mâksen, son fils Moh’sin et Bâdîs.

[P. 262] Neuf jours après la mort violente de Mâksen,
c’est-à-dire le 12 ramadan, mourut Zirî ben ‘At’iya
Zenâti, prince de Fez et du Gharb tout entier.

Renseignements sur les Zenâta et leur règne dans le Gharb
jusqu’à l’apparition des Almoravides.

Les Zenâta tenaient pour les Omeyyades, car autre-
fois leur aïeul Khazer ben ÇoùlâtM avait accompli son
exode et était allé se convertir entre les mains d’ c Oth-
mân ben c Affân. Entre eux et les Çanhâdja, qui tenaient
au contraire pour les Obeydites, il y eut de nombreux
combats. Celui qui commandait dans le Gharb était Ziri
ben c At’iya Khazeri Maghrâwi, qui était maitre de Fez et
d’autres villes, et qui devint à cette époque émir de tous
les Zenâta. Il reconnaissait la dynastie omeyyade, alors
représentée par Hichâm el-Mo’ayyed (de Cordoue), dont

(1) Au dire d’Ibn Khaldoùn {Berbères, m, 227 et 233), ce lut Cou-
lât ben Wezmar qui se rendit à Médine auprès d**Othmân ben
‘Affàn.

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‘ “T-” T,,i1 ?^

– Tri –

toute l’autorité était exercée par son chambellan Ibn
Aboû c Amir, et faisait la guerre aux Çanhâdja, émirs
cPIfrik’iyya, qui étaient les ennemis du prince Omeyyade.
Au rapport d’Ibn H’ammâda, il s’était rendu à Cor-
doue et s’y était rencontré en 379 (10 avril 989) avec Ibn
Aboû c Amir ; à partir de cette année il fut au Maghreb
son serviteur et son allié, malgré l’étendue de son royau-
me et la renommée dont il jouissait au loin, jusqu’à la
mésintelligence qui éclata entre eux en 387 (13 janvier
997J. Il y eut alors entre lui et El-Moz’afïer des guerres
trop longues à raconter. Voici ce que dit Ibn H’ayyân :
« Zirî ben ‘At’iya Maghrâwi rompit avec Ibn Aboû c Amir
après lui avoir témoigné une grande amitié et une sérieuse
fidélité ; il lança contre Ibn Aboû c Amir des coups protec-
teurs de la royauté de Hichâm, il s’affligea de la géné-
rosité (hichâm) d’El-Mo’ayyed( j ) et de la prépotence
d’Ibn Aboû c Amir (*). Celui-ci alors fit marcher contre lui
de nombreux guerriers confiés à son page Wàd’ih’, le
Maghreb vit d’importants combats se livrer; puis il en-
voya son propre fils c Abd el-Melik, et lui-même se ren-
dit à Algéziras pour de là expédier des renforts en offi-
ciers et en troupes. c Abd el-Melik partit de Tanger pour
livrer à Ziri [P. 263] des batailles sans analogues dans
les guerres passées et d’où résultèrent la fuite de Ziri
et l’anéantissement de ses guerriers et de sa situation ;
ce ne futque couvert de blessures qu’il, put s’enfuir, et le
pouvoir d’ c Abd el-Melik ben Aboû c Amir s’étendit sur le

(1) L’auteur parait bien jouer sur le double sens que peut présenter
le mot hichâm, comme nom commun et comme nom propre, du fai-
ble Hichâm el-Mo’ayyed.

(2) Voir H. des Berb., m, 243 ; Bayân, n, 302 ; Dozy, //. des Mus.
d’Esp., m, 222 et s.

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— 373 —

Gharb et les régions voisines jusqu’à Sidjilmâssa, sur
TJemcen et sur Tàhert. Après quoi il retourna en Espagne
en 389 (22 décembre 998), laissant pour gouverner ce
pays Wâd’ih Meghâri. Celui-ci, après un séjour de quel-
que temps à Fez, regagna l’Espagne, laissant dans cette
ville c Abd Allah ben Aboû r Amir, neveu d’El-MançoûrW ;
après lui, il y eut Ismâ c il ben el-Boûri, puis AboiVl-
Ah’waç Ma e n< 1 )ben c Abd el- f Azîz, qui y resta jusqu’à la
mort de Moh’ammed ben Aboû c Amir. Le fils (et succes-
seur) de celui-ci, c Abd el-Melik el-Moz’affer, la remit à
El-Mo c izz ben Ziri ben e At’iya, en la fidélité et la pru-
dence de qui il avait une pleine confiance, en 397 (26
septembre 1006;, sous la condition qu\EUMo c izz apporte-
rait chaque année à Cordoue une certaine quantité de
chevaux et d’armes et en prenant en outre, à titre d’otage,
son fils Mo’annecerW . El-Mo c izz garda la fidélité promise
et son fils resta à Cordoue jusqu’au moment où éclatè-
rent les troubles qui firent disparaître la famille ‘Ami-
ride. Alors Mo c annecer retourna auprès de son père, qui
continua de rester fidèle aux Omeyyades d’Espagne
jusqu’à sa mort, survenue après le début des troubles. Il
légua à son fils H’ammâma le royaume de Fez et dépen-
dances (*). »

(1) Notre texte indique explicitement qu”Abd Allah était neveu du
puissant ministre; dans YH. des Berb. (m, 246), l’amphibologie causée
par remploi d’un pronom a fait dire au savant traducteur qu”Obeyd
Allah {sic) était le neveu de Wàd’hY.

(2) Megguen {ibid); l’édition de Boulak du texte dlbn Khaldoûn.
(t. vu, p. 33) lit aussi « Ma’n ».

(3) La teneur du diplôme conféré à cette occasion à El-Mo’izz est
reproduit dans YH. des Berb. (ni, 248) ; il est daté dedhoù’l-ka’da 396
(août 1006).

(4) El-Mo’izz mourut en 417; Hammàraa, son successeur, est fils
d’El-Mo’izz ben ‘Attya et non d’El-Mo’izz bon Ziri, à ce qu’aftirine
expressément Ibn Khaldoûn {l. J., p. 251).

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r-; \23?

– 374 –

Ce sont là des faits que raconte aussi El-Warràk’ dans
des termes suffisamment explicites : a Après la mort de
Ziri ben c At’iya en 391 (30 novembre 1000), ses cousins le
remplacèrent par son fils El-Mo c izz » ; puis il raconte la
demande d’investiture adressée par El-Mo c izz à El-
Moz’affer ben Aboù e Amir, qui lui envoya ce qu’il récla-
mait et lui confia le gouvernement de Maghreb moyen-
nant la fourniture (annuelle) de chevaux, d’armes, etc.,
et la livraison par El-Mo c izz de ses deux fils H’ammàma
et Mo c annecer à titre d’otages. Il dit ensuite que, à la mort
d’El-Moz’affer, son frère c Abd er-Rah’mân devint cham-
bellan de Hichâm el-Mo’ayyed ; qu’à cette nouvelle
El-Mo c izz ben Ziri s’occupa de réunir les magnifiques
cadeaux qu’il lui destinait, sept cents chevaux, de nom-
breuses charges de boucliers en peau d’antilope, une
grande quantité d’argent, d’armes et de tous les plus
beaux produits du Maghreb. [P. 264] Ces cadeaux furent
portés à Cordoue par deux de ses jeunes cousins, de
nombreux cheykhs des tribus et les principaux de Fez.
Cela fit grand plaisir à c Abd er-Rah’mân, qui en témoi-
gna sa reconnaissance à El-Mo c izz en lui renvoyant ses
deux fils après leur avoir fait des cadeaux de vêtements
et procuré toute satisfaction. Il envoya à El-Mo c izz le
renouvellement de son investiture en qualité de gouver-
verneur du Maghreb tout entier moins Sidjilmâssa,
dont il avait antérieurement donné le gouvernement
au page Wàd’ih’. Celui-ci avait concédé cette ville à
Wânoûdin ben Khazroùn Ifreni et à son cousin Ziri
ben Felfoul, moyennant une somme d’argent et un nom-
bre déterminé de chevaux et de boucliers, en outre
d’une somme d’argent à payer annuellement et la remise

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– 375 –

du fils de chacun d’eux à titre d’otages (*). El-Mo c izz ben
Zirî exécuta les conditions que lui avait imposées c Abd
er-Rah’màn ben Aboû c Amir et resta émir du Maghreb
jusqu’à la chute de la maison c Amiride ; puis la famille
Omeyyade s’éteignit, les divisions firent tomber les
affaires d’Espagne dans le désarroi, les musulmans se
séparèrent les uns des autres pour former des factions
qui se massacraient et se pillaient entre elles. La situa-
tion au Maghreb devint la même, et les partis entre-
prirent des expéditions incessamment renouvelées les
uns contre les autres. El-Mo c izz ben Ziri sut pourtant
habilement se maintenir jusqu’à sa mort, survenue en
416(3 mars 1025) W.

Il eut pour successeur son fils Aboû’l- c At’t’àf H’am-
mâma ben el-Mo c izz ben Ziri. ben At’iya, qui était bien
partagé sous le rapport des connaissances, des belles-
lettres et de l’habileté administrative. Fez resta sous son
règne le séjour de la paix et de l’aisance, et les poètes
espagnols s’y rendaient. Il y eut cependant beaucoup de
guerres sous ce prince, qui mourut en 433 (30 août
1041) 0).

Il fut remplacé par son fils Donnas ben H’ammàma,
dont les cousins s’insurgèrent. L’autorité alla toujours
diminuant et la dynastie s’affaiblissant, si bien que Fez
vit deux émirs, un dans chacun des deux quartiers
( e adwa), se faisant la guerre. Il se passa alors des choses
si honteuses qu’on ne peut honnêtement les raconter,
car le récit de tout ce qui se passe à la fin des dynasties

(1) Voir Berbères, m, 250 et 257.

(2) Nous avons vu plus haut qu’Ilm Khaldoîin donne la date de 417.

(3) Ibn Khaldoùn (p. 251 et 252) nous dit quelque chose de ces
guerres et fait mourir ce prince en 431.

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— 376 –

ne peut que faire rougir M. Alors surgirent du désert les
Lamtoûna(Almoravides), qui s’emparèrent du pays des
Maçmoùda et les dépouillèrent au profit de leurs princes
et des règles de justice qu’ils apportèrent.

c Abd Allah ben YâsînW [P. 265] pénétra dans la ville
d’Aghmàt et dans le territoire voisin, et les Zenâta, pris
de peur, quittèrent la région orientale où ils étaient
installés. Mais après la mort violente d , Yâsîn( 3 ), ils retournèrent au Maghreb et y mirent à mort
tous ceux dont ils soupçonnaient les sympalhies pour les
gens voilés [les Almoravides]. Puis les habitants du dé-
sert vinrent les attaquer, et Aboû Bekr ben c Omar fit
marcher contre les cheykhs des tribus (son cousin) Yoû-
sof ben Tàchefin, qui fit de grandes conquêtes.

Dans l’entretemps eut lieu à Ceuta la terrible disette
bien connue, en 444 (2 mai 1052) [lacune] Fonce se ven-
dit un dirhem h’andoûsi. El-Fotoûh’ ben Mo’annecer
Zenâti revint d’Orient, et l’armée de Fez [qui était la
sienne] fut battue en 454 (14 janvier 1062). En la même
année, les Miknâsa et les Lawâta furent battus par un
général d’ c Aboû Bekr ben e Omar Lemtoûnî.

En 454 (14 janvier 1062), Bologgîn ben Moh’ammed ben
H’ammâd Çanhâdji mit tout le Gharb à ses pieds grâce
aux nombreux soldats qu’il mena à cette conquête.

(1) Doûnàs régna jusqu’en 451 et eut pour successeur sou fils El-
FotoîùV, qui eut à combattre son propre frère et le tua en 453.
Mo’annecer ben Hammàd régna eusuite, périt en combattant les Al-
moravides en 460 et fut remplacé par son fils Temim, qui fut le der-
nier prince Maghrawi et mourut en 462 (Ibn Khaldpùn, l. /.).

(2) ‘Abd Allah ben Yàsin est le père spirituel des Almoravides et
fut tué en 450 (voir Berb., n, 68 et 86 ; Annales d’Ibn el-Athir, p. 463).

(3) Ibn Yàsin mit à la tète de ses partisans YahVa ben ‘Omar, qui
mourut en 447 et fut remplacé par son frère Aboû Bekr ben ‘Omar.

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– 377 –

En 459 (21 novembre 1066), Ibrahim ben Melih’ Kez-
nà’i W pénétra à Fez, d’où il chassa vers Test Mo’anne-
cer ben H’ammàd ; puis celui-ci y rentrant y massacra
tous ceux qu’il soupçonnait de sympathies pour les
Almoravides, mais Yoûsof revint, à son tour dans le
Maghreb et Mo c annecer dut s’enfuir. Yoûsof massacra
les Sedrâta et se rendit maitre de Fez, de même que de
la plus grande partie du Maghreb. Tel est le récit d’Aboû
Merwàn c Abd el-Melik ben Moûsa el-Warrâk’ dans son
El-Mik’bâs fi akhbâr Fâs (2).

Yoûsof Keznâ’i, prince de Miknàsa, mourut en 412
(16 avril 1021) ; Toûlâlâ mourut à El-K’al c a, et son fils
Mahdi lui succéda la même année; Ibn AboiVl c Afiya
Ibrahim mourut en 450 (27 février 1058) et eut pour suc-
cesseur son fils c Abd Allah. Les Benoû AboiVl- e Afiya
étaient maîtres de Tesoûl, de (la région de) la Moloûya
et de Nakoûr ou El-Mazemma ; c Abd Allah, qui mourut
en 460 (10 novembre 1067), eut pour successeur son fils
Mohammed ben c Abd Àllâh ben Ibrahim ben Moûsa ben
Aboû’l- c Afiya.

, Quant à Tlemcen et au Zàb, ils étaient dans les mains
de Ya e la Zenâti < 3 ),. qui mourut [P. 266J à cette date ou à peu près, et à qui ses fils succédèrent. Quant aux régions du Maghreb par delà le Zâb, les Abbassides n’en furent (1) Le nom de ce chef ne se retrouve pas dans Ibn Khaldoûn. Il s’agit probablement ici des faits que cet auteur place un peu plus tard, en 459 et 460 (ih. ni, 253). (2) Ce chroniqueur, dont le nom a été déjà cité, est un de ceux qui ont été souvent mis à contribution par le Kartâs, qui l’appelle Mo- hammed Lben] 4 Abd el-Melik ben Mahmoud (p. 10 du texte arabe ; pp. 14 et 364 de la trad. lat). Il est probable que l’ouvrage ici cité est celui qui figure sous le titre de Mikyas, dans 17/. de* Berb., n, 137. (3) Sur Jes Benoù Ya’la, voir VHist. des Berb., ni, 269. Digitized by Google — 378 – jamais les maîtres. Tlemcen et les districts voisins obéissaient [autrefois] à Moh’ammed ben Soleymân ben c Abd Allah ben H’asan ben el -H’asan ben c Ali( 1 ), parmi les descendants de qui figure Aboû’l- c Aych c Isa ben Idris ben Moh’ammed, dont il a été question déjà. A Fez et dans les districts voisins, il y avait des.Chi c ites d’abord, mais ensuite le gouvernement en échut à Idris ben c Abd Allah ben H’asan ben el-H’asan ben c Ali. A Tâmesnâ se trouvaient les descendants de Çâliir ben Tarif aux doctrines erronées. Quant à Sidjilmàssa, ce fut là que s’établit Isa ben Sam c oûn, chef des Çofrites. Telle était sans conteste la situation dans ces divers pays; on n’est pas d’accord au contraire sur l’Ifrik’iyya, où dominait, dit-on, le rebelle c Abd er-Rah’mân ben H’abib, ni sur l’Espagne, dont Yoûsof Fihri était Ternir. Revenons-en maintenant à l’ordre chronologique. En 392 (19 novembre 1001), mourut Aboû T’àlib, cheykh et porte- parole des MoHazelites, à l’âge de 69 ans. En la même année, Yah’ya ben f Ali ben el-Andalosi quitta l’Egypte à la tête d’une armée et arriva le vendredi 9 rebi f I (25 janvier 1002) à Tripoli, dont le gouverneur était alors Zeydân Çak’alli ( 2 ). Mais les affaires militaires se trouvèrent au-dessus de la portée de l’intelligence et de la capacité administrative de Yah’ya, de sorte qu’il (1) Vers le commencement du III siècle (i/>., m, 229).

(2) Autrement écrit AboiVI-Fad’l Rcydàu (jaklabi (Wiïslenfeld,
p. 173, et Chrestomotkie de Sacy, i, 139). La mosquée du K a ire qui
portait sou nom, et qui est également citée dans la Itel. des Druze»
(intr., p. 434), ne figure pas dans la liste des monuineuts de cette
catégorie que Makrizi décrit dans le Khitat. On trouve d’ailleurs les
deux noms propres Reydàn et Zeydàn (voir Bekri, p. 32 et 125;
is’odjoùm, n, 411 ; Ibn Farhoùn, f. 57 v°; ras 884 d’Alger, f. 30, etc.).

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– 379 –

rejoignit Felloul, qui ne lui ménagea pas son méprisa).

En ramad’àn (juillet-août), mourut El-Mançoûr ben
Aboû c Amir, ce dont il sera parlé en son lieu.

En 393 (9 novembre 1002), Yah’ya ben c Alî ben el-An-
dalosi, Felfoûl ben Sa c id et FotoiW ben c Ali arrivèrent
devant Gabès, où ils bloquèrent c At’iya ben Dja c far. A
cette époque, c’est-à-dire le^ lundi 14 cha’bàn (17 juin
1003), vingt archers arrivèrent à Gabès; mais Felfoul,
qui en eut connaissance, les fit prendre et décapiter.
[P. 267] Ces chefs étant ensuite retournés à Tripoli,
Yah’ya ben c Ali, en présence de l’incertitude de sa situa-
tion et de l’impossibilité de trouver de quoi subvenir aux
besoins de ses soldats, retourna en Egypte avec ceux
qui lui restaient, non sans que Felfoul et les siens eus-
sent pris, par achat ou par violence, ce qui leur plut des
moulures de ceux qui battaient en retraite. Quand ce
général rentra en Egypte, le khalife El-H’âkim voulut
d’abord le punir; mais ensuite il accueillit ses excuses
et lui pardonnât 2 ).

En 394 (29 octobre 1003), El-Hakim fit exécuter à
Miçr son astrologue El-Bekri. II ( ;< ) était faible d’intelli- gence et peu sensé, mais avait des connaissances dans la (rédaction des) jugements* 4 ). Il fit également mettre à (1) Ce paragraphe figure dans la Bilrtioleca (h, 31). On a vu plus haut comment Felfoul s’était soustrait à l’obéissance de Bàdis; voir aussi lbn el-Alhir, trad., p. 404. (2) Wûstenfcld a passé ces événements sous silence. (3) Cet il se rapporte grammaticalement à Bekri. (4) Texte bUôiJb -^> ^J ^fcj . Je suis tenté de croire que le
dernier mot a le sens, ignoré des dictionnaires, de ^l5^.^b et qu’il
faut entendre ainsi : « avait des connaissances dans l’art de dresser
des thèmes astrologiques. » .

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– 380 ~

mort, puis brûler un grand nombre des principaux de ses
conseillers. Il punit aussi du dernier supplice celui qui
est connu sous le nom d’Ibn Kharit’a, ainsi que l’astro-
logue Ibn el-Ghâzi.

En 395 (17 octobre ‘1004), l’Ifrik’iyya fut désolée par
une effroyable famine, qui mit à nu celui qui était cou-
vert, tua le pauvre et ruina le riche; les vivres, d’abord
très chers, manquèrent ensuite ; les nomades quittèrent
leurs séjours habituels, la plupart des demeures se vidè-
rent et restèrent sans héritiers. A cela se joignirent les
épidémies et la peste, qui enlevèrent la majeure partie
des habitants sans distinction entre le riche et l’indigent.
Les fonctionnaires ne faisaient plus autre chose que soi-
gner ou visiter les malades, préparer les derniers devoirs
à rendre aux morts, suivre des funérailles ou revenir
d’une inhumation. On entassait les malades au Bàb
Salem, et Ton CFeusait des sillons dans chacun desquels
on jetait une centaine de cadavres ou davantage. Dans
toutes les classes de la population, savants, marchands,
femmes et enfants, le nombre des morts fut tel que Dieu
seul pourrait les compter. A K’ayrawân les mosquées
étaient vides, les fours publics et les bains déserts; les
habitants brûlaient les portes de leurs demeures et les
poutres des terrasses, et plus d’un, citadin ou nomade,
gagna la Sicile. Le malade devait payer une grenade
deux dirhems, et un poulet en coûtait trente ; les noma-
des, dit- on, s’etitredévorèrent. Tel est le tableau que
trace [P. 268] Aboû Ish’âk’ er-Rak’ik.

En 306 (7 octobre 1005), l’abondance de la récolte en
Ifrîk’iyya fit baisser le prix des vivres, et les épidémies
cessèrent.

A Bark’a éclata l’insurrection d’El-Welid ben Hi-

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*ïir

– 381 –

chàmW, qui prétendait descendre d’El-Moghîra et appar-
tenir ainsi à la famille Omeyyade. Ce fut en 395 qu’il
commença à lever la tête. Il était instituteur à Bar-
k’a, et comme il crut trouver Ta un terrain favorable-
ment préparé, il se donna aux habitants comme étant
lui-même de cette ville et leur révéla qu’il était dépo-
sitaire de traditions et d’une science [religieuse spé-
ciale], qu’il était appelé à gouverner l’Egypte et à
envoyer les oppresseurs à la mort. Soutenu d’abord par
un groupe de Lawâta et de Zenàta qui le prirent comme
imam et se rallièrent à lui, il vit ensuite tous les Berbè-
res accourir à lui, et il mit le siège devant Bark’a, qu’il
prit en redjeb 395 (avril-mai 1005). En 396 (7 octobre
1005), son autorité s’était affermie, et El-Hàkim envoya
contre lui des troupes qui furent battues après un combat
sanglant et dont le général fut tué.

En cette même année mourut Moh’ammed ben Aboû’l-
c Arab, gouverneur d’ifrîk’iyya.

El-H’âkim fit exécuter et brûler son kâdK 2 ), pour le
châtier de ce qu’il dissipait le bien des orphelins.

En 397 (26 septembre 1006), la situation de l’insurgé
de Bark’a, El-Welid ben Hichâm, était de plus en plus
forte, et le nombre de ses troupes et de ses adhérents
était considérable. El-H’âkim eut alors recours à la ruse
pour venir à bout de lui. Il lui fît écrire par ses princi-
paux conseillers et officiers, qui lui déclarèrent partager
sa doctrine religieuse et se dirent prêts à embrasser sa
cause quand il serait proche. Ces messages répétés ins-

(1) Plus connu peut-être sous son surnom d’Aboû Rekwa (voir Ibn
el-Athir, ix, 139; Chrestomathie de Sacy, i, 99 et 159; Wustenfeld,
181, etc.).

(2) Hoseyn ben No’màn [Chrest. de Sacy, i, 99).

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-ÇW»

~- 38*2 –

pirèrent confiance au rebelle, qui s’avança vers l’Egypte
avec toutes les tribus berbères qui le soutenaient. Alors
lés troupes égyptiennes l’attaquèrent et le battirent, et il
se réfugia dans le Soudan. Il lut ensuite fait prisonnier
et amené à Miçr sur un chameau, puis promené squs un
accoutrement ignominieux dans les rues de la ville. Il
périt dans d’affreux supplices à la mi-chawwàl (3 juillet
1007).

El-K’âsim ben Moh’ammed ben Aboû’l- e Arab, qui
succéda à son père comme gouverneur d’Ifrik’iyya, con-
firma ses conseillers dans les grades qu’ils avaient et
leur demanda leur concours.

En 398 (16 septembre 1007) mourut le préposé aux ré-
clamations en Ifrîk’iyya, Moh’ammed ben e Abd Allah,
dont la sévérité avait durement châtié les novateurs
religieux et les méchants, que, sans exciter aucun blâme,
il avait fait flageller ou exécuter» ou à qui il avait fait
couper les mains et les pieds.

[P. 269] En 399 (4 septembre 1008), les enfants de
Moh’ammed ben Aboû’l- c Arab s’enfuirent de Mançoû-
riyya pour aller rejoindre à Tripoli Felfoûl ben Sa c îd
ben Khazroûn Zenâti. Le gouverneur de Gabès, qui
avait reçu de Naçîr ed-Da\via Tordre de leur couper la
route, s’empara de deux d’entre eux, c Ali et Yoûsof,
qu’il fit exécuter et dont il envoya les têtes à Mançoû-
riyya le 30 moh’arrem (3 octobre 1008). El-K’âsim, qui
revint ensuite, obtint son pardon.

En 400 (24 août 1009), Felfoûl mourut de maladie à
Tripoli et eut pour successeur Warroû, à qui les Zenâta
obéirent. Aboû Mennâd Naçîr ed-Dawla avec une nom-
breuse armée se mit en marche pour attaquer les Zenâta
et arriva sous les murs de Tripoli le lundi 7 cha c bàn

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– 383 –

(25 mars 1010). Les habitants, joyeux et manifestant
leur plaisir par les prières qu’ils adressaient au ciel, se
portèrent au-devant de lui ; on dressa des tentes de bro-
cart et de magnifiques pavillons où il s’installa. Mais un
ouragan survint qui démolit, déchira et emporta toutes
les tentes; le prince alors entra dans le palais de Fel-
foûl. Il reçut des messagers envoyés par Warroû ben
Sa c id, frère de Felfoûl, qui venaient lui demander grâce
et pardon; il accéda à leur demande et fit dresser un
acte le constatante. A la suite de ce succès, il retourna
à Mançoûriyya. En-No c aym ben Kennoûn se rendit en
cette ville accompagné d’un certain nombre d’hommes;
le prince leur fit des cadeaux, les traita le mieux du
monde et fit délivrer à En-No c aym des étendards, des
tambours, des bêtes de charge et des selles ; puis il le
renvoya dans lç pays qu’il lui donna avec K’ast’iliya pour
capitale, et En-No c aym y résida en qualité de prince
avec tambours, étendards et corps de troupes.

En 401 (14 août 1010), mourut à K’ayrawân c Azm ben
Ziri ben Mennâd. Le kàïd Dja c far ben H’abib mourut
aussi à celte date.

El-H’àkim bi-amr Allah fit exécuter simultanément
El-H’oseyn ben Djawher, le généralissime, et son parent
par alliance, kâdi de Miçr, c Abd el- c Aziz ben Moh’am-
med ben en-No c mân ( 2 ).

En chawwàl (mai-juin 1011), [Hassan ben Mofarredj]
Ibn Djerrâh’ se sépara d’El-H’âkim et fît inviter par ses
envoyés l’émir de la Mekke à se révolter également.

(1) Selon Ibn Khaldoûn (ni, 264), Warroû reçut le gouvernement
de Nefzàwa, qu’il abandonna en 401 pour se révolter contre Bàdis.

(2) Le 12 du mois de djomàda II, à ce que dit Makrizi (Chrest. de
Sacy, i, 104; cf. Wïistenfeld, 192).

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– 384 –

C’est ce que fit celui-ci, qui se fit appeler Prince des
croyants, [P. 270] et qui fut suivi dans sa révolte par les
habitants de la Mekke et par ses cousins. Cette situation
dura tout le reste de Tannée (*).

Les Egyptiens, Maghrébins et autres qui étaient partis
pour la glorieuse ville de la Mekke durent revenir, car
en arrivant à K’olzoùm ils apprirent la conduite d’Ibn
Djerrâh’ et d’Aboû’l-Fotoûh’ el-H’asan ben Dja’far ben
Moh’ammed, et alors aucun d’eux n’alla en pèlerinage,
non plus que ne le firent ceux qui venaient de Syrie,
d’Irak, de Khorâsân ou d’ailleurs, sauf, cependant, ceux
du Yémen. Beaucoup de ceux qui vivaient à la Mekke à
l’ombre du saint Temple s’enfuirent.

En 402 (3 août 1011), arriva à Mançoûriyya Khazroùn
ben Sa c id ben Khazroùn Zenâti, qui était le frère de
Felfoul. A la suite de dissensions survenues entre lui et
son frère Warroû, il vint trouver Naçir ed-Dawia, qui le
reçut très bien et qui donna également une hospilalité
très large à environ soixante-dix cavaliers zenâtiens
dont son visiteur était accompagné. Quelques jours plus
tard, le prince lui donna la ville de. . . (*), où Khazroùn
se rendit avec étendards et tambours.

En 403 (22 juillet 1012) arriva à Mehdiyya un navire
apportant de magnifiques cadeaux envoyés par El-H’â-
kim à Bâdis et à son fils Mançoiïr (sic) c Aziz ed-dawla.
El-Mançoûr se rendit avec étendards et tambours, et

(1) Sur ces événements, on peut consulter Makrizi, ap. Chrestom. y
i, 104 et 186; Ibn el-Athir, ix, 86; Wïistenfeld, 193. Le chérif de la
Mekke s’appelait Aboù’l-Fotouh’ el-H’asan ben Dja’far, nom que notre
auteur rappelle presque immédiatement.

(2) Le nom de la ville ne figure pas dans le ms, mais on voit par
Ibn Khaldoûn (m, 264) qu’il s’agit de Nefzâwa.

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– 385 –

accompagné des habitants de K’ayrawân, au Château
maritime pour les recevoir. El-H’âkim envoya en même
temps des rescrits ajoutant Barka et ses dépendances
aux territoires dont Naçir ed-Dawla était déjà investi.

Le savant juriste Aboû’l-H’asan K’âbesK 1 ) mourut
cette année-là.

Naçîr ed-Dawla enleva à Yoûsof ben Aboû H’aboûs
Çanhâdji le soin de veiller aux troupes, etc.

En Syrie eut lieu la mort de Mofarredj ben el-Djerrâh’,
dont les enfants prirent la place.

El-H’asan ben Dja c far, dont nous avons déjà dit qu’il
s’était révolté à la Mekke et y avait fait dire la prière en
son honneur sous le nom de « Er-Ràchid billâh, Prince
des croyants », reconnut l’autorité d’El-H’âkim. Se repen-
tant de ses actes antérieurs, il monta en chaire et fît
amende honorable pour les prétentions qu’il avait émi-
ses. Il envoya à ce propos une lettre à El-H’àkim bi-amr
Allah, qui reçut ses excuses, lui envoya [P. 271] de fortes
sommes d’argent et prévint la population qu’elle pouvait
se rendre à la Mekke en emportant les vivres et les pro-
visions nécessaires.

c Abd Allah ben el-Welid ben el-Moghîra fomenta une
insurrection en lfrîk’iyya. Ce personnage, qui d’abord
s’était caché et s’occupait d’enseignement, prétendit
ensuite au pouvoir ; mais il fut pris, emmené à K’ayra-
wân et promené dans les rues de la ville, lui ainsi qu’un
de ses compagnons, à dos de chameau; après quoi on
les décapita et crucifia. On trouva sur lui un portefeuille
renfermant plusieurs lettres de sa main, adressées à des

(1) Il s’appelle ‘Ali ben Moh’ammed ben Khalaf (n° 851 du Cat.
des mss d’Alger, f. 24 v°; ms 1546 de Paris, f° 182).

25

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2^m,

– 386 — ‘

cheykhs de tribus et ainsi conçues: « De la part d’ c Abd
Allah AboûW Moh’ammed en-Nàçir li-dîn Allah, Prince
des croyants, à un tel » ; après quoi il disait que ses
affaires se termineraient et se réaliseraient grâce aux
Kotâma, et que son correspondant eût à venir à sa ren-
contre le 1 er çafar 404, date où devait finir le pouvoir
des Çanhâdja. Mais ce furent, nous l’avons dit, ceux-ci
qui s’emparèrent de luK 2 ).

En 404 (12 juillet 1013), El-H’âkim annonça par rescrit
à Naçir ed-Dawla que dès à présent il attribuait la qua-
lité d’héritier présomptif à son cousin AboiVl-K’âsim
c Abd er-Rah’mân (») ben Elyâs. Cette pièce fut lue dans
la grande mosquée à K’ayrawân et à Mançoûriyya, et le
nom d’ c Abd er-Rah’mân fut joint à celui d’El-Hâkim sur
les étendards et sur la monnaie. L’imporlance de la
décision qui venait d’être prise fit dire à Naçîr ed-Dawla :
« Si l’i m à m savait montrer de l’adresse, je lui écrirais
de ne pas ainsi substituer son cousin à son fils ».

En 405 (l or juillet 1014), Naçir ed-Dawla fit partir à
t’adresse d’El-H’âkim des cadeaux magnifiques, qu’il
accompagna avec étendards et tambours à leur départ
de Mançoûriyya, et qui, arrivés à Mehdiyya, furent em-
barqués et confiés à Ya c la ben Farad j. 11 y figurait cent
chevaux, ainsi que leurs selles enrichies de pierreries et
formant dix -huit colis en caisses; dix-huit charges de
soie grège, de martre zibeline (semmoûr), et de précieu-
ses marchandises tissées d’or et provenant de Sousse;
vingt jeunes femmes esclaves, dix Slaves, etc. La prin-

^1) 1! faut probablement lire ben.

(2) Ibn Khaldoùn passe cette révolte sous silence.

(3) On lit ‘Abd er-Rahim dans Makrizi (l. I., 103), et c’est cette lec-
ture aussi qu’a adoptée Wûstenfeld (p. 199).

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– 38? —

cesse Oumm Mellàl, sœur de Naçir ed-Dawla, envoyait
également des cadeaux à la sœur d’El-H’àkim. Mais ce
riche envoi tomba du côté de Bark’a dans les mains des
Arabes, et Ya c la ben Faradj s’enfuit en abandonnant
tout.

On cria à K’ayrawàn une proclamation enjoignant à
tous les Çanhâdja qui y habitaient de se transporter
[P. 272] à Mançoûriyya. Une proclamation postérieure
prescrivit la fermeture des boutiques et des fondouks de
K’ayrawân, et l’exécution de cette mesure ne laissa plus
ouvertes dans la ville que quelques boutiques faisant
partie des biens de main-morte, si bien qu’on paya à
Mançoûriyya deux cents dirhems la location d’une bou-
tique destinée à la vente du lin, prix dont il n’avait
jamais été question à K’ayrawân. Ce fut là la cause de
sa ruine.

El-irâkim avait donné à El-Mançoûr ben Naçlr ed-
Dawla le surnom d , lecture du rescrit relatif à cette question Naçîr ed-Dawla
voulait donc élever son fils en conséquence et lui don-
ner à gouverner des cantons où il eût à se faire servir
par des gens qui seraient ses adhérents et ses créa-
tures. Or il avait reçu d’ibrâhîm ben Seyf el- c Aziz billâh
des félicitations dont il soupçonnait la sincérité et qu’il
voulut mettre à l’épreuve. 11 écrivit donc à H’ammâd de
remettre le canton d’Aboû Za c bel, [c’est-à-dire] K’açr
el-Ifriki et la ville de Constantine, au lieutenant de
l’héritier présomptif c Aziz ed-Dawla. A HichàmO) ben

(1) Ce nom est orthographié Hàchim dans Ibn el-Athir (p. 413),
dont il faut comparer le récit. Plus bas on trouve à deux reprises In
forme Hâchim, j’ignore si c’est par erreur ou d’après le ms.

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v^^p

.- 388 –

Dja c far, à qui il avait donné des vêtements d’honneur et
concédé les étendards et les tambours, il ordonna de se
rendre dans cette région, ce qui fit que Hichâm partit en
emmenant des trésors et des approvisionnements consi-
dérables. Naçîr ed-Dawla demanda en outre conseil à
Ibrahim ben Seyf el- c Aziz billâh sur le choix à faire de la
personne chargée de présenter sa lettre à H’amrnâd.
Ibrahim s’offrit avec le plus grand empressement à por-
ter ce message, en ajoutant : « Notre Maître ne trouvera
nul esclave plus empressé que moi à se mettre à son ser-
vice. » Il se chargea donc de la chose en s’engageant par
des actes authentiques à ne mettre au plus que vingt
jours, aller et retour compris. Alors des gens du proche
entourage de Naçir ed-Dawla lui conseillèrent de s’assu-
rer de la personne d’Ibrahim et de ne lui laisser faire le
voyage qu’il projetait que quand lui, Naçîr, saurait ce
qu’étaient l’obéissance et l’empressement de Hammàd,
frère d’Ibrâhîm.

Mais Naçir dit à Ibrahim : « Va trouver ton frère ; si
tu as dit vrai et que tu remplisses tes promesses, tant
mieux; sinon, faites l’un et l’autre comme vous l’enten-
drez. » Alors Ibrahim partit en chawwâl (mars-avril
1015) en emmenant son argent, ses hommes (de con-
fiance) et tous ses trésors, sans que personne y mit obs-
tacle de la part de Naçir ; et pourtant ce départ, où il se
faisait accompagner de ses hommes (de confiance) et de
tous ses bagages, prouvait le contraire de ce qu’il avait
annoncé. Hichâm ben Dja’far, qui était d’abord parti
avec lui, s’aperçut ensuite [P. 273] que la trahison l’atten-
dait lorsqu’il serait à proximité de H’ammàd : il invoqua
donc la nécessité de quelque affaire qu’il avait laissée en
suspens à Bâdja et tourna de ce côté, en promettant de

Digttized by VjOOQI

rççy

– 389 –

revenir promptement. Ce fut ainsi que Dieu le fit échap-
per à la trahison (qui le guettait). Ibrahim, arrivé à
TàmediU 1 ), écrivit à son frère H’ammâd, qui vint avec”
des troupes nombreuses se joindre à lui, et alors l’un
et l’autre se proclamèrent en insurrection.

A cette nouvelle, Naçir ed-Dawla se transporta à la
fin de dhoû’l-hiddja (mi-juin 1015) à Rak’k’âda, où il dis-
tribua la solde à ses troupes; il envoya sa famille, ses
bagages, sa sœur la princesse Oumm Mellâl, ses enfants
et ses esclaves à Mehdiyya. Le sept du mois < 2 ), il se mit en
route et fit arrêter Yoûsof ben Aboû H’aboûs et ses frè-
res. 11 ne s’était pas passé un jour que Naçir ed-Dawla
ne lui eût renouvelé les témoignages de considération
et ne lui eût fait du bien ; il ne recevait pas du khalife
un cheval ou un vêtement qu’il ne le lui donnât plutôt
que de le garder pour lui-même, sans parler des pro-
priétés et des terres qu’il lui avait concédées dans tous les
cantons d’Ifrik’iyya ; en un mot, toujours il l’avait élevé
eu considération et en renommée, si bien que Yoûsof
avait reçu plus de dignités qu’aucun grand ou petit, était
monté plus haut qu’aucun proche ou parent. Or il proje-
tait — Dieu sait ce qu’il en est — une attaque contre
Naçir ed-Dawla, et méditait cette affaire depuis quelque
temps; mais Dieu, loin de le favoriser, trompa ses mé-
chantes pensées et retourna sa vilenie contre lui-même.
Naçir ed-Dawla, sachant positivement ce qui se tramait,
fit arrêter son ancien favori, et grâce à cet acte de

(1) Localité située à deux journées de Laribus (Bekri, 130; Edrisi,
137).

(?) Il ne faut pas songer à lire le 27, bien qu’il vienne d’être parlé
des derniers jours du mois, puisqu’un peu plus bas il est question du
J0 du même mois.

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-, 390 –

vigueur Dieu énerva les ruses des ennemis du prince,
déçut leurs espérances et dérouta leurs projets coupa-
bles.

Naçir ed-Dawla marcha alors avec ses troupes, le
lendemain de la Fête des Victimes, contre H’ammâd.
Au commencement de moharrem 406 (fin juin 1015),
c Azm et Felfoul, l’un et l’autre fils de H’assoûn ben Sen-
noûn, Mâksen ben Bologgin et f Adnân ben Ma c çem
vinrent le trouver avec une troupe de cavaliers apparte-
nant à l’armée de H’ammâd. Naçir ed-Dawla leur donna
des vêtements d’honneur et les traita bien; puis [P. 274]
continuant toujours d’avancer, il arriva à Tàmedit, où il
reçut la nouvelle de la mort de son fils El-Mançoûr
f Aziz ed-Dawla, qui, lors de son départ pour Mehdiyya,
avait été pris par la fièvre et atteint de la petile vérole,
dont il était mort au bout de dix-sept jours. Cette mala-
die lui avait été cachée jusqu’alors, parce qu’on craignait,
comme il était en route pour combattre son ennemi, que
l’affliction qu’il ressentirait ne nuisit aux intérêts de
l’Etat. Quand Ibrahim et H’ammâd connurent cette mort,
ils firent connaître au père du jeune prince que celui à
raison de qui il avait adressé la demande que l’on sait
était mort. Mais ce message ne troubla pas autrement
Naçir ed-Dawla, qui écrivit à la princesse (sa fçmme)
pour l’informa de la nouvelle qui lui était transmise;
elle lui confirma la chose en lui adressant ses condo-
léances et lui décrivant l’excellent état de santé d’El-
Mo f izz. II supporta le choc avec une patience et une rési-
gnation merveilleuses: il tint une audience publique
pour recevoir les compliments de condoléances, et quand
il voyait quelqu’un trop affligé et pleurant, c’était lui qui
le réconfortait et le consolait. Sa contenance combla de

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— 391 —

joie ses amis et consterna ses envieux et ses ennemis.
Il repartit de Tàmedit le 6 çafar (25 juillet) et parvint
à Moh’ammediyya,* autrement dite Mesila, dont les habi-
tants se portèrent au-devant de lui en adressant au ciel
des vœux en sa faveur pour manifester leur reconnais-
sance de la justice et de la sécurité qu’ils lui devaient, de
la protection dont il les couvrait contre l’injustice et les
agressions. Après s’y être arrêté six jours, il repartit,
franchit le Ghélif et continua d’avancer jusqu’à ce qu’il se
trouvât à proximité des troupes de H’ammàd et des ban-
des qu’il avait levées chez les Zenàta et les autres peu-
plades au-delà de cette rivière. II eut soin d’ailleurs, pour
la nuit, de prendre toutes les précautions nécessaires
pour se bien garder. Le lendemain matin, il se mit à la
tête de ses troupes, passa devant elles et les rangea
en ordre de bataille, chacun de ses officiers occupant
le centre du groupe qu’il commandait ; les deux armées
étaient alors si rapprochées qu’elles étaient en vue l’une
de l’autre. Ce fut H’ammàd qui fut mis en déroute et
son camp fut livré au pillage* 1 ). On prétend que (rien
que) les boucliers pris étaient au nombre de dix mille.
L’empressement mis par les troupes de Naçir à enlever
les dépouilles de toute sorte permit à H’ammàd, qu’a-
bandonnèrent les siens, de s’échapper. Le butin et les
richesses qu’on enleva ainsi étaient en nombre et en
valeur incalculables. [P. 275] On trouva deux billets
constatant qu’un certain officier avait un coffre contenant
50,700 dinars et 1,005,000 dirhems, plus cinquante cais-

(1) Il y eut bien bataille le 1 er djomàda 1 (16 octobre), ainsi qu’on
le voit par Ibn el-Athir, et non une simple débandade comme il
somble résulter de la traduction d’Ibn Khaldoùn (u, 45) el, dans une
certaine mesure, de notre texte même.

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— 392 —

ses renfermant diverses marchandises, et cela non com-
pris ce que renfermaient la tente et les magasins de
H’ammâd. Voici ce que raconte Aboù Ish’àk’ : « Un
homme qui poussait un mulet devant soi fut fouillé sous
nos yeux par nos serviteurs, et on trouva dans le rem-
bourrage et la laine du bat huit mille dinars ; or il y eut
des faits innombrables de ce genre. Cette somme me fut
présentée après notre départ alors que nous étions déjà
sortis de la rivière, bien qu’à grand’peine ; mais la dou-
ceur de la prise et la certitude du salut nous firent ou-
blier ces fatigues. »

[Basir] Il n’est pas sorti de ma mémoire ce jour où, auprès
du Chélif, se présenta un spectacle effrayant et auquel les
prunelles se contractaient : les chevaux, traversant les tètes,
plongeaient dans des flots de sang, y formant un sillon d’un
rouge d’aurore ; dans les ténèbres et les nuées de poussière
brillait l’éclat des sabres semblables aux étoiles qui surgis-
sent successivement de l’obscurité de la nuit tombante. On
y voyait Bâdis marqué du signe des braves et aussi recon-
naissable et visible que le soleil au firmament : si sa main
gorgée et vaillante eût débordé, ses ennemis eussent été bien
près d’être submergés. Le turban rouge qui orne son front
fait de lui une lune qui se lève dans la riibescence du soleil
couchant. La mort elle-même eût-elle pris corps que, si on
lui avait annoncé l’apparition d’Ibn Mennâd, la peur l’eût fait
retomber sans vie à la vue de cette aurore !

Le lundi matin, 2 djomâda I (17 octobre), Naçir ed-
Dawla fit rechercher H’ammâd ben Bâdis ben Seyf el-
c Azîz billàh, mais il s’était enfermé dans le château-fort
(la Kal’at Hammâd) avec son frère. Après y avoir séjourné
trois jours pour se reposer et laisser reposer leurs com-
pagnons ainsi que leurs montures, Ibrahim annonça à

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– 393 –

son frère qu’il n’avait ni assez de vivres ni assez de sel
[pour continuer la résistance]. H’ammâd partit alors
avec lui et avec tous ses compagnons, et arriva, ayant
toujours Naçir ed-Dawla à ses trousses, à la ville de
DekmaW, dont il avait précédemment châtié les habi-
tants. Ceux-ci se mirent à pousser des cris contre son
arrière-garde ; il se défendit Fépée à la main et en tua
environ trois cents. Alors intervint Ah’med ben Aboii
Tawba, [P. 276] juriste de la ville, qui apaisa ses compa
triotes et avertit H’ammâd d’avoir à redouter la colère
divine: a Prince, lui dit-il, tu fuis devant les grandes
niasses et tu tournes le dos aux armées qui te résistent;
ton pouvoir et ta force ne s’exercent que sur le prison-
nier qui est devant toi sans personne pour le soutenir ! »
A ces paroles H’ammâd répondit en faisant décapiter
l’audacieux. Alors s’avança un pieux vieillard de la
ville, qui parla ainsi : « H’ammâd, crains Dieu; (moi
qui te le dis) j’ai fait deux fois le pèlerinage. — Eh bien,
répondit-il, je vais par surcroit te donner le martyre ! »
et il le fil aussi décapiter. Après lui s’avancèrent quel-
ques marchands ambulants : « Nous sommes, dirent -ils,
étrangers et nous ignorons la faute qu’ont commise
contre toi les habitants de cette ville. — Mettez-vous
tous ensemble, et je vous le dirai ! » Ces marchands se
réunirent et parmi eux se glissèrent quelques autres qui
voulaient aussi sauver leur vie; mais il leur fit couper le
cou à tous. Après quoi il enleva tous les vivres et tout le
sel de la ville et rentra dans son château-fort.
Le jour de la fuite de H’ammâd, Naçir ed-Dawla se fit

(1) Je corrige le texte, qui écrit ce nom Zekrna, d’après Ibn el-
Athir, p. 414 ; on prononce aussi Dekkama (Bekri, 131 ; Edrisi, 141).

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– 394 –

amener Bekkâr ben Djelâla OutelkâtiW, qu’il avait anté-
rieurement fait prisonnier et qui avait souvent tenu des
propos malsonnants sur celui qui l’avait alors en son
pouvoir. Sous les yeux de Yoûsof ben Aboû H’aboûs,
qui était aussi prisonnier, il fit raser la barbe de Bekkâr,
puis en fit faire autant à Yoûsof, leur infligeant ainsi un
châtiment exemplaire aux yeux du monde. « Quand, dit
Er-Rak’ik’, nous vîmes Yoûsof rasé, nous nous mîmes à
dire à voix basse : « Nous espérions que Yoûsof aurait la
vie sauve, car les princes ont l’habitude de pardonner
après avoir puni; mais après ce châtiment infamant
nous le jugeons bien perdu ! » Naçir nous jeta un coup
dœil et nous demanda ce que nous disions : « Vous avez
deviné », dit-il, quand nous lui eûmes répondu à voix
basse. Trois jours après 11 le fit revenir, et après lui
avoir énuméré toutes ses méchancetés et toutes ses infa-
mies, il lui fit couper le nez et les oreilles, puis le ren-
voya; il le fit ensuite revenir, lui fit amputer les deux
mains et le renvoya dans sa prison, où le misérable pas-
sa la nuit baigné dans son sang. Un des geôliers raconta
qu’il l’avait entendu prier son frère de l’égorger pour en
finir, [P. 277] car il craignait d’être encore torturé le len-
demain sous les yeux de ses ennemis; mais comme son
frère lui répondit d’attendre patiemment la réalisation
des décrets divins, il demanda à un gardien de le pren-
dre par le bras pour le mener satisfaire un besoin, et
pendant que son guide l’attendait, il se précipita le front
sur une colonne avec une telle violence que les yeux lui
sortirent de la tête et que la cervelle jaillit; il tomba
mort sur le coup. »

(l) Sur l’orthographe de cet ethnique, voir Ibn el-Athir, p. 416;
suprà, p. 368.

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– 395 –

Naçir ed-Dawla s’éloigna alors du Chélif. Er-Rak^k’
s’exprime ainsi : « Parmi les choses curieuses que nous
avons entendu dire de cette station auprès du Chélif,
citons qu’un grand cheykh berbère nous a dit qu’on
l’appelle la station des épreuves ; puis il se mit à nTénu-
mérer ceux des principaux chefs Zenâta qui avaient pris
la fuite ou avaient été tués ; mais nous étions en cours
de roule et je ne pus écrire (ce qu’il me disait). Il finit
en disant que le derniçr de ceux qui y moururent fut
Ziri ben c At’iya, le dernier de ceux qui s’enfuirent fut
H’ammâd ; que Yoûsof ben Aboû H’aboûs y fut mis à
mort et qu’on porta à son frère son cadavre, qui était
jeté en travers sur une bête de somme et dont les deux
pieds restaient visibles. Il le fit inhumer en cet endroit. »

A la suite d% la mort, survenue en chawwàl (mars-
avril 1016), de Warroû ben Sa c id, les Zenàta se divisè-
rent: une partie obéit à Khalifa ben Warroû, une autre
à son cousin Khazroûn, et Dieu les affligea de discordes ( f ).

Mort de Naçîr ed-Dawla Bâdîs.

Le mardi 29 dhoù’l-k’a c da (9 mai 1016), il fit procéder
au recensement (des troupes), et chaque officier sortit à
la tête du détachement qu’il avait sous ses ordres. Le
prince, qui se tenait assis dans le pavillon, donna à
Ayyoùb ben Itewwoufet Tordre de parcourir les rangs et
de faire le compte des guerriers, et attendit la fin de celte
opération. Ayyoùb lui fournit alors les renseignements
nécessaires, qui le remplirent de satisfaction et à la

(1) Voir Ibn el-Athir, p. 415. VHist. des Berb. (m, 265) place la
mort de Warroû en l’année 405,

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»* ^-F^ï

— 396 —

suite desquels il regagna son palais. Le soir il monta
à cheval parfaitement heureux et ayant la plus belle
apparence. Des joutes furent organisées sous ses yeux,
et lui-même ne brandissait pas une lance qu’il ne la rom-
pit, après quoi il en reprenait une autre. Il retourna au
palais plus plein d’espoir, plus gai et plus animé que
jamais; il-se mit à manger et à boire avec ses familiers
et ses proches, qui remarquèrent en lui une gaîté [P. 278]
inconnue, puis vers le milieu de la nuit du (mardi au)
mercredi 30 dhoû’l-ka c da, il était mort. Des messagers
furent aussitôt dépêchés à H’abib-ben Aboû Sa c id, à Bà-
dîs ben H’ammâmaW et à Ayyoûb ben Itewwoufet pour
les prévenir de l’événement, sans en rien dire à tous les
Çanhàdja ni aux autres, et ces chefs se retirèrent pour
tenir la chose secrète jusqu’à ce qu’ils se missent d’accord.
Lé matin, les chefs militaires se présentèrent comme de
coutume pour saluer le prince, car ils étaient sans nou-
velles, tandis que le projet des autres était [pour expli-
quer son absence] d’annoncer au peuple qu’il avait pris
médecine; les initiés firent, en outre, prévenir tous les
officiers d’arriver chacun avec leurs hommes, car ils ve-
naient d’apprendre que H’ammâd était près d’attaquer le
camp. Or ils ignoraient que la nouvelle de la mort du
sultan était partie de Moh’ammediyya, dont les habitants
avaient fermé les portes et étaient montés sur les mu-
railles [tout prêts à se défendre]. Ainsi fut connue la
nouvelle qu’ils furent impuissants à tenir secrète et qui
se répandit aussi vite que si elle eût fait l’objet d’une
proclamation. Les soldats troublés s’agitaient dans la
crainte de quelque désaccord, et on résolut par suite de

(1) Dans Jbn el-Athir, trad., p. 415, on Ut« ben Aboû Hamroàma ».

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.— 397 —

choisir Kerâma, qui leur fit prêter serment et fit envoyer
des lettres clans quelques endroits. Mais alors les escla-
ves noirs de Naçir ed-Dawla et tous ceux de son entou-
rage qui faisaient cause commune avec eux manifestè-
rent leur mécontentement, disant que s’ils avaient choisi
Kerâma, ce n’était que pour commander aux troupes et
veiller aux biens en attendant que tout fût remis à celui
qui y avait droit, El-Mo f izz ben Naçir ed-Dawla. Toute
la nuit, il y eut entre eux des allées et venues, et ils
s’engagèrent par serment à (soutenir) l’accession au trône
d’El-Mo c izz. Toutes leurs dispositions étant prises, ils en
publièrent le résultat le samedi 3 dhoû’l-hiddja (lSmai)^),
et” alors les divers corps de troupes vinrent successive-
ment prêter serment. On tomba d’accord pour envoyer
Keràma faire à Achir des levées de Çanhâdja et d’Outel-
kâta qu’il ramènerait à Moh’ammediyya. Après quoi les
troupes partirent en emportant le catafalque de Naçir
ed-Dawla.

Avènement et règne d’El-Mo’izz ben Bâdls Naçir ed-Dawla.

Ce prince fut proclamé à Mehdiyya le dit samedi de
406(13 mai 1016), à l’âge de huit ans et quatre mois( 2 ); la
prestation de serment eut lieu en cette ville le 21 dhoû’l-
hiddja, après l’arrivée de l’annonce (officielle; de la mort
de son père. Mançoûr ben Rechîk, le kâdi de K’ayrawân

(1) Cette date parait erronée, puisque Naçir ed-Dawla était mort
trois jours auparavant. Quelques lignes plus bas, il est dit que la
prostation de serment eut lieu le 21 dhoiVl-hiddja, et ensuite que les
troupes partirent de Moh’ammediyya le 10 du même mois.

(2) Ibn el-Athir le fait plus âgé de deux mois et quelques jours.

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– 398 –

et de Mohammed iyya, ainsi que les cheykhs et les Çan-
hâdjites présents à Mehdiyya allèrent présenter à* la
princesse Ouram Mellâl, qui se trouvait alors dans
cette dernière ville, leurs condoléances à l’occasion de
la mort de son frère. El-Mo c izz fît une sortie avec éten-
dards et tambours, et le peuple tout entier lui porta ses
félicitations, lui prêta serment, offrit ses compliments
de condoléance et adressa au ciel des vœux en sa faveur ;
après quoi il rentra au palais, et la population y pénétra
ensuite pour féliciter la princesse de l’avènement de son
neveu ; et alors les gens de K’ayrawân et de Man-
çoûriyya se retirèrent. El-Mo c izz resta à Mehdiyya, se
rendant chaque jour à cheval au Pavillon de la^ paix
(ICobbat es-selâm), où le peuple mangeait sous ses yeux,
purs il rentrait au palais.

Le samedi correspondant au jour de la Fête des Victi-
mes (10 dhoû’l-hiddja), les troupes partirent de Moh’am-
mediyya, après avoir mis le feu aux constructions, aux
maisons et aux enclos, le catafalque précédant les éten-
dards et les tambours, H’ammâd si*rveillait de loin ces
troupes qui s’écoulaient comme un fleuve devant le
catafalque, et il adressa ces réflexions à son frère et à
ses familiers : « Voilà comment ces gens servent les
princes ! Moi je suis venu en Ifrik’iyya avec trente mille
cavaliers dont il n’y avait pas un qui n’eût été l’objet de
mes bons procédés ou de mes largesses; et puis je suis
retourné à El-K’al f a n’ayant plus avec moi que moins de
six cents de ces hommes, et c’est en eux qu’il me faut
espérer de l’aide. Et celui-là, qui est mort, on lui obéit
comme s’il était vivant ! » L’armée arriva à Mehdiyya le
22 dhoû’l-hiddja. Les troupes paradèrent à la porte de
la ville, et El-Mo c izz, à cheval et sans bouger, vit jus-

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ç.T *-

– 399 -< qu’au bout toutes ces troupes descendre, détachement par détachement, pour le saluer. En 407 (9 juin 1016), El-Mo c izz ben Bâdis quitta Meh- •diyya et fit le vendredi 15 moh’arrem(23 juin) une magni- fique entrée à Mançoûriyya ; étendards et tambours le précédaient, et il descendit en grande pompe dans son palais, au milieu de l’allégresse universelle. Il y avait à K’ayrawân, dans le quartier nommé Derb el-Mo’allaW, des gens qui y cachaient leurs croyances chi ç ites pour éviter d’être molestés. La populace se pré- cipita inopinément sur eux rP. 280] et en tua un certain nombre, tant hommes que femmes, puis se donnant libre carrière elle livra k au pillage les maisons et les biens des Chi c ites. Les désordres furent très graves et se propagè- rent en province, où Ton tua un grand nombre de ces dissidents, sans parler de ceux dont on ne savait pas au juste les croyances. A Mehdiyya, les survivants se réfu- gièrent dans la grande mosquée où on les massacra tous, femmes comprises. La foule s’ameuta contre Aboû’l-Behâr ben Khalloûf, qui avait soulevé sa colère en réduisant les têtes folles et en agissant énergiquement; il dut se réfugier à Mançoûriyya, et sa demeure fut livrée au pillage. Son neveu, apprenant la chose, marcha avec ses soldats au secours de son oncle, mais la foule massacra celui-ci, infligea (à son cadavre) un traitement destiné à servir d’exemple et tua également tous ceux qui raccompa- gnaient ; puis elle marcha sur Mançoûriyya, qu’elle mit en ruines. Environ quinze cents Chi c ites se réfugièrent (1) Ibn el-Atkir écrit ce nom Derb el-Mok’alll (p. 447) et fait aussi le récit de ces troubles. Digitized by Google – 400 — dans l’habitation de Molf ammed ben r Abd er-Ralf mân ; chaque fois qu’il en sortait un pour acheter des vivres, il était massacré, et ce fut le sort de la plupart ; puis on en fit sortir (le reste) avec femmes et enfants, et on les • mena au palais du sultan. Les musulmans voyaient ces faits avec plaisir, car on avait trouvé dans les demeures de ces prétendus fidèles des livres qu’on mit au jour et qui renfermaient de nombreux passages où s’affirmaient l’incrédulité, des opinions sacrilèges et le caractère licite d’actes prohibés. Les survivants se tinrent solidement enfermés dans le palais pendant la fin du mois de djomâda I et le mois suivant (octobre-novembre). Vers la fin de cette annéeM arriva un rescrit dans lequel El-Hâkim s’adressait à El-Mo c izz ben Bàdis en le traitant de Cheref ed-Dawla. A cette occasion, le jeune prince fit une sortie avec étendards et tambours. En 408 (29 mai 1017), d’importants engagements eurent lieu entre les troupes de Cheref ed-Dawla el-Mo c izz et celles de H’ammâd, ce qui serait long à raconter ( 2 ). En -409 (19 mai 1018), environ deux cents Chi’ites à cheval accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants sortirent de la ville pour aller à Mehdiyya s’embarquer pour la Sicile ; des cavaliers leur servaient d’escorte. Le convoi était arrivé à la bourgade de Kâmil, où il passa la nuit ; les habitants des campements voisins les attaquèrent et les massacrèrent, non sans avoir violé quelques jeunes femmes et celles [plus âgées] qui avaient (1) Au mois de dhoû’l-hiddja (Ibn Khallikàn, ni, 386 ; lbn el-Athir, trad. p. 417). (2) On trouve sur ces faits quelques détails dans Ibn eUAthir (ih.) et dans les Berbères (u, 18). Digitized by VjOOQlC – 401 — encore quelque beauté. Toutes ces femmes furent d’ailleurs également massacrées* 1 ). L’Ifrik’iyya eut à souffrir cette année-là [P. ^81] d’une grande disette et de nombreux combats. En 410 (8 mai 1019), Zàwi ben Zîri Çanhâdji, après une absence de vingt-deux ans, revint d’Espagne en Ifri- k’iyya avec sa femme, ses enfants et ses serviteurs, après avoir pris part aux guerres et aux troubles de ce pays et ramassé des richesses provenant des trésors des rois qui y régnaient. Le jour de son arrivée, Cheref ed-Dawla el- Mo c izz, magnifiquement vêtu, se porta à sa rencontre : Zâwi s’avança à pied, et El-Mo^izz, qui descendit de che- val, reçut ses salutations et l’accompagna jusqu’à ce qu’il l’eût installé à Mançoûriyya^. En 411 (26 avril 1020), El-Mo c izz reçut Aboû’l-K’àsim ben El-Yezid, qui venait de la part d’EI-H’âkim lui apporter un sabre orné des plus précieuses pierreries ainsi qu’un vêtement tiré de sa propre garde-robè et plus beau qu’on n’eût jamais vu ; le prince, magnifiquement vêtu et en grand apparat, alla à sa rencontre, et il lui fut ■donné lecture d’un rescrit qui le remplit de joie à cause des expressions honorifiques qui lui étaient adressées et que personne n’avait reçues jusque là. En la même année, Moh’ammed ben c Abd el- c Aziz ben Aboû Kodya apporta un autre rescrit d’El-H’âkim en réponse à ce qu’avait écrit El-Mo c izz au sujet des affaires ■d’Espagne, de la chute de la dynastie Omeyyade et de l’élévation d’El-K’àsim ben H’ammoûd* 3 ). Le khalife lui (1) Cet alinéa ainsi que le suivant figurent dans la Biblloteca (n, 32)* (2) Voir Ibn el-Athir, p. 420 ; Berbères, h,- 19 et 44 ; m, $9 et 247 ; Dozy, Mus. d’Espagne, m, 288 et 317. (3) Ce prince régna à Gordoue jusqu’à 412 ; sur ces événements, voir Ibn el-Athir, p. 425. 26 Digitized by Google – 402 – en témoignait sa reconnaissance par l’envoi de quinze drapeaux tissus d’or, qu’El-Mo c izz fit porter devant lui quand il fit son entrée à cheval le 27 rebi c II (20 août 1020). Il tomba une pluie violente accompagnée de tonnerre et d’une chute de pierres plus grosses et plus abondantes qu’on n’avait jamais vu en Ifrik’iyya ; en même temps, la foudre tomba à deux reprises M. On apprit la mort d’EI-HYikim, khalife d’Egypte^ 2 ), à. qui succéda Ez-Z’àhir. En 412 (16 avril 1021), mourut Bàdis ben Seyf el- f Aziz billâh, sur qui Gheref ed-Dawla prononça les dernières, prières. Il lui fut élevé un magnifique monument funé- raire. La princesse veuve de Naçir ed-Dawla, étant venue à mourir, fut.ensevelie plus magnifiquement qu’aucun roi. Au rapport de marchands qui assistèrent à la cérémo- nie, cent mille dinars furent dépensés à cet effet; son corps fut déposé dans un cercueil d’aloès incrusté de pierres précieuses [P. 282] et dont les clous valaient deux mille dinars. Elle Jut inhumée à Mehdiyya à la suite de funérailles telles qu’on n’en avait jamais vu de pareil- les. En 413 (5 avril 1022), El-Mo’izz se maria avec un tef déploiement de pompe qu’aucun khalife n’en fit jamais- autant. Ladescriplion, que j’omets pour être plus court,, en est faite dans le livre d’Er-Rak’ik. (1) Les imaginations furent vivement frappées, car celait est aussi- rapporté par le dit chroniqueur (p. 448). (2) Hâkim périt le 27 chawwàl 411, dans des circonstances dont le rrécit se retrouve dans Wùstenfeld (p. 217); cf. Journ, As., 1860, u 144 ; Rel. des Druze*, intr., i, 406). Digitized by Google T^V”- – 403 – En 414 (25 mars 1023), on apprit de plusieurs côtés en Ifrîkiyya que Khalifa ben Warroûet ses partisans avaient lancé de nombreux navires et qu’ils étaient partis de Tripoli à la recherche de Fotoûh’ ben el-K’â’id, alors que, ayant antérieurement écrit à Cherel ed-Dawla el-Mo c izz pour lui annoncer qu’il devenait des siens et le recon- naissait, il avait reçu de ce dernier la ville de Neft’a dans la province de Constantinet 1 ). Cheref ed-Dawla se mit donc en route et, passant par Sousse, arriva à Mehdiyya le jeudi 4 moh’arrem (28 mars). Une procla- mation ann’onça une levée de matelots, et des lettres furent envoyées pour rappeler celles de ses troupes qui ne l’avaient pas encore rejoint, afin de rendre ainsi pos- sible son départ de Mehdiyya par Sfax et Gabès pour arriver à Tripoli. Il donna Tordre de mettre soigneuse- ment les troupes en état et de compléter les approvision- nements de l’arsenal; il se mit à fabriquer dans un délai très court des engins de guerre en plus grande quantité qu’on ne pourrait faire en un -long espace de temps. Mais ensuite, il estima devoir se rendre à Mançoûriyya pour permettre aux hommes de prendre leur équipe- ment et les objets nécessaires, et il arriva dans cette ville le lundi 24 moh’arrem (17 avril). La nouvelle piarvint d’Orient que le Prince des croyants Ez-Z’âhir li-i c zàz din Allah s’était fait amener Seyf ed- Dawla .dhoû’l-niadjdeyn H’oseyn ben c Ali ben Davvwâs Kotâmi, qui avait toujours évité par précaution de se- rendre au palais et qui cette fois n’en ressortit presque aussitôt qu’à l’état de cadavre^). Son corps resta sur place (1) On trouvera sur la révolte de Khalifa ben Warroû quelques renseignements dans les Berbères (m, 265). (2) Cette exécution se rattache aux troubles provoqués au Kaire Digitized by Google – 404 – pendant trois jours, tandis qu’un héraut proclamait : « Voilà la rétribution due à celui qui trahit ses patrons, » puis il fut remis à ses esclaves, qui l’enterrèrent. A la même époque on apprit la mort de la noble prin- cesse fille d’El-^Aziz billâhW, sur qui les dernières priè- res furent dites à Miçr par Ez-Z’âhir li-i c zâz din Allah. [P. 283] Elle avait pris le pouvoir en mains et établi pour l’expédition des affaires des règlements marqués au coin de la prévoyance et de l’habileté administrative. Après avoir fait exécuter le vîzir c Ammàr( 2 ), à qui avaient été confiés l’inspection des divers bureaux, des propriétés, du secrétariat, ainsi que les autres services du khalifat, felle s’occupa elle-même des soins de l’administration, et nulle affaire, grande ou petite, ne passait que revêtue de san visa transcrit de la main de son esclave Aboû’l- Bayân le Slave. En la même année, Mohammed ben c Abd el- c Aziz apporta à Cheref ed-Dawla, de la part du khalife d’Egypte Ez-Z’âhir, les preuves de la plus haute considération, et il fut donné lecture de rescrits tels qu’on n’en avait jamais vu de plus importants comme fond ni de plus relevés comme forme. Le khalife, faisant une addition à son par la mésintelligence régnant entre les Turcs et les Kotàma^cf. Wiïs- tenfeïd, p. 213). Au lieu de Hoseyn ben * Ali, on lit ailleurs Yoûsof (Rel. des Druzes, intr., p. 406 ; cf! Defrémery, ./. As., 1860, i, p. 144 et 146). (1) Il s’agit de Sitt el-Molk, l’intelligente et énergique princesse que certains chroniqueurs accusent d’avoir fait disparaître l’insensé H’àkim, son frère (Ibn el-Athîr, ix, 222 et s. ; Aboulfaradj, éd. de Beyrouth, p. 313; Quatremère, Mèm. sur l’Egypte, i, 324 ; Journ. as., 1860, i, 144 ; De Sacy, Druzes, intr. p. ccccu, ccccvi, ccccxxvi, etc. ; Wustenfeld, 214 et 219, etc.). (2) AboiVt-Hasan ‘Ammàr ben Mohammed ; comparez Wustenfeld, p. 220. Digitized by Google – 405 – surnom honorifique, l’appelait Cheref ed-Dawla wa- c Ad’odhà, et l’informait de la naissance de ses deux fils Aboû’t-T’âhir et c Abd Allah Aboû Mohammed ; à quoi il joignait trois juments tirées de ses propres écuries et magnifiquement sellées, un vêtement précieux d’entre les plus beaux de sa propre garde-robe, deux pommeaux d’étendards tissés d’or et montés sur des hampes d’argent dont il n’était jamais entré de pareil en Ifrîk’iyya, enfin vingt étendards dorés et argentés. Cheref ed-Dawla fit à ces cadeaux l’accueil le plus brillant et leur rendit les soins cérémonieux qu’ils méritaient. Les rescrits furent d’abord lus en sa présence, puis dans la grande mosquée de K’ayrawân ; il les fit transcrire pour les expédier partout, et ces pièces excitèrent une joie indescriptible. Dans la même année, un autre rescrit, apportant à Che- ref ed-Dawla une nouvelle preuve de considération, lui ordonna d’employer dans ses lettres la formule : « De la part de l’émir Cheref ed-Dawla wa- c Ad’od-hà », titre dont il devait aussi être qualifié dans la correspondance à lui adressée. Il reçut ce message en grande pompe, donna des robes d’honneur à ceux qui l’apportaient et le transporta en cérémonie. A partir de ce moment, on employa dans la correspondance ces qualificatifs pom- peux. La princesse Oumm Mellâl, fille d’ c Oddat el- e Aziz bil- làh, étant tombée malade, Cheref ed-Dawla alla quoti- diennement, pendant les quelques jours que dura sa maladie, lui rendre visite et lui tenir compagnie, per- mettant même à ses conseillers et à ses serviteurs de pénétrer auprès d’elle et d’y rester quelque temps. Le jeudi dernier jour de redjeb (17 octobre 1023), Dieu la rappela à lui. Le prince prononça les dernières prières Digitized by Google ^??SP” – 406 — et célébra les funérailles avec étendards, tambours et litières, [P. 284] déployant une pompe telle qu’on n’avait jamais rien vu de pareil ni pour un roi ni pour un sujet. Les deux nobles princesses, la mère et la sœur (du prince), y assistèrent. Le mardi 25 djomâda I (15 août), Gheref ed-Dawla confia à Àboû’l-Behâr ben Khalloûf la perception des impôts,* la direction des gouverneurs des provinces ainsi que l’inspection des troupes et de toutes les affaires. Alors tout marcha parfaitement, les provinces éloignées et les frontières furent contenues; l’administration se fît normalement, et Cheref ed-Dawla trouva en lui une fermeté, un talent, une décision et une sagacité qu’il n’avait encore rencontrés chez aucun de ses ministres (lacune de quelques lettres). En çafar 415 (avril-mai 1024), il lui naquit un fils qu’il nomma Kennâd. En redjeb (comm. le 7 septembre) eut lieu le mariage de la princesse Oumm el- c 01oû, fille de Naçir ed-Dawla et sœur de Gheref ed-Dawla (*>. Le mercredi 1 er cha c bàn
(7 octobre), le grand portique fut orné en son honneur;
la foule, grands et petits, put y pénétrer et contempler
toutes les pierreries, tissus, objets précieux, vases d’or
et d’argent qui lui étaient destinés et plus beaux que tout
ce qu’on avait jamais fait ou entendu dire pour aucun
roi jusqu’alors. Aboû Ish’âk’ er-Rak’ik’ s’exprime ainsi :
« Les visiteurs furent aveuglés par ce qu’ils virent, stu-
péfiés devant la magnificence de ce qu’ils contemplèrent. »
Tout cela fut transporté à l’endroit où l’on avait dressé

(1) Cette princesse fut faite prisonnière par les Zenàta entre 430 et
440 [Berbères, m, 266), probablement dans l’expédition relatée plus
bas sous l’an uée 433.

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– 407 –

des constructions, des pavillons et des tentes ; dix mulets
transportèrent les dix charges constituant la dot de la
future et sur chacune desquelles il y avait une jeune et
belle esclave ; ce qui représentait [par charge] cent mille
dinars en monnaie. D’après un marchand habile qui avait
évalué ce qui appartenait à la future, il y en avait pour
plus d’un x million de dinars, ce qu’on n’avait jamais vu
pour aucune femme en Ifrîkiyya. Dans la conduite pro-
cessionnelle de la fiancée, qui se fit le jeudi, cette der-
nière était précédée des esclaves noirs de son frère
Gheref ed-Dawla, de son père Naçir ed-£)awla et de son
grand père c Oddat el- c Azîz billàh, ainsi que des princi-
paux personnages de la cour. ‘De ce jour où les cava-
liers accomplirent les plus mémorables prouesses, les
descriptions enchanteresses remplirent les provinces’.

En cette année, Cheref ed-Dncien
dinar en valait quatre (nouveaux) plus deux dirhems; le
change du dinar nouveau était de trente-cinq dirhems (*).

La disgrâce frappa le k’â’id c Abbâd ben Merwân, sur-
nommé Seyf el-Moulk, qui faisait partie des intimes du
prince : succombant sous les attaques de ses ennemis,
il dut livrer tous ses biens, on arrêta ceux qu’il avait
nommés dans les cantons qu’il gouvernait, puis on le
jeta daps un sombre souterrain où on le laissa mourir.

. (1) Ces deux passages relatifs à la monnaie ont été repreduifs par
Sauvaire, Journ. As., 1882, i, p. 296 et 120.

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^

– 417 –

On apprit à K’ayrawàn qu’El-Kâ’id H’ammâd* 1 ) étail
mort dans sa- forteresse. Ibn Cberef dit dans une kaçîda :

[Khafîf] Il n’y a que les troupes fortunées à qui ni muni-
tions ni nombre ne sont nécessaires.

En 442 (25 mai 1050) les K’ayrawâniens et lea Sous-
siens mirent fin à des brouilles qui avaient surgi entre
eux ; les premiers donnèrent aux seconds des festins où
on se lava les mains avec de l’eau de rose et où Ton
s’essuya avec des serviettes de fine toile rayée ( 2 ).

Aboû Temim désigna comme héritier présomptif son
fils AboûVrâhir. [P. 291] D’après Ibn Ctieref, le prédi-
cateur, dans le prône qu’il prononça le vendredi à la
grande mosquée de K’ayrawàn, invoqua la bénédiction
céleste sur El-Mo c izz ben Bàdis et sur son fils et héritier
présomptif AboiVt-Tàhir, puis ajouta : a grand Dieu,
mets ton serviteur et ami Aboû’t-T ahir Témîm ben El-
Mo f izz et-T’âhir hors de portée de l’infidélité de Ma c add
ben ez-Z’âhir », c’est-à-dire du souverain d’Egypte.

En redjeb (novembre-décembre 1050), le juriste ascète
et moraliste [wâHz”) Aboû c Abd Allah ben c Abd eç-Çamad
sortit de K’ayrawàn sous la garde de plusieurs hommes
qui se rendirent avec lui à Gabès, tandis que, la cara-
vane partant de K’ayrawàn pour l’Egypte, il avait ordre
de l’attendre à Gabès pour continuer avec elle. Mais le
gouverneur de cette dernière ville reçut une lettre aux
termes de laquelle il ne devait laisser pénétrer personne

(1) L’éditeur a fautivement supprimé le ben qui précède ce mot,
ainsi que le prouve 17/. des Berb. (n, 46), qiw place à l’année 446 la
mort de ce chef, tandis qu’ailleurs ou trouve 445 (Ibn el-Athir, p. 461 h

(2) En arabe cherb, mot dont le sens a été précisé par Karabacek,
ap. Fleischer, Kleinere Schriften, n, 573.

27

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.*FÇ**L

– 418 –

auprès de lui pour lui rendre visite ou le saluer, ni lui
permettre de quitter son logement avant le jour de son
départ de Gabès. Le juriste. partit donc peu rassuré,
et fut en effet tué en route. Il faisait des exhortations
morales qui attiraient le peuple autour de lui et qui
étaient écoutées (avec empressement), car il parlait bien
et était caustique ; aussi El-Mo c izz était-il sur ses gardes
vis-à-vis de lui. Or quelques fakirs da K’ayrawân étant
allés l’entendre recueillirent certaines paroles malson-
nantes à leurs oreilles et les dénoncèrent au prince, qui
ordonna en conséquence son exil et sa mort. Le père du
défunt était alors dans la grande mosquée de-Miçr à faire
des exhortations morales, et ce fut là qu’il apprit la mort
de son fils. Il se rendit en pèlerinage cette année-là, et
Ton dit qu’il criait en faisant la promenade circulaire
autour de la Ka c ba : « O Seigneur ! tu as El-Mo c izz à pu-
nir ; ô Seigneur ! punis Ibn Bàdis. « Cette invocation fut
la cause de la ruine du royaume de ce prince et de la
destruction de sa capitale K’ayrawân, car la déroute qui
le frappa se produisit le lendemain du jour où cette
prière fut adressée au ciel, et ce fut la l’origine de la
ruine de K’ayrawân. Personne ne douta que la prière
n’eût été exaucée.

En 443 (14 mai 1051), on revêtit à -K’ayrawân les vête-
ments noirs et Ton dit les prières au nom des A-bbasides.

En djomàda II (octobre-novembre 1051), dit Ibn Che-
ref, El-Mo f izz fit appeler des teinturiers et leur donna
des étoffes blanches provenant du fondouk des toiles
pour les teindre en noir, ce dont ils s’acquittèrent parfai-
tement ; [P. 292] des tailleurs les transformèrent ensuite
en vêtements, et tous les juristes et les kàdis appelés au
palais, ainsi que les prédicateurs de K’ayrawân et tous

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– 419 –

les muezzins s’en revêtirent. Tout ce monde alors descen –
dit, suivi par le sultan à cheval, et arriva à la grande
mosquée; le prédicateur monta en chaire et prononça
un prône où il fut fait des émirs un éloge aussi pompeux
de forme que sérieux de fond, puis la bénédiction divine
fut appelée sur la tête d’Aboû Dja e far c Abd Allah el-
K’âim bi-amr Allah TAbbaside, du sultan El-Mo c izz ben
Bâdis et enfin du fils et héritier présomptif de celui-ci ;
après quoi il prononça des injures et des malédictions
contre les Obevdites chiites.

Détails sur les Obeydites.

Voici comment parle Aboû r Abd Allah Moh’ammed
ben Sa c doûn ben c Ali< 1 ) dans son ouvrage où il présente
aux K’ayrawâniens ses condoléances à propos des épreu-
ves subies par eux à la suite des troubles et des vicissi-
tudes des temps : « Il y a, dit-il, un chapitre où je parle
des premiers fondateurs de cette fausse doctrine qu’ins-
tituèrent c Obeyd et ses enfants et des mobiles auxquels
ils obéirent; dans un autre, je parle de l’envoi qu’ils

(1) Cet auteur est traité de « dévot calomniateur » par de Goèjo
(Mémoires sur les Carmathes, Leide, 1886, p. 158). 11 est fort rare-
ment cité, mais j’ai retrouvé son nom dans un fragment manuscrit
intitulé <^_>bV^ cJ-^ d’un certain ‘Abd Allah ben Mohammed ; il y

étant

titre qu’on retrouve un peu délayé dans les expressions de l’auteur
du Bayân (f. 84 v° de mon ms, qui est daté de 828 H.). Aboù ‘Abd
Allah Mohammed ben Sa’doùn ben ‘Ali K’nrawi était un juriste habile
qui étudia à K’àyrawàn, à la Mekke et en Egypte ; il écrivit divers
ouvrages de droit, s’occupa de commerce, parcourut l’Espagne et le
Maghreb et s’y livra à l’enseignement; il mourut à Aghmàt en 486
(ms 851 d’Alger, f. 31 v° ; cf. IbnFarhoûn, ms 5032 de Paris, f. 116 v).

est appelé le fakîh lbn Sa’doûn Kayrawàni et désigné comme et
l’auteur du ^U^-dLH ^Jojoo J.a\ ^1* ^jj^ U-> <^U^ft Jjb\ ^ tîfi*o m**r\n i.ûtnrkii va un nnn Hôlairô rlana Iac ovm>nccînna Ae* Pont

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– 420 –

firent partout de leurs cavaliers et de leurs missionnai-
res à l’effet de prêcher leurs doctrines ; un autre est con-
sacré à l’origine d ,
duisirent au grand jour et publièrent cette doctrine fut
Aboû c Obeyd Djennâbi< 2 ) lors de la conquête qu’il fit du Bah’reyn : il dispensa ses adhérents de l’observation de toutes les règles divines, permit ouvertement la forni- cation, la sodomie, le mensonge et l’usage du vin, et cessa la récitation de la prière. Ainsi agit aussi Içba- hàni : il défendit aux pages (gholmân) de résister à ceux qui pourraient avoir envie d’eux, et établit comme règle la peine de mort infligée à celui qui ne se laisserait pas faire. Il y avait une nuit, appelée imâmienne, où ses pro- pres femmes et celles de ses adhérents étaient confon- dues, et le nom ^enfant des frères était donné à celui qui était conçu dans cette orgie. L’Obeydite d’Egypte El-H’âkim prétendit être Dieu et chargea un homme qu’il appela hâdi (directeur) d’in- viter le peuple à adopter cette croyance; un autre Obey- dite, Ma’add, se prétendit prophète et fit crier du haut du minaret de la grande mosquée de K’ayrawân : « Je (1) H’amdàn ben Àeh’ath, surnommé Karmat (Ibn el-Athir, vu, 311 ; Religion des Druzes, inlr., p. xx et clxix). (2) Il faut lire Àboii Sa’id el-Hasan ben Behram Djennàbi ; ce per- sonnage établit son autorité dans le Bahreyn’ en 285 (Ibn el-Athir, vu, 240 *, de Sacy, Religion des Druzes, intr f , p. xxi et ccxi, etc.). Digitized by Google -*-? ~ 422 – témoigne que Ma c add est l’Envoyé d’Allah. » Cela jeta le trouble chez les habitants, qui furent terrifiés, et il dut les faire tranquilliser par ses agents. Mais les mission- naires qu’on envoyait au dehors avaient ordre de faire montre d’islamisme et de bonnes œuvres jusqu’au mo- ment où ils étaient assez forts pour agir à leur guise. c Obeyd Allah, qui se fit appeler Mahdi, avait Sa c id comme nom véritable, mais il prit celui d’ c Obeyd Allah pour cacher, vu les recherches dont il était l’objet, ses relations^ avec El-H’oseyn ben Ah’med ben Moh’am- medW. Ce Moh’ammed [P. 294] avait un fils surnommé AboûVSela f la c ( 2 ) ben c Abd Allah ben Meymoûn K’ad- dàh’, qui envoya au Maghreb, en qualité de missionnai- res, deux frères, lesquels s’installèrent dans la tribu des Kotâma pour y prêcher leur doctrine. L’un, H’oseyn, avait pour prénom Aboû c Abd Allah Chi c i et on l’appela l’instituteur (mo c allim), et l’autre, Aboû’l- c Abbâs, fut surnommé le censeur (moh’tesib)( 3 ). Nous avons déjà parlé de l’un et de l’autre. Tous les deux, s’affublant d’un masque de piété et de réserve, arrivèrent, à l’aide du mensonge et de la tromperie, à conquérir les diverses (1) C’est là le nom d’Aboù ‘Abd Allah Chi’i (voir lbn el-Athir, p. 280, et la note 3 ; Druzes, intt*., p. 453), et j’ai interprété en consé- quence. Si cependant notre texte est correct, ce qu’il dit ensuite de Moh’ammed et de ses fils ne parait pas concorder avec ce qu’on trouve ailleurs au sujet de généalogies d’ailleurs confuses {Religion des DruseSy intr., pp. 252, 257 et 453 -, lbn el-Athir, L l. ; de Goeje, Mém. sur les Carmathes du Bahraïn> notamment p. 158).

(2) Ordinairement orthographié Aboù’ch-Chelaghlagh, ainsi que
l’a fait encore de Goeje, 1. 1. p. 20.

(3) D’après un autre dire, c’est Aboù ‘Abd Allah qui aurait été
appelé moh’iesib à raison des fonctions de lieutenant de police qu’il
aurait remplies à Baçra {Berbères, h, 509 ; Djouweyni, ap. Defrémery,
Ismaéliens de la Perse, p» 35).

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– 423 –

régions d’Ifrik’iyya. Aboû f Abd Allah se rendit à Sidjil-
massa, où il tira c Obeyd de la prison où celui-ci était
renfermé et lui remit alors l’exercice du pouvoir; il fut
peu de temps après tué par les fils de son frère (*).

A son arrivée à RakVâda, ce maudit c Obeyd Allah fit
enlever par ses agents à K’ayrawân Aboû Ish’àk Ibra-
him ben Moh’ammed, connu sous le nom d’Ibn el-Ber-
dhoûn, ainsi qu’Ibn Hodheyl. Quand ces deux hommes,
savants humblement soumis à Dieu, lui furent amenés,
il était assis sur son trône ayant à sa droite Aboû c Abd
Allah Chi e i, à qui il devait sa royauté, et à sa gauche
Aboû’l-‘Abbàs, frère du précédent. Les deux frères leur
dirent simultanément: « Rendez témoignage que celui
devant qui vous êtes est l’Envoyé d’Allah ! » Les deux
savants répondirent simultanément et dans les mêmes
termes : « J’en atteste Allah, qui est le Dieu unique,
quand cet homme viendrait à nous avec le soleil à sa
gauche et la lune à sa droite, et que ces deux astres
pussent parler et dire de lui qu’il est l’Envoyé d’Allah,
nous autres nous ne le dirions pas ! » *Obeyd Allah les fit
égorger et attacher aux queues des chevaux, puis couper
en morceaux dans la grande rue de’ K’ayrawân G).

Aboû c Abd Allah Chi c i dit un jour au savant Aboû
“Othmàn Sa c id ben el H’addàd : « Le Koran enseigne que
Mahomet n’est pas le sceau des prophètes ( 3 >, car des
mots « l’Envoyé d’Allah et le sceau des prophètes »
(Koran, xxxiit, 40), il résulte que « le sceau des prophè-

(1) 11 faut probablement lire : « peu de temps après il fut tué, ainsi
que son frère » (Ilm el-Athir, p. 305; suprà, p. 227).

(2) A la page 212 on trouve une autre version de la mort de ces
savants.

13) C’est-à-dire le dernier des prophètes, celui qui en clôt la série.

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– 424 –

tes » est différent de « l’Envoyé d’Allah. » Aboû c Othmàn
répondit : « Cet et n’indique pas une proposition nou-
velle, mais est simplement conjonctif, comme dans cet
autre passage (Koran, lui, 3) : « [P. 295] Il est le premier
et le dernier, le manifeste et le caché. » Il lui dit une
autre fois : « Dieu enseigne que les Compagnons de Ma-
homet apostasieront, (car il est dit) « Est-ce que, s’il
meurt ou qu’il soit tué, vous retournerez sur vos pas ? »
(Koran, m, 138). — C’est là une phrase d’interrogation
dubitative, lui répondit Aboû Othmân, comme ailleurs
(Koran, xxi, 35) : « Et si tu meurs, sont-ils donc éter-
nels? ».

Devenu maitre du pouvoir, c Obeyd Allah fit égorger
le missionnaire Aboû c Abd Allah et son frère, de sorte
que Dieu tira d’eux vengeance par la main même de
celui pour qui ils avaient travaillé et commis des mas-
sacres, de celui qu’ils avaient réussi à tirer de prison et
à placer sur un trône. Ils ne restèrent avec lui qu’un an
ou environ après la réussite de leurs efforts. Dieu per-
mit ensuite à c Obeyd Allah de faire sentir sa force aux
chefs Kotâma dont les services l’avaient mis en mesure
d’arriver au souverain pouvoir, et il les mit tous à mort.

Ses descendants continuèrent de régner pendant envi-
ron trois siècles depuis la péninsule de Ceuta jusqu’à la
noble ville de la Mekke, car ses gouverneurs arrivaient
jusqu’à la pointe de Ceuta, de manière à apercevoir
[seulement] cette ville, puis ils repartaient. C’est là une
preuve de la faiblesse du monde et de son peu de valeur
aux yeux de Dieu, puisqu’il a permis à ces impies per-
vers d’infliger de terribles châtiments aux amis de Dieu;
mais le grand rendez-vous sera la résurrection et Dieu
sera le juge !

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-jT»;

– 425 –

Sous le règne d’ c Obeyd Allah, un cheykh avec ses che-
vaux se mit en voyage et il s’installa, pour passer la nuit,
dans une mosquée avec ses bêtes: « Comment, dit-on
aux voyageurs, pouvez-vous mettre vos chevaux dans la
mosquée ? — Leurs excréments et leur urine sont purs,
dirent-ils, puisque ce sont les chevaux du Mahdi. — Ce
qui sort [du corps] du Mahdi, repartit le gardien du
temple, n’est pas pur ; comment ce qui sort de ses che-
vaux le serait-il ? » Alors, l’accusant d’avoir médit du
Mahdi, ils s’emparèrent de lui et le. menèrent au prince
qui l’envoya exécuter au dehors, un soir (veille de) ven-
dredi; mais cet homme, près de mourir, lança une
malédiction que Dieu exauça, car il frappa son meur-
trier d’une vilaine maladie, dite des vers cucurbitains
(tœnia): des vers semblables à des grains de courge,
pénétrant dans son corps par l’anus, lui dévoraient les
intestins et les parties avoisinantes. On lui apportait de
grosses queues de mouton qu’il s’introduisait dans l’anus
[P. 296] pour donner aux vers de quoi manger, et ainsi
se procurer à lui-même un peu de soulagement ; quand
on enlevait une queue, elle était entièrement dépouillée
et on la remplaçait par une autre ; mais les vers, conti-
nuant leur travail destructeur, finirent par lui dévorer
les parties génitales, et il mourut. On apporta son cada-
vre à Ibn Ahyad(?)Ghassâni, excellent lecteur du Koran,
pour qu’il récitât le saint Livre, tandis que les fils
d’ c Obeyd rangés autour du cadavre pleuraient. 11 a
raconté lui-même ceci : « El-BaghdàdK 1 ) m’ayant dit de
commencer ma récitation, je cherchai ce que j’allais

(1) Deux fonctionnaires désignés par cet ethnique ont été men-
tionnés pp. 220 et 225.

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— 426 –

dire, et il ne me revint à la mémoire que les mots « //
viendra avec son peuple au jour de la résurrection
et il le fera descendre dans le feu, etc. » ( Koran, xi, 100).
Je cherchais vainement autre chose, de sorte que je
répétai ces mots plusieurs fois ; mais alors la peur me
prit que, cessant leurs pleurs, ils ne remarquassent ce
que je disais et ne m’envoyassent à la mort, et je m’es-
quivai. » On raconte encore que la Pierre noire fut en-
voyée à c Obeyd, à Mehdiyya, par le maudit Djennâbi et
qu’au bout de peu de jours le prince mourut dans les
conditions que nous avons dites. Quand son cadavre fut
inhumé, la terre le rejeta ; on le replaça, mais il fut ainsi
rejeté par trois fois. On dit à son fils AboiVl-K’àsim que
la cause en était la dite Pierre, et on lui conseilla de la
renvoyer où elle était. Il le fit, et le cadavre d ,

– 429 –

nom était H’amzaW, d’appeler la population à l’adorer,
lui Hâkim. En 410 (8 mai 1019), H’amza rédigea la lettre
[bien connue] qui fut lue au peuple, en présence d’El-
H’âkim, et où il était dit — combien la gloire divine est
au-dessus des efforts de ses détracteurs I — : « Louanges
à notre seigneur El-rTàkim seul ! En ton nom, ô Dieu
El-H’âkim qui établis le droit ! » Continuant sur ce ton, il
disait: «Je me repose en mon Dieu le Prince des croyants,
dont le nom soit exalté ! et c’est à lui que nous deman-
dons secours en toutes choses. » Il poursuivait cette
confusion dans le reste de la lettre, voyant en lui tantôt
le Prince des croyants et tantôt la Divinité elle-même.
On y trouvait également ceci : « Il m’a commandé d’abo-
lir ce qui, dans les anciennes religions et dans les codes
religieux effacés, ne doit plus être cru par vous », et d’au-
tres choses trop longues à dire* 2 ). Il avait lait dresser
au-dessus du palais un étendard rouge auprès duquel se
rassembla une foule qui a été évaluée à quinze mille
hommes; alors un Turc tua H’amza, et El-H’àkim fei-
gnit que ce meurtre de son secrétaire avait eu lieu par
son ordre W. Il allait très souvent la nuit monté sur un
àne au Djebel Mok’at’t’arn, et c’est dans une de ces pro-
menades qu’il fut tué lui et son âneW.
Après lui régna c Ali, surnommé Ez-Z’âhir, qui était

(1) H’amza ben ‘Ali ben Ahmed, véritable fondateur du système
religieux des Druzes, est ailleurs appelé Hâdi, directeur {Druzes,
intr , p. 387 et 432; ci-dessus, p. 421) ; le texte doit probablement être
ici corrigé. On peut voir aussi le récit de Djemàl ed-Din ap. Wusten-
feld, 205.

(2) Cette lettre ne parait pas être comprise dans les pièces druzes
analysées par de Sacy (Druzes, intr., 466 et s.).

(3) Je n’ai pu retrouver nulle part de mention de cette affaire.

(4) Le récit des circonstances où il périt est donné tout au long
dans les Druzes, 406 et s.

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– 430 —_

entièrement adonné à la boisson. Il portait des vête-
ments féminins, et les hommes, quand ils le voyaient
marcher dans un groupe de femmes, le prenaient pour
Tune d’elles. Frappé d’hydropisie, il devint comme un
véritable ballot et mourut W.

Son successeur Ma’add, surnommé El-Mostançir, tan-
tôt ordonnait et tantôt défendait d’injurier [les Campa-
gnons du Prophète], Rattachant dans ce dernier cas à
tranquilliser le peuple. Quand il marchait avec ses
troupes, il se faisait précéder de joueurs de flûte et
d’hommes qui récitaient des vers. On raconte qu’il
envoya un émissaire écrire sur les voiles de la Ka c ba,
par une nuit obscure, des injures à l’adresse des Com-
pagnons ; l’émoi fut grand le lendemain matin quand les
fidèles les découvrirent, et cela leur fit verser d’abon-
dantes larmes. Ce fut, dit Ibn Sa c doùn, leur principe
fondamental d’afficher des idées religieuses et de [faire]
le bien jusqu’au jour où ils devenaient les plus forts. »
C’est ici que j’arrête les faits que j’ai extraits [P. 299]
de l’ouvrage d’Ibn Sa c doûn.

D’après Ibn el-Kat’t’ân, les Obeydiles sont un groupe
râfid’ite et font remonter leur origine à c Ali ; mais la
plupart de leurs croyances sont impies.

A El-Mostançir ben ez-Z’ûhir succéda [en 487] son fils
El-Mosta f li, dont l’administration, mais non la religion,
fut moins ambiguë que celle de ses prédécesseurs.

Après sa mort et quand [postérieurement] son vizir El-
Afd’al eut été mis à mort( 2 ), toute l’autorité fut exercée

(1) Il mourut de la peste en 427, d’après Wustenfeld, p. 226.

(2) C’est El-Amir qui fit massacrer, à la fin de ramadan 515, le vizir
El-Afd’al ben Bedr el-Djemàli, émir el-djoyoûch (Ibn el-Athîr, x,416;

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-.^v .

– 431 –

par son fils El-Amir bi-h’okm Allah 0), qui était entêté,
tyrannique, injuste et violent. On vit souvent alors les
prétentions injustifiées l’emporter, l’oppresseur soutenu
contre l’opprimé et recevant de l’aide dans ses méfaits.
Le prince avait pris pour satisfaire à ses honteuses
passions deux jeunes gens du plus joli visage, et à cha-
cun desquels il donnait quotidiennement mille dinars.
Il organisait des fêtes au cours desquelles on pouvait
faire toutes les choses interdites, et un bon croyant
devait bon gré mal gré voir de ses yeux transformer
Tillicite en licite.

Après lui régna c Abd el-Medjid, surnommé El-H’âtiz’
li-dm Allah ben el-Mostançir, à qui il fut prêté serment
le jour du meurtre d’El-Amir [en 524], et dont le nom fut
prononcé au prône. Son vizir fut Aboû c Ali Ah’med ben
El-Afd’al [ben Bedr el-Djemâli] émir el-djoyoûch\ mais
Aboû c Ali exerça ensuite le pouvoir par lui-même.
Dans la période qui s’écoula de 526 à 532 (fin 1131 à 1137),
il fut commis d’infâmes trahisons et des faits honteux,
par exemple, le meurtre d’El-Amir, les troubles occa-
sionnés par son meurtrier H’irz el-Moloûk( 2 ), le meuftre
de celui-ci, l’exercice du pouvoir par Ibn el-Afd’al et sa

Wustenfeld, p. 289 ; Defrémery, Rech. sur les Ismaéliens, dans le
J. As., 1854, i, 403).

(1) On dit ordinairement El-Amir hi-ahkâm Allah.

(2) Au lieu de jjr^JltJlj -a» lecture qu’on retrouve encore plus
loin, on lit dans Makrizi (Khitat, éd. de Boulak, i, 357 ; n, 17 et 291)
^)UJ\ AjJb ou ii^UJVj^ib qui est le nom d’un des deux mam-
louks qui portèrent * Abd el-Medjid au trône après le meurtre d’El-
Amir par des Nizâriyya, meurtre qui est du 4 (ou du 14) dhoûM-
kada 524 (ib. n. 182 et 291; lbn el-Athir, x, 467; Defrémery, Mëm.
d’hist. or. y p. 240, et Nouvelles recherches sur les Tsm., p. 43 ; Wus-
tenfeld, Fatim., 298).

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-*. \?&*%iï

– 432 –

miseit mort, la reprise de l’autorité par c Abd el-Medjid,
les difficultés qu’il eut avec Yànis et comment il se
débarrassa de lui en allant le voir pendant sa maladie (*>,
l’exercice du pouvoir par H’asanŒ ben’Abd el Medjid,
la révolte qui éclata contre ce dernier et son suicide
par le poison, enfin, le retour d’ c Abd el-Medjid au
pouvoir.

Reprenons maintenant la suite de notre récit. En 443
(14 mai 1Ô51J, la nouvelle arriva que Moh’ammed ben
Dja’far KoûmK 3 ) était nommé [P. 300] kâdi en Egypte et
avait reçu les surnoms honorifiques de grand kâdi et
de grand missionnaire : « Dieu nous préserve, dit Ibn
Cheref, du châtiment final, car ainsi le kâdi du peuple
[orthodoxe] était l’un d’eux et suivait leur foi », c’est-à-
dire celle des Chi c ites.

On reçut à K’ayrawân une lettre par laquelle l’émir de
Barka, Djebbâra ben Mokhlâr f Arabi, annonçait sa sou-
mission à El-Mo c izz ben Bâdis; il ajoutait que lui et les
habitants de celle ville avaient livré aux flammes les

(1) Le texte me parait corrompu et je ne peux, en dehors de la
correction ï>^*4 le reconstituer. Ma traduction des brèves allusions
de notre texte repose sur le récit de Makrizi (Khitat, n, 16 et 17) :
Yànis, devenu vizir du khalife, eut dos diflicultés avec le prince,
qui lui fit administrer par son médecin un poison dont les effets se
portaient sur les intestins, puis sur le conseil de ce médecin il rendit
visite à son ministre, qui se leva pour le recevoir, et par ce mouve-
ment ainsi que par son attitude debout provoqua la chute de ses
intestins.

(2) Le texte porte « Hoseyn », que j’ai corrigé d’après lbn el-Athir
et Makrizi. Ce prince ne se suicida pas, mais fut empoisonné, ainsi
que le racontent ces auteurs. Voir d’ailleurs Wûstenfeld, p. 306.

(3) Dans la liste que donne Soyouti (ap. Wûstenfeld, 252) des vizirs
et des grands kàdis de cette époque, en Egypte, on ne trouve un ■
Moh’ammed ben Dja’far Maghribi, le même sans doute que notre
personnage, que parmi les vizirs.

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– 433 –

chaires d’où Ton avait prié pour les Obeydites ainsi que
leurs drapeaux, qu’ils s’étaient soustraits à leur autorité
en les faisant maudire du haut de la chaire et faisant la
prière au nom de TAbbaside El-K’à’im bi-amr Allah.
C’est alors que commencèrent les troubles d’Ifrik’iyya.

Grands troubles qui aboutissent à la ruine de K’ayrawân.

Quand, dit Ibn Cheref (*), on en vint à maudire publique-
ment les Obeydites du haut de la chaire et qu’El-Mo c izz
ben Bâdis eut donné Tordre de massacrer leurs adhé-
rents, les Obeydites permirent aux Arabes de franchir le
Nil [et de passer en Ifrik’iyya], ce qui leur avait été
interdit jusque-là d’une manière absolue. On donna un
dinar à chacun de ceux qui le passaient, et quantité le
firent sans y être nullement contraints, car le. prince
savait que toute recommandation était inutile. Les Ara-
bes passaient par troupes entières et ‘allèrent. s’établir
dans la région de Barka. Cette, situation durait depuis
quelque temps quand Mounis ben Yah’ya Riyâh’i alla
trouver El-Mo c izz, qui était dégoûté de ses frères les
Çanhâdja, et qui, poussé par une haine secrète, voulait
leur substituer d’autres guerriers, bien qu’il n’en eût
rien laissé transparaître^). Il vit avec plaisir l’installa-
tion auprès de lui de Mounis, personnage d’importance
chez les siens, brave et intelligent, et le consulta sur le

(1) Cet auteur, déjà cité, ne peut être que l’Aboù ‘Abd Allah ben
Cheref (Mohammed ben Aboû Sa’id ben Ahmed Djodhàmi) des mss
2327 de Paris, f° 43 v°, et 3331, f° 34.

(2) Sur l’invasion de l’Afrique par les Arabes, voir 17/. des Berbè-
res, i, 30; n, 21 ; Ibn el-Athir, p. 456; Tidjàni, Journ. As., 1852, H, 88,
etc. Les faits ne sont pas exposés partout de la même manière.

2*

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– m –

projet de composer son djond des Riyâhides ses cousins.
Mais Mounis le lui déconseilla, lui représentant combien
ils étaient peu unis entre eux et indisciplinés. Néan-
moins El -Mo’izz insista et finit par lui dire: « Tu veux
rester seul par jalousie contre ta tribu. » Mounis alors
se décida à aller trouver ses contribules, non sans avoir
renouvelé ses avertissements et pris à témoin plusieurs
conseillers du prince. Quand il les eut rejoints, il leur
fit savoir par proclamation [P. 301] qu’ils eussent à se
réunir autour de lui; ses promesses excitèrent leurs
convoitises, et il leur dépeignit d’ailleurs la grandeur
d’âme du prince et les bienfaits qui les attendaient, puis
il partit à. la tête d’une petite troupe qui ne connaissait
aucune des jouissances de la vie et n’avait jamais vu de
centre habité. A la première bourgade que ces gens ren-
contrèrent, ils se crièrent les uns aux autres que c’était
là K’ayrawân, et ils la livrèrent aussitôt au pillage.

Cette affaire connue à K’ayrawân fit une vive impres-
sion sur El-Mo c izz, qui dit que c’était un coup monté par
Mounis pour prouver la vérité de ses dires et montrer
que ses avertissements étaient fondés, et qui en consé-
quence fit arrêter ses femmes et ses enfants et apposer
les scellés sur sa demeure en attendant de savoir exacte-
ment son rôle en cette affaire. La connaissance du trai-
tement infligé à ses femmes et à ses enfants fut une très
pénible épreuve pour Mounis, qui s’écria : « C’est moi
qui ai donné le premier avertissement et sur qui ensuite
l’on retombe, que l’on rend responsable de la faute ! »
Il se montra dès lors le plus acharné de tous à faire du
mal, et c’était lui d’ailleurs qui connaissait le mieux les
points faibles de K’ayrawân. Le sultan leur envoya alors
des juristes porteurs de lettres où il leur adressait des

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– 435 —

recommandations et leur proposait des conditions, en
les informant en outre qu’il avait fait renvoyer les fem-
mes de Mounis; il fut conclu des conventions et dressé
des actes authentiques relatant leur soumission. Les
Arabes en conséquence envoyèrent (à K’ayrawân) cer-
tains de leurs cheykhs ; mais ensuite ils violèrent leurs
conventions avec le sultan et semèrent la dévastation
partout.

Faite d’El-Mo’izz ben Bâdis devant les Arabe».

Ce fut lors de la Fête des victimes de cette année (U
qu’eut lieu le terrible événement et l’affaire irréparable.
Le sultan, célébrant la fête le lundi, partit le matin du
dit jour pour une bourgade connue sous le nom de Benoû
Hilàl. Comme au milieu du jour il apprit que la bande
des Arabes s’approchait au complet, il donna l’ordre de
camper dans une région difficile et coupée de ruisseaux ;
ce mouvement n’était pas terminé que tous les Arabes
fondirent sur eux comme un seul homme. Bien que son
armée se débandât, El-Mo c izz résista jusqu’à ce que les
lances des Arabes fussent près de le frapper, et quantité
d’esclaves de sa garde noire sacrifièrent leur vie pour
lui; quant aux Benoû Mennâd, aux Çanhâdja et aux
autres Berbères, [Pi 302] tous s’enfuirent. Les Arabes
mirent leurs tentes au pillage et occupèrent le camp d’Kl-
Mo c izz, où ils trouvèrent en or, argent, marchandises,

*, (1) C’est-à-dire de l’année 444, ainsi que le dit TidjAni en termes
exprès, autrement dit le 1 er avril 1053. La date du 24 avril 1051 (trad.
d’ibn el-Athîr, p. 459) est une erreur de concordance provenant
de ce que ce chroniqueur parle de la bataille de Hayderàn sous
l’année 44^.

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-vrçqtj&rf

– m –

meubles, chaussures et affaires de toute sorte des quan-
tités dont Dieu seul sait l’importance : il y avait plus de
dix mille tentes et objets analogues, environ quinze mille
chameaux et plus de mulets qu’on ne saurait dire, si
bien qu’il ne resta à chacun des hommes du djond rien,
ou à peu près, qui eût quelque valeur. La plupart arri-
vèrent -à la montagne de H’ayderànf 1 ), et s’y dispersèrent
tout d’abord pour ensuite se chercher les uns les autres.
Les K’ayrawâniens, qui ne savaient rien, attendaient
tout parés quand, le surlendemain de la fête, arrivèrent
avec Ibn el-Bawwâb deux cavaliers accablés de tris-
tesse, la tête perdue et dans un état qui rendait toute
question inutile. On s’enquit du sultan, que Ton apprit
être sain et sauf et qu’on vit presque aussitôt arriver à
son palais avec son fils; après lui arrivèrent ses soldats,
isolés ou par groupes, mais beaucoup ne le rejoignirent
pas ; on sut ce qu’étaient devenus les uns, on n’eut pas
de nouvelles des autres, mais on apprit que les Arabes
avaient fait de nombreux prisonniers, Çanhàdja et
autres. Selon Ibn Cheref, il y eut quatre-vingt mille
cavaliers mis en déroute et un nombre proportionné de
fantassins. Les Arabes avaient trois mille cavaliers et
la quantité correspondante de fantassins. e Ali ben Rizk’,
dans une kaçîda commençant par :

” [T’awil] L’image d’Omeyma est venue me visiter au milieu
de la nuit, alors que les pieds des montures avançaient d’un
pas rapide, — ,

dit à ce propos :

(1) Ce nom, que je retrouve pas sur la carte, est aussi écrit Djen-
derân et Djendar ; voir Ibn el-Athir, p. 458, où les péripéties de la
lutte sont autrement exposées.

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– 437 –

Si quatre-vingt mille d’entre vous ont fui devant trois
mille, pareil fait doit servir de châtiment exemplaire 0).

Les Arabes arrivèrent alors dans les environs de
K’ayrawàn, et le premier d’entre eux qui se présentait
devant une bourgade se nommait et accordait une sauve-
garde en livrant son bonnet ou quelque morceau d’étoffe
sur lequel il traçait [P. 303] un signe attestant à ceux qui
le suivraient qu’ils avaient été devancés. Pendant deux
nuits, les K’ayrawâniens restèrent livrés à une crainte
dont Dieu seul connaît l’intensité, dans l’ignorance où
ils étaient du sort qui menaçait leur ville ; pendant deux
jours, aucun d’eux n’osa entrer ni sortir, tandis que les
chevaux arabes vaguaient en liberté dans les environs
immédiats de K’ayrawàn, sous les yeux mômes des
habitants.

Le septième jour de la Fête des victimes, Te sultan
sortit de la ville avec ses troupes du djond et la masse
des habitants, sans toutefois les mener au-delà du Mo-
çalla ; mais alors les Arabes, revenant sur les lettres de
sauvegarde qu’ils avaient données aux habitants des cam-
pagnes, se mirent à les piller, et comme ceux-ci se réfu-
gièrent à K’ayrawàn, le sultan fit livrer au pillage tous
les champs entourant K’ayrawàn et Cabra, autrement
nommée Mançoûriyya, chose dont les musulmans se
réjouirent fort et où ils virent une aubaine. Cette der-
nière ville finit selon ce que Dieu avait arrêté à raison
de sa corruption et [lacune]. ,

(1) Ces vers se retrouveut ailleurs et présentent des variante^ ;
notamment on lit trente mille au lieu de quatre-vingt mille {Berbè-
res, i, 35; Ibn el-Athir, p. 459 ; Tidjàni, J. As., 1852, n, 94). On les
attribue aussi à ‘Abd el-‘Aziz ben Cheddâd.

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– 438 –

Le 17 dhoù’l-hiddja (9 avril 1053;, les cavaliers arabes
se montrèrent à trois milles de K’ayrawân. Le sultan
alors parcourut la ville à pied, exhortant la population
à faire bonne garde et à élever les constructions néces-
saires, en quoi il fut obéi. Il fit amener à K’ayrawân la
masse du peuple et les boutiquiers de Cabra, dont on
dut évacuer les boutiques, tandisque tous lesÇanhâdjites
et autres militaires de K’ayrawân durent se rendre à
Cabra et s’installer dans ces locaux. Cette mesure pro-
voqua dans la ville un grand émoi et un très vif souci :
en effet, les esclaves noirs et les Çanhâdja enlevèrent et
arrachèrent les boiseries des boutiques et des galeries,
et dans l’espace d’une heure ce centre important fut en
ruines.

La population, qui était en proie à de vives alarmes,
vit le lendemain paraître les cavaliers arabes. Un ordre
du sultan défendit aux troupes de se montrer sur les
fortifications de Cabra. Je tiens, raconte IbnCheref, d’un
témoin digne de foi, qui s’enfuit de K’ayrawân en ne
marchant que de nuit et en se cachant dans le jour, que
tous les villages sans exception par où il passa étaient
détruits et incendiés; leurs habitants, hommes, femmes
et, enfants, étalaient leur nudité devant les murailles,
pleurant [P. 304] tous de faim et de froid. Les provisions
cessant d’arriver à K’ayrawân, les marchés ne furent
plus approvisionnés. Les Arabes, d’ailleurs, retenaient
tous ceux qu’ils faisaient prisonniers et ne les relâchaient
que contre rançon, tout comme pour les captifs chré-
tiens; quant aux pauvres et aux misérables, ils les em-
ployaient pour le service.

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– 439 –

Affaire du Bâb Toûuis, Tune des portes de K’ayrawân.

Les Arabes ayant fait une attaque de ce côté, la foule
sortit pour les combattre, qui avec des armes, qui avec
un bâton insuffisant à chasser le plus petit chien. Aussi
la charge que firent les cavaliers arabes resta-t-elle à
leur avantage, car leurs sabres et leurs lances eurent le
dessus : les Kayrawâniens tombèrent dans tous les sens
et furent repoussés du bout dçs fours à briques jusqu’à
cette porte, et ceux-là seuls échappèrent dont ‘l’heure
n’était pas venue. Ni morts ni vivants ne conservèrent
d’ailleurs une loque suffisante pour couvrir leur nudité.
Quand les Arabes se furent retirés, les morts furent
enlevés par les soins de leurs parents, et alors les
louangeuses et pleureuses firent entendre dans toutes
les rues de la ville des cris, étalèrent un spectacle de
nature à fendre le cœur d’une montagne. Les cadavres
des étrangers restèrent sur place, et le nombre des
blessés fut considérable: ces blessures étaient assez
hideuses pour produire une profonde horreur, ‘pour
émietter le foie, faire fondre le cœur et le corps. On
vit des fillettes au visage pâle et à la tête rasée se pen-
cher sur les corps de leurs pères et de leurs frères, lors
de ce jour de désastre, de cruautés et d'[horreurs] ; on
n’avait à aucune époque ni dans aucun pays vu pareille
chose I’ On passa toute la nuit dans l’inquiétude et la
désolation. C’est ici que s’arrête le récit résumé d’après
Ibn Cheref.

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– 440 –

Nouvelle défaite des Çanhâdja dans la montagne de H’ayderan ;
faite d’El-Mo’izz ben Bâdis.

El-Mo c izz, dit Aboû’ç-Çalt, marcha contre les Arabes
arrivant d’Orient et divisa ses troupes, dont il confia
Tune partie) à Ibn Selboûn [lacune],

[P. 305 ; redjez] Pour ce pouvoir d’un exercice difficile, ce
fut un enfant de sept ans qu’il suscita et investit de ce soin.

Il (El-Mo c izz) était brun, beau de visage, avait la voix
forte, était de bonnes mœurs et perspicace en affaires. Il
livra les Chi c ites à la mort et fit disparaître leur secte en
Ifrik’iyya, fit maudire leurs princes dans les chaires de
cette province tout entière, rendit à chacun des Com-
pagnons les hommages auxquels il a droit et rétablit.la
loi traditionnelle abandonnée depuis cent quarante ans.

Débuts de la dynastie Çanhâdjite.

Quand, à la suite de la conquête de l’Egypte par les
Obeydites, Ma c add ben Ismâ41 voulut partir d’Ifrîkiyya
pour se rendre dans ce pays, il appela Ziri benMennâd,
qui avait dix fils, dont le plus jeune était Bologgin :
« Fais venir, lui dit-il, tes enfants, car tu sais à quoi je
pense pour eux et pour toi. » Ziri les appela donc, moins
le cadet, alors que le destin ne voulait que celui-ci. Or
Ma f add, qui avait de la science des prédictions une
connaissance lui permettant de voir ce qui l’attendait et
de distinguer les hommes de mérite d’entre ses princi-
paux compagnons, savait quel indice marquait le lieute-
nant qu’il avait, lui-même devant régner en Egypte, à

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– 441 –

laisser en Ifrik’iyya et au Maghreb. Ne trouvant cet indice
sur la face d’aucun des enfants de Zirî : « N’as-tu, dit-il
à celui-ci, astucieusement caché aucun de tes fils? —
11 me reste un tout jeune garçon. — Je n’ai pas de cesse
que je ne Taie vu, car je ne veux d’autre que lui! » En le
voyant, il reconnut qu’il était prédestiné; “il confia aussi-
tôt sa lieutenance au jeune homme qui, sur le champ,
fut chargé de l’administration, qui inspira une crainte*
refoulant les passions dans les cœurs, qui fit de lointai-
nes expéditions et acquit un grand renom. Il poussa ses
campagnes jusqu’à Ceuta, ce dont le récit serait trop
long. Quand il eut répondu à l’ange de la mort, l’Ifrî-
k’iyya passa à ses fils et arriva ainsi à El-Mo’izz ben
Bâdîs, la gloire de sa” famille et le dernier de ces princes
célèbres”. Signalons la concordance curieuse entre les
nom et prénom d’EI-Mo c izz Aboû Temim Ma’add ben
Ismà’il l’Obeydite, l’homme aux prédictions, et El-
Mo e izz Aboû Temim le Çanhâdjite.

” Ce dernier marqua ses débuts et confirma, du moins
il le croyait, son pouvoir par le massacre des Râfid’ites
et l’envoi au Prince des croyants, alors régnant à Bagh-
dàd, d’un message lui portant sa foi, [P. 306] en retour
de quoi il reçut un vêtement d’honneur et un titre hono-
rifique, d’après un plan qui tout d’abord le séduisit et lui
fit oublier ce qu’en seraient manifestement les suites. Ce
qu’ayant appris, le prince Obeydite, dont le ministre
était alors Djerdjerâ’i, lui en fit subir les conséquences
et décocha contre lui les traits de sa désapprobation.
Aux tribus issues d’ c Ainir ben Ça f ça c , les Zoghba, les
f Adi, les Athbedj, les Riyâh et autres, établies dans le
Ça c id, qui n’étaient pas autorisées à se déplacer ni à
franchir le Nil, Djerdjerâ’i permit de réaliser sur EU

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>:r*m

– 442 —

MoMzz des convoitises qui depuis longtemps les tourmen-
taient et fixaient leurs regards. Il le couvrit ainsi d’un
flot semblable à celui d’Irem et lança contre lui l’avilisse-
ment de l’infortune. El-Mo c izz en prit d’abord une partie
à son service et les accabla de ses bienfaits. Cela leur
permit de se frotter de près aux diverses provinces, de
s’insinuer auprès de ses guerriers, de bien examiner les
points faibles, et alors, sa situation leur étant claire et
son impuissance certaine, ils ouvrirent les hostilités et
livrèrent les combats dont il a été fait un récit abrégé,
qui le menèrent à sa perte et au cours desquels il fut
assiégé. Cependant il leur faisait des largesses et les
adjurait en invoquant la crainte de Dieu; il convint de
mariages et donna plusieurs de ses filles à divers chefs,
qui devinrent ainsi ses gendres et se constituèrent ses
aides (*). Quand son âme rongée par les soucis eut défi-
nitivement perdu tout espoir, il rassembla ceux qui
dépendaient de lui, chargea sur des montures sa famille
et ses meubles, et laissant le pouvoir à ceux qui l’avaient
défendu et soutenu, il partit protégé par ses gendres
contre des embûches possibles, et arriva ainsi à Meh-
diyya, où il habita plus humble que le Soleil dans le
signe de la Balance, plus méprisé que le pauvre assis
sur son derrière. Nul de son temps n’avait été plus brave
dans les combats, n’avait eu la main plus ouverte dans
les bienfaits, n’avait mieux possédé la langue arabe,
n’avait plus étudié les belles-lettres”.
On cite cet acte de libéralité par lequel il donna d’un

(1) A propos de ces mariages, cf. ce que dit Ibn Khaldoûn {Berbè-
res, i, 34 et 36 ; h, 21) ; voir aussi Tidjàni (l. I, 90; ./. À**., 1853, i, 371).
— Je lis Aa*\ au lieu de Oa»\ du texte.

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1-^1

— 443 –

coup à El-Montaçir ben KhazroûnW cent mille dinars,
en outre d’une belle monture et d’un magnifique costume.
Il avait l’intelligence vive, de la présence d’esprit, une
pénétrante connaissance des divers modes musicaux et
savait manier la prose et le vers. Il fut loué par nombre
de poètes, [P. 307] à qui il ne ménagea pas les bienfaits:
tels furent c Ali ben Yoûsof Toûnesi ( 2 ), Ya c la ben Ibrahim
ArkochiO), Aboû c Ali ben RechikW, K’orachi, Ibn Cheref
et d’autres dont rénumération serait trop longue, sur-
tout si je citais de leur prose ou de leurs vers. Aboû’l-
H’asan Khawlâni, connu sous le nom cTEl-H’addâcK 5 ),
dit : a J’ai réuni une grande partie de son histoire et de
ses combats, aussi bien que la description de sa sortie
de K’ayrawân et de l’abandon qu’il fît aux Arabes de la
plus grande partie de son royaume, dans une kaçîda qui
débute ainsi :

[T’awîl] La troupe était partie quand (ma monture ?) elle-
même entreprit en chancelant son voyage nocturne, alors
que les astres brillants avaient commencé à diminuer d’éclat.

On y lit:

Si ma constance, trompant la confiance que j’avais en elle,

(1) Le bénéficiaire de cette libéralité est appelé El-Mostatiçir Zenàti
par Ibn el-Athir (trad., p. 469), tandis qulbn Khaldoûn parle d’El-
Montaçir ben Khazroûn, qui fut assassiné entre 460 et 470 {Berb., m,
268).

(2) Un article lui est consacré par Ibn FadM Allah (ras 2327 de
Paris, f. 46 v°).

(3) C’est-à-dire originaire d’Arcos de la Frontera, eu Espagne
(Edrisi, p. 208). Mais il est appelé ailleurs el-Orbousi, originaire de
Laribùs (ms 2327 de Paris, f . 78).

(4) Aboù ‘Ali el-H’asan ben Rechik K’ayrawàni (Ibu Khallikan, i,
384 ; m, 387 ; Ibn el-Athir, tiad., p. 469).

(5) D’après Tidjàni, AboCH-Hasan ben Mohammed el-Haddad ;
voir infrà.

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– 444 –

m’a trahi, ce sont les tribus, ce sont ses partisans qui ont
trahi notre Maître. S’il avait voulu rassembler les troupes
des djond, barbares et Arabes auraient quitté leurs pays pour
se joindre à lui ; mais il a fermé les yeux, car il savait ce
que renferment à ce sujet les recueils de prédictions et les
livres.

Il ne resta à Mehdiyya qu’environ deux ans avant que
son règne et sa vie prissent fin ; il mourut le samedi
25 cha c bân 454 (2 septembre 1062) d’après Aboù’ç-Çalt.
Comme il a été dit plus haut, Ibn Cheref le fait mourir
en 455(D.

Il eut pour fils Temîm, Nizàr, c Abd Allah, c Ali, H’am-
mâd, Bologgîn, H’ammâma et El-Mançoûr.

Quelques détails sur le règne de l’émir Temlm ben el-Mô’izz (2).

«

Né à Mançoûriyya en redjeb 422, il avait deux ans
quand son père l’exhiba au peuple, monté sur un cheval
et suivi des troupes, pour le promener dans les deux
villes de K’ayrawân et de Mançoûriyya. Il avait vingt-
trois ans quand, en 445 (22 avril 1053), il arriva au gou-
vernement de Mehdiyya, qu’il conserva jusqu’à l’arrivée
de son père chassé de Mançoûriyya. A l’approche de ce
dernier, il marcha à sa rencontre avec les siens, mit pied
à terre en l’apercevant, baisa le sol devant lui et le pré-
céda à pied, en un mot, démentant par toutes ses
démonstrations de soumission les mensongères et
calomnieuses accusations de révolte qu’on avait lancées

(1) Sur la daté de sa mort, qu’on place aussi en 452, voir lbn el-
Athir, trad. p. 468.

(2) Voir sur ce prince Ibn eNAthir, p. 470; Ibn Khallikan, i, 281;
Berbères, il, 22.

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– 445 –

contre lui. [P. 308] Alors son père bénissant le ciel le fit
remonter à cheval, et tous deux rentrèrent de compagnie
à Mehdiyya, où El-Mo c izz descendit au palais. Ce fut son
fils ïernîm qui continua de gérer les affaires de l’État.

En 455 (3 janvier 1063), Temim conquit Sousse, dont
les habitants, depuis qu’ils s’étaient révoltés contre son
père [lacune]^) ; il leur fit grâce et miséricorde.

En 456 (24 décembre 1063 j, Hammoù ben Melll Ber-
gha\vàti,qui s’était révolté à Sfax, s’avança contre Meh-
diyya avec des Arabes dont il s’était assuré le concours.
A Cette nouvelle, Temim marcha contre lui, soutenu par
de nombreux Arabes de Zoghba et de Riyàh’, tandis
qu’une portion des c Adi et des Athfredj étaient avec
H’ammoû. A la suite du combat qui s’engagea, les sol-
dats de ce dernier s’enfuirent et lesépées, s’abattant sur
eux, y semèrent la mort^.

En 457 (12 décembre 1064), Èn-Nâçir ben [ . . . ] H’ammàd
subit une défaite complète. Il sjétait mis en campagne
avec de nombreuses troupes composées de Çanhâdja,
de ZenâlA, d’ c Adi et d’Athbedj ; les Riyàh’, les Zoghba
et les Soleym le mirent en déroute, lui tuèrent beaucoup
d’hommes et livrèrent au pillage ses tentes et ce qu’il
possédait. Son frère El-K’âsim ben Ghilnâs( 3 ) périt éga-

(1) Cette campagne contre Sousse en 455 est aussi rappelée ailleurs
(Ibn el-Athir, p. 471 ; Berbères, u, 22; Tidjàni, J. As. f 1852, n, 130),
mais dans des termes qui ne permettent pas de suppléer ce que la
main du copiste, probablement, a laissé tomber.

(2) La campagne contre Sousse et celle contre Hammoû sont pla-
cées en 455 par Ibn el-Athir et par Ibn Khaldoùn ; Tidjàni place la
seconde en 454 (voir Ibn el-Athit*, p. 471).

(3) Ce nom est écrit ‘Alennàs par Ibn el-Athir et Ibn Khaldoùn ;
d’après une glose ajoutée au texte du Moscktabih de Dhehebi (p. 336)
la forme correcte serait l Annâ8 ; un ms d’Ibn el-Athir (t. x, p. 31 n.
du texte arabe) épelle ‘Alnàs. Le traducteur de Tidjàni (J. as., 1853,
i, 384) écrit Alnas.

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– 446 –

lement. L’une des principales causes de celte affaire fut
les manœuvres de Temim à son égard (*).

En 458 (2 décembre 1065), Temim envoya contre Tunis
un fort corps d’armée qui assiégea cette ville pendant
quatorze mois et qui la réduisit à l’extrémité. Puis il
survint entre lui et Ibn Khorâsân W, chef de cette ville,
un arrangement, aux termes duquel les assiégeants se
retirèrent.

En 459 ( 21 novembre 1066), eut lieu dans le Maghreb
extrême la révolte de Moh’ammed ben Idris ben Yah’ya
ben c Ali ben H’ammoûd H’asani, qui reçut de Melila un
appel auquel il se rendit. Il fut soutenu par un groupe
de Benoû Ourtedi de Melila et des environs. Il avait
antérieurement été proclamé khalife à Malaga sous Je
nom d’El-Mosta c li, et resta dans cette ville jusqu’à Tan-
née 447 (1 er avril 1055), où Bâdis ben H’aboûs Çanhàdjî,
prince de Grenade, eut le dessus sur lui et mit ainsi fin
à la dynastie des Hamrpoûdites régnant alors en £]spa-
gnç. Moh’ammed se tint alors caché à Alméria jusqu’au
moment où il reçut l’appel qui lui fut adressé (de Me-
lila).

En 460 (10 novembre 1067), En-Nâçir ben Ghilnâs ben
H’ammàd, qui avait avec lui les Athbedj comme contin-
gent arabe, mit le siège devant Laribus et le poursuivit
[P. 309] jusqu’à ce qu’il conquit cette ville ; il épargna

(1) L’expression employée dans le texte est assez vague; comp.
Berbères, n, 48; lbn el-Athir, 336; et Ylstibçâr, tr. (r., p. 33 (et cf.
p. 214), où l’auteur a confondu Mançoùr avec son père Nâçir.

(2) Il s’appelait ‘Abd el-Hakk bon ‘And el-‘Aziz ben Khorâsân ; il
reconnut l’autorité de Temim à la suite d’un siège de quatre mois,
d’après Ibn Khaldoùn {Berbères, h, 22 et 30 ; comparez aussi le récit
d’Ibn el-Athir (p. 478), qui n’est pas très net, et où ce chef est appelé
Ahmed ben Khorâsân).

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— 447 –

les habitants, mais lit exécuter Ibn Mekràz, qui y gou-
vernait M.

La môme année, le dit En-Nâçir arriva à K’ayrawân
et y fit son entrée avec les Arabes.

En la même année, l’émir des Lemtoûna se rendit en-
tièrement maître de l’autorité dans le Gharjj. Les tribus
des Maçmoûda, le Der c a et Sidjilmâssa se soumirent à
lui, et il battit les Zenâta qui étaient fixés dans ces ré-
gions.

En 461 (30 octobre 1068), En-Nâçir ben Ghilnâs ben
H’ammâd retourna de K’ayrawân dans son chàteau-fort,
car il eut peur des bandes d’Arabes [qui s’étaient coali-
sées contre lui].

Aboû Bekr ben c Omar Lemtoûni commença à bâtir
Merrâkech, ainsi qu’il sera dit en son lieu* 2 ).

En 465 (16 septembre 1072), des bâtiments orientaux
étant arrivés à Sfax, le sultan Temim ben el-Mo c izz
envoya de Mehdiyya contre eux sa flotte, qui les anéan-
tit.

En 466 (5 septembre 1073) ou, selon une autre version,
en 467 (26 août 1074), les Zoghba furent chassés d’ifri-
k’iyya par les RiyâlV, qui vendirent K’ayrawân ( 3 ) à En-
Nâçir ben Ghilnâs ben H’ammâd Çanhâdji, seigneur de
la K’al c a (des Benoû Hammâdj.

En 468 (15 août 1075), des Arabes venus de Bark’a
s’installèrent autour de K’ayrawân.

En 469 (4 août 1076), une grande disette sévit en Ifri-

(1) La prise de Laribus en 460 est aussi rappelée par Ibn el-Athir.
p. 479. Ibn Khaldoùn n’en parle pas.

(2) Sur la fondation de Merrâkech, voir ‘Abd el-Wàhid Marrakech i,
tiad. p. 83.

(3) Comparez Ibn Khaldoùn, Berb., n, 23,

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‘ :-^T

– 448 –

k’iyya, et une violente épidémie y enleva beaucoup de
monde.

En 470 (24 juillet 1077), Temîm ben El-Mo’izz fil la paix
avec son cousin En-Nâçir, à qui il maria sa fille Bellâra (*) ;
il la lui envoya de Mehdiyya en compagnie de nombreux
soldats, d’argent, d’effets et de choses de valeur.

En 474 (10 juin 1081), Temim mit le blocus devant
Sfax( 2 ), dont les jardins connus sous le nom de Ghàba
(forêt) lurent ravagés et anéantis par les soldats.

En 470(24 juillet 1077), Temim avait investi son fils< 3 ) du gouvernement de Tripoli. En 476 (20 mai 1083), Mehdiyya fut assiégée par Màlik ben Ghaloûni* 4 ), qui vint camper sous les murs avec de nombreuses bandes d’Arabes. Temim dirigea contre lui une sortie qui mit son ennemi en déroute ; celui-ci dut s’éloigner de la ville et pénétra alors à K’ayrawân* 3 ). .En 479 (17 avril 1086), Temim assiégea simultanément les deux villes de Gabès et de Sfax ; jamais on n’avait entendu parler d’un double siège de ce genre ( f >>.

En 480 (7 avril 1087), il y eut une éclipse complète de

(1) Sur le sens adopté dans celte traduction, voir lbn el-Athir,
p. 479, n. 4.

(2) C’est du siège de Gabès et non de Sfax que parlent, sous Tannée
474, lbn el-Athir, p. 480, et lbn Khaldoûn, H, 24.

(3) Ce fils s’appelait Mok’alled, à ce que dit lbn el-Athir, p. 479, qui
donne également la date de 470.

(4) Ce dernier nom se lit Ghalhoûn deux pages plus loin, et l’édi-
teur a, dans ses Corrections, adopté cette dernière lecture. lbn el-
Athir lit Mâlik ben k Alewi Çakhri, p. 480 et 492 ; le traducteur de
Tidjàni écrit Malek ben Aloua ben es-Sekhri (./. As., 1853, i, 373).

(5) Ville d’où il fut bientôt expulsé {Berbères, n, 24 ; lbn el-Athir,
p. 480).

(6) Ce double siège, sur lequel lbn Khaldoûn garde le silence, est
aussi mentionné par lbn el-Athir, p. 485.

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– 44Ô –

soleil, et les (ihrétiens arrivèrent devant Mehdiyya avec
trois cents navires de guerre, sur lesquels étaient embar-
qués trente mille guerriers^).

[P. 310] Entrée des Chrétiens à Mehdiyya.

Les causes de cet événement, en outre du décret divin,
furent les suivantes: l’absence de Tannée du sultan, la
soudaineté de l’arrivée des chrétiens, qui ne permit pas
de rappeler les troupes et de prendre les dispositions
nécessaires pour la résistance, le fait que les habitants
étaient complètement dépourvus d’armes et d’approvi-
sionnements, le peu de hauteur et l’état de délabrement
des murailles, le refus de Temîm d’ajouter foi aux nou-
velles qu’il recevait, l’impéritie d ,’ – Wl

<•* 450 –

attaqué par un ennemi dont le nombrd” rivalise avec celui
des sauterelles ou k des vers. De partout, ils se sont coalisés,
— et plût au ciel que cela ne se fût pas fait ! — pour être
vingt mille et la moitié en plus, puis sont tombés à Timpro-
viste sur des gens qui avaient oublié leur science de la
guerre. j

! En 481 (26 mars 1088) mourut En-Nàçir ben Ghilnâs, à
qui succéda son fils El-Mançoûr. :

En 482 (15 mars 108Ô), Mâlik ben Ghalboûn fit une
expédition contre Sousse, dans laquelle il pénétra avec
un groupe de ses partisans; mais il ne put y faire ce qu’il
désirait, car il fut mis en fuite en laissant plusieurs des
siens sur le carreau et d’autres dans les mains de ceux
qu’il avait attaqués ‘*).

En 483 (5 mars 1090), le prix des vivres s’éleva beau-
coup en Ifrîk’iyyaetune cruelle disette s’y fit sentir.

En 484 (22 février 1091 j, la situation en ïfrîkiyya fut
bonne, grâceà l’abondance de Ta récolte et au bon mar-
ché des vivres.

En 486 (31 janvier 1093), l’armée de Temîm bloqua
Gabès et ne bougea pas avant d’en avoir conquis le fau-
bourg.

: En 488 (10 janvier 1095), eut lieu la trahison de Chah
Mâlik le Ghozz [P. 3X1] envers Yah’ya, fils du sultan
Temîm ben el-Mo c izz. Temîm, qui redoutait ce Turc, était
peu favorablement disposé pour lui, et par ses paroles
il s’aliéna également les compagnons de ce chef. Chah
Màlik, qui était d’ailleurs un homme des plus rusés, en
fut blessé, et Yah’ya ben Temîm étant, sur ces entrefaites,

(1) 11 a été déjà question de ce chef p, 448. Ibn el-Athîr parle aussi
de son attaque de 482 contre Sousse (x, 119 du texte ar.).

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• /’ ‘

– 451 –

allé à la chasse avec quelques-uns de ses familiers et de
ses compagnons de table, fut surpris et arrêté avec plu-
sieurs d’entre eux par Chah Mâlik assisté d’une forte
troupe de ses partisans. Temîm prévenu envoya aussitôt
de la cavalerie à sa poursuite, mais le Turc avait déjà
décampé vers Sfax, où il pénétra. Le chef de cette ville,
H’ammoû ben Meltl, se porta à la rencontre xle Yah’ya
ben Temîm et de soa ravisseur. Quand ceux-ci furent là
de quelques Jours, (H’ammoû) écrivit à Temîm d’envoyer
les femmes et les enfants du Ghozz, ce qui fut fait, et le
sultan (en échange) rappela à Mehdiyy a son fils Yah’ya
et les siens t 1 ).

En 489 (30 décembre 1095), Temîm conquit Gabès et
en expulsa son frère ‘Omar* 2 ) ben El-Mo c izz, dont les
habitants avaient fait leur gouverneur.

En 491 (8 décembre 1097), il y eut en Ifrîkiyya une ter-
rible disette. Temîm conquit l’île de Kerkenna et la ville’
de Tunis < 3 >. Les Benoû c Adi s’enfuirent d’Ifrikiyya chas-
sés par les Riyâh\ ?

En 493 (16novembral099), Temîm conquit Sfax, d’où
H’ammoû ben Melil s’enfuit à Gabès. Il fut accueilli par
le chef de cette ville Medjal ben Kâmil Dehmâni, auprès
de qui il trouva un refuge jusqu’à sa morU 4 ).

(t) Ces faits sont exposés plus au long par Ibn-el-Athir (x, 164
du texte ar.) ; le nom de ce Turc y est écrit Chah Melik.

(2) Dans le récit qui est fait ailleurs de ces événements, on lit ‘Amr
(Ibn el-Athîr, x, 175, du texte âr.), mais aussi k Omar {Berbères, h,
24 et 35).

(3) Sur la lecture de ces deux noms, voir Ibn-el-Athir;” trad., ad x,
191, note; Berb. y n, 24, n. 2.

(4) Voir le récit plus détaillé d’Ibn el-Athir (x, 164 et 202, dû texte ar.).
Au lieu de Medjal, on lit Mekken dans Ibn Khaldoùn {Berb., n, 24
et 35),

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– 452 –

En 498 (22 septembre 1104) mourut El-Mançoûr ben
En-Nâçir ben Ghilnàs, prince de Bougie, d’El-K’a^a et
de la région. Son. {ils Bâdis, qui lui succéda, mourut au
bout de peu de temps et fut remplacé par son frère El-
«Azîz billâh ben El-Mançoûr (*). *

En la même année, les Romani (sic) parurent devant
Mehdiyya avec de nombreux bâtiments de guerre nom-
més chewâni [au singulier chtni, galère] et vingt-trois
autres bateaux e-^-o ; ils voulaient profiter de quelque
occasion favorable, comme avaient fait les Roûm dont il
a été parlé, et ils se présentèrent à la porte de l’arsenal
pour empêcher la flotte de Mehdiyya de sortir et de les
attaquer. Mais leur espoir fut déçu, car elle put prendre
la mer, puis les battit et leur Tua beaucoup de monde (*).

[P. 312], En 499 (12 # septembre 1105), le sultan Temîm
envoya contre l’île de Djerba Aboû’l-H’asan Fihri avec
de nombreuses troupes de terre et une flotte considéra-
ble ; mais les insulaires avaient fait leurs préparatifs de
défense et s’étaient assuré des secours, de sorte ‘que
cette tentative n’eut aucun succès.

En 500 (1 er septembre 1106), un acte de trahison com-
mis par la ville de Bâdja y fut cause d’un grand massa-
cre tf).

En la même année, le Mahdi Moh’ammed ben Toû-
rnert, fondateur de la dynastie berbère des Almohades,
quitta la montagne des Hergha, dans le Maghreb extrême,
et se rendit en Orient pour y chercher la science ; il
passa en Espagne, arriva à Cordoue et se rendit ensuite

(1) Voir Berbères, n, 55.

(2) Ce paragraphe se retrouve dans la Biblioteca, n, 33.

(3) Peut-être ces mots sont-ils une allusion à l’attaque des Arabes
de Riyâh {Berbères, n, 24).

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– 453 –

à Alméria, d’où il gagna l’Orient par mer. Ses pérégri-
nations lui firent faire une absence de quinze ans.

En 501 (21 août 1107), on vit à l’horizon du Maghreb
paraître une immense comète qui resta visible pendant
* de nombreuses nuits.

Cette année fut celle de la mort du sultan Temîm ben
El-Mo e izz, qui avait régné environ quarante-sept ans.
C’était un prince habile, brave, ferme, décidé, ayant le
mépris des difficultés, trouvant faciles les affaires les plus
graves, se laissant aisément emporter par son ardeur et
sa témérité. Il compte parmi les plus distingués des poè-
tes qui ont occupé le trône, et il s’est placé dans ceux
du premier rang par l’usage qu’il a fait des images et des
figures de rhétorique ; on trouve chez lui qualité et abon-
dance ; il a laissé un recueil considérable de poésies, où
on lit par exemple :

[Wàfir] Ou la royauté avec gloire et puissance, et qu’alors
je siège, la tête ceinte du diadème, sur le trône le plus élevé !
Ou la mort cherchée sur la pointe des lances, puisque je ne
suis pas éternel et destiné à toujours vivre!

Il avait un page nommé Modem, dont il dit dans un
long et remarquable poème :

[Motak’àrib] Modâm (vin) fait circuler à la ronde la coupe
de vin (modàm), et je ne sais duquel des deux il vaut mieux
goûter : celui-là est l’ami, celui-ci un vin généreux ; celui-là
est la nouvelle lune, celui-ci est l’astre brillant ; celui-là* a
pour moi la valeur de ses œillades, celui-ci nous réjouit le
cœur. [P. 313] Au regard de l’un et de l’autre, la pleine lune
et l’astre brillant sont-ils autre chose que des mots consa-
crés par l’usage?

Temim ben El-Mo e izz était beau de corps et de visage,

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;***.

.”^f

~ 454 —

de haute taille ; il avait le teint brillant, le nez long .et
les sourcils écartés; il se purgeait souvent, croyant ainsi
consolider sa santé; il absorbait des mets et des remè-
des échauffants, recourait souvent à la médication par
le feu, prenait des bains brûlants, se livrait souvent à
l’acte sexuel; l’abus qu’il faisait des remèdes violents,
de la scammonée par exemple, lui dessécha les chairs et
lui rendit difficiles les exercices physiques, de sorte
qu’il resta perclus. Il mourut à la mî-redjeb 501 (28 fé-
vrier 1108) âgé de soixante-dix-neuf ans, après un règne
qui, compté de la mort de son père, fut de quarante-six
ans et dix mois et demi. Il laissa plus de cent enfants
mâles, et Ton prétend que ses enfants et petits-enfants
formaient un total d’environ trois cents (*).

Règne de Yah’ya ben Temlm ben el-Mo’izz.

Né à Mehdiyya en 457 et monté sur le trône en 501, à
lïige de quarante-trois ans, ce prince était versé dans la
politique et soigna avec vigilance l’administration de
ses sujets ; il lisait beaucoup les recueils biographiques
et les chroniques, était lettré, poète et avait de sérieuses
connaissances lexicographiques et philologiques ; son
visage était beau, ses yeux bleu foncé, sa voix forte. Il
fut tué et mourut sur le coup dans son palais de Mehcliyya
le lendemain de la Fête des victimes de l’année 509
(25 avril 1116), de sorte que la durée de son règne fut de
huit ans et six mois. Il laissa notamment trente enfants

(1) Voir encore ce que disent de ce prince Ibn KhaUikàn (i, 281) et
^bn el-Athîr (x, 3U du texte arabe)/ .

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~ 455 —

mâles. Je vais brièvement énumérer les événements de
son règne dans leur ordre chronologique.

En 502 (10 août 1508), Yah ya ben Temim conquit le
château-fort de K’alibiyya (Clypea). Au dire d’Ibn ei-
K’at’t’àn, comme Temim ben el-Mo c iz!: avait trois cents
enfants, Yah’ya exila les plus âgés de ses frères en Orient,
au Maghreb et en Espagne. Lui-même eut un règne cal-
me et paisible ; il se livrait rP. 314] à des recherches
d’alchimie et avait fait élever-un laboratoire fréquenté
par les étudiants, à qui il donnait de l’argent et fournis-
sait des instruments 0).

En 503(30 juillet 1109), Yah’ya ben Temim fit partir
une escadf e de quinze corvettes *>\j* tirées de sa flotte,
en expédition contre le pays chrétien ; mais il y en eut
six de détruites et le reste rentra à MehdiyyaW.

En 504 (19 juillet 1110), il y eut dans le Maghreb de
violents tremblements de terre qui se prolongèrent pen-
dant tout le mois de chawwâl (11 avril-9 mai 1111).

En 505 (9 juilletllll), Sawwâr* 3 ), envoyé en ambassade
par le souverain d’Egypte [El-Amir le Fatimîde] pour
apporter des présents à Yah’ya ben Temîm, fut accueilli
par celui-ci avec toute la pompe et les prévenances qu’on
pouvait souhaiter. Au bout d’un certain temps, il fut
renvoyé avec des cadeaux précieux et des objets rares
dépassant toute description.

(1) Ibn Khaldoùn parle très brièvement de ce prince (Berbères, n,
24), sur lequel on trouve plus de détails dans Ibn Khallikân (iv, 95)
et Ibn el-Athir (x, 315 et 331 du texte arabe).

(2) Cet alinéa ne figure pas dans la Biblioteca. Un renseignement
identique est fourni par Ibn el-Athir (x, 336 du texte ar.), et repro-
duit dans la Bibl, i, 452.

(3) Ce nom pourrait aussi se prononcer Siwâr (voir Dhehebi, Mos-
chtabih).

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■TÇ ;

— 456 –

En 507 (17 juin 1113), au mois de rebi c II (septembre-
octobre), la flotte de Mehdiyya revint des pays chrétiens
avec de nombreux captifs, ce qui combla de joie Yah’ya
et les musulmans W.

En 508 (6 juin 1M4), Yah’ya nomma au gouvernement
de Sfax son fils c Ali ( 2 ), et au gouvernement de Sousse son
prop’re frère Isa. Les chrétiens attaquèrent Mayorque,
qui était alors aux mains de Mobachchir le page, client
d’Ibn Modjâhid* 3 ), et à la suite d’un siège poussé avec
vigueur, ils l’emportèrent de vive force, massacrèrent
les hommes et réduisirent en esclavage les femmes et
les enfants. c Ali ben Yoùsof (ben Tâchefin) reconquit
cette île sur les chrétiens.

En 509 (26 mai 1115), arrivèrent à Mehdiyya deux ou
trois hommes qui se donnèrent pour des étudiants
maçmoûdites connaissant l’alchimie; l’entrée du labora
toire leur ayant été accordée, ils arrangèrent les choses
à leur gré, puis ils demandèrent à être reçus par le prince,
qui leur dit de le faire assister à la transmutation et au
grand œuvre. Ces deux hommes y consentirent à la con-
dition qu’il n’y aurait comme assistants que lui et son
vizir. En leur présence et en celle de l’esclave du prince
Aboù Khannoûs, ils préparèrent le creuset, y jetèrent du
plomb et, commençant à le chauffer, ils feignirent de
préparer la transmutation ; puis saisissant leurs poi-

(1) La Biblioteca (n, 33) reproduit ce paragraphe.

(2) Cet 4 Ali, qui succéda à son père, portait le prénom d’Aboù’l-
Fotoûh, d’après Ibn el-Athir (trad. de x, 336 et la note).

(3) Modjàhid PAmiride (le Mugetodes chroniques italiennes), client
du célèbre Ibn Aboû ‘Amir ou Almanzor, gouverna Dénia et les iles
Baléares ; son fils le remplaça et eut lui-même Mobachchir pour suc-
cesseur (Berbères, n, 206 ; Merràkechi, H. des Almohades, p. 63,
126 et 129 ; Biblioteca, i, 437, n.).

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– 457 –

gnards, ils massacrèrent le vizir et Aboû Khannoûs, et
couvrirent le sultan de blessures dont il mourut au bout
de peu de temps : « Chien que tu es, lui crièrent-ils en le
frappant, nous sommes tes frères tel et tel, que tu as
bannis, tandis que toi tu gardais [P. 315] le trône I » Aux
cris qui furent poussés, les esclaves noirs accoururent et
massacrèrent sur le champ les deux assassins. Yah’ya
mourut le jour de la Fête des victimes* 1 ) de Tan 509
(24 avril 1116). Pendant qu’il souffrait des blessures
reçues dans ceguet-apens, il bannit son fils El-Fotoûh’ < 2 >
et l’envoya au Kaçr-Ziyâd, car il ne cacha pas qu’il le
croyait impliqué dans cette affaire. Ce jeune homme y
resta jusqu’à la mort de son père et à l’avènement de
son frère e Ali, lequel l’exila en Orient, où il mourut.

Dans cette même année, l’émir Yah’ya avait conclu le
mariage de sa fille Bedr ed-Dedjà avec le prince d’El-
K’al c a et de Bougie, El- ç Aziz billâh ben el-Mançoûr, à
qui il envoya la future et son trousseau.

Règne d’*Ali ben Yah’ya ben Temlm à Mehdiyya et dans une partie
de lTfrtk’iyya.

A la suite de la mort de l’émir Yah’ya, les courtisans
décidèrent d’un commun accord d’écrire à c Ali, alors
gouverneur de Sfax, au nom de son père, et la lettre que
rédigea le secrétaire fut revêtue du paraphe de Yah’ya,
c’est-à-dire de : « Louange à Dieu seul. » e AIi partit

(1) Ci-dessus, p. 454, la mort de Yah’ya est fixée au lendemain de
oette fête.

(2) Cette agression est fixée à 502 ou 507 par d’autres auteurs, qui
font mourir subitement YahVa ben Temim (voir Ibn el-Athir, x, 331,
du texte arabe).

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– 458 –

aussitôt qu’il eut reçu cette nouvelle, qui lui parvint dans
la nuit, et arriva à Mehdiyya le surlendemain du jourde
la Fête des sacrifices. Il fit enterrer $on père dans le
château, puis le peuple entra pour lui présenter ses
condoléances et ses félicitations, et il se trouva ainsi
porté sur le trône à l’âge de trente ans sans que le pou-
voir lui lût contesté (*). Il était généreux et libéral, ami
du repos et des plaisirs, et remit à d’autres les soins de
l’administration de l’Etat. Après un court règne de cinq
ans quatre mois et douze jours, il mourut en rebî c II 515
f juin-juillet? 1121), laissant quatre fils, El-H’asan, El-
< Azîz, Bàdis et Alah (Jl).

En 510(15 mai 1116), il équipa une flotte pour attaquer
Djerba, qu’il tint bloquée jusqu’à ce que les habitants
fissent acte de soumission et reconnussent son autorité ( 2 ).

En 511 (4 mai 1117), le populaire fut vivement agité
par des rumeurs d’après lesquelles il y aurait en rama-
d’an un grand événement et qjue la mort du sultan arri-
verait à cette époque. Dieu se chargea de donner un
démenti à ces bruits qui s’étaient répandus partout. Les
poètes ont beaucoup parlé de cela :

[P. 316 ; T’awll] Ils ont répandu des mensonges et publié
des rêveries qui ont pour origine leurs espérances et leurs
convoitises, mais le peuple t’aime tant que, s’il le pouvait, il
t’ouvrirait ses entrailles et ses flancs.

Il est dit dans un autre passage :

Le dire des imposteurs s’est trouvé démenti, et le Miséri-

(1) Sur le règne de ce prince, voir Berbères, u, 25 ; Ibn el-Athir,
x, 360 du texte av. ; Ibn Khallikàn, iv, 100.

[2) Sous l’année 510 Ibn Khaldoùn et Ibn el-Athir placent aussi la
conquête de Tunis et du Djebel Ouselàt /

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– 459 –

eordieux a prolongé ton existence. Qu’est donc devenu le
fait calculé par l’astrologue, puisque voilà déjà écoulé le
tiers du mois consacré au jeûne ?

La même année, un envoyé du souverain d’Egypte
apporta des présents à MehdiyyaW.

c Ali ben Yah’ya alla la même année assiéger Gabès
après avoir enrôlé à cet effet quelques tribus arabes.
Quand Râfi c [ben Mekken], prince de cette ville, apprit
l’opération qui se préparait, il se précipita en suppliant
auprès des chefs de l’armée dans le désir d’obtenir la
paix, mais c Ali n’y consentit pas< 2 ). Là-dèssus, Ràfi c alla catnper sous les murs de Mehdiyya avec ses tentes et ceux de sa tribu qui lui prêtaient leur aide. Alors les habitants de cette ville firent une sortie et se jetèrent sur les tentes. Excités par les cris de leurs femmes, les Ara- bes [qui avaient déjà cédé] attaquèrent de nouveau, et la lutte s’engagea, tandis que l’émir se tenait à la porte de Zawîla. Ce dernier enrôla ensuite contre Râfi c les trçis cinquièmes des Arabes qui figuraient parmi ses troupes. Râfi c marcha d’abord contre eux et il y eut un engage- ment, puis il se retira vers K’ayrawân. Alors les cheykhs des Dehmân t«0 s’étânt réunis se répartirent entre eux les diverses provinces, et attribuèrent K’ayrawân à Rafi c . Les Arabes enrôlés se rendirent auprès de Ternir c Ali beri Yah’ya, qui leur distribua des sommes considéra- bles et leur donna Tordre de se rendre à K’ayrawân. Il (1) Cet envoi de cadeaux est aussi signalé dans les Berbères, u, 25. (2) Il se produisit dans cette affaire une intervention de Roger de Sicile, qui est ici entièrement passée sous silence (Ibn Khaldoûn et lbn el-Athîr). Le récit de ces derniers est plus intelligible. : (3) Les Benoit Dehmàn étaient des Riyàh, fraction des Benoû ‘Ali (Berbères, n, 35). Digitized by Google – 460 – y eut là des combats très vifs où l’avantage resta aux partisans d ,c Ali ben Yab’ya. Tout cela serait très long à raconter. En 512 (23 avril 1118) un envoyé de Roger, prince de Sicile, vint trouver l’émir e Ali pour lui demander de renouveler et confirmer les traités antérieurs, et récla- mer des sommes lui appartenant et restées sous séques- tre à Mehdiyya. A ce message, conçu en termes durs et grossiers, *Ali ne donna pas de réponse, et il renvoya le messager après lui avoir parlé dans des termes analo- gues. La conséquence en fut un redoublement de froi- deur entre l’émir et Roger, dont les mauvaises inten- tions se donnèrent libre carrière [P.. 317] et qui machina dans la suite un stratagème W. Il y eut cette année, dit Ibn el-K’atTàn, une hausse considérable dans le prix des vivres et une épidémie. Le rob ç W de farine se vendit à Tiemcen vingt dirhems. En 513 (13 avril 1119), Ibràhîm ben Yoûsot ben Tâche- fin, frère du prince du Maghreb, fit en Espagne une expé- dition contre Coria, qu’il conquit. c Ali ben Yah’ya ben Temîm était à cette époque émir d’Ifrîk’iyya. En 514 (l or avril 1120), eut lieu en Espagne l’affaire de Cutandaf 3 ), où les musulmans furent mis en fuite. Une vingtaine de mille hommes, dit Ibn èl-KatYân, furent tués dans cette affaire. Ce fut en cette année qu’Ibrç Toû- (1) Ce paragraphe est traduit dans la Biblioteca (n, p. 34). Compa- rez Ibn el-Athîr, x, 372 du texte arabe, et 17/. des Berb., u, 26. (2) Quart de mesure, d’où l’espagnol arrobe, (3) Localité près de Daroca, dans la région de Saragosse (Makkari, éd. Leyde, u, 759; éd. Boulak, n, 580); Ibn ël-Athîr, x, 414 du texte arabe. Cf. Codera, Decadencia y desapariciort de los A^moravides en Espana y p. 13 et 26?. Digitized by Google – 461 – mert, surnommé Mahdi, s’établit à Aghmât pour provo- quer un soulèvement contre le sultan et remplacer par la discorde l’accord alors existante. En 515 (21 mars 1121), e Ali ben Yoûsof quitta Merrâ- kech pour se rendre en Espagne, où il arriva en rebî* I (mai-juin); il enleva à Ibn Rochd la charge de kàdi et la donna à Aboû’l-K’âsirri ben H’amdin. Il retourna ensuite à Merràkech. Cette année vit aussi la mort d^Ali ben Yah’ya ben Temîm, émir d’Ifrîk’iyya. Règne de H’asanl*) ben ‘Ali ben Yah’ya en Ifrlk’iyya. Ce prince, à qui son père avait de son vivant confié l’exercice du pouvoir, avait douze ans et neuf mois, étant né à Sousse en redjeb 502. A la suite de la mort de son père, le peuple pénétra auprès de lui pour lui pré- senter ses condoléances et ses félicitations à l’occasion de la mort de son père et de son propre avènement ; les poètes aussi lui récitèrent leurs vers. La direction des affaires fut remise à l’eunuque Çandal, (le jeune prince) n’ayant aucunes connaissances ni habileté administra- tive (3). En 516 (11 mars 1122), Aboû e Abd Allah ben Meymoûn, officier au service d’ c Ali ben Yoûsof, roi des deux conti- nents, fit une expédition contre la Sicile, où il conquit la ville de Nicotera, située dans le territoire obéissant à (1) Voir Ibn el-Athir, x, 400, du texte arabe ; Ibn Khallikân, m, 205 ; iv, 97, etc. (2) On trouve ce nom dans le texte soit avec, soit sans l’article. (3) Je lis le texte àSj** *J ^ 5\ ; voir Ibn el-Athir, t. x, p. 415 du texte arabe ; Berbères, h, 26 ; Ibn Khallikân, rv, 101. Digitized by Google – 462 – Roger, prince de cette lie ; les femmes et les enfants furent réduits en esclavage, les vieillards massacrés, et tout fut mis au pillage. Roger ne douta nullement que l’instigateur. de cette campagne ne fût l’émir d’Ifrik’iyya [P. 318] El-H’asan ben.*Ali, à cause des rapports très tendue’ qui avaient existé entre lui-même et le père de ce prince. En conséquence, il appela la chrétienté entière à faire la guerre, et il réunit ainsi à ses côtés une armée plus nombreuse qu’on n’avait jamais vu. A cette nou- velle El-H’asan ben c Ali donna les ordres nécessaires pour faire consolider les murailles et se procurer des armes, enrôler les tribus (berbères) et convoquer les Arabes. Des contingents lui arrivèrent ainsi de tous les pays et de toutes les directions, et tout le monde était bien préparé pour faire face à l’attaque imminente. Dans les derniers jours de djomâda I 517 (vers le 20 juillet 1123), la flotte franque arriva à l’ile d’El- Ah’âsU 1 ) et y débarqua un grand nombre d’hommes, qui s’éloignèrent de la mer à une distance de plu- sieurs milles. Le lendemain, vingt-trois galères (chînî) se présentèrent devant Mehdiyya et y constatèrent la présence des nombreuses troupes et levées qui la garnis- saient. Elles retournèrent ensuite vers Pile et y trouvè- rent que les Arabes avaient découvert les lieux où se tenaient les chrétiens déjà débarqués et avaient mis leurs tentes en pièces, succès qui encouragea les musulmans. D’après les ordres de Roger, la flotte devait gagner cette île et s’y emparer du château d’Ed-Dimâs, après quoi l’armée entière, cavaliers et fantassins, s’avancerait par (1) Située à dix railles de Mehdiyya, à ce que nous apprend Tidjàni, («/. As., 1853,1, 381 ; Amari, Biblioteca,u, 69). Digitized’by VjOOQlC terre et en ligne de bataille contre Mehdiyya. En consé- quence,* les chrétiens pénétrèrent dans ce château le 2 djomâdâM,, mais, dans la nuit du dernier jôuvî de Ce mois les musulmans pénétrèrent dans l’ile. en poussant le cri « Dieu est grand », Les chrétiens furent alors for- cés de se retirer en désordre dans leurs, navires, après avoir tué de leurs propres mains un grand nombre de leurs chevaux. Les. nôtres s’emparèrent, entré autres choses dont ils avaient besoin, d’environ quatre cents chevaux d’armes çt de nombreux engins de guerre; puis ils entourèrent le château d’Ed-Dîmàs et en CQmtiaeiv- cèrent l’attaque, tandis que là flotte restait simple spec- tatrice du combat. Les chrétiens fihirent.par demander quartier au sultan pl-H’asan ben c Ali [qui était disposé à y consentir] ; mais les Arabes s’y étant refusés, le 15 djomâda II (29 août) les assiégés firent une sortie^ et les Arabes tombant sur eux les massacrèrent jusqu’au dernier. La flotte comprenait environ trois cents bâti4 ments ( .jUaJ.) portant environ mille cavaliers. c Abd er- Rah’mân ben c Abd el- e Azîz (*),• raconte Aboû’ç-Çalt, m’a rapporté ceci: « Je vis à la porte [du palais] de Roger; en Sicile, un Franc porteur d’une longue barbe qui, en saisissant l’extrémité de ses mains,. [P. 319] jurait par l’Evangile* qu’il n’en enlèverait pas: un poil tant qu’il ne se serait pas vengé des habitants de Mehdiyya. Je pris des renseignements sur lui, et l’on me dit,, que lors de la déroute dont il est question, il s’était arraché la barbe (1) Telle est la date du texte, qui est fautif, ainsi que le prouvent; ce qui précède et ce qui suit. U faut sans doute lire, comme Ta fait remarquer Amari, le 29 djomàda 1 (24 juillet). (2) ‘Abd er-Rah*màfr ben ‘Abd ePAzîz Naçràni commandait, de; concert avec Georges d’Antioche, la flotte de Roger. • Digitized by Google – 404 – jusqu’à en saigner. » L’ouvrage historique d’Aboû’ç-Çalt sur Mehdiyya et El-H’asan ben ‘Ali, émir de cette ville, ^’arrête à l’année 517 (2 mars 1123). L’émir El-H’asan resta le souverain de cette ville et de la région jusqu’en 543 (21 mai 1148), date où il en fut chassé par la conquête qu’en fit le prince régnant en Sicile (*>.

En 518 (18 février 1124), pendant qu’El-H’asan régnait
en Ifrîkiyya, le Mahdi et les Almohades devinrent tout-
puissants dans le Maghreb. Cette même année mourut
le prince de Bougie El- c Aziz billâh, à qui succéda son fils
Yah’ya. Les Benoû’n-Nàçir ben Ghilnâs ben H’ammâd,
qui régnaient à Bougie, à El-K’al e a et dans cette région,
avaient pour vizirs les Benoû H’amdoûn, qui se succé-
daient de père en fils dans cette charge. Meymoûn ben
H’amdoûn était vizir de ce Yah’ya, qui eut un fils dont
il fit son héritier présomptif et à qui, de son vivant, il
confia le. soin des affaires. Ce jeune homme diminua l’au-
torité de Meymoûn/ dont il dépréciait les actes et qu’il
nommait le cheykh menteur ; alors Meymoûn, craignant
pour sa vie, s’adressa à Aboû Moh’ammed c Abd el-Mou’-
min( 2 ).

En 519 (6 février 1125), aucun changement ne survint
dans la situation d’El-H’asan ben c Ali. Le chrétien Ibn
Rodmîr attaqua (en Espagne) les territoires musulmans,
dont il conquit les villes les unes après les autres et
qu’il réduisit à l’extrémité.

(1) Ce paragraphe, de même que le précédent, figure dans la Biblio-
teca (il, 34). Voir aussi sur ces événements Ibn el-Athir, x, 431 du
texte arabe ; Berbères, h, 26 ; Tidjâni, dans le /. As., 1853, i, 380.

(2) Ibn Ktaaldoûn ne parle pas de Meymoûn ben Hamdoùn ; mais
le seul passage où Ibn el-Athir (texte ar., xi, 103 ; Biblioteca, i, 477)
cite ce vizir ne parait pas justifier l’assertion du Bayân.

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v #\-

— 465 —

En 520 (2G janvier 112G), les troupes coalisées des
musulmans d’Espagne marchèrent contre l’ennemi de
Dieu Ibn Rodmir, qui depuis des années faisait subir
aux fidèles toute espèce de maux* 1 ). Il y eut une grande
bataille où les musulmans l’emportèrent d’abord, puis
sur le bruit que Temîm P) s’enfuyait pour échapper à la
mort, les musulmans se débandèrent et furent massa-
crés par la cavalerie chrétienne, qui prit leur camp et ce
qu’il renfermait. Temîm regagna Grenade, et les cava-
liers ennemis, s’élançant dans toutes les directions,
égorgèrent à leur gré les fuyards éperdus. Ceux-ci ne
trouvèrent un refuge que dans les forteresses existant
à proximité, [P. 320] où Dieu les mit à l’abri de la fureur
des vainqueurs.

En 521 (16 janvier 1127), d’autres disent en 520 (26 jan-
vier 1126), AbotVl-Welid ben Rochd se rendit à Merrâ-
kech pour traiter des affaires (d’Espagne) avec r Ali ben
Yoùsof ( 3 ). Temîm fut révoqué [et éloigné] de Grenade.

En 522 (5 janvier 1128), sur le conseil donné par Ibn
Rochd, c Ali. ben Yoûsof fit élever les murailles de Mer-
ràkech, pour lesquelles il dépensa soixante- dix mille
dinars.

(1) Voir Ibn el-Athîr (texte ar., x, 444). Il s’agit de l’expédition
d’Alphonse le Batailleur, roi d’Aragon, dont on trouve la relation
dans les Recherches deDozy, 3 e éd., i, 348. Merràkechi y a aussi fait
allusion, p. 153 de ma traduction. La bataille d’Arnisol est du 13
çafar 520 (9 mars 1126).

(2) C’est-à-dire Aboû’t-Tàhir Temim ben Yoûsof, gouverneur d’Es-
pagne (Dozy, l. Z., 355).

(3) Son voyage était causé par le désir de renseigner l’Almoravide
•Ali ben Yoùsof sur la situation de la Péninsule ; le départ du savant
eut lieu le 3 rebi’ I ou 30 mars 520 {dito> p. 362).

30

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.c’^y&WF

v*H

– \m –

En la même année, le prince de Bougie El-‘AzizH) bil-
làli ben BU-Mançoùr envoya contre Mehdiyya une armée
à la tête de laquelle il plaça Ibn el-Mohalleb, qui vint
camper sous les murs de la ville, mais qui ensuite se
retira.

Mot’arrif ben c Ali ben H’amdoûnl?) Zenâti arriva à
Tunis, d’où il chassa Ah’med ben c Abd el-^Aziz ben c Abd
el-H’akV ben Khorâsân, qui se retira au Hedjâz et qui
y mourut la même année, ainsi qu’il sera dit Ce fut
Kerâma ben El-Mançoùr Ganhâdji qui, cette année-là,
prit le gouvernement de Tunis au nom du prince de
Bougie.

En 523(24 décembre 1128), H’asan ben c Ali continua
de rester éi^iir dlfrik’iyya, comme Tannée précédente,
tandis que Yah’ya ben El- c Aziz billâh continua de rester
prince de Bougie, avec Meymoûn ben H’amdoûn comme
vizir.

En 524 (14 décembre 1129), El-Amir, qui régnait en*
Egypte et qui était un homme violent et entêté, fut tué
par H’irz el-Moloûk, l’un de ses gardes, qui avait accaparé
toutes les prérogatives du vizirat. Le défunt avait désigné
f Abd el-Medjid comme héritier présomptifs.

(1) Il faut lire Yaliya ben el-*Aziz, puisqu’El -‘Aziz était mort en
515. C’est d’ailleurs ainsi qu’Ibn Khaldoûn {Berb., n, 27) nomme le
prince de Bougie qui expédia à une date indéterminée, mais posté-
rieurement à la première campagne de Roger contre Mehdiyya, des
troupes de terre et de mer contre cette dernière ville. Ibn el-Athir
(xi, 19, du texte arabe) ne parle que d’une seule expédition de Yah’ya,
en 529 ; il semble que les détails qu’il donne s’appliquent à celle de 522.

(2) Le texte lit Khazroûn, que j’ai corrigé en Hamdoûn {Berbères,
il, 27, 30 et 57 ; Ibn el-Athir, xi, 19 du texte arabe ; infrà p. 475.

(3) Nous avons déjà vu p. 431 que notre auteur attribue l’assassinat
d’El-Amir à H’irz el-Moloûk, ce qui est en opposition avec le récit
du Khitat ; la version de ce dernier ouvrage concorde avec celle d’El-

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– i<)7 –

, « En 527 (11 novembre 1132) <*>, dit El-\Varràk* dans son
MiWbâs, Dieu suscita un groupe d’hommes qui se conju-
rèrent pour tuer l’impie tyran El-Amir, qui régnait en
Egypte. On dit que, décidés à sacrifier leur vie, ils ^arri-
vèrent à cet effet de Syrie au nombre de dix et que, ins-
tallés à Miçr, ils surent la date à laquelle le prince devait
sortir à cheval. Or, chaque fois qu’une de ces sorties
avait lieu, toutes les boutiques et maisons du parcours
étaient fermées, et nul ne passait que le prince : ia moi-
tié de ses troupes le précédait, l’autre moitié le suivait,
et à égale distance entre le prince et chacune de ces
deux moitiés chevauchaient deux cavaliers, tandis que
lui-même s’avançait entouré de quatre esclaves noirs.
Gomme il se trouvait un four situé sur la route qu’il
devait parcourir, les conjurés portèrent de la farine au
patron de ce four en lui disant que, étrangers et prêts h
partir, ils lui demandaient de faire cuire cette farine. Le
boulanger s’excusa d’abord, [P. 321] en alléguant le pas-
sage du sultan, puis se laissa séduire par leurs offres à
condition qu’ils fissent vite. On détourna son attention
en causant avec lui, mais quand la tête de la première
moitié vint à passer, il insista violemment pour qu’ils
sortissent. Alors ses clients le rejetèrent à l’intérieur en
le bâillonnant avec ses propres vêtements, puis poussè-
rent la porte jusqu’à ce qu’on entendit le bruit des sabots

Warràk, mais donne la date du 4 (ou du 14) dhoùl-kada 524. Makrizi
n’émet pas contre El-Amir des appréciations aussi rigoureuses que
celles de notre texte. C’est l’équivalent de ces dernières que Ton
retrouve dans les Nouvelles recherches sur les Ismaéliens de M. De-
frémery, qui ne connaissait pas alors le récit du Bayân (J. As., 1854,
I, 415).

(1) Le Mik’hâs est, à ma connaissance, le seul ouvrage qui donne
cette date de 527. Sur cette chronique, voir p. 377, n. 2.

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:: ^^ms^

– 468 –

du cheval [que montait le prince] : alors un vieillard de
la bande, sortant le premier, se jeta le front contre terre
en criant : a Nous recourons à Dieu et à la justice de Notre
Seigneur! » Quand ses prosternations toujours renouve-
lées l’eurent suffisamment rapproché, il saisit les rênes
du cheval et, sortant son poignard, il le frappa au poi-
trail. L’animal tomba, et les autres conjurés se précipi-
tant poignardèrent le prince jusqu’à ce qu’il mourût,
mais eux-mêmes furent sur le champ massacrés. C’e^t
ainsi que Dieu délivra le monde de ce tyran impie, le
plus chaud soutien des injustes, le meilleur suppôt de
l’enfer, car il fit goûter les plaisirs qui y mènent et per-
mit fout ce qui est défendu en se livrant publiquement
aux plaisirs et à d’autres infamies pour lesquelles je de-
mande à Dieu de maudire les Chiites GbeyditesW. »

En 528 (31 octobre 1133), les gouverneurs d’Ifrîk’iyya
restèrent les mêmes que l’année précédente.

En 529 (21 octobre 1134), les Almohades annoncèrent
la mort du Mahdi et donnèrent à c Abd el-Mou’min le
titre de Prince des croyants < 2 ).

En la même année, c Abd el-H’ak’k’ ben c Abd Allah ben
Ma c îcha devint kûdi de Fez; il fît jeter le vin dans les
rues, briser les tonneaux qui le contenaient et sévit très
durement contre ceux qui s’y adonnaient. Il fit agrandir
la. grande mosquée, et les travaux entrepris à cet effet
furent terminés à la fin de l’année W.

(1) Autant qu’on en peut juger par ce que dit Makrizi, ces impré-
cations sont presque exclusivement l’expression d’une ardente ortho-
doxie.

(2) C’est à l’année 524 qu’on fait ordinairement remonter l’avène-
ment d’*Abd el-Mou’min (Merràkechi, trad. fr., 168 n.),

(3) D’après le Kartâs (texte, pp. 33 et 34), ces travaux furent com-

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– 469 –

En 530 (10 octobre 1135), c Ali ben H’ammoûd, qui était
au service cki prince de Bougie [Yahya ben] El- c Azîz ben
El-Mançoûr, arriva sous les murs de Mehdiyya avec des
troupes et de l’argent destiné aux Arabes ; il établit son
camp en dehors de Zawila et attaqua par mer aussi bien
que par terre. Le prince de Mehdiyya fit sortir du port
sa flotte, qui prit aux ennemis deux corvettes (w^) dont
les chefs furent jetés en prison. Puis, les Arabes étant
arrivés au secours de Mehdiyya, l’armée de Bougie se
retira au bout de soixante-dix jours. El-H’asan ben c AIi
donna Tordre d’exécuter les capitaines des deux bâti-
ments qu’on avait pris, mais cela ne se fît sous ses pro-
pres yeux que pour un seul, l’autre étant mort des suites
de ses blessures (*).

[P. 322] En cette année, une flotte envoyée par Roger
de Sicile attaqua. File de Djerba, qu’elle conquit et dont
elle fit les habitants prisonniers^).

En 532 (18 septembre 1137), mourut c Abd el-Medjid,
prince d’Egypte ; à propos du choix de son successeur,
il arriva aux Chiites une affaire étrange qui sera racon-
tée en son lieu( :j ).

En 536 (5 août 1141), moururent Aboû c Abd Allah Mâ-
zeri et Aboû’ ç-Çalt (*).

mencés en 528 par le kàdi Aboû ‘Abd Allah Mohammed ben Dàwoùd
et terminés par *Abd el-Hakk.

(1) Cl. Ibn el-Athir (xi, 19 du texte ar.). J’ai, comme plus haut, dû
compléter le texte en ce qui concerne le nom du prince de Bougie.

(2) Cet alinéa figure dans la Biblioteca {u, 37). C’est en 529 qu’eut
lieu cette conquête d’après Ibn el-Athir (xi, 20 du texte ar.).

(3) Cette allusion se rapporte, je crois, à l’accession d n Abbàs ben
Aboû’l-Fotoûh au vizirat (Wûstenfeld, G. d. Fatim. Ch., 313).

(4) Moh’ammed ben * Ali ben ‘Omar Temimi Màzeri est le célèbre
juriste malèkite auquel Sidi Khalil se réfère souvent dans son Mokk-

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— 470 –

Eu la même année, le prince de Mehdiyya s’empara,
dans les circonstances qui suivent, du bâtiment cons-
truit par le prince de Bougie et envoyé avec des pré-
sents au khalife d’Egypte. Il y avait à Alexandrie un
bâtiment appartenant à El-H’asan ben c Ali et auquel
le chef du port refusa la sortie, à cause du bruit courant
d’une ruplure entre El-H’asan et le khalife d’Egypte et
d’un accord probable entre celui-ci et le prince de
Bougie. Ce navire fut donc retenu lors du départ de tous
les autres, parmi lesquels celui de Bougie, qui emportait
des marchandises de grande valeur appartenant à des
marchands, ainsi que des cadeaux destinés au prince de
cette ville. El-H’asan prit alors les mesures nécessaires,
s’empara du bateau en question et le fit décharger. Ce
bâtiment resta ainsi allégé jusqu’au moment où il fut mis
en pièces par une tempête survenue en«octobre.

La même année Djordji (Georges), parti de Sicile à la
tête de vingt-cinq corvettes (^Jf), dirigea une attaque
contre le port de Mehdiyya, où il prit tous les bateaux
qui y étaient amarrés, et, entre autres, un bâtiment neuf
construit avec les matériaux provenant de celui qui,
arrivé d’Egypte, avait été brisé par la tempête.

En 537 (26 juillet 1142), la flotlede Sicile dirigea contre
Tripoli une attaque où Dieu déçut ses espérances. <

taçar, voir sur lui les mss 851 d’Alger, f. 33 ; 2103 de Paris, f. 35 v°,
et 5032 ici. y f. 118 v°. La liste de ses ouvrages est donnée dans le,
ms 2106 de Paris, f. 232.

Aboû’ç-Çalt Omeiyya ben ‘Abd el-‘Aziz ben Aboù\:-(jalt Andalosi
est un poète et polygraphe souvent cité (Ibn Khallikàn, i, 228; iv,
99; Hadji-Khalfa, n° 7802 de l’index). Ni l’un ni l’autre de ces deux
auteurs, qui le font~mourir en 529, ne rappellent cependant sa chro-
nique, oit ont puisé notre auteur et Ibn Khaldoùn (cf. Berbères, n,
36, et BiUioteca, n, 469 et 483).

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– 471 –

En 538 (15 juillet 1143), elle attaqua Sfax, qui [fut con-
quise et] passa ainsi sous la domination de Roger de
SicileW.

En 543 (21 mai 1148), les chrétiens s’emparèrent de
Mehdiyya, que quitta le prince qui y régnait, El-H’asan
beù e Ali ben Yah’ya ben Temim ben el-Mo c izz ben Bàdis
ben el-Mançoûr ben Bologgîn ben Ziri ben Mennâd
ben Mank’oûch Çanhâdji, avec ses serviteurs et tout ce
qu’il possédait, et que suivirent dans sa fuite les habi-
tants et leurs familles. Le général de Roger de Sicile
était Djordji ben Mikhâ’il Antâki, dont le père était un
renégat appartenant [P. 323J à Temim [arrière-grand’]-
père d’El-H’asan; ce maudit connaissait bien les points
faibles de Mehdiyya et d’ailleurs, et d’accord avec son
maître Roger, ils combinèrent si bien leurs ruses qu’ils
finirent par se rendre maîtres de la ville en la dite année
543( 2 ). Cette déplorable affaire est connue sous le nom de
Catastrophe du lundi. Mebdiyya ne sortit des mains
des chrétiens que par la conquête qu’en firent les Almo-
hades, ce que je raconterai dans le règne de ceux-ci.

Lors de la conquête chrétienne, la disette sévissait en
Ifrik’iyya et les habitants de Tunis avaient des craintes
à cause des chrétiens habitant le littoral. Le prince de
Sicile avait en effet conquis Sfax et était entré à Bône,
dont il réduisit les habitants en esclavage. Les Tunisiens,
en conséquence, se mirent à faire des approvisionne-

(1) Cet alinéa et les deux précédents figurent dans la Biblioteca
(ii, 37). lbn el-Athir parle en outre d’expéditions des chrétiens contre
Brechk, Kerkenua, Tripoli etGanès, en 539, 540, 541 et 542, xi, 68, 70
et 79 du texte ar. ; cf. Berbères, m, 268 ; Tidjàni, J. As., 1853, i, 385.

(2) Sur cette conquête de Mehdiyya, voir lbn el-Athir, xi, 82 du
texte ar. ; Berbères, n, 27: Tidjàni, J. As., 1853, i, 385.

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ments et des préparatifs de guerre; ils montaient régu-
lièrement la garde auprès de la Porte de la mer, sous
les yeux du gouverneur de la ville, Ma c add ben el-
Mançoûr, qui se tenait dans le bureau (<j|^) près de la
Porte. Un jour qu’ils étaient dehors pour faire leur
tournée, ils trouvèrent une barque en train d’opérer
un chargement de blé. La foule trouva mauvais que Ton
expédiât du blé par ce temps difficile dans des lieux
soumis à la domination chrétienne, et fut d’accord pour
l’empêcher. Un tumulte se produisit, des clameurs s’éle-
vèrent, et comme des hommes de Ma c add ben el-Man-
çoûr voulaient mettre le holà, on les attaqua à main
armée, eux aussi bien que les esclaves noirs de Ma c add,
et on en fit un carnage terrible, puis on mit le feu à la
tour du bureau. Ma’add alors en sortit et se remit lui-
même entre les mains de la foule ; mais celle-ci, sans le
toucher, enlevait ses soldats et ses esclaves de dessous
les pieds de son cheval pour les massacrer. Alors
Ma c add, resté à Tunis au pouvoir de la populace, écrivit
à Bougie, d’où une corvette, vint le prendre, lui et ses fils,
et l’emmena dans cette ville. La direction de Tunis fut
exercée pendant peu de temps par un officier desÇanhâ-
dja, qui ensuite se retira, et la ville tomba aux mains de
la foule. Alors eurent lieu les désordres bien connus
chez eux et les combats que se livrèrent les habitants de
la Porte es-Soweyk’a et ceux de la Porte el-Djezira.
Celui qui alors les administrait était leur kàdi Aboû
Moh’ammed c Abd el-Mon r im, fils de l’imâm Aboù’l-
H’asan. Mais comme ils avaient de plus en plus peur
tant du prince de Sicile que de [P. 324] celui de Bougie,
dont ils avaient appris que la colère se traduisait par des
préparatifs de guerre contre eux, ils songèrent, avec

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– 473 –

l’aveu de leur kàdi, à prendre comme roi Moh’ammed W .
benZiyâd c Arabie). Leur résolution était arrêtée, le kàdi
et les cheykhs étaient déjà partis à la rencontre d’Ibn
Ziyàd, qui approchait, quanjl un homme du peuple poussa
le cri : a Ni Arabe ni Ghozz comme chef ! » Il s’ensuivit un
tumulte, et Ibn Ziyâd retourna à El-K’al c a< 3 ); il y fut
accompagné par le kàdi, qui avait tout d’abord voulu
rentrer dans la ville, mais qui en fut empêché par la
foule. Ce kàdi s’installa à El-K’al c a, où il mourut long-
temps après. Les uns disent qu’il tomba d’une fenêtre
d’un logement de garçon (Ja) auprès de laquelle il
dormait pendant l’été, d’autres prétendent qu’il en fut
précipité. A Tunis^ la foule députa alors à Aboû Békr
ben Ismâ’il ben c Abd el-H’ak’k’ ben Khorâsân, qui entra
à Tunis de nuit, hissé sur les murailles dans un panier.
Au bout de sept mois environ de gouvernement, il y fut
l’objet d’un guet-apens de la part d’ c Abd Allah, fils de
son frère c Abd el- f Aziz, ainsi que nous le dirons.

Le nom des Benoû Khorâsân venant d’être prononcé,
je vais dire d’affilée ce qui les concerne, eux et les autres
chefs de cette ville, jusqu’à la conquête Almohade.

(1) Je crois qu’il faut lire MolCris, nom du chef des Benoù ‘Ali cité
plus d’une fois à cette époque [Berbères, n, 31 ; Tidjàni, J. As., 1853,
I, 386).

(2) Tout ce commeucemeut du chapitre qui a trait à Tannée 543
ligure dans la Biblioîeca (n, 37).

(3) Si Ton corrige Moh’ammed ben Ziyàd en Mohriz ben Ziyàd, il
faudra également lire ici El-Mo^llak’a (ou Malga), lieu près de
Tunis (Tidjàni, l. I. 386; Berbères, n, 31). On ne comprend guère
qu’il soit ici question d’El-K’al’a, qui appartenait alors à Yahya ben
el-‘Aziz.

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– 474 —

Emirs qui régnèrent à Tunis postérieurement à la chute d’El-
Mo’izz ben Bâdis.

Quand El-Mo c izz, abandonnant K’ayrawàn et Mançoû-
riyya aux Arabes, se transporta à Mehdiyya, et que son
royaume succomba par suite des désordres soulevés par
les Arabes venus d’Orient, ainsi qu’il a été dit, ceux-ci
s’emparèrent d’un grand nombre des principaux centres
d’Ifrîk’iyya ; il y en eut qui assiégèrent Tunis ainsi que
d’autres villes voisines, telles que Bâdja, Laribus et au-
tres. Les Benoû H’ammâd, dont les convoitises s’étaient
déjà portées du côté de l’Ifrik’iyya, restèrent maîtres
pendant quelque temps du canton de K’ayrawàn, grâce à
leur connivence avec les Arabes et aux libéralités qu’ils
leur faisaient. L’autorité d’El-Mo c izz cessa donc de se
faire sentir à Tunis et ailleurs, et cette dynastie fut im-
puissante à protéger Mehdiyya. Les chefs de cette ville
allèrent en conséquence trouver En-Nàçir ben Ghilnàs,
qui était alors à El-K’al c a, [P. 325] siège et capitale de
la dynastie (h’ammâdite), pour lui demander de s’occu-
per de leur ville et d’y nommer un gouverneur qui le
représentât. Il leur répondit de choisir parmi eux ufi
cheykh qui dirigeât leurs affaires, lui-même se bornant
li y garder la haute main. On dit qu’ils cherchèrent donc
à nommer un des principaux d’entre eux, lequel déclina
cette responsabilité. Ce fut alors c Abd el-H’ak’k’ ben
c Abd el- c Aziz ben Khorâsàn qui l’administra au nom
d’Kn-Nâçir jusqu’à sa mort, survenue en 488 (10 janvier
1095). Son fils f Abd ei- r Aziz ben f Abd el-H’ak’k’ lui
succéda dans ses fonctions et mourut en 500 (l or septem-
bre 1106). Il fut remplacé par son fils Ahmed ben c Abd
el- c Azîz, qui la gouverna pendant vingt-deux ans,

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— 475 –

période au bout de laquelle il fut chassé et envoyé à
Bougie par Mot’arrif ben c Ali ben H’amdoûnW. Il avait
construit à Tunis le palais dit des Benoû Khoràsân. Sa
dure administration ne fut pas celle d’un cheykh, mais
d’un vrai tyran : il fit exécuter son oncle Ismâ c il ben
c Abd el-H’ak’k’, qui avait plus de titres que lui à
exercer le pouvoir, et Aboû Bekr, fils d’Ismâ c il, crai-
gnant de subir le même sort, s’enfuit pour aller vivre à
Benzert ; il exila de nombreux habitants et cheykhs
tunisiens à Mehdiyya et ailleurs, et exerça l’autorité la
plus absolue. Quand El-Mançoûr, prince de Bougie, eut
connaissance de ces faits, il envoya un corps de troupes
commandé par Mot’arrif ben c Ali ben H’amdoûn, qui
arriva en 522 (5 janvier 1128) devant Tunis. Ah’med en
sortit et se livra lui-même à Mot’arrif, qui l’envoya à
Bougie.

Kerâma ben el-Mançoûr, des Benoù H’arnmâd, gou-
verna alors Tunis jusqu’à sa mort, survenue en 500 et
tant ( 2 ). Son frère Aboû’l-Fotoûh’ ben el-Mançoûr la gou-
verna -ensuite jusqu’à sa mort. Il eut pour successeur
Moh’ammed ben Aboû’l-Fotoûh’, que ses procédés peu
satisfaisants firent chasser, et qui fut remplacé par
Ma c add ben El-Mançoûr, le dernier d’entre eux, jusqu’en
543 (21 mai 1148), où les chrétiens conquirent Mehdiyya.
La population tunisienne, qui avait peur de ceux-ci, s’in-
surgea contre Ma c add, comme on l’a vu, et cette émeute

(1) Sur ce nom, voir ce qui a été dit suprà, p. 466 n.2. Les événe-
ments dont il est ici parlé sont également racontés par Ibn Khaldoùn
{Berbères y n, 29).

(2) Ibn Khaldoùu ne lixe pas non plus cette date.

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– 476 –

donna lieu à Téchauffourée bien connue (*). Une députa –
tion fut alors envoyée à Benzert, et le peuple élut [P. 326]
Aboû Bekr ben Ismâ c il ben c Abd el-H’ak’k’, qui fut au
bout de sept mois victime de la trahison du fils de son
frère c Abd el- c Aziz. On le mit dans une barque, et la mer
rejeta bientôt son cadavre près du fort (k’al c a) d’ibn
Ghaboùs< 2 ) ; selon les uns, il se noya, selon d’autres on le noya. c Abd Allah précité exerça ensuite le pouvoir pen- dant une dizaine d’années. C’est lui qui fit exécuter le kàdi Abou 1-Fad’l Dja c far ben H’ohvân, en même temps que son fils et le fils de sa sœur, Ibn el-Bennàd, parce qu’il craignait qu’ils ne réunissent les Arabes contre lui. C’est de son temps qu ,f Abd el-Mou’min envoya c Abd Allah ben Soleymàn avec quelques vaisseaux de la flotte de Ceuta pour reconnaître Tunis et la force de résistance qu’elle pouvait avoir, ainsi que les Arabes du voisinage; un an plus tard, arriva Aboû Moh’ainmed c Abd Allah ben c Abd el-Mou’min, qui assiégea pendant quelque temps Tunis, où se trouvait c Abd Allah ben Khoràsân, mais ensuite il battit en retraite vers Bougie. Cet événement est de 553 (1 er février 1158). En chawwâl 551 (novembre-décembre 1156) eut lieu la révolte contre les chrétiens à Mehdiyya, où on les assié- gea ( 3 >.

En 552 (12 février 1157), les chrétiens conquirent Za-
wila.

En 554 (22 janvier 1159), c Abd el-Mou’min pénétra pour

(1) Echauffourée dont il a été question p. 472 ; le récit des Berbères
(il, 31) u’est pas entièrement identique au nôtre.

(2) Lisez probablement K’al’at Ibn Ghannoûch {Berbères, n, 42).

(3) Un récit plus détaillé nous est fourni par Ibn el-Athir (xi, 134,
du texte arabe).

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– 477 –

la seconde fois en If rik’iyya ; il commença le siège de
Tunis, qu’il abandonna ensuite, et assiégea les chrétiens
àMehdiyya.

En 555 (11 janvier 1160), Aboû Mohammed e Abd el-
Mou’min pénétra à Mehdiyya par composition ; ce fut le
10 moharrem (20 janvier) que les Almohades devinrent
maîtres de cette ville ( f ).

En 558 (9 décembre 1162), eut lieu la grande affaire du
samedi, c’est-à dire que les chrétiens arrivèrent à Meh-
diyya ; ils prirent aussi Sousse, qu’ils évacuèrent en-
suite.

En 573 (29 juin 1177), eut lieu la grande affaire du ven-
dredi ou descente des chrétiens à Mehdiyya; mais en
rebi c II Ibn c Abd el-Kerim la reprit par trahison.

Le Mayorcain Yah’ya ben Ghâniya entra dans cette
ville en cha c bàn 578(29 novembre-27 décembre 11 82) (2) et
y resta avec ses partisans les Lemtoûna et les Mesoùfa ;
c’est de là que partaient les expéditions qui le rendirent
maître d’une partie de rifrikiyya. Mais Aboû c Abd Allah

(1) Sur le siège de Mehih’yya, voir Ibn el-Athir Ui, 160 du. texte
arabe ; Merràkechi, irad. p. 196 ; Tidjàni, {. h 397 ; Zerkechi, p. 12 de
la trad. ; H. des Berbères, n, 29 et 193 ; Kartâs, p. 129 du texte
arabe. Le second de ces auteurs semble en placer la prise sous
Tannée 554 ; comparez aussi le Kartâs.

(2) Ces dernières lignes, ainsi que les cinq alinéas qui précèdent,
se retrouvent dans la Biblioteca, n, 40. Après avoir conquis Mehdiyya,
‘ Abd el-Mou’min en confia le gouvernement à Moh’ammed ben Faradj
Koûmi, qu’il donna comme mentor à H’asan ben ‘Ali, ancien chef
de cette ville. Sous le règne d’EI-Mançoùr Aboû Yoûsof, second suc-
cesseur dn fondateur de l’empire almohade, Moh’ammed ben ‘Abd
el-Kerim Redjràdji se déclara indépendant dans cette ville, en 595 ;
mais il y fut assiégé et pris en 597 par Yahya ben Ghaniya. Moh’am-
med en-Nàçir TAlmohade enleva Mehdiyya à ce dernier le 27 djomà-
da I 602. Tel est le récit de Tidjâni {l. L 401, suivi par Ibn Khaldoùn,
Berbères, n, 97) ; Cf. Zerkechi, trad. p. 21.

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– 478 –

en-Nâçir pénétra dans cette ville à la tête des Almohades
en djomâda I 602 (comm. 13 décembre 1205).

[P. 317] Emirs et gouverneurs dlfrîk’iyya sous les Omeyyades.
[et postérieurement] (*).

c Ok’ba ben Nâfi e [49 Hég.] ;
AboiVl-Mohâdjir [55 H.];
c Okba, pour la seconde fois, [02] ;
Zoheyr ben K’ays [67] ;
H assân ben en-No e màn Ghassâni [69] ;
Moûsa ben Noçayr[79?] ;
Moh’ammed ben Yezid [97] ;

Ismâ r il ben f Abd Allah [ben Abou 1-Mohâdjir, 100] ;
Yezid ben Aboù Moslim Thâkefi [101] ;
Moh’ammed ben Aws Aneàri [102] ;
Bichr ben Çaîwân [103] ;
c Obeyda ben c Abd er-Rah’inan Solami [110] ;
e Obeyd Allah ben el-H’abhïib [116] ;
Kolthoûm ben e Iyâd’ [123] ;
H’anz’ala ben Çafwân [121] ;
c Abd er-Rah’mân ben H’abib Korachi [127];
Elyâs ben H’abîb [137] ;
H’abib ben f Abd er-Rah’màn [138] ;
Tels sont les dix-huit gouverneurs nommés par les
Omeyyades.
Les gouverneurs Çof rites, qui furent :
e Açim Warfeddjoumi [139] ;

(1) Dans ces listes j’ai ajouté la date de l’arrivée au pouvoir de
chaque prince ou gouverneur, d’après le Bayàn etlbn el-Athir. Voir
aussi les listes dressées par M. de Slane, intr. de 17/. des Berb.

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*- 479 –

e Abd el-Melik ben Aboû’l-Dja’di [140], eurent Une
durée d’un an et deux mois.

Le gouverneur Ibâdite Aboù’l-KhatTâb c Abd el-A c la
ben es-Samh’, affranchi d’El-Ma c âfir [141J, resta pendant
deux ans.

Les gouverneurs Abbassides furent :

Mbtv atnmed ben el-Ach c ath Khozà c i [143] ;

c Isa ben Yoûsof Kaysi (0 [148] ;

El-Aghlab ben Sâlim Temîmi [148] ;

El-H’asan ben H’arb Kindi [149] ;

El-Aghlab ben Sâlim, pour la seconde fois [150] ;

e Omar< 2 > ben H’afç Mohallebi [151] ;

Yezîd ben H’âtim Mohallebi [154] ;

Dàwoûd ben Yezid [170] ;

Rawh’ ben H’àtim [171] ;

Naçrben Habib [174];

El-Fad’l ben Rawh’ ben H’âtim [177] ;

Harthema ben A c yan [179] ;

Moh’ammed ben Mok’àtil c Akki [181] ;

Temmâm ben Temîm Temîmi [183] ;

Moh’ammecl ben Mok’àtil, pour la seconde fois, [181].

[P. 328] Les Aghlabides sont les suivants :

Ibrahim ben el-Aghlab [184] ;

c Abd AHàh ben Ibrahim ben el-Aghlab [196] ;

[Ziyâdet Allah I, fils d’Ibrahim, 201] ;

El-Aghlab ben Ibrahim ben el-Aghlab [223];

Moh’ammed ben el-Aghlab ben Ibrahim [226] ;

(1) Nous avons vu plus haut (p. 83) le nom de ce personnage sous
la forme *I c a ben Moûsa Khoràsàni.

(2) L’orthographe ‘Omar paraît être la plus usuelle ; on a vu ce
nom sous la forme ‘Amr, ci-dessus, p. 85 et s.

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* ™ïl

– 480 –

Ah’med ben Moh’ammed ben el-Aghlab ben Ibrâhîm
[242] ;

Ziyâdet Allah (II) ben Moh’ammed ben el-Aghlab ben
Ibrahim [249] ;

Moh’ammed ben Ahmed ben Moh’ammed. ben el-
Aghlab ben Ibrâhîm [250];

Ibrahim ben Ah’med ben Moh’ammed ben el-Aghlab
ben Ibrahim [261] ;

[Aboû’ MAbbâs] c Abd Allah ben Ibrahim ben Ah’med
ben Moh’ammed ben el-Aghlab ben Ibrahim ben el-
Aghlab [289] ;

[Ziyâdet Allah III ben f Abd Allah, 290] ;
avec qui finit la dynastie Aghlabide en Ifrik’iyya en ‘296.

Les Chi c ites Obeydites sont :

Aboû c Abd Allah, le missionnaire ;

c Obeyd Allah le Mahdi, de qui descendent les Obeydi-
tes d’Egypte [296] ; v

Son iils Aboul-K asim ben c Obeyd Allah [322] ;

Ismâ c ii ben Aboû’l-K’âsirn [334], fils du précédent ;

[Et El-Mo f izz Ma c add, 344] qui régna en Egypte, où il
se rendit vers la fin de sa vie.

Les Çanhâdja relevant des Obeydites et nommés par
eux furent :

Bologgin ben Ziri [361] ; t

El-Mançoûr ben Bologgin [374] ;

Bâdis ben el-Mançoûr [386] ;

El-Mo c izz ben Bâdis [406] ;

Temim ben el-Mo c izz [454] ;

Yah’yja ben Temim [501] ;

c Ali ben Yah’ya [509] ;

Et enfin El-H’asan ben c Ali [515],sousle gouvernement
de qui les chrétiens entrèrent en Ifrik’iyya.

DEUXIÈME PARTIE

Description de l’Espagne ; sa prééminence.

[P. 2] Ce pays est une presqu’île de forme triangulaire
ou à peu près : un angle se trouve à la colonne (*) dé
Cadix, le second en Galice sur la même ligne que nie de
Bretagne (Bertàniya), là où se trouve une colonne sembla-
ble à celle de Cadix ; le troisième est à l’Est entre les
villes d’Arboûna (Narbonne) et de Bordhil (Bordeaux),
au point où l’Océan occidental se rapproche de la partie
syrienne de la Méditerranée et où Ton pourrait dire en
quelque sorte que Ges deux mers se réunissent. L’Espa-
gne serait donc une île si elle n’était rattachée à la Grande
Terre par son dernier côté sur une longueur d’une pleine
journée de marche ( 2 ); c’est là que se trouve le passage
appelé El’AbwâbW. Ce pays est donc entouré [presque

(1) On dit qu’il existe six colonnes en pierre, chacune haute de
cent coudées et surmontée d’une statue en cuivre : deux se trouvent
dans les lies Fortunées, une troisième à Cadix (Edrisi, éd. Dozy-de
Goeje, p. i ; Makkari, i, 85 ; Reinaud, intr. à la Géogr. d’Aboulféda,
255 ; cf. Dozy, Recherches, n, 328).

(2) 11 serait plus exact de dire cinq journées, ainsi que Ta écrit
Edrisi, p. 197.

(3) C’est à dire les Portes ou Ports, puerto en espagnol ; cf. Aboul-
féda, trad. fr., t. n, p. 36, n. 6. Quant à la description de la forme
de l’Espagne, cf. ibid., pp. 37 et 234 ; Edrisi, p. 197; Makkari, î, 81
et s., et ce que dit Orose, in Historias de Al-Andalus por F. Fernandez-
Gonzalez, p. 6, n. 1.

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de toutes parts par la mer : l’Océan occidental et la Médi r
terranée méridionale, qui remonte aussi quelque peu à
l’Est; les limites orientale, occidentale et, en partie, sep-
tentrionale, sont formées par l’Océan, une partie des limi-
tes méridionales et orientales Test par la Méditerranée,
car celle ci est au centre de toute la terre. On dit [que ce
pays est à l’extrémité du quatrième W] des sept climats.
On prétend que le peuple qui s’y établit d’abord, après
le déluge, était les Andaloch, [P. 3] d’où le pays fut
nommé « Atidalos » < 2 ). On dit aussi qu’ils étaient mages (madjoûs) et que Dieu, voulant Les forcer à s’en aller, empêcha la pluie de tomber dans ce pays, si bien que les bassins, les sources et les rivières restèrent à sec, de telle sorte que ce peuple se retira et se dispersa. Ce pays, de la frontière de France (Efrendja) à la mer, resta cent ans inhabité, et reçut ensuite des Africains (Afârika), expul- sés par le prince d’Ifrîk’iyya par suite d’une famine qui désolait cette province. Les nouveau-venus retrouvèrent de l’eau dans les rivières et occupèrent le pays pendant cent cinquante ans environ, sous onze princes qui rési- daient à T’àlik’a( 3 ). Ils furent ensuite vaincus et supplan- tés par les Echbâniyya, dont le nom fut donné à Ichbî- liyya (Séville), qu’ils bâtirent et où ils habitèrent, tandis que Tàlik’a tomba en ruines. Les barbares de Rome les attaquèrent et restèrent les maîtres jusqu’au jour où (1) Les crochets indiquent une laeun.e que j’ai tenté de combler d’après Makkari (i, 90, 1. 3). (2) Le nom d’Andalos, encore subsistant sous la forme Andalousie, désignait l’Espagne musulmane, et paraît se rattacher au nom des Vandales (Aboulféda, n, 234 n. ; Dozy, Recherches, 3 e éd., i, 301). (3)’Ibn el-Athîr parle aussi de cette localité (Annales du Maghreb, p. 37), de même que Makkari (i, 86), qui donne des détails sur cette période mythique. Digitized by Googk – fr- eux-mêmes furent assaillis par les Bechterlîkât (*>. Anté-
rieurement s’était produite la mission du Messie, l’envoi
des apôtres en tous lieux, la prédication et les succès de
la religion chrétienne. Alors eut lieu l’invasion des Bech-
terlîkât, qui venaient de Rome et étaient maîtres de la
France, où ils envoyaient des gouverneurs. Mérida était
[en Espagne] leur capitale, et vingt-sept de leurs rois s’y
succédèrent.

Ensuite surgit à Séville un pauvre cultivateur nommé
Echbân. Un jour qu’il cultivait la terre, Khiz’r vint se
mettre à côté de lui et lui dit : « Quand tu auras vaincu
Iliyà, sois bon pour les enfants des Prophètes. — Et com-
ment, reprit-il, sera-ce possible, à moi, chétif, et qui ne
suis pas de sang royal ? — Cela, reprit Khiz’r, est décidé
par Celui qui transforme ton bâton comme tu peux le
voir ». Et, en effet, celui-ci était tout verdoyant, ce dont
il resta tout effrayé, et son interlocuteur disparut. Ces
paroles firent impression sur Echbân, qui se mit à agir
sans relâche sur le peuple, si bien que son nom devint
bien connu et qu’il se rendit maître de l’Espagne. Il s’em-
barqua pour Iliyâ, qu’il pilla et ruina ; il y tua cent mille
juifs et en vendit pareil nombre, et les marbres de cette
ville furent ramenés en Espagne. Son expédition eut lieu
après la deuxième année de son règne, qui dura environ
vingt ans. Le nom d’Echbân était, dit-on, Içbahân, parce
que, [P. 4] né dans cette ville, il en aurait pris le nom i’j ;

(1) lbn el-Athtr écrit Bechnoûliyat, (dans Makkari, Bechtoùlikât,
i, 89) et rapporte également la légende qui a trait à Echbân (ibicl.,
37 et 38), et qu’on retrouve dans Makkari (i, 88).

(2) L’origine soi-disant persane d’Echbàn se fonde probablement sur
la ressemblance de ce mot avec celui dlçbahàn ou Isfahan, mais il y
est maintes fois fait allusion, par ex. par Mas’oùdi, Prairies d’or,
I, 369; il, 326; Makkari, i, 86, etc. Cf. Ibn el-Athîr, Annales, p. 35.

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-4-

Dieu est plus savant. Les princes de cette dynastie sont
au nombre de cinquante-cinq.

Les Goths envahirent ensuite l’Espagne, qui fut, par
l’intervention divine, soustraite à l’empire de Rome.
Leurs princes, qui résidaient à Tolède, furent au nombre
de seize, et le dernier fut Loderik, du temps de qui eut
lieu l’invasion musulmane. J’ai trouvé dans un livre
étranger que le dernier roi d-Espagne s’appelait Wakh-
chendech^, qui n’avait pas son pareil dans la Chrétienté
en sagesse ni en connaissance des règles traditionnelles,
et c’est d’après lui [que ses sujets entendaient les pré-
ceptes du Christianisme i*)], c’est à dire les quatre Evan-
giles, sur lesquels ils sont en désaccord et auxquels ils

se réfèrent. Il était On dit que Loderik, celui qui fut

attaqué par les Arabes et les Berbères, se souleva contre
ce Wakhchendech et le tua. Il s’empara de la royauté et
son autorité fut reconnue par Tolède et d’autres villes.
D’après les livres des étrangers, €e Roderik (sic) n’était
pas un prince de sang royal, mais un bâtard, qui était
gouverneur de Cordoue et qui tua le roi après s’être
révolté contre lui. Il changea les règles du gouvernement
et corrompit les coutumes traditionnelles de la royauté ;
il ouvrit le temple qui renfermait le coffre^ et qui

était ; à la mort de chaque roi on y écrivait son nom

et la durée de son règne, et l’on y déposait son diadème.

(1) Khachendech (Ghindaswinde ?) dans Makkari (i, 89).

(2) J’ai ici tenté de compléter et corriger le texte diaprés Makkari
(ib.), à qui Dozy, dans ses Corrections, n’a pas songé à recourir.

(3) La légende relative à l’origine de ce coffre figure dans Makkari
(I, 152 et s.; cf. 157), et dans Ibn Khallikan (m, 479). Sur ce coffre
et son contenu, sur la Table de Salomon, etc., on peut consulter
notamment l’étude détaillée qu’en a faite M. Juan Menendez Pidal,
Leyendas del idtimo rey Godo (in Revista de ctrchivos, 1901 et 1902),

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– 5 –

Les chrétiens lui manifestèrent leur désapprobation [et
offrirent de lui bâtir] une demeure semblable, faite d’or
et d’argent, à condition qu’il ne l’ouvrit pas ; mais, sans

vouloir les écouter, il persista à ouvrir le coffre Il y

trouva, avec les diadèmes des rois, des statues d’Arabes
porteurs d’arcs et enturbannés [sur lesquelles ?] il était
écrit : « Quand cette demeure sera ouverte et qu’on en
tirera ces statues, des gens qui leur ressemblent péné-
treront en Espagne » Quand les Arabes et les Ber-
bères, conduits par Tàrik’, se trouvèrent en Espagne, les
chrétiens l’abandonnèrent et s’enfuirent, si bien qu’il fut
tué. L’invasion de T’àrik’ eut lieu un an après l’acces-
sion au trône de Roderik, qui fut tué par T’ârik’ à Kar-

tâdjenna (Carteya) A son arrivée à Tolède, T’ârik’ y

trouva la table de Salomon [P. 5] ainsi que les statues
équestres des Arabes et des Berbères. Celles-ci furent
placées près du château de Cordoue. Mais, selon d’autres,
les slalues qu’on voit en ce lieu y furent transportées par
c Abd er-Rahmàn ben Mo c âwiya et étaient des talismans
placés par les Arabes dans les mosquées d’Espagne.

En voilà assez pour le moment en ce qui touche la des-
cription de l’Espagne et l’énumération de ses anciens rois.

Les Musulmans pénètrent en Espagne et l’enlèvent aux Infidèles (*).

On raconte de quatre manières différentes l’entrée des
musulmans dans ce pays :

lo Ce furent c Abd Allah ben Nâfi c ben c Abd el-Kays

(1) Sur la conquête de l’Espagne par les Musulmans, voyez Ibn el-
Athir, Annales, p. 43 ; Saavedra, Estudio sobre la invasion, etc. ,
Madrid, 1892 ; et ci-dessous.

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– 6 –

Fihri et c Abd Allah ben el-Haçin Fihri W qui y pénétrèrent
par mer, du temps d’ c Othmân. D’après Tabari, ils y péné-
trèrent par terre et par mer et Dieu leur en fît faire la
conquête, de même que celle de la France; un territoire
égal à celui d’Ifrik’iyya s’ajouta ainsi à l’empire musul-
man. L’Espagne continua de dépendre de l’Ifrik’iyya
jusqu’à l’époque de Hichàm ben c Abd el-Melik. Puis les
Berbères défendirent [et reconquirent] leur pays, et ceux
qui étaient en Espagne restèrent tels quels ( 2 ). Cela se
passait en 27 de l’hégire (6 octobre 647).

2° Moûsa ben Noçayr ( 3 ) la conquit en 91 (8 novembre
709). De cette version, que rapporte aussi Tabari, il
résulte que ce chef passa en personne en Espagne et
qu’il dirigea cette expédition et la conquête ;

3° Tarif y pénétra et la conquit en 91 ;
* 4° Ce fut T’ârik’ qui y pénétra le premier, en 91, et qui
y fut suivi en 92 par Moûsa.

On voit la contradiction qui existe enlre ces quatre
versions : on dit que les deux Fihrites furent les pre-
miers à y entrer, ensuite que ce fut Ibn Noçayr, puis
Tarif et enfin T’ârik’. De là résulterait que les deux Fih-
rites ont, du temps d’ c Othmân, remporté des victoires et
ramassé du butin sur le littoral, et que Tarif, arrivé en
91, y a fait des ravages que l’on a mis sur le compte de
Moûsa ben Noçayr, selon la coutume qui attribue au
chef les actes qu’il a ordonnés : le fait qu’il dépendait

(1) Le nom de ce chef figure aussi dans le Nodjoûm, i, 95 ; cf. Annales
du Maghreb, p. 16.

(2) «. . . e impidieron los berberies las comunicaciones, quedando los
habitantes de Al-Andalus por su estado en condicion superior à la de
ellos» (trad. F. Gonzalez, p. 14).

, (3) Sa biographie figure dans la Hollat, in Notices sur quelques ma-
nuscrits, p. 30; Ibn Khallikan, ni, 475; Dhabbi, n° 1334, etc.

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_ 7 –

de Moûsa le prouve, [P. 6] et alors l’allégation de
Tabari est exacte; à plus forte raison M est-ce prouvé
par le récit de RàzH 2 ). T’ârik’ enfin y pénétra pour en
faire la conquête par lui-même, en 92 (28 octobre 710).

D’après c Arib, l’infidèle Julien, gouverneur d’Algéziras,
entra en relations, en 91, avec Moûsa ben Noçayr, gou-
verneur d’Ifrîk’iyya, par l’intermédiaire de T’àrik’ ben
Ziyâd, qai administrait Tanger et les environs au nom
de Moûsa ( 3 ). Julien lui écrivit pour lui présenter sous le
plus beau jour la conquête de l’Espagne et lui en montrer
la facilité. On dit même qu’il se rendit par mer auprès
de lui, si bien qu’il l’amena à ce projet. Moûsa consulta
Welid ben c Abd el-Melik, ou par lettre ou en personne,
car il y a divergence à ce sujet, et le khalife conseilla de
tenter l’affaire avec quelques escadrons, sans trop expo-
ser les musulmans. Alors Moûsa envoya un berbère,
Aboû Zor c a Tarif, à la tête de 100 cavaliers et de 400
fantassins, qui franchirent sur quatre navires le bras de
mer qui les séparait de l’Espagne et débarquèrent vis à
vis de Tanger, à l’endroit appelé maintenant, à cause de
cela, Djezirat Tarif; de là il poussa des incursions dans
les environs jusqu’à Algéziras, enleva des captifs et un
butin considérable et s’en retourna saki et sauf. Cette
incursion avait été organisée en ramadan 91 (juillet 710).

(1) Je lis ,£jA.b

(2) Sur Aboû Bekr Ahmed ben Mohammed Ràzi, mort vers 344,
et des œuvres de qui il ne nous est parvenu que de faibles fragments,
voir notamment Pons, 1. I., p. 62, et Saavedra, Estudio sobre la
invasion, p. 8.

(3) On discute la question si Julien était Goth, Byzantin ou Berbère ;
voir notamment Dozy, Recherches, i, 57, 3* éd. ; Codera in Revista
de Aragon, mars 1902 et s. ; J. Menendez Pidal in Revista de archivos,
1902, p. 354.

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– 8 –

On est donc, semble-t-il, unanime à reconnaître que
celui qui a fait le plus dans la conquête de l’Espagne est
T’àrik* ben Ziyâd, mais on n’est pas d’accord sur son
origine : la plupart disent que c’est un Berbère de Nefza,
et que, devenu captif, il fut affranchi par Moûsa ben
Noçayr, tandis que d’autres le disent Persan.

D’après Çàlih’ ben AboûÇàlih’d), T’ârik’ était fils de
Ziyàd ben e Abd Allah ben Refhoil ben Ourfeddjoûm ben
Inizghasen ben Oulhàç ben Itewwofet benNefzân^. On
admet aussi sans conteste qu’il administrait le Maghreb
el-Akça au nom de Moûsa avant qu’on se mît à explorer
l’Espagne, et que celui-ci lui laissa les otages livrés par
les Berbères de cette province en 86 (1 janvier 705). Mais
on dit encore que T’ârik’ passa en Espagne [P. 7] en 92
avec les otages berbères.

D’après Ibn el-K’attân @), on dit généralement qu’il
résidait à Tanger ou, selon d’autres, à Sidjilmàssa ; que
Salé et la région par delà, Fez, Tanger et Ceuta, appar-
tenaient aux chrétiens, et qu’à Tanger résidait Julien ;
que Tàrik’ était alors le lieutenant de Moûsa ben Noçayr.
Mais ici encore commence la divergence sur le point de
savoir s’il passa en Espagne d’après l’ordre de Moûsa,
ce qui est l’opinion générale et communément admise,

(1) Je ne trouve d’autre personnage de ce nom que Çàlih ben Àboù
Çàlih Khalaf, juriste et théologien qui avait étudié en Afrique, et
qui mourut en 586 (Tekmila, n° 1223).

(2) Comparez l’orthographe de ces noms dans le 1. 1, p. 37.

(3) Cet auteur, dont le nom est maintes fois cité dans le t. i, et qui
était inconnu à M. de Slane, a composé une chronique intitulée
Nez’m el-Djomân. Ce doit être AboCTl-Hasan ‘Ali beu Mohammed
ben ‘Abd cl-Melik, mort en 628 à Sidjilmàssa, où il était kàdi; (H. des
Berb.y h, 162 ; Tekmila, n° 1920 ; Pons ? Boigues, Ensayo bio-biblio-
grafico, p. 275 ; Dozy, intr. au Bayan, p. 31 ; Notices sur quelques
manuscrits, p. 4).

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— 9 —

ou s’il y fut appelé forcément par quelque incident fortuit.

Ràzi dit, d’après Wàkidi, que Welid ben c Abd el-Melik
nomma Moûsa ben Noçayr gouverneur d’Ifrik’iyya et que
Moûsa fit administrer Tanger par T’àrik’. Celui ci, devenu
voisin de Julien par suite de la proximité d’Algéziras,
s’aboucha avec lui; l’entente se fit entre eux et Julien
promit de le faire, lui et ses troupes, entrer en Espagne.
T’àrik’, qui avait une armée de 12,000 Berbères, se décida
à cette expédition après avoir reçu le consentement de
son patron Ibn Noçayr. Pour transporter ces troupes à
Tinsu des Espagnols, Julien employa les bateaux de com-
merce qui faisaient le cabotage entre les deux côtes, et
que Ton crut transporter des marchands. Tous ces soldats
furent ainsi introduits peu à peu, et T’àrik’, accompagné
de son entourage, partit avec le dernier bataillon pour
aller rejoindre les siens; Julien et ses compagnons, pour
plus de sûreté, restèrent à Algéziras. Le lundi 5 redjeb 92
(27 avril 711), ainsi que cela a été dit, T’ârik’ débarqua
en Espagne près d’une montagne qui porte encore son
nom.

e Isa ben Mohammed (*), l’un des descendants d’Aboû’l-
Mohàdjir, parle, dans son livre, du motif qui amena
T’àrik’ en Espagne : T’ârik’, dit-il, qui gouvernait Tanger
au nom de Moûsa, [P. 8] vit, un jour qu’il était assis,
arriver des navires qui vinrent jeter l’ancre dans le port.
Ses gens allèrent enlever les gouvernails et firent débar-
quer les arrivants, qui déclarèrent venir chercher pro-

(1) J’ai vainement cherché le nom de cet auteur et la mention de
son Jivre. Peut-être s’agit-il de celui, (+403), qui figure dans Pons
(Ensai/o, p. 108, d’après Ylhâta cité par Casiri ; dans le ms de cet
ouvrage existant à Paris, n° 3347, on trouve mentionné un ‘Isa ben
Mohammed ben ‘Isa Omawi Loûchi ; cf. aussi Ibn el-Faradhi, n° 987).

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– 10 –

tection. T’ârik’ demanda à leur chef Julien le motif de sa
venue : « Mon père, répondit-il, est mort; un patrice,
nommé Loderîk, a dirigé ses attaques contre notre roi et
notre royaume, et m’a couvert de mépris et d’humilia-
tion. J’ai entendu parler de vous, et je viens vous appe-
ler en Espagne, où je vous servirai de guide. » T’ârik’,
ayant consenti, réunit les Berbères au nombre de 12,000,
et Julien les emmena petit à petit, ainsi qu’il a été dit.

On explique encore les choses comme ceci : Tanger,
Ceuta, Algéziras et cette région appartenaient au roi
d’Espagne, de même que presque tout le littoral du Ma-
roc septentrional (el~ c adwa) et du voisinage était aux
mains des Roûm. C’étaient eux qui y habitaient, car les
Berbères n’aiment pas habiter les villes ni les bourgades
et ne recherchent que les montagnes et les campagnes, à
cause de leurs chameaux et de leurs troupeaux. Les chré-
tiens, d’ailleurs, avaient accepté un traité de paix. La
coutume, en Espagne, était que les rois chrétiens prissent
à leur service les enfants des patrices et des grands, les
garçons étant employés à l’extérieur et les jeunes filles
faisant des travaux d’intérieur. Cette coutume subsiste
encore de nos jours, notamment pour les garçons : ils
travaillent étant enfants, se mettent au courant des mœurs
et des coutumes, et quand ils sont devenus grands, les
princes les admettent au nombre de leurs guerriers et
dans les familles de ceux-ci. Roderîk, roi Goth d’Espa-
gne* qui avait à sa cour, dans les conditions susdites, la
fille de Julien, lui fit violence; elle en informa secrète-
ment son père, qui cacha sa colère et guetta longtemps
l’occasion de satisfaire son ressentiment. Cela dura jus-
qu’à l’invasion du Maghreb par les Arabes. Alors Rode-
rik fit demander à Julien des faucons, des éperviers, etc.

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– 11 —

<* Je t’enverrai, répondit Julien, un épervier tel que tu
n’as jamais ouï parler de son semblable », voulant dire
par là la trahison qu’il méditait. C’est alors qu’il invita
Târik’ à franchir le détroit (*).

[P. 9] Sur la manière dont T’èrik’ a fait la guerre en
Espagne, il y a diverses versions. c Isa dit dans son livre
que Roderik marcha contre lui avec toutes les forces
militaires de son royaume; qu’il y figurait en personne
assis sur le trône que portaient deux mulets, ceint de
son diadème et couvert de tous les bijoux dont s’ornent
les rois; qu’il s’avança ainsi vers la montagne où était
installé T’ârîk’, qui l’attaqua avec toutes ses troupes, dont
une très faible partie seulement se composait de cavale-
rie ; qu’à la suite d’une lutte si acharnée que tout sem-
blait devoir disparaître, Dieu mit en fuite les infidèles,
et que Roderik fut tué au Wâdi et-Tin( 2 ), à la suite de
quoi T’àrik’ entra à Cordoue, et l’Espagne fut, grâce à
Dieu, conquise par les musulmans.

D’après Wâkidi, on se battit du lever au coucher du
soleil ; il n’y avait eu au Maghreb aucune bataille aussi
importante, et les ossements des victimes demeurèrent
longtemps sur le champ de bataille avant de disparaître.
Wàkidi ajoute qu’il tient d’ c Abd el-Hamid ben Dja’fartë),

(1) Le même épisode est rappelé, sous une forme légèrement diffé-
rente, par Ibn Koùtiyya (p. 262-263 du fragment publié, texte et traduc-
tion, dans le Recueil de textes. . . de l’Ecole des langues orientales,
1889, 1. 1 ; il est préférable de se reporter à la traduction de ce même
fragment publiée dans le J. as., 1856, h, p. 429). Pour l’histoire de la
conquête, voir notamment Dozy, Recherches, 3° éd., i, 21, et Saavedra,
Estudio sobre Xa invasion de los Arabes en Espafla, Madrid, 1892.

(2) Je n’ai pas retrouvé ce nom ailleurs.

(3) Personnage qui a joué un certain rôle et qui mourut en 153 (lbn
el-Athir, v, 403, 404, 422 et 467).

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– 12 –

qui le tenait de son père, que celui-ci disait : J’ai entendu
un Espagnol raconter à Sa c id ben el-Mosayyib W les évé-
nements en question, en ajoutant : «Pendant trois jours,
les musulmans ne cessèrent de frapper de leurs sabres,
si bien qu’ils abattirent complètement leurs ennemis. »
De là, ils gagnèrent la ville capitale, Cordoue, à cinq
journées du littoral, où se trouvait Roderik. L’autorité
de celui-ci s’étendait jusqu’à Narbonne, alors frontière
de l’Espagne du côté de la France et distante de Cordoue
de mille milles. Dans ces premiers succès, Târik’ et les
siens firent dix mille prisonniers, et la part du butin tie
chaque guerrier, en or et en argent, monta à 250 dinars.
D’après Râzi, Roderîk, quand il apprit l’arrivée [P. 1 0]
de T’àrik’ et de son armée et qu’il sut où les trouver,
envoya successivement contre lui des corps de troupes
dont il confia le commandement à son neveu Bandj (*),
fils de sa sœur, qui était son principal officier, mais dans
toutes les rencontres ils furent battus et massacrés, et
Bandj subit le même sort. La force des musulmans s’ac-
crut, et les fantassins purent se monter et élargir le
cercle de leurs incursions dans la région qu’ils traver-
saient ; mais alors ils eurent à subir l’attaque de Rode-
rik monté sur son trône, comme il a été dit, et à la tète
de toutes ses troupes, de ses gardes et des habitants. Ce
prince atteignit l’endroit où était T’àrik’, et le combat
s’engagea sur le Wàdi Beka’ 3 ), dans la province de Sidona

(1) Célèbre traditionnaire, + 94 H. ou environ, appelé le fakih par
excellence (Nawawi, p. 283 ; Nodjoûm, notamment p. 254 ; lbn Khal-
likan, i, 568 ; lbn Koteyba, 223, etc.).

(2) Sur l’orthographe de ce nom, probablement Bencio, cf , Saave-
dra, Estudio, p. 66, u. 3.

(3) Le texte porte Leka, ainsi qu’on le trouve encore ailleurs ; mais
cf. lbn el-Athir, Annales du Maghreb, p. 44 ; Saavedra, p. 68, etc.

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-13-

(Medinasidonia), le jour même, dimanche 28 ramadan
(19 juillet 711) ; la lutte dura depuis le lever du soleil
jusqu’à l’arrivée de la nuit; le lundi elle recommença et
dura jusqu’au soir et ainsi de suite jusqu’au dimanche
suivant, c’est à dire pendant huit jours. Grâce à Dieu,
Loderik et les siens furent tués, et l’Espagne devint la
proie des musulmans. On ne sait au juste où fut tué ce
prince, dont on ne retrouva pas le cadavre, mais seule-
ment une bottine argentée ; il se noya selon les uns, ou
fut tué selon les autres.

T’ârik’ se dirigea ensuite vers le défilé d’AlgézirasW.
puis vers la ville d’Ecija, où s’étaient ralliés les fuyards.
Une nouvelle et sanglante bataille s’engagea, où beau-
coup de musulmans tombèrent morts ou blessés ; mais
l’aide divine, se manifestant, mit un terme aux préten-
tions des barbares, et Dieu remplit leurs cœurs de ter-
reur quand il fit faire par ses fidèles irruption dans le
pays; la plupart des poljlhéistes, laissant derrière eux
les villes, en grande partie vides de leurs habitants, s’en-
fuirent à Tolède.

Julien, quittant sa résidence d’Algéziras, vint trouver
T’ârik’ et lui dit : « Maintenant l’Espagne est à toi ; envoie
tes troupes dans toutes les directions et fais-les guider
par mes gens; toi-même marche sur Tolède! » D’après
ce conseil, T’ârik’ envoya d’Ecija ses soldats de tous
côtés.

{1) Cf. Dozy, Recherches, i, p. 45 de la 3* éd. : « Ce défilé ne peut être
que celui qui se trouve près de Los Barrios, non loin d’Algéziras, ou
bien celui des coteaux de Câmara, qui traverse la chaîne de montagnes
Pénibétique entre Jimena et Alcalâ de los Gazules» (Lafuente, Ajbar
Machmua, 247). Mais pour M. Saavedra (p. 77) il s’agit de la Boca de
la Foz, ce que l’examen de la carte rend des plus vraisemblables.

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– 14 –

[P. 11] Conquête de T’àrik’ ben Ziyâd en 92 (28 octobre 710).

Il s’empara d’abord de Ja Montagne de la victoire, aussi
nommée Djebel Târik\ En effet, sitôt que les musulmans,
arabes et berbères, lurent débarqués dans le port, ils
voulurent gravir la montagne formée de rochers abrupts,
et, se servant des bâts pour faciliter la route à leurs
montures, ils exécutèrent l’ascension; puis, parvenus au
sommet, ils élevèrent pour se protéger le mur dit des
Arabes. On dit aussi qu’ils se rendirent immédiatement
maîtres du fort de Carteya (*), situé au pied de cette mon-
tagne et dans la province d’Algéziras. A cette nouvelle,
les princes d’Espagne allèrent trouver Roderik, orgueil-
leux tyran, qui appela à lui les chrétiens. Les uns disent
qu’il envoya à plusieurs reprises contre les musulmans
des troupes qui, dans toutes les rencontres, furent battues
et massacrées ; qu’ainsi la force des musulmans s’accrut,
que les fantassins purent se monter et élargir le cercle
de leurs incursions; qu’alors Roderik en personne mar-
cha contre eux. Mais la plupart disent, au contraire, qu’il
dirigea en personne la première attaque. Il y a encore
divergence sur la durée des combats qui aboutirent à la
victoire et à la fin desquels Roderik fut mis en fuite : les
uns disent un jour plein, d’autres deux jours, d’autres
trois, d’autres encore huit. On discute également si la
tête du vaincu fut apportée à T’ârik’ ou si ce prince périt
noyé.

Prise de Cordoue. D’Ecija T’àrik’ envoya Moghîth ( 2 ),

(1) Ce nom s’écrit en arabe Kartadjenna, comme celui de Cartha-
gène ; c’est, aujourd’hui, Torre de Cartagena ou del Rocadillo (Saave-
dra, p. 65 ; Mus. d’Esp., n, 33 -et 353 ; Index du Machmua, p. 250).

(2) Moghîth était un affranchi d’origine chrétienne à qui Dhabbi a
consacré un court arlicle (n° 1387).

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Ç^T

– 45 —

client d’ c Abd el-Melik ben Merwân, à Cordoue, Pune des
villes principales du pays. Ce chef avait avec lui 700 cava-
liers et pas un fantassin, puisqu’on avait monlé tous les
fantassins. Arrivé à Secunda et à la bourgade de Tar-
saylW, à trois milles de Cordoue, il envoya les guides à
la recherche de quelqu’un qui pût le renseigner; on lui
ramena, dans le fourré où il se tenait, un berger dont on
s’était emparé, et qui, interrogé au sujet de Cordoue,
répondit : « [P. 12] Les principaux habitants ont quitté
la ville, où il ne reste plus qu’un patrice avec quatre cents
soldats montés et les gens de basse naissance. » A la de-
mande si les murailles étaient fortes, le berger répondit
affirmativement, mais il ajouta qu’il y avait une brèche,
qu’il décrivit, au-dessus de la*Porte de la statue, autre-
ment dite la Porte du pont< 2 ).

A la faveur de la nuit, Moghith et les siens continuè-
rent leur marche, franchirent la fivière et arrivèrent
devant les murs,. qu’ils tentèrent inutilement d’escalader.
Ils retournèrent prendre le berger, qui leur montra la
brèche; ils ne purent pas d’abord y atteindre, mais enfin
un musulman y étant parvenu, Moghîth lui envoya la
mousseline de son turban, dont cet homme saisit un bout
et, avec cette aide, de nombreux musulmans arrivèrent
sur les remparts. Moghîth se dirigeant alors vers la Porte
du pont, à cette époque-là ruinée, ordonna à ses soldats
de cerner les sentinelles sur les remparts, puis on brisa

(1) Les voyelles de ce nom, le Tercios des Mozarabes, sont indiquées
dans le msde YAkhbàr madjrnoû’aip. 10 du texte imprimé; cf. p. 263).
Quant à Secunda, c’est le Campo de la Verdad actuel (Saavedra,
Estudio, p. 81 ; Dozy, Recherches, 3* éd., i, 47).

(2) Là se trouvait une figure de lion, d’où son nom {Fatho’l-Andaluci,
par J. de Gonzalez, Alger, 1889, p. 8 du texte, 9 de la trad.). Cette porte
s’appelle aussi Porte d’Algéziras {Machmua, p. 11 du texte, 24 et 261).

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-46-

tes serrures et l’on pénétra dans la ville. A cette nou-
velle, le prince sortit avec ses meilleurs soldats au nom-
bre de 400, et se réfugia, à l’ouest de la ville, dans une
église où il se fortifia M. Moghith envoya àT’ârik* la nou-
velle de ses succès et assiégea les chrétiens renfermés
dans Téglise pendant trois mois. Un jour qu’il était assis
on vint lui annoncer que le prince chrétien s’enfuyait seul
vers la montagne de Cordoue [la Sierra Morena], pour
s’y défendre et tendre la main à ses coreligionnaires.
Alors Moghith, absolument seul, se lança à sa poursuite.
Quand le fuyard, qui montait un cheval alezan, se vit
poursuivi, il quitta la route et rencontra un fossé dans
lequel son cheval tomba et se cassa le cou. Moghith, arri-
vant bientôt, trouva le chrétien assis sur son bouclier et
s’offrant comme captif. C’est le seul roi (sic) d’Espagne
qui fut réduit en captivité, car les autres ou bien obtin-
rent quartier ou bien s’enfuirent au loin, en Galice, par
exemple, ou ailleurs. Moghîlh, revenant ensuite aux
autres chrétiens, les força à se rendre et leur fil trancher
la tête. Ce temple fut depuis lors nommé YEglise des
captifs.

Quant au gouverneur de Cordoue, il le laissa en vie
pour le présenter au Prince des croyants.

[P. 13] Prise de Malaga( 2 ). D’Ecija T’ârik’ envoya
contre cette ville un corps de troupes commandé par un
officier qu’accompagnait, comme guide, un homme de

(1) Il s’agit de Téglise de San Acisclo (Saavedra, p. 83 et 85; Dozy,
Recherches, i, 2 # éd., p. 54 ; 3 e éd., p. 48).

(2) Sur la conquête de Malaga, de Grenade et de Murcie, que le Madj-
moû’a place aussi à cette époque, cf. Saavedra, 1. 1., p. 86 ; Machmua,
tr., p. 26 ; Recherches, i, 56, n. 3 ; Guillen Robles, Malaga musulmana,
p. 35.

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– 17 –

Julien. Cette ville fut conquise ainsi que la province de
ReyyaW, mais les chrétiens purent se réfugier dans les
hautes et inabordables montagnes de Reyya.

Prise de Grenade, capitale d’Elvira^. D’Ecija T’ârik’
envoya contre cette ville un corps de troupes qui l’assié-
gea et s’en rendit maître.

Prise de Murcie. Ce même détachement marcha ensuite
contre Todmir, c’est à dire Murcie, qui avait pris ce nom
de celui du chrétien qui y régnait; elle s’appelait (aussi)
Orihuela< 3 ), et c’était la capitale ancienne de (cette pro- vince). Le chrétien Todmîr, qui était puissant, combattit avec acharnement; mais ensuite il fut mis en déroute dans une plaine sans abri où les infidèles furent anéantis par la main des musulmans ; ceux qui échappèrent se réfugièrent à Orihuela. Quand Todmîr, qui était bien au courant des ruses de guerre, vit combien il avait perdu des siens, il ordonna aux femmes de laisser flotter leurs cheveux, les arma de. lances et les plaça sur les remparts de la ville avec ce qui lui restait de soldats; puis lui- même, déguisé en messager, se présenta pour demander quartier et obtint la capitulation pour lui et pour les habitants; ce ne fut qu’alors qu’il révéla qui il était et qu’il introduisit les musulmans dans la ville. Ceux-ci s’aperçurent alors qu’elle était privée de tout moyen de défense, mais, malgré le repentir qu’ils en eurent, ils res- (1 ) Ce nom doit probablement se prononcer Reyyo, latin regio, et est donné à la province de Malaga, dont Archidona est restée longtemps la capitale (Dozy, Recherches, i, 320; 3 e éd., p. 317). (2) Ce nom représente l’ancienne Eliberis, aussi dénommée Castella, à environ trois parasanges N.-O. de Grenade, qui a été longtemps la capitale de la province de Grenade (Dozy, ibid., p. 328 ; 3 e éd., p. 327). (3) Ce qui est inexact ; cf. Edrisi, pp. 210 et 234 ; Recherches, 3* éd., it 49. Digitized by Googk – 18 – pectèrent les conditions de la capitulation. Puiè ils infor- mèrent T’ârik’ du succès de leurs armes. Quelques sol- dats restèrent à Todmîr avec les habitants ; mais la plu- part allèrent rejoindre T’ârik’, qui était devant Tolède. Prise de Tolède. T’ârik’ trouva cette ville abandonnée ; il n’y restait qu’un petit nombre de juifs, tandis que le prince de cette ville s’était retiré dans une autre ville, derrière la montagne. T’ârik’, après y avoir organisé mili- tairement ces juifs renforcés par quelques-uns de ses soldats et partisans, se mit à la poursuite du fugitif O, arriva à Guadalaxara [P. 14] et se dirigea du côté de la montagne, qu’il franchit par le col qui porte encore son nom( 2 >. De l’autre côté, il arriva à la ville dite de la
Table, parce qu’il y trouva la table de Salomon, fils de
David, laquelle avait les bords et les pieds en émeraude
verte ; il y trouva également beaucoup d’argent et d’ob-
jets précieux. Il Regagna ensuite Tolède. Tel est le récit
qu’on fait en attribuant ces actes à T’ârik’; mais, selon
d’autres, il resta sur le champ de bataille [de Wâdi Beka],
où il fut rejoint par Moûsa; on dit aussi que Cordôue fut
le lieu de leur rencontre.

Un an après T’ârik, en ramad’ân 93 (juin-juillet 712),
Moûsà ben Nôçayr entra en Espagne et poursuivit sa
marche victorieuse pendant le reste de cette année, en
94 et une partie de 95 ; il conquit toutes les places fortes
et battit tous les généraux qui marchèrent contre lui.

(1) La traduction est faite d’après le texte tel que le rétablit Dozy
dans ses Corrections. On sail, en effet, que les juifs, qui avaient à
se plaindre des Visigoths, prêtèrent leur concours aux conquérants
(cf. Saavedra, p. 89; Annales du Maghreb, p. 46 n. 2 : Dozy, Recher-
ches, 2* éd., i, 55 et 331 ; 3° éd., p. 339 ; Fournel, Berbers, i, 259, etc.).

(2) Le Col de Tank’ serait celui de Buitrago ou de Somosièrra
{Annales, p. 46, n. 4).

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– 19-

Sans éprouver aucun insuccès ni voir fuir aucun de ses
bataillons, il s’avança jusqu’à la ville de France nommée
LoùVoûnM; tout le reste du pays en deçà et jusqu’à l’ex-
trême limite de Barcelone avait été conquis. Mais alors
les musulmans s’inquiétèrent et lui manifestèrent leur
crainte qu’il les exposât à trop de dangers, de sorte qu’il
les ramena en arrière, t J’ai, dit l’auteur de la Behdjat
en-ne fs&), lu dans un livre chrétien que les musulmans
s’avancèrent jusqu’à Loût’oûn, capitale des Francs, après
s’être rendus maîtres de tout le pays en deçà à l’exception
des montagnes de K’ark’oûcha( 3 >, de celles de Pampelune
et du Rocher de Galice. Dans ce dernier endroit, il ne
resta autour du roi que moins de 300 hommes qui ne
fussent pas morts de faim ou autrement ; quand ceux
qui étaient chargés de les réduire les virent si peu nom-
breux, ils dédaignèrent de les poursuivre plus longtemps
et les abandonnèrent ; mais le nombre de ces fuyards crut
peu à peu, et ils finirent par chasser les musulmans de la

(1) Il s’agit soit de Lyon (Lugdunum), soit d’Autun ; ce nom est
écrit ^^3^3 ou o>^ P ar l° n Hayyàn, qui parle plus longuement de
ces expéditions (ap. Makkari, éd. de Leyde, i, 173 ; éd. Boulak, i, 128) ;
voir Reinaud, Invasions des Sarrasins en France, p. 30 ; Le Fort,
Les Sarrasins dans les Alpes, Genève, 1870; Zotenberg, Invasions
des Visigoths et des Arabes en France, Toulouse, 1876; J. Roman,
Note sur les invasions sarrazines dans les Hautes- Alpes, Gap, 1882.

(2) Le titre complet de cet ouvrage est ^j*S)A JLô**^ ^«JuJ\ £xV? ;
il a pour auteur Aboû Mohammed Hichàm ben ‘Abd Allah Kortobi,
qui écrivait en 580 H.; voir la notice que j’en ai donnée dans la Revistà
critica de historia y literatura, 1896, p. 336 ; Pons, Ensayo, p. 393.

(3) Il faut probablement lire Karkachoûna t Carcassonne ; ce dernier
nom figure dans le Merâcid comme celui d’ « une place forte d’Es-
pagne » (cf. Makkari, i, 176, 1. 10 et s.). M. Saavedra voit dans Kar-
koucha les montagnes de Santander [Estudio, etc., p. 119 n.).

Galice, c’est à dire de la CastilleW. K’ark’oûcha, d’après
e Àbd el-Melik ben H’abîb ( 2 ), se rendit par capitulation du
temps de Hichâm ben[P. 15] c Abd el-Melik ( 3 ). Les autres
conquêtes eurent lieu en 92 (29 octobre 710) et dans une
partie de 93 (19 octobre 711).

Le motif qui amena Moûsa ben Noçayr en Espagne fut
qu’on l’excita contre son serviteur T’ârik’ et qu’on lui
parla de l’abondant butin que Dieu lui faisait tombfu*
entre les mains. Moûsa lui écrivit alors une lettre des
plus injurieuses avec défense de dépasser Cordoue avant
qu’il arrivât lui-même, a On rapporte, dit Ibn el-K’at’t’àn,
qu’il passa en Espagne à cause de la défense qu’il avait
faite à T’ârik’ de dépasser, les uns disent Cordoue, les
autres le théâtre de la défaite de Loderîk. D’après d’au-
tres, Moûsa obéit à la jalousie que lui firent concevoir les
victoires et le butin de T’ârik’. On prétend encore qu’il
ne fit que répondre à l’appel de T’ârik’ lui-même ». Nous
avons dit qu’il arriva en Espagne en ramad’ân [92].

Râzî dit ceci : Wàkidi rapporte, d’après Moûsa ben c Ali
ben Rebâh’, qui le tenait de son père< 4 >, que Moûsa ben
Noçayr, irrité contre T’ârik’, quitta l’Ifrîk’iyya avec dix
mille hommes et débarqua à Algéziras. Comme il se refu-
sait à suivre le conseil qu’on lui donnait de suivre le

(1) Les Arabes donnent le nom de Galice à la plus grande partie du
N.-O. de l’Espagne.

(2) malèkite très connu aussi comme historien ; voir Dozy, Int. au Bayân,
p. 12 ; Makkari, notamment i, 463 ; Dhabbi, n* 1063 ; Ibn el-Faradhi,
n» 814 ; Matmah, p. 36; Ibn Khallikàn, iv, 32 ; ms 5032 de Paris, f. 78 ;
ms 851 d’Alger, f. 3 ; Pons y Boigues, Ensayo, p. 29; ci-dessous, p. 113
du texte arabe.

(3) Ce khalife Omeyyade régna de 105 à 125 (724-743 de J. G.).

(4) ‘Ali ben Rebàh’ Lakhmî est un tâbi’ qui se rendit en Espagne
(Makkari, éd. Boulak, n, 53; et cf. Dhabbi, n* 1324).

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– 21 –

même chemin que Tank’, les guides chrétiens s’offrirent
à lui montrer un chemin meilleur et passant par des
villes plus importantes qui n’étaient pas encore con-
quises et dont il pourrait se rendre maître. Moûsa, tout
joyeux, accepta ces offres, et on le conduisit à Sidona,
qu il prit de vive force et qui fut sa première conquête.

Prise de Carmona* De Sidona, Moûsa fut mené par ses
guides à Carmoila, qui élait la plus forte des villes d’Es-
pagne et celle qu’on pouvait le moins prendre par assaut
ou par blocus. Moûsa ayant appris qu’il ne pourrait s’en
emparer que par l’adresse et la ruse, y envoya des rené-
gats d’entre les compagnons de Julien et d’autres, qui y
arrivèrent armés et se présentèrent en fuyards. Quand
Moûsa apprit qu’on leur avait accordé l’entrée de la
ville, il leur envoya de nuit des cavaliers à qui les pré-
tendus fuyards ouvrirent la porte dite de Cordoue et qui
en massacrèrent les gardiens. Les musulmans prirent
ainsi la ville de vive force.

Prise de Séville. [P. 16J Maître de Carmona, Moûsa
marcha contre Séville. C’était, parmi toutes les métro-
poles d’Espagne, la plus grande, la plus importante, la
mieux bâtie et la plus riche en anciens monuments. Avant
d’être conquise par les Goths, elle avait été la résidence
du gouverneur romain; les rois Goths avaient choisi
Tolède pour la leur, mais Séville était restée le siège des
adeptes romains de la science sacrée et profane, et c’est
là que demeurait la noblesse de même origine. Après un
siège de plusieurs mois, Moûsa s’en rendit maître, et les
chrétiens qui y habitaient se réfugièrent à Béja.

Prise de Mérida. De là Moûsa marcha contre Mérida,
ancienne capitale qui renfermait d’admirables monu-
ments anciens, un pont, des palais et de magnifiques

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“1

– 22 –

églises. C’était une des quatre capitales de l’Espagne
fondées par Oktebàn le César, les trois autres étant Cor-
doue, Séville et Tolède. Les habitants sortirent à la ren-
contre de Moûsa et lui livrèrent combat à un mille de la
yille, où ils furent forcés de rentrer. Après le combat,
Moûsa, faisant le tour de la cité, remarqua des carrières
où, la nuit, il embusqua des soldats ; et, quand le lende-
main matin, il offrit le combat, les habitants sortirent
comme ils avaient fait la veille ; mais, surpris par les
troupes embusquées, ils subirent des pertes importantes,
et ceux qui purent se sauver rentrèrent dans la ville.
Alors Moûsa en entreprit le siège, qui dura plusieurs
mois; il finit par installer une tour mobile à l’abri de
laquelle les musulmans purent s’avancer et commencè-
rent à saper le roc sur lequel s’élevait un bastion ; mais
ils furent arrêtés par une roche très dure sur laquelle
s’émoussaient leurs pioches. Pendant qu’ils tentaient en
vain de la briser, les chrétiens les assaillirent ; les mu-
sulmans périrent sous la tour mobile, et ce bastion prit
de là le nom, encore employé aujourd’hui, de a Tour des
Martyrs. » Alors, le courage des chrétiens se ranima et
ils reprirent confiance. Cependant ils offrirent ensuite de
se rendre à composition (*), et envoyèrent, à cet effet, à
Moûsa, des messagers qui se trouvèrent devant un homme
à cheveux et à barbe blancs ; mais leurs propositions
étant à ses yeux inacceptables, ils s’en retournèrent sans
rien conclure. Ils revinrent une autre fois [P. 17] et lui

(1) J’ai donné au texte, qui est un peu confus, le sens que comporte
le Machmua, qui attribue explicitement l’initiative des négociations
aux assiégés (texte, p. 27 ; trad. esp., p. 30, et Dozy, Recherches, 2* éd.,
p. 51 : 3′ éd., p. 54). Les deux récits, pour tous ces événements, sont
presque identiques.

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– 23 –

trouvèrent les cheveux et la barbe rougeàtres, car il
s était servi de henné) cela leur fut une cause de sur-
prise et de crainte, mais rien encore ne fut tranché. Ils
se représentèrent un troisième jour, qui était celui de la
Rupture du jeûne, et cette fois il avait teint en noir ses
cheveux et sa barbe. Ils retournèrent auprès de leurs
compatriotes : « Malheureux que vous êtes ! leur dirent-
ils, vous combattez des prophètes qui se rajeunissent à
volonté; leur roi, d’un vieillard qu’il était, est devenu un
jeune homme. — Retournez”, leur dit-on, et acceptez ses
conditions. » En conséquence, on conclut un traité aux
termes duquel les biens de ceux qui avaient été tués au
jour de l’embuscade et de ceux qui s’étaient réfugiés en
Galice, ainsi que ceux des églises, devenaient la propriété
des musulmans. Les portes de la ville furent donc ouver-
tes aux vainqueurs le jour même, 1 er chawwâl 94 (30
juin 713).

Se ville est de nouveau conquise. Pendant que Moûsa
était occupé au siège de Mérida, les chrétiens de Séville,
renforcés par quantité de ceux qui s’étaient enfuis à Nié-
bla et à Béja, se révoltèrent contre la garnison musul-
mane de cette ville et tuèrent environ quatre-vingts sol-
dats. Moûsa, qui fut informé de ce fait, envoya, dès qu’il
se fut rendu maitre de Mérida, son fils c Abd el- c Aziz, qui
reprit la ville et en massacra les habitants.

Prise de Niébla. De là c Abd el- c Aziz ben Moûsa mar-
cha avec son armée contre Niébla, qu’il prit, et ensuite
il retourna à Séville.

Rencontre à Tolède de l’émir Aboû ‘Abd er-Rahmân Moûsa ben
Noçayr et de son affranchi T’ârik’ ben Ziyâd.

La plupart disent que leur rencontre eut lieu à Tolède;

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– 24 –

Tabari dit que ce fut à Cordoue. Râzi dit que T’ârik’, en
apprenant que Moûsa approchait, quitta Tolède pour
aller au-devant de lui et le trouva proche de Talavera.
En effet, Moûsa, après la prise de Mérida, se dirigea vers
Tolède, tandis que T’ârik’ faisait diligence pour le rece-
voir avec honneur [P. 18] et témoigner de sa soumis-
sion. Mais Moûsa, en colère, l’accueillit avec des repro-
ches, et Ton dit même qu’il lui donna un coup de fouet
à la tête; selon d’autres, il lui en donna plusieurs, lui
fit raser la tête et l’emmena à Tolède. Arrivé là, il lui
demanda de lui montrer son butin, la table comprise.
T’ârik’ obéit et montra, entre autres choses, la table à
laquelle il avait enlevé un pied; interrogé à ce sujet, il
répondit l’avoir trouvée en cet état. Moûsa le fit rempla-
cer par un pied en or, et fit envelopper la table dans une
natte formant gaîne.

On assigne divers motifs à cette conduite de Moûsa
envers T’ârik’ : pour les uns il obéit à la jalousie et à
l’envie, ce que prouvent, disent-ils, sa prétention à s’attri-
buer les succès de son lieutenant et le fait qu’il présenta
lui-même la table au khalife; d’autres l’excusent et expli-
quent sa conduite par la marche en avant, sans son
agrément, de son affranchi, qui exposait les musulmans
en les emmenant aussi loin. Joignez à cela ce qu’on lit
dans Râzi qu’El-Welid envoya à Moûsa un messager qui
saisit la bride de la monture de ce dernier et le força,
ainsi que T’ârik’ et Moghîth, à sortir d’Espagne, où Moûsa
laissa son fils [ c Abd ei- c Azîz] avec, comme vizir, H’abib
ben Aboû c Abda(*) ben c Okba ben Nâfi c .

(1) On lit ‘Obeyda dans le Machm.ua, Ibn el-Koûtiyya, Makkari et
Ibn el-Athîr ; voir Merràkechi, tr. fr., p. 9 n. ; Fournel, Berbers, i, 264,
n. 2. — Les deux prononciations ‘Abda et *Obda sont possibles {Mosçh-
tabih de Dhehebi, p. 339).

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– 25-

Après la rencontre, dans les termes que Ton sait, de
Moûsa et de son lieutenant, le premier marcha de Tolède
sur Saragosse, dont il fit la conquête ainsi que celle des
châteaux et des réduits environnants. On raconte que,
parti de Tolède, Moûsa s’avança en conquérant toutes
les villes jusqu’à la soumission complète de l’Espagne:
les chefs de là Galice vinrent lui demander d’être reçus
à composition, ce qu’il leur accorda; il conquit le pays
de Bachkanch (Biscaye) et pénétra assez loin pour y ren-
contrer un peuple semblable à des brutes; il porta aussi
la guerre dans le pays des Francs, puis se détourna vers
Saragosse, à environ un mois de marche de Cordoue, et
y trouva des richesses incalculables; il fit de ce côté la
conquête de nombreuses places fortes. Moûsa, dont les
évoques retrouvaient la trace dans leurs livres, n’eut
jamais à déplorer l’échec d’aucun de ses corps d’armée.

Yoûsof ben HichàmW dit ceci : Moûsa arriva jusqu’à
une statue portant écrit sur sa poitrine : « Fils d’Ismâ c il,
c’est ici votre point extrême. Si vous demandez où vous
retournerez, nous vous apprendrons que c’est à des dis-
cussions entre vous, [P. 19] si bien que vous vous cou-
perez le cou les uns aux autres. »

El-Leyth ( 2 ) raconte qu’un homme vint trouver Moûsa
et s’offrit à lui faire découvrir un trésor. Le général lui
donna quelques hommes, avec qui il se rendit dans un
endroit qu’il leur fit mettre à découvert (lacune du ms t
probablement d’un feuillet).

(1) Je n’ai pu retrouver d’autre mention de ce traditionnaire, dont le
nom a probablement été inventé pour établir l’authenticité du conte
qui suit, lequel se retrouve ailleurs, p. ex. dans Ibn el-Athir (Annales,
p. 48), etc.

(2) Probablement Leyth ben Sa’d, tradilionnaire mort en 175.

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– 26 –

[Le khalife El-Welîd] mourut et eut pour successeur
son frère Soleyrnân, qui se fit amener Moûsa et l’inter-
pella violemment : « J’en prends Dieu à témoin, j’ébrê-
cherai ton épée, je t’ôterai tout repos, je réduirai ton
pouvoir! — Quant à ébrêcher mon épée ou à réduire mon
pouvoir, repartit Moûsa, cela est dans la main de Dieu
et dépend de lui, mais ne dépend pas de toi ; c’est à lui
que je demande de me secourir contre toi. » Alors Soley-
rnân fit exposer au soleil ardent d’une journée d’été
Moûsa, qui était un homme grand, fort et asthmatique,
et qui finit par tomber sans connaissance. Alors Soley-
rnân, regardant c Omar ben f Abd el- c Aziz, lui dit : « Aboû
H’afç, je pense avoir dépassé les termes de mon serment !
— Prince des croyants ! repartit c Omar. — Qui veut se
charger de lui ? » dit Soleyrnân. Et Yezid ben el-Mohal-
lebW, se levant, déclara qu’il était prêt à le faire : « Eh
bien ! dit le khalife, prends-le. et ne soit pas trop dur à
son égard. » Alors Yezîd fit approcher une monture sur
laquelle Moûsa se hissa : il l’emmena et le garda pen-
dant quelques jours, jusqu’à ce que de meilleurs rapports
se rétablissent entre ce chef et le khalife. Moûsa se libéra
moyennant une rançon considérable, un million de dinars
disent les uns, ou une autre somme selon d’autres. Yezid,
étant une nuit à veiller son hôte, lui demanda le nombre
des clients et des parents sur qui il pouvait compter :
« Ils sont en grand nombre, dit Moûsa. — Sont-ils mi lie?
reprit Yezid. — Mille, encore mille, et ainsi de suite
jusqu’à en perdre haleine. — Et dans la situation que tu
dis, tu t’es exposé à la mort ! Pourquoi donc n’être pas

(1) Yezid était J’un des personnages les plus considérables du temps,
sa biographie est racontée fort au long par lbn Khallikàn (iv, 164).

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– 27 –

resté au siège de ton pouvoir, au lieu où s’exerce ton
autorité, en employant pour te défendre ce que tu as
apporté ici? Si on te laissait tranquille, rien de mieux;
et autrement, tu étais au centre de tes forces! — [P. 20]
Je le jure, reprit Moûsa, si j’avais voulu ainsi agir, on
n’eût pu quoi que ce soit contre moi; mais j’ai préféré
obéir à Dieu et à son Apôtre, et je n’ai voulu ni me révol-
ter ni rompre avec la communauté des fidèles. »

On raconte que Soleymân posa diverses questions à
Moûsa : « Où as-tu cherché de l’aide dans tes combats et
tes rencontres avec l’ennemi ? — Dans la prière et l’opi-
niâtreté à la lutte. — Quels sont les chevaux les plus vites
que tu as vus dans ces pays? — Les alezans. — Quels
peuples ont été les plus acharnés au combat ? – Ils sont
trop nombreux pour que je puisse les décrire. — Parle-
moi donc des Chrétiens! — Ce sont des lions quand ils
sont dans leurs forteresses, des aigles à cheval, des
femmes sur leurs navires; ils saisissent l’occasion qui
se présente/ mais, vaincus, ils fuient avec la vitesse du
chamois dans la montagne, car à leurs yeux la fuite n’est
pas déshonorante. — Parle-moi des Berbères ! — De tous
les barbares ce sont ceux qui ressemblent le plus aux
Arabes au point de vue de l’attaque, de la valeur, de
l’opiniâtreté et de l’habileté en équitation ; mais ils sont
d’une fausseté sans pareille et ne respectent ni promes-
ses ni engagements. — Parie-moi de l’Espagne! — Des
princes efféminés et des cavaliers que leurs efforts ne
trompent point. — Et les Francs? — Ils ont pour eux le
nombre, l’équipement, la fermeté, l’acharnement, la vi-
gueur et la valeur. — Et dans tes rencontres avec eux,
as- tu eu le dessus ou le dessous? — Quant à cela, je le
jure, jamais un de mes étendards n’a été mis en fuite,

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– 28 –

mes compagnons n’ont été dispersés, les musulmans
n’ont avec moi battu en retraite depuis que j ai eu atteint
quarante ans, et j’en ai maintenant quatre-vingts!» Soley-
mân souriant et agréablement surpris de ces réponses,
se fit apporter une tasse d’or sur laquelle il promena ses
regards; Moûsa lui dit alors : « Tu admires ce qui n’en
vaut pas la peine; je ne crois, par Dieu ! pas qu’elle vaille
dix mille dinars, alors que moi j’ai, je l’atteste, envoyé à
ton frère El-Welid un grand vase d’émeraude dont le
vert verdissait le lait qu’on y versait de façon à y rendre
visible un poil blanc. Bien qu’on l’estimât valoir cent
mille mithkâl, c’est une des moindres choses que je lui
ai envoyées, car je me suis emparé encore de ceci, de
cela, etc.» ; et il énuméra- une telle quantité de perles,
de rubis et d’émeraudes que Soleymân en resta comme
hébété.

Ce khalife, étant un jour allé à la chasse en compagnie
de Moûsa ben Noçayr, [P. 21] passa par une de ses mé-
tairies renfermant des.bestiàux, et entre autres un mil-
lier de moutons; alors, se tournant vers son compagnon,
il lui demanda s’il avait la pareille :’« Le moindre de mes
clients, dit Moûsa en souriant, en a le double. — Le
moindre de tes clients? reprit le khalife. — Oui certes,
oui certes! répéta Moûsa à plusieurs reprises; qu’est-ce
que cela à côté des biens des infidèles dont Dieu m’a gra-
tifié? Le millier de moutons s’est vendu dix dirhems, le
cent un dirhem, et Ton passait à côté de troupeaux de
bœufs et de menu bétail sans même les regarder; j’ai vu
vendre jusqu’à une dizaine de chameaux pour un dinar,
donner des infidèles, connaissant un métier, avec femme
et enfants, pour la somme de cinquante dirhems. »

Soleymân fit ensuite le pèlerinage, et Moûsa l’açcom-

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-29-

pagna. Or, ce chef, qui était mieux que personne au cou-
rant de l’astrologie, était à Médine quand il annonça à
l’un de ses compagnons que le surlendemain mourrait
un homme dont la renommée avait rempli l’Orient et
POccident. Ce fui lui-môme qui expira au jour fixé, et les
dernières prières furent dites sur lui par Maslama ben
c Abd el-Melik. Moûsa, qui était né en l’an 19, sous le
khalifat d’ c Omar ben el-Kbattàb, descendait de Lakhm
selon les uns, ou, selon d’autres, de Bekr ben Wâ’in 1 ‘.
D’après ce que dit Ibn Bachkowâl dans sa ÇilaW,
Moûsa était fils de Noçayr ben c Abd er-Rahmân ben Zeyd.
Au dire d’un autre, cet officier, bien que Mo c àwiya ben
Aboû Sofyân l’eût mis à la tête de sa cavalerie, ne mar-
cha pas avec lui pour combattre c AliW, et comme Mo c à-
wiya lui demandait la cause de son refus, en lui rappe-
lant que les bienfaits dont il lui était redevable auraient
dû provoquer une gratitude égale : « Je ne pouvais, ré-
pondit Moûsa, te témoigner ma reconnaissance au mépris
de celle que je dois à quelqu’un dont les droits sont supé-
rieurs aux tiens ! — Et qui donc est-ce ? — Le Dieu tout-
puissant ! » Mo c âwiya resta quelques moments les yeux
baissés et, demandant pardon à Dieu, ne put qu’approu-
ver Moûsa.

(1) Il mourut en 97 (Ibn el-Athîr, Annales, p. 55), dans les tortures
d’après une autre tradition (H. des Berbères, i, 355). Cf. Dozy, H. des
Mus. d’Esp. I, 217.

(2) II n’existe pas d’article consacré à Moûsa ben Noçayr dans l’édi-
tion de la Çila que nous devons à M. Codera (Madrid, 1883, 2 vol.). Sur
la généalogie de ce chef, voir Makkari, éd. Leyde, i, 156; Nodjoûm,
I, 261, et Weil, G. der Chalifen, i, 546. Cf. Hollat, p. 30.

(3) Il s’agit de la bataille de Çiffln. Cette anecdote se retrouve encore
ailleurs (Ibn el-Athîr, Annales du Maghreb, p. 33 ; Makkari, i, 149 ; Ibn
KhalJikân, in, 475).

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– 30 –

Voici ce que dit El-Leyth ben S’ad : a Moùsa ben Npçayr
étant arrivé en Ifrîk’iyya* lors de la conquête qu’il fit de
ce pays, envoya dans une certaine direction l’un de ses
fils, nommé c Abd Allâb, qui lui ramena cent mille captifs,
dont la plupart avaient des faces semblables à la pleine
lune; il expédia ensuite un autre de ses fils, Merwân,
dans une autre direction, et celui-ci en ramena autant.
Lui-même ensuite se mit en campagne, et il en ramena
un nombre à peu près égal. » El-Leyth dit que le quint
formait soixante mille têtes, [P. 22] et que l’Islam n’avait
pas jusque-là entendu parler d’un nombre aussi grand
de captifs w.

Ce fut en 95 (26 septembre 713) que Moûsa quitta l’Es-
pagne pour se rendre en Syrie, laissant, pour le rempla-
cer dans sa conquête, son fils f Abd el- c Aziz.

Gouvernement d”Abd el-‘Azlz ben Moûsa ben Noçayr.

A côté de son fils c Abd el- c Azîz, Moûsa laissa H’abîb
ben Aboû c Abda ben c Okba ben Nàfi c pour .lui servir de
vizir et d’aide, de même qu’il établit dans ce pays tous
ceux qui voulurent s’y fixer. Quand Moûsa était arrivé à
Séville, il y avait installé son fils, qui, satisfait de son
séjour, fit de cette ville le siège de son gouvernement.
Après le départ de son père, il épousa Aylo< 2 ), veuve de
Loderik, laquelle fut la mère d’ c Açim (Oumm- c Açim) et
avec qui il habita à Séville. Cette femme, quand le ma-
riage fut consommé, lui dit : « Les rois n’exercent réelle-

(1) Ces chiffres énormes, et souvent répétés, figurent déjà dans le
t. i, p. 32.

(2) C’est PEgilone des auteurs espagnols; cf. de Slane, H. des Berb.,
I, 354 ; Ann. du Maghreb, p. 34; Weil, I, 544 ; Fournel, 1, 264, etc.

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– 31 –

ment la royauté que quand ils portent un diadème; je
pourrais t’en confectionner un avec les pierres précieuses
et l’or qui me restent I » Et comme il objectait que sa reli-
gion ne le lui permettait pas : a Et comment, dit-elle, tes
coreligionnaires sauraient-ils ce que tu fais dans l’inti-
mité? » Et elle insista tant, qu’il fit comme elle voulait.
Or un jour que, le diadème posé sur sa tête, il était assis
à côté d’elle, il vint à entrer la femme de Ziyâd ben Nàbi-
gha Temimi, fille d’un des rois vaincus, laquelle, à la
suite de ce spectacle, proposa aussi à son mari de lui
faire un diadème. Comme Ziyâd refusait en invoquant la
défense que lui faisait sa foi de porter cet emblème : « Je
le jure par la religion du Messie, s’écria-t-elle, je l’ai vu
sur là tête de votre prince et imàm ! » Ziyâd informa de
la chose H’abib ben Aboû f Abda, et cela fit l’objet de
leurs conversations, si bien que les principaux du djond
apprirent aussi ce qui se passait. Ils n’eurent pas de cesse
qu’ils n’eussent constaté le fait par eux-mêmes, et alors,
se disant les uns aux autres que leur chef s’était fait chré-
tien, ils l’assaillirent et le massacrèrent.

D’après El-Wâkidi, la femme qu’épousa c Abd el- c Azîz,
après la mort de son père, était fille de Loderîk, et elle
lui apporta des richesses telles qu’on ne peut les décrire.
Après avoir commencé à vivre avec lui, elle lui tint ce
langage : « Quoi donc! tes sujets [P. 23] ne t’honorent
pas et ne se prosternent pas devant toi comme faisaient
ceux de mon père ! » Il fit alors faire une porte basse qui
fut adaptée à une ouverture pratiquée dans un mur du
palais et par où devaient passer ceux à qui il donnait
audience, de sorte que le peu de hauteur de la porte les
forçait à baisser la tête en se présentant devant lui. C’était
ce que pouvait voir sa femme, sans être vue elle-même,

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– 32 –

d’un salon installé à cet effet, de sorte qu’elle se figurait
que les visiteurs se prosternaient, et elle dit à son mari
que son pouvoir royal était maintenant bien réel. Mais
le peuple apprit pourquoi cette porte avait été faite, et
alors H’abib ben Aboû c Abda Fibri, Ziyàd ben f Odhra
Balawi, Ziyâd ben Nàbigba Temimi et leurs compagnons
assaillirent et massacrèrent l’audacieux. On prétend aussi
qu’ils le mirent à mort à cause de son refus de plus obéir
à Soleymàn ben c Abd el-Melik quand il apprit l’exécution
ordonnée par ce prince de son propre frère, à lui c Abd
el- c Aziz, et le traitement infligé à leur père Moûsa.

Voici le récit d’Er-Ràzi. Moûsa ben Noçayr ayant quitté
l’Espagne en y laissant pour lieutenant son fils c Abd el-
c Aziz, celui-ci exerça l’autorité d’une main ferme, défen-
dit vigoureusement les frontières, conquit de nombreuses
villes, en un mot, fut un administrateur des plus distin-
gués, mais pendant peu de temps, car le djond, qui avait
à se venger de lui, le massacra au commencement de
redjeb 97 (mars 716) dans l’oratoire de Roufina [église de
S te Rufina] àSévilleW. Arrivé au mihrâb, il se mit à réciter
la première sourate du Koran, puis celle de YEvènement
(la Lvi e ). Alors Ziyâd ben c Odhra Balawi, arrivant par
derrière, l’épée levée, l’en frappa en criant : a Le voilà
[cet événement], ô fils de prostituée ! » Son gouverne-
ment avait duré un an et dix mois.

On raconte aussi que le khalife Soleymàn avait, par
suite de la colère qui l’animait contre Moûsa, père d’ c Abd
el- c Aziz, envoyé au djond l’ordre de massacrer ce der-

(1) Il habitait l’église (kenîsa) de Roubina et avait fait édifier une
mosquée en face (Ibn el-Koutiyya, texte p. 264). La leçon Roubîna,
corrigée parDozy, se retrouve aussi dans le Fatho’l-Andaluçi, p. 21
du texte ar.

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– 33 –

nier ; qu’ensuite on lui coupa la tête, que H’abîb ben Aboû
c Abda Fihri alla présenter à Soleymân. [P. 24] On dit
que cette tête fut mise sous les yeux .de «son père, alors
emprisonné, qui, se raidissant contre l’horreur de ce
méfait, s’écria ; « Puisse son martyre lui profiter ! Vous
avez, j’en atteste le Créateur, tué là un fidèle observa-
teur du jeûne et de la prière W ». Er-Râzi ajoute que Ton
regardait les procédés de Soleymân, à l’égard de Moûsa
et de son fils, comme étant de ses plus grossières aber-
rations et comme lui ayant toujours été reprochés.

Pendant plusieurs mois l’Espagne resta privée de gou-
verneur, puis les habitants s’entendirent sur le nom
d’Ayyoûb ben H’abîb Lakhmi, fils de la sœur de Moûsa
ben Noçayr.

Gouvernement d’Ayyoûb ben H’abîb.

La population tomba donc d’accord pour choisir le dit
Ayyoûb, qui était un homme vertueux, en qualité d’imàm
pour diriger la prière; mais pendant quelque temps il
n’y eut pas d’émir. On transporta le siège du gouverne-
ment à Cordoue, et ce fut dans le palais de cette ville
qu’alla s’installer Ayyoûb, palais que Moghîth avait fait
établir pour son usage personnel. On raconte que Moûsa
ben Noçayr, à la suite de la destitution qui lui fut noti-
fiée par un messager d’El-Welid, suivit, en se retirant,
la route qu’avait prise T’ârik’ afin d’examiner le pays, et
que, arrivé à Cordoue, il fit à Moghith la remarque que
ce palais ne lui convenait pas et était plutôt destiné au
gouverneur qui habiterait Cordoue. Ce chef alors en

(1) Ces deux versions sont aussi rapportées par Ibn el-Athîr, Ann.
p. 54 ; cf. Weil, i, 543, et le Fatho’l-Aiulaluçi, p. 22.

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– 34 –

sortit, et plus tard ce fut Ayyoûb ben H’abîb, dont le
pouvoir dura six mois, qui y habita^).

Gouvernement d’El-H’orr ben ‘Abd er-Rahmân Thak’efl.

Lorsque Soleymân ben c Abd el-Melik confia le gou-
vernement de Plfrik’iyya à Mohammed ben Yezid( 2 \ client
de la fille d’El-H’akam ben el- c Açi, l’Espagne et Tanger
ressortissaient à celui qui commandait enlfrik’iyyâ. C’est
ainsi que Mohammed ben Yezid envoya en Espagne, à la
tête de quatre cents des principaux d’Ifrrk’iyya, le dit
El-Horr ben c Abd er-Rahmân, qui exerça le pouvoir
[P. 25] pendant trois ans< 3 ). El-Horr, dont l’arrivée en
Espagne eut lieu en 99 (14 août 717), fit de Cordoue, au
lieu de Séville, sa capitale.

Gouvernement d’Es-Samh’ ben Mâlik Khawlâni.

c Omar ben c Abd el- c Aziz, Prince des croyants, envoya
ensuite pour administrer l’Espagne Es-Samh’ ben Màlik
avec ordre de pousser la population dans la voie de la
vérité < 4 ), de ne pas la traiter autrement qu’avec douceur,
de prélever le quint sur le sol et les immeubles conquis,
et de lui envoyer la description du pays et des fleuves
qui l’arrosent. Son projet était de retirer les musulmans

(1) Cette anecdote figure aussi dans le Machmua, p. 21 du texte.

(2) Dans le Machmua et dans Ibn el-Koûtiyya, on lit f Abd Allah ou
‘Obeyd Allah ben Yezîd ; mais partout ailleurs, si je ne me trompe,
on lit Mohammed. Cf. t. i, trad., p. 43.

(3) A en croire Dhabbi (n° 688), El-Horr serait resté gouverneur d’Es-
pagne jusqu’en 106 et aurait eu ‘Anbasa pour successeur.

(4) On peut aussi comprendre : «… de traiter la population confor-
mément à la Loi de vérité ».

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-35 –

et de leur faire évacuer cette contrée, car ils y étaient
trop séparés de leurs frères et trop en contact avec les
infidèles et les ennemis de Dieu; mais on lui dit qu’ils
y étaient en grand nombre et s’étaient disséminés de
toutes parts, et alors il renonça à ce projet (•). A son arri-
vée en Espagne, Es-Samh’ mit à exécution les ordres
d’ c Omar de faire régner le droit et de suivre la voie de
la justice et de la vérité. Il ne relevait que de lui-même
dans son gouvernement, qu ,721).

Gouvernement d”Anbasa ben Soh’aym Kelbi.

Ensuite le gouverneur d’Ifrik’iyya, Yezîd ben Aboû
Moslim, nomma en Espagne le dit c Anbasa ben Soh’aym,
qui arriva dans ce pays au mois de cafard). A la suite de
la mort violente de Yezîd ben Aboû Moslim, ce fut, dit
Tabari, Moh’ammed ben Yezid, client des Ançâr, qui
fut appelé au gouvernement de l’Ifrîk’iyya par le choix
des habitants, que ratifia le khalife Yezid ben c Abd el-
Melik. Celui qui, en 103 (1 er juillet 721), gouvernait l’Ifrî-
k’iyya au nom de ce dernier, était Bichr ben Çafwân,
frère de H’anz’ala, lequel confirma c Anbasa dans sa situa-

(1) Cette mort serait du 8 dhoû’l-hiddja 103, d’après le Nodjoûm ;
mais cf. Annales, p. 92. Samh’ fut, d’après Isidore de Béja, tué à Tou-
louse. — Tarazona, dans l’Aragon, est à 3 lieues S. de Tudéle et est
appelée a la sœur » de cette dernière ville par Makkari ; son nom ne
ligure pas dans Edrisi.

(2) Un article lui a été consacré par Dhabbi (n° 1021).

(3) C’est à dire çafar 103 (août 721). Cette nomination serait de Bichr
ben Çafwàn, d’après ce qui a été dit, 1. 1, p. 46 ; voir aussi le bref article
de Dhabbi sur ‘Anbasa (n° 1259). On retrouve les deux versions dans
les autres sources.

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– 37 –

tion en Espagne. c Anbasa gouverna donc en totalité qua-
tre ans et huit mois ; mais on donne aussi un autre chif-
fre. En 105 (10 juin 723), c Anbasa se mit en campagne
contre les chrétiens d’Espagne : les fidèles alors étaient
des gens de bien et de mérite, ardents à la guerre sainte,
pleins de dévoûment pour acquérir les divines récom-
penses. Il poursuivit avec acharnement la lutte et les
sièges, si bien que les infidèles durent lui demander la
paix. Il mourut en cha’bân 107 (décembre 725), après
avoir gouverné le temps que nous avons dit.

Gouvernement de Yah’ya ben Selama Kelbi.

A la suite de la mort d’ c Anbasa, les Espagnols mirent
à leur tête un Arabe du nom de ‘OdhraO, jusqu’à l’arri-
vée, qui eut lieu deux mois plus tard, du gouverneur-
Yah’ya bea Selama Kelbi, nommé par le khalife Hichâm
ben e Abd el-Melik. [P. 27] Il gouverna depuis la fin de
Tannée 107 (19 mai 725 j pendant deux ans et demU 2 ).

Bichr ben Çafwân, qui gouvernait en Ifrik’iyya, étant
venu à mourir, le khalife le remplaça par e Obeyda ben( 3 )
Aboû’l-A c war Solami.

(1) Il est parlé ailleurs du pouvoir éphémère de ce chef sous le nom
de «Azra ben *Abd Allah Fihri (Makkari, u, 10, 1. 9 et s.).

(2) La mort d”Anbasa remontant, d’après notre auteur même, à
cha’bàn 107, et Hodheyfa ayant été nommé en 110, après une période
de deux ans et demi pendant pendant laquelle Yahya ben Selama fut
gouverneur, j’ai été forcé de corriger la date de 409, qu’a imprimée
Dozy, et de la remplacer par celle de 407, qu’on retrouve d’ailleurs
1. 1, p. 46 ; Annales, p. 93.

(3) Il faut ici ajouter Akhoû, ainsi qu’on l’a vu dans le t. i, p. 47 ;
dans Noweyri (in Berb.,1, 358), etc. Ce personnage s’appelait ‘Obeyda
ben^Abd er-Rahmàn Solami, et son nom se retrouve quelques lignes
plus bas.

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Gouvernement de H’odheyia ben el-Ah’waç.

Le gouvernement de l’Espagne fut alors confié à H’o-
dheyfa ben el-Ah’waç Achdja f i, ou, selon d’autres, K’aysi,
par c Obeyda ben c Abd er-Rahmàn, qui gouvernait Tlfrî-
k’iyya au nom du khalife Hichàm. La nomination de
Hodheyfa eut lieu en 110 (16 avril 728), et il resta en
place six moisM.

Gouvernement d”0thmân ben Aboû Nis’a.

c Obeyda ben c Abd er-Rahmân [autrement nommé] ben
[Akhoû] Aboû’l-A c war Solami, nomma alors en Espagne
f Othmân ben Aboû Nis e a Khath c ami, qui se rendit à son
poste en cha c bân 110 (nov.-déc. 728), et qui, destitué au
bout de cinq ou, selon d’autres, de six mois, se retira à
K’ayrawân, où il mourut.

Gouvernement d’El-Haythem ben ‘Obeyd Kenâni (*).

El-Haythem ben c Obeyd Kenàni le remplaça au com-
mencement de 111 (5 avril 729) et dirigea l’expédition
contre MonoûsaW. Il mourut après être resté en place
dix mois selon les uns, quatorze mois selon les autres.

(1) Dans le 1. i, p. 47, Hodheyfa est donné comme étant le successeur
d”Othman ben Aboù Nis’a ; mais Ibn el- Athir fait aussi de Hodheyfa le
prédécesseur d’Othmàn {Annales, p. 93 ; cf. Makkari, i, 145 ad f.).

(2) Il faut lire Kilâbi, ainsi qu’on trouve ailleurs (cf. Annales, 93;
Dozy, Mas. d’Esp., I, 220).

(3) Ce nom figure aussi dans Makkari (i, 145, 1. d.) ; probablement
le Munnis ou Munuza des auteurs espagnols, d’après Fernandez Gon-
zalez {Historias de Al-Andalus, p. 68). Un chef berbère, compagnon de
Tank’, est ainsi nommé (Dozy, Mus. d’Esp., i, 256).

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Gouvernement de Mohammed ben ‘Abd Allah Achdja’i.

Les Espagnols mirent ensuite à leur tête Mohammed
ben c Abd Allah Achdja’i, dont le gouvernement eut une
durée de deux mois, selon les uns ; mais on lui assigne
aussi une durée différente.

[F. 28] Gouvernement d” Abd er-Rahm&n ben ‘Abd Allah Ghâflk’i

En çafar 112 (avril-mai 730), ce chef devint pour la
seconde fois gouverneur ; il resta pendant deux ans et
sept mois, ou, selon d’autres, deux ans et huit mois, et
il trouva la Inort du martyr en territoire ennemi en
ramad’ân 114 (oct.-nov. 732)0).

Gouvernement d”Abd el-Melik ben K’at’an.

c Abd el-Melik ben K’at’an ben Nofeyl ben f Abd Allah
Fihri arriva dans le pays dans le mois de ramad’ân, où
son prédécesseur fut tué, et après le martyre de celui-ci ;
mais d’autres l’y font arriver en chawwàl 114 (nov.-déc.
732). Son gouvernement fut de deux ans; mais on lui
donne aussi une durée différente.

Gouvernement d”Ok’ba ben el-H’addjâdj Seloûli.

c Ok’ba ben el-H’addjâdj Seloûli lui succéda en chawwâl
116 (nov. 734)( 2 ). On raconte qu’à cette époque c Obeyd

(1) A la suite de la bataille de Poitiers, voir t. i, p. 49 ; Annales,
pp. 59 et 93.

(2) C’est cette date qui doit être exacte, et non celle de 110 que don-
nent Ibn el-Koùtiyya et le Maehmua, voir Annales, p. 61, n. 3.

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-40-

Allâh ben el-H’abh’âb était gouverneur d’Egypte et d’Ifrl-
k’iyya et que cet c Ok’ba, qui était son patron, étant allé
le trouver, fut reçu par lui avec honneur et respect, traité
avec beaucoup de considération et installé au palais
même ; de plus, c Obeyd Allah lui offrit de prendre le gou-
vernement qui lui plairait dans les provinces dont il
disposait* 1 ). En effet, El-H’addjàdj, père d’ c Ok’ba, avait
autrefois rendu à la liberté El-H’abh’àb, père d’ c Qbeyd
Allah; puis le khalife Hichâm ben c Abd el-Melik avait
confié à c Obeyd Allah ben el-H’abh’âb le gouvernement
de l’Egypte, de l’Ifrîk’iyya et de l’Espagne, de sorte que
ce chef disposait des contrées qui s’étendent d’El- c Arich
à Tanger, au Soûs extrême et à l’Espagne : un de ses fils
était en Egypte, l’autre dans le Soûs et à Tanger, et le
troisième en Espagne, tandis qu’ e Obeyd Allah lui-même
était en Ifrîk’iyya. Ce fut quand ce dernier, arrivant à la
gloire, obtint un haut rang et que sa renommée se répan-
dit, que son patron se rendit auprès de lui. c Obeyd Allah
le fit asseoir à ses côtés mêmes, le garda auprès de lui
et Jui accorda une faveur si grande que le nouveau-
venu fut hautement considéré par le peuple, [P. 29] et
c’était par son intermédiaire que les quémandeurs et
tous ceux qui avaient quelque chose à solliciter s’adres-
saient à f Obeyd Allah. Cela excita la jalousie des fils de
celui-ci, qui demandèrent à leur père -d’empêcher, par
l’éloignement d’ e Ok’ba, la diminution de leur propre
prestige. Mais leur démarche n’eut d’autre effet que
d’augmenter la considération dont il honorait c Ok’ba, à
qui il offrit de choisir à son gré, dans les régions où son
autorité à lui-même s’étendait, celle qu’il voulait gou-

(1) Cf. le récit fait dans le 1. 1, p. 51.

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– 41 –

verner. e Ok’ba reçut de lui l’investiture du pays qu’il dési-
gna, c’est à dire de l’Espagne, où il se mit chaque année
à faire des expéditions contre les chrétiens et à conquérir
diverses villes. Ce fut lui qui conquit Narbonne aussi
bien que la Galice et Pampelune, où il installa une popu-
lation musulmane. Ses victoires s’étendirent à toute la
Galice, moins la portion montagneuse^ 1 ), où le roi [Pelage]
de ce pays se réfugia avec trois cents fantassins : les mu-
sulmans les y serrèrent sans relâche, si bien qu’il n’en
resta plus que trente, qui, manquant de toutes provisions,
furent réduits à ne plus se nourrir que du miel qu’ils
trouvaient dans les fentes des rochers ; mais les nôtres,
fatigués de la poursuite, finirent par y renoncer. f Ok’ba
alors se tint dans l’Espagne (proprement dite), où il
administra de la façon la plus correcte et la plus irré-
prochable et où il suivit la voie la plus glorieuse et la
plus juste, jusqu’au jour où, dans une campagne entre-
prise contre le territoire de France, il se heurta à des
troupes ennemies et périt les armes à la main avec ses
soldats au lieu dit BalâV ech-chohadâi 2 ). On dit de lui
que c’était un homme brave, vaillant, dur à ses ennemis,
rigoureux; il n’envoyait à la mort les captifs qu’il faisait,
qu’après leur avoir offert de se convertir à l’Islam et leur
avoir exposé les blâmables erreurs de l’idolâtrie, et il
obtint ainsi, dit-on, la conversion d’un millier d’hom-

(1) C’est à dire le Rocher de Galice, ci-dessus, p. 19 ; Machmua, p. 28.

(2) Ce nom est ordinairement donné au lieu où se passa l’affaire que
nous désignons par le nom de bataille de Poitiers, laquelle est de 732
(cf. t. i r p. 49), et, notre auteur doit commettre une confusion. Isidore
deBéja fait mourir ce chef de maladie. D’après une autre version, ‘Abd
el-Melik ben Katan se révolta contre lui (Ibn el-Koutiyya et Machmua;
Annales du Maghreb, pp. 69 et 94).

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– 42 –

mes. Son gouvernement eut une durée dé cinq ans et
deux mois.

D’après une certaine version, les Espagnols se révoltè-
rent contre lui et le déposèrent. Au dire d’Ibn el- KatTân,
qui prétend qu’ c Ok’ba gouverna l’Espagne jusqu’à 121
(18 déc. 738), ce chef, dit-on, aurait, au moment de sa
mort, choisi c Abd el-Melik ben K’at’an pour le remplacer.

Seconde période de gouvernement d’Abd el-Melik ben K’at’an Fihri

En 122 (7 décembre 739), e Abd el-Melik ben K’at’an
devint, pour la seconde fois, gouverneur (et le resta)
jusqu’aux événements, que je raconterai, qui sont le fait
des Berbères et de Baldj ben Bichr, fils du frère de Kol-
thoûm ben c Iyâd’, gouverneur d’Ifrîk’iyya. [P. 30] Voici
le récit que fait Ibn el-K’at’t’ânW. Hichâm ben c Abd el-
Melik avait appelé Kolthoûm pour combattre les Berbè-
res et l’avait envoyé en Ifrik’iyya, en qualité de gouver-
neur, à la tête de trente miJle cavaliers, dont dix mille
de la famille même des Omeyyades et vingt mille Arabes,
avec la mission de tenir fermées les frontières d’Ifrîk’iyya
et d’avoir ce pays bien en main. Les Omeyyades, en effet,
avaient trouvé dans les livres de prédictions ( 2 ) que leur
dynastie devait finir, mais que les Abbasides ne dépasse-
raient pas le Zâb, et ils s’imaginèrent qu’il s’agissait du
Zâb d’Egypte, tandis que dans la réalité c’était le Zâb
d’Ifrîk’iyyaqui était visé < 3 ). De là Tordre donné par Hichâm
de veiller soigneusement à l’Ifrik’iyya pour que ses des-
cendants pussent, quand leur pouvoir finirait, y trouver

(1) Cf. le récit du t. i, p. 53 et s. .

(2) Le texte porte riwàyât; cf. 1. 1, p. 56, n. 1.

(3) Il a été déjà question des deux Zàb (t. i, p. 56), dont parle éga-
lement Iim el-Koutiyya (p. 266, 1. 9 du texte).

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– 43 –

un refuge. Il était entendu que, s’il arrivait malheur à
Kolthoûm, celui-ci serait remplacé par Baldj, fils de son
frère. Kolthoûm eut à soutenir contre les Berbères de
grands combats, dans l’un desquels il fut mis en déroute
et tué, à la suite de quoi Baldj prit, ainsi qu’il était con-
venu, le commandement des Arabes d’Ifrîk’iyya.

Les fuyards se réfugièrent à Ceuta, où ils se trouvèrent
réduits à la dernière extrémité, et alors Baldj et les
siens écrivirent à c Abd el-Melik ben K’at’an, gouverneur
d’Espagne, pour lui demander de les faire passer tous
en Espagne, lui exposant leur pénible situation et le fait
qu’ils avaient dû se nourrir de leurs montures. Mais c Abd
el-Melik, à qui ils n’inspiraient pas confiance, refusa de
les introduire dans ce pays et différa l’envoi de vaisseaux
et de vivres. Il arriva alors que les Berbères, en Espagne
aussi, levant orgueilleusement la tête, outragèrent les
Arabes et, agissant en vainqueurs vis à vis des habitants
arabes de Galice et d’ailleurs, massacrèrent les uns et
expulsèrent les autres. A l’arrivée de ces fuyards et en
présence des ravages auxquels se livraient les Berbères,
c Abd. el-Melik ben K’at’an se vit forcé de consentir à
l’immigration de Baldj et de ses compagnons, et il leur
écrivit dans ce sens, mais en fixant la durée de leur séjour
en Espagne à une année, au bout de laquelle ils se reti-
reraient. Cette -condition fut acceptée, et des otages fu-
rent en conséquence livrés à c Abd el-Melik, qui les ins-
talla dans l’île d’Oumm H’akîm, près d’AlgézirasW ; puis

(1) Il est question de cette île dans Edrisi (p. 212) ; ce nom lui vien-
drait d’une esclave de T’àrik’ ainsi appelée {Fatho’I^Andaluci, p. 6).
C’est la Isla verde actuelle {Machmua, p. 255). — Suj* le passage de
Baldj en Espagne, voir Dozy, Mus. d’Esp., i, 251. D’après une tradi-
tion peu vraisemblable, Baldj y aurait débarqué de vive force (Ibn el-
Koutiyya, p, 266),

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— 44 –

on amena Baldj et les siens, qui arrivèrent sans autres
vêtements que [les couvertures de] leurs montures et qui
étaient réduits au dernier degré de misère. Ils étaient
ainsi une dizaine de mille Arabes de Syrie, que les Ara-
bes d’Espagne vêtirent chacun selon ses moyens, l’un en
habillant une centaine, un autre dix, un autre encore un
seul, et ainsi de suite.

Quand ils furent installés [P. 31] à Algéziras, r Abd
el-Melik vint les y rejoindre et, de concert avec eux, il
attaqua tout d’abord au Wâdi’l-Fath’W, dans la province
de Sidona, un groupe de Berbères qui étaient cantonnés
dans cet endroit et que commandait un Zenàti. D’un
bond les Arabes furent sur leurs ennemis et les anéan-
tirent, puis firent main basse sur leurs effets et leurs
montures; les gens de Baldj purent ainsi se vêtir et se
refaire à l’aide de ce butin. Ils se rendirent ensuite à
Cordoue avec c Abd el-Melik, puis tous ensemble marchè-
rent du côté de Tolède, où s’était concentré le gros des
Berbères. Ce fut au Wâdi Selît’ (Guazalate), dans le ter-
ritoire dépendant de cette ville, que leur fut infligée leur
célèbre déroute par c Abd el-Melik et Baldj marchant à
la tête de tous les Arabes d’Espagne, moins ceux dé Sa-
ragosse et de cette frontière. Les* Berbères, de leur côté,
avaient concentré toutes leurs forces, et plusieurs mil-
liers d’entre eux furent massacrés au cours de la pour-
suite dont ils furent l’objet après leur défaite.

Gouvernement de Baldj ben Bichr K’ochayri.
Au dire de ceux qui s’occupent à recueillir les récils,

(1) Le nom du lieu où les Syriens immigrés livrèrent leur première
bataille aux Berbères d’Espagne se retrouve aussi dans le Fatho’l-

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– 45 –

Baldj, entré en Espagne en dhoû’l -ka c da 123 (sept.-oct.
741), devint ensuite maître de ce pays dans les circons-
tances que voici. Ibn K’at’an, après avoir anéanti les
Berbères d’Espagne avec l’aide des Arabes et des com-
pagnons de Baldj, dit à ces derniers de se retirer confor-
mément aux conditions qui lui avaient été imposées, et
Baldj demanda à être transporté sur le littoral d’Elvîra
(Grenade) ou de Todmir (Murciej. Comme c Abd el-Melik
disait n’avoir de vaisseaux qu’à Algéziras, les autres lui
répondirent qu’il voulait les renvoyer dans le pays des
Berbères pour les faire massacrer par ceux-ci. c Abd el-
Melik continuant d’insister pour obtenir leur départ, ils
marchèrent contre lui, l’expulsèrent du palais de Cor-
doue et le renvoyèrent dans sa demeure privée en cette
ville, tandis que Baldj pénétrait dans le palais le mer-
credi soir au commencement de dhoû’l-ka c da de cette
année. Les otages livrés par Baldj lors de son arrivée en
Espagne et envoyés par lbn K’at’an dans l’île d’Oumm
H’akim, périrent (*) pendant la lutte que se livrèrent ces
deux chefs : [notamment] un homme de Ghassan, l’un
des nobles de Damas, mourut de soif, car cet endroit
était dépourvu d’eau.

[P. 32] Quand Baldj fut devenu maître de l’Espagne,
le djond lui réclama Ibn K’at’an poui^Venger la mort du
Ghassânide en question. Baldj répondit par un refus,
mais le djond insista, et toutes les tribus Yéménites
firent la même réclamation, lbn K’at’an était un vieillard
décrépit, car il avait quatre-vingt-dix ans et avait assisté

Andaluciy p. 31. C’est probablement le Guadalete, d’après P. Gonzalez,
HistoriaSi 74.
(1) En partie seulement, d’après Dozy {Mus. d’Esp., 1,261).

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– 46 –

à la bataille d’El-H’arra, à la suite de laquelle il avait
pu se réfugier en Ifrik’iyyaW. Le djond arracha de sa
demeure de Cordoue, où il était alors, le vieillard que
son grand âge faisait ressembler à un autruchon, et
l’interpella en ces termes : « Tu as échappé à nos glaives
à la journée d’El-Harra, et puis, pour te venger, tu as
cherché à ne nous laisser pour nourriture que nos mon-
tures W et des peaux; tu voulais enfin nous, chasser pour
nous envoyer à la mort ! » Après quoi on le massacra,
puis on le mit en croix, en crucifiant un cochon à sa droite
et un chien à sa gauche. ♦

Alors Omeyya et K’at’an, l’un et l’autre fils d’ c Abd el-
Melik ben K’at’an, lesquels s’étaient enfuis lorsque leur
père fut chassé de Cordoue, firent des levées dans la
région de Saragosse et vinrent à la tête de plus de cent
mille Arabes, tant apciens que nouveaux, demander répa-
ration à Baldj. Celui-ci, qui n’avait sous ses ordres que
moins du cinquième des troupes ennemies, leur livra
une bataille acharnée où il finit par infliger une défaite
complète à ses deux adversaires^), et ses soldats se reti-.
rèrent, victorieux, avec un nombreux butin et le cœur
rempli d’allégresse. Mais leur chef Baldj lui-même était
atteint mortellement et mourut quelques jours après des
suites d’une blessure qu’il avait reçue dans le combat.
Sa période de pouvoir avait duré douze mois, mais on
n’est pas unanime à cet égard. D’après Aboû c Amir Sàli-

(1) Sur cette bataille, où la victoire fut remportée sur les Médinois
par les troupes du khalife Yezld, voir ib. y p. 101.

(2) « Des chiens », dit le Machmua, p. 42 ; cf. Dozy, ib., 262.

(3) Cette bataille fut livrée à Aqua Portora, non loin de Cordoue
(Machmua, 43 et 243), ou au Feddj Aboû Tawîl [Fatho’l-And., p. 34).

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– 47 –

mi, dans les Dorer el-k’alâ’id waghorer el-fawâ’idM,
cette affaire coûta la vie à onze mille hommes, et c Abd
er-Rah’mân ben e Alk’ama< 2 > fit une coche â une flèche
qu’il lança contre Baldj et qui frappa ce chef dans une
partie vitale; mais dans la Behdjat en-nefs il est dit ( 3 >
qu’il fut tué d’un coup de sabre par le môme guerrier,
et il lui est attribué six mois de gouvernement. C’est la
première version qui est exacte.

[P. 33] Gouvernement de Tha’leba ben Selâma ‘Amili.

En chawwâl 124 (août 742), Tha’leba ben Selâma fut
porté au gouvernement de l’Espagne parles Syriens. En
effet, Hichâm ben e Abd el-Melik avait, en l’expédiant de
Syrie, confié l’armée au commandement de Kolthoûm,
qui devait, en cas de malheur, être remplacé par Baldj,
fils de son frère, et de même si une éventualité fâcheuse
faisait disparaître Baldj, Tha c leba ben Selâma devait
prendre sa place. C’est par application de ces disposi-
tions de Hichâm que Tha c leba fut promu et que ses com-
pagnons lui prêtèrent serment. Ce qui restait de Ber-
bères à Mérida se souleva contre lui, mais il alla les

(1) Le nom complet de l’auteur est Aboû ‘Amir Mohammed ben
Ahmed ben ‘Amir Sàlimi (lbn el-Abbàr, Tekmila, n* 725, cf. p. 607, 1. 1),
qui mourut vers 559 H. Son nom est plusieurs fois cité, parfois sous
une orthographe fautive, par Makkari (i, 82 ; n, 97, 195 et 629 ; cf. Dozy,
Recherches, n, 2’ éd., p. 278; 3* éd., p. 255 ; Pons, Ensayo, n° 187) ; voir
aussi Dhabbi, n ‘ 31 et 35.

(2) Ce nom, lu fautivement A. er-R. ben ‘Okba dans lbn el-Koûtiyya
(p. 267), est celui d’un officier qui était gouverneur de Narbonne {Mach-
mua, p. 43 ; Makkari, n, 13 et 17 ; Dozy, Mus. d’Esp., i, 263).

(3) J’ai lu dans le texte ^J^», puisque l’auteur de la Behdjat n’est
pas le même que celui des Dorer,

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– 48 –

attaquer, en tua un grand nombre, en fit environ un mil-
lier prisonniers et se retira ensuite à Cordoue, où il
administra sagement pendant dix mois. Tel est le récit
que fait Ibn el-K’at’t’àn. On lit dans les Dorer el-k’alâ’id
qu’il mettait en vente les enfants de la population (vain-
cue), les réduisait en captivité, leur infligeait toute sorte
de mauxW. Tha’leba continua d’ainsi agir jusqu’à l’arri-
vée d’Aboû’l-Khat’t’âr.

Gouvernement d’Aboû’l-Khat’t’âr el-H’osâm ben D’irâr Kelbi (*).

En moh’arrem 125 (novembre 742), Aboû’l-KhatVâr
s’embarqua de la province de Tunis et gagna Cordoue.
A El-Moçàra( 3 > il trouva Tha’leba ben Selâma au milieu
des prisonniers et des captifs qu’il avait faits parmi les
Arabes de Cordoue et où le fils figurait enchaîné à côté
du père. “Aboû’l-KhatYâr les fit mettre en liberté et déli-
vrer de leurs chaînes, rendit le calme à ces gens trou-
blés et restaura chez eux l’accord accoutumé ; tous s’hu –
milièrejit devant lui; il répartit les Syrieris dans les
divers districts et ne négligea pas ses meilleurs soins
aux autres”. Il établit ceux de Damas dans le district
d’Elvira, ceux du Jourdain dans le district de Malaga,
ceux de Palestine à Sidona, ceux d’Emesse à Séville,
ceux de K’innesrin à Jaën, ceux d’Egypte à Béja et à

(1) Il est parlé des cruels procédés de ce chef ci-dessous et par le
Machmua, p. 45 ; cf. Dozy, i, 266.

(2) Ce nouveau gouverneur fut envoyé en Espagne par Hanz’ala,
gouverneur d’Ifrîk’iyya, sur Tordre du khalife et dans les circons-
tances relatées par lbn el-Athîr, Annales, p. 72 ; Dozy, etc.

(3) Localité près de Cordoue, ainsi qu’on le voit plus loin, et comme
ledit Dozy, /. I, 266 et 346 ; on lit « la almazara de Cordoba» dans le
Machmua, trad. p. 54 ; cf. Dozy, Gîoss, des mots esp. et port., p. ISO.

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– 49-

Murcie, [P. 34] en leur assignant les biens* 1 ) en terres
et en bétail appartenant aux non-Arabes (<adjem). Ce fut alors qu’arriva Eç-Çomeyl ben H’àtim, dont nous parlerons* 2 ) ; les Mod’arites firent cause commune avec lui et s’avancèrent sur Cor doue, où se trouvait Aboû’l- Khat’t’àr; ce chef marcha contre eux avec des forces insuffisantes, de sorte qu’il fut mis en déroute et fait pri- sonnier. On lui mit des chaînes aux pieds, mais il put ensuite s’en débarrasser et gagner le large. Le récil que voici est celui de la Behdjat en-nefs. A la suite de la déroute qu’il infligea aux Berbères, Tha’ieba réduisit leurs enfants en captivité, ce que n’avaient fait ni Baldj ni aucun autre jusque-là; puis, se dirigeant vers Cordoue en traînant avec lui un grand nombre de prison- niers, il arriva à Ei-Moçâra, dans le district dépendant de cette ville. Il fit alors procéder à la vente aux enchè- res de ses prisonniers et captifs arabes et berbères, non . sans s’amuser insolemment d’eux. On vendait les cheykhs et les nobles non au plus offrant enchérisseur, mais au rabais : c’est ainsi que pour les deux Médinois c Ali ben el-H’açin et El-Hàrilh ben Asad, le crieur demanda d’abord dix dinars, et de rabais en rabais adjugea l’un pour un jeune bouc et l’autre pour un chien. Pendant qu’il était ainsi à s’amuser brutalement et que les guer- riers qu’on avait fait sortir des rangs étaient disposés pour recevoir le coup mortel, Aboû’l-Khal’t’âr survint ce jour-là, qui était un vendredi, et fit mettre en liberté (1) Ou le tiers des biens (Mus. d’Esp.,i, 268 ; Fatho’l-Ancl, p. 36 ad f. du texte). — Sur cet établissement des cljoncl, cf. l’observation de de Goëje [Jakubi, p. 112). (2) Ce chef était entré en Espagne avec Baldj, d’après Ibn el-Athlr, Annales, 85 ; cf. Machmua, p. 56, et ci-dessous. Digitized by Google – 50 – tous les prisonniers : aussi appela-t-on ces troupes l’ar- mée de la paixW. [Voici ce qui s’était passé :] les Espagnols s’étaient adressés à H’anz’ala ben Çafwân, gouverneur d’Ifrik’iyya, pour lui demander un gouverneur qui rétablit la paix parmi eux et fit cesser la discorde dont ils souf- fraient, ainsi que les massacres toujours répétés qui paraissaient devoir les livrer au pouvoir des infidèles. Ainsi fut envoyé Aboû’l-Khat’t’âr, autour de qui se grou- pèrent les Syriens aussi bien que les Arabes* 2 ) et devant qui s’inclina toute l’Espagne. Il accorda l’amnistie aux deux fils d’ c Abd el-Melik ben K’at’an, installa les Syriens dans les divers districts, favorisa les Yéménites et tint les K’aysites à l’écart W. Ce fut là la cause qui provoqua contre lui l’attaque d’Eç Çomeyl ben H’àtim et des Mo- d’ar, alors qu’Aboû’M(hat’t’àr gouvernait ou depuis deux ans, ou depuis neuf mois, ou depuis trois ans, selon les diverses versions. [P. 35] D’Eç-Çomeyl ben H’àtim et des causes de la guerre civile D après la Behdjat en-nefs, Eç-Çomeyl ben H’àtim W avait pour aïeul Chamir, qui était de Koûfa et qui tua El-H’oseyn [ben C AU ben Aboû T’âleb], puis qui tomba lui-même aux mains d’Ei-Mokhtâr ben Aboû c Obeyd, fut massacré et eut sa maison détruite. Mais [d’après une autre version], Chamir put avec son fils se retirer de (1) Cf. Dozy, Mus. d’Esp., i, 266; Machmua, p. 45; Annales, p. 73 et 95. (2) C’est à dire les Arabes dits haladis, arrivés en Espagne avec TàriU’ et Moûsa. (3) Voir entre autres l’article que lui consacre la Hollat, p. 46. (4) 11 est l’objet d’une notice de la Hollat, p: 49; voir également sur lui les Annales, le Machmua, Ibn el-Koûtiyya, etc. Digitized by Googk -51 – Koûfa dans la Mésopotamie, puis ils firent partie du djond de KMnnesrîn M. Plus tard, Eç-Çomeyl devint en Espagne un chef remarquable par sa bravoure et sa générosité, et il porta ombrage à Aboû’l-Khat’t’àr. Comme un jour il était ajlé trouver celui-ci, chez qui se trouvait [une partie] du djond, ce gouverneur, qui voulait Thumi- lier, l’injuria et le battit, et Eç-Çomeyl, rentré furieux chez lui, envoya aux principaux de ses contribules ses réclamations contre un pareil accueil. Comme ils se dé- claraient prêts à le suivre, il leur répondit : « Je ne yeux pas, par Dieul vous exposer (seuls) aux attaques des K’od’à’ites et des Yéménites ; je recourrai à des moyens détournés et, évoquant les haines soulevées par l’affaire de Merdj Ràhit’, j’appellerai lesLakhmites et les Djodhâ- mites à moi, et nous prendrons pour chef un homme qui n’aura que l’apparence du pouvoir, tandis que nous en aurons la réalité. » On écrivit donc à Thawâba ben Selàma Djodhàmi, qui faisait partie des Arabes de Palestine, puis on alla le trouver, et ce chef donna son assentiment, ainsi que le firent aussi les tribus de Lakhm et de Djo- dhâm. Aboû’l-KhatYâr, apprenant ce qui se passait, se mit en campagne, mais Thawàba, qui marcha contre lui, le mit en déroute et le fit prisonnier, puis continua sa route en avant et entra dans le palais de Cordoue en traînant après lui Aboû’l-KhatTâr enchaîné. Mais celui-ci put ensuite s’échapper, ainsi que nous l’avons dit. (1) Sur le rôle joué par Chamir ben Dhoûl-Djawchen dans la mort de Hoseyn, on peut voir notamment, dans le long et touchant récit que fait Ibn el-Athîr de l’affaire de Kerbela, les pp. 66 et s. du t. iv. Chamir fut exécuté par ordre d’El-Moklitàr, d’après Ibn Koteybu, p. 204, et le Machmua % p. 56 ; mais d’autres disent qu’il échappa. (Cf. Ibn el- Athir, iv, 195; Ibn el-Abbàr, note du texte du Bayàn, ou Hollat, p. 49 ; Machmua f p. 56). Digitized by Googk – 52 – Thawâba détint le pouvoir pendant deux ans M. Au cours de cette période, en 128 (3 octobre 745), Aboû’l- Khat’t’âr leva des troupes chez les Yéménites à l’effet d’attaquer les Mod’arites, et il s’avança à la tête de très nombreux guerriers contre Cordoue. tP.- 36] Mais ceux-ci se dispersèrent à l’approche de Thawâba et refusèrent de le combattre. Thawâba mourut ensuite cette année même, et, à la suite de sa mort, la guerre recommença comme auparavant. Les Yéménites voulurent restaurer Aboû’l-KhatTâr, mais les Mod’arites et Eç-Çomeyl s’y opposèrent, et les deux partis se traitèrent sans aucun ménagement. Pendant quatre mois l’Espagne resta sans aucun gouverneur proprement dit, et l’on se borna à choisir e Abd er-Rah’mân ben KethirLakhmi pour veiller à l’administration de la justice^). [En effet] la situation en Syrie et Tordre successoral des khalifes étaient trou- blés; puis Yezîd (m), ayant mis à mort El-Welîd (n), devint le représentant des Benoû Merwân sur le trône. Gouvernement de Yoûsof ben ‘Abd er-Rah’mân Fihri. La situation était grave et la discorde sévissait chez les Espagnols, quand, enfin, ils s’entendirent pour mettre à la tête du gouvernement Yoûsof ben c Abd er-Rah’mân Fihri ( 3 > et laisser à Yah’ya ben H’oreylh( 4 ), à titre d’apa-

(1) Cf. Bayân, i, 66; Machmua, p. 57; Annales du Maghreb, p. 86.

(2) Le même renseignement nous est fourni par lbn el-Athîr {Anna-
les, 96) et par Makkari (i, 147, 1. 18).

(3) Il lui est consacré un article dans la Hollat, p. 53 ; sur les cir-
constances dans lesquelles il fut choisi, voir Mus. d’Esp., 1,284.

(4) Chef syrien qui s’était proclamé indépendant (d’après le Mach-
mua, 57), mais cf. Dozy, Mu». d’Esp., i, 283.

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– 53 –

nage viager, le district de Malaga. Mais avant cela, les
K’od’â’a s’étaient réunis et avaient choisi pour chef e Abd
er-Rah’mân ben No’aymW Kelbi, lequel, se mettant à la
tête d’une troupe de deux cents fantassins et de quarante
cavaliers, tenta une attaque nocturne contre les gardes
du palais de Cordoue, puis envahit la prison et en tira
Aboû’l-KhatYàr, avec qui il gagna le large. Aboû’1-Khat’-
t’âr alors s’installa au milieu des Kelbites et des tribus
d’Emesse, qui se groupèrent autour de lui et lui ser-
virent de rempart. Il ne surgit cependant aucun incident
tout d’abord ; mais quand Yoûsof, à la suite de l’accord
qui se fit sur son nom, se vit le pouvoir entre les mains,
il enleva déloyalement à Yah’ya ben H’oreyth le district
de Malaga qui lui avait été concédé, et ce chef, irrité de
la dépossession dont il était victime, écrivit aussitôt à
Aboû’l-KhatTâr. Or celui-ci prétendait que, si son titre
d’émir lui avait été enlevé, il avait le plus de titres à
exercer le pouvoir, et Ibn H’oreyth émettait la même
prétention en se basant sur ce fait, que ses contribules
étaient plus nombreux que ceux d’Ibn el-Khat’t’àr. En
présence de ces dispositions d’Ibn H’oreyth, les Djodhâ-
mites le prirent pour chef, et les Yéménites, les H’imya-
rites et les Kindites établis en Espagne, se rattachèrent
à leur choix et firent acte d’obéissance; au contraire, les
Mod’arites LP- 37] et les Rebi c a allèrent à Cordoue,
capitale du royaume, se joindre à Yoûsof et campèrent à
Secunda.

Aux côtés de ce chef se trouvait encore Eç-Çomeyl, à
qui le peuple s’était adressé pour obtenir de lui un gou-

(1) Au lieu de No’aym, ainsi que l’écrit aussi le A/ac/i??iua, on trouve
Hassan dans Ibn el-Athtr [Annales, 86), et dans Makkari (u, 15).

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– 54 –

verneur, puisque le khalife Merwânben Moh’ammed était
occupé en Orient et trop éloigné pour leur en désigner
un; c’est alors qu’il avait choisi Yoûsofben c Abd er-Rah’-
màn ben H’abîb ben Aboû c Obda ben e Ok’ba ben Nâfi e
Fihri, qui était à ce moment à Elvira et qui fut, comme
nous l’avons dit, agréé par la population. Mais ensuite
des discussions surgirent à ce propos entre les Mod’a ri-
tes et les Yéménites, et ces derniers arrivèrent de toutes
les villes et provinces auprès d’Aboû’l-Khat’t’âr, qui, se
mettant à leur tête, marcha contre Cordoue, où se trou-
vait Yoûsof Fihri. Celui-ci répugnait à la guerre civile et
craignait d’exciter des haines et des inimitiés; “mais Eç-
Çomeyl ben H’âtim arriva avec des corps de troupes et
recourut aux armes et aux engins de guerre. Aboû’l-
Khat’t’âr, s’avançant à la tête de ses partisans, dressa son
camp; les deux armées se heurtèrent à Secunda et en
vinrent aux mains; alors on n’entendit plus que le bruit
des armes et le hennissement des chevaux, on ne vit plus
rien que des cadavres, si bien que lances étaient brisées,
glaives ébréchés ; les jambes étaient entrelacées, les cous
confondus, et depuis les batailles du Chameau et deÇiffin,
on n’avait vu pareil combat entre musulmans. Les Yémé-
nites furent enfin mis en déroute, et Aboû’l-KhatVàr,
réduit à fuir, se cacha dans un moulin d’Eç-Çomeyl situé
de ce côté ; mais il fut pris et mis à mort. Alors Eç-Çomeyl
ben H’âtim acquit la primauté, car il était connu pour sa
vaillance et sa force; Yoûsof Fihri lui remit la direction
des affaires, lui confia l’autorité et l’administration, ne
gardant pour hii que l’apparence, tandis qu’Eç-Çomeyl
avait la réalité”.

Quand Aboû’l-Khat’t’àr fut pris, il dit à ceux qui s’ap-
prêtaient à le tuer ; « Je ne puis échapper à la mort, mais

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– 55 –

vous n’avez pas le fils de la négresse (Ibn es-Sawdâ), »
désignant ainsi Ibn H’oreyth; il leur indiqua où il était,
et ces deux chefs lurent l’un et l’autre massacrés. Ibn
H’oreyth avait l’habitude de dire : « Si l’on me présentait
dans une coupe le sang de tous les Syriens, je la viderais,
oui, je la viderais jusqu’au bout.» [P.38] Aussi, quand,
tiré du moulin où il se cachait, il allait être mis à mort,
Aboû’I-KhatVâr lui adressa-t-il ces mois : « Fils de la
négresse, n’as-tu donc paô vidé la coupe jusqu’au fond ? »
Tous les deux furent ensuite exécutés, puis les prison-
niers furent amenés à Eç-Çomeyl, qui les fit tous déca-
piter sous ses yeux.

Dans l’année qui suivit, Dieu frappa l’Espagne d’une
épidémie si meurtrière qu’il semblait qu’elle dût enlever
toute la population.

* Yoûsol était reconnu par tout le djond, Mod’arites,
Yéménites et Syriens, et depuis l’affaire de Secunda l’Es-
pagne se tint tranquille, tous les cœurs lui furent sincè-
rement dévoués. Eç-Çomeyl, devenu son principal officier
et son arme honorée, ne laissait venir au gouverneur
que ce qu’il voulait lui-même, en écartait ce qu’il voulait,
si bien qu’il s’appropria l’autorité et disposa des têtes de
tous. Alors Yoûsof , oppressé et inquiet, se prit à craindre
pour lui-même et résolut de l’éloigner en lui abandon-
nant une partie de ses provinces”. En conséquence, il le
nomma, en 132 (20 août 749), gouverneur de Saragosse et
des territoires qui en dépendent. Au bout d’un certain
temps, Eç-Çomeyl eut à s’y défendre contre la révolte
d’El-H’obâi) ben Rawâh’a, des Benoû Zohra ben Kiiâb,
qui l’assiégea pendant sept mois* 1 ). “Yoûsof ne lui envoya

(J) Comparez Ibn el-Athir, Annales, 90. On trouve les deux formes
El-H’obâb et %1-H’abh’àb (Dozy, Mus. d’Esp., i, 292).

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– 56 –

pas de secours, en prétextant la situation difficile du pays
et les ravages de la famine, mais en réalité désireux de le
voir succomber pour être débarrassé de lui et n’avoir
plus à redouter ses tentatives de s’emparer du pouvoir.
Les contribules d’Eç-Çomeyl unirent enfin par se ras-
sembler à Eivira et à Jaën, d’où ils marchèrent à son
secours et le tirèrent de peine \

D’après une autre version, ceux qui se révoltèrent à
Saragosse contre Yoûsof furent Temim ben Ma c bed Zohri
et c Amir c AbderiW.

Plus tard, en 138 (16 juin 755), Yoûsof marcha contre
cette ville, et il resta sous ses murs jusqu’à l’arrivée de
rOmeyyade c Abd er-Rahmàn en Espagne.

Ce fut en 130 (11 sept. 747) qu’eut lieu la bataille de
Secunda; ce fut aussi alors que Ton reconnut Yoûsof,
qui avait soixante-quinze ans< 2 ) et qui régna neuf ans;
il vivait à ce moment retiré à la campagne, adonné aux
exercices religieux et à la pratique du bien.

En 131 (31 août 748), la terre ne produisit rien en Espa-
gne et la stérilité fut générale ; cet $tat de choses dura
jusqu’en 136 (7 juillet 753), et pendant cette période il ne
plut qu’une année sur deux. La plus forte sécheresse eut
lieu en 131 ou 132, [P. 39] mais il plut en 133 (9août750),
ce qui réconforta quelque peu les populations.

En 133, les habitants de la Galice se soulevèrent, et
maintes incursions furent dirigées contre eux. Ensuite la
famine, résultant de la sécheresse, sévit pendant ies
années 134 et 135, ainsi que pendant une partie de l’année
136, de sorte que la majeure partie de la population émi-

(1) Annales, p. 90 et 96; Makkari, u, 17 et 21 ; Machmua, 63, et ci-
dessous.

(2) Cinquante-sept, d’après Dozy, Mus. d’Esp., i, 284,

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– 57 –

gra à Tanger, à Zawîla et sur le littoral africain; le dé-
part eut lieu de la rivière de Sidona, connue sous le nom
de Barbât’, et ce nom servit dorénavant à désigner cette
année <*).

Liste de ceux qui se révoltèrent
contre Yoûsof ben ‘Abd er-Rah’mân Fihri.

c Abd er-Rahmàn ben c Alk’ama Lakhmi se révolta à
Narbonne, mais Yoûsof n’eut pas à le combattre long-
temps, car Dieu le lui livra promptement. c Orwa se ré-
volta à Béja, mais un officier envoyé par Yoûsof le mit
en déroute et massacra ses partisans( 2 ). PuisTemim ben
Ma’bed se révolta en 136 (7 juillet 753j. En 137 (27 juin 754),
Temîm ben Ma c bed et c Amir ben e Amr ben Wahb se ré-
voltèrent de concert à Saragosse, et Eç-Çomeyl ben H’âtim
se chargea de les réduire ; puis en 138 (16 juin 755) Yoû-
sof en personne marcha contre ces deux rebelles et les
assiégea à Saragosse ; il s’empara d’eux et les mit à mort.
Ce fut en la même année que se termina le gouvernement
de Yoûsof ben c Abd er-Rahmân Fihri.

Vue d’ensemble de la dynastie Omeyyade en Orient ( 3 ).

On compte quatorze khalifes de cette dynastie depuis
Mo’àwiya jusqu’au dernier d’entre eux. La durée totale,

(1) La rivière de Barbât coule près d’Alcala de los Gazules et se jette
dans rOcéan (Edrisi, 214; Machmua, 248). Vannée ou les années de
Barbât sont aussi rappelées par ce dernier ouvrage (p. 62 du texte).

(2) ‘Orwa ben el-Welîd se mit à la tète d’une insurrection des tribu-
taires à Béja et conquit Siville (Makkari, n, 17). Sur ces révoltes,
cf. suprà et infrà ; Annales, 88, 89 et 96.

(3) Comparez t. i, p. 67, où notre auteur a déjà fait, sous une forme
plus abrégée, certaines des citations qui suivent.

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– 58 –

depuis que Mo c âwiya exerça le pouvoir sans conteste
jusqu’au meurtre de Merwânben Moh’arnmed, en est de
quatre-vingt-onze ans neuf mois et cinq jours, en y com-
prenant les neuf ans et vingt-deux jours du règne d’Ibn
Zobeyr. Ensuite les membres de cette famille s’enfuirent
de côté et d’autre pour échapper à la mort, et notamment
e Abd er-Rahmân ben Mo’âwiya ben Hichâm ben c Abd
el-Melik se réfugia [P. 40] en Espagne, dont les habi-
tants le reconnurent pour leur souverain, ce qui entraîna
la fondation d’une nouvelle dynastie Omeyyade dont la
durée se prolongea jusqu’après 424 (7 décembre 1032).
On estime qu’il y a eu dans la durée de cette dynastie
une interruption qui s’étend depuis la mort violente de
Merwân jusqu’au moment où, en 136 (6 juillet 753) ou
environ, elle fut reconstituée par l’avènement d’ c Abd er-
Rahmân ed-Dâkhil (le nouveau- venu). Mais on dit aussi
qu’elle a régné sans interruption depuis le khalife c Olh-
mân jusqu’à 424, où cessa de régner à Gordoue El Mo’tadd
billâh, le dernier d’entre eux. Cette dernière opinion se
fonde sur le dire de certains qiv c Abd er-Rahmàn ben
H’abîb, qui gouvernait Tlfrîk’iyya au nom desOmeyyades,
donna l’investiture à Yoûsof ben r Abd er-Rahmàn, lequel
conquit l’Espagne et y était en qualité d’émir lors de l’ar-
rivée en ce pays d’ c Abd er-Rahmân ben Mo c âwiya. C’est
là une chose qui mérite réflexion, car si elle est exacte,
elle constitue un fait bizarre et qui mérite d’être noté.

Voici ce que dit Aboû Mohammed ben Hazm (U : « La
dynastie Omeyyade, qui finit en Orient en la personne de

(1) Cf. t. i, p. 68. Sur Ibn Hazm (Aboù Mohammed ‘Ali ben Ahmed),
+ 456, voir notamment Dozy, Intr. au Bayàn, p. 65, et Pons, Eiiscit/o,
n° 103 ; aux auteurs cilés par ce dernier, ajoutez Merràkechi, index de
la tr. fr., et Goldziher, Die Zâhiriten, p. 116 t

Digiti

zedby G00gle

– 59-

Merwàn ben Mohammed, était, malgré ses défauts, véri-
tablement arabe : aucun de ceux qui la représentèrent
sur le trône ne se constitua une capitale, chacun conti-
nua d’habiter la demeure et les propriétés où il résidait
avant de devenir khalife, sans s’inquiéter ni d’accumuler
d’immenses richesses, ni de bâtir dessalais, sans exiger
de ceux qui leur parlaient qu’ils les traitassent tle Sei-
gneur, ni leur demander de démonstrations serviles,
baisement de la terre ou de leur main ou de leur pied.
Tout ce qu’ils cherchaient c’était d’être véritablement
obéis, de faire à leur gré les nominations et les révoca-
tions jusque dansjes provinces les plus éloignées; et,
ert effet, ils nommaient et déplaçaient les gouverneurs
de l’Inde, du Khorâsân, de l’Arménie, du Yémen, du
Maghreb rapproché et extrême, du Soûs et de l’Espagne;
ils y envoyaient des troupes dont ils confiaient le com-
mandement aux gouverneurs qui leur plaisaient, et régnè-
rent sur la plus grande partie du monde. Nul prince ici-
bas ne commanda à un empire aussi vaste, jusqu’au jour
où les Abbasides l’emportèrent sur eux en Orient et mi-
rent fin à leur règne. Alors f Abd er-Rahmàn ben Mo’â-
wiya se rendit en Espagne, et lui et ses descendants y
constituèrent une dynastie qui régna environ trois siècles.
Nulle plus qu’elle ne se distingua par sa générosité et
par le nombre des victoires [P. 41] qu’elle remporta sur
les polythéistes, nulle ne réunit autour d’elle plus de
gens de bien; sa ruine fut celle, encore existante, de
l’Espagne. Avec son éclat disparut celui du monde ».

Aboû Mohammed dit encore : « Le pouvoir en Orient
passa alors aux Abbasides, dynastie étrangère sous
laquelle disparurent les bureaux constitués par les Ara-
bes, où les barbares du Khorâsân devinrent prépondé-

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– 60 –

rants dans le gouvernement, où la royauté se fît oppres-
sive et imita les procédés des Kosroès. Il faut cependant
reconnaître que ces princes ne firent pas publiquement
injurier les Compagnons du Prophète, au contraire de ce
qu’avaient fait les Omeyyades, sauf c Omar ben c Abd el-
e Aziz et Yezîd ben el-Welid, à l’égard d’ e Ali, injures
oiseusas et suffisantes pour couvrir cette dernière dynas-
tie de honte. Les Abbasides ne permirent pas l’emploi de
ce procédé, mais de leur temps la division se fit jour chez
les musulmans, et dans les provinces le pouvoir passa à
divers groupes d’hérétiques, de chiites, de Mo c tazelites
et de descendants d’Idris et de Soleymàn, l’un et l’autre
fils d ,f Abd ALlâh ben el-H’asan ben el-H’asan ben c Ali
ben Aboû Tàleb, tandis que des Omeyyades s’emparaient
de l’Espagne et que bien d’autres faisaient de même
ailleurs. Pendant que ces dissensions sévissaient, les
infidèles se rendaient maîtres de la moitié de l’Espagne
et d’environ la moitié du Sind. Les pays où les Abbasides
cessèrent de dominer sont les régions du Maghreb par
delà le Zâb, Tlemcen et les districts qui en dépendent,
soumis à Mohammed ben Soleymàn H’asani, Fez et les
districts qui en dépendent, soumis aux chiites que rem-
plaça ensuite Idris; Tâmesnâ, soumis aux descendants,
tout hérétiques qu’ils étaient, de Çâiih’ ben Tarif, et
Sidjilmàssa, où s’installa le chef des Çof rites. Sur l’état
de tous ces pays, il n’y a pas de discussion; mais quant
à l’Ifrîk’iyya, on n’est pas d’accord, car l’on dit qu’ f Abd
er-Rahmân ben H’abîb y était en état d’insurrection^ 1 ). En
Espagne, il y avait Yoûsof ben c Abd er-Rahmàn Fihri. »

(1) Voir sur ce personnage le 1. 1, index, ainsi que la Hollat, p. 51 ;
Dhabbi, n* 1006, etc.

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-61 –

[P. 48] ‘Abd er-Rahmân ben Mo’âwiya ben BicfaAm s’estait
de Syrie et pénètre en Espagne.

Au dire des auteurs de récits, c Abd er-Rahmàn ben
Mo c âwiya commença en 136 (7 juillet 753) des pourparlers
avec les clients Omeyyades installés en Espagne, et en
la même année eut lieu la séparation des descendants
tant de Mo’âwiya que de Hichàrn* 1 ), parmi lesquels se
trouvaient aussi les survivants des descendants de Mer-
wàn et d’Omeyya, et r Abd er-Rahmân ben Mo’âwiya s’en
alla secrètement, passant d’une localité à une autre avec
l’intention de gagner l’Espagne, poussé par ce qu’il savait
de la situation de ce pays et par la tradition qui l’y faisait
figurer Œ. Il arriva ainsi en Egypte, puis passa à Bark’a,
où il se tint caché quelque temps, et en repartit ensuite
pour se glisser au Maghreb ( 3 ). Voici le récit de son affran-
chi Bedr : « Je le rejoignis en route, envoyé que j’étais par
sa sœur germaine Oumm el-Açbagh et porteur de deux
dinars ainsi que de quelques pierreries destinées à pour-
voir à ses frais d’entretien et de voyage. Il arriva en
ifrîk’iyya, alors gouvernée par c Abd er-Rahmân ben
H’abib, auprès de qui se trouvait un juif, ancien serviteur
deMaslama ben e Abd el-MelikW; or ce juif avait rap-

(1) Voici les généalogies auxquelles il est fait allusion : à Omeyya
ben ‘Abd Ghems ben ‘Abd Menât se rattachent Mo’âwiya ben Aboû
Sofyàfl ben Harb ben Omeyya, et, d’autre part, Hichàm ben ‘Abd el-
Melikfcen Merwàn ben el-Hakam ben Aboù’l-‘Açi ben Omeyya (Weil,
G. der Khal, i, 248; Prairies d’or de Mas’oûdi, v, 199).

(2) Je conserve àJL& que Dozy supprime dans ses Corrections, p. 34;
cf..par ex. p. 18, 1. 5, et p. 29, 1. 13 du texte arabe. v

(3) Sur les circonstances dans lesquelles s’enfuit ‘Abd er-Rahmàn,
cf. Annales du Maghreb, p. 97.

(4) Maslama était le grand’oncle d”Abd er-Rahmàn et avait la répu-
tation d’être un physionomiste habile (Ibn el-Athir; Dozy, Mus %
<*’%, 1,302).

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– 62 –

porté à son nouveau maitre la prédiction relative au
koreychite, descendant d’Omeyya, qui devait conquérir
l’Espagne, s’appeler c Abd er-Rahmân et être porteur
de deux boucles. Ibn H’abib ayant examiné le nouveau-
venu et vu les deux boucles de cheveux qui ornaient son
front, appela le juif et lui dit : « Voilà, misérable, l’indi-
vidu dont parle la prédiction ! Aussi vais-je le faire met-
tre à mort. — Mais, lui dit le juif, si c’est bien lui, tu ne
le tueras pas (puisque les destins s’y opposent) ! » Alors
Ibn H’abib se borna à faire exécuter les Omeyyades qui
rejoignaient le fugitif et à s’emparer de leurs biens. Cela
fut cause qu’ c Abd er-Rahmân s’enfuit de Kayrawân dans
la direction de l’Espagne, car ce pays le préoccupait à
raison de ce qu’il savait de la science des prédictions et
de ce qu’avaient dit son grand’oncle paternel Maslama
ben f Abd el-Melik et d’autres encore. Il arriva ainsi
dans des régions du Maghreb habitées par des tribus où
il passa par une situation très pénible et eut des aventu-
res trop longues à raconter. Il put s’enfuir et arriver jus-
que chez les Nefza, qui étaient ses oncles maternels,
puisque sa mère était une captive originaire de chez
eux. » Bedr ajoute encore : « Je passai ensuite [P. 43]
en Espagne, et je rejoignis c Obeyd Allah ben c Othmân
sur le litlôral d’Elvira à la fin de 136, puis j’en repartis
en 137 (27 juin 754) et je séjournai quelque temps auprès
d’ c Abd er-Rahmân; je retournai ensuite de nouveau en
Espagne avec les clients de ce prince. »

Voici ce qu’a raconté « A mon entrée en Espagne, j’étais tout pénétré de la pré-
diction faite par Maslama ben c Abd el-Melik dans les cir-
constances suivantes. Il vint un jour trouver mon grand’-
père Hiehâm à un moment où, étant moi-même tout

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enfant, je me trouvais présent ; et comme mon grancTpère
voulait m’écarter du visiteur : « Prince des Croyants, dit
Maslama, laisse tranquille cet enfant, car je vois en lui
l’homme des Omeyyades, celui qui fera revivre cette dy-
nastie après sa chute. » A partir de ce moment je vis que
toujours mon grand père marquait pour moi de la prédi-
lection! 1 ). »

Voici ce que dit Er-Râzi : « En 137 (27 juin 754) eut lieu
dans la région de Saragosse la révolte d’El-H’abh’âbW
ben Rawâh’a, avec qui fit cause commune c Amir ben e Amr
c Abderi, des Benoû c Abd ed-Dàr ben K’oçayyW. Le pre-
mier s’était enfui de Cordoue à cause de la crainte que
lui inspirait Yoûsof ; le second était l’un des principaux
guerriers Mod’arites fort connu en Espagne par sa vail-
lance, sa noblesse, sa science et sa courtoisie, et le com-
mandement des expéditions estivales lui était confié par
Yoûsof. Or le pouvoir de ce dernier n’était pas à ce mo-
ment bien grand à cause de la stérilité dont le pays souf-
frait depuis plusieurs années. Eç-Çomeyi se tenait alors
du côté de la frontière, où les produits de la terre étaient
plus abondants qu’ailleurs. Or comme c Amir croyait
avoir à craindre pour sa vie de la part du Fihrite aussi
bien que d’Eç-Çomeyl, il s’enfuit auprès d’El-H’abh’âb
ben Rawâh’a, et, de concert avec lui, procéda à des enrô-
lements où se présentèrent des guerriers Yéménites et
des Berbères. Eç-Çomeyl alors fut très étroitement assiégé

(i) Cette anecdote est rapportée dans les mêmes termes par Makrizi
{Moka/fa, ms 2144 de Paris, f. 53). Cf. Mus. d’Esp., i, 303.

(2) On a vu ce nom sous la forme El-H’obàb (p. 55). Le Moschtabih
deDehebi ne cite que cette dernière, qui se trouve aussi dans la Hollat,
p. 52. — Sur le récit qui suit, cf. Mus. d’Esp., i, 292.

(3) ‘Amir est Kobjet d’un article de la Hollat, p. 52.

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– 64 –

à Saragosse, à ce point qu’il eut des craintes pour sa vie
et songea à se rendre. Il envoya une demande de secours
à Yoûsof, qui ne put organiser d’expédition ; et comme le
siège continuait sans qu’il vit arriver d’aide du côté de
Yoûsof, il écrivit à ses contribules du djond de Kinnes
rîn et de Damas en leur représentant la gravité de la
situation et les adjurant de se rappeler leur commune
origine. c Obeyd ben c Ali le Kilâbite soutint sa demande
et avec lui la plupart des Kilâbites ; mais les Hawâzin et
les Ghatafân disaient tantôt oui et tantôt non, [P. 44] car
ils n’avaient pas de chef qui pût les entraîner tous. Quand
e Obeyd ben c Ali entreprit une tournée pour appeler les
hommes de ces deux djond au secours d’Eç-Çomeyl, les
Kilâb et les Moh’ârib se mirent en devoir de lui répon-
dre, mais lesKa’b ben c Amir, les c Ok’ayl,les K’ocheyr et
les H’arîch s’y refusèrent, car ils jalousaient les Benoû
Kilâb à cause de la suprématie que ceux-ci, dont était
Çomeyl, exerçaient alors en Espagne, tandis qu’autrefois
elle avait appartenu à Baldj, qui était Kocheyrite.

De ces tribus il ne se forma*donc qu’une troupe d’en-
viron quatre cents cavaliers, dont le courage, d’abord
hésitant en raison de leur petit nombre, se raffermit
ensuite; puis elle fut rejointe par un faible groupe d’une
trentaine de cavaliers Omeyyades, parmi lesquels figu-
raient Aboù c Olhmàn c Obeyd Allah ben ‘Othniân, lui-
même client Omeyyade, ainsi qu’ c Abd Allah ben Khâlid
ben Abân ben Aslam, client d’ f Othmân ben c Affân. Ces
deux chefs, plus tard, portèrent alternativement le dra-
peau des Omeyyades en Espagne et se succédèrent l % un
à l’autre dans ce poste. S’ils participaient à cette expédi-
tion, eux et les Omeyyades, c’était pour tenter une affaire
dont les suites sont bien connues ï ils voulaient ainsi

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– 65-

arriver jusqu’à Eç-Çomeyl pour lui parler d ,e Abd er-
Rahmàn ben Mo’âwiya, à raison de la confiance qu’ils
avaient en lui et de leur conviction que, n’embrassàt-il
pas leur parti, il leur garderait le secret. Leur prévision
était juste, car il observa le secret le plus absolu relati-
vement à ce qui lui fut confié. L’espoir de son concours
ultérieur fut donc une des raisons qui firent qu’ils se
portèrent à son secours pour tâcher de le délivrer. Le
petit corps de troupes se mit en conséquence en marche
après avoir placé à sa tête, dans l’espoir de se rattacher
davantage, Ibn Chihâb [chef des K f ab ben e Amir]. Quand
on arriva à la rivière de Tolède, on apprit qu’Eç-Çomeyl
était presque réduit à l’extrémité, tant le siège était
poussé de près, et on lui expédia en avant-coureur un
messager qui avait pour instructions de pénétrer parmi
les combattants pour ainsi se rapprocher des murailles,
et alors de lancer par dessus le rempart des cailloux
dont chacun portait [un papier avec] ces deux vers:

[Wâfir] Assiégés, réjouissez-vous, car il vous vient du
secours pour vous sauver et vous débloquer. Voici qu’arri-
vent les glorieux guerriers de Nizâr montés sur des juments
bien bridées et de la race d’A’wadj (*).

Le messager s’acquitta de sa tâche, et # ces pierres ou
l’une d’elles fut portée^ à Eç-Çomeyl, [P. 45] qui se fit
lire ces vers, car lui-même était illettré, et s’écria aussi-
tôt : « Réjouissez-vous, camarades, car, j’en atteste le
Seigneur de la Ka c ba, il vous arrive du secours! » La
petite armée qui avait fait annoncer sa présence conti-

(1) La traduction de ces vers, que citent aussi le Machmua, p. 68,
et le Fatho’UAnd.y p. 47, figure dans Dozy, Mus. d’Esp., i, 295.

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mia d’avancer en engageant à la rallier ceux qui l’avaient
promis, et ayant toujours avec elle les Omeyyades, entre
autres Bedr, le messager d’ c Abd er-Rahmân ben Mo f â-
wiya. Celui-ci avait confié son cachet à son affranchi, de
manière à en pouvoir sceller toutes les lettres adressées
à ceux dont il y avait lieu. d’espérer le concours. Ce fut
ainsi qu’Eç-Çomeyl reçut une lettre écrite en son nom
dans laquelle étaient rappelés à ce chef les bienfaits dont
il était redevable aux Omeyyades, en même temps qu’on
lui faisait des promesses et qu’on excitait ses désirs. Or
les assiégeants, c’est à dire c Abderi et ‘OdhrH 1 ), levèrent le
siège quand ils apprirent l’arrivée de troupes de secours
de sorte qu’Eç-Çomeyl se trouva délivré. Il put en consé-
quence se porter à la rencontre des amis qui venaient le
secourir, leur fit des cadeaux proportionnés au rang de
chacun et leur distribua des vêtements, après quoi il s’en
retourna avec eux en emmenant ses biens et ses proches.
D’autre part, El-H’abh’àb entra à Saragosse et en prit
possession sitôt qu’Eç-Çomeyl en fut sorti.

Ce dernier fut ensuite mis par les Omeyyades au cou-
rant de ce qui concernait Ibn Mo c àwiya, dont ils lui pré-
sentèrent l’envoyé Bedr. Il traita très bien celui-ci, répon-
dit qu’il réfléchirait à cette affaire et continua sa route
jusqu’à Cordouè. Alors les Omeyyades, et Bedr avec eux,
rejoignirent leurs demeures après être convenus avec
Eç-Çomeyl que ce chef prêterait aide et secours à Ibn
Mo c âwiya et lui donnerait sa fille < 2 ) en mariage. Mais il

(1) Sur ce chef, cf. Annales, p. 89 et les notes.

(2) Il s’agit ici non de la fille de Çomeyl, mais d’Oumm Moùsa, fille
de Yoûsof ben Fihri, ainsi qu’on le voit plus loin {Machmua, 72, 1. 11 ; Fat ko* l- And.,
49, 1. 3 ; Dozy, i, 317 ; Ibn el-Koùtiyya, p. 270, 1. 16 ; la trad. Houdas

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-67 –

revint ensuite sur sa promesse en disant : « Réflexion
faite, je trouve que ce projet est d’une réalisation difficile.
Veuille Dieu cependant bénir le plan que vous avez, vous
et votre maître ! Si ce dernier cherche autre chose que
le pouvoir suprême, je ne manquerai pas de l’appuyer
auprès de Yoûsof pour que celui-ci lui donne sa fille et
qu’on lui fasse bon accueil. Allez maintenant en paixUW.
Alors n’espérant plus rien des Rebi’a ni des Mod’ar,
ils se tournèrent du côté des Yéménites. « Nous ne pas-
sions, dit Bedr, auprès d’aucun Yéménite sans lui faire
des propositions, et nous trouvâmes ainsi toute une
troupe dont le cœur brûlait du désir de se procurer un
moyen de vengeance ; puis, étant retournés à notre djond,
nous achetâmes un navire sur lequel nous fîmes partir
onze hommes, que j’accompagnai. » D’autre part, Yoûsof
se rendit à Tolède, d’où il fit marcher deux corps de
troupes contre la Galice et la Biscaye, et voulut regagner
Cordoue; mais il venait de se mettre en.route quand un
messager lui apporta la nouvelle que son armée avait été
mise en déroute et en partie massacrée. Il s’occupait des
moyens de réparer cet échec quançl il reçut un autre mes-
sager envoyé par son fils resté à Cordoue, qui l’informait
qu’un jeune Koreychite, descendant de Hichâm ben c Abd
el-Melik, venait de débarquer sur le littoral [P. 46] d’Al-
munecar et avait rallié à sa cause les clients de ses con-
tribuleset des Omeyyades. La nouvelle s’étant ébruitée,
les soldats en ressentirent une joie maligne à cause des
procédés qu’il avait employés à l’égard des Koreychites,

de ce dernier texte (p. 239) parle du mariage de la fille du jeune
Omeyyade, lequel avait alors vingt-cinq ans, avec Yoûsof ben ‘Abd
er-Rahmân, âg;é de 65 ans).
(1) On retrouvé le même discours dans le Machmua, 74.

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puis ils abandonnèrent le camp et, chacun des différents
corps obéissant à son. cri de ralliement, tous regagnèrent
leurs districts respectifs, si bien que le lendemain Yoûsof
ne trouva plus auprès de lui que [les Benoû] K’ays et
Eç-Çomeyl. Il demanda conseil à ce dernier, qui lui dit
de prévenir son adversaire et de l’attaquer sur l’heure .
sans lui laisser le temps d’asseoir son autorité. Suivant
cet avis, on s’avança vers Cordoue ; mais en vain espé-
raient-ils recruter des troupes pour anéantir les forces
d’Ibn Mo c âwiya, la chose ne leur fut pas possible.
. Ce fut le 1″ rebi c 1 138 (14 août 755) qu’ c Abd er-Rahmân
ben Mo c âwiya, fondateur de sa dynastie, débarqua en
Espagne au lieu dit Almunecart*); puis il s’installa à T’or-
roch, bourgade du canton d’Elvira, où Ton avait préparé
à son intention montures, habitation et vêtements, et où
un certain nombre d’Omeyyades le rejoignirent. Son auto-
rité grandissant, le peuple arriva de toutes parts auprès
de lui, et alors Yoûsof le Fihrite écrivit aux Omeyyades
une lettre destinée à les avertir et intimider. Ceux-ci,
s’excusant comme ils purent, répondirent qu’Ibn Mo’â-
wiya n’était venu trouver ses clients que pour des raisons
d’argent et non dans les intentions que pouvait lui prêter
Yoûsof, d’après les dénonciations qui lui avaient été faites.
Ensuite divers chefs de la population se rendirent auprès
d’Ibn Mo c âwiya et lui témoignèrent leurs craintes qu’Eç-
Çomeyl n’employât la ruse pour tenter contre lui quelque
mauvais coup, se fondant pour cela sur certains propos

(1) La date de ce débarquement, que notre auteur fixe au 1 er rebV
(le mot iLè peut aussi s’entendre de l’un des trois premiers jours du
mois), est reculée de quelques semaines par la Hollat, p. 54, et par le
Machmua (p. 75), suivis par Dozy {Mus. d*Esp., i, 324). C’est aussi de
rebi’ I que parlent les Annales, p. 99.

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que leur avait tenus Yoûsof. A la suite de ces avis, Ibn
Mo e àwiya se mit à habiter la montagne.

[Ses partisans ne restèrent pas inactifs :] Yoûsof ben
Bokht se rendit auprès du djond du Jourdain, dont il
reçut le serment de fidélité; e Abd Allah ben Khâlid alla
trouver le djond d’Emesse, et Temmâm ben ‘Alk’amaM
la population originaire de Palestine. On vit alors arriver
une foule de gens [auprès du prétendant omeyyade]. La
position du Fihrite au contraire devenait difficile, et,
comme peu d’hommes du djond venaient le rejoindre,
Eç-Çomeyl lui donna le conseil d’employer la ruse et de
jouer au plus fin avec son adversaire, que sa jeunesse
pourrait faire tomber dans le piège : « Le manque d’ar-
gent, lui représenta-t-il, va le forcer à traiter, et il sera
trop heureux d’accepter ce que tu lui offriras ; tu seras
alors en état de lui imposer ta volonté, à lui et à ceux
qui travaillent pour lui. » Il le persuada donc d’employer
la douceur, de le marier avec sa fille et de l’installer
[P. 47] à son choix dans le djond de Damas ou dans
celui du Jourdain, ou même entre les deux, en lui attri-
buant le gouvernement de ces deux cantons. Yoûsof
alors envoya à c Abd er-Rahmân deux vêtements, deux
montures et cinq cents dinars avec son secrétaire Khâlid
ben Yezid, à qui il recommanda de bien voir la situation,
de quel djond TOmeyyade avait l’appui, ainsi que d’exa-
miner tout ce qui le concernait, lui et les siens. Parti de
nuit avec ses compagnons, Khâlid arriva le matin auprès
d’Ibn Mo c âwiya, apportant, en outre des présents qui lui
‘étaient destinés, un cheval, un vêtement et cent dinars

(1) Quelques lignes lui sont consacrées dans la Hollat (Notices, etc.,

p. ri)- , ■

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— 70 -=

pour Bedr. c Abd er-Rahmân accepta les cadeaux qui lui
étaient envoyés, mais refusa la proposition de mariage,
ce qui lui attira des propos grossiers de la part de Khâlid.
Il fit alors jeter celui-ci en prison et renvoya un autre
messager à Yoûsof, mais sans répondre [par écrit] à la
lettre que ce dernier lui avait adressée, et dont voici des
passages : « Après les compliments d’usage, nous avons
appris que tu es débarqué sur le littoral d’Almunecar et
qu’auprès de toi se sont réunis, que vers toi se sont diri-
gés des voleurs, des perfides, des traîtres, des violateurs
des serments les plus sacrés, qui ont ainsi menti aux
promesses faites à Dieu et à nous; c’est à l’Être divin que
nous demandons de nous secourir contre eux. Ces gens
qui vivaient avec nous en complète sécurité et dans
l’abondance des vivres en sont venus à méconnaître ces
bienfaits, ils ont échangé la tranquillité contre la crainte,
ils ont marché au parjure, alors que Dieu, à qui rien
n’échappe, est derrière eux l Si tu es venu chercher de
l’argent et de vastes propriétés, je suis mieux à même
de te satisfaire que ceux chez qui tu t’es rendu : je te
protégerai toi et ta race, et je t’installerai auprès de moi
ou dans le lieu qui te plaira. Dç plus, je m’engage et
oblige devant Dieu à ne te tendre aucune embûche et à
ne té livrer ni à mon cousin qui gouverne en Ifrîkiyya
ni à persorine autre, etc., etc. »

Ibn c Isa dit ceci : « Je tiens de Temmâm ben c Alk’ama
que, après l’arrivée de la lettre de Yoûsof renfermant
diverses propositions entre autres l’offre de sa fille en
mariage, c Abd er-Rahmân reçut tant de tous les Arabes
qui se rendirent auprès de lui que des Omeyyades, le
conseil de ne pas accepter et de ne consentir qu’à l’abdi-
cation de Yoûsof et à sa reconnaissance de l’autorité du

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– 71 –

prince Omeyyade; faute de quoi le procès sérail soumis
au jugement de Dieu, a car, lui dirent-ils, ton adversaire
ne cherche qu’à te tromper et ne tiendra pas ses pro-
messes, puisque son ministre, qui est le véritable maître,
n’est autre qu’un homme à qui Ton ne peut se fier, c’est
à. dire Eç-Çomeyl. » •

Le même narrateur continue : « Quand nos intentions
lurent manifestement établies [P. 48] aux yeux de Yoûsof
par notre refus et par l’incarcération de son secrétaire
Khâlid ben Yezid, nous décidâmes de rejeter tous les
voiles, et nous nous rendîmes auprès de Djidàr ben c Amr
et du djond du Jourdain, pour nous rallier à lui : nous
étions au nombre de trois cents cavaliers Omeyyades, et
des chefs arabes vinrent également trouver le [préten-
dant]. Ensuite nous écrivîmes aux gens de Kinnesrin et
de Palestine, et nous passâmes chez eux dès que nous
eûmes reçu des réponses favorables. Nous étions d’ail-
leurs préparés à mourir, notre ferme intention étant de
nous faire tuer pour notre prince, et nous lui conférâmes
les insignes du commandement. Pendant six mois nous
restâmes auprès de lui pour bien arranger toutes ses
affaires et envoyant des lettres de différents côtés pour
le recommander. Nous avions revêtu de beaux habits
lorsque nous nous étions présentés à lui pour le Recevoir
au moment de son débarquement. D’Elvira il se rendit
dans le district de Malaga, à Sidona, à Moron, dans le
district de Séville. Le peuple se portait joyeusement à sa
rencontre en lui adressant des souhaits de bienvenue et
enlui témoignant l’obéissance et la soumission la plus
complète. Nous entrâmes, continue Temmâm, à Malaga
au nombre de six cents cavaliers et nous en sortîmes deux
mille ; en quittant Séville pour marcher sur Gordoue,

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– 72 –

nous étions trois mille cavaliers. Quand nos forces furent
concentrées et que nous apprîmes que le Fihrite allait
marcher contre nous, l’émir e Abd er-Rahmàn procéda à
l’inscription des diverses cohortes, disposa les soldats
du djond et se mit en marche; il appela un des AnçàrW,
à qui il confia son étendard, et lui-même, s’avançant avec
les hommes des divers djond, campa le lundi 6 dhoû’l-
hiddja dans une bourgade située sur le fleuve de Cordoue.
« Yoûsof, de son côté, arriva à El-Moçâra, et les deux
adversaires, séparés par le fleuve dont les eaux étaient
très hautes, restèrent à s’observer pendant trois jours.
Le jeudi matin les eaux baissèrent, et e Abd er-Rahmân
prit ses dispositions pour combattre : il donna à l’un de
ses officiers le commandement des tribus arabes, et à un
autre, Ibrahim ben Chedjera, le commandement des Ber-
bères. Les meilleurs soldats omeyyades, mettant pied à
terre, entourèrent l’émir, qui était à cheval et portait son
arc en bandoulière. Il franchit alors la rivière et se rap-
procha d’El-Moçâra, de sorte que les deux armées se
trouvèrent proche et en face Tune de l’autre ; mais cepen-
dant ce jour-là ni l’une ni l’autre ne bougèrent, et Yoûsof,
qui espérait toujours en venir à un arrangement, envoya
des messagers à plusieurs reprises. [P. 49] Le vendredi
matin, on en vint aux mains et une lutte acharnée com-
mença. Alors El- c Alâ ben Djâbir ‘Ok’ayli, l’un des chefs
Kaysites, alla trouver Eç-Çomeyl et lui tint ce discours :
a Crains Dieu, ô Aboû’l-Djawchen, car, je le jure, nulle
journée plus que celle-ci ne ressemble à celle de la Prai-
rie [Merdj Rahît’], dont nous supportons encore la honte.

(1) C’est à dire descendant d’un des Médinois qui vinrent en aide au
Prophète lors de sa fuite à Médine.

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– 73 –

Aujourd’hui comme autrefois, la lutte a lieu entre les
mêmes adversaires, un Omeyyade et un Fihrite, les K’ay-
sites et les Yéménites ; aujourd’hui aussi, c’est fête et
c’est vendredi, de même que l’affaire de Rahlt eut lieu
un vendredi. Nul doute, je le jure, que tout ne dépende
de nous. Crains Dieu, te dis-je, et tâche qu’en cette occa-
sion nous devenions les maîtres et ne restions pas les
plus faibles ! » Mais les compagnons de Yoûsof furent mis
en déroute, et ce chef, s’étant alors dirigé vers le palais,
s’en vit barrer l’entrée par e Abd el-A e la ben e Awsedja;
repoussé de ce côté, il s’enfuit vers le pied de la monta-
gne de Cordoue. L’émir e Abd er-Rahmân devint donc
maître du pouvoir ce jour-là même, et il fut procédé à
son inauguration publique à Cordoue. Yoûsof continua
de fuir et se réfugia à Elvira. »

Khalifat
d”Abd er-Rahmân ben Mo’âwJya ben Hichâm ben ‘Abd el-Melik.

c Abd er-Rahmân, qui avait pour prénom (konya) Aboû’l-
Mot’arrif, était fils de Mo c âwiya ben Hichâm ben e Abd
el-Melik ben Merwân ben el-H’akam ben Aboû’l- c Api
ben Omeyya <*>; il avait pour mère Râh’ ou Redâh’, cap-
tive berbère originaire du Maghreb, et il a avec le Pro-
phète un ancêtre commun en la personne d* c Abd Chems
ben c Abd Menâf. Né en 113 dans la localité dite Deyr
H’oseyna< 2 >, du territoire de Damas, il était tout jeune
quand son père moi^rut. Lui-même mourut le mardi 23

(1) Cette généalogie est donnée plus au long par le Mokaffa.

(2) On lit Deyr Khanîna dans l’article consacré à ce prince par le
Mokaffa de Makrizi (voir Annales du Maghreb, d’Ibn el-Athir, p. 135
et 97; cf. Makkari, n, 33).

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– 74 –

rebi c II, ou, selon d’autres, le 10 djomâda 172 (l rr ou 17
octobre 788) et fut enterré dans le palais de Cordoue; il
était âgé de cinquante-neuf ou de soixante ans, et avait
régné trente-trois ans et quatre mois et demi. Il avait
vingt-cinq ans ou environ à son entrée en Espagne, et il
fut intronisé à Cordoue [P. 50] le jour de la Fête des
victimes de l’année 138 (le 15 mai 756).

Il eut quatre vizirs : e Obeyd Allah ben ‘Othmàn, c Abd
Allah ben Khâlid, Yoûsof ben Bokht et H’assân ben Mâ-
likW. Ses chambellans, au nombre de cinq, furent Tem-
mâm ben c Alk’ama, Yoûsof ben Bokht, c Abd el-Kerim
ben Mehrân, c Abd el-H’amîd ben Moghith et Mançoûr,
qui était un de ses pages. Il eut cinq kâdis : Yah’ya ben
Yezid Todjibi, Mo c âwiya ben Çâlih’, c Abd er-Rah’mân
ben Tarif, c Omar ben Cherâh’iM 2 ) et El-Moç c ab ben c Im-
rân< 3 ), en outre d’un cinquième [sic], Djidâr ben Maslama
ben c Amr Madhh’idjiW, qui l’accompagnait dans ses expé-
ditions d’été. Son sceau portait l’inscription : « c Abd er-
Rahmân se soumet au décret divine)». Il était d’une
haute stature, blond, borgne, avait les joues minces et un
grain de beauté au visage; il portait deux boucles de

(1) Ce prince n’eut pas de vizirs, mais seulement des conseillers,
dit le Moka/fa, f. 55 r’.

(2) Le Moka/fa ne donne les noms que de ces quatre kàdis, dont les
deux premiers sont aussi cités par Ibn el-Koùtiyya. Cf. Makkari, n,
31,1.20.

(3) Sur ce personnage, voir Annales, p. 102 n., et ci-dessous.

(4) Ce personnage, appelé ailleurs Djidàr ben ‘Anir, commandait
aux Arabes dans le district de Malaga lors de l’arrivée d”Abd er-
Rahmàn (Ibn el-Koûtiyya, p. 271; Makkari, n, 21, 1. 11; 31, 1. 23;
Tekmila, n* 15; Machmua, 76; Mus. d’Esj)., i, 342).

(5) Cette légende était, d’après le Mokafta et Makkari (n, 37) : *u)b

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– 75 –

cheveux et fut surnommé « le sacre des Omeyyades ». Il
eut onze enfants mâles <*) et neuf filles.

En 139 (5 juin 756) il se mit à la poursuite de Yoûsof
et d’Eç-Çomeyl, et le Fihrite, dès qu’il le sut, s’enfuit de
Grenade pour lui échapper; maïs l’émir marchant tou-
jours sur ses traces, Yoûsof alors rentra à Grenade pour
y organiser la défense. Son adversaire l’y assiégea et le
serra de près, si bien que Yoûsof, fatigué de la durée du
siège, demanda grâce en offrant ses deux fils comme
otages. e Abd er-Rahmân accueillit ces propositions, et
Eç-Çomeyl s’étant également soumis, le prince les em-
mena à sa suite à Cordoue, en imposant au Fihrite de
s’installer dans la demeure qu’il avait dans cette ville et
à Eç-Çomeyl d’habiter l’hôtel qu’il avait dans le faubourg.
L’émir, ayant ainsi définitivement établi son pouvoir, fit
prononcer des malédictions contre les Abbasides et ces-
ser de dire la prière au nom d’ e Aboû Dja c far el-Mançoûr.
Yoûsof le Fihrite prit ensuite du service dans l’armée de
l’émir et devint un des principaux officiers de celui-ci,
qui alors lui confirma la possession de ses biens et remit
ses enfants en liberté.

En la môme année, le 4 chawwàl (1 er mars 757), naquit
Hichâm ben c Abd er-Rahmân, surnommé Er-Rid’a.

En 140(25 mai 757), c Abd er-Rahmân se tint tranquille
à Cordoue et ne fit aucune expédition. Des Orientaux et
des Omeyyades qui vinrent le trouver reçurent de lui
l’hospitalité, furent accueillis avec honneur et de beaux
traitements leur furent assignés < 2 ).

(1) On voit, par ce passage, qu’il faut supprimer « CAbd el-Melik?) »
à la p. 136, 1. d. du texte, dans les Annales. Sur le portrait physique
de ce prince, cf. Annales, p. 135, et Makkari, h, 18.

(2) Les succès de l’habile, intelligent et énergique fugitif provoquè-

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– 76 –

[P. ôl] En 141 (14 mai 758), Yoûsof le Fihrite, violant
les serments les plus solennels, s’enfuit de Cordoue et,
la population se ralliant à lui, il réunit une armée de
vingt mille hommes, Berbères et autres. Se voyant à la,
tête d’une force si considérable, il partit de Mérida pour
attaquer l’émir, qui, à cette nouvelle, quitta son palais
et s’avança vers Almodovar. c Abd el-Melik ben c Omar
Merwâni, gouverneur de Séville, et son filsW, gouverneur
du district de Morort, firent chacun des levées chez ceux
de leurs partisans résidant dans les territoires qu’ils
commandaient, puis réunirent leurs forces. Quand Yoûsof
apprit et cette concentration et la marche de l’émir jus-
qu’à Almodovar, il craignit d’être pris entre ces deux
armées, et il se décida à marcher d’abord contre e Abd el-
Melik. Une sanglante rencontre eut lieu, qui finit par la
défaite de Yoûsof et la débandade de ses troupes, que
l’on poursuivit et massacra. c Abd er-Rahmân, qui atten-
dait à Almodovar que ses troupes le rejoignissent, y
apprit l’heureuse nouvelle qui le dispensait de continuer
la lutte, car Yoûsof s’enfuit en se cachant pour sauver
sa vie.

En 142 (4 mai 759), ce chef fut tué du côté de Tolède,
où il s’était réfugié et où il erra pendant plusieurs mois.
Ce fut un de ses compagnons qui le surprit par trahison
et qui, après l’avoir mis à mort, lui trancha la tête et la

rent naturellement l’exode de partisans et de parents empressés à
jouir de ce retour de fortune, et tous les auteurs en parlent (Moka/fa,
f. 54 i*;Machmua, p. 95 ; Fatho’l-A., p. 59 ; Makkari, h, 33 ; Ibn el-AUiir,
Annales, p. 101, où il est question des démarches tentées par Ralimàn, à ce que raconte Ibn el-Koùtiyya, pour amener ses deux
sœurs à passer de Syrie en Espagne).
(1) Il s’appelait

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– n –

porta à , qui se rendit maître de Séville,
d’Ecija et de la plus grande partie de l’ouest de l’Espagne,
et qui recruta des troupes nombreuses. L’émir se mit en
campagne et lui livra pendant plusieurs jours des com-
bats où il se vit près d’être battu ; mais enfin ce fut
H’ayàt qui dut fuir, et qui, s’étant réfugié du côté de
FirrîcbW, envoya de là une lettre pour solliciter son
pardon.

(1) Ou Bembuzar; voir sur ce nom et ses orthographes diverses,
Annales, 122, n. 2. Cette révolte est de 156, d’après Tbn el-Athîr (ib.)..

(2) « Cet endroit se trouvait probablement dans le voisinage de
Fuente de Cantos, au N.-O. de Séville » (Dozy, Mus. d’Esp., i, 358;
Recherches, 2* éd.,n, 283, n. 3 ; 3° éd.,. p. 260). Le traducteur du Mach*
mua Tidentifie avec Fuente de Cantos môme*

(3) On trouve aussi l’orthographe Molâbis {Annales, p. 121, n.) Cette
révolte est de 156 (ibicl.)

(4) Firrîch est au N.-E. de Séville (Edrisi, p. 256 ; Recherches, 2′ éd.,
Il, 283, n. 2; 3* éd., p. 260).

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– 81 –

En 146 (21 mars 763) eut lieu à Béja la révolte d’El- e Alâ
ben Moghitb Djodhâmi, qui proclama la souveraineté
d’Aboû Dja’far el-MançoûrC 1 ). ‘ Les guerriers des djond
le suivirent, le peuple se joignit à lui, si bien que l’auto-
rité de l’émir faillit périr, que son khalifat fut près de se
perdre. Le prince sortant de Cordoue à la tête de ses
troupes alla se fortifier, entouré de ses clients et de ses
guerriers les plus sûrs, à Carmona, où El- e Alà l’assiégea
de très près et le tint longtemps bloqué. Celte situation
en se prolongeant fit que la cohésion des troupes d’El- c Alâ
diminua, et c Abd er-Rahmân apprit que, près de se reti-
rer, elles songeaient à brider et à seller leurs montures;
alors, faisant allumer un brasier où furent jetés les four-
reaux des épées de ses compagnons, il dit ces mots :
« Sortez avec moi et jetez-vous sur ces bandes [P. 54]
avec l’ardeur de gens qui ne se flattent pas d’en revenir!»
Us étaient environ sept cents guerriers, véritables mâles
et héros renommés, qui, faisant comme lui et se saisis-
sant de leurs épées, se précipitèrent sur l’ennemi. Le
combat dura longtemps avant que, par un effet de la
bonté divine, les soldats d’El^Alà cédassent et- tournas-*,
sent le dos, servant ainsi d’enseignement pour ceux qui
savent. Ce chef lui-même trouva la mort au milieu de
ceux des siens qui périrent, et sa tête fut promenée sur
le champ de bataille”.

On raconte qu’El- e Alâ bén Moghîth, après avoir reçu
d’Aboû Dja’far el-Mançoûr l’investiture en qualité de
gouverneur de l’Espagne, déploya les étendards noirs et
proclama la dynastie Abbasside, en quoi la population se

(1) On place aussi cette révolte sous les années 147 et 149 {Annales
p. 106; Mus. d’Esp., I, 365; cf. Maehmua, p. 101).

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-82-

joignit à lui. A la suite de sa défaite dans les conditions
que nous venons de dire, Pimâm lui fit couper la tête qui,
préalablement vidée, fut ensuite remplie de sel et de
myrrhe, mise avec l’étendard d’El-Mançoûr dans un pa-
nier et envoyée par des messagers chargés de déposer
cet envoi à la Mekke. Ces hommes y rencontrèrent le
khalife lui-même, qui faisait cette année-là le pèlerinage,
et ils placèrent leur corbeille à la porte même de sa tente.
Le prince, quand il en eut vu le contenu, s’écria: « Nous
avons, par Dieu ! exposé ce malheureux à la mort ; soit
loué le ciel, que la mer nous sépare de ce démon!» faisant
ainsi allusion à e Abd er-Rahmàn. Tel est le récit de Sàlimi
dans les Dorer el-k’alâ’idi 1 ).

Voici le récit de la Behdjat en-nefs. El- c Alâ se révolta
dans Je lieu dit Lak’ant, dans le canton de Béja, et dé-
ploya l’étendard d’El-Mançoûr, de même qu’il mit au jour
l’acte d’investiture dont il était muni. Il se mit à la tête
de ceux qui se rallièrent à lui et marcha contre Béja,
qu’il conquit, et d’où il se rendit maître de tout l’ouest de
ïa Péninsule. Il s’avança ensuite contre e Abd er-Rahmân
et parvint jusqu’à Almodovar. A cette nouvelle, le prince,
qui était parti en expédition dans l’Est de l’Espagne, re-
vint en arrière, et quand il fut près de Cordoue il fit res-
ter à Almodovar ceux des Sévillans qu’il avait avec lui,
car la sympathie de Séville pour EK c Alâ les lui avait fait
prendre en méfiance. Il poursuivit ensuite sa route, mais
il écrivit secrètement à son affranchi Bedr de les mettre

(1) D’autres disent que cette tête fut portée à Kayrawàn, comme on
le voit plus loin. Si c’est la mosquée de la Mekke qui reçut ce funèbre
colis, la date de la révolte d’El-‘Alà se trouverait fixée, puisqu’on sait
qu’El-Mançoûr lit le pèlerinage en 1*47 {Annales, 106; Mus. d’Esp..
I, 367).

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à mort eh tous cas, qu’il remportât la victoire ou qu’il fût
vaincu. El-^Alâ ayant continué sa marche, les deux
armées prirent contact, et à la suite de divers combats
et rencontres, EI- e Alâ fut tué dans le voisinage de Car-
mona, et ses troupes dispersées après avoir perdu [P.55J
environ six mille morts. Uémir fit couper la téted’El- e Alâ
et celles des principaux de ses compagnons et attachera
chacune une étiquette portant le nom de celui à qui elle
avait appartenu, puis il les fit mettre dans des vases et
porter par des gens désignés à cet effet à Kayrawân, où
elles furent nuitamment jetées dans les divers marchés.
Le peuple apprit ainsi ce qui s’était passé, et cette nou-
velle, en parvenant jusqu’aux oreilles du khalife abba-
side, refréna son orgueil. Certains disent que la défaite
infligée à El- c Alâ fut l’œuvre de Bedr, affranchi d’ c Abd
er-Rahiïiàn. Dieu sait ce qu’il en est.
• En 147 (10 mars 764), c Abd er-Rahmân envoya des
troupes nombreuses commandées par son affranchi Bedr
et Temmàm ben e Alk’ama contre la ville de Tolède, où
se trouvait Hichâm ben c Azra(*). Le siège en fut com-
mencé et dura assez pour que les Tolédans, fatigués,
fissent demander aux deux chefs assiégeants qu’il leur fût
fait quartier moyennant la remise entre leurs mains dlbn
e Azra, de Hichâm ben H’amza ben e Obeyd Allah ben e Omar
ben el-KhatTâb et de H’ayât ben el-Welîd, qui’ ne fai-
saient qu’une. Ces propositions furent acceptées, etTem
niàm, emmenant les trois prisonniers, se mit en marche

(1) On trouve ce. dernier nom sous les formes *j.j&> *>vXe et *>£«,
‘Qrwa, ‘Odhra et ‘Azra (Machmua, 101; Makkari, n, p. 10, 1. 11; Annales,
106 ; Mus. d’Eep., i, 366).

(2) Cf. le Machmna, 101 et 104; Annales, p. 106; Mus. d’Esp., i, 368.

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-84-

vers Cordoue, En route il rencontra e Açim ben Moslim/;
qui lui transmit Tordre d’ e Abd er-Rahmân de retourner
à Tolède en qualité de gouverneur et de renvoyer Bedr
à Cordoue. Lui-même prit livraison des chefs prison-
niers et, continuant sa marche, arriva à la bourgade de
H’alzaW, où il rencontra Ibn et-Tofeyl, qui était accom-
pagné d’un barbier, de tuniques de laine et de paniers,
et qui, après avoir fait raser la tête et la barbe des pri-
sonniers, leur lit endosser les tuniques de laine et les
introduisit dans les paniers; puis, les hissant sur des
ânes, il les amena dans cet accoutrement [à Cordoue]
jusqu’aux croix préparées à leur intention et où il les
crucifia. La nouvelle de la réduction de Tolède fut ensuite
expédiée dans les diverses provinces.

En 149 (16 février 766) eut lieu dans le district de Nié-:
bla la révolte de Sa c id Yah’çobi, surnommé Mat’ari, “au-
tour de qui les Yéménites se réunirent et se pressèrent.
Ce chef marcha alors contre Séville, qu’il conquit les
armes à la main et sans qu’elle pût être secourue. Le
nombre de ses partisans s’accrut, sa force grandit, son
armée devint redoutable. Elle avait conquis plaines et
montagnes, quand l’émir marcha contre lui avec des trou-
pes bien approvisionnées et en quantité innombrable ; il
vint camper sous les murs de la forteresse de Za c wâk'( 2 >,
où Mat’ari s’était fortifié et mis à l’abri; [P. 56] il l’y
assiégea et le soumit à de cruelles épreuves/jusqu’au
jour où ce chef fit une sortie à la tête d’une troupe de ses
principaux guerriers et des Berbères qu’il considérait le

(1) Ce nom est écrit H’ahca dans le Machmua, 104, 1. 10.

(2) Ce château était à huit milles de Séville et répond à Alcala de
Guadaira (voir Annales, p. 110, n. 1 ; Saavedra, EstucUo sobre la inva-
sion,. ., p. 93, n. 4). Sur la révolte de Mat’ari, voir Annales, p. 109.

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– 85 –

plus. Mais rengagement se termina bientôt par sa mort
et par celle des siens, et la tête de Mat’ari, portée à e Abd
er-Rahmàn, fut aussitôt, par ordre de celui-ci, hissée sur
une pique”.

En la même année, ce prince fit encore mettre à mort
Aboû’ç-Çabbâh’ ben Yah’ya Yah’çobi M, qui, s’étant vu
retirer le gouvernement de Séville, qu’ e Abd er-Rahmàn
lui avait antérieurement confié, appela à lui les mécon-
tents et leva l’étendard de la révolte. e Abd er-Rahmàn
lui ayant envoyé son affranchi Temmâm pour négocier,
ce chef se rendit à Cordoue sans sauf-conduit mais à la
tête de quatre cents hommes ; il fut introduit par Tem-
mâm auprès du prince, qui lui adressa des reproches et
qui, recevant des réponses grossières, le fit massacrer.
Après quoi on sortit sa tête [pour l’exposer] et un héraut
proclama la nouvelle.

En 150 (6 février 767) l’insurrection berbère exerça ses
ravages à Sontebria (Castro de Santaver).

En la même année, Bedr fit une expédition à la fron-
tière contre Alava, qui dut, à la suite de divers combats,
se soumettre et acquitter le tribut. Il fit procéder à des
recherches parmi les hommes de cette région pour s’as-
surer de leurs projets, et emmena ceux d’entre eux dont
les mauvais sentiments et le caractère ambigu furent
reconnus par lui comme un danger pour la frontière.

En 152(14 janvier 769), une insurrection fut fomentée
par un Berbère originaire des Miknàsa, sur la côte afri-
caine, qui prétendait descendre d’El-H’asan ben e Ali et
qui, parce que sa mère s’appelait Fàt’ima, se disait Fati-

(1) Sur le nom de ce chef et sur sa révolte, cf. Annales, p. 111, n. 2.

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-S6 —

mideW. c Abd er-Rahmân, laissant à Cordoue son flls Hb-
chàm en qualité de lieutenant, se mit en campagne; mais
son adversaire s’enfonça dans les montagnes avec ses
partisans, puis, comme l’émir se retirait vers Cordoue, il
revint, tua le gouverneur de Sontebria et commit divers
actes de cruauté. Mais quand l’émir expédiait des trou-
pes contre lui, le Berbère gagnait des montagnes presr
que impraticables.

En 153 (4 janvier 770), l’émir se mit de nouveau en cam-
pagne contre le prétendant Fatimide, qui se déroba dans
des endroits difficilement accessibles, et qui s’avança de
nouveau quand l’émir eut battu en retraite. Bedr marcha
contre lui à la tête de la colonne expéditionnaire d’été,
le trouva dans la région de Chebat’rân( 2 > et se mit à sa
poursuite dans l’espoir d’arriver à le joindre. Mais le
Berbère s’enfonça dans des endroits inhabités, et l’on
perdit ses traces ; il gagna alors Medellin( 3 ). Ce chef, avec
qui Aboû Za c bel Çadfoûri avait eu affaire* 4 ), resta ainsi

(1) Ce Berbère s’appelait Chak’yà et se révolta en 151, d’après Ibn
el-Athir; c’est à lui probablement que se réfère la mention portée
plus haut, sous Tannée 150. Sur son nom, cf. Annales, p. 118, n. 1.

(2) Localité du territoire de Tolède, voir Annales, p. 119.

– (3) A cinq lieues S. E. de Mérida, dans l’Estramadure. Elle est
mentionnée par Edrisi, p. 226, qui la met à deux petites journées de
Mérida.

(4) J’ai traduit littéralement le texte ^ j*sX*d\ J-^fiJ j*\ 4JL*L .^

où il faudrait supposer une petite incorrection grammaticale, que
Dozy n’a d’ailleurs pas relevée, pour admettre la traduction F. Gon-
zalez « Era su lugar-tenieute Abu-Zaàbal as-Sadfuri ». D’après le
Machmua (p. 107), « le révolté attaqua nuitamment Sàlim Abou Za’bel,
gouverneur de Mérida, et le tua ». Je ne puis déterminer exactement
le rôle d’Aboû Za’bel, dont je ne retrouve pas le nom dans les autres
sources qui me sont accessibles et sur qui Dozy (Mus. d’Esp., i, 372)
et Fournel [Berbers, i, 424) sont muets. Il est encore question de lui
un peu plus bas, dans un passage qu’a omis la traduction espagnole.

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– 87 –

en état d’insurrection de 150 à 160 (fév. 767 à oct. 777),
[P. 57] date où, ” livré par la trahison de certains des
siens, il fut mis à mort et définitivement abattu”.

En 154 (24 décembre 770), c Abd er-Rahmân se tint tran-
quille’à Cordoue et n’entreprit aucune expédition.

En 155 (13 décembre 771), ce prince se rendit de Cor-
doue à Sontebria ; il y reçut la visite de Hilâl, l’un des
fils d’El-MedyoûniW, investit ce chef des Berbères dans
l’Est de la Péninsule du commandement de ses contri-
bules et le confirma dans ses possessions. Cet acte, par
lequel il le chargea de s’occuper du pseudo-Fatimide,
lui assura à lui même la tranquillité en ce qui concernait
ce dernier, dont l’autorité se trouva rompue par la divi-
sion qui désunit les Berbères. Ce chef se rendit alors de
Sontebria dans le Nord.

En 156 (2 décembre 772) eut lieu la révolte d’ e Abd el-
Ghâfir Yah’çobi W. L’émir, qui était alors dans l’Est et à
qui Bedr envoya de Cordoue cette nouvelle, revint à mar-
ches forcées puis se dirigea sur Séville, où son sabre,
s’abattant sur les révoltés, leur causa des pertes cruelles,
c Abd el-Ghâfir lui-même put cependant échapper et ga-
gner l’Orient par mer.

En 157 (21 novembre 773), l’émir se mit en campagne
du côté de l’Ouest et se rendit à Séville, où il mit à mort
un grand nombre des adhérents d’ e Abd el-Ghâfir, anéantit
leurs traces et fit tout rentrer dans Tordre ; après quoi il
se retira promptement, car il n’avait voulu que mettre

(1) C’est à dire Hilàl ben Abziyà Medyoùni (H. des Berb., i, 250 ; éd.
Boulak, vi, p. 126). C’est à lui que, sans le nommer, Dozy fait allusion
{Mus. d’Esp., i, 373).

(2) Ou ‘Abd el-Gha/fâr (voir p. 79 ; cf. Fournel, Berbers, i, 425).

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les Sévillans à Fépreuve et faire un exemple. Selon d’au-
tres, cela se passa en 158 (11 novembre 774).

En 159 (31 octobre 775), l’émir dirigea une campagne
^ du texte.
Je suis porté à croire que le texte est ici altéré. En effet, la mort du
pseudo-Fatimide serait relatée deux fois, sous les années 159 et 160,
ce qu’a admis Dozy, et qui est en contradiction avec la date de 160
donnée plus haut (sur cette date, cf. Annales, 125 n.). En outre, le ms
ajoute un nom propre qui ne fait pas corps avec le texte, que Dozy
a rejeté en note et que j’ai vainement cherché ailleurs.

(2) Sur les dates de l’arrivée et de la mort du Slave, cf. Annales, 125.

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nous avons relaté l’arrivée, se souleva dans la province

de Todmîr, puis, quand l’émir marcha contre lui, il se

réfugia dans des lieux d’accès difficile. Alors les troupes

se répandirent dans le district de Todmîr, puis dans celui

de Valence, non sans avoir préalablement livré aux flam :

mes les navires [du Slave] trouvés sur la côte. Ensuite

le Berbère Michkâr attaqua par surprise et tua le Slave.

En la même année, Ibn Chedjera s’étant révolté à Mo-

ron, Bedr partit pour le combattre le jour de la Fête des

victimes, le surprit à l’improviste et le tua; puis il annonça

sa victoire à l’émir. D’autres placent cette victoire en

162 (28 septembre 778)^

En 164 (6 septembre 780), l’émir marcha contre Er-
Româh’is ben c Abd er-Rahmân ( 2 >, qui avait commandé
la garde de Merwân ben Mohammed ; il vint ensuite en
Espagne et fut mis par e Abd er-Rahmàn à la tête d’Algé-
ziras, puis il se révolta et voulut se soustraire à l’obéis-
sance qu’il lui devait. A l’arrivée d’*Abd er-Rahmân à
Algéziras, Er-Româh’is était au bain, et les cavaliers de
l’émir fouillaient déjà les habitations qu’il ne savait rien
encore. Trop pressé pour se rhabiller, il sortit en s’enve-
loppant d’une couverture teinte et se jeta dans une barque
qui l’emmena sur la côte africaine. c Abd er-Rahmân
rendit à la liberté un certain nombre d’Omeyyades qu’il
trouva renfermés dans la prison du gouverneur en fuite.
En 165 (26 août 781) se révolta à Saragosse El-H’oseyn

(J) Sur Ibrahim ben Chedjera Bernesi, cf. Annales, 126.

(2) Il faut lire, si je ne me trompe, ben ‘Abd el-‘Azîz, ainsi que récri-
vent Makkari, éd. Leyde et Boulak, et le Machmua; c’est ainsi éga»-
lement qu’Ibn Wàdhih écrit ce nom (Historiœ, p. 405). Cependant le
Kamous turc écrit ben ‘Abcl el-‘Qzza,

L

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-I

– 90 –

ben Yah’ya ben Sa e d ben e Obàda Ançâri’ 1 ), ‘ contre qui
l’émir marcha avec ses soldats et son armée renommée»
et qu’il assiégea en cette ville; contre lui il dirigea ses
cohortes et ses guerriers, si bien que l’assiégé vint faire
acte d’obéissance et se jeter à ses pieds. c Abd er-Rahmân
accueillit ses offres de soumission, lui pardonna et, sans
tenir compte de sa conduite antérieure, le laissa en qua-
lité de gouverneur à Saragosse, tandis que lui-même,
étendards au vent et favorisé de la victoire, retournait à
Cordoue. [P. 59] Puis H’oseyn, violant ses obligations
et rebelle à toute gratitude, manifesta son hypocrisie et
rouvrit les hostilités. Alors l’imâm, revenant de nouveau
l’assiéger, tortura Saragosse jusqu’au jour où il y entra
par une brèche faite aux remparts et remporta une vic-
toire complète ; il fit, sans tarder, périr H’oseyn et ses
partisans, confia le gouvernement à e AH ben H’amza et
regagna Cordoue après avoir ainsi affirmé son autorité”.

On lit dans la Behdjat en-nefs: « En 167 (5 août 783)*
l’imâm assiégea à Saragosse H’oseyn ben Yah’ya, prit la
ville de vive force et fit décapiter H’oseyn et certains de
ses partisans ; il en expulsa les habitants et les envoya,
pour satisfaire à un serment qu’il avait prêté, jusqu’à
une bourgade à trois milles de là. Au bout de quelques
jours, il leur permit de rentrer, et lui-même regagna
Cordoue ».

En 168 (24 juillet 784), El-Moghira ben E!-Welid ben
Mo’àwiya complota une révolte contre l’imâm [son oncle
paternel], qui résidait alors à Roçàfa; mais le secret
ayant été dévoilé par l’un des conjurés, il les fit compa-

ti) Cette révolte, qui débuta en 157, fut écrasée en 164, d’après Ibn
el-Athir (Annales, p. 123 et 128; ef. Fournel, i, 426).

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-M –

raître devant lui et, à la suite de leurs aveux, il les fit exé-
cuter, en n’épargnant que celui qui les avait dénoncés. Il
se transporta alors de Roçàfa au palais de Cordoue «).

En 169 (14 juillet 785), [Aboû’l-Aswad] Mohammed ben
Yoûsof Fihri se révolta contre e Abd er-Rahmàn <*’. Il avait
déjà quitté Tolède et la région orientale avec ses troupes
quand l’imâcn, apprenant cette nouvelle, fit faire des
levées dans les divers districts et marcha avec ces forces
contre son adversaire, qu’il rencontra au Gué de la vic-
toire. Après des combats qui durèrent plusieurs jours,
Mohammed, qui était surnommé l’Aveugle, fut mis en
déroute le mercredi 1 er rebl e I de cette année (11 sept. 785);
ses meilleurs guerriers furent massacrés et ses troupes
anéanties. D’après Er-Râzi, quatre mille hommes furent
massacrés, en outre de ceux qui tombèrent dans la rivière
et qui périrent dans les précipices. Quant à leur chef
Mohammed, il s’enfuit vers Coria.

En 170 (3 juillet 786), e Abd er-Rahmàn s’avança contre
cet insurgé et arriva à Coria; mais l’autre s’enfuit devant
lui. Cependant la cavalerie de l’émir atteignit ses enfants
et certains de ses partisans, qu’elle massacra, de même
qu’on livra aux flammes les propriétés du fuyard. Celui-ci,
resté seul, s’enfonça dans des régions marécageuses,
et son vainqueur, tombant sur les Berbères de Nefza,
[P. 60] les réduisit à l’impuissance. Mohammed ben
Yoûsof étant ensuite venu à mourir, ce fut son frère El-
K’âsira ben Yoûsof qui le remplaça et qui montra la même
insoumission. Mais quand il commença à susciter des

(1) Cf. Annales, 131 , où il est question de Tanuée 166.

(2) Voir ibid. et ci-dessus, p. 77.

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– 92 –

troubles, c Abd er-Rahmân envoya contre lui des troupes
dont la venue le fit rentrer dans l’obéissance.

Ce fut en l’année 170 (3 juillet 786) que l’émir donna
l’ordre de jeter les fondements de la grande mosquée de
Cordoue, là où se troconséquence, s’embar-
qua avec ses femmes et ses enfants et alla s’installer en
pays berbère. Hichâm se trouva ainsi, grâce à Dieu,
tranquille du côté de ses frères.

En 175 (10 mai 791), Hichâm confia à c Obeyd Allah [ben
c Othmân] la direction d’une expédition contre Saragosse,
où se trouvait alors Mat’roûh précité. Cet officier assié-
gea d’abord cette ville, puis alla s installer à Tarsoûna
(Tarazona), d’où il poursuivit le blocus jusqu’à ce que
Saragosse fût réduite à l’impuissance et hors d’état de
continuer de résister. Or Mat’roûh étant un jour sorti
pour chasser de compagnie avec c Amroûs ben Yoûsof et
Ibn Çaltà’n, ceux-ci, profitant du moment où il était
descendu pour égorger l’oiseau sur lequel il avait lancé
son faucon, le lardèrent à qui mieux mieux de coups
d’épée, puis lui coupèrent la tête et la portèrent à Ibn
f Othmân, qui était à Tarazona et qui, se portant aussitôt

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— 101 —

sur Saragosse, y pénétra sans rencontrer aucune résis-
tance et s’y installa. Après quoi il envoya à l’émir Hichâm
la tête de MatYoûtfW.

En 176 (28 avril 792), Hichâm envoya contre le pays
d’Alava(2) une expédition commandée par Aboû c Othmàn
c 0beyd Allah ben c Othmân ; ce chef s’y heurta aux bandes
qu’y avaient concentrées les ennemis de Dieu, les mit,
grâce à la faveur divine, en déroute, et les massacra par
monts et par vaux; on réunit ainsi plus de neuf mille
têtes.

En la même année, Yoûsof ben Bokht fit une expédi-
tion en Galice contre Bermude le Grand : il livra bataille
à cet ennemi de Dieu, le mit en fuite et livra son camp au
pillage; le massacre fut terrible, car on réunit dix mille
têtes non compris celles des victimes tombées dans les
ravins. Cetle victoire fut annoncée postérieurement à
celle d’Aboû c Othmân. Râzi et d’autres ont rapporté ces
faits (3).

En 177 (18 avril 793), Hichâm mit à la tête de l’expédi-
tion d’été, dirigée contre les pays chrétiens, c Abdel-Melik
ben c Abd el-Wâh’idben Moghith( 4 ). Cette campagne, res-
tée célèbre, fut très importante; celui qui la dirigeait
poussa jusqu’à Efrandja< 5 ), devant laquelle il mit le siège

(1) Le môme récit se retrouve dans les A?inales, p. 142 ; cf. 144 n. 1.

(2) En arabe « Alaba et les forts », c. à d. le pays qui forma le
comté et royaume de (Jastille.

(3) Sur cette campagne, cf. th.; Dozy, Recherches, j, p. 140, 2 e éd. ;
p. 128 de la 3* éd. ; les deux campagnes, d’après ce savant, eurent
lieu en 791.

(41 Cette expédition est de 794 de J. C. d’après Dozy, 1. 1.; cf. Annales,
p. 144.

(5) Ce nom désigne ordinairement la France, non une ville déter-
minée. Ibn el-Athir parle de Narbonne et de Djeranda.

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– 102 –

et où il ouvrit à Taide de machines de guerre une brèche
dans les murailles; il menaça le pays des Madjoûs, par-
courut [P. 66] le territoire ennemi et pendant plusieurs
mois resta à brûler les bourgades et à détruire les châ-
teaux-forts; il attaqua même la ville de Narbonne. Ces
succès importants eurent pour résultat un nombre de
prisonniers tel que le quint se monta à quarante -cinq
mille têtes, [sans parler du butin] en métaux précieux.

En 178 (7 avril 7ÎH), la guerre civile sévit à Tacorona,
grâce à l’insoumission des Berbères, qui se jetèrent sur
la population et la livrèrent à la mort et à la captivité.
Hichâm commença par les avertir, [mais en vain], et il fit
alors marcher contre les rebelles les troupes du djondj
qui en tuèrent le plus grand nombre, tandis que le reste
se réfugia à Talavera et à TruxilloM. A la suite de ces
événements, Tacorona, c’est-à-dire la région de Ronda
et les villes qu’elle renferme, resta à l’état de désert
pendant sept ans < 2 ).

En 179 (27 mars 795), Hichâm mit à la tête de l’expé-
dition d’été c Abd el-Kerim ben Moghith, qui poussa
jusqu’à la ville d’Astorga, en pleine Galice W. Ce général
apprit alors qu’Alphonse [n] avait fait des levées dans ses
états, demandé l’aide des pays basques et des popula-
tions voisines, Madjoûs et autres, qu’avec tous ces
auxiliaires il était campé dans le pays entre la Galice et

(1) Texte <*Ju^); dans Edrisi <*JL*.y> .

(2) Cette affaire est aussi rappelée par les Annales (p. 151), qui
placent en outre sous Tannée 178 une attaque dirigée contre les
chrétiens par les deux armées d^Abd el-Kerim et d’ ‘Abd el-Melik
(Recherches, 3 e éd., i, 129).

(3) Astorga fait partie de ce que nous appelons la province ou
royaume de Léon.

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– 103 –

Eç-ÇakhraM et qu’il avait autorisé les habitants des
plaines à se disperser sur les hauteurs des montagnes
du littoral. c Abd el-Kerim, se faisant précéder d’une
avant-garde de quatre mille cavaliers commandés par
Faradj ben Kinâna, suivit les traces de son lieutenant
et livra aux ennemis une bataille où Dieu les mit en
déroute; leurs plus braves guerriers périrent et un
grand nombre, qui étaient tombés entre nos mains,
furent après le combat mis à mort par ordre d’ c Abd
el-Kerim. Fuis la cavalerie, lancée contre tous les centres
habités, détruisit toutes les cultures qu’elle rencontra et
mit en ruines toutes les constructions par où elle passa.
Ce général s’avança ensuite jusqu’à la rivière dite Tru-
bia (? ou Narcea ?), où il rencontra Gondemaro à la tête de
trois mille cavaliers ; ces troupes furent mises en déroute
non sans avoir subi des pertes considérables, et Gonde-
maro lui-même fut fait prisonnier, tandis que nos guer-
riers faisaient main-basse sur tout ce que renfermait le
pays. c Abd el-Kerim, désireux de s’emparer ( 2 ) d’Alphonse,
continua sa marche en avant, et alors ce prince, quittant
la montagne où il se trouvait, tâcha d’éviter son adver-
saire en gagnant une forteresse solide qu’il avait élevée
sur la rivière de Nalon; mais c Abd el-Kerim marchait
sur ses talons, non sans livrer aux flammes toutes les
stations où il arrivait après lui et sans y enlever tous les

(1) Je ne sais s’il faut voir là un nom propre ou Tenteudre de la
Sierra. C’est ce dernier sens qu’a adopté Dozy dans la reproduction
qu’il fait des détails de la campagne (I. 1.).

(2) Il faut lire, si je ne me trompe, \j*<£*~**~° qui donne un sens dérivé régulièrement de celui de la racine, au lieu de \j^s. , ***~* auquel Dozy, se fondant sur cet unique exemple, attribue la signi- fication « vouloir pénétrer jusqu’à ». Cf. Corrections, 39 et 131. Digitized by Googk – 104 – biens [P. 67] qu’il y trouvait. Il parvint ainsi jusqu’à la forteresse, d’où Alphonse décampa pour s’installer dans une autre W; c Abd el-Kerim descendit dans la place restée vide et y trouva des vivres et toutes sortes d’approvisionnements. Dès le lendemain de son arrivée, il expédia sur les traces du fuyard Faradj ben Kinàna et dix mille cavaliers, à rapproche desquels Alphonse s’enfuit précipitamment, abandonnant à rçotre armée tous ses approvisionnements et ses trésors, sur lesquels il fut fait main-basse. En 180 (16 mars 796) mourut l’imâm Hichâm ben c Abd er-Rahmân, qui fut enterré dans le palais de Cordoue. Ce fut son fils El-H’akam qui prononça sur lui les der- nières prières. Cet événement., nous l’avons dit, eut lieu dans la nuit du mercredi au jeudi [3 çafar 180 ou 17 avril 796]. Le peuple prêta serment de fidélité à son fils El- H’akam, lequel cependant était le cadet d’ c Abd el-Melik. RENSEIGNEMENTS D’ENSEMBLE ET SANS ORDRE CHRONOLOGIQUE CONCERNANT HICHAM. ” Ce prince se montrait gracieux en paroles et large de cœur, était plein de majesté, appliquait les prescriptions de la Tradition et du Koran, ne prélevait que les impôts légaux et les dépensait selon les règles. Rien de répré- hensible aux yeux de Dieu ne pouvait lui être reproché, nul acte d’injustice ne s’attacha à ses pas. Son frère [So->
leymân] refusa de le reconnaître : renonçant à lui obéir,
il se proclama indépendant à Tolède et recruta des
troupes pour le soutenir dans son opposition et sa rébel-
lion. Hichâm ne cessa de donner tous ses soins à la

(1) C’est à dire, probablement Oviedo, selon la conjecture de Dozy.

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— 105 —

guerre civile et d’imposer ainsi des souffrances à la
population, ce qui lui donna jusqu’à la fin de ses jours
bien de la peine et ne lui permit pas de vivre en paix.
Quand, par respect des décisions prises, son fils El-
H’akam lui succéda, il combattit le rebelle dans ces
régions (éloignées) ; les lances et les sabres finirent par
avoir raison de lui ; ce pays alors recouvra la tranquillité
et il ne s’y rencontra plus de récalcitrant \

Hichàm envoyait dans les divers districts des hommes
intègres chargés de s’enquérir auprès du peuple des pro-
cédés des fonctionnaires et de lui rapporter les résultats
de leurs investigations, après quoi il prenait les mesures
nécessaires pour faire disparaître les abus révélés par
cette épreuve. Un jour que quelqu’un se présenta pour
réclamer contre un acte d’injustice commis par un gou-
verneur, le prince, se précipitant vers le plaignant, lui
dit: a Atteste par serment les actes d’arbitraire dont tu
te dis victime, et alors s’il t’a frappé tu le frapperas, s’il
a nui à ton honneur tu nuiras au sien, [P. 68] s’il a pris
ton bien tu en prendras l’équivalent sur le sien, mais à
la condition qu’il ne t’ait pas infligé une des peines
ordonnées par la loi divine ! » Et la peine du talion fut
infligée pour chacun des faits que le plaignant affirma
sous la foi du serment W. C’était ainsi que Hichâm refré-
nait ses gouverneurs, mieux qu’en employant les châti-
ments et les corrections. Il était magnanime, juste, ver-
tueux, modeste et sage ; on ne connaît de lui aucune faute
ni aucune chute d’enfance ou de jeunesse. Il fit réédi-
fier le pont de Cordoue, pour la restauration duquel il

U) On retrouve une autre version de cette anecdote dans le Mach-
mua, p. 121.

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— 106 —

dépensa des sommes considérables; il s’en occupa
personnellement et le salaire était payé sous ses yeijx.
Ibn Wad’d’âh’ (*) raconte que, lors de ces travaux, on
disait dans le peuple que le prince ne faisait cela que
pour faciliter ses parties de chasse ou de plaisir; ces
bruits étant parvenus jusqu’à lui, il prêta serment de n’y
passer que pour partir en guerre ou pour quelque œuvre
utile ( 2 ).

Le kàdi Aboû Mo c àwiya( 3 > raconte avoir ouï dire pai 4
des hommes considérables que le règne de Hichâm fut
une période sans pareille de calme, de paix et de tran-
quillité. Ce prince assistait aux funérailles par esprit
d’humilité et les suivait assidûment tout comme s’il eût
été un simple particulier. Un de ses officiers ayant eu
à soutenir par devant le kâdi Moç c ab ben c Imrân à
propos de sa maison un procès qu’il perdit, fut expulsé
de son immeuble. Il raconta à Hichâm ce qui lui arrivait
et comment il avait été forcé de quitter sa demeure; le
prince lui répondit: « Que veux-tu que j y fasse? Moi-
même, je le jure, je quitterais ce lieu même où je suis si
le kâdi jugeait contre moi, tant je suis convaincu qu’il
ne se laisse guider que par la justice I »

(1) Il s’agit d’Aboù ‘Abd Allah Mohammed ben Waddàh beu BeziS
+ 286 (Dhabbi, n° 291 de Téd. Codera ; Ibn el-Faradhi, n’ 1134 ; Pons,
Ensayo, p. 49).

(2) La même anecdote se retrouve dans Makkari (i,.218), qui fournit
aussi des détails sur les vertus et les campagnes de ce prince. Cf.
Annales, 152. Ce pont avait été construit d’abord par Es-Samli’, à ce
que disent Makkari et notre auteur, p. 35; cf. aussi Ibn el-Koûtiyya,
p. 279.

(3) Probablement ‘Amir ben Mo’àwiya, qui mourut en 237 et fut
kàdi sous El-Mondhir.

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\

| – 107 –

f ANECDOTE RELATIVE A UN KINANITE ET A HICHAM (D.

Avant de devenir khalife, ce prince avait l’habitude
de se tenir dans’ un belvédère donnant sur le fleuve et
d’où il avait vue sur le faubourg, de sorte qu’il voyait

\ passer le monde. Une fois il aperçut dans le milieu du
jour un homme des Benoû Kinâna, qui était de ses
créatures, arrivant de la banlieue de Jaën où il habitait,
alors que cette région avait pour gouverneur Soleymân,
frère de Hichâm. Ce dernier, appelant un page, lui parla
en ces termes: « Je vois le Kinânite notre protégé arri-
vant en plein midi, et ce ne peut être qu’à propos de
quelque ennui que lui aura causé mon frère Aboû
Ayyoûb ; dès son arrivée, introduis le tel quel auprès de
moi ». Le page exécuta cet ordre, et [P. 69] quand le
Kinâni entra, Hichâm, soulevant un rideau derrière
lequel il fit passer une jeune esclave qu’il avait à ses
côtés, reçut les salutations de son visiteur et ajouta :
« Eh bien ! il doit, je pensé, t’être survenu quelque affaire
inattendue?— En effet: un Kinâni ayant par inadvertance
commis un meurtre, le prix du sang incombant aux
agnats< 2 » est retombé à la charge de la communauté des
Benoû Kinâna, puis c’est de moi seul qu’il est injuste-
ment exigé, et cela parce qu’Aboû Ayyoûb sait la consi-
dération dont tu m’honores; aussi m’adressé-je à toi
pour me protéger contre cet acte arbitraire. — Cesse de
rien craindre et recouvre ton calme ; c’est Hichâm qui se

i charge de payer le prix du sang aux lieu et place de toi et

(1) Cette anecdote est aussi rapporlée par le Machmua, p. 121.

(2) Le mot- £làL, traduit par « agnats », a une acception plus
éteadue, sur laquelle on peut voir le trailé de droit de Sidi Khalîl,
p. 205, 1. 23 ; trad. Perron, v, 448.

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— 108 —

de tes contribules » ; et en même temps il allongeait le
bras derrière la tenture et en retirait un collier valant
trois mille dinars et dont la jeune esclave était parée:
« Prends, ajouta-t-il, ce collier, dont le prix te servira
en partie à payer cette dette, et dispose à ta guise du
surplus. — Seigneur, reprit le Kinânite, je ne suis pas
venu en quémandeur, car j’ai assez de fortune pour
acquitter la somme mise à ma charge; ma visite a pour
but de solliciter ta protection contre l’hostilité et l’injus-
tice dont j’ai eu à souffrir, et je voudrais que, par un
effet de ton auguste secours, elle se manifestât en ma
faveur, — Et comment puis-je t’aider? — Je demande
que l’émir, que Dieu secoure ! écrive à Aboû Ayyoûb de
s’abstenir d’exiger de moi ce que je ne dois pas et de me
traiter comme tout le monde! — Eh bien! prends ce
collier pour les tiens et pour toi-même, en attendant que
Dieu fasse réussir le plan que j’ai conçu à ton propos ».
Hichàm, faisant aussitôt seller sa monture, se rendit
auprès de son père l’émir c Abd er-Rahmân, à qui il tint
ce langage : a II y a un homme des Benoû Kinâna qui
est mon protégé et à qui Aboû Ayyoûb à Jaën a témoigné
de l’hostilité à propos du prix du sang dû par les parents
du coupable. — Et qu’est-ce que tu désires à ce propos?
— Je voudrais voir écrire à Aboû Ayyoûb qu’il ait à
laisser cet homme tranquille et à ne pas lui demander
plus qu’il ne doit. — Ou même miçux, reprit l’émir;
c’est-à-dire que le prix du sang sera acquitté par le
trésor pour son compte et pour celui de ses contribules,
puisque je vois que cet homme jouit auprès de toi de-
tant de considération et que tu lui accordes une si grande
faveur ! » Hichàm se confondit en remerciements, et son
père ordonna et de faire payer cette somme par le trésor

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T’

— 40Ô —

et d’écrire à Aboû Ayyoûb, qui cessa dès lors ses persé-
cutions contre le Kinânite. Celui-ci étant venu faire ses
adieux [P. 70] à Hichâm, lui dit : « Seigneur, j’ai obtenu
plus que je ne désirais, et tu as été au-delà de l’extrême
limite de l’honneur et de l’aide. Voici le riche collier
dont, grâce à Dieu, je n’ai maintenant plus besoin ». Mais
Hichâm lui répondit : « Kinânite, on ne peut me rendre
ce que j’ai donné; garde ce collier et que Dieu te bé-
nisse! ».

C’est ce prince qui a mis la dernière main aux galeries
de la grande mosquée de Cordoue, qui en a édifié l’ancien
minaret et fait installer le magnifique bassin à ablutions;
il a également fait reconstruire les arcades du pont
endommagées par les crues (*).

Khalifat d*El-H’akam ton Hichâm ben ‘Abd er-Rahmân.

Porteur du prénom Aboû’l- e Açi et né en 154 (24 déc.
770) d’une femme nommée Zokhrouf ( 2 ), il avait vingt-six
ans quand il lut intronisé lors de la mort de son père
dans la nuit du mercredi au jeudi 8< 3 )çafar 180 (22 avril
796) et régna vingt-six ans et onze mois. Ses secrétaires
lurent au nombre de trois, Fot’ays, KhatTâb ben Zeyd et

(1) Sur ces constructions, voir aussi Makkari, i, 218 ; Ibn el-Kou-
%ya, p. 279; Merràkechi, trad. fr., p. 316 ; Annales y p. 153, etc.

(2) Le nom de celte femme est également rappelé par Merràkechi,
p. 15; Makkari, i, 220, etc. Un court article est consacré à El-H’akam
dans le recueil biographique de Kotobi, i, 146. Le caractère de ce
pririce est l’objet d’appréciations contradictoires : voir par exemple
Merràkechi, trad. fr., p. 15, et le Machmua y p. 124 ; Mus. d’Esp., il,
tt;Hollat, p. 38.

(3) La mort de Hichâm, d’après ce qui est dit plus haut, est du
3 çafar.

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— 140 —

H’addjâdj c Ok’ayli; f Abd eKKerim ben e Abd el-Wâh’id
ben Moghîth remplit auprès de lui les fonctions de
chambellan. Ses vizirs et généraux, au nombre de cinq,
furent Ish’âk’ ben el-Mondhir, El- e Abbâs ben c Abd Allah,
e Abd el-Kerim ben e Abd el-Wâhid précité, Fot’ays ben
Soleymân et Sa c id ben H’assân.

Il eut pour kàdis Moç e ab ben e Imrân, Mohammed
ben Bechir, El-Faradj ben KinânaW, Bichr ben K’at’an,
c Obeyd Allah ben Moûsa* 2 ), Mohammed ben Telid et
H’àmid ben Mohammed ben Yahya( 3 ). L’inscription de
son sceau était : C’est en Dieu qu’El-R’akam a confiance,
c’est à lui qu’il est attaché. Il avait le teint très olivâtre,
était grand et mince, avait le nez bien fait et n’en^ployait
pas de teinture. Il devint père de dix-neuf garçons et de
vingt-une filles; il mourut le 27 dhoû’l-hiddja 206(24 mai
822), à l’âge de cinquante-deux ans.

Soleymân et c Abd Allah, l’un et l’autre fils d’ c Abd
er-Rah’mân ben Mo c àwiya, se trouvaient sur la côte
d’Afrique lors de la mort de Hichâm, et c Abd Allah
s’embarquant aussitôt descendit sur le littoral espagnol.

El-Hakam, après son intronisation et quand le pouvoir
lui fut acquis sans conteste, envoya c Abd el-Kerîm ben
c Abd el-Wâhid en expédition contre le territoire ennemi
et lui confia à cet effet des forces importantes. [P. 71]
Ce chef s’installa à la frontière et, quand la concentration
de ses troupes fut terminée, il se porta en avant, puis
s’établit au bord de la mer. Il divisa les forces dont il

(1) Il remplit les fonctions de kàdi, après Mohammed ben Bechîr,
de 198 à 200 (Ibn el-Faradhi, n’ 1028; Makkari, i, 558).

(2) Il succéda en 201 à El-Faradj (Ibn el-Faradhi, n* 759).

{3) Il figure ailleurs sous le nom d’Aboù Mohammed Hàmid ben
Yahya et mourut en 207 (Ibn el-Faradhi, n’ 326).

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– 111 – ”

disposait en trois corps d’armée, chacun commandé par
un officier différent, et leur donna Tordre de ravager la
région vers laquelle il envoyait chacun d’çux. Ses ordres
furent exécutés, et les nôtres, après avoir pillé et commis
tous les excès, revinrent victqrieux et chargés de butin.
Ensuite une nouvelle invasion fut organisée, et nos trou-
pes eurent à franchir une suite de canaux, où la marée se
faisait sentir, que les ennemis avaient préparés pour leur
servir de défense, et au-dedans desquels ils avaient
emmené leurs familles, leurs bêtes et leurs biens. Mais
les musulmans néanmoins ravagèrent tout et, après
avoir fait main-basse sur tout ce qu’ils trouvèrent, ils
regagnèrent notre territoire sains et saufs en ramenant
leur butin (*).

En 181 (5 mars 797), Behloûl beri Merzoûk, connu sous
le nom d’Aboû’l-H’addjâdj, se révolta dans la région
frontière contre l’émir El-H’akam et pénétra à Sara-
gosse, dont il devint maître! 2 ). c Abd Allah, fils de l’émir
f Abd er-Rahmân ben Mo c âwiya, qui se dirigeait vers la
France, s’installa auprès de lui.

En la même année, une autre révolte fut suscitée à
Tolède par c Obeyda ben H’omeyd ( 3 ), contre qui El-H’akam
fit marcher c Amroûs ben Yoûsof alors àTalavera. Celui-ci
commença son mouvement en avant, puis entra en
correspondance avec quelques Tolédans et sut par ses
manières habiles se les concilier, si bien qu’il leur_
demanda de tenter un mouvement contre c Obeyda et de

(1) Cf. Annales, p. 154 ; Dozy, Recherches, t, 148; 3 e éd., 136.

(2) Voir Annales, 160,

(3) On lit ben ‘Omeyr dans Ibn Khaldoûn (éd. Boulak, iv, 126) ;
ci. Annales, 160 ; Mus. d’Esp., n, 63.

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,”^f»ç*^r-

— 112 —

le débarrasser de lui ; il ne leur ménagea d’ailleurs pas
les promesses d’une récompense magnifique de la part
de l’émir. Ces propositions furent écoutées, et la tête
d’ e Obeyda fut apportée à Talavera à c Amroûs, qui donna
l’hospitalité aux porteurs du funèbre convoi. Mais quel-
ques Berbères de cette ville, qui avaient à venger des
meurtres commis par ces hommes, assaillirent pendant
la nuit la demeure où ils étaient logés et les massa-
crèrent. c Amroûs fit parvenir à Cordoue la tête d’ ‘Obeyda
en même temps que celles des autres, c’est-à-dire des
Benoû Makhchi, tout en adressant à El-H’akam la relation
de ce qui s’était passé. Ce chef ensuite consacra tousses
efforts à des négociations écrites dans le but de se
rapprocher des Tolédans, et il obtint d’être appelé dans
cette ville : alors il construisit le château près la porte
du pont, l’installa dans les meilleures conditions de
solidité et prit ses mesures pour se débarrasser des
habitants principaux de cette ville de manière à en finir
avec leurs mauvais desseins et à consolider l’empire en
extirpant cet ulcère. Pour cela il eut recours à la ruse, et
feignit de donner un festin dont des bœufs devaient faire
les frais; on faisait entrer [P. 72] les invités par une
porte pour les faire soi-disant sortir par une autre; mais
tous ceux qui franchissaient la première porte étaient
égorgés, et sept cents nobles perdirent ainsi la vie (*).

En 182 (22 fév. 798) eut lieu la grande inondation qui,
à Cordoue, ravagea le faubourg du pont et n’y laissa
d’autre construction intacte que la ghorfa (entrepôt)
d’ c Awn el- e At’tïir. Elle s’étendit jusqu’à Secunda( 2 ).

(1) Cette affaire est connue sous le nom de journée rie la fosse;
elle n’eut pas lieu en 181, mais en 191 (Annales, p. 161 et 168).

(2) Cf. Annales, p. 162.

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— lia –

En la même année, Soleymàn ben c Abd er-Rahmân ben
Mo c âwiya débarqua du littoral africain en Espagne. Au
mois de chawwàl (nov.-déc), il s’avança pour livrer
bataille à El-H’akam, mais il fut mis en déroute à la
suite d’un combat acharné. Dans la même année, Soley-
màn revint encore une fois à la charge,* mais il fut de
nouveau mis en déroute par l’émir à Bakhît’aW.

En 183 (12 fév. 799), Soleymàn, suivi de Berbères qui
s’étaient ralliés à lui, se dirigea vers la région d’Ecija.
El-H’akam lui livra bataille dans le voisinage de cette
ville, et à la suite de plusieurs jours de combat il le mit
en déroute. Une autre rencontre eut encore lieu entre
eux au cours de cette année, et Soleymàn dut fuir de
nouveau.

En 184 (1 er fév. 800), Aboû Ayyoûb Soleymàn ben c Abd
er-Rahmân leva des troupes dans l’Est (de la Péninsule)
et campa d’abord à Jaën puis à Elvira, deux districts où
un certain nombre d’adhérents se joignirent à lui. El-
H’akam l’attaqua et Ton se battit plusieurs jours; il
faillit avoir le dessous mais finalement il l’emporta, bien
que Soleymàn parvînt à s’échapper ; le nombre des
morts fut d’ailleurs considérable. El-H’akam envoya à la
poursuite du vaincu Açbagh ben c Abd Allah, qui rejoi-
gnit Soleymàn du côté de Mérida et qui, après l’avoir
fait prisonnier, le conduisit à El-H’akam. Le khalife le fit
exécuter et envoya sa tête à Cordoue* 2 ).

En 186 (10 janv. 802) ce prince envoya une promesse de
pardon à son oncle e Abd Allah Balensi . C’était son premier

(1) Cette localité n’est pas mentionnée par Edrisi. C’est peut-être,
dit F. Gonzalez, Baëza, — ce qui me paraît très douteux.

(2) Ibn Khaldoun fixe aussi la mort de Soleymàn à Tannée 184 ; on
lit 185 dans les Annales, p. 163.

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— 114 —

acte vis-à-vis de lui et le premier écrit échangé entre
eux. depuis qu’ f Abd Allah s’était fixé à Valence.

En 187 (30 déc. 802), la grâce d’ e Abd Allah Balensi et
la conclusion de la paix furent établies par l’octroi d’une
pension mensuelle de mille dinars et de cadeaux annuels
dépareille somme. Yah’ya ben Yah’ya et Ibn Aboû e Amir
lui portèrent l’acte attestant cette amnistie, et la paix
fut rétablie à ces conditions et moyennant l’obligation
pour e Abd Allah d’habiter fP. 73] Valence. Les deux
ambassadeurs ramenèrent le fils d’ e Abd Allah à El-
H’akam, qui lui fit épouser sa propre sœur germaine W.

PREMIER MASSACRE DES HABITANTS DU FAUBOURG.

En 189 (8 déc. 804), l’imam El-H’akam fit crucifier à
Cordoue soixante-douze individus, entre autres Aboû
Ka’b ben c Abd el-Berr < 2 >, Yah’ya ben Mod’ar et Maçroûr
l’eunuque (khâdim). Ils avaient tramé un complot et
projeté une insurrection; comme ils cherchaient un chef
pour les diriger on prononça le nom de Mohammed ben
K’âsimW, oncle paternel de Hichâm ben H’amza, avec
qui l’on s’aboucha et que l’on pria de se mettre à la tête
du mouvement. Mais cet homme, trompant leur espoir,
révéla la confidence qu’il avait reçue afin de se faire de
leur sang un titre à la faveur du prince. El-H’akam reçut
cette révélation sans broncher, mais en demanda la
preuve. Ibn K’âsim lui offrit de faire vérifier la chose

(1) Cf. Annales, 163.

(2) Ibn Aboû Kà’b, dans les Annales, 166.

(3) On lit dans Ibn el-Koutiyya (f’ 22 du ms) Ibn ech-Chemmâs,
leçon qu’a suivie Dozy {Mus. d’Esp., n, 60). Les Annales et Ibn
Khaldoun donnent à ce prince le môme nom que le Bayàn.

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– 115 –

par des hommes de confiance, qu’il cacha chez lui ; puis
ayant fait appeler les conjurés au rendez-vous, il leur
dit: « A propos de l’affaire pour laquelle vous avez
demandé mon concours, je ne puis avoir confiance dans
ceux dont vous m’avez cité les noms sans les avoir en-
tendus eux-mêmes, tout comme je vous ai entendus ; je
serai alors tranquille et je pourrai consacrer à cette
affaire toute mon énergie en connaissance de cause ».
Ces autres personnes vinrent alors le trouver et lui
développèrent leurs propositions, tandis que les affidés
du khalife voyaient et entendaient tout. Le témoignage
de ces derniers établit la conviction d’El-H’akam, qui fit
arrêter et crucifier d’un seul coup tous les coupables.
Après quoi il fit consolider les remparts et creuser le
fossé de Cordoue, et il se mit en campagne.

Voici des vers de ce prince :

[Tawîl] De même qu’on raccommode un vêtement, j’ai
réuni, mais l’épée à la main, les portions de mon empire,
et toujours, depuis que je suis homme, j’y ai réparé les
fissures. Demande à mes frontières si elles présentent aucune
brèche, que j’y coure cuirassé et sabre au poing! Interroge
aussi ces crânes qui gisent dans la plaine, aussi luisants que
les fruits de la coloquinte ; ils te diront que ce n’est pas avec
mollesse que j’ai frappé et que mon épêea fait de bon travail.
Mes ennemis pouvaient fuir par peur de la mort, mais ce ‘
n’était pas moi que la crainte du trépas pouvait détourner I
J’ai défendu ce que j’avais de plus cher en abaissant ce à
quoi ils tenaient le plus ; mais celui qui ne protège pas les
siens n’est-il pas regardé comme un être infâme et vil?
[P. 74] Quand nous eûmes fini d’échanger des coups d’épée,
je leur donnai à boire un poison mortel ; mais ai-je fait plus
que leur rendre la juste mesure de ce qu’ils m’avaient prêté ?

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— 146 —

S’ils ont trouvé la mort, c’est que les destins le voulaient. Ce
pays, qui m’appartient, je le laisse semblable à un lit (moel-
leux), car j’en ai chassé tout rebelle (*).

En 190(27 nov. 805), El-H’akam se mit en campagne
et alla assiéger Mérida, où s’était révolte Açbagh ben
c Abd Allah ben Wânsoûs^). Mais il apprit bientôt que la
populace de Cordoue s’était soulevée et portée en armes
contre le directeur des marchés (çâhib es-soûk); ceux
que le prince avait laissés en cette ville lui envoyèrent
le récit des faits et de l’explosion des sentiments de la
plèbe. Il partit sur le champ à marches forcées, et en
trois jours il arriva à Cordoue, où il gagna le château;
alors le peuple se calma et tout rentra dans Tordre, puis
il y eut une période de douze ans, de 190 à 202, pendant
laquelle la tranquillité régna.

Pendant sept années des expéditions se renouvelèrent
contre Mérida, où Açbagh ben c Abd Allah ne pouvait
être forcé. Un ennemi de ce chef l’avait noirci aux yeux
d’El-H’akam et avait excité ce prince contre lui; après
quoi il avait joué le même jeu auprès d’Açbagh, dont il
avait attisé les craintes et qui, redoutant un châtiment
ou quelque acte de violence, avait gagné Mérida et s’y
maintenait. Ce ne fut que la septième année et à la
septième expédition que cette ville fut prise, grâce à des
habiletés qui amenèrent Açbagh à demander grâce ;

(1) Cette pièce a été également traduite par Dozy (M d’Esji. n, 85) ;
on la retrouve, entière ou par fragments, dans, le Machm.ua (p. 132),
dans Ibn el-Koutiyya (f° 23 du ms), dans Makkari (i, 220), dans V’Ikd
(II, 365), et dans la Hollat es-siyâra, p. 41.

(2) Cette révolte débuta en 191 d’après Ibn el-Athîr {Annales, 171).
Ibn Khaldoun, sans en fixer la date, la raconte’ à la suite de la
journée de la fosse à Tolède (éd. Boulak, iv, 127).

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. – 117 –

tranquillisé il sortit de Mérida, se mit à la suite d’El-
H’akam et habita Gordoue. Mais ensuite il obtint un
laissez-passer pour se rendre dans ses propriétés de
Mérida, et les troubles et le désordre recommencèrent
dans cette ville.

En 193 (25 oct. 808), Roderik, prince de France <*>,.s’étant
avancé du côté de Tortose, El-H’akam envoya contre lui
un nombreux corps de troupes commandé par son fils
e Abd er-Rahmân, et il écrivit en outre à e Amroûs et à
‘Abdoûn, gouverneurs de la frontière, de le soutenir
dans sa campagne avec tous les habitants des pays
qu’ils gouvernaient. e Abd er-Rahmân arriva avec les
soldats du djond, les recrues se joignirent à lui et les
volontaires affluèrent. Nos troupes se heurtèrent à celles
du roi chrétien [P. 75] qui envahissaient notre terri-
toire, et à la suite d’une sanglante rencontre où Dieu
soutint l’ardeur des musulmans, les chrétiens furent
rais en fuite, et il en fut fait un tel massacre que la
plupart périrent.

En 194 (15 oct. 809), El-H’akam fit en pays chrétien’
une expédition à cause des faits que voici. Le poète
f Abbàs ben Nâçih'(2) était à Medînet el-Faradj ( 3 ), c’est
à dire à Guadalaxara, et l’ennemi était devenu très

(1) Il s’agit de Louis, roi d’Aquitaine et fils de Charlemagne (cf.
Annales, p. 172; Makkari, i, 219); c’est la date de 192 qu’on lit dans
ces deux ouvrages.

(2) Ce poète était aussi juriste et exerça les fonctions de kàdi à
Algéziras; Makkari parle de lui (notamment t. i, 633), de même
qu’Ibn el-Koutiyya (f. 21 V du ms), et Ibn el-Faradhi (éd. Codera,
n° 879) lui a consacré un article. L’anecdote qui suit figure encore
dans les Annales, p. 174; le Machmua, p. 129, Makkari, i, 221, etc.

(3) Aboulféda (Gèog. y tr., n, 255) désigne aussi Guadalaxara par
cette appellation, dont Edrisi ne dit rien, et qui parait provenir du
nom d’un chef çanhadjite qui y régna (de Goeje, Jakufri, p. 112).

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– 118 –

audacieux et très fort, grâce au fait que le prince était
tout absorbé par l’affaire de Mérida, ville contre laquelle
les expéditions d’été furent dirigées sept années de
suite; aussi des incursions fréquentes ravageaient-elles
nos frontières, s’y livrant au meurtre et en emmenant
des captifs. Or f Abbâs ben Nàçih’ entendit un jour du
côté de Guadalaxara une femme s’écrier : « Au secours,
ô El-H’akam ! c’est à toi que nous devons notre perte, toi
qui nous livres à l’ennemi et nous délaisses de façon à
lui permettre de se ruer sur nous! » Le poète se rendit
auprès d’El-H’akam et lui remit une poésie où il implo-
rait son secours et rappelait l’invocation de cette femme;
il exposa en outre la faiblesse et l’état troublé de la
frontière. Alors El-H’akam, saisi do compassion pour
les victimes et brûlant du désir de soutenir la religion,
fit faire des préparatifs pour la guerre sainte et, se
mettant en campagne, pénétra fort loin en territoire
infidèle, conquérant les places fortes, saccageant les
lieux habités, livrant à la mort ou réduisant en captivité
une foule d’ennemis. Il revint par le lieu où habitait la
femme en question et fit distribuer aux habitants de
l’argent provenant du butin pour les mettre à même de
réparer les pertes qu’ils avaient subies et de racheter
leurs prisonniers ; cette femme notamment fut particu-
lièrement avantagée. En outre il leur distribua une partie
des captifs, qui pouvaient leur servir, et il fit décapiter
le reste. Il dit alors à cette femme et aux habitants:
« El-H’akam est-il venu à votre secours ? — Il a, répon-
dirent-ils, guéri nos cœurs, accablé l’ennemi et ne nous
a pas négligés quand il a su dans quel état nous étions ;
daigne Dieu le secourir lui-même et fortifier son aide ! »
En 196 (23 sept. 811), El-H’akam fit une expédition en

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– 119 –

pays chrétien, où il s’avança fort loin et, après y avoir
commis maints ravages, il se retira. En la même année
dourut Temrnâm ben c Alk’ama Thak’efi.

En 199 (22 août 814) une famine générale sévit dans
toute l’Espagne et la majeure partie des habitants périt
de misère (*). ‘

En la même année, El-H’akam fit entreprendre [P. 76]
par son oncle paternel c Abd Allah Balensi l’expédition,
restée célèbre, où fut remporté un succès si éclatant à
Barcelone ( 2 ). Un jeudi, le jour même de l’arrivée de ce
chef près de cette ville, il se trouva que les infidèles s’y
installèrent aussi. Ses compagnons brûlant d’ardeur
voulaient engager la lutte sur le champ, mais il les
contint jusqu’au lendemain vendredi, où, quand le soleil
commença à décliner, il disposa ses troupes en ordre de
bataille et fit installer les machines de guerre; puis
faisant urre prière de deux rek’a, il donna aux hérauts
Tordre de faire les proclamations nécessaires et, sautant
achevai avec son entourage, il fondit sur les infidèles.
J’imagine que s’il agit ainsi ce ne fut que par suite de ce
qu’il connaissait bien et qu’il voulait suivre le précepte
renfermé dans une tradition du Prophète, qu’il faut
combattre à ce moment de la journée, où la brise se fait
sentir, où les portes du ciel s’ouvrent, où les prières
sont exaucées. Aussi Dieu livra -t-il aux nôtres les
épaules des infidèles, qui furent mis en déroute, presque
tous massacrés et dont la dispersion fut complète. Quand
on eut fini de combattre, c Abd Allah fit planter en terre

(1) C’est sous Tannée 197 qu’il est parlé d% cette famine par les
Annales (p. 376) et par Makkari (i, 220).

(2) Je crois qu’il n’est pas fait mention de cette expédition dans
les autres sources arabes.

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– 120 –

de longues lances autour desquelles il fit amonceler les
têtes des victimes et qui en lurent bientôt recouvertes.

ENTRÉE d’eL-H’aKAM DANS TOLÈDE RÉVOLTÉE (*).

*

Feignant une expédition en pays chrétien, mais son-
geant dans la réalité à Tolède, il se dirigea vers Todmir,
où Ton se battit, et il mit le siège devant l’un des
châteaux forts de cette région. Il écrivit aux gouverneurs
de la frontière dans quel lieu il se trouvait et la guerre
qu’il poursuivait, et la confiance que cela inspira aux
Tolédans permit à ceux-ci de se répandre dans leurs
terres pour y vaquer aux soins des cultures. Mais le
prince, qui avait chez eux des espions, fut renseigné de
façon certaine sur leur dispersion, et s’éloignant de
Todmir il se dirigea vers l’ouest. Quand les avis qu’il,
continuait de recevoir de Tolède lui firent croire que le
moment était propice, il se dirigea vers cette ville à
marches forcées et en brûlant les étapes. Il était nuit
quand il arriva dans les environs et, se faisant suivre
par une poignée de ceux qui lui tenaient de plus près, il
pénétra la nuit même dans cette ville à l’insu des habi-
tants, qui n’étaient pas sur leurs gardes et avaient laissé
leurs portes ouvertes ; le gros de ses troupes venait par
derrière, chacun marchant dans la mesure de ses forces.
Il occupa ainsi la ville et, s’interposant entre elle et les
habitants qui étaient dehors, il empêcha de se joindre à
ces derniers ceux qui étaient en-dedans des murs, de

(1) Le récit de cette affaire, exposé d’après notre auteur et.Noweyri,
est ainsi introduit par Dozy (M. cl’Esp. f n, 97): « Peu d’années après
la journée de la Fosse, les Tolédans avaient recouvré leur indépen-
dance et détruit le château d’Amroùs ».

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121 –

sorte qu’il resta entièrement le maître sans grand’peine
et sans combat. Il fit alors descendre et installer en
plaine ceux de la région qui étaient sur les hauteurs
et livra aux flammes les demeures qu’ils occupaient,
puis les renvoya.

En 200 (11 août 815), [P. 77] le vizir ben Moghith, chargé de la direction d’une campagne
contre les infidèles <*>, pénétra en plein pays ennemi, y
anéantit les vivres, les installations, les cultures, ruina
les habitations et les places fortes, si bien qu’il resta
entièrement maître de toutes les bourgades du Wâdi
Aroûn (Naharon). Alors les chrétiens (que puisse Dieu
anéantir!) se concertant et accourant de toutes parts
vinrent camper avec leurs forces sur l’autre rive du
Wàdi Aroûn, rivière qui les séparait des musulmans.
Quand l’aube se leva, f Abd el-Kerim à la tète de ses
troupes se dirigea vers les gués; mais les ennemis
défendirent chacun des passages, tandis que les nôtres
leur ripostaient vaillamment et en hommes qui voulaient
mériter le ciel ; puis les chrétiens prenant l’offensive
s’efforcèrent de franchir la rivière. Les musulmans,
après en avoir d’abord défendu le passage, firent une
charge vigoureuse et, refoulant les assaillants dans des
endroits resserrés et sans issue, tombèrent dessus à
coups d’épée et de lance. La plupart des victimes, dont
le nombre fut incalculable, périrent en tombant dans

(1) Sébastien parle de cette campagne dans la trentième année du
règne d’Alphonse ou 820 de J. C. ; mais les auteurs arabes en parlent
tous sous l’année 200 (= 815 – 16 de J. C), ainsi que Ta fait remar-
quer Dozy, qui traduit ce chapitre {Recherches, i, 149 ; 3* éd., p. 137;
aux auteurs qu’il cite, ajoutez Ibn el-Athir, auquel il n’a pas recouru,
voyez Annales y p. 179).

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– 122 –

des précipices <*) et en s’écrasant les uns les autres. Après
s’être servis de leurs armes pour se défendre, ils en
vinrent à résister à coups de pierre. [Le combat fini,] ils
firent de nombreux travaux de défense aux gués, em-
ployèrent des palissades pour en augmenter la difficulté
d’accès, creusèrent des fossés et des tranchées. Alors les
pluies survinrent, et les chrétiens restèrent sans aucun
abri, puisque tout avait été détruit ; mais les musulmans
aussi se trouvèrent dans une situation difficile, et *Abd
el-Kerim, battant en retraite, rentra victorieux le sept
dhoû’1-kada <*>.

En 201 (30 juillet 816), il n’y eut aucune expédition ni
mouvement d’importance.

SECOND SOULÈVEMENT DES FAUBOURIENS EN 202 (20 JUIL. 817) (3).

Il régnait chez les habitants du faubourg de Cordoue
un esprit de discorde et un oubli des règles tels que
nous prions Dieu de nous en préserver. La cause de leur
soulèvement est diversement racontée. Certains préten-
dent qu’il la faut chercher dans leur turbulence et leur
insolence, puisqu’il n’y avait alors rien en fait d’entre-
prises contre leur fortune, d’attaques contre leur hon-
neur ou d’actes arbitraires du gouvernement qui pût
justifier ce mouvement. La situation alors existante

(1) Dozy a introduit dans ce passage de sa traduction une correc-
tion qu’il a ensuite modifiée dans ses Corrections, p. 40.

(2) Correspondant au 7 juin 816; d’après la traduction Dozy, le 8
juin 816; d’après les Annales, le 7 dhoù’l-hiddja, ou juillet.

(3) Ces faits sont racontés par Ibn el-Athir sous Tannée 198, et cet
auteur ajoute que, d’après d’autres, ils eurent lieu en 202 (Annales,
p. 177-179). Sur la fixation de cette date, voir Dozy, Mus. d’Esp., n,
353 ; cf. Fournel, Les Berbers, i, 438.

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– 123 –

prouve la justesse de cette version, car le peuple n’était
soumis à aucun impôt illégal, contribution extraordi-
naire ou corvée, à rien enfin de nature à provoquer l’in-
surrection, qui ne fut dans la réalité [P. 78] que la
manifestation d’une turbulente insolence, d’un dégoût
pour la paix, de caractères grossiers, de gens à l’intelli-
gence bornée et qui ne cherchaient que leur propre
perte; veuille Dieu nous préserver de Terreur et de
l’abandon et nous’ faire éviter toutes les causes de per-
dition et de dommage !

Quand l’agitation aboutit à un véritable soulèvement,
El-H’akam engagea la lutte ; son entourage et les soldats
du djond se concentrèrent autour de lui, des guerriers
arrivèrent de toutes parts, et les hostilités éclatèrent
carrément entre ces troupes et la populace. Celle-ci
augmentait incessamment de nombre et constituait une
multitude immense, telle qu’il ne semblait plus rester
aucun espoir à ses adversaires. Pendant que les hommes
du peuple étaient entièrement absorbés par l’ardeur du
combat, on eut recours contre eux à un stratagème
analogue à celui qui fut employé à la bataille d’El-
H’arraW et dont ils ne s’aperçurent pas: c Obeyd Allah
ben c Abd Allah Balensi, surnommé Çâh’iô eç-çawâ’if
(chef( ? ) des expéditions estivales) et Ish’àk’ ben el-Mon-
dhir le Koreychite, se mettant à la tête des cavaliers et
des fantassins qu’ils purent rassembler, sortirent par la

(1) Cette bataille, qui tire son nom d’une localité voisine de Médine,
fut livrée en 63 H. aux partisans d’ *Abd Allah ben ez-Zobeyr par
Moslim ben ‘Okba, qui commandait les troupes du khalife Omeyyade
Yezid, et à qui le sang qu’il y versa valut le surnom de Mosrif « pro-
digue de sang; sanguinaire » (Weil, G. der Chai, i, 332 ; Mas’oudi,
Prairies d’or, v, 162 ; Mus. d’Esp., i, 101 ; ‘Ikd, n, 316, etc.).

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– 124 –

Porte du pont, et tombant sur les insurgés les refoulèrent
vers le pont; la porte de la ville située près de ce der-
nier fut alors ouverte, et les guerriers en question,
passant par la Porte de fer, se précipitèrent dans la
grande rue et débouchèrent dans la Ramla, du côté où
se trouve un gué; puis, franchissant la rivière, ils opérè-
rent leur jonction avec les recrues levées dans les cantons
voisins et qui avaient été averties par des signaux et
par l’apparition des étendards du khalife. Cela fait, une
partie d’entre eux prenant le faubourg à revers, une
autre incendiant les habitations, on expédia des émis-
saires pour prévenir les faubouriens du sort de leurs
demeures, de leurs femmes et de leurs enfants. Pas un
ne resta insensible à cet appel, et tous s’empressant à
courir de ce côté se trouvèrent alors attaqués par devant
et par derrière, de sorte qu’il en fut fait un horrible
massacre ; poursuivis dans les rues et par les chemins,
il ne put échapper que ceux dont l’heure n’était pas
venue et qui s’enfuirent sans s’inquiéter ni de femme ni
d’enfant. Trois cents furent faits prisonniers, qui furent
ensuite crucifiés le long de la rivière sur une seule
rangée depuis El-Merdj jusqu’à El-Moçâra. El-H’akam
voulait tout d’abord faire traquer les fuyards par toute
l’Espagne et les faire mettre à mort en quelque endroit
qu’ils se trouvassent; mais un de ses conseillers le
ramena à des sentiments plus doux en lui rappelant
l’importance de la victoire dont Dieu venait de le favo-
riser, [P. 79] et le prince renonça à ses projets W.
Les vaincus s’en allèrent donc par groupes en erame-

(1) Voir aussi les incidents rapportés par Merràkechi, trad. p. 16;
Machmua, p. 130-, et Mus. d’Esp., h, 69 et s.

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– 126 –

nant leurs femmes et leurs enfants, sans qu’il leur fût
suscité aucun obstacle dans les diverses régions de
l’Espagne qui étaient soumises à son autorité, sans que,
une fois la lutte terminée et l’effervescence tombée, ils
eussent rien à souffrir ; Ternir, après leur, avoir accordé
un généreux pardon, respecta leurs biens et leurs fem-
mes: Les faubouriens se dispersèrent de tous côtés en
Espagne ; certains d’entre eux s’embarquèrent avec fem-
mes et enfants et, gagnant le littoral africain, s’établirent
à Fez et y fondèrent le quartier espagnol, qui prit l’im-
portance d’une ville ; d’autres encore gagnèrent l’He de
Crète W. On dit que, partout où un groupe d’entre eux
alla, il s’empara du pays et s y fixa en s’imposant par la
force â ceux qui y habitaient déjà. Il y eut nombre de
savants et de gens de bien qui, exposés au soupçon ou
craignant pour leur vie, gagnèrent la région de Tolède.
Plus tard l’émir accorda une amnistie générale s’éten-
dant aux biens et aux personnes; liberté complète fut
donnée à tous de se fixer dans n’importe quelle localité
du royaume, à la seule exception de Cordoue et des
environs.

En 206 (6 juin 821), El-H’akam se trouvant gravement
malade fit prêter serment de fidélité, en qualité d’héritier
présomptif, en faveur de son fils c Abd er-Rahmàn, et,
pour succéder à celui-ci, en faveur d’El-Moghira. Cette
cérémonie eut lieu le mercredi 11 dhoûl-hiddja (7 mai
822) et se passa au palais ; le peuple ensuite se rendit à
la demeure d’ c Abd er-Rahmân ben el-H’akam pour

(1) Sur ces émigrations, cf. Fournel, i, 440, et les auteurs qu’il cite,
yuant aux deux quartiers de Fez, voir t. i; VIstibçâr, tr. fi\, p. 122 ;
Bekri, etc.

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– 126 –

prêter serment entre ses mains mêmes, et ce fut dans
cette même demeure qu’eut lieu la prestation de serment
en faveur de son frère Kl-Moghîra. Celui-ci ensuite se
rendit à cheval à la grande mosquée pendant plusieurs
jours de suite, et cette cérémonie se continua auprès de
la chaire, puis elle se poursuivit dans sa propre demeure.
Quand ces deux princes eurent ainsi été reconnus en
qualité de successeurs l’un immédiat, l’autre médiat,
El-H’akam donna Tordre de démolir le caravansérail
(fondouk) du faubourg, dont le tenancier était un fauteur
de troubles et de rébellion. Ce prince mourut le jeudi
25 dhoû’l-hiddja de cette année (22 mai 822) et fut inhumé
dans le palais après que son fils c Abd er-Rahmân eut
récité sur lui les dernières prières.

[P. 80] Voici de ce prince quelques traits biographi-
ques. Il était constant dans ses projets, énergique dans
ses résolutions, d’uiïe violence redoutable, d’une grande
habileté à gouverner et à choisir des fonctionnaires
capables et intègres, et sa main s’ouvrait facilement. Il
avait pour kâdi El-Mo c çab ben c Imrân, qui avait exercé
ces fonctions sous le règne précédent et qui, par sa
crainte de Dieu, sa science et sa piété, lui convenait
parfaitement. Une grave maladie qui survint à ce magis-
trat préoccupa sérieusement le prince, qui, d’après ce
que raconte un de ses courtisans, se trouva une nuit
fort tourmenté par l’insomnie et se mit à s’agiter sur sa
couche ; comme on lui demandait ce qu’il avait : « Arrière,
malheureux ! s’écria-t-il ; je viens cette nuit d’entendre
les cris d’une pleureuse; comme mon kâdi est malade,
je ne peux que le croire mort. Où donc vais je trouver le
pareil, où découvrir quelqu’un qui le remplace digne-
ment aux yeux de mes sujets? » El-Moç c ab en effet était

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– 127 –

mort cette nuit même M, et il eut pour successeur
Mohammed ben Bechîr.

Nul plus que celui-ci n’avait toujours les yeux fixés
sur le droit; n’était plgs éloigné de l’injustice, plus exact
à juger. Un habitant du district de Jaën vint un jour se
plaindre à lui ( 2) qu’un fonctionnaire de H’akam lui avait
enlevé une jeune esclave et l’avait fait passer entre les
mains du prince, qui avait conçu pour elle la plus vive
affection. Le plaignant établit la validité de ses alléga-
tions, produisit des témoins qui attestèrent l’injustice
commise et ses droits de propriété ainsi que l’identité
delà jeune esclave, de sorte que les règles traditionnelles
exigeaient la présence de celle-ci. En conséquence le
kâdi demanda audience au prince et lui dit: « émir, il
ne peut y avoir une vraie justice pour la masse que si
elle s’applique également aux grands! » Et, lui exposant
l’affaire, il le mit en demeure ou de lui envoyer la jeune
fille pour que les témoins en établissent l’identité, ou de
le destituer lui-même : « Eh bien I dit H’akam, je vais
te proposer mieux que cela: cette jeune fille sera achetée
à son maître aussi cher qu’il voudra! » Le kâdi reprit:
« Il y a des témoins qui sont venus du district de Jaën ;
le plaignant est venu demander qu’on fasse droit à ses
prétentions, et c’est quand il se trouve à ta porte que tu
le renverrais sans que justice lui soit rendue, pour qu’il
se trouve peut-être quelqu’un qui dise : Cet homme a

(1) On retrouve cette anecdote contée d’une manière un peu diffé-
rente dans le Machmua, p. 125, dans Y’Ikd, n, 364, et dans Ibn
el-Koutiyya, f* 24 v. ; cf. supra, p. 96.

(2) D’après le Machmua (p. 125), le juge devant qui fut portée cette
affaire était le prédécesseur de Mohammed ben Bechîr, c.# à d.
Moç’ab ben ‘Imràn ; vdir aussi V *Ikcl, h, 365.

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— 428 —

vendu malgré lui un objet dont il n’était pas proprié-
taire! » En présence de cette fermeté, H’akam dut faire
sortir la jeune fille de son palais, et les témoins ayant
par devant le kâdi affirmé son identité, un jugement la
rendit à son maître. [P. 81] Ce Mohammed ben Bechir
se rendait à la mosquée et siégeait au tribunal avec un
manteau (rida) jaune et une raie dans les cheveux (*);
mais quand on cherchait ce qu’il était au fond on le
trouvait plus méritant et plus scrupuleux que personne.
H’akam avait l’habitude de dire que les princes n’ont
pas à se parer de justice ou d’autres ornements sembla-
bles. Il était indolent, mais vaillant, généreux, très in-
dulgent; il se soumettait lui-même, et à plus forte raison
ses enfants et ses courtisans, à l’autorité de ses propres
kàdis et juges. Dans une caserne située près du palais,
à côté du fleuve, se trouvaient mille chevaux commandés
par dix officiers, chacun en ayant cent sous ses ordres;
quand il apprenait que quelque désordre était fomenté
par un rebelle, il prévenait le développement des trou-
bles par un envoi immédiat de troupes, et le coupable
était entouré et pris sans le savoir. Un jour qu’il était au
palais à jouer au djerîd, il reçut la nouvelle que Djàbir
ben Lebid avait mis le siège devant Jaën ( 2 ) ; il manda
aussitôt l’un de ces officiers et lui donna secrètement
Tordre de partir avec ses cavaliers, ce qui fut fait par
ce chef aussi bien que par ses collègues. Ibn Lebîd ne se
doutait de rien quand il vit arriver tous ces cavaliers

(1) Cf. ce que disent le Machw.ua (p. 127) et V’Ikcl (h, 365) de sa
manière de se vêtir ; voir également l’article de Dhabbi, n* 69.

(2) Le même fait est rapporté par le Machmua y p. 129, et par
V’Ikcl^ ii, 265. Djàbir ben Lebîd était gouverneur d’Elvira (Makkari,
ii,537). ♦

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bardés de fer ; saisi de regret et persuadé que toute une
armée l’attaquait, il s’empressa de tourner le dos, et ses
troupes se dispersèrent.

El-H’akam avait la parole élégante et éloquente; il
était poète distingué et est auteur d’odes amoureuses;
beaucoup de ses poésies ont trait à cinq jeunes filles
qu’il s’était spécialement attachées et à qui il avait laissé
prendre un grand pouvoir sur lui. Un jour qu’il voulait
pénétrer chez elles, elles s’y refusèrent et lui tournèrent
le dos; mais il ne pouvait se passer d’elles et fit ces
vers (*) :

[Basît] Ces branches de saule qui se balancent gracieuse-
ment au-dessus des monticules sablonneux me tournent le
dos et sont bien décidées à me fuir ; c’est en vain que j’ai
invoqué mon droit, leur intention est bien arrêtée, et je suis
privé d’elles. Elles tiennent en leur pouvoir un roi comme
moi, dont les volontés sont réduites par l’amour au même
degré d’humiliation qu’un captif faible et enchaîné. Qui me
rendra celles qui ont ravi le souffle à mon corps, qui grâce à
l’amour m’ont dépouillé de ma puissance et de mon autorité?

[P. 82] Elles se raccommodèrent ensuite avec lui, ce
qui lui fit dire :

[Khafif] J’ai, après une brouille, obtenu une réconciliation
complète ; c’est pour moi comme une victoire qui me sou-
mettrait tous les hommes, ce succès, auquel le nombre des
guerriers ne pourrait rien, est une joie qui dépasse tout!

Voici encore un joli extrait de vers composés sur le
même sujet :

(1) On retrouve tout ou partie de ces vers dans le Machmua y 134;
dans Makkari, i, 221 ; dans Kotobi, i, 146, et dans la Hollat, p. 42.

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– 430-

[Kkafif] L’excès de son amour a transformé en un esclave
celui qui auparavant était un roi. Que la passion lui arrache
des pleurs ou des plaintes, et aussitôt un redoublement de
tyrannie l’éloigné à une distance qui hâte une mort rapide.
Les jeunes antilopes du palais ont abandonné et laissé livré
à lui-même cet énamouré tout brûlant de passion, qui pose
humblement sa joue dans la poussière, lui qui(*) trouve la
soie à peine digne de son trône ! Voilà le degré d’humiliation
où tôiribe l’homme libre qu’asservit l’amour! (2)

Il a fait aussi à propos des faubouriens révoltés de
nombreuses poésies où personne ne peut rivaliser, avec
lui ; nos citations suffisent à établir son talent. “A rap-
proche de la mort il se reprocha vivement sa conduite
antérieure, offrit à Dieu un sincère repentir, revint à la
voie de droiture, et proclamant que la vie future est la
chose la plus importante, il fit de la piété son ornement
et saisit de sa main l’anse solide ; il avoua et confessa
ses fautes, se pénétra entièrement de la parole divine,
« s’ils mettent fin à leur impiété, Dieu leur pardonnera
le passé » (Koran vin, 39), et devint ainsi l’un des pieux
serviteurs du Seigneur, jusqu’au jour où celui-ci le rap-
pela à lui “, événement qui arriva en 206 (6 juin 821).

Khalifat d”Abd er-Rahmân ben el-H’akam(3).

Ce prince, né en 176 (28 avril 792), avait pour mère
H’alâwa et portait le prénom d’Aboû’l-Mot’arref. Il eut

(1) J’ai suivi la leçon du ms du Bayân.

(2) On retrouve ces vers dans le Machmua, p. 134, et dans la HoTlat,
p. 42.

(3) Un article lui est consacré dans la Hollat, p. 61.

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– l3i –

pour chambellan e Abd el-Kerîm ben e Abd el-Wâh’id ; ses
vizirs, au nombre de neuf, avaient chacun trois cents
dinars de traitement ; il eut trois secrétaires, e Abd el-
Kerîm, que nous venons de citer, Sofyân ben e Abd
Rabbihi et c Isa [P. 83] ben Choheyd. Il eut onze kâdis (*),
entre autres Yah’ya ben Ma c mar, dont Mesroûr ben
Mohammed ben Bechîr avait été le prédécesseur, puis
Sa c id ben Mohammed ben Bechîr, ensuite le Yah’ya
précité, etc. La raison de ce grand nombre de kâdis est
que celui par les conseils de qui s’opéraient soit leur
nomination soit leur révocation, était Yah’ya ben Yah’ya
Leythi, dont l’avis était suivi pour toutes les nomina-
tions (*). Or quand ce Yah’ya trouvait quelque chose à
reprocher à un kâdi, il invitait celui-ci à demander d’être
relevé de ses fonctions, faute de quoi lui-même provo-
querait la destitution, et il y avait ainsi un changement
ou volontaire de la part de l’intéressé ou provenant des
avis de Yah’ya.

Son sceau portait les mots gravés « c Abd er-Rahmân
accepte la décision divine ». Il avait d’abord un autre
sceau, qui vint à s’égarer et qu’on ne put retrouver
malgré les recherches faites à cet effet; il donna alors
l’ordre de faire regraver le sceau de son grand -père
e Abd er-Rahmân. Le page Naçr se retira avec le sceau
pour remplir cette commission et, faisant appeler le

(1) L’énumération en est faite par Ibn el-Koûtiyya (f. 25 v. du ms.),
qui en nomme douze.

(2) Sur le rôle que joua ce juriste, on peut voir Dozy, Mus. d’Esp.,
n, 88 ; cf. Ibn Khallikân, iv, 29 ; Ibn Farhoûn, ms 5032 de Paris, f. 138 ;
ms884 d’Alger, f. 23; Ibn el-Faradhi, éd. Codera, n° 1554 ; Makkari,
notamment i, 465 ; Annales du Maghreb, 164, etc.

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-m –

poète *Abd Allah ben ech-Chamr M, il lui demanda
quelle inscription il fallait employer; à quoi le poète
répondit;

[Ramai] Le sceau du nouveau règne sanctionnant les or-
dres aux yeux du peuple, est « ‘Abd er-Rahmân accepte la
décision divine » (2).

Ces deux vers plurent à .l’émir, qui les fit graver sur
son sceau.

Le nouveau prince était grand, brun, avait la prunelle
grande et noire, le nez aquilih, les paupières brunes, ia
barbe longue; il faisait usage de henné et de ketem. 11
avait vingt-trois ans et neuf mois lors de son intronisa-
tion, qui eut lieu le lendemain de la mort de son père,
c’est-à-dire le jeudi 26 dhoû’l-hiddja 206 (24 mai 822) ; il
mourut dans la nuit du mercredi au jeudi 3 rebî’ n 238
(22 sept. 852) à l’âge de soixante-deux ans et après un
règne de trente-et-un ans trois mois et six jours. Il eut
quarante-cinq fils et quarante-deux filles.

En 207 (27 mai 822), la guerre civile éclata à Todmîr
entre les Mod’arites et les Yéménites et se poursuivit
pendant sept années < 3 ). Dès le début le khalife fit marcher

(1) Ce poète est cité dans Makkari (n, 414), et Ibn el-Faradhi ne lui
consacre qu’une courte et imprécise notice (n* 689). Le Machmua
l’appelle seulement Ibn ech-Chamr (p. 137 et 138). Dans Ibn el-
Koutiyya, où Ton retrouve aussi des vers de ce poète, qui était un
ami d’enfance du prince (f* 26), il est nommé ech-Chamr, et il en est de même dans Y ‘Ikd, n, 366. C’est sous le nom
d”Abd Allah qu’il est cité incidemment par Dhabbi, n° 845; et de
même dans la Hollat, p. 62.

(2) Makkari (i, 221) rappelle cette inscription du sceau, mais sans
en nommer l’auteur.

(3) Cf. Annales, p. 197 et 201 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 128.

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-.133 –

contre celte ville Yah’ya ben e Abd Allah ben KhalafW,
et plus tard envoya successivement divers officiers dont
la venue séparait les combattants, lesquels recommen-
çaient sitôt que les autres avaient tourné le dos. Il y eut
entre eux et Yah’ya ben c Abd Allah une rencontre connue
sous le nom d’affaire d’El-MoçâraW, [P. 84] à Lorca,
où trois mille hommes restèrent sur le terrain.

En la même année, l’Espagne fut ravagée par une
terrible disette, qui fit de nombreuses victimes.

En 208 (16 mai 823) eut lieu la campagne dite d’ÀlavaP).
c Abd el-Kerîm ben c Abd el-Wàhid entreprit la campagne
d’été contre cette place : il s’installa à la frontière, où se
concentrèrent les troupes musulmanes, et après que
divers avis eurent été émis sur le passage à choisir pour
pénétrer en pays ennemi, on tomba d’accord sur celui
d’Alava comme étant le plus préjudiciable aux chrétiens
et pouvant le mieux servir à les dompter. Les nôtres se
ruèrent donc par le col dit de DjernîkM*), par delà lequel
se trouvait une plaine renfermant les approvisionne-
ments et les trésors de l’ennemi; ils tombèrent sur ce
territoire, dont ils prirent la meilleure partie, pillèrent
le contenu de ces magasins, livrèrent à la dévastation la
plus complète tous les lieux habités ou bourgades par
où ils passèrent et les transformèrent en désert; après
quoi ils s’en retournèrent victorieux et chargés de butin;
puisse Dieu en être loué !

(1) Au lieu de Khalaf, Ibn el-Athir et Ibn Khaldouu écrivent Khâlid.

(2) Sur l’orthographe de ce nom, cf. Annales, 197.

(3) Sur cette campagne, cf. Annales, 198; Ibn Khaldoùn, iv, 128 ;
Makkari, i, 222.

(4) On retrouve ce nom plus loin, et dans les Annales, p. 243 ;
probablement Guernica, a TE. de Bilbao.

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– 134 r-

En 209 (4 mai 824), r Abd el-Kerim ben c Abd el Wâhid
mourut d’une maladie dont il fut atteint alors qu’il était
déjà en marche à la tête d’une expédition. L’émir le
remplaça par Omeyya ben Mo’àwiya ben Hichâm, qui
mena l’expédition d’été à OûrîU 1 ), qui alors appartenait
aux musulmans. Il s’y arrêta pour y punir les coupables
et les suspects, mais en pardonnant aux autres, puis
s’avança vers Sontebria( 2 ) et Todmir, où Aboû’ch-Chem-
mâkh^chef des Yéménites, soutenait la cause d’EminW
contre les Mod’arites. Il y eut à Murcie une rencontre
analogue à celle d’El-Moçàra à Lorca, et il y périt des
tribus entières. La cause première de cette guerre entre
les Yéménites et les Mod’arites fut qu’un de ceux-ci
arracha une feuille de vigne du jardin d’un Yéménite,
qui le tua; alors commencèrent des combats qui durè-
rent plusieurs années et à péripéties diverses, mais où
les Yéménites eurent le plus souvent le dessous et firent
des pertes sensibles. C’est une des choses surprenantes
à remarquer dans le cours des âges.

En 210(24 avril 825), c Abd er-Rahmàn donna Tordre
d’édifier la grande mosquée de Jaën. Il écrivit [P. 85]
au gouverneur de Todmîr de se transporter à Murcie et
d’y fixer son séjour, et cette ville devint désormais le
lieu de résidence des [gouverneurs]^; il fit ruiner la

(1) Orelo, dans le Campo de Calatrava.

(2) Castro de Santa ver, sur le Guadelia (Annales, p. 118).

(3) Il s’appelait Mohammed ben Ibrahim, d’après Ibn el-Athir.

(4) Il ne p^ut s’agir que du khalife abbaside ainsi nommé ; or ce
prince avait été tué en 198, et en 209 le trône de Ëaghdàd était occupé
par Ma’moûn.

(5) Cf. Annales, p. 201.

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– 135 –

ville d’EIlo M du district de Todmir, car c’était de là que
s’étaient propagés les troubles. H’içn el-Kal c a, qui était
en territoire ennemi, fut conquise par Faradj, lequel
était fils de Meserra, gouverneur de Jaën.

Eu 211 (13 avril 826), T’awrîl s’étânt révolté à Tacorona,
l’émir envoya contre lui des troupes commandées par
[ c Abd er Rahmân] ben Ghânim, qui resta vainqueur et
rétablit le calme ( 2 ).

En 212 (2 avril 827), Balensi dirigea l’expédition d’été en pays ennemi, y fit
des incursions de divers côtés et pénétra jusqu’à Barce-
lone; il passa soixante jours à faire cette conquête et à
livrer tout à la destruction < 3 ). L’année *213 (22 mars 828) vit la fin des troubles de Todmir : Aboû’ch-Chemmâkh et les autres chefs furent amenés à descendre de leurs forteresses et cessèrent les hostilités. Àboû’ch Chemmàkh devint alors l’un des gou- verneurs et des hommes de confiance de l’émir *Abd er-Rahmân. En 214 (11 mars 829) eut lieu à Tolède le soulèvement deHâchimW, surnommé Ed-D’àrràb parce que, lors de l’incendie auquel El-H’akam livra Tolède et de l’expul- (1) Sur le nom de cette ville, voir Dozy, Collections, etc., p. 40. (2) Dozy reconnaît que le texte est fautif, et ajoute n’avoir pu le corriger parce qu’il n’a pas trouvé ailleurs le nom de ce général {Corrections, p. 41). Je crois que les mots ben Omeyya du texte arabe sont en effet de trop ; mais j’ai rétabli le nom du général d’après Ibn el-Koutiyya, f. 26 v e du ms. Cf. Annales, p. 203. (3) Cf. Annales, p. 203 et 211. Makkari semble ne pas connaître cette expédition et mentionne seulement celle de l’année 224 (i, p. 222 ; éd. Boulak, i, 161). (4) Sur cette révolte, cf. Annales, p. 206 ; Ibn Kbaldoun, iv, 128 ; Mus. d’Esp., il, 97. Digitized by Googk – 136 – sion des habitants de cette ville dans la plaine, Hàchirri figura parmi les otages livrés à ce prince et dut se rendre â Cordoue, où il était employé comme ouvrier pour ma- nier le pic chez les forgerons. Ayant ensuite quitté Cor- doue et regagné Tolède, il appela à lui les vauriens et les gens de désordre, et quand il en eut réuni quelques- uns, ils se mirent à courir le pays, attaquant Arabes aussi bien que Berbères. D’autres malfaiteurs apprenant leurs exploits les rejoignirent, et ainsi se forma une troupe très nombreuse dont la réputation s’étendit au loin. Elle attaqua les Berbères à Santaver, et des com- bats à péripéties variées furent livrés. Alors Mohammed ben Wasîm reçut de Ternir Tordre de combattre ces malfaiteurs, et commença les hostilités en cette année. En 216 (18 février 831) les diverses troupes du djond se concentrèrent sous les ordres de Mohammed ben Wasîm, gouverneur de la frontière, et celui qui se porta en avant fut Ed-D’arrâb, qui s’était rendu maître d’une partie de cette province. Ibn Wasîm agissait trop molle- ment au gré de l’émir, et ce général, au reçu d’une lettre qui le gourmandait, se mesura avec Tinsurgé. [P. 86] Gelui-ci, à la suite d’une série de combats qui durèrent plusieurs jours, fut défait; il fut tué de même que ses partisans, au nombre de plusieurs milliers. En 217 (7 fév. 832), la ville de Mérida fut assiégée et serrée de très près, si bien que beaucoup d’habitants durent s’enfuir et un grand nombre furent tués M. En 218 (27 janv. 833) eut lieu une éclipse de soleil complète vers la fin du mois de ramad’ân et avant le (1) Les débuts de cette révolte remontent à l’année 213 ; voir les détails dans les Annales, p. 204 ; Ibn Khaldoun, iv, 128; Mach mua, 138. Digitizedby G00gle £d V – 137 – moment du déclin de l’astre, qui disparut entièrement et fit place aux ténèbres W. L’émir prit comme vizir et chambellan Ibn Choheyd ( 2 >.
On agrandit la grande mosquée de Cordoue, à partir des
pilastres qui sont entre les colonnes jusqu’à la kibla.

En 219 (16 janv. 834),Omeyya ben ei-H’akam entreprit
la campagne d’été contre Tolède, devant laquelle il mit
le siège; ensuite il se retira après avoir dévasté les
cultures des environs et coupé les arbres, mais en lais-
sant à Calatrava, pour continuer le blocus, le page Mey-
sera. Alors une foule d’hommes sortit de Tolède pour
marcher contre Calatrava ; mais Meysera, informé de
cette sortie, massa ses troupes et dressa une embuscade,
puis quand les Tolédans s’approchèrent et que les che-
vaux de leur colonne furent à proximité, ils furent assail-
lis par les troupes placées en embuscade et massacrés ,
les têles des victimes furent coupées et rassemblées en
un tas considérable sous les yeux de Meysera. Ce spec-
tacle le remplit de frayeur et de regret, et bientôt il
mourut rongé par le chagrin et le repentir.

En 220 (5 janv. 835), l’émir c Abd er-Rahmân se mit en
campagne et se dirigea d’abord du côté de Tolède; il
confia à Aboû’ch-Chemmàkh le gouvernement de Cala-
trava et, lui laissant un corps considérable de cavalerie
et d’infanterie pour marcher contre Tolède, lui-même
s’avança contre les districts occidentaux ( 3 ). Or Yah’ya de
Mérida avait eu l’adresse de chasser de cette ville Solev-

(1) Cette éclipse est aussi rappelée, sans indication de date, par
Ibn el-Koùtiyya, f 28.

(2) C’est-à-dire ‘Isa ben Choheyd, voir ci-dessus et Ibn el-Koutiyya,
f’26v. , .

(3) Comparez le récit d’Ibn Khaldoun, iv, 128.

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– 138 –

màn ben Martin, qui pendant un court espace de temps
tint les hauteurs; mais Ternir pendant cette campagne
l’y poursuivit, et ce chef, serré de près dans la forteresse
qu’il occupait, en sortit de nuit ; mais son cheval s’étant
abattu sur une roche glissante en saillie sur le sol, il fit
une chute dont il mourut. Un homme trouva son cadavre
et, lui ayant coupé la tête, il prétendit être l’auteur de
sa mort; mais la vérité fut ensuite connue.

[P. 87] En. 221 (26 déc. 835), Tolède fut conquise grâce
à ce fait qu’Ibn MohàdjirO), sortant “de cette ville, se
rendit à Calatrava et, appelant les officiers qui y com-
mandaient, les mena aux portes de la ville et mit un
terme aux facilités dont les Tolédans jouissaient. Ce fut
la principale raison qui amena la prise de cette place.
L’émir avait envoyé aux assiégés c Abd el-Wâhid Isken-
derâni, qui les trouva assez éprouvés ; puis il arriva en
personne et emporta la ville de vive force. Quand elle fut
en son pouvoir, il fit restaurer le palais qir c Amroûs avait
fait bâtir près la Porte du pont du temps d’El-H’akam*
Certains rapportent que la conquête de Tolède est due à
El-Welid ben el-H’akam, qui aurait marché contre cette
ville sur Tordre de son frère c Abd er-Rahmàntë).

C’est en 222, au mois de redjeb (juin 837), que cette
place fut conquise par la force et passa sous son autorité.

En 223 (3 déc. 837), c Abd er Rahmân ben el-H’akam
envoya son frère El-Welid ben el-H’akam en expédition
contre la Galice; ce prince y pénétra avec son corps
d’armée par la Porte d’occident, subjugua cette région
et y remporta de nombreuses victoires.

(1) Ce chef semble avoir été un renégat {Mus. rl’Esp., n, 99); cf.
Annales, 209.

(2) C’est cette version qu’ont suivie Ibn Khaldoun et Ibn el-Athir.

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– 139 –

En 224 (23 nov. 838), c Abd er-Rahmân envoya son fils
EI-H akam en pays chrétien avec ordre de parcourir les
régions frontières pour en connaître la situation et les
ressources, et il fit restaurer le pont de Saragosse. El-
H’akam se mit à la tête de l’expédition d’été’ 1 ) et pénétra
dans le pays ennemi, qu’il subjugua. Les pertes des
chrétiens en hommes furent innombrables; les têtes
seules formaient des monceaux aussi hauts que des
collines, à ce point que deux cavaliers ne pouvaient
s’apercevoir d’un côté à l’autre.

En djomâda n (avril-mai) il y eut par toute l’Espagne
une pluie d’étoiles filantes et l’on vit de nombreux astres
voler du sud au nord et de l’est à l’ouest.

En 225 (12 nov. 839), c Abd er-Rahmàn entreprit en
personne une campagne contre la Galice, dont il emporta
les places fortes et qu’il parcourut au cours d’une longue
et très pénible campagne W. Comme une nuit il souffrait
d’insomnie et qu’une partie de la nuit était déjà écoulée,
le poète e Abd Allah ben ech-Chamr, qui survint, enten-
dit de lui la description de son insomnie [P. 88] et le
regret qu’il avait gardé de certaines personnes. Le poète
reprit alors ( 3 ):

[Motak’àrib] Je t’ai négligé pour rendre visite à l’ennemi

(1) On a vu plus haut que Makkari et Ibn Khatdoun attribuent le
commandement de cette expédition à ‘Obeyd Allah ben el-Balensi.
Cf. Annales, p. 211.

(2) Cf. Annales, 212 ; Ibn Khaldoun, iv, 129. Ce dernier, et Makkari
après lui, signalent en cette année l’arrivée d’une ambassade de
Constantinople.

(3) Cette poésie est aussi attribuée à Ibn ech-Chamr par Ibn el-
Koùtiyya (f. 26 du ms.), qui dit que le poète y fait parler ‘Abd er-
Rahmàn. Elle est attribuée à celui-ci par Makkari (i, 224) et par Ibn
el-Afcbàr {Hollat, p. 61), qui la ^donnent plus ou moins complète.

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– 140 –

et mener coi.tre lui une armée redoutable ; dans quel désert
ne suis-je pas allé, quels défilés n’ai-je pas successivement
franchis ? Affrontant le vent brûlant du midi, si ardent que
les pierres allaient, semblait-il, se fondre, je me suis fait
une cuirasse de poussière, de sorte que mon beau visage
d’autrefois est transformé par l’épuisement. Je suis bien le
victorieux fils des deux Hichâm, je soulève comme j’arrête
les combats. Par ma main Dieu a relevé et vivifié la vraie
religion, j’ai livré la croix aux flammes, j’ai volé contre le
polythéisme à la tête d’une armée nombreuse dont j’ai sub-
mergé tous lieux, raboteux ou unis.

En 226 (31 octobre 840), ce fut Mot’avrif ben e Abd er-
Rahmân, ayant pour général e Abd el-Wâhid ben Yezîd
Iskenderâni, qui partit avec l’expédition d’été dirigée
contre la Galice W et qui, après avoir pénétré en plein
pays ennemi, en rapporta un riche butin.

En 227 (21 oct. 841), ce fut le çâhib eççawâ’if c Obeyd
Allah ben c Abd Allah qui se mit en campagne. Quand il
fut arrivé entre Narbonne et la Cerdagne< 2) , les ennemis se rassemblant de toutes parts fondirent de nuit sur lui et le. cernèrent; les musulmans combattirent toute la nuit, et quand l’aube parut l’aide divine leur permit de mettre leurs ennemis en déroute. En 228 (10 oct. 842), l’émir c Abd er-Rahmân marcha en personne contre le territoire ennemi, laissant dans le palais son fils El-Mondhir et confiant le commandement ‘ (1) Sur cette campagne et celle de l’année suivante, les renseigne- ments fournis par les sources arabes présentent des divergences; voir Ibn Khaldoun, iv, 129, résumé par Makkari, i, 222 ; Annales, 215 et 218. (2) Ce nom est corrigé, contre les mss, dans Téd. de Leyde de Mak- kari (I, 222, n. d). Ibn el-Athir épelle le mot et confirme ainsi la lecture «Cerdagne » (Annales, 215). Digitized by Googk — 141 – de Paile droite de son armée à son fils Mohammed, celui de l’aile gauche à El-Mot’arril, un autre de ses fils. Il se heurta à une nombreuse armée infidèle avec laquelle il engagea” le combat; l’aide divine lui donna la victoire, les infidèles furent mis en déroute en laissant un grand nombre des leurs sur le terrain, et Dieu combla les musulmans de ses bienfaits [P. 89] en leur permettant de s’emparer de quantité d’enfants de Pampelune, d’ar- mes et de chevaux. Parti de Cordoue le 20 cha’bàn (24 mai 843), le prince y rentra victorieux le 15 chawwâl (17 juillet). En 229 (30 sept. 843), c Abd er-Rahmàn mit le siège devant Tudèle, où se trouvait Moûsa ben Moûsa, et après avoir subjugué le pays il conclut la paix avec ce chef. De là il marcha contre Pampelune, où une bataille importante fut livrée aux infidèles, qui furent anéantis. Moûsa ben Moûsa et ses guerriers, qui combattaient avec eux, eurent le sort qu’ils méritaient (*>.

En la même année (*), Wahb Aliâhben H’azm, gouver-
neur de Lisbonne, fit savoir par lettre qu’il avait sous
les yeux, installés près de la côte, cinquante-quatre
vaisseaux appartenant aux Madjoûs, en outre de cin-
quante-quatre autres bâtiments de moindre importance
(vw>jU barque). c Abd er-Rahmân leur fit alors savoir, à

(1) Moûsa, d’abord gouverneur de Tudèle, s’était ensuite rendu in-
dépendant. Sur ces événements, cf. le récit d’Ibn Khaldoun (iv, 129)
et des Annales, p. 218, et voir Recherches, 3 e éd., i, 213.

(2) Les renseignements que donne notre texte sur l’attaque des
Normands ont été traduits par Dozy (Recherches, n, 278 ; 3* éd., 256).
Cf. également Ibn Khaldoun, iv, 129; Annales, p. 220; L’Afrique
sept, au XII’ s., 51 ; Bekri, 254 ; Bayan, t. i, 338; Kristoffer, La pre-
mière invasion des Normands dans l’Esp. mus. en 8ââ, Lisbonne,
1892.

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– 142 –

lui et aux autres gouverneurs du littoral, de faire bonne
garde.

ARRIVÉE DE8 MADJOUS A 8ÉVILLE EN 230 (18 SEPT. 844).

“Les Madjoûs s’étaient mis en campagne avec environ
quatre-vingts vaisseaux qui couvraient la mer comme
autant d’oiseaux marins et remplissaient les cœurs d’an-
goisse et de souci ; ils débarquèrent à Lisbonne, puis
s’avancèrent vers Cadix et Sidona; ils marchèrent en-
suite sur Séville, devant laquelle ils campèrent et dont ils
commencèrent le siège. Ils l’emportèrent de vive force
et en anéantirent les habitants soit par la mort soit par
la captivité, et pendant sept jours les abreuvèrent de la
coupe qui met fin à tout. A cette nouvelle, l’émir c Abd
er-Rahmân mit à la tête de sa cavalerie c Isa ben Choheyd
le chambellan (hâdjib), à qui se joignirent les musul-
mans de la même manière que l’œil aux sourcils {hâdjib)”.
c Abd Allah ben Koleyb, Ibn Wasîm et d’autres officiers
marchèrent aussi avec ce corps de cavalerie. Ibn Cho-
heyd, s’installant dans Ech-Charaf [l’Aljarafe], écrivit
aux gouverneurs des provinces de faire des levées qui
arrivèrent à Cordoue conduites par le pageNaçr. D’autre
part les Madjoûs, qui recevaient vaisseaux sur vaisseaux,
massacraient les hommes et réduisaient en esclavage
les femmes et les enfants; leurs dévastations durèrent,
d’après la Behdjat en-nefs, treize jours, ou, d’après les
Dorer el-Waltfid, sept jours, ainsi que nous l’avons dit
plus haut. A la suite de plusieurs rencontres qui eurent
lieu entre eux et les musulmans, ils se dirigèrent vers
K’abt’il W, [P. 90] y passèrent trois jours, puis pénétrant

(1) (Japtel, aujourd’hui Isla Menor, Tune des deux îles que forme le
Guadalquivir un peu plus haut que son embouchure. Koura, qui est
ensuite citée, est le Goria del Rio actuel (Dozy, Recherches , u, 257).

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— 143 –

à Koûra, à douze milles de Séville, ils y firent un grand
massacre de musulmans. Ils envahirent ensuite Talyât’aW
à deux milles de Séville, et après y avoir passé une nuit
gagnèrent le lendemain le lieu dit El-Fakkhârtn. Ils
s’avancèrent ensuite avec leurs vaisseaux et engagèrent
avec les musulmans une bataille où ceux-ci furent mis
en déroute et subirent de très grandes pertes. Les en-
vahisseurs s’étant ensuite rembarques gagnèrent Sidona
et de là Cadix. Ceci se passait au moment où ‘Abd er-
Rahmân venait d’envoyer contre eux ses généraux, qui
organisèrent la résistance, employèrent des machines
de guerre et reçurent de Cordoue d’abondants secours.
Les Madjoûs furent battus et perdirent environ cinq
cents hommes; quatre de leurs bâtiments furent pris
avec leur chargement, et Ibn Wasim fit vendre le pro-
duit de la prise et brûler les vaisseaux. Ils subirent en-
core (*) une défaite dans la bourgade de Talyàta le mardi
24 çafar de cette année (10 novembre), laissèrent un
grand nombre des leurs sur le terrain et eurent trente
de leurs vaisseaux brûlés; un grand nombre d’entre eux
furent pendus à Séville et d’autres crucifiés dans le
même lieu sur des troncs de palmier. Les autres se rem-
barquant gagnèrent Niébla, puis ensuite Lisbonne, et
l’on n’entendit plus parler d’eux.
Leur arrivée à Séville eut lieu le mercredi 14 mohar-

(1) Ce nom est porté par au moins quatre localités d’Espagne ; il
s’agit ici de Tablada, près de Séville, au sud du pont sur lequel on
traverse le Guadaira. La grande plaine au sud de Séville porte le
môme nom {Rech., 3 e éd., i, p. 310 ; cet article diffère entièrement de
celui de la 2* éd.>.

(2) D’après Noweyri, la bataille de Talyàta est antérieure de six
jours à celle qui eut lieu dans la province de Sidona (Dozy, Recher-
ches, h, 258).

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– 144-

rem 230 (l ,r oct. 844), et ce ne fut que quarante-deux
jours plus tard qu’ils s’en allèrent : leur chef avait été
tué “et Dieu les avait frappés et anéantis, avait fait dis-
paraître guerriers et approvisionnements, les accablant
ainsi de son châtiment et leur attribuant la juste récom-
pense due à leurs méfaits*. A la suite de la mort du chef
ennemi, du massacre qui fut fait de nombre des siens et
de la victoire que Dieu nous octroya, des lettres furent
envoyées partout pour faire connaître ces faits ; Ternir
c Abd er-Rahmàn informa aussi les Çanhâdja de Tanger
du traitement infligé par Dieu aux Madjoûs et des pertes
sensibles dont les avait flagellés sa vengeance, [p. 91]
en joignant à sa lettre la tête du chef ennemi et celles de
deux cents des plus braves de ses compagnons.

En 231 (7 sept. 845), Mohammed, fils de l’émir c Abd
er-Rahmân, conduisit l’expédition d’été contre la Galice;
il mit le siège devant la ville de Léon et l’attaqua à l’aide
de ses machines de guerre, de sorte que les habitants,
persuadés qu’ils allaient succomber, s’échappèrent de
nuit et se jetèrent dans les montagnes et les fourrés. Le
vainqueur livra aux flammes ce que renfermait la place
et voulut aussi ruiner les murailles, mais il dut y renon-
cer à raison de leur épaisseur, qui était de dix-sept ou
dix-huit coudées. Il sema consciencieusement en pays
chrétien la mort et la réduction en captivité^).

En 232 (28 août 846), il y eut en Espagne une séche-
resse intense; la disette fut si grande que les bestiaux
périrent ; les vignobles furent brûlés et»quantité de sau-
terelles se montrèrent ( 2 >.

(1) Sur cette campagne, cf. Annales, 222; Makkari, i, 223; Ibn
Khaldoun, iv, 129 ; Recherches, 3 e éd., i, J40.

(2) Cette disette est aussi rappelée par les Annales, p. 223,

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– 145 –

En 234 (5 août 848), le prince envoya contre les Mayor-
cains des troupes chargées de les combattre pour les
punir et rabattre leur orgueil, car, sans respect pour les
traités, ils faisaient tort aux vaisseaux musulmans qui
passaient dans leur voisinage. Trois cents bâtiments les
attaquèrent, et Dieu, favorisant largement Jes nôtres,
leur donna la victoire, de sorte qu’Us donquirent la plus
grande partie de ces îles.

En la même année, la mort de Yah’ya ben Yah’ya mit
leskàdis à l’abri de ses traits empoisonnés.

En 235 (26 juil. 849), les habitants de Mayorque et de
Minorque adressèrent à *Abd er-Rahmân une lettre où
ils lui exposaient les souffrances qu’ils devaient aux
musulmans, et à laquelle il répondit dans des termes que
je vais en partie reproduire : a Après les compliments
d’usage ; j’ai reçu la lettre dans laquelle vous m’exposez
ce qui vous concerne, l’incursion des troupes que j’ai
envoyées pour vous combattre, la situation misérable
qui a été faite à vos enfants et à vos biens, les sommes
que vous ^vez dû payer, l’imminence d’une destruction
totale à laquelle vous avez été exposés.vVous me demandez
de prendre votre affaire en mains, d’accepter votre offre
de payer tribut* et de renouveler les traités moyennant
promesse par vous d’obéissance et de fidélité aux musul-
mans, d’abstention de tout acte répréhensible, du verse-
ment exact de ce que vous aurez à payer pour vos
personnes. Nous espérons que le châtiment qui vous a
été infligé vous a corrigés et vous empêchera de recom-
mencer, et en conséquence nous vous accordons le pacte
et la protection permis par Dieu. »

En la même année il y eut en Espagne de grandes
inondations: le Xenil grossit, emporta deux des arches

10

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– 146 –

du pont [P. 92] d’Ecija et détruisit les digues et les
moulins ; le flot emporta seize villages des districts de
Séville situés sur le Guadalquivir. Le Tage grossit éga-
lement et emporta dix-huit villages; il avait ainsi acquis
une largeur de trente milles W.

En 236 (15 juillet 850), un Berbère du nom de Habib ( 2 )
Bernesi se souleva dans la partie montagneuse d’Algé-
ziras, et des vauriens et des hommes de désordre se joi-
gnirent à lui. r Abd er-Rahmàn fît marcher contre lui les
troupes du “djond, qui trouvèrent à leur arrivée que les
Berbères avaient déjà marché contre le rebelle et ses
partisans; le château où il s’était réfugié fut pris, lui-
même en fut chassé, et de ses compagnons un grand
nombre fut tué, le reste se dispersa. H’abib se confondit
avec le bas peuple, et c Abd er-Rahmân envoya aux gou-
verneurs des divers districts Tordre de Je rechercher.

En 237 (5 juil. 851), un instituteur se souleva dans l’Est
de l’Espagne, et se donnant pour prophète, proposa une
nouvelle interprétation du Koran( 3 >. Il recruta de$ adhé-
rents dans la populace, et le nombre de ses partisans
devint considérable. Entre autres pratiques religieuses
figurait la défense qu’il faisait de se couper les cheveux,
les poils ou les ongles; il disait aussi ne vouloir tra-
casser personne (?;. Yah’ya ben Khâlid le fit enlever
et comparaitre devant lui, et la première chose que fît le
prétendu prophète fut de l’inviter à devenir des siens et
à embrasser son parti. Yati’ya consulta les gens de
science, qui lui conseillèrent d’inviter cet homme à se

(1) En outre de ces inondations, il est parlé d’expédilions militaires
en la même année par Ibn el-Athîr {Annales, 224).

(2) Habîba dans les Annales, p. 225.

(3) Il est aussi question de cette révolte dans les Annales, p. 229.

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ffT»*

– 147 –

repentir et, s’il le faisait, de lui pardonner ; sinon, de le
mettre à mort: « Et comment donc, répondit cet homme,
pourrais-je me repentir de ce qui est la vérité même ? »
Yah’ya donna Tordre de le crucifier, et quand le misé-
rable fut sur la croix, il s’adressa aux assistants : « Allez-
vous donc tuer un homme qui dit que son seigneur c’est
Dieu? » Mais il ne fut pas sursis à son supplice, et le
récit de ces faits fut adressé à e Abd er-Rahmân.

En 238, dans la nuit du mercredi au jeudi 3 rebi e n (22
sept. 852), mourut l’émir c Abd er-Rahmân ben el-H’akam,
qui n’avait pas cessé d’acquérir des titres à la renommée,
de faire des actes magnanimes et glorieux ” jusqu’au
jour où la mort le saisit, où il fut précipité par celle qui
nous précipite tous \

TRAITS D’ENSEMBLE DE SA VIE.

A son avènement, l’émir c Abd er-Rahmân fit venir ses
frères, sa famille et ses vizirs et reçut leur serment de
fidélité, de même que celui du peuple. Il prononça en-
suite [P. 93] les dernières prières sur le corps de son
père El-H’akam, puis, après avoir procédé à l’inhuma-
tion, il s’assit par terre, sur le sol nu et sans tapis, la
tête baissée, tandis que son entourage prenait la même
position; prenant ensuite la parole, il s’exprima ainsi:
« Louanges à Dieu qui a fait de la mort une sentence de
son décret, un but de son ordre et dont la volonté régit
toutes choses; il garde pour lui seul la royauté et la
durée et livre à l’avilissement ses périssables créatures :
soit béni son nom, soit exaltée sa gloire, puisse-t-il prier
sur Mohammed son Prophète et son Envoyé et lui don-
ner le salut ! La perte que nous venons de faire en la
personne du feu imâm est un de ces grands coups que

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– 148 –

frappe la fortune adverse et dont nous accable un sort
funeste. Nous comptons qu’il est dans le sein de Dieu, à
qui nous demandons de faire descendre en nous la pa-
tience, de qui nous souhaitons de recevoir pleine récom-
pense et provision. C’est nous qu’il a chargé de veiller à
votre bien, et nous ne sommes pas de ceux qui se déro-
bent à cette charge ; au contraire, vous n’aurez, avec la
permission de Dieu, à trouver de notre part qu’améliora-
tion. » Ensuite il se retira, et tous les assistants reçurent,
chacun selon son rang, des cadeaux en argent et en
vêtements.

Il était poète et littérateur, homme aux desseins élevés,
” entreprit de nombreuses expéditions, remporta en pays
ennemi des victoires restées célèbres; il y menait de
nombreux compagnons, des troupes en grande quantité,
ravageait les demeures des infidèles et n’en laissait pas
subsister de traces, en revenait couvert de gloire après
avoir fait sentir sa main dominatrice; jamais avec lui
les musulmans n’éprouvaient de malheur, ils ne virent
de son temps aucune adversité”. C’est lui qui le premier
adopta les usages traditionnels des khalifes pour ce qui
concerne la pompe, la forme extérieure, l’organisation
du service, l’usage des vêtements les plus somptueux; il
embellit les palais et y amena les eaux; il construisit la
Chaussée, où il dressa des estrades et près de laquelle
il fit passer la conduite d’eau, édifia des mosquées djâmi 1
dans (toute) l’Espagne, fit faire des liserages (pour vête-
ments) et en favorisa la fabrication, établit l’hôtel des mon-
naies à Cordoue, en un mot donna grande tournure à sa
royauté. C’est sous son règne qu’on vit entrer en Espagne
de riches tapis et toute sorte de choses précieuses pro-
venant de Baghdâd et d’ailleurs. Lors du meurtre de

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— 149 —

Mohammed Emin, fils de Hàroûn er-Rechid, et du pillage
auquel ses biens furent livrés, on inlroduisit en Espagne
bien des objets précieux et rares ainsi que des pierreries
qui avaient cette origine; on apporta ainsi le collier dit
« des aiguillons de scorpion » ( c ikd ech-ckebâ), qui avait
appartenu à Zobeyda mère de Dja^aH 1 ).

[P. 941 Entre autres traits mémorables, “on raconte
qu’un jour des sommes d’argent arrivées des provinces
et destinées à être distribuées aux troupes du djond,
furent déposées auprès de lui. Il avait renvoyé ses
pages, et il ne se trouvait plus dans le salon désert qu’un
seul d’entre eux, qui, attaché à son service particulier,
se tenait auprès de lui. L’émir commençant à s’assoupir,
le page jugea l’occasion propice, se saisit d’une des
bourses et la recouvrit des amples plis de sa manche;
mais l’émir le regardait du coin de l’œil, tout en gardant
un silence conscient et bienveillant, de sorte que le
voleur put s’emparer de l’argent dont il faisait dépendre
la satisfaction de ses convoitises. Les autres serviteurs
étant rentrés reçurent du prince Tordre d’enlever ces
bourses, et quand ils en trouvèrent une, de moins, ils
s’accusèrent les uns les autres de cette disparition :
« Taisez-vous, leur dit le prince,, car celui qui Ta prise
ne la rendra pas, et celui qui l’a vu ne le dira pas. »” Ce
trait est regardé comme une preuve de sa générosité et
de sa bonté ( 2 ).

Un jour Taroûb, jeune esclave dont il était éperdû-
ment amoureux, se mit à le fuir et refusa de plus le voir ;
les messages qu’il lui envoya restèrent sans succès, et

(1) Sur le luxe déployé par cette princesse, voir entre autres Prai-
ries d’or de Mas’oudi, vin, 298.

(2) La même anecdote figure dans le Machmua, p. 136.

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— 150 —

elle se tint renfermée dans sa chambre. 11 fit alors élever
contre sa porte une muraille formée de bourses pleines
de pièces d’argent pour tâcher de la satisfaire et défaire
cesser cette brouille. En ouvrant sa porte, elle fit écrou-
ler celte muraille et les bourses tombèrent de toutes
parts.; elle les ramassa et y trouva environ vingt mille
pièces M. Il donna un jour Tordre de lui remettre un
collier d’une valeur de dix mille dinars; et comme l’un
des vizirs présents lui faisait remarquer l’importance de
cette somme, il répondit ” : a Celle qui le portera est bien
plus précieuse encore et a une -autre valeur ; si de ce tas
de cailloux sa physionomie ressort et que son être même
reluise, c’est que Dieu a entre autres objets créé une perle
qui aveugle les yeux et ravit les cœurs. Y a-t-il sur terre
rien qui récrée plus l’œil, qui ait plus d’élégance que
cette topaze, cette glorieuse perle que Dieu a ornée de
l’éclat d’une beauté parfaite, [P. 95] où l’élégance a mis
toute sa distinction » ?” Et comme il demandait à e Abd
Allah ben ech-Chamr, qui était présent, s’il n’avait pas
quelques vers à ce propos, le poète parla ainsi :

[Tawîl] Peut-on comparer de pauvres petites pierres de
rubis ou des paillettes d’or à celle qui a plus d’éclat que le
soleil et la lune, à celle dont la main divine avait, il y a si
longtemps, créé la beauté, antérieurement à toute autre
création ? Quelle œuvre magnifique que celle de Dieu créant
une perle au regard de laquelle toute autre, maritime ou
terrestre, n’est rien !

(1) On retrouve cette anecdote ainsi que la suivante et les vers qui
en font partie, dans le Machmua, p. 136 ; cf. Hollat, p. 62, et Makkari,
i, 224 et 225. Notre auteur ne’ rappelle pas ce que nous savons par
d’autres sources, que cette favorite cupide tenta d’empoisonner son
maître et amant; voir entre autres Dozy, Mus. rf’Esp., h, 96 et 126.

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-151 –

Ces vers plurent à l’émir, qui en témoigna une joie
exubérante et improvisa lui-môme ceux que voici :

[Tawil] Ta poésie, ô Ibn ech-Chamr, efface toute autre,
dépasse l’imagination, l’intelligence et le souvenir. Une fois
perçue par l’oreille, elle porte au cœur un charme ravissant
et plus puissant qu’aucune magie. Le Miséricordieux a-t-il,
dans tout ce qu’il a créé, fait rien de plus réjouissant que
les charmes d’une vierge, sur les joues de laquelle on voit
le jasmin surmonté de la rose ? tel un jardin richement
pourvu de fleurs et disposé en plates-bandes. Que ne puis-je
librement disposer de mon cœur et de mon œil pour en
orner son cou et sa poitrine !

11 fit ensuite donner à Ibn ech-Chamr une bourse
contenant cinq cents dinars, et le poète, la plaçant sous
le bras de son esclave, s’en alla. Ce dernier, quand ils
furent hors de la présence de l’émir, interrogea Ibn ech-
Chamr : « Où sont les jouissances de la vie? — Sous ton
bras », dit le poète <*).

Le poète El-Ghazâl ( 2 ) s’étant présenté chez Fémir, ce-
lui-ci dit:

[Kàmil] El-Ghazâl (ou la gazelle) s’est présenté dans sa
beauté et son élégance.

Le vizir disant au poète de répondre à l’éloge que
l’émir venait de commencer, El-Ghazâl parla ainsi :

(1) Le Machmua donne pour ces derniers mots une autre leçon, et
partant un sens entièrement différent.

(2) Il est question de ce poète, nommé YahVa ben el-ITakam Bekri,
dans Makkari, i, 629, et dans Dhabbi, éd. Codera, n° 1467. 11 fut en-
voyé par le khalife comme ambassadeur tant à Constantinople qu’au-
près du roi des Normands, voir Recherches } 3* éd., u, 267. 11 mourut
en 250, à 94 ans.

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– 152 –

[Kdmil] L’émir vient de dire en plaisantant « El-Ghazâl
s’est présenté dans sa beauté et son élégance. » Où donc est
l’élégance d’un homme plus que septuagénaire ? [P. 96] Son
élégance, c’est celle d’un homme que les ravages du temps
ont broyé dans leur étau, dont ils ont transformé la fraî-
cheur en usure, dont ils ont fait disparaître tout l’éclat du
visage.

Ainsi débute cette pièce, qui compte un grand nombre
de vers.
c Abd er-Rahmàn décrit ainsi le fonctionnaire révoqué :

[Tawll] Cet homme, sitôt révoqué, recouvre la raison dont
il ne iouissait plus au temps de son pouvoir ; on voit sa
figure, si renfrognée quand il avait l’autorité, perdre avec
celle-ci cet aspect repoussant.

Au bas de la requête par laquelle un fonctionnaire
demandait un poste élevé et au-dessus de ses capacités,
il écrivit ces mots : « A celui qui ne sait pas bien ce qu’il
peut demander, mieux vaut opposer un refus (*). » Bien
d’autres traits analogues prouvent son talent.

Khalifat de Mohammed ben ‘Abd er-Rahmân ben el-H’akam

Il portait le prénom d’Aboû c Abd Allah et naquit d’une
femme du nom de Boheyr en dhoû’l-ka c da 207 (mars-
avril 823). Ses vizirs et généraux furent au nombre de
douze ; il eut deux chambellans, Ibn Ghoheyd et Ibn Aboû
c Abda ; ses secrétaires furent au nombre de trois, c Abd
el-Melik ben Omeyya, H’àmid ben Mohammed Zedjâli^

(1) Ce trait est rapporté presque dans les mêmes termes par le
Machmua, 139 ad f., et par V’Ikd, n, 366.

(2) Il est parlé de lui par Ibn el-Koutiyya (f. 35 du ms) et par Mak-
kari, (n, 392 et 393).

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– 153 —

et Moùsa ben Abàn ; ses kâdis furent Ahmed (*) ben Ziyàd,
puis c Amr ben c Abd Allah connu sous le nomdeK’ob c a< 2 )
et ensuite Soleymân ben-Aswad Ghâfik’i’O). Les mots
« c’est en Dieu qu’a confiance Mohammed, c’est à lui
qu’il est attaché » formaient l’inscription de son sceau. Il
avait le teint clair et coloré, était de petite taille, avait
la tête peu développée et une barbe abondante ; il faisait
usage de henné et de keiem. Il eut trente-trois fils et
vingt-une tilles. Il avait trente ans et cinq mois lors de
son intronisation, le jeudi 4 rebi c n 238 (23 sept. 852), et
il mourut le jeudi 28 çafar 273 (4 août 886) à l’âge de
soixante-cinq ans et quatre mois, après un règne de
trente-quatre ans dix mois et vingt jours.

Dans Tannée où il monta sur le trône W, les Tolédans
se soulevèrent et emprisonnèrent leur gouverneur, qu’ils
ne consentirent à rendre à la liberté [P. 97] que quand
leurs propres otages, en résidence à Cordoue, eurent été
relâchés»

En 239 (12 juin 853), El-H’akam, fils de l’émir c Abd
er-Rahmân, commanda l’expédition d’été dirigée contre

(1) Je crois qu’il faut lire Mohammed avec Ibn el-Koùtiyya (f. 30
v du ms) ; on trouve d’autre part un Mohammed ben Ziyàd Lakhmi
qui a exercé les fonctions de kàdi sous ‘Abd er-Rahmân ben H’akam
(Ibn el-Faradhi, n’ 1096 ; Dhabbi, n« 120).

(2) Un article lui a été consacré par Ibn el-Faradhi (n° 936) ; les
circonstances où il fut révoqué sont relatées par Ibn el-Koùtiyya
(f. 30 v. du ms).

(3) Ce personnage était le neveu de Sa’îd ben Soleymân, qui fut le
premier kàdi nommé à Cordoue par l’émir Mohammed ; lui-même
exerça ces fonctions à deux reprises (Ibn el-Kouliyya, f. 31 du ms ;
Ibn el-Faradhi, n» 547).

(4) Notre texte est muet sur les intrigues menées par Taroùb pour
donner le trône à son lils ‘Abd Allah ; il eu est longuement parlé,
notamment par Ibn el-Koùtiyya (f. 32 v” et s. ; voir Dozy, Mus <I’E$p., il, 126 et 151). Digitized by Googk – 154 – Tolède; il alla camper à Calatrava, que ses habitants avaient évacuée par peur des Tolédans, en fit recons- truire les fortifications et y réinstalla les fugitifs. En la même année, Ternir Mohammed envoya contre SindolaM des troupes confiées à K’âsim ben el-‘Abbâs et Temmàrn ben Aboû’l- c At’t’àf, ce dernier commandant de la cavalerie. Ces chefs étaient campés à Andujar, quand ils furent surpris par une embuscade qu’avaient préparée les Tolédans; le combat qui s’engagea fit de nombreuses victimes, mais ces deux chefs furent mis en déroute et leur camp fut pillé. C’est à propos de ce combat, qui eut lieu en chawwâl (mars 854), que Çafwân ben el- c Abbâs, frère de K’âsim, a dit: [Ramai] El-K’âsim un jour a lâché dans le k’aramlt’ (ai- guille aimantée) un pet dont sont morts tous les poissons de l’Océan (2). En moharrem 240 (juin 854), l’émir Mohammed en personne marcha contre Tolède ; ce qu’apprenant, les habitants de cette ville députèrent à Ordono [i], fils d’Al- fonse et’ roi de Galice, pour demander son aide, et ce prince leur envoya son frère Gaton( 3 )à la tête de nom- breuses troupes chrétiennes. Quand l’émir Mohammed, qui était déjà près de Tolède, apprit ce qui se passait, il (1) C’est ainsi que le nom du chef Tolédan est prononcé par Dozy, Mus. d’Esp.y h, 161. (2) Cela revient à notre « faire beaucoup de bruit pour rien ». Voir sur ces vers le Glossaire du Bayân et le dictionnaire Dozy. Il est parlé sommairement des événements de 239 dans les Annales, p. 231 ; lbn Khaldoun, iv, 130, etc. (3) Il était comte de Bierzo, mais aucun document latin ne permet d’affirmer qu’il fût frère d’Ordono I. Digitized by Googk ^- 155 — eut recours à la ruse et arrêta son plan : rangeant son armée en ligne de bataille, il mit des troupes en embus- cade proche du Guadacelete, puis dressant ses machines de guerre il s’avança à la tête d’un faible corps d’armée. A cette vue, les Tolédans informèrent aussitôt le chré- tien ( e ildj) du petit nombre des assaillants, et celui-ci organisa avec empressement la sortie, comptant bien profiter de l’occasion pour remporter la victoire et faire dubutin. Maisquand la mêlée eut commencé, “les troupes placées en embuscade sortirent de droite et de gauche, les cavaliers s’élancèrent sans relâche les uns après les autres, formant des nuées qui couvraient l’ennemi, de sorte que chrétiens et Tolédans mis en déroute furent passés par les armes, ou tranchés par l’épée ou trans- percés par la lance, car Dieu les livra presque tous à la mort et les anéantit. [P. 98] On ramassa sur !e champ de bataille et dans les environs huit mille têtes qu’on amoncela et qui, par leur juxtaposition, formèrent une colline du haut de laquelle les musulmans poussèrent des cris proclamant la grandeur et l’unité divines, louè- rent le Seigneur et lui témoignèrent leur reconnaissance”. L’émir Mohammed expédia la plupart de ces têtes à Cor- doue, sur le littoral et aussi sur le littoral africain. Le nombre total des ennemis disparus à la suite de cette affaire, qui eut lieu en moharrem (juin 854), monta à vingt mille W. En 241 (22 mai 855), l’émir Mohammed installa de sérieuses garnisons, ainsi que de la cavalerie, à Cala- (1) Voir sur cette affaire Annales, p. 232 ; Mue. d’Esp., n, 162 ; ‘Ikrf, n, 367; Ibn Khaldoun, iv, 130. A-* Digitized by Google -r- 156 – trava el à Talavera, et y nomma en qualité de gouver- neur Hârith ben Bezî’d). En la même année il fit renouveler les broderies de la grande mosquée de Cordoue et parfaire les sculptures. Il procéda à des levées de troupes avec lesquelles il pénétra jusqu’au fond du pays d’Alava, et conquit de nombreux châteaux-forts sur les chrétiens. En 242 (10 mai 856), Moûsa ben Moûsa( 2 >, se confor-
mant à Tordre envoyé par Ternir, leva des troupes dans
les provinces frontières, et, s’avançant contre Barcelone,
établit un camp dans cette ville. Au cours de cette cam-
pagne il se rendit maitre, à Textrémité la plus reculée
de la province de Barcelone, du château de TarràtTa 0),
et le quint en provenant fut employé à agrandir les dé-
pendances de la grande mosquée de Saragosse, qui avait
été fondée et dont le mihrâb avait été élevé par H’anech
Çan’âni, l’un des successeurs immédiats (tâbi c ) des Com-
pagnons du Prophète.

En la même année, Mohammed fit bloquer Tolède par
des troupes à la tête desquelles était son fils El-Mondhir,
qui anéantit tous les vivres des environs.

En 243 (30 avril 857), un échec important fut infligé aux
Tolédans. Ils marchaient contre Talavera, et Mas c oûd
ben c Abd Allah el-*arîfM t officier qui commandait en

(1) Ce personnage est bien vraisemblablement le même que le
Hàrith ben Yezîgh des Annales, p. 218.

(2) Ce général était gouverneur de Tudèle (ci-dessus, p. 141; Annales,
218 et 232; cf. Ibn el-Koutiyya, f. 42 du ms.).

(3) Il faut probablement lire Tarràdja, c’est-à-dire Tarrega, sur la
route de Lérida à Barcelone (Annales, 233) ou Tarrasa, au N. de
Barcelone (Doletin de la R. Ac, t. 33, p. 34 et 36).

(4) ‘Arîf, dont le sens n’est pas nettement précisé, désigne un offi-
cier ou fonctionnaire d’un certain grade. Cf. Annales, ib.

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– 157 –

cetle ville, organisa une sortie contre eux après avoir
organisé une embuscade; il en fit un grand massacre et
envoya à Cordoue sept cents têtes provenant des vic-
times.

En 244 (19 avril 858), l’émir en personne marcha contre
les Tolédans “dont le nombre avait diminué et dont
l’ardeur s’était émoussée par suite de leurs échecs répé-
tés et des malheurs qui les avaient frappés”. On ne se
battit que sur le pont, et alors, d’après le plan conçu par
l’émir, les plus habiles architectes et ingénieurs réali-
sèrent une ruse dont les Tolédans ne se doutèrent pas:
pendant que ceux-ci étaient engagés sur le pont, les
soldats de Mohammed ayant battu en retraite, [P. 99]
le pont, qui était miné, s’abîma, entraînant dans le fleuve
les guerriers qu’il portait et qui se noyèrent jusqu’au
dernier. Ce fut là l’une des plus terribles épreuves dont
Dieu les frappa W.

En 245 (8 avril 859), les Tolédans demandèrent l’am-
nistie, qui leur fut accordée par le prince, et qui fut la
première.

En la même année, les Madjoûs( 2 > reparurent avec
soixante deux bâtiments du côté du littoral ouest; mais
ils trouvèrent la mer gardée par des vaisseaux mu-
sulmans qui croisaient du littoral de France. à celui
de Galice. Deux des bateaux ennemis s’étant avancés
n’échappèrent pas à la vigilance des nôtres, qui les

(1) Cf. Mus. d’Esc., h, 169. Les Annales ne parlent pas de ce désastre.

(2) Ce passage concernant les Normands a été traduit par Dozy
(Rech. y n, 291 : 3* éd., 279); ce savant adopte la date de 244. Cf.
Annales, p. 234. Sur l’identification des Madjoûs avec les Roùs ou
Russes, voir Westberg, Beitraege zur Klaerunrj or. Quellen ùher
Osteuropa, p. 232 du Bull, de l’Ac. des Se. de St-Pëtersbourg,
nov. 1899.

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– 158 –

rejoignirent sur la côte de la province de Béja et les
enlevèrent avec leur chargement composé d’or, d’argent,
de captifs et d’approvisionnements. Le reste de la flotte
des Madjoûs, côtoyant le littoral, arriva à l’embouchure
du fleuve qui arrose Séville. L’émir mit en campagne ses
troupes commandées par le chambellan c Isa ben el-
H’asan, et la population le rejoignit de toutes parts. De
l’embouchure du Guadalquivir, la flotte ennemie se porta
vers Algéziras, où elle débarqua, se rendit maîtresse de
cette ville et y incendia la grande mosquée ; de là elle
gagna le littoral septentrional de l’Afrique et s’y livra à
tous les excès; puis elle revint du côté de TEspagne et
se concentra vers le littoral de Todmîr, pour ensuite
arriver jusqu’au fort d’Orihuela. Ces barbares remontè-
rent ensuite en France, où ils hivernèrent W en y enle-
vant des enfants et se livrant au pillage ; ils y conquirent
une ville qu’ils habitèrent et qui porte encore leur nom.
Après quoi ils revinrent vers le littoral de la mer d’Es-
pagne, mais plus de quarante de leurs bâtiments avaient
disparu. La flotte de l’émir Mohammed s’avança contre
eux et en enleva, sur le littoral de Sidona, deux riche-
ment chargés ; le reste des vaisseaux ennemis s’éloigna.
En 246 (28 mars 860), l’émir Mohammed confia à Tun
de ses officiers le commandement d’une expédition diri-
gée contre Pampelune, plus considérable qu’aucune au-
tre antérieure par le nombre de ceux qui y participaient,
par le soin donné aux approvisionnements, par l’aspect
imposant de l’ensemble. Or Garcia [ben Iiiigo] était alors
en querelle avec Ordoiio, [P. lOOj roi de Galice, et

(t) Dans Tile de Camaria, la Camargue actuelle, d’après Prudence
(ap. Dozy, 1. 1.).

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– 159 –

notre général subjugua le territoire de Pampelune, qu’il
traversa dans tous les sens pendant trente-deux jours,
ruinant les habitations, détruisant les arbres, conquérant
les bourgades et les châteaux-forts. Il se rendit entre
autres maître du fort de R’achtiH 1 ); il y lit prisonnier
Fortoûn ben Garcia surnommé El-Ank’ar (le borgne),
qu’il emmena à Cordoue, où ce prince resta environ
vingt ans emprisonné, puis fut renvoyé par l’émir dans
son pays. Fortoûn vécut cent vingt-six ans* 2 ).

En 247 (17 mars 861), dit Er-Râzi, Mohammed ben es-
Selim envahit le territoire ennemi, alors qu ,f Abd Allah
ben Yah’ya était gouverneur de la province frontière^).
Moûsa ben Moûsa ayant écrit une lettre où il dépeignait
ce qu’avaient souffert ce gouverneur et les gens de ce
pays lors de l’invasion de la Galice ainsi que les mal-
heurs qui les avaient frappés, demanda qu’on pénétrât
en territoire ennemi par une autre route, et sa requête
tut exaucée.

En 248 (7 mars 862), Moûsa ben Moûsa partit en cam-
pagne contre Ibn Sâlim, qui était à Guadalaxara; il reçut
une blessure qui l’empêcha de monter dorénavant à che-
val, et des suites de laquelle il mourut la même année W.

En 249 (24 fév. 863), e Abd er-Rahmân, fils de l’émir,
marcha contre les forts du pays d’Alava en compagnie

(1) Peut-être Carcastel, d’après Fernandez Gonzalez. Cf. Annales, 236.

(2) Ce chiffre de 126 se retrouve dans Rodrigue de Tolède ; Ibn el-
Athir dit 96.

(3) C’est contre Barcelone que cette expédition parait avoir été
dirigée (Annales, 240).

(4) Voir Dozy, Recherches, 3′ éd., i, 215. Ibn el-Koutiyya donne au
gouverneur de Guadalaxara le nom de Izràk ben Menti (?).

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– 160 –

du général c Abd el-Melik ben el-‘Abbâs.W; il s’en rendit
maitre, y massacra les hommes et démantela les fortifi-
cations ; il parcourut dans tous les sens les plaines de
cette région, y coupant les arbres et y ravageant les
champs cultivés. Ordoïio, fils (^’Alphonse, envoya son
frère au passage le plus resserré du col pour couper la
route aux musulmans. Mais c Abd el-Melik arriva au col
et combattit victorieusement les ennemis, qu’il mit en
déroute et qui se dispersèrent. Ensuite arriva le reste
des troupes et une cavalerie innombrable surgit de toutes
parts. La résistance des infidèles fut des plus acharnées,
mais ils finirent par être battus et Dieu livra leurs dos à
nos épées, de sorte qu’il en fut fait un grand massacre.
Dix-neuf comtes, qui sont les principaux de leurs offi-
ciers, mordirent la poussière.

En 250 (13 fév. 864), la makçoûra (tribune) de la grande
mosquée de Cordoue fut achevée. L’émir Mohammed fit
faire des constructions considérables dans le grand
palais et les jardins qui y sont joints. Cette année-là
il ne fut pas entrepris de campagne; on se contenta des
résultats de l’année précédente [P. 101] et on laissa
les troupes se reposer.

En 251 (2 fév. 865), on fit encore campagne contre le
pays d’Alava. Voici le récit de la déroute d’El-Markewîz,
que Dieu confonde M ! c Abd er-Rahmân ben Mohammed^

(1) Cette campagne n’est l’objet que d’une brève mention dans les
Annales, p. 241 ; il n’en est parlé, dans le règne de Mohammed, ni
par Makkari ni par Ibn Khaldoun.

(2) 11 semble que cette imprécation soit de trop; à moins que Mar-
kewîz ne désigne à l’origine soit un homme soit une dignité. On
trouve aussi l’orthographe Markexcîn (Dozy, Corr. f 42 ; Annales, 242).

(3) Ce fut El-Mondhir qui, d’après Ibn el-Athîr, Ibn Khaldoun et
Makkari, dirigea cette expédition.

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— 161 —

commença par pousser en avant et s’établit sur le Douro,
où il organisa les troupes qui vinrent de toutes parts l’y
rejoindre ; de Jà il porta son camp au défilé de BerdhichW,
s’empara des quatre forts qui le défendent, fit main-basse
sur tout ce qu’ils renfermaient et les ruina; après quoi,
se transportant de part et d’autre dans toutes les direc-
tions, il ne laissa aucune demeure ou localité debout,
détruisant et brûlant tout. Grâce à ce procédé systéma-
tiquement suivi, il ne resta plus intact un seul des
chàteaux-forts appartenant à Rodrigue, prince des Forts
[d’Alava], à Ordonof?) prince de Toûk’a, à Ghandechelb,
prince de Bordjial 2 ), à Gomez, prince de Mesâneka* 3 ).
c Abd er-Rahmân se dirigea ensuite contre El-Mellâh’aW,
qui était l’un des plus grands districts obéissant à Ro-
drigue ; il en ravagea tous les environs et fit disparaître
jusqu’aux traces du (chef-lieu).

Après avoir accompli ces exploits, il songea à sortir
delà par le défilé d’El-Markewiz. Il s’en était détourné
[pour camper], quand Rodrigue, s’avançant à la tête de
ses troupes et des levées auxquelles il avait procédé,
installa son camp près du fossé avoisinant El-Markewîz,
fossé dont, depuis plusieurs années, il s’était occupé de
rendre les abords des plus difficiles à l’aide de travaux

(1) Une localité de ce nom figure parmi les dépendances de Car-
mona, d’après le Merâcid (i, 142 ; iv, 299); mais Edrisi ne la men-
tionne pas. Il ne peut d’ailleurs être ici question de cet endroit.

(2) Je n’ai pas retrouvé ce nom ailleurs : Fern. Gonzalez prétend
que c’est Burgos, mais le nom de cette ville s’écrit ^j£*y> • Je -crois
qu’il s’agit de Borja d’Aragon.

(3) Peut-être San Cosme de Mayanca, en Galice (F. Gonzalez) ; cf,
ci-dessous, p. 319 du texte arabe.

(4) Je n’ai pas retrouvé ailleurs ce nom, qui est employé deux fois
par Edrisi, mais à propos d’autres régions.

11

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– 162 –

exécutés par corvées: séparé de la montagne et muni
d’un talus élevé, il était infranchissable. e Abd er-Rahraân
ben Mohammed installa son camp sur l’Ebre, et le général
e Abd el-Melik rangea les troupes en ordre de bataille,
tandis que les chrétiens prenaient également leurs dis-
positions, et installaient des troupes en embuscade sur
les deux flancs du défilé. Les musulmans attaquèrent les
chrétiens de front, et une mêlée acharnée commença;
mais les nôtres se battirent de telle sorte que leurs en-
nemis, découvrant le fossé, se retirèrent sur une colline
voisine. Alors c Abd er-Rahmân fit installer sa tente et
donna aux soldats Tordre d’en faire autant et de dresser
le camp. Après quoi les nôtres réattaquèrent vigoureuse-
ment les chrétiens, dont Dieu frappa la face [P. 102] et
dont il nous livra les épaules, de sorte qu’il en fut fait un
horrible massacre et que quantité de prisonniers restè-
rent entre nos mains. Le reste s’enfuit sans s’arrêter vers
la région d’El-AhzoûnW et dut se jeter dans l’Ebre sans
pouvoir chercher un passage guéable, si bien qu’il s’en
noya une quantité. Le carnage dura depuis l’aurore du
jeudi 12 redjeb (9 août 865) jusqu’à midi, et nos troupes,
grâce à l’aide divine, sortirent saines et sauves de cette
affaire. Quand le massacre avait commencé, quelques
bandes avaient pu se réfugier dans des lieux abrupts
et dans des fourrés ; mais elles n’échappèrent pas aux
poursuites et à la mort. Le fossé fut détruit et comblé,
de sorte que les musulmans purent le franchir commo-
dément et sans danger. Dieu accorda aux musulmans
une insigne faveur en leur permettant de remporter
cette brillante et importante victoire ; louange soit au

(1) Seul passage, à ma connaissance, où ce nom ligure.

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— 163 —

Maître des mondes ! Le nombre des têtes qui furent réu-
nies à la suite de cette affaire fut de vingt mille quatre
cent soixante-douze.

En 252 (22 janv. 866), e Abd er-Rahmân, fils de l’émir
Mohammed, dirigea une campagne contre le pays d’Alava ;
il en combattit les habitants et ruina leurs champs, qu’il
laissa dans le plus pitoyable état. Ces gens étaient d’ail-
leurs réduits à-la plus extrême faiblesse, et ils ne purent
tenter aucune résistance d’ensemble à raison des gran-
des pertes en hommes et en biens qu’ils avaient faites
Tannée précédente.

En 253 (11 janv. 867), El-H’akam, fils de l’émir Moham-
med, dirigea une expédition contre Djernîk’ (Guernica);
après avoir ravagé le territoire’ ennemi, il mit le siège
(levant le fort de ce nom et finit par l’emporter de vive
force.

En cette année l’Espagne eut beaucoup à souffrir d’une
disette qui se prolongeât*).

En 254 (1 er janv. 868) l’émir Mohammed, feignant d’or-
ganiser des préparatifs contre Tolède, marcha dans la
réalité contre Mérida, où se trouvait un groupe de révol-
tés^). Sortant de Cordoue et faisant quelques étapes
dans la direction de Tolède, il se détourna ensuite du
côté de Mérida, sous les murs de laquelle il dressa son
camp. Les habitants, qui se croyaient en sûreté et
n’avaient pas pris de précautions, se défendirent pendant
quelques jours sans sortir de la ville ; puis le prince

(1) Sur la prise de Guernica et sur la disette qui sévit quatre ans,
cf. Annales, p. 243.

(2) Ils avaient pour chef ‘Abd er-Rahmàn ben Merwàn Djâliki ; voir
Annales, p. 243 ; Ibn el-Koûtiyya, f. 37 et s. du ms ; Dozy, Mus.
d’Esp., u, 183 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 131 ; Dhabbi, n° 1045, etc.

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— 464 —

assaillit le pont, qui fut énergiquement défendu, mais
dont il se rendit maître et dont il fit détruire une pile,
ce qui amena la soumission des assiégés, [P. 103]
sous condition du départ de leurs cavaliers, qui étaient
alors c Abd er-Rahmân ben Merwân, Ibn Chàkir, Mek-
h’oûl et autres guerriers d’une bravoure et d’un héroïsme
reconnus. Ces chefs et autres de leur rang allèrent vivre
à Cordoue avec leurs femmes et leurs enfants. .L’émir
donna à Sa e id ben c Abbâs Korachi le gouvernement de
Mérida, qu’il fit démanteler et dont il ne laissa subsister
que la Kaçba pour servir de logement aux gouverneurs.

En 255 (20 déc. 868), El-H’akam, fils de l’émir Moham-
med, entreprit une expédition contre la ville de Soria.
Soleymân ben c Abdoûs s’y était proclamé indépendant,
mais il fut aussitôt attaqué, et les troupes de Ternir,
entourant la ville, dressèrent leurs machines de guerre
et ouvrirent une brèche dans les murailles. Soleymân,
contre qui les habitants se soulevèrent, dut se soumettre;
il fut emmené et installé à Cordoue par son vainqueur.

En 256 (9 déc. 869), ‘AmroûsW, gouverneur de Huesca,
trahissant ses serments, s’empara pour son compte de
cette ville et se livra aux hostilités dans la province
frontière. L’émir envoya contre lui un corps de troupes
recruté dans son entourage et suffisamment approvi-
sionné. Ibn Modjâhid, connu sous le nom d’Et-Todmîri,
se rendit avec ces soldats à Lérida et y resta. c Abd el-
Wahhàb benMoghith procéda à des levées dont il donna
le commandement à V c arîf c Abd el-A c la pour marcher

(1) Ce personnage paraît être celui dont Ibn el-Athîr dit qu’il se
soumit en % 259, après être resté plusieurs années en état de rébellion ;
mais il rappelle *Amr ben ‘Amroûs {Annales, 245).

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– 165 –

contre Huesca. A cette nouvelle, e Amroûs quitta cette
ville où était emprisonné Lope ben Zakariyyâ ben e Am-
roûs, l’un des meurtriers du gouverneur nommé par le
sultan en cette ville, Moûsa ben Galindo; Lope fut mis
à mort et (sa tête) exposée sur les remparts.

En 257 (29 nov. 870), e Abd el-Ghâfir ben qui était à Tudèle, s’avança vers la frontière et s’empara
de Zakariyyâ ben c Amroûs, de ses enfants et de plusieurs
de ses parents; il les ramena jusqu’à la porte de la ville
de Saragosse, où il les fit mettre à mort, et emporta
leurs têtes à Cordoue.

En 258 (18 nov. 871), il y eut dans la province frontière
divers mouvements et soulèvements; entre autres Mo-
t’arrif et Ismâ c il, l’un et l’autre fils de Lope, et Yoûnos
ben Zenbàt’ se saisirent par trahison d’ c Abd el-Wahhâb
ben Moghith, gouverneur de Tudèle, et de son fils
Moh’ammed, gouverneur de Saragosse, et devinrent
ainsi les chefs de la province frontière. Le soulèvement
de Mot’arrif eut lieu en çafar (18 déc. 871), et Ismâ c il
entra à Saragosse en rebî I (16 janv. 872).

En 259 (7 nov. 872), Ternir Mohammed en personne se
rendit à la frontière M; en route il s’arrêta [P. 104] à
Tolède, où il se fit livrer des otages et accorda aux habi-
tants l’amnistie pour la deuxième fois en leur imposant
le versement annuel entre ses mains d’une partie des
dimes. Ces gens n’étaient pas unanimes dans leurs préfé-
rences en faveur d’un gouverneur, les uns demandant la
nomination de Mot’arrif ben c Abd er-Rahmân, les autres
celle dé T’oreycha. L’un et l’autre furent nommés, et ils
se partagèrent dans des limites bien convenues et déter-

(1) Cf. Annales, p. 244.

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– 166 –

minées la ville et les cantons qui en dépendent; mais
ensuite la discorde s’éleva entre eux, car chacun pré-
tendait avoir Tolède pour soi tout seul, et ce furent ceux
qui réclamaient l’attribution du pouvoir à T’oreycha ben
Màsaweyh et la déposition de Mot’arrif qui remportè-
rent. L’émir Mohammed eut des occasions de rencon-
trer, aussi bien au cours du voyage proprement dit que
pendant les arrêts qu’il fit, les signes avant-coureurs de la
victoire, les prodromes du succès et du secours divin. Il
parcourut alors la province frontière les armes à la main
à l’effet de serrer et de réduire les Benoû Moûsa. Puis il
marcha sur Pampelune, dont il parcourut et ravagea le
territoire, dont il abattit l’orgueil des habitants. Il re-
tourna alors s’installer à Cordoue, emmenant avec lui
quantité de rebelles qui avaient trahi leurs serments et
occasionné des troubles. Quand il se trouva tranquille,
il donna l’ordre d’exécuter Mot’arrif ben Moûsa et ses
fils, mais de rendre à la liberté leur secrétaire, à qui il
n’avait rien à reprocher; mais quand ce dernier, nommé
Açbah’i, fut tiré de prison avec ses maîtres, lui pour être
remis en liberté et eux pour être envoyés au supplice, il
s’écria : « Eux morts, la vie n’a plus d’attraits pour moi ! »
et il s’offrit le premier à la main du bourreau. Il fut pro-
cédé à l’exposition des têtes de ces victimes.

En 260 (27 octobre 873), El-Mondhir, fils de l’émir
Mohammed, partit en expédition, avec Hâchim ben c Abd
el-^AzîzW comme général, contre Saragosse et Pampe-
lune. Il s’arrêta à Saragosse, y pilla les moissons, en
anéantit les arbres et les productions et en transporta

(1) Des articles lui sont consacrés par la Hollat (p. 73) et par
Dhabbi (n° 1423).

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– 167 -■

les vivres à Huesca; de là il se dirigea contre Pampe-
lune, dont il parcourut le territoire les armes à la main
et où il livra tous les vivres à la destruction.

En la même année sévit dans toute l’Espagne une
disette qui emporta la plus grande partie de la popula-
tion m.

En 261 (16 oct. 874), Ibn Merwân le Galicien m s’en-
fuit de Cordoue avec les guerriers de Mérida internés
avec lui dans la capitale, et ils allèrent occuper le fort
d’AlanjeW, devant lequel l’émir Mohammed mit le siège
pendant trois mois et où il les serra de si près qu’ils
durent manger leurs montures; il intercepta leur appro-
visionnement en eau et se servit des machines de guerre,
[P. 105] si bien qu’Ibn Merwân dut se soumettre et
solliciter l’amnistie. Comme il se plaignait de ses charges
de famille et de la vie difficile qui lui était faite, il obtint
de l’émir l’autorisation de fixer son séjour à Badajoz, qui
était alors une bourgade (*); mais ensuite il en sortit et
abandonna le [parti du prince] < 5) .

En 262 (6 oct. 875), El-Mondhir ben Mohammed partit
en expédition contre Ibn Merwân, ayant Hàchim ben
f Abd el- c Aziz comme général. Ce dernier avait causé la
fuite d’Ibn Merwân, à qui un jour, se trouvant avec les

(1) Cette famine est aussi rappelée dans le T. 1, p. 150, dans les
Annales, p. 246, et dans Ibn el-Koùtiyya, f. 37 du ms.

(2) 11 s’appelait ‘Abd er-Rahmàn ben Merwân ; cf. Annales, p. 252,
et ci -dessus, p. 163.

(3) Ou Kal’at el-Hanech, au S. de Mérida (Annales, 252).

(4) 11 semble que le texte doive être corrigé d’après Ibn Khaldoun
(iv, 131, 1. 12) et qu’il signifie « qui était alors en ruines ».

(5) En 261 il y eut aussi à Tacorona une révolte organisée par Asad
ben el-Hàrith ben Raf (ou ben Bedi’ ?) ; voir Annales, 252 ; Ibn Khal-
doun, iv, 131.

L.

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– 168 —

vizirs, il avait dit : « Un chien vaut mieux que toi ! » puis
il l’avait fait frapper à la tête et traiter de la manière la
plus méprisante^). C’est à la suite de ces faits que ce
chef prit la fuite, de compagnie avec ses partisans,
ce dont le récit serait long. Or Ibn Merwân avait trans-
formé en ui) chàteau-fort la ville de Badajoz où il habi-
tait, et y avait attiré les gens de Mérida et autres indi-
vidus qui devaient lui servir dans ses méchants pro-
jets. A la nouvelle qu’une armée marchait contre lui, il
quitta Badajoz pour se jeter dans le fort de Caracuel, où
les gens de Mérida se serrèrent autour de lui. De leur
côté les troupes khalifales installèrent leur camp à proxi-
mité. Or Hâchim avait envoyé à Monte Salud un corps
de cavalerie et d’infanterie pour s’emparer de ce poste,
tandis que Sa c doûn el-Remâri( 2 ) était entré… [lacune]
avec des secours fournis par les chrétiens, mais en fai-
sant courir le bruit qu’il n’avait que peu d’hommes avec
lui. Le gouverneur du fort de Monte Salud ayant prévenu
Hàchim, celui-ci crut trouver une occasion favorable
contre Sa e doûn, et quitta aussitôt le camp avec quelques
cavaliers sans prendre ni dispositions de combat ni
provisions. Tantôt marchant en plaine, tantôt s’enfon-
çant dans les montagnes, il se trouva bientôt assez éloi-
gné du camp et aux prises avec les difficultés. Il fut alors
attaqué, nombre de ses compagnons furent frappés à
mort, et lui-même, atteint de plusieurs blessures, fut fait

(1) Voir le récît de Mas. d’Esp, n, 183 ; cf. Annales, 252.

(2) Le nom de ce renégat est orthographié Sa’doùn es-Soronbàki
dans Ibn el-Koùtiyya, f. 37 v°. On retrouve le nom d’homme Soron-
bâk dans Dhabbi, n* 86. Ibn Khaldoun parle de Sa’doûn es-Sersâk’i
comme ayant pendant quelque temps fait cauee commune avec Ibn
Merwàn el-Djàliki (iv, 133, 1. 13 et s., et 1. d.).

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J*ï

– 169 –

prisonnier. La nouvelle de sa captivité fut cause que
l’émir Mohammed prononça contre lui des paroles de
blâme, disant qu’il ne devait ce malheur qu’à sa propre
faute, à son étourderie et à sa précipitation U). Il en-
voya alors §on fils pour le remplacer. Hâchim tomba
ainsi entre les mains d’Ibn Merwân, de celui-là même
qui, captif à Cordoue,. avait été l’objet de ses violences,
mais qui maintenant le traita généreusement et dont la
magnanimité se traduisit, non par des représailles, mais
par des bienfaits.

En 263 (24 sept. 876), El-Mondhir ben Mohammed se
mit en campagne et prit la direction de Mérida. A cette
nouvelle Ibn Merwàn [P. 106] abandonna Badajoz, qui
fut occupée par El-Welid ben Ghànim, général d’El-
Mondhir, et dont les demeures furent livrées à la des-
truction. Le fugitif passa en pays ennemi < 2 ).

En 264 (13 sept. 877), El-Mondhir attaqua Saragosse,
dont il ravagea les cultures autant qu’il put; puis il
marcha contre Tudèle et les régions occupées par les
Benoû Moûsa ; il les ruina entièrement, et les troupes
firent des incursions dans tous les environs (3 h

En la même année, El-Barrà’ ben Mâlik pénétra en
Galice par la Porte de Coïmbre à la tête de recrues
levées dans l’Ouest de la Péninsule, et ne cessa de la
parcourir qu’après y avoir détruit tout ce qui y avait de
la valeur.

En la même année, Hàchim fut rendu à la liberté.

En 265 (3 sept. 878), la guerre civile et les troubles

(1) Voir à ce propos une anecdote rapportée par Makkari, n, 253.

(2) Cf. Annalesy 252; Ibn Khaldoun, iv, 131.

(3) Cf. Annales, 254 ; Ibn Khaldoun, l. I.

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– 470 –

éclatèrent dans le district de Malaga, à Algéziras et à
Tacorona. Hàchim entreprit une expédition contre Yah ya
surnommé El-Djeziri, (qui dirigeait le mouvement) et
qui, s’étant soumis, fut emmené par son vainqueur à
Cordoue.

En 266 (23 août 879), .

En 271 (29 juin 884J, ‘Omar ben H’afçoûn s’enfuit de
Cordoue et se réfugia dans la montagne de Bobastro,
L’émir Mohammed s’occupa avec ardeur de le com-
battre, et ce chef fut, l ? année suivante, serré de près.

En 272 (18 juin 885)* c Abd Allah, fils de l’émir Moham-
med, marcha avec Hàchim le général dans la direction
de l’Ouest où il alla combattre Ibn Merwân, qui était
dans la montagne d’AcherghiraM.

H’ayyân ben KhalafW s’exprime ainsi au sujet d’ e Omar
ben H’afçoûn : Ce rebelle, le plus important d’Espagne,
s’appelle c Omar ben H’afç, et H’afç, connu sous le nom
de H’afçoûn, était fils d v Omar ben Dja’far ben Chelim
ben Dhobyân( 5 ) ben Ferghaloûch ben Adfounch, et des-
cendait de chrétiens convertis du district de Tacorona
dans la province de Ronda. Le premier converti de cette
famille fut Dja’far ben Chetim, dont les enfants prati-

(1) Sur l’emplacement exact de Bobastro, que Simonet retrouve
dans les ruines de Las Mesas de Villaverde, voir Dozy, Recherches,
3- éd., i, 32J.

(2) Sur d’autres faits des années 270 et 271, voir Annales, 260 ; Ibn
Khaldoùn, iv, 132.

(3) Comparez Annales, p. 260, sous Tannée 271, et. p. 262 ; Ibn
Khaldoùn, iv, 132.

(4) Il s’agit du célèbre chroniqueur plus souvent cité sous le nom
d’Ibn Hayyàn, qui mourut en 469 ; voir sur lui notamment Pons,
Knsayo, n* 114.^

15) Damyàn dans Ibn Khaldoùn, iv, 134 ; sur cette généalogie, cf.
Mus. d’Esp., ii, 190 ; texte du Bayân, t. n, p. 48 des notes.

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– 174 —

quèrent aussi l’islamisme ; il eut entre autres fils ‘Omar
et e Abd er-Rahmân, et c Omar ben Dja’far devint père de
H’afçoûn, lequel eut pour fils ce maudit rebelle d’ c Omar,
qui se révolta d’abord contre Ternir Mohammed et qui
ensuite lut l’instigateur de guerres et de désordres qui
dépassent tout ce qu’ont jamais lait des révoltés en
Espagne. Il fit dès l’abord de la place forte de Bobastro,
l’une des plus inexpugnables de l’Espagne, le siège et la
capitale de son insurrection. Cela eut lieu en l’année
dont nous parlons, où, pour la dernière fois, il y remonta
et, y installant son autorité, il sut se soustraire au pou-
voir du sultan, si bien que celui-ci dut accepler la situa-
tion et le laisser tranquille. L’autorité de l’insurgé fleurit
librement pendant trois règnes successifs des princes
descendant de Merwân et imâms de la Communauté
espagnole, dont Mohammed est le premier en date;
[P. 109] la mort ne l’atteignit que par la main du qua-
trième, f Abd er-Rahmân en-Nàçir, ainsi qu’il sera raconté
en détail plus loin.

En 273 (8 juin 886), El-Mondhir ben- Mohammed ayant
pour général Mohammed ben Djahwar entreprit une
expédition contre le canton de Malaga et marcha sur la
ville d’el-Hàmma (Alhama), occupée par H’ârith ben
H’amdoûn des Benou Refâ e a, qui prêtait aide à c Omar
ben H’afçoûn ; les deux alliés se trouvaient alors réunis
dans cette ville. El-Mondhir établit son camp sous les
murs d’Alhama, investit complètement la ville et en
poursuivit l’attaque pendant deux mois. Quand les assié-
gés furent à bout, ils firent une sortie par la porte de la
ville pour tenter la fortune, des armes, tandis que leur
chef se tenait à l’intérieur; mais il reçut plusieurs bles-
sures et perdit l’usage de sa main, ses compagnons mis

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– 175 –

en déroute furent tués ou mis hors de combat, et le reste
dut rentrer à Alhama. El-Mondhir était tout à la joie de
son succès quand il apprit que son père l’émir Moham-
med venait de mourir dans la nuit du mercredi au jeudi
28 çafar (4 août 886). Ce prince fut inhumé dans le palais,
mais El-Mondhir put arriver avant ce moment et pro-
noncer sur lui les dernières prières.

QUELQUES TRAITS
ET ANECDOTES CONCERNANT l/ÉMIR MOHAMMED (*).

Il avait la parole facile et élégante, beaucoup de rete-
nue, de l’éloignement pour toutes les choses blâmables,
de l’amour pour la vérité et les gens de bien; il refu-
sait d’écouter les violents et se détournait des injustes;
homme intelligent, d un bon naturel et d’une magnani-
mité louable, il avait l’esprit prompt et clair, et tous ceux
qui le fréquentaient ou conversaient avec lui reconnais-
saient son incontestable talent de compréhension et
d’intelligence des choses, sa subtilité et sa finesse d’es-
prit, son haut jugement. Il était le plus entendu du
monde dans le calcul et dans les détails du service, et
quand il se présentait quelque difficulté de ce côté c’était
à lui qu’on recourait; si quelque omission était commise
par les trésoriers ou par ceux qui avaient à établir les
comptes, elle n’échappait pas à son regard ni à son exa-
men. Il releva une erreur d’un cinquième de dirhem sur
un compte présenté par un trésorier et s’élevant à cent
mille dinars. Il en ordonna la rectification, mais les em-

(1) Le Machmua et Ibn el-Koùtiyya parlent assez longuement du
caractère de ce prince ; cf. Annales, 262; Dhabbi, p.. 16 ; Mus. d’Esp.,
il, 158.

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-176 –

ployés du service visé eurent beau réunir leurs efforts,
ils ne purent retrouver cette erreur tant elle était bien
cachée et d’importance minime, et, avouant leur impuis-
sance, ils remirent le compte à l’envoyé du prince en
avouant qu’ils ne pouvaient découvrir Terreur. Mais
l’émir retrouva l’endroit où elle avait été commise,
[P. 110] et elle portait bien sur un cinquième de
dirhem.

Hâchim ben e Abd el- c Aziz a dit ceci : « L’émir Moham
med était plus que qui que ce soit intelligent, rempli de
discernement et ayant le jugement le plus net. Quand il
nous consultait, chacun faisait de son mieux pour parler
et donner une solution : si nous voyions juste il approu-
vait, mais si quelque chose laissait à désirer, il argumen-
tait contre le point faible et l’exposait avec une netteté
telle que nulle intelligence ne trouvait rien à y corriger
.ou critiquer. »

On rapporte encore qu’il dit un jour à Hâchim en refu-
sant d’approuver comme insuffisamment étudiée une
affaire que ce chef lui proposait: « Sache, Hâchim, qu’en
agissant précipitamment on s’expose aux chutes, et que
si nous suivions tes fausses démarches, si nous prê-
tions l’oreille à tes avis erronés, nous serions tes asso-
ciés dans la chute et les complices de ta précipitation;
doucement donc, va lentement, car si tu vas trop vite on
te rendra la pareille! » D’esprit réfléchi et grave comme
il était, il remplissait son devoir à l’égard de ses clients
et de leurs enfants, et nul ne trouvait à reprendre dans
leurs actes sans qu’il écoutât ou fît écouter la plainte.

Comme il avait donné le poste de secrétaire (kâtib) à
;
Sidona, 6790; Malaga, 2600; Fah’ç el-BalIôût’, 400; Mo*
ron, 1400; Todmîr, 156; Rovina, 106; Calatrava et Ourît
, que celui-ci déclarait n’avoir
conversé, avec aucun autre prince d’intelligence plus
parfaite ou de mérite plus grand que l’émir Mohammed,
« J’arrivai un jour, dit-il, à l’audience royale: le prince
commença par les louanges de Dieu et l’éloge du Pro-
phète ; après quoi il énuméra les khalifes les uns après
les autres, donnant à chacun l’éloge qui lui convenait,

(1) €e juriste célèbre, + 276 H., est l’objet d’une longue notice cPIbn
el-Faradhi (éd. Codera, n’ 281); voir aussi Makkari, notamment i, 812 ;
U, 1 15 et 120; Goldziher, Die Zahiriten, p. 115. — L’anecdote qui
suit se retrouve dans V’Ikd, il, 366.

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zedby GOQgle

– ISO —

le qualifiant comme il le méritait, rappelant ses actes
mémorables et ses mérites dans le style le plus clair et
les paroles les plus éloquentes ; il continua ainsi jusqu’à
ce que, arrivé à son propre nom, il se tut. »

Au commencement du règne de Mohammed d^s dénon-
ciations lui furent adressées contre ce savant, qui, à la
suite de son long voyage, revenait d’Orient en en rap-
portant de vastes connaissances, des traditions d’une
authenticité incontestable, la science des points de droit
et de religion controversés. Cela souleva la colère des
juristes de Gordoue partisans du ra’y et des opinions
toutes faites W, attachés à la tradition, dépourvus des
sciences critiques et manquant de connaissances éten-
dues ; poussés par l’envie, ils parlèrent de lui en termes
injurieux, l’accusèrent formellement d’hérésie, le rendi-
rent odieux au peuple, et beaucoup d’entre eux, allant
même jusqu’à l’accuser d’hétérodoxie et d’athéisme, dé-
posèrent solennellement en justice pour demander sa
mort. Ils s’entretinrent à ce sujet avec l’émir Moham^
med, le mirent au courant de ce qui le concernait, char-
gèrent leur ennemi de tout ce qui pouvait pousser le
prince à ordonner sa mort et réclamèrent de lui une
prompte décision. Baki, excessivement effrayé, se cacha
par crainte d’une exécution capitale, et fit des prépara-
tifs pour fuir d’Espagne si possible. Sa bonne étoile le
poussa à rechercher la protection de Hàchim ben c Abd

(1) Le mot ra’y qui, à cette époque, désigne plutôt la « spécula- .
tion », paraît ici devoir s’entendre de l’application pratique. On le
voit, comme dans notre texte, employé en opposition au khilâf et à
Yikhtilâf dans Makkari, i, 812, 1. 20, et dans Ibn Faradhi, p. 82, 1. 19.
— Le mot taklîcl n’est rendu qu’approxvmativement par « opinions
toutes faites ».

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— 181 –

el- e Aziz [P. 113] et à solliciter son appui; de plus, il
s’adressa par lettre à l’émir, le conjurant au nom de
Dieu d’épargner sa vie, de mûrement peser son cas, et
de provoquer une réunion contradictoire entre lui, ac-
cusé, et ses adversaires, de manière à entendre ses
arguments, après quoi l’émir prendrait la décision que
Dieu lui suggérerait. Ce fut grâce à l’inspiration divine
que Hâchim, ouvrant l’oreille aux réclamations du savant
et s’occupant de son affaire, lui prêta le secours de son
influence et remit cette lettre au prince en lui exposant
le véritable état des choses. Mohammed, ramené à l’in-
dulgence pour Bak’i et se méfiant de ses dénonciateurs,
accorda un sauf-conduit au savant et organisa une réu-
nion contradictoire entre lui et ses accusateurs. Lui-
même y assista et entendit Bak’i réduire par ses argu-
ments ses adversaires à l’impuissance ; il se rendit clai-
rement compte que l’envie dont le savant était l’objet
avait pour cause l’infériorité de leurs connaissances, et
il fit cesser leurs attaques. Reconnaissant qu’il l’empor-
tait par sa science solide et étendue, il le fit entrer dans
le corps des juristes et passer à un rang supérieur. Bak’i
arriva au degré le plus élevé de science et ne cessa plus
de jouir, jusqu’au jour où il mourut, d’une haute consi-
dération auprès du peuple aussi bien que du prince. *

Au commencement de son règne, en ramadan 239
(fév. 854), mourut l’homme le plus savant de toute l’Es-
pagne, e Abd el-Melik ben H’abîb, dont le nom complet
était Aboû Hàroûn c Abd el-Melik ben Soleymàn ben
Merwân ben Djahla ben c Abbâs ben Mirdàs SolamiW. Il
se trouvait d’abord dans le canton d’Elvira, et il fut

(1) Sur ce savant, -f- 238 ou 239, voir ci-dessus, p. 20.

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— 182 –

transféré de là à Cordoue par Ternir Mohammed, mi*
plutôt par son père c Abd ér-Rahmân ben el-H’akam.,
Mohammed ben f Omar ben LobâbaW disait : a Chez les
Espagnols, le savant est e Abd el-Melik ben H’abîb ; l’in-
telligent, Yah’ya ben Yah’ya ; le juriste, c Isa ben Dinar W » .
Ibn Wad’d’âh’ et d’autres ont dit : « Il n’est venu en Es-
pagne aucun juriste meilleur que Soh’noûn, mais il en
est venu un plus bavard (?) », faisant ainsi allusion à Ibn
H’abîb. Celui-ci était lettré, grammairien, poète, savait
le Koran par cœur, était versé dans les diverses bran-
ches des réjcits, des généalogies et de la poésie ; il com-
posa de nombreux et bons ouvrages de droit, de belles-
lettres et de chroniques, et mourut de la pierre à l’âge
de soixantenquatre ans. [P. 114] II adressa à l’émir
e Àbd er-Rahmân ben él-H’akam ces vers sur la nuit
d’Achoûra (10 moharrem) :

[Basît] Lors d’Achoûra, n’oublie pas le Miséricordieux, il
rie t’oubliera pas non plus ; mentionne son nom, le tien sera
mentionné parmi ceux des gens de bien. Celui qui peut
veiller la nuit d’Achoûra vivra heureux tout le long de l’an-
née. Forme doijc un souhait, et puissé-je te servir de rançon
pour le vœu que nous inspire celui qui, vivant ou mort, est
le meilleur des hommes ! ( 3 )

(1) Makkari cite à plusieurs reprises le nom de ce savant, -f 314,
(font la biographie figure dans Dhabbi (n° 222), de même que dans IJm
el-Faradhi (n- 1187); mss d’Alger, n* 851, f. 12 V, et 884, f. 32 v° ; Ibn
Fàrhoùn, ms 5032 de Paris, f. 107 V ; cf. Pons, Ensayo, p. 51. Ou
retrouve la citation qui suit dans Makkari (i, 464 et 466) et dans Ibn.
Khallikan (iv, 31).

(2) Juriste malékite, -f 212 ; voir Ibn el-Faradhi, n’ 973 ; Dhabbi,
n* 1144; mss d’Alger, n° 851, f. 2 v, et 884, i. 24; ms 5032 de Paris,
f. 87 V; Kitab el-Oyoun, éd. de Goeje, p. 371, etc. Cf. Ibn Khallikan,
iv, 31.

(3) Deux autres vers de cette pièce ont aussi été rapportés par
Makkari, i, 463.

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– 183 –

L’émir Mohammed ben c Abd er-Rahmân alla à Roçàfa
en partie de plaisir avec Hâchim ben e Abd el- c Aziz(*); il
y passa la journée à s’amuser et, quand la nuit s’appro-
cha, il retourna au palais., mais il était quelque peu pré-
occupé- Un témoin auriculaire a rapporté que Hâchim
lui disait : « Descendant des khalifes, que la vie de ce
monde serait agréable s # i la mort ne nous guettait! —
Fils d’infidèle, repartit le prince, tu te trompes en par-
lant ainsi l N’est-ce pas grâce à la mort que nous occu-
pons maintenant ce trône ? aurions-nous jamais régné si
là mort n’existait pas ? »

Il mettait beaucoup d’entrain à faire la guerre aux
chrétiens et aux rebelles ; plus d’une fois il s’enfonça en
pays ennemi pendant six mois et davantage, brûlant et
détruisant touU 2 ‘. C’est lui qui commandait à l’affaire du
Guadacelete, qui compte parmi les plus remarquables
et doqt la pareille n’avait pas eu lieu jusqu’alors en
Espagne. C’est à ce sujet qu’ e Abbâs ben Firnâs( 3 ) a fait
un poème qui nous dispensera de décrire la bataille ;

[Tawîl] Dans cette armée aux cris divers mais unie dans
un même esprit, dévorant les espaces, se grossissant des
tribus et serrant les rangs, on prendrait les épées qui se
laissent entrevoir pour des éclairs qui apparaissent furti-
vement dans de sombres nuées, et dans les conversions les
sommets des étendards sont comme de longues barques aux

(1) On retrouve cette anecdote dans Vlkd, n, 366 ; elle figure dans
les Mus. cVEsp.y h, 158.

(2) Ce passage ainsi que la poésie qui suit sont empruntés à Y’Ikd,
il, 367.

(3) Makkari cite encore d’autres vers de ce poète (i, 101 ; n, 91), à’
qui Dhabbi (n° 1247) a consacré trois lignes. Un court extrait de la
poésie qui suit et qui se retrouve dans Y’Ikcl (n, 367) a été inséré par
Dozy in Mus. d’Esp., (n, 163).

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– 184 –

avirons impuissants à Jendre la mer. Si elle met en mouve-
ment les meules du combat, c’est autour d’un axe que forme
l’intelligence d’un noble et vertueux prince dénommé Mo-
hammed, tout comme le Sceau des prophètes, et dont les
possessions dépassent toute description. Par suite de ce qu’il
a fait le mardi matin, alors que l’aurore avait détaché la
corde passée dans les boutonnières du rideau nocturne, les
deux montagnes de Wâdi Salit’ oit pleuré puis sangloté sur
ces nombreuses victimes, chrétiens et incirconcis ; la mort a
lancé son appel, et tous y ont répondu : tels on voit les sca-
rabées se jeter sur la fiente qui s’étale sur un monticule.
[P. 115] Il n’avait pas encore fait d’attaque générale que
l’ennemi tournant le dos prenait la fuite comme fait un
homme désarmé, tandis que les clients furieux semblaient
autant de nobles faucons acharnés à la destruction d’une
bande de grues, ou plutôt, par ma foi, des loups guerriers
qui se précipitent en rangs serrés contre une montagne
bondée de défenseurs. Ibn Youlyos (le fils de Jules) faiblis-
sant disait à Moûsa : « Je vois la mort partout, devant aussi
bien que derrière ou sous moi. » Nous leur tuâmes mille et
mille hommes, puis encore autant ajoutés à deux et deux
autres mille, en outre de ceux que le fleuve roula dans son
lit et submergea ou qui de la berge y tombèrent.

Voici ce que dit Aboû e Omar Sâlimi : « “Dans (l’une de)
ses premières campagnes en pays ennemi, pour laquelle
il avait levé et recruté des troupes, étudié toutes choses
comme il l’entendait, il se trouva en face de l’ennemi,
dont la cavalerie débordait de la vaste plaine, remplis-
sait tout, auprès ainsi qu’au loin, et qui, prêt pour la
rencontre, s’avançait au combat. Alors l’émotion envahit
l’émir, la peur et la crainte le prirent; il se figura qu’il
ne pourrait échapper aux infidèles, que les musulmans
allaient devenir la proie des glaives, et il crut qu’une

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izedby G00gle . .

— 185 —

fermeté attentive, un examen honnête et droit exigeaient
de reculer devant le combat, conformément aux paroles
de Dieu : « Ne vous précipitez pas de vos propres mains
dans l’abîme » (Koran, n, 191). Alors un guerrier s’avan-
çant lui dit: « Prince, Dieu très haut a dit: « Ceux qui,
lorsqu’on leur annonce que l’ennemi se réunit pour mar-
cher contre eux, mettent leur foi en Dieu, reviennent
comblés de ses grâces » (Koran, m, 167-168). L’émir ré-
pondit: a J’en prends Dieu à témoin, ce n’est pas à moi
que je songe; mais on ne peut exécuter un plan si Ton
n’est obéi, et ce n’est pas tout seul que je puis combattre.
— Je le jure, dit alors c OtbiW, un ange seul peut avoir
suggéré ce verset à ce guerrier; ô prince, consulte donc
Dieu cette nuit, aujourd’hui même ! » Ainsi fit Moham-
med, et Dieu lui fit voir que le combat était la bonne voie,
lui suggéra la conduite correcte et bien vue du ciel.
Alors les hérauts appelèrent les guerriers à attaquer les
ennemis de la foi et à combattre pour la religion, enga-
geant chacun à faire de son mieux pour assurer la vic-
toire attendue ; puis, les étendards étant préparés et les
cœurs fermement disposés à une lutte héroïque, l’émir
Mohammed remit le commandement aux mains de son
fils El-Mondhir, bien connu pour sa bravoure et qu’en-
tourait l’affection des troupes; [P. 1 16] les musulmans
se portèrent en avant, les deux armées se rejoignirent
et la mêlée commença. Dieu donna la victoire aux siens

(1) Il s’agit du célèbre fakih mort en 254 ou 255 et auteur de VOt-
biyya ; il s’appelait Mohammed ben Ahmed ben *Abd el-‘Aziz (voir
sur lui Dhabbi, rr 9 ; Ibn el-Faradhi, n* 1102 ; Makkari, i, 603 ; ms 851
d’Alger, f. 4 v : ms 5032 de Paris, f. 105 v% etc.).— Une version légè-
rement différente de l’anecdote dans laquelle il joue un rôle est rap-
portée par Ibn el-Koûtiyya, f. 41.

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— 186 –

et remplaça l’angoisse par l’allégresse”. L’annonce de la
prière de midi n’avait pas.çu lieu que déjà, grâce à la
faveur divine, les têtes de plusieurs milliers d’ennemis
étaient amoncelées. c Otbi a composé à propos de cette
victoire un long poème où il chante les louanges de
Mohammed, et dont voici un extrait :

[Kàmil] Interroge les sabres au sujet de la frontière, ils te
diront la vérité, provoque les lances à parler, elles te répon-
dront : ils ont laissé en ces lieux-là le so.uvenir d’affaires qui
sont devenues proverbiales en Orient comme en Occident. Il
a subjugué le territoire des infidèles par une victoire qui les
a laissés comme des palmiers dévastés par l’incendie ; la
guerre qu’il leun a faite a lancé sur eux des foudres qui les
ont réduits en cendre grise.

Khalifat d’El-Mondhir ben Mohammed.

Ce prince, dont le prénom était Aboû’l-H’akam, naquit
à sept mois, en 229 (29 sept. 845) d’une femme nommée
AyK 11 . Il eut onze vizirs et deux secrétaires, Sa e id ben
Mobaçhchir et e Abd el-Melik ben e Abd Allah ben Omeyya
ben Choheyd; son chambellan fut c Abd er-Rahmân ben
Omeyya ben Choheyd. Il eut pour kâdi Aboû Mo’âwiya
e Amir ben Mo e àwiya Lakhmi W. Ses généraux furent au
nombre de sept.’ Son sceau portait l’inscription « El-
Mondhir est satisfait du décret divin. » Il était brun,

(1) C’est probablement le même nom qui se retrouve dans l’édition
imprimée de Dhabbi (p. 17) sous la forme ji’\. Il est parlé d’El-Mon-
dhir par Ibn el-Koùtiyya, f. 43-50 du ms ; Ibn el-Faradhi, p. 9 ; ‘Ikd,
H, 367, etc.

(2) Ibn el-Faradhi lui a consacré un article, n* 628 ; Ibn el-Koùtiyya
dit qu’il était remarquable par ses vertus et son mérite,. f. 43 du ms.

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.<^* — 187 — avait les cheveux bouclés et employait le henné et le /re- tem ; son visage portait des marques de petite vérole. Il eut cinq t fils et huit filles W. Lors de son intronisation, qui se fit le 8 rebi e I 273 (13 août 886), il était âgé de quarante-quatre ans et dix-sept jours, et il mourut dans une expédition contre Bobastro le samedi 15 çafar 275 (29 juin 888), à l’âge de quarante-six ans et après un règne de deux ans moins dix-sept jours (*). Il fut inhumé dans le palais de Cordoue, et les dernières prières furent dites sur lui par son frère e Abd Allah, grand’père d’En- Nâçir., La nouvelle de la mort de son père le surprit pendant [P. 11 7]. qu’il était occupé à assiéger le chàteau-for.t d’Alhama contre le maudit renégat e Omar ben H’afçoûn. Il regagna alors Cordoue, et les cérémonies d’intronisa- tion furent terminées dès le lendemain de son arrivées il fit des distributions au djond et se concilia l’affection des Gordouans et du peuple par la remise qu’il leur fit de la dîme de Tannée courante et de tous les impôts extraordinaires en retard. Comme la plupart des châteaux-forts du district de Malaga reconnaissaient l’autorité d’Ibn H’afçoûn, El- Mondhir envoya contre eux des corps de troupes qui les firent rentrer dans l’obéissance. . Quand Ibn H’afçoûn vit El-Mondhir lever le siège à la suite de la mort de son père Mohammed, ainsi qu’il vient d’être dit, il se mit aussitôt en mouvement et députa (1) Sur le nombre de ses enfants, cf. la note 2, p. 44 de Dozy à Tlntr. au Bayân. (2) L’avènement et la mort de Mondhir sont fixés à des dates légè- rement différentes dans nos sources; voir Ibn Khaldoun, iv, 132; *lkd, u, 367 ; Annales, 263 ; Machmua, 1 49, ‘ • Digitized by Googk – 188 – à toutes les places fortes situées entre Alhama et le lit- toral, et toutes reconnurent son autorité: Il se dirigea vers Bàgha (Priego) et la montagne de Cheyba, et y prit des richesses plus qu’on ne saurait dire ; tout cela sans qu’il disposât alors de grands moyens d’action ni de beau- coup d’argent ni de troupes; mais il servait de châtiment entre les mains de Dieu, qui l’employait pour faire sentir sa vengeance à ses serviteurs. Paraissant à une époque troublée, alors que des cœurs endurcis et portés au mal, que des esprits méchants cherchaient les mauvaises occa- sions et ne demandaient que la guerre civile, il trouva, sitôt qu’il se révolta, le peuple dans les mêmes disposi- tions et prêt à faire cause commune avec lui. Les popu- lations se réunirent autour de lui, et il s adressa à leur amour-propre : a Depuis trop longtemps, leur disait-il, vous avez à supporter le joug de ce sultan qui vous en- lève vos biens et vous impose des charges écrasantes, tandis que les Arabes vous accablent d’humiliations et vous traitent en esclaves. Je ne veux autre chose que vous faire rendre justice et vous tirer d’esclavage ». Ces paroles d’Ibn Hafçoûn trouvaient toujours un accueil favorable et reconnaissant, et ce fut ainsi que l’adhésion de tous ceux qui habitaient les châteaux-forts lui fut ac- quise. Ses partisans, se composaient de brigands et d’hommes de désordre qu’il attirait par l’espoir de con- quêtes et de pillage. Il témoignait d’ailleurs de l’affec- Jion à ses compagnons et de la déférence à ses intimes; tout malfaiteur et impie qu’il était, il respectait les fem- mes et observait les règles de l’honneur, ce qui lui con- ciliait tous les esprits ; une femme portant avec elle son argent et son avoir pouvait aller seule d’une ville à une autre sans que qui que ce soit tentât contre elle la moin- Digitized by Google – m – dre chose. Lé châtiment qu’if employait était la mort ; il ajoutait foi au dire d’une femme, d’un homme ou d’un enfant quelconque, [P. 1 18] et, sans demander d’autre témoin, il punissait celui, quel qu’il fût, dont on se plai- gnait ; son fils même devait se soumettre aux prescrip- tions de la justice. Il traitait d’ailleurs les guerriers avee considération et rendait des honneurs aux héros, à qui il pardonnait quand il restait le plus fort ; des bracelets d’or étaient la récompense de ceux qui rivalisaient de courage. Tous ces procédés servirent beaucoup à Ibn Hafçoûn, qui poussa ses incursions jusqu’à Cabra et par delà jus- qu’à la bourgade d’El-Djâliya, attaqua Alcaudete, dans le canton d’Elvira, ainsi que les environs de Jaën, et fit prisonnier e Abd Allah ben Semâ e a, gouverneur de Prîego. Du côté du château-fort d’Iznajar, dans le canton de Ma- laga et non loin de Cabra, se réunirent un grand nombre de malfaiteurs partisans d’Ibn Hafçoûn, ce qui effraya fort les habitants de Cabra et les empêchait de bouger. Quand El-Mondhir fut prévenu de la situation, il envoya Açbagt ben Fot’ays à la tête d’un corps considérable de cavalerie contre ce fort d’Iznajar, qui fut pris à la suite d’un siège et dont les défenseurs furent mis à mort. El- Mondhir envoya également de la cavalerie commandée par c Abd Allah ben Mohammed ben Mod’ar et par le page (/eta) Aydoûn dans le pays de Lucéna,’ région de Cabra, où se trouvait un corps de partisans d’Ibn H’af- çoûn, lesquels furent assiégés et combattus jusqu’à ex- termination. En l’année où El-Mondhir monta sur le trône, dit Râzi, Mohammed ben Lope fit avec des bandes de musulmans .Google — 190- une incursion dans le pays d’Alava; Dieu donna la vic- toire à ce chef, qui fit un grand massacre de chrétiens. En djomâda I de la dite année .273 (oct. 886), El-Môn* dhir .fit emprisonner Hâchim ben c Abd el- e Aziz, vizir et favori de son père, puis il le fit mettre à mort le même moisW. Hâchim; à cause de son influence auprès de l’émir Mohammed et de sa qualité de favori, était très jalousé, et des dénonciations fréquentes arrivaient jus- qu’à El-Mondhir, car tout le monde lui en voulait. El- Mondhir, en montant sur le trône, voulut lui rester fidèle et continuer de le traiter comme avait fait son père, de sorte qu’il lui donna les fonctions de chambellan. Mais tout le monde était ligué contre Hâchim, les attaques dont il était l’objet redoublèrent et Ton travestit tous les faits, de telle sorte que les décrets divins le concernant s’accomplirent. Entre autres choses que l’on dénatura se trouvent les vers récités par Hâchim lors de l’enterre- ment de l’émir Mohammed : [P. 119; Wâflr] J’ai bien à déplorer pour moi-même ton trépas, ô Mohammed, loyal ami de Dieu, bienfaiteur insigne \ Pourquoi d’autres encore en vie ne sont-ils pas morts ej; n’ont-ils pas, à ta place et pour mon avantage, vidé la coupe empoisonnée?! 2 ) On prétendit que les mots encore en vie s’appliquaient à El-Mondhir. De sa prison, Hâchim adressa les vers suivants â sa jeune esclave f Adj : (1) La disgrâce de Hâchim est rappelée assez sèchement par Ibn el-Koûtiyya (f. 42), par le Machmua (p. 149) et par ïbn Khaldoûn (iv, 132); cf. Hollatyjp. 73. ‘ (2) Ces deux vers sont également cités par le Machmua, 1.1.”, e par la Hollat. .-‘.-. \ Digitized by Googk :tti [Tawtl] Ce*qul m’empêche d’aller te voir, c’est çfue je suis renferma dans une prison à la porte solide et garnie de ver- roux de 1er. Ne sois pas, ô ‘Ad], surprise de ce qui m’arrive, car les vicissitudes de ma fortune présente n’ont pas de quoi étonner : n’ayant pas marché droit quand je le pouvais, j’ai rencontra ce que j’aurais dû redouter. Combien m’ont dit: « Fuis, malheureux, et va vivre en sécurité et loin de tes ennemis dans quelque autre endroit de la terre ! » Mais j’ai répondu : « La fuite est un acte vil, et mon âme a assez de culture et de valeur pour dominer l’adversité ; j’accepterai la décision de Dieu à mon égard ; l’homme, d’ailleurs, peut-il se soustraire au décret divin ? « Ceux dont Mer j’avais à ^upçorter les haineuses injures s’empresseront de porter leurs lèvres à ma coupe et de s’y abreuver ! » (*) L’émir le fit exécuter de nuit dans sa prison, confisqua ses biens et fit abattre son hôtel ; il emprisonna les gens de son entourage ainsi que ses enfants, à qui il réclama une amende de deux cent mille dinars; il ne leur fit grâce ni de celle-ci ni de la prison, et ce ne fut qu’après la mort de ce prince que son frère c Abd Allah, lui ayant succédé, les remit en liberté, leur rendit leurs terres et nomma l’un d’eux vizir et général. En la même année eut lieu la bataille perdue par les Tolédans, qui avaient enrôlé les Berbères chassés de Truxillo ; plusieurs milliers de ces soldats restèrent sur le terrain. En 274 (28 mai 887), l’émir El-Mondhir marcha à la tête de ses troupes contre c Qmar ben H’afçoûn, dont il cpnquit les châteaux-forts situés dans le canton de Ma- laga, ‘ainsi que ceux situés du côté de Cabra. S’avançant ensuite contre Bobastro, capitale du rebelle, il en fit le (t)La Hollat (p. 76) nous a aussi conservé ces vers”. Digitized by Googk – 192- siège et le serra de très près, non saiïs porter le ravage dans tous les environs. Ensuite il s’en éloigna pour se diriger sur Archidona, où se trouvait ç Aychoûn : il dressa son camp sous les murs de cette place, et le siège qu’il en entreprit réduisit les habitants à l’extrémité, [P. 120] si bien qu’ils finirent par renoncer à soutenir c Aychoûn et sa famille, et même qu’ils l’abandonnèrent lui et ses partisans (*>. Alors l’émir pénétra dansla place et fit main-
basse sur eux et sur les Benoû Mat’roûh’, qui étaient
au nombre de trois, H’arb, c Awn et T’âloût’; les châ-
teaux-forts appartenant à ceux-ci dans la Sierra de Priego
furent conquis, et ces chefs, devenus captifs de l’é.mir,
furent envoyés par lui à Cordoue, où il les fit exécuter
et crucifier avec dix-neuf autres des leurs. Quand à
‘Aychoûn, il fut crucifié entre un cochon et un chien, à
cause de ce qu’il avait l’habitude de dire que l’émir, s’il
pouvait s’emparer de lui, n’avait qu’à le faire mettre en
croix entre un cochon crucifié à sa droite et un chien à sa
gauche. En effet ce chef avait pleine confiance en sa bra-
voure et se croyait sûr, grâce à sa force et à sa vaillance,
de n’être pas pris. Désespérant de venir autrement à bout
de son ennemi, l’émir’soudoya un habitant d’Archidona,
qui s’engagea à employer la ruse ; et en effet e Aychoùn,
étant un jour entré sans armes chez l’un des traîtres, on
se jeta sur lui, on le ligota et on l’envoya chez l’émir.

SITUATION D^OMAR BEN h’aFÇOUN PENDANT LE RÈGNE

d’el-mondhir.

Dans la seconde année du règne d’El-Mondhir, à la
date indiquée plus haut, * ce prince marcha avec le plus

(1) C’est d’après notre auteur, qui donne en effet le plus de détails,
qu’est rédigé le récit des Mus. d’Esp., u, 202.

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– 193 –

de troupes qu’il put contre Bobastro, en commença un
siège consciencieux et combattit très vigoureusement
Ibn H’afçoûn qui y était renfermé. Sa cavalerie se répan-
dit dans ces régions et. s’y empara des plaines et des
monts. De là il s’avança contre la ville d’Archidona pour
la détruire et faire passer à ses habitants un terrible et
calamiteux moment, à raison de l’obéissance qu’ils prê-
taient à Ibn H’afçoûn et de leur communauté de but
avec les habitants de ces châteaux-forts. Alors des mes-
sagers envoyés par eux apportèrent à l’émir des paroles
de soumission et l’engagement de rentrer dans le sein
de la communauté des fidèles ; ces propositions furent
accueillies par le prince, qui traita tous ces gens avec
douceur et s’empara ensuite de la Kaçba, où il fit pri-
sonnier le gouverneur nommé par Ibn Hafçoûn. Mais
celui-ci persista dans la fausse voie et l’erreur, ne chan-
gea pas son attitude d’ennemi et de rebelle. Alors l’émir,
l’attaquant de nouveau, [P. 181] l’assiégea étroitement,
et Ibn Hafçoûn, se trouvant manquer d’aides et de sou-
tiens, se voyant pris à la gorge par l’émir et privé de
tout moyen de fuite nocturne, appliqua toutes les forces
de son esprit à la tromperie et à la ruse pour se dégager
des cordes qui l’enceignaient, des rets qui l’enlaçaient.
Il feignit de consentir à se soumettre, et annonça que la
loyauté serait le but auquel tendraient les efforts de son
obéissance, à condition qu’il serait auprès de l’émir
comme l’un des principaux du djond, qu’il habiterait
Cordoue avec sa famille et ses enfants, que ses deux fils
feraient partie des clients et que lui-même ne cesserait
pas d’être traité avec bienveillance. L’émir accéda à
celte demande, s’engagea par serment solennel et fit
aussitôt dresser un acte d’amnistie ; il accorda aux en-

13

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– 194 –

farits d’Ibn Hafçoûn tes plus précieux vêtements et fit
charger des bêtes de somme de l’argent et des objets qui
leur étaient destinés, déployant en cela une grande gé-
nérosité et comblant tous leurs désirs et souhaits. Ibn
Hafçoûn ayant, dans le but de mieux confirmer encore
sa ruse perfide, demandé cent mulets pour transporter
ses effets et sa famille, l’émir les lui envoya sous la
protection de dix centurions et de cent cinquante cava-
liers, le traitant ainsi des plus honorablement et ajou-
tant bienfaits à bienfaits. Alors Ibn Hafçoûn expédia tout
ce monde à Bobastro, où étaient sa famille et ses en-
fants, ses biens acquis et héréditaires. Les troupes (de
■ l’émir) étaient parties de ce château, de même que le
kâdi et les juristes qui avaient rédigé le traité de paix,
dans la conviction qu’il n’y avait ni ruse ni mensonge et
# que sans aucun doute toute crainte de troubles de la part
.du rebelle était écartée. Les troupes s’étant dispersées
après que le camp fut levé et la tombée de la nuit lui
facilitant la violation de ses serments, Ibn Hafçoûn s’en-
fuit de ce château-fort et put sans être inquiété regagner
Bobastro. Tombant sur les centurions, il les combattit,
enleva les mulets du convoi et, reprenant le même genre
de vie qu’auparavant, il déclara aux siens qu’il était
toujours leur chef suprême (*). Alors l’émir El-Mondhir
jura de recommencer le siège et de le poursuivre sans
pitié jusqu’à soumission de son ennemi. Il fit ses prépa-
ratifs de campagne, réunit de très nombreux guerriers
et vint camper de nouveau sous les murs de Bobastro,
[P. ISS] qu’il fit envelopper de toutes parts, et pour

(1) Cet acte de trahison est aussi raconté dans V*Jkd (n, 367).

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– 195 –

l’attaque et le siège de laquelle il prit les dispositions
les plus rigoureuses \

” Ces projets et leur réalisation firent qu’Ibn Hafçoûn
perdit tout espoir de tenir plus longtemps dans ces châ-
teaux forts. Pendant quarante-trois jours, l’émir resta à
le guetter avidement sous les murs de Bobastro; mais
souffrant déjà d’une maladie qui inquiétait son entou-
rage, il fit venir son frère c Abd Allah pour le remplacer
et exercer le commandement. Aussitôt après l’arrivée
de ce dernier, il rendit l’âme, laissant de vifs regrets à
tous ceux qui l’avaient approché. Dès qu’il fut mort, ses
troupes se débandèrent et se divisèrent sans qu’ e Abd
Allah pût les retenir ni les réunir, tandis qu’Ibn Hafçoûn,
se rendant maître du camp, le pillait entièrement. Le
corps de l’émir défunt fut transporté à dos de chameau
à Cordoue, où il fut inhumé à côté de ses ancêtres. Le
peuple ne regretta que bien peu sa mort, car il devait,
sur Tordre de l’émir, se transporter sous les murs de
Bobastro et s’y installer” W.

En la même année, une grande sécheresse sévit en
Espagne, et des prières furent faites pour demander de
la pluie. Le 1″ janvier, il tomba une grande quantité de
neige, mais pas de pluie; on recommença les prières à
plusieurs reprises, mais sans succès, et le désespoir
envahit tous les cœurs. La pluie, qui survint dans les
premiers jours de février, releva les courages; on se
réjouit de la faveur que Dieu venait de manifester, et on

(1) La sul)stance de cet amphigourique récit comporte une dizaine
de lignes de texte dans Y’Ikd, 1. 1. ; j’ai suivi cet ouvrage pour donner
à la dernière phrase, aussi peu précise que la plupart des autres, un
sens différent de celui où Ta entendue Dozy, Intr. au Bayân, p. 45.

.-*-.

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– 196 –

lui en adressa des actions de grâces. El- c Akki W dit à ce
propos, en même temps qu’il fait l’éloge d’El-Mondhir :

[Kàmil] La pluie vivifiante est venue, et des esprits en-
vahis par de sombres pensées ont recouvré le calme. Dieu a
rendu la vie à ses serviteurs alors que le désespoir les livrait
à de mauvaises suggestions, et un retour de sa grâce a tout
réparé; faute de ses bienfaits nous étions ensevelis sous les
calamités ! Que les glorieux noms du Roi des rois soient bé-
nis, que son saint pouvoir soit glorifié !

Ailleurs il dit :

[P. 123] Notre époque est heureuse grâce au prince sûr
qu’est El-Mondhir, le bonheur règne dans les cœurs grâce à
son bon gouvernement ;

Et poursuit ainsi jusqu’à :

Reçois ces (vers), loyal ami de Dieu, fils d’un père non
moins loyal, de la part d’un homme reconnaissant et sincère.

Ce fut le 15 çafar 275 (29 juin 878) que mourut, comme
nous venons de le dire, l’émir El-Mondhir pendant cju’il
était à assiéger à Bobastro le scélérat d’Ibn Hafçoûn ; il
avait quarante-six ans et avait régné deux ans moins
quelques jours Œ.

TRAITS ET ANECDOTES LE CONCERNANT.

Ce prince aimait et honorait ses frères, fréquentait
leurs réunions, leur donnait des cadeaux, les invitait à
ses séances intimes; il distribuait des largesses aux

(1) Nulle part je n’ai pu retrouver la trace de ce poète.

(2) Ce prince paraît avoir été empoisonné par son frère et succes-
seur ‘Abd Allah (Dozy, Intr. au Bayàn, p. 44 ; Mus. d’Esp., n, 204).

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– 197 –

poètes qui lui récitaient des vers soit pendant qu’il était
en campagne soit à son retour. Entre autres poètes qui
s’attachèrent à lui on cite Ah’ med [ben Mohammed] ben
c Abd RabbihiW et El- c Akki. Nul khalife de ses prédé-
cesseurs ne déploya autant que lui de bravoure ou de
témérité, de fermeté dans la conception et la réalisation
de ses projets ; il fit à ce point de vue plus en un an qu’un
autre dans tout son règne. Les fauteurs de guerres ci-
viles les plus braves et les plus résolus se soumettaient
sans peine à lui et lui faisaient parvenir, avant même
qu’elle leur fût demandée, leur promesse d’obéissance.
Au dire des gens les plus qualifiés, il ne serait plus resté,
s’il avait seulement vécu un an de plus, aucun rebelle
dans le canton de Malaga, et ce que Ton sait de lui le
prouve. Un trait le montra tout d’abord : la nouvelle de
la mort de son père ne l’empêcha pas de dévier du che –
min qui le menait à Cordoue et ne lui fit pas prendre la
voie la plus courte. Aucun souci, aucune affaire si im-
portante qu’elle fût ne lui en fit négliger une autre ; il se
dirigea vers Malaga, y mit les choses en ordre et en
confia le soin à Soleymàn ben e Abd el-Melik ben Akht’al
et à c Abd er-Rahmân ben H’oreych, auprès de qui il
plaça des conseillers (?) choisis parmi les Arabes et dans
son entourage. Après quoi, en un seul jour il se fit prêter
le serment de fidélité, fit des distributions au djond,
examina les remises (?) à faire au peuple, l’abolition des
dîmes à consentir en faveur des Cordouans pour s’atti-
rer leurs éloges, l’appel des troupes et leur envoi sous

(1) Auteur de l’importante compilation intitulée El-‘Ikd el-ferhl
(voir Ibn Knallikàn, I, 92 ; ms 2327 de ‘Paris, f. 4; Introduction au
texte du Bayân, p. 27 ; Pons, Ensayo, p. 51, etc.). Il vécut de 246 à 328.

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– 198 rr

la direction d’un général. Il déploya la même activité
dans toutes ses affaires; aussi commandait-il aux évé-
nements.

[P. 124] Khalifat
d”Abd Allah ben Mohammed ben ‘Abd er-Rahmàn (*>.

Ce prince, prénommé Aboû Mohammed, était né le
15 rebi c II 229 (11 janv. 844) d’une mère nommée Behàr
selon les uns, ou c Achâr selon d’autres. Il eut deux
chambellans, – c Abd er-Rahmân ben Choheyd et Ibn es-
Selim( 2 ); il eut vingt-six vizirs et trois secrétaires, e Abd
Allah ben Mohammed Zedjâli ( 3) , c Abd Allah ben Moham-
med ben Aboû c Abda et Moûsa ben Ziyâd W, Il avait
le teint clair et coloré, les yeux bleus, le nez aquilin,
était blond, de taille moyenne et se teignait en noir. Il
eut onze fils, entre autres Mohammed la Victime (el-
makioûl), père d ,. Le peuple par suite
était plongé dans les ténèbres d’une sombre nuit que
n’illuminait aucune aurore, où ne parvenait même pas
le scintillement des étoiles; contre les musulmans se
réunissaient les chrétiens et les fauteurs de troubles
leurs semblables, qui avaient mis l’épée à la main, et
qui tuaient, combattaient, opprimaient les fidèles, dont
la pénible vie finissait par une mort misérable ; on ne
cultivait plus la terre, et l’espèce semblait près de s’é-
teindre. Ce prince alors mit tous ses efforts, déploya
toute son énergie à combattre les ennemis de Dieu et les

(1) Voyez le tableau que fait Dozy de la situation de l’Espagne
musulmane à cette époque (Mus. cVEsp., n, 207).

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– 200 –

siens propres, transporta le siège de la guerre en pays
chrétien, les régions musulmanes de l’Espagne eurent
des frontières respectées, la lutte contre les hypocrites
et leurs pareils se trouva être à la fois le devoir établi et
la nécessité la plus urgente.

La première chose à laquelle il donna ses soins fut
d’envoyer Ibrahim ben Khamîr W recevoir le serment de
fidélité d’Ibn Hafçoûn et de ses partisans. Ibrahim se
rendit auprès de ce chef, qui fit montre de bonnes dis-
positions et jura fidélité ; l’envoyé du prince se retira en
emmenant H’afç, fils d’ c Omar, et plusieurs autres de ses
partisans, qui prêtèrent aussi serment et que l’émir ren-
voya après les avoir traités avec honneur et respect
pour se concilier leur amitié. Ibn É’afçoûn pendant
quelque temps resta fidèle à ses promesses et s’abstint
d’actes hostiles ; mais ensuite il rouvrit les hostilités et
agit comme auparavant : sans respect pour le droit de
ceux qu’il devait respecter, il fit main-basse sur les biens
des habitants des cantons voisins, recommença les mê-
mes honteux ravages qu’auparavant et dépouilla les
voyageurs. Cela se passait l’année même où e Abd Allah
monta sur le trône.

En 276 (6 mai 889), l’émir en personne marcha contre
Bobastro et les châteaux-forts de Malaga, et se retira
après avoir détruit tous les vivres de la région et avoir
serré celle-ci de près; dans la capitale même il laissa
le Cordouan Mohammed ben Doneyn. Mais Ibn Hafçoûn
sortit aussitôt de son repaire avec tous les brigands qui
se joignirent à lui, et mit le siège devant Ecija, puis de-

(1) Le nom de ce général ligure aussi dans Ibn Hayyàn {Ib., u, 265).

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— 201 —

vant le chàteau-fort d’Estepa» 1 *, qu’il prit. L’émir envoya
alors contre lui un corps de troupes, et Ibn Hafçoûn, qui
confessa ses torts, reçut un acte d’amnistie envoyé par
le prince.

En la même année, Mohammed, fils de l’émir c Abd
Allah, fut chargé du gouvernement du canton de Séville.
Pendant qu’il exerçait ces fonctions, un groupe d’Arabes
de Séville [P. 126] se rendit à Carmona et mit la main
sur cette ville.

En la même année eut lieu la révolte de [Aboû Yahya
Mohaimmed ben c Abd er-Rahmàn ben] c Abd el- e Aziz
Todjîbi, connu sous le nom d’El-Ank’arW.

Ibn Hafçoûn, en violation des traités, marcha contre
Baëna, qu’il attaqua; il promit aux habitants de les res-
pecter, mais quand ceux-ci allèrent le trouver, il les tua
traîtreusement, s’empara de leurs biens et réduisit leurs
enfants en eSclavage.

Les habitants de Jaën, sans respect pour l’autorité,
expulsèrent leur gouverneur c Abbàs ben Lak’it’, et ce fut
Ibn ChàkiH 3 ) qui régna en cette ville.

En 277 (25 avril 890) naquit

Le kâïd Ibn Aboû c Abda( 4 ) marcha contre Jaën, où s’é-
tait installé le rebelle Ibn Châkir; il l’assiégea, le com-

(1) En caractères arabes i–JC*o\ (et À^k*o\ dans Ibn Hayyàn, an.
Correct., p. 47), à 3 ou 4 lieues à l’Est cTOssuna (£3^io\, qui figure
dans le Merâcid et dans la Çila, n° 390, mais non dans Edrisi).

(2) Sur Thisloire des Todjibides, voir l’ai* I ici e de Dozy, Recherches,
t. i, p. 221 de la 2* éd., p. 211 de la 3s

(3) Sur Kheyr ben Chàkir, cf. Mus. d’Esp., h, 262 et 276, et plus bas.

(4) La Hollat parle de trois membres de cette famille (pp. 79, 132
et 137). Celui qui est ici cité doit être AboùVAbbàs Ahmed ben
Mohammed, dont la biographie est résumée en une note dans Bekri,
Description de l’Afrique, 214,

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– 202 –

battit, tua un certain nombre de ses partisans et livra
aux flammes une. grande quantité de maisons de celte
ville.

H’afç ben el-Moro fit une expédition contre Sawwàr W.
Après avoir placé des troupes en embuscade, il fit une
incursion dans le pays, et Sawwàr, sortant pour le com-
battre, tomba dans l’embuscade et fut tué.

Ibn Châkir, le rebelle installé à Jaën, périt dans les
circonstances que voici. Ibn Hafçoûn, désireux de recon-
naître de nouveau l’autorité de l’émir et de se concilier
celui-ci par la mort d’Ibn Châkir, envoya au rebelle des
cavaliers pour lui faire croire qu’il était disposé à le
soutenir. Ibn Châkir, s’étant porté à la rencontre de
cette troupe de renfort, fut assailli et massacré par ceux
qui la formaient ; sa tète fut envoyée à Ibn Hafçoûn, qui
à son tour la réexpédia à l’émir e Âbd Allah et qui se
porta alors sur Jaën, dont il frappa les habitants d’amen-
des considérables. Jaën et Elvira restèrent quelque temps
sans être administrées par un fonctionnaire de l’émir.

En 278 (15 avril 891), l’émir c Abd Allah marcha contre
Polei, du canton de Cabra, où se trouvait l’ennemi de
Dieu Ibn Hafçoûn avec un grand nombre de ses parti-
sans, brigands et renégats, qui avaient poussé leurs ra-
vages dans la région de Cordoue et avaient été jusqu’à
enlever les moutons de cette ville même. Parti le 1 er ça-
far (.15 mai), le prince alla camper vis à-vis de lui et
engagea un combat acharné où il resta vainqueur r son
ennemi mis en fuite se réfugia avec une troupe des
siens dans ce château-fort, mais sa famille même ne

(1) Sawwàr ben Hamdoùn était le chef des Arabes Kaysites ; voir
infra, p. 137 du texte; Mus. d’Esp., n, 214; Notices, p. 258. Hafç
ben el-Moro était un lieutenant d’Ibn Hafçoûn {Mus. d’Esp., n, 2251.

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– 203 –

put y pénétrer avec lui, et de tous ceux qui la compo-
saient pas un ne put échapper aux poursuites. L’émir
alors s’endormit très satisfait et les musulmans gardè-
rent bien [P. 1S7] la porte, convaincus que le len-
demain ils allaient mettre la main sur lui dans Tinté-
rieur du château. Mais le vaincu parvint à s’échapper
avec quelques-uns de ses compagnons, et quand, le len-
demain matin, l’émir fut informé de la chose, il lança
inutilement des cavaliers à sa poursuite, car on ne re-
trouva pas les traces du fuyard. Le prince entra un autre
jour dans le château, qu’il trouva rempli d’approvision-
nements de toutes sortes. Son armée comptait dix-huit
mille cavaliers, et l’on dit qu’lbn Hafçoûn, après avoir
réuni tous ceux qui tenaient les châteaux- forts [lui obéis-
sant] dans l’Espagne tout entière, marcha contre lui à la
tête de trente mille hommes. Ce rebelle fut encore mis
en déroute, et la plupart de ses partisans périrent; il en
entra un certain nombre dans le camp de l’émir, qui les
fit rechercher, et ces hommes, au nombre de mille, péri-
rent sous ses yeux de la main du bourreau. Tel est le
récit de la Behjat en-nefs.

e Abd Allah marcha ensuite contre Ecija, qu’il assiégea
et où quantité d’habitants périrent dans les combats.
Quand les survivants furent à bout de ressources, ils
élevèrent du haut des murailles leurs enfants dans leurs
bras en poussant d’humbles cris de grâce, et ils obtin-
rent ainsi leur pardon.

En 279 (3 avril 892), les habitants d’Archidona trahi-
rent Ahmed ben Hâchim. Ibn Hafçoûn viola de nouveau
les engagements de paix et d’obéissance qu’il avait pris.

Eu 280 (23 mars 893), El-Mot’arrif ben c Abd Allah
commanda une expédition dirigée contre Ibn Hafçoûn à

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– 204 –

Bobastro, qu’il assiégea et dont il ravagea tous les en-
virons.

e Abd Allah fit bâtir le château-fort de Loja, dont il
confia la garde à Idrîs ben r Obeyd Allah.

Alphonse fils d’Ordono entra dans la ville de Zamora (*)
et la fit [reconstruire ; elle avait eu pour fondateurs les
barbares de Tolède.

Kn 281 (13 mars 894) l’émir c Abd Allah confia à c Abd
el-Melik ben Omeyya le commandement d’une expédi-
tion dirigée contre les châteaux-forts d’Ibn Mostana< 2 ).
Cet officier assiégea le château d’Iznajar et, dans les
combats qu’il livra, tua un grand nombre d’habitants; il
ruina aussi le château d’Es-Sahla, et regagna ensuite
Cordoue.

En 282 (2 mars 895), l’expédition d’été fut confiée à El-
Motarrif fils de l’émir c Abd Allah, avec c Abd el-Melik
ben Omeyya comme général. Or ce prince, étant dans le
voisinage de Séville, s’empara de la personne d’ c Abd
el-Melik, le fit exécutera [P. 1S8] et le remplaça dans
ses fonctions par Ahmed ben Hâchim. L’armée resta
pendant quatre jours dans le même lieu, et il adressa

(1) Le nom de celte ville est ici écrit ï.y+*o ; on trouve ï* }•*■<£> dans
lbn el-Athir (Annales, 104). C’est la première orthographe que donne
Edrisi, dans la partie relative à l’Espagne qui a* été publiée par
E. Saavedra, La geog. de Esp. ciel Edrisi, Madrid 1881, p. 59. I*e
Merâcid épelle la lecture Sammoura (il, 53). On trouve quelques
détails sur cette ville dans la Géographie d’Aboulfèda, n, 250. —
Alphonse III le Grand fut roi des Asturies de 866 à 910 J. C.

(2) Ce chef exerçait son pouvoir dans les montagnes de Priego et
était l’un des alliés d’Ibn Hafçoûn {Mus. d’Esp., u, 262, etc.).

(3) Sur le meurtre de ce général, qui s’appelait, d’après lbn el-Koù-
tiyya (f. 44), ‘Abd el-Melik ben voir cet auteur, f. 44 v% et l’intr. au texte du Bagân, p. 54, ce qui per-
mettra de comprendre les trop brèves indications de notre auteur.

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– 205 –

des promesses d’amnistie aux habitants de Séville et de
Sidona ; ceux de cette dernière ville acceptèrent de se
soumettre, lui payèrent l’impôt, et le pays reconnut son
autorité l 1 ). 11 s’avança ensuite contre les Sévillans, (qui
avaient refusé), leur livra bataille, les battit et les mas-
sacra jusque sous les murs de la ville; après quoi il
traversa le fleuve et livra les bourgades [de l’autre rive]
à la ruine et à la destruction.

El-Mot’arrif ben f Abd Allah jeta en prison Ibrahim
ben Haddjâdj, [Koreyb] ben Khaldoûn et Ibn e Abd el-
Melik Chidoûni (*), et les fit charger de fers ; il fit couper
la langue et rompre les reins à Sah’noûn le secrétaire.

Le tribut de Séville ayant été envoyé, les Benoû Had-
djâdj (sic), Ibn Khaldoûn et Chidoûni furent, quand il
arriva, extraits de la prison de Cordoue et remis en
liberté.

RÉVOLTE DES BENOU H’àDDJÀDJ A SÉVILLE.

Ibrahim ben H’addjâdj ayant regagné Séville, sa pa-
trie, en laissant son fils comme otage à Cordoue, pro-
céda au partage par moitiés du canton dépendant de
Séville, Turfe lui étant attribuée et l’autre revenant à Ibn
Khaldoûn. Cet état de choses dura plusieurs années,
mais r Abd Allah s’efforçait de semer la discorde entre
eux en faisant savoir à chacun d’eux le fond des pensées

(1) D’après Ibn el-Koûtiyya, ce fut Séville qui accepta et Sidona qui
refusa les promesses de Motarrif. Comparez d’ailleurs Mus. d’Esp.,
il, 298.

(2) De ces trois chefs les deux premiers commandaient à Séville, le
troisième à Sidona. Ibn el-Koûtiyya écrit Horeyth le nom que nous
retrouvons plus bas sous la forme Koreyb, que Dozy a aussi acceptée ;
voir aussi la Hollat, p. 96.

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– 206 –

de son associé W. Il arriva un jour qu’Ibrahim ben Had-
djâdj et Koreyb ben Khaldoûn écrivirent à l’émir au
sujet de leurs affaires, en môme temps que Khâlid ben
Khaldoûn, frère de Koreyb, s’adressait aussi à lui pour
l’exciter contre Ibrahim, dont, ajoutait-il, lui et son
frère pouvaient s’assurer à leur gré. c Abd Allah écrivit
sa réponse sur l’original de -la lettre. Or le messager
chargé d’emporter les diverses lettres -laissa tomber
celle adressée par Khâlid à Ternir; un page du palais,
Tayant trouvée, en prit connaissance et la remit à l’en-
voyé d’Ibrâfiîm ben H’addjâdj en lui disant de la porter
au plus tôt à son maître ; et ce dernier, en la recevant,
fut définitivement fixé sur les sentiments intimes à son
égard des deux fils de Khaldoûn. Cela se passait en 286
(17 janv. 899). Alors Ibrahim invita courtoisement les
deux frères à un repas [P. 1S9] auquel ils se rendirent;
puis, quand ils se trouvèrent réunis, il leur adressa des
reproches à l’un et à l’autre, exhiba là réponse que leur
avait adressée l’émir, et, après leur en avoir fait pren-
dre connaissance, redoubla d’énergie dans les reproches
qu’il leur adressait. Alors Khâlid, tirant un poignard
qu’il portait dans sa manche, en frappa Ibrahim à la
tête et, déchirant sa coiffure, le blessa au visage. En
présence de cette agression, Ibrahim appela ses gardes
présents, qui tuèrent à coups de sabre les deux frères;
puis leurs deux têtes furent jetées à ceux de leurs parti-
sans et de leurs guerriers qui les avaient accompagnés
et qui alors se débandèrent, mais qu’on poursuivit en
les tuant et les pillant. Quant aux cadavres des deux
frères, Ibrahim les fit ensevelir et inhumer.

(1) Voir le récit de Dozy, Mus. d’Esp., il, 303; Ibn Khaldoûn, iv, 135.

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— 207 —

I\ “lut alors reconnu par les habitants de tout le canton
avoisinant Séville, puis il s’adressa à Ternir pour s’ex-
cuser du massacre des deux frères, en alléguant que
c’étaient eux qui l’avaient poussé à violer ses engage-
ments, mais que dorénavant il pratiquerait l’obéissance
à l’égard du prince, et sollicitait l’investiture du gouver-
nement de Séville. c Abd Allah condescendit à sa de-
mande, et Ibrahim se trouva seul maître de Séville,
” où il préleva les impôts, se constitua une garde, aug-
menta sa situation, accrut, par ses libéralités, ses espé-
rances ; ses actes louables et ses beaux faits relevèrent
au-dessus de ses contemporains, et sa bonne renommée
s’étendit au loin”.

Ibrahim, toujours occupé à adresser des demandes à
l’émir, alla jusqu’à réclamer la mise en liberté de son
fils c Abd er-Rahmân, qui était retenu à Cordoue en qua-
lité d’otage (*). Le refus que lui opposa c Abd Allah le jeta
dans la désobéissance, et il se mit, pour nuire à l’émir,
à faire passer à Ibn Hafçoûn des secours en argent et en
soldats, ce qui augmenta d’autant la force et les convoi-
tises de ce rebelle. Ibrahim cependant ne cessait pas
d’envoyer à l’émir des émissaires secrets pour tâcher
d’obtenir la mise en liberté de son fils, moyennant quoi
lui-même rentrerait dans les limites du devoir. Le prince
finit par y consentir et relâcha c Abd er-Rahmân ben
Ibrahim, non sans l’avoir comblé de bienfaits ; de plus
il renouvela l’investiture de Séville en faveur d’Ibrahim,
qui redevint soumis comme auparavant [P. 130] et sous
l’administration de qui cette région trouva la prospérité.
Au dire de H’ayyân ben Khalaf, «Ibrahim ben Haddjâdj,

(1) Cf. Ibn el-Koûtiyya, f. 47 v. ; Mu». d’Esp., n, 311.

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– 208 –

étant devenu gouverneur de Séville, de Carmona et des
régions avoisinantes, acquit une grande renommée qui
s’étendit au loin ; il se constitua une armée (djond) à
laquelle, tout comme le prince, il attribua une paie régu-
lière; on y comptait cinq cents cavaliers. » Ibràbîm avait
à la cour de Cordoue des gens qui veillaient à ses inté-
rêts et qui, le tenant au courant de ce qui se passait le
concernant, lui donnaient des conseils sur la conduite à
tenir. Ce fut ainsi qu’il renonça à plus fournir de l’aide à
Ibn Hafçoûn et à reconnaître loyalement l’autorité du
chef de la Communauté des fidèles; l’émir de son côté le
traita sur le pied que méritait son mérite reconnu, et
Ibrahim jouit ainsi jusqu’à sa- mort de la plus haute
considération auprès du prince.

H’ayyàn dit encore : « Ibrahim ben H’addjâdj avait à
Séville un kâdi chargé de rendre la justice et un préfet
de police qui appliquait les peines corporelles, tout
comme le prince dans sa capitale (*). Il était dur pour les
gens mal famés, implacable pour les scélérats ; on venait
par terre et par mer solliciter sa générosité et lui pré-
senter des choses rares et précieuses; il avait à Séville
des fabriques où son nom était brodé sur les étoffes, ainsi
que le faisait alors le prince. A Carmona, qui lui obéis-
sait également, il éleva le château-fort et construisit de
bonnes fortifications; c’est en cet endroit que se trou-
vaient les écuries destinées aux chevaux qu’il montait,
et à tout moment il allait de l’une à l’autre ville. Sa libé-
ralité lui attirait des louanges auxquelles il se plaisait;
les poètes étaient l’objet de ses largesses, car il ressem-
blait dans sa conduite aux plus grands princes. Il veillait

(1) Sur la situation d’Ibràhîm à Séville, cf. Mus. d’Esp., n, 313.

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– 209 –

à ce qu’on distribuât des secours aux anachorètes et aux
pieux solitaires <*>. Les Cordouans qui empêchaient ses
troupeaux laissés à eux-mêmes de s’égarer, recevaient
de lui des honneurs et des cadeaux. Leur plus grand
poète, Aboû c Omar Ahmed ben e Abd Rabbihi, se rendit
de préférence, entre tous ces agitateurs qui remuaient
alors l’Espagne, auprès d’Ibràhîm pour solliciter sa gé-
nérosité, et celle-ci ne lui fit pas défaut, car Ibràhîm
reconnut le mérite de son visiteur. »

Voici en quels termes il décrit les déplacements de
ce chef entre Séville et Carmona ;

[Tawîl] Ibrahim n’est pas autre chose qu’une mer de libé-
ralité qui d’un littoral va se fixer sur un autre : Séville la
fleurie se pare de sa gloire, et de même la brillante et dis-
tinguée Carmona. [P. 131] Quand celle-là est illuminée de
l’éclat de sa face, celle ci ne se montre que dans une toilette
dépourvue d’ornements; s’installe-t-il dans celle-ci, c’est
celle-là qui le pleure et lui dépêche messagers et messages î

Ce n’est là qu’un extrait de ce poème, qui est bien plus
long. Voici un autre extrait d’une longue pièce consa-
crée à Ibrahim :

[Wâftr] Le livre du désir, c’est mon cœur qui le forme T ce
sont les larmes de mes yeux qui en fournissent l’encre; c’est
sur mon foie que la main des pleurs en trace les lignes dic-
tées par l’insomnie. -Gommeût en serait-il autrement quand
mon cœur transporté s’envole vers celui qui attire tous les
cœurs? La générosité peut-elle trouver à ne pas s’exercer
alors qu’Ibrahim est un Hâtim Tay, le généreux par excel-
lence? Lui rendre visite c’est faire le pèlerinage, le louer

(1) En arabe, ahl el-boyoûtât ica’eh-ehoraf (voir Dictionnaire Dozy).

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— 210 —

c’est faire la guerre sainte en garnison ou en campagne. Je
serais sans excuse de ne pas aller le voir alors que j’ai une
monture et du viatique pour la route.

De nombreuses poésies furent adressées à Ibrahim
ben H’addjàdj par Ahmed ben e Abd Rabbihi et par d’au-
tres poètes. Ibn Aboû’l-Feyyâd’ W rapporte que le poète
cordouan Mohammed ben Yahya el-K’alfâH 2 ) se rendit
auprès d’Ibrahim pour lui présenter le poème en n qui
commence par :

\Khafif] Mon départ, qui approche, a mouillé des pau-
pières…

Et il continue par des traits satiriques contre ses com-
patriotes de Cordoue, les grands de cette ville, les prin-
cipaux de la cour, pour ensuite les injurier grossière-
ment. Ibrahim, à l’audition de cette pièce, conçut du
mépris pour lui et le traita d’indigne en termes insul-
tants, de sorte qu’El-K’alfât’ se retira déçu dans son
espoir de présents et ayant récolté le digne fruit de ses
actes et de ses paroles. Puis, rentré à Cordoue, il com-
posa contre Ibrahim la satire qui débute par :

[KàmiQ Femme, ne me blâme pas si mon voyage me fait
longtemps pleurer. . . (3)

(1) Aboû Bekr Ahmed ben Sa’îd ben Mohammed, appelé Ibn Aboù , l-
Feyyàd’ ou Ibn Feyyàd’,+ en 459, est connu comme historien et comme
juriste (Intr. au Bayân, p. 75 ; Çila, n’ 124 ; Pons, Ensayo, p. 138).

(2) Ce poète a fourni à Dhabbi (n° 314) l’occasion d’une courte notice ;
voir aussi Makkari, n, 199; Hollat, p. 97, et ci-dessous. L’anecdote ici
racontée est reproduite brièvement in Mus. d’Esp., H, 315.

(3) Notre compilateur ne donne que le premier hémistiche d’une
pièce dont Ibn Hayyan cite un plus long extrait, à en juger par ce que
traduit Dozy, Mus. d’Esp., il, 316.

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– 211 –

Ibrahim s’irrita quand il entendit cette pièce, et il
chargea celui qui la lui avait redite de faire savoir qu’il
prêtait le serment solennel que si le poète recommençait
[à médire des Cordouans] il lui ferait couper la tête à
Cordoue dans son lit même. Aussi El-K’alfàt’, pris de
frayeur, s’abstint-il dorénavant. Ce procédé hautement
magnanime d’Ibrahim à l’égard des Cordouans [P 132]
est regardé comme l’un de ses beaux faits, et c’est à ce
titre qu’il a été rapporté par le kâdi Ibn Aboû’l-Feyyâd’.
Antérieurement El-‘OdhriW était venu du Hedjâz auprès
d’Ibrâhîm, qui l’avait traité selon son mérite et l’avait
récompensé somptueusement. Aussi la rumeur publique
proclamait-elle son nom.

Aboû c Amir Sâlimi rapporte dans ses Dorer el-tc’alâ’id
que l’émir, chef, brave, libéral et considéré Aboû Ishâk
Ibrahim ben Haddjâdj ayant entendu parler d’une jeune
esclave de Baghdâd nommée K’amar (*), expédia en Orient
des sommes considérables pour l’acheter, et put ainsi la
faire venir à Séville. Elle ressemblait à une pleine lune
radieuse, parlait bien et élégamment, était versée dans
le chant et les modes musicaux, bref Ibrahim la trouva
tout à fait digne de son nom. Elle faisait aussi des vers
que l’on trouvait agréables et qui plaisaient ; voici par
exemple comment elle réfute ses critiques :

[Basît] Kamar est venue, a-t-on dit, couverte de vête-
ments déchirés après avoir conquis des cœurs par ses œilla-

(1) Je n’ai retrouvé nulle part le nom de ce poète, qui s’appelait
Aboù Mohammed ‘Odhri, d’après les Mus. d’Esp., n, 314.

(2) Ce nom de Kamar (lune) est souvent donné aux jolies esclaves.
Sur celle dont il s’agit, on peut voir encore Makkari, n, 97 ; Tekmila,
n°2114; Mus. d’Esp., H, 314, où figure la traduction partielle des
vers, cités plus loin, dans lesquels Kamar fait sa propre apologie.

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– 212 –

des, alors qu’elle s’en allait dans la boue, courant les routes,
parcourant les unes après les autres les grandes villes du
monde ; mais elle ne figure pas parmi les femmes de nais-
sance de son lieu natal, elle ne sait que faire de la prose
rimée et des vers. — Plus intelligents, les hommes n’adres-
seraient pas de reproches à la merveille *que je suis parmi
eux; est-il donc possible que des hommes bien nés déver-
sent le blâme sur une esclave ! L’être humain ne peut tirer
gloire, en dehors d’une sincère piété envers son Créateur,
que de son intelligence personnelle. Arrière l’ignorance et
celui qui s’y plaît! l’injure et l’ignominie marchent avec elle.
Si à l’ignorante seule était réservé le paradis, j’accepterais
l’enfer imposé parla volonté du Roi des créatures!

“Tout le temps que vécut Ibrahim, elle resta dans la
plus haute et la plus grande situation, toujours des plus
correctement et parfaitement vêtue, servant d’ornement
à son époque, lui faisant un titre de gloire qui relevait
au-dessus de ses concitoyens. Nul de son époque ne put
sous ce rapport en faire autant, ne put obtenir le même
rang” jusqu’au jour où il mourut subitement en 288 (26
déc. 900) W. Il eut pour successeur son fils c Abd er-Rah’-
mân ben Ibrahim ben Haddjâdj, qui gouverna pendant
treize ans et mourut en 301 (7 août 913). Le frère de ce
dernier, Mohammed ben Ibrahim, [P. 133] gouverna à
Carmona tant du vivant de son père que du vivant de son
frère et jusqu’à la mort de celui-ci ; il ne séjourna pas à
Séville ni n’y exerça le pouvoir. On dit qu’à son insti-
gation une jeune esclave versa à c Abd er-Rahmân un
poison qui mit fin aux jours de celui-ci.

(1) Plus loin on trouve la date de 298, que Dozy est disposé à accepter
{Mus. d’Espv il, 321 n.).

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— 213 —

Voici ce que dit Ibn Aboû’l-Feyyâcf : « Mohammed ben
Ibrahim ben Haddjàdj festa seigneur de Carmona après
la mort de son père; il y gouverna bien et y passa des
jours heureux; “son nom était avantageusement connu,
les langues répétaient au loin la reconnaissance qui lui
était due ; de partout on allait le trouver, et d’excellents
vers disaient ses louanges, les visiteurs recevaient des
présents, les louangeurs étaient récompensés”. Après
la mort de son père, ce fut c Abd er-Rahmân, frère dé
Mohammed, qui, en sa qualité d’aîné, obtint le gouver-
nement de Séville, ” mais Mohammed l’emporta sur lui
par les actes louables qui lui valurent les éloges de son
siècle et par ce qu’il montra de ses aptitudes au comman-
dement, de sorte qu’il fut visé par l’envie ainsi que par
la gratitude”. Sa période de gouvernement à Carmona
marqua plus et dura pl.us longtemps que celle de son
frère à Séville ; elle fut de quatorze ans, et il mourut en
302 (27 juillet 914). »

Er-Râzi dit ce qui suit : a En-Nàçir li-din Allah se
rendit maître de Séville en 301 (7 août 913) dans les cir-
constances que voici. c Abd er-Rahmân ben Ibrahim ben
Haddjàdj, qui s’était rendu indépendant dans cette ville
après la mort de son père, étant venu lui-même à mou-
rir, les habitants s’entendirent pour mettre à leur tête
Ahmed ben MaslamaM et repousser Mohammed, frère
d’ e Abd er-Rahmân et seigneur de Carmona ; mais celui-ci
et les siens firent de l’opposition et se rallièrent au prince
chef de la Communauté des fidèles. Alors En-Nâçir en-

(1) Qui était le cousin germain de Mohammed et qui fut choisi par
le parti sévillan désireux de rester indépendant du khalife {Mus.
d’Esp., H, 332 ; cf. infra, p. 169 du texte arabe).

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– 214 –

voya contre Séville des troupes qui livrèrent aux habi-
tants des combats sanglants ; il lit ensuite parvenir à
Mohammed ben Ibrahim Tordre de serrer de près les
Sévillans, lui attribuant le commandement à cet effet et
lui adjoignant K’âsim ben el-Welîd, alors commandant
de sa garde et ami de Mohammed. Ces deux chefs parti-
rent de Cordoue pour Carmona, d’où leurs troupes pous-
sèrent des attaques dans la direction de Séville: ils con-
quirent ainsi les districts d’Aljarafe (*), de Tàlik’a, d’El-
Borr W, etc. Alors Ibn Maslama, seigneur de Séville, se
voyant près d’être pris à la gorge, réclama du secours
au- grand chef du désordre, au maudit Ibn Hafçoûn,
[P. 134] qui vint en personne, le fit sortir de Séville et
l’emmena de l’autre c<Jté de la rivière. L’armée était donc
dans le château-fort de Cabra avec Mohammed ben
Ibrahim et Kàsim ben Welid, qui, se mettant à la tête
des gens de l’entourage du prince, attaquèrent et mirent
en déroute Ibn Hafçoûn. Le vaincu, piquant droit devant
lui, se réfugia dans sa forteresse.

Alors Ibn Maslama, réfléchissant à la querelle qu’il
avait avec son cousin Mohammed ben Haddjâdj, au fait
qu’il était son cohéritier dans la succession de son père
et à ce qu’il ne pouvait rien contre lui, songea à mettre sur
un meilleur pied ses rapports avec le sultan En-Nàçir,
et lui fit offrir par un envoyé de remettre Séville entre
ses mains. Le chambellan Bedr, à la suite de cet appel,
vint prendre possession de Séville sans effusion de sang
et sans combat ; puis, quand il y fut établi, il promit, au

(1) Sur Aljarafe (ech-charaf) , voir t. i, p. 331 n.

(2) Cette lecture résulte d’une correction de Dozy, qui a établi l’exis-
tence d’un district el-horr « du froment » [Rech., 3 # éd., I, 309).

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– 215 –

. nom du sultan, aux habitants convoqués à cet effet, toute
espèce de bienfaits et le maintien avec surcroit des dis-
tributions ( c awâ’id) qui leur étaient faites sous les Benoû
Haddjâdj. Ce discours reçut l’approbation des auditeurs,
et tout marcha parfaitement en ce qui concernait le
chambellan et Ibn Maslama. Le chambellan ensuite s’a-
dressa à Mohammed ben Haddjâdj pour lui faire savoir
que le sultan, ayant pris possession de Séville, lui enjoi-
gnait d’en cesser le siège. Mais Mohammed, au reçu de
cette lettre, en goûta peu le contenu et changea de dis-
positions à l’égard de l’émir. Au mépris de l’obéissance
qu’il lui devait, il quitta la nuit même le château-forl de
Cabra, qu’il occupait avec Kàsim ben Welîd, et se diri-
gea vers Carmona avec ses troupes ; en route, il rencon-
tra des troupeaux appartenant aux Cordouans, les enleva
et les emmena à Carmona, où il se prépara ouvertement
à la résistance. Cependant il les restitua tous à la suite
des ordres qu’En-Nâçir lui fit transmettre par le major-
dome *^1 w^Lo.

Après le retour de ce dernier à Cordoue, Mohammed
ben Haddjâdj se porta avec ses troupes de Carmona sur
Séville-, où il arriva le matin, et attaqua cette ville, dont
les fortifications étaient partiellement détruites et qu’il
espérait enlever; mais il dut fuir devant la sortie orga-
nisée par le gouverneur qu’y avait nommé l’émir, et
regagna Carmona.

D’autre part En-Nâçir, en apprenant cette attaque,
envoya des troupes de renfort au gouverneur, qui remit
la ville en état de défense de manière à ne plus redouter
les attaques de Mohammed ben Haddjâdj. En présence
des dispositions hostiles de celui-ci, [P. 135] En-Nâçir
lui dépêcha, pour le ramener à de meilleurs sentiments,

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– 216 –

son ami Ibn Welid, qui réussit enfin à le persuader.
Mohammed envoya son intime au prince, qui le reçut et
écouta les propositions faites de vive voix au nom de
Mohammed, à savoir qu’il quitterait Carmona en y lais-
sant un lieutenant nommé par lui et viendrait habiter
Cordoue. Le prince agréa tout et promit de satisfaire
entièrement aux demandes de Mohammed, qui, après
avoir reçu son messager, porteur de ces promesses,
quitta Carmona en ramadan 301 (31 mars 914) et se ren-
dit à Séville avec les principaux de sa famille et une
troupe de guerriers. L’émir leur fit distribuer des vête-
ments d’honneur et des présents proportionnés aux
rangs et aux places de chacun auprès de Mohammed, et
les traita très libéralement. Il fit de même pour Moham-
med, qu’il attacha à sa personne et à qui il donna aussi-
tôt une place de vizir en le comblant de qualificatifs
élevés. Puis il entreprit une expédition et se fit accom-
pagner par lui en cette qualité.

H’abîb ben c Omar, nommé par En-Nâçir gouverneur
de Carmona, se fortifia dans cette ville [pour se sous-
traire à l’autorité souveraine]. Le prince alla l’y assiéger
et se fit suivre de Mohammed ben Haddjâdj en qualité
de vizir. Des envieux de ce dernier le dénoncèrent au
prince comme étant secrètement de connivence avec Ibn
e Omar et faisant marcher celui-ci. Alors En-Nàçir le des-
titua du vizirat et le fit emprisonner avec Ibn Welîd, chef
de la garde; mais ces deux personnages furent ensuite
rendus à la liberté. Peu de temps après cela, en chawwàl
302 (19 avril 915), Mohammed ben Haddjâdj mouruU 1 ).

(1) Ces faits sont exposés d’après notre texte dans les Mus. d’Esp.,
Il, 338.

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– 217 –

4 OMAR BEN HAFÇOUN SOUS LE RÈGNE DE L’ÉMIU 4 ABD ALLAH.

* Quand e Abd Allah, montant sur le trône khalifal,
reçut des provinces les lettres de fidélité et que tous les
hommes reconnurent son autorité, *Omar ben Hafçoûn,
tout rebelle obstiné qu’il était, malgré son orgueil et les
ravagés auxquels il se livrait, crut devoir rentrer dans
la Communauté et se soumettre aux lois de l’obéissance
qu’il devait au prince. Il envoya donc à Cordoue son fils
H’afç et quelques-uns de ses partisans pour conclure
avec l’émir un traité de paix solennel et définitif, que
plus rien rie pût changer, qu’aucune difficulté ne pût
arrêter, sous la condition que lui f Omar resterait à Bo-
baslro en qualité de fidèle et obéissant sujet. [P. 136]
L’émir, agréant ces bonnes dispositions, consentit à le
laisser à Bobastro, traita magnifiquement son fils et ses
envoyés, leur fit de nombreux cadeaux et fit partir avec
eux c Abd el~Wahhâb ben c Abd er-Ra’ouf, nommé gouver-
neur du canton de Malaga et chargé de participer avec
Ibn Hafçoûn à l’administration, aux nominations et aux
révocations. Cette communauté de pouvoirs dura jus-
qu’au jour où ibn Hafçoûn, prenant le dessus, expulsa
du canton c Abd el-Wahhâb dépouillé de tout. Alors il
donna libre carrière à ses crimes, ses hostilités et ses
méfaits redoublèrent, si bien que les villages furent près
de se vider et le peuple près d’émigrer ; toutes les bour-
gades de la campagne de Cordoue étaient couvertes de
cavaliers, livrées à l’avilissement et au malheur, et le
maudit, s’étant emparé d’Ecija et d’Archidona, les mit
en parfait état de défense et y installa toutes sortes de
machines de guerre”.

^Quand l’étnir c Abd Allah vit Cordoue ainsi cernée et

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– 218 –

ses environs victimes d’une guerre néfaste, il fît planter
la tente royale dans la banlieue du faubourg, à Secunda;
quand les piliers en furent placés, que les cordes et les
liens en furent tendus, Ibn Hafçoûn lança de la cavalerie
contre Secunda dans le but de s’emparer de cette tente,
de se précipiter sur la ville et de la cerner. Mais aussitôt
des cavaliers s’élancèrent contre les agresseurs, les éloi-
gnèrent et, arrivant jusqu’à Hafçoûn, le repoussèrent et
l’empêchèrent d’avancer par là. Il se réfugia alors dans
un château-fort, à Cabra, et l’émir, rassemblant les Cor-
douans au nombre d’environ quatorze mille, marcha
contre Ibn Hafçoûn et ses recrues au nombre d’environ
trente mille; son attaque les mit en débandade, les
sabres leur travaillèrent les reins et coururent sur leurs
traces au point que la terre s’abreuva de leur sang.
L’émir c Abd Allah pénétra dans les forts qui avaient
secoué son obéissance et qui alors repassèrent sous son
autorité”.

Ibn c Abd Rabbihi a fait à ce propos les vers que voici :

[Kàmil] Ibn Hafçoûn a cherché à s’échapper, mais l’épée
le poursuivait et il n’a pu réussir ; |P. 137 1 c’était par une
nuit obscure, qu’on aurait pu prendre pour celle de l’ascen-
sion du Prophète. Cette guerre, que chaque année il sème,
vient de lui donner ce triste produit. Nos ennemis ont dû
fuir en un petit groupe qui sait par expérience les suites de
la nuil et des marches nocturnes. Demandez-leur de qui ils
sont les clients, la réponse sera que toute nuit sombre les
compte parmi les siens.

* Après son retour à Bobastro, Ibn Hafçoûn rassembla
ses compagnons, en fît dresser une nouvelle liste et,
marchant avec eux vers Elvira, il promena dans cette

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– 219 –

région une guerre sauvage, si bien qu’il en resta maître
et par ruse s’empara du gouverneur. Alors l’émir c Abd
AUàh envoya contre lui des soldats commandés par Ibn
Aboù c Abda. Quand les deux troupes se rapprochant
furent en vue Tune de l’autre, la cavalerie d’Ibn Aboû
e Abda se précipita sur celle d’IbnHafçoûn, la bouleversa
et fit disparaître jusqu’à ses traces. Le rebelle, griève-
ment blessé, dut se retirer sans remporter aucun avan-
tage, gagner les endroits abrupts, supporter l’humilia-
tion et l’ignominie et retourner, battu, endommagé et
avili, dans le fort de Bobastro. Mais il reprit ensuite ses
anciennes habitudes, ses procédés d’insurgé et de dé-
vastateur”. Cependant l’émir c Abd Allah mettait ses forces
en déroute, par les coups qu’il lui portait jetait la frayeur
dans son cœur, si bien que ses ardeurs s’éteignaient,
que le dégoût prenait ses compagnons et soutiens. c Abd
Allah étant mort et En-Nâçir étant monté sur le trône,
il s’empressa d’obéir et de rentrer dans la Communauté
des fidèles, puis de nouveau il devint traître à ses ser-
ments jusqu’à ce que le cours du temps amenât sa dispa-
rition”.

ÉNUMÉRATION DES INSURGÉS QUI, SOUS LE RÈGNE DE L’ÉMIR

4 ABD ALLAH, SORTIRENT DU SEIN DE LA

COMMUNAUTÉ ET ALLUMÈRENT LA GUERRE CIVILE.

Le premier de tous fut Ibn Hafçoûn précité, dont nous
dirons le reste de l’histoire en suivant l’ordre chronolo-
gique.

Sawwâr ben H’amdoûn se révolta dans le château-fort
de Monte-Xicar 0), d’où il marcha avec ses compagnons

(1) C’est l’ancien Monte-Sacro, au N. E. de Grenade, près dn Gua-

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– 220 –

contre Dja ç d (*), gouverneur d’Elvira, * qu’il battit et fit
prisonnier, non sans l’avoir fait passer par une journée
pénible; puis il le rendit à la liberté après l’avoir com-
blé de dons, [P. 138] et le gouverneur gagna sa ville
d’Elvira, où habitaient sa famille et ses enfants. Sawwâr
se dirigea vers Grenade et attaqua les châteaux-forts
d’Ibn Hafçoûn. Les gens d’Elvira, au nombre de vingt-
trois mille environ, s’étant alors rassemblés, Sawwâr, à
la tête d’une faible troupe, marcha contre eux et les
força de chercher un refuge dans la fuite, les trans-
forma en atomes semés dans l’atmosphère; la mort pla-
nant sur eux les cacha de son ombre, et il en massacra,
dit-on, douze mille.” Cette affaire est de 276 (6 mai 889).
Il y eut entre Sawwâr et Ibn Hafçoûn diverses rencon-
tres “où celui-ci, mis en déroute, dut honteusement
tourner les talons, fut grièvement blessé et perdit ses
officiers. Le rebelle Dja c d, qui était à Elvira, était pour
Ibn Hafçoûn un compagnon d’hypocrisie, s’entendait (?)
avec lui pour ravager ces régions^ 2 ). Il ourdit une ruse
pour se rendre par la trahison maître de Sawwâr et y
consacra tous les soins d’un adversaire. Il entreprit un
jour une expédition contre lui après avoir disposé une
embuscade : il sortit en personne avec une faible troupe,
se livra au pillage et fit du butin. Alors Sawwâr, dans
la croyance que son ennemi n’avait pas en arrière des

dahortuna (Simonet, Desc7 % ipcion, p. 92; Mus. d’Esjy., n, 212 et s.,
dont il faut voir le récit).

(1) Il est appelé Dja’d ben l’affaire où Sawwâr le fit prisonnier s’appelle bataille de Dja’d {Mus.
d’Esp., H, 216).

(2) Il n’est pas question de cette conduite équivoque de Dja’d dans
les sources employées par Dozy, qui ne mentionne d’ailleurs pas ce
passage (Ib., 231 n.).

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– 221 –

troupes de renfort ou de secours, poussa du côté de
l’embuscade; il s’avança donc, se croyant sûr de vaincre
et de rester le plus fort, à la tête des gens du pays. Mais
quand il se fut mis à Taise comme un homme joyeux et
sans contrainte, les soldats embusqués bondirent sur lui
à l’instar des sauterelles disséminées, les cavaliers l’en-
tourèrent et il périt, ses troupes battues et dispersées
opérèrent leur retraite. Dja c d, seigneur d’Elvira, envoya
alors à Ibn Hafçoûii la tête de Sawwàr en l’informant du
revers et des pertes de leurs ennemis. *

“A cette époque, Sa e id ben DjoûdH 1 ) se souleva à la
tête des Arabes, opposa à Ibn Hafçoûn la guerre et les
tromperies, le serra à la gorge, le mit hors d’état d’aller
et de venir à son gré. Le rebelle alors eut recours à la
ruse et à la fraude à défaut de la force et de la puissance,
si bien qu’il s’empara d’Ibn Djoûdi, qu’il retint prison-
‘ nier et enchaîné à Bobastro pendant plusieurs mois, jus-
qu’au jour où il reçut [P. 139] des sommes considéra-
bles contre lesquelles il le relâcha Comme Ibn Djoûdi
dirigea alors tous ses efforts dans un sens hostile à l’émir
c Abd Allah, celui-ci, recourant à la ruse, le fit tuer par
trahison dans la maison d’une juive qui était sa maî-
tresse ( 2 ). Celui qui alors se trouva placé à la tête des
Arabes du pays d’Elvira fut Mohammed ben Ad’h’â< 3 ),

(1) Sa’kl ben Soleymàn ben Djoûdi, après avoir chanté les exploits
de Sawwàr, fut choisi par les Arabes pour remplacer celui-ci (Mus.
d’Esp., il, 226). Dhabbi ne lui accorde qu’une sèche mention en deux
lignes (n* 795) ; mais de longues notices lui sont consacrées par Ibn
el-Abbàr [Notices, 83) et par Lisàn ed-Dîn (f. 218 V du ms 3347 de
Paris, article reproduit ib. p. 258) ; cf. ms 3331 de Paris, f. 78 v°.

(2) Ibn Djoûdi, dont la légèreté et les imprudences avaient écarté
de lui une portion du parti arabe, fut tué par un mari trompé, d’après
Dozy {ib., ii, 195). Cf. ci-dessous, p. 225.

(3) Un article lui est consacré dans la Hollat, p. 98.

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– 222 –

qui reconnut ouvertement l’autorité de l’émir e Abd Allah
et qui n’hésita pas à combattre Ibn Hafçoûn de la lance
et de l’épée. Mais celui-ci l’ayant vaincu et fait prison-
nier, les Arabes payèrent pour sa rançon une somme
considérable, après quoi éechef continua de rester fer-
mement fidèle à l’émir/

Les Arabes se soulevèrent aussi à Séville, s’emparè-
rent du gouverneur de cette ville, ” mirent au pillage ses
biens acquis et héréditaires, ne respectant que sa famille
et ses enfants ; ils tuèrent quantité de ses compagnons
et exercèrent à leur gré, sans souci de son autorité, des
ravages. Alors les troupes de Carmona et des autres can-
tons se concentrèrent, entourèrent Séville comme d’une
sphère circulaire, se rendirent maîtres des rebelles qui
s’y trouvaient et en tuèrent une partie, dans une affaire
connue sous le nom de Journée du troupeau_de chameaux
Ut*/

” Ibrahim ben Haddjâdj s’empara de Séville, d’où il
dirigea ses attaques et ses méfaits contre les environs
de Cordoue; il se lia avec Ibn Hafçoûn pour commettre
partout des ravages et (tâcher d’)occuper Cordoue cette
année même. L’un et l’autre emportèrent des places
fortes et des châteaux-forts, consacrèrent leurs efforts
aux luttes et aux combats, jusqu’au jour où l’entente qui
les liait, les contrats solennels qui les unissaient vinrent
à se rompre. Ibn Haddjâdj conclut la paix avec l’émir
c Abd Allah, qui le confirma dans sa situation à Séville,
lui en remettant la direction, lui en confiant les cantons
ainsi que le droit d’y exercer le commandement. ”

Deysem ben IshâkW excita également des troubles et

(1) Sur ce chef, voir Ibn el-Koutiyya, f. 46 ; Mus. d’Esp., n, 263.

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– 223 –

s’empara des deux villes de Lorca et de Murcie ainsi que
des portions du canton de Todmir qui les avoisinent. Il
était aimé des diverses classes de la population, doux à
l’égard de ses administrés, libéral ; les poètes et les litté-
rateurs, qu’il traitait généreusement, se rendaient de
toutes parts auprès de lui.

c Obeyd Allah ben Omeyya s’empara du gouvernement
de Jaën et pénétra dans le chàteau-fort de [Cazlona]* 1 ) et
d’autres encore.

[P. 140] e Abd er-Rahmân ben Merwân, connu sous
le nom de Galicien (Djalik’i), s’installa à Badajoz et à
Mérida et se sépara de la Communauté des fidèles ; il
protégea et fréquenta les chrétiens de préférence aux
musulmans.

c Abd el-Melik ben Aboû’l-Djawâd s’installa à Béja,
dont il se rendit maître ; il se fortifia dans le château de
Mertola et se rendit assez puissant par les constructions
qu’il y éleva et les approvisionnements dont il se munit.
Des traités le liaient à Ibn Merwân, alors seigneur de
Badajoz, et à Ibn Bekr, seigneur d’Ocsonobat 2 ), de sorte
que tous les trois se réunissaient pour tenir tête à leurs
ennemis.

(1) Le uom de cette place a été omis dans le texte, et est dû à une
conjecture de Dozy. Cazlona (Gastulo), à une lieue S. de Linares, est
un amas de ruines dont le Castro de la Magdalena forme le point le
plus important (Boletin de la R. Ac, t. 38, p. 458). Quant à ‘Obeyd
Allah ben Omeyya, on verra plus loin qu’il est souvent appelé Ibn
ech-Châliya, seul nom sous lequel Dozy le cite.

(2) L’Algarve actuelle, province la plus méridionale du Portugal.
Les ruines d’Ocsonoba, aujourd’hui Estoy, sont au nord de Faro ; ce
nom est diversement orthographié en arabe (Dozy, Recherches, h, 277 ;
de Goëje, Jakubi, p. 112; Merâcid, i, 85). Le nom du chef de celte
province est Bekr ben Yahya ben Bekr ; il était arrière-petit-fils d’un
chrétien nommé Zadulpho (ci-dessous; Dozy, Mus. d’Esp., n, 261).

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– 224 –

Ibn esrSelim, c” est à dire Mondhir ben Ibrahim befr
Mohammed ben es-Selim, se souleva à Médinat Ibn es-
Selîm, dans le canton de Sidona, ville qui tirait son nom
de son aïeul. Son administration ne mérite aucun repro-
che, mais il ne montra aucune velléité de soumission
jusqu’au jour où il périt massacré par son rnamlouk Ga-
lindo. Il eut pour successeur Welid ben Welid, qui,
au plein de son pouvoir, fit sa soumission au khalife
e Abd er- Rahmân en- Nâçir .

Mohammed ben e Abd el-Kerîm ben Elyàs se fortifia
dans le fort de Ward^, dans le canton de Sidona, et fît
de son mieux pour exciter des troubles; cela dura jus-
qu’au jour où En-Nâçir le força de se rendre, comme il
fit pour d’autres agitateurs. Il mourut à Cordoue.

Kheyr ben Châkir s’établit dans le château de Jodar,
dans le canton de Jaën, et prêta aide au grand agitateur
e Omar ben Hafçoûn, qui plus tard l’attaqua traîtreuse-
ment et envoya sa tête à l’émir e Abd Allah < 2 ). e Omar ben Mod’imm Benzoûti (ou Hetroûli), connu sous le nom de Mellâhi, était un soldat régulièrement inscrit sur les listes, qui attaqua le gouverneur de la capitale [Jaën] et, après l’avoir massacré, s’empara deUakaçba. Sa c id ben Hodheyl se souleva dans le château de Mon- teléon, province de Jaën( 3 ); il en éleva et fortifia solide- ment la kaçba ; il resta en état d’insurrection jusqu’au (1) C’est, d’après Fera. Gonzalez, Alcàla de los Gazules. Hiçn aï- Ward est cité par Simonet (Descripeion, 135). |2) Les circonstances où il périt sont racontées ci-dessus,, p. 202. (3) Ce lieu est mentionné par le Meracid (m, 155), mais non par Edrisi. Il en est maintes fois question dans notre auteur ; il paraît se trouver du côté d’Iznajar et Luque (Simonet, 129 et 320). Digitized by Googk – 225 – jour où, forcé par En-Nàçir de se rendre, il alla habiter Cordoue, et y resta jusqu’à sa mort. Sa e îd ben Mastana se révolta dans le canton de Priego, dont il occupa les chàteaux-forts. Il acquit une grande puissance et fit beaucoup de mal partout. D’entre les châteaux qu’il conquit il s’occupa spécialement de quatre, auxquels il donna une force et une inexpugnabililé sans pareilles. Les Benoû Hâbil, qui étaient au nombre de quatre, l’aîné Mondhirben H’oreyzben Hâbil, et ses frères Aboû Kerâma Hâbil ben H’oreyz, c Amir et c Omar, [P. 141] se révoltèrent dans un des châteaux de Jaën sous le règne d’ e Abd Allah. Ils répudièrent l’obéissance de ce prince, se mirent à faire des razzias et provoquèrent ainsi le concours des hommes de désordre; mais ensuite ils se rendirent contre une promesse d’amnistie, et à partir de ce moment se montrèrent fidèles et dévoués serviteurs. Ishâk ben Ibrahim ben c AtTâf c Ok’ayli se révolta dans le château de Mentesa, qu’il construisit et fortifia ; il s’y maintint jusqu’à ce qu’il se rendit au khalife En-Nâçir; il fut installé à Cordoue et y mourut. Sa c îd ben Soleymân ben Djoûdi fut choisi, pour être leur chef, par les Arabes de Grenade et d’Elvira, et tint leurs affaires en ordre jusqu’au jour où deux de leurs chefs recoururent à une ruse pour le tuer. Lui mort, les affaires des Arabes de cette région ne purent plus être remises sur pied. Mohammed ben Ad’h’â ben c Abd el-Lat’if Hamodâni, qui était l’un des plus nobles parmi les descendants des Arabes, leva l’étendard de la révolte dans le canton d’El- vira et resta dans l’insoumission jusqu’à la mort de l’émir e Abd Allah. En-Nâçir l’amena à quitter son château et à 15 Digitized by Googk se rendre, de même que bien d’autres révoltés. Cet Ibn Ad’h’â, en dépit de son caractère mâle, était lettré et disert; il tenait sa place dans les réunions littéraires chez les khalifes, s’exprimait très bien et savait tourner des compliments; il fut le héros d’histoires bien connues. Bekr ben Yah’ya ben Bekr s’établit dans la ville de Santa Maria du canton d’Ocsonoba, y fit des constructions et la transforma en un château-fort qu’il munit de portes de fer. Il avait toute une administration, désarmements, de braves soldats, d’abondants approvisionnements. Lui- même comparait son pouvoir à celui d’Ibrâhîm ben Had^ djâdj. Il était entouré d’un conseil et avait une adminis- tration des finances; d’après des prescriptions formelles, tous ceux à qui il commandait avaient à nourrir les voya- geurs, à héberger les étrangers, à veiller à la sûreté des passants, de sorte que l’on pouvait voyager sur son ter- ritoire avec autant de sécurité que chez soi ou chez des proches. Les deux fils de Mohalleb, chefs berbères portant les noms deKhalîl et de Sa c id, se révoltèrent dans le canton d’Elvira, ainsi qu’y firent les autres chefs leurs sembla- bles; ils moururent insoumis, mais En-Nâçir amena leurs enfants à composition. Soleymân ben Mohammed ben e Abd el-Melik de Si- dona se souleva à Xérès et à Sidona; il éleva la ville et le château-fort de Lebrija. Les deux fils de George W se révoltèrent dans le châ- teau-fort de BakoûH 2 ) et se livrèrent à des déprédations. (1) Ibii Bessàm a consacré une notice de son t. in à un vizir nommé Aboû Dja’far ben Djordj (George). (2) F. Gonzalez rapproche le nom de cette localité de la région de Grenade avec Buccor (voir p. 299) ; c’est aujourd’hui Bacor (Simonet, p. 104; cf. p. 307). Digitized by Googk SF^’V — 227 — Ils furent chassés de ce fort, puis e Abd el-Wahhàb mou- rut; [P. 142] quant à Mohammed ben c Abd er-Rahmân ben George, il se rendit auprès d’Ibn ech-Cbâliya, qui était lié d’amitié avec lui et qui l’accueillit. Il fit élever pour lui, dans le canton de Jaën, le château-fort de Mo- rina •*), où ce chef demeura jusqu’au jour où En-Nâçir l’amena à composition et l’installa à Cordoue, Aboû Yahya [Mohammed ben *Abd er-Rahmân] To- djibi, connu sous le nom dTSl-Ank’ar, se révolta à Sara- gosse et dans les cantons qui dépendent de cette ville, dont il se rendit maître après avoir tué le gouverneur qui y avait été nommé par le sultan, Ahmed ben el-Barrà Korachi. Cela fait, il se montra disposé à la soumission, et s’adressa à l’émir e Abd Allah en accusant Ibn ei-Barrâ d’avoir songé lui-même à s’insurger. Le prince accepta ses dires et l’investit du gouvernement de Saragosse, où Todjibi s’établit solidement W. Vers la fin de rebî e I 283 (première quinzaine de mai 896), l’émir c Abd Allah fit marcher contre le canton de Todmir des troupes confiées à Hiéhâm ben e Abd er-Rah- mân ben el-Hakam, à qui fut adjoint en qualité de géné- ral Ahmed ben Aboû c Abda ( 3 ). Quand il fut campé sur la rivière de Bollon (Guadabullon), un parti de cavalerie fut lancé en avant; il se rendit maître en cet endroit d’un château-fort qu’il mit au pillage, puis, comme de nom- breuses recrues du pays se réunissaient, il s’éloigna à (1) Parait être aujourd’hui N« S* de Mariena (F. Gonzalez, p. 312) ; il n’en est fait mention ni par Edrisi ni par Simonet. (2) Cf. Ibn el-KoùJiyya, f. 48, ainsi que l’exposé complet de cette affaire in Recherches, 3* éd., i, 217. (3) Cette campagne parait bien être celle dont il est question, sans que la dale en soit fixée, dans Ibn el-Koutiyya (f. 45 V et 46). Digitized by Googk – 228 – marches forcées et alla camper d’abord à Murcie, ensuite près de Lorca. De cette dernière ville Deysem ben Ish’àk fit une sortie et lui livra bataille, mais il fut mis en dé- route et dut rentrer à Lorca, dont l’investissement com- mença. Puis, comme les assiégeants commençaient à se retirer, Deysem organisa une sortie et tomba sur l’ar- rière-garde; mais lés troupes de Ternir firent volte-face, le battirent et le poursuivirent, si bien que son cheval lut pris et qu’il ne put que se sauver à pied en se jetant dans des endroits abrupts. Les vainqueurs se retirèrent sains et saufs, mais ils avaient, au cours de cette campagne, été éprouvés par le manque d’eau : trente-deux d’entre eux moururent de soif, et un grand nombre de montures périrent W. En 284 (8 fév. 897), e Abd Allah fit marcher son fils Abân contre Niebla, car Ibn H’oçayb s’était révolté de ce côté et occupait le château-fort de Mont-Mayor (*). Abân investit cette place et l’attaqua avec des machines de guerre, si bien que les assiégeants, réduits à merci, offrirent de se soumettre, et l’amnistie leur fut concédée. Mais dans Pentretemps Ibn Hafçoûn avait pour la se- conde fois pénétré dans Ecija, et un ordre de l’émir en- joignit aux assiégeants, à cause de cette affaire, de bat- tre promptement en retraite, ce qui fut fait. [P. 143] (1) Sous Tannée 283, des combats entre Lope ben Mohammed et Mohammed et-Tawîl sont encore mentionnés par Ibn Hayyân (ap. Codera, Boletin de la R. A., t. 36, p. 320). (2) Ce Mont-mayor, situé du côté de Niebla, paraît être diffèrent de deux localités qui portent le même nom, Tune près de Coïmbre, l’autre non loin de Malaga (Edrisi, p. 222 ; Mus. d’Esp., iv, 278 ; Mak- kàri, i, 91 ; Simonet, Descripcion, p. 132). Je n’ai pas retrouvé ailleurs le nom d’Ibn Hoçàyb (ainsi vocalisé par Dhehebi). Digitized by Google – 229 – Cette expédition, qui fut la première d’Abân, avait duré deux mois et demi. En 285 (28 janv. 898), Abân, fils de l’émir e Abd Allah, fit contre Ibn Hafçoûn une expédition où Ibn Aboû e Abda lui fut adjoint en qualité de général. En la même année aussi, e Abbàs ben r Abd el- e Azîz fit une expédition contre le château de Caracuel et la mon- tagne dite Djebel el-BerânisW; il tua Ibn Yâmin ainsi qu’Ibn Mawdjoûl, et s’empara des châteaux qu’ils occu- paient * 2 >.

En la même année, Lope ben Mohammed s’avança de
Tolède vers la région de Jaën et investit le château-fort
de Cazlona, où se trouvaient des chrétiens qui se livraient
à des attaques contre c Obeyd Allah ben Omeyya, connu
sous le nom dlbn ech-Châliya. Il s’empara de ce château
et y massacra les étrangers f?^t qu’il renfermait. Ce fut
là qu’il reçut la nouvelle que son père Mohammed ben
Lope avait péri en assiégeant Saragosse< 3 ).

Une violente disette sévit, qui valut à cette année le
nom d’année incroyable ^U J ‘ù~* .

En 286 (17 janv. 899), Ibn Hafçoûn fit profession pu-
blique de christianisme, ce qu’il avait toujours caché
jusque-là; il conclut des traités avec les chrétiens.

(1 ) I/indication de notre auteur, répétée plus loin, p. 164 du texte ,ar.,
permet de localiser cette montagne, réputée pour le mercure qu’on y
trouve ; ce doit être, non Almaden de la Plata, mais la Sierra de
Almaden. Elle n’est mentionnée ni par Edrisi ni par Abouféda ni dans
le Merâcid; mais voyez Makkari, i, 91 ; Kazwîni, i, 257, en marge de
Téd. de Demîri, Boulak, 1302 ; ms 2323 de Paris, f. 115 ; mss d’Oxford,
965 Uri, f. 74 ; 907 d% f. 98 V ; 892 d% p. 378 ; 900 d% f. 153 V ; Mer-
râkechi, H. des Almohades, trad., p. 310.

(2) Je lis U^ji^osw .

(3) Cf. Recherches, 3* éd., i., 220.

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Cm*-

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:^^s

— 230 —

complota avec eux et s’éloigna des musulmans, qu’il
combattit ouvertement. Aussi bien des gens l’abandon –
nèrent-ils : ainsi ‘Awsadja ben eI-Khali c se prononça
contre lui et éleva le château-fo’rt de K’anît’W, où il sou-
tint la cause de Ternir e Abd Allah et engagea les hostili-
tés avec Ibn Hafçoûn. Ce dernier eut, à partir de ce mo-
ment, d’incessantes attaques à repousser, car tous les
musulmans reconnurent qu’ils faisaient ainsi la guerre
sainte ; campagnes d’hiver et campagnes d’été se succé –
daient sans interruption, les généraux ne se lassant pas
dans leurs marches et contremarches. C’est à ce propos
qu’Ibn K’olzom < 2 > a dit à Ibn Aboû e Abda :

[Motakârib] En toutes circonstances, tu lais deux campa-
gnes, Tune d’été l’autre d’hiver : celle-là détruit l’ennemi,
celle-ci remplit le trésor de l’imàm.

En 287 (7 janv. 900j, la campagne d’été se poursuivit à.
travers les cantons de Moron, de Sidona et de Malaga.

Le général Ibn Aboû *Abda tua T’àlib ben Mawloûd* 3 )
de Moron.

Ish’âk’ et son compagnon, guerriers d’ibn Hafçoûn,
furent crucifiés. Ce fut alors que commença à s’employer
le proverbe «Tu m’as trompé, ô Ish’âk’ », parce que l’un
d’eux, étant sur l’instrument du supplice, adressa ces
mots à son compagnon.

[P. 144] En 288 (26déc. 900), on prit des otages d’ibn

. (1) Canete la Real (F. Gonzalez, p. 301 ; Mus. d’Esp., n, 318; Simo-
not, Description, p. 128).

(2) Je n’ai pas retrouvé ailleurs de mention de ce poète, dont le
nom figure dans Khochani (ap. Mus. d’Esp., h, 297).

(3) C’était un Maaddite qui occupait les forteresses de Montefique
et de Monteagudo {Mus. d’Esp., h, 300).

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— 231 –

Hafçoûn ; la campagne d’été se poursuivit à Sidona et
dans les cantons voisins.

En la même année il y eut une grande inondation à
Cordoue, où une pile du pont fut emportée. *

Ahmed ben Mo’âwiyaW, descendant de Pimâm Hi-
châm, quitta Cordoue pour se rendre au Fah’ç el-Balloût,
puis se porta jusqu’à Truxillo, où il resta peu de temps.
Des partisans se groupèrent autour de lui, et il entra
alors à Zamora, où il fut tué au commencement du mois
de rebi e I (février 901).

En 291 (24 nov. 903), une expédition contre Malaga fut
entreprise par Abàn, fils de Timâm c Abd Allah; (b la
cavalerie était commandée par Ahmed ben Mohammed
ben Aboû e Abda. Il se mit en marche le jeudi 5 djomâda II
(23 avril 904) 6)( 2 ) et poussa jusqu’à la rivière de Nesca-
nia [près d’Antequera], non loin de laquelle il dressa son
camp. e Omar ben Hafçoûn marcha contre lui et lui livra
un combat acharné, où il finit par être battu en subis-
sant des pertes considérables. Après quoi le vainqueur
livra aux flammes les bourgades situées sur cette rivière
el dans les environs &K II transporta ensuite son camp
près de la rivière de BînechW proche deBobastro, et les

(1) Ce prince se posa en prétendant et revendiqua la qualité de
Mahdi. On trouve le récit de cette affaire dans les Mus. d’Esp., m, 27.

(2) J’encadre entre deux b les passages qui figurent dans le ms de
Gotha ; voir la note 2, p. 180, du t. i de cette traduction.

(3) A ajoute ici : « Il se porta ensuite sur Torox du côté de Loja et
attaqua ce chàteau-fort à l’aide de machines de guerre, de même que
celui d’Er-Rajdjol (?). Cette campagne se prolongea pendant* trois
mois», puis il passe à Tan 292.

(4) Il faudrait entendre par là, selon Simonet (p. J26), le Rio de las
Vinas, lequel serait le Guadalhorce ; mais dans Ihn Hayyàn, il est
question de la rivière de Bohastro (voir la trad. Fernandez Gonzalez,
p. 301 ; Dozy, Corrections, p. 51).

– 232 –

combats continuèrent entre ses troupes et celles d’Ibn
Hafçoûn, qui furent mises en déroute, laissèrent des
leurs sur le terrain et dont des chevaux eurent les jarrets
coupés; toutes les bourgades de cette région devinrent
la proie des flammes. De là il se porta à l’étape de T’al-
h’ira (*), où il passa quelque temps, livrant chaque jour
à Ibn Hafçoûn des combats où l’avantage lui restait et
au cours desquels [P. 145] fut incendiée une métairie
appartenant à Dja e far ben e Omar ben Hafçoûn. Pendant
cçtte campagne, des attaques furent également dirigées
contre Torox et Er-Radjol( 2 ); le frère de Zîni fut tué,
de même que bon nombre des braves d’Ibn Hafçoûn. Les
machines de guerre dressées contre Er-Radjol (Er-
Rah’ai ?) y causèrent du dommage et ouvrirent une brè-
che dans les fortifications. Ensuite Ahmed ben Moham-
med ben Aboû e Abda, chef de la cavalerie, arriva du
château-fort de Loja( 3 ) à la tête de détachements de cava-
liers équipés à la légère, et se porta contre le château
d’El-KhochanW, qu’il attaqua, tandis qu’il avait laissé
Abân ben e Abd Allah campé sous les murs de Loja. Au
cours des attaques qu’il dirigea contre cette place, il tua
un certain nombre des habitants et en fit d’autres pri-

(1) Talhara, dans la province de Grenade, d’après F. Gonzalez,
p. 314 ; cf. Simonet, p. 127 et 128. On trouve aussi plus loin l’ortho-
graphe Taldjîra.

(2) Ce nom est orthographié er-r.clj.l ou er-r.lï.l ; il ne figure pas
dans la liste dressée par Simonet des châteaux dont il n’a pu déter-
miner remplacement actuel {Description, p. 127 et 128).

(3) Place arrosée par le Genil, à 25 milles de Grenade (Edrisi, p. 250 ;
Simonet, Description, p. 95).

(4) C’est à dire Ojen, dans le district de Marbella, d’après F. Gon-
zalez, p. 298; mais Simonet (l. /., p. 96) déclare ignorer à quelle
localité correspond la dénomination arabe (cf. cependant le même,
p. 132, « Joœan û Ojen »).

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– 233 –

sonniers ; il emmena ces derniers et emporta les tètes
des victimes à Loja. Ensuite ces troupes regagnèrent
Cordoue, où elles arrivèrent le vendredi 25 ramadan
fil août 904), après une absence de trois mois et vingt
jours.

Lope ben Mohammed marcha contre BâyechW dans
la région d’Alava, au mois de ramadan (juillet-août 904),
et il enleva le château de ce nom ainsi que le territoire
environnant. Le chrétien Alphonse [III], qui était alors à
assiéger le château de e Arnoûn (*), déguerpit en appre-
nant la conquête de Bâyech par Lope ben Mohammed.

En cette même année, en dhoû’l-hiddja, Lope ben
Mohammed s’avança du côté de Belyârech [Pallars] et
conquit les châteaux de Lahrounka ( 3 ), d’iiàs, de Kachtil
Chant et de Moula W; dans ces diverses places il tua
environ sept cents renégats (*ildj) et fit un millier de
captifs.

Le juriste cordouan Dja c far ben Yahya ben Mozeyn( 5 )
mourut; il avait reçu les leçons de son père et d’autres
maîtres.

Le kâïd Ahmed ben Hâchim mourut également, à l’âge
de soixante-quatorze ans, à Grenade, où il fut inhumé.

(1) Nom d’une région de la province de Saragosse, dit leMeràcict,
qui orthographie Bayes, v ^^ ; cf. F. Gonzalez, p. 300.

(2) Lecture très douteuse, ce mot étant dépourvu de points diacri-
tiques. Le Meracid ne fournit aucun nom de ce genre commençant
par un c ou l (Alagon ?).

(3) Nom également dépourvu de points diacritiques (Longares’?).

(4) Une place dont le nom est orthographié de même, le Mula
actuel, se trouve non loin de Murcie et est deux fois citée par Edrisi
(p. 210 et 239). C’est avec elle que F. Gonzalez a erronément identifié
(p. 312) la localité ici mentionnée. Peut-être Muel ou La Muela?

(5) Une courte mention, conçue dans des termes presque identiques,
lui est accordée par Jbn el-Faradhi (n* 316) et par Dhabbi (n # 613).

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– 234 —

Mentionnons encore la mort du médecin Ish’âk ben e Abd
Allah (u, et aussi celle qui arriva, dans le château de
Nàdjira* 2 ), de e Amir ben Mawçil Açbah’iWA).

En 292 (13nov.904), (b la campagne d’été, qui fut diri-
gée contre c Omar ben Hafçoûn, consista en ravages com-
mis à travers ses châteaux, dont les uns furent abîmés,
dont les autres durent payer tribut b). Il perdit une
grande bataille livrée sur la rivière Bollon [Guadabul-
lon], qui coule non loin de Jaën, car tous les gens de
désordre et les rebelles s’étaient joints à lui, [P. 146]
et il avait à leur tête marché contre les musulmans ; il
fut, grâce à Dieu, mis en déroute, et dut s’enfuir avec
une faible escorte. La plupart de ses principaux guer-
riers périrent, ainsi que beaucoup de ses soldats.

(6 Lope ben Mohammed, étant allé mettre le siège de-
vant Saragosse, commença par égaliser la plaine voisine
des fortifications et éleva des constructions près de
celles-ci. Quand ce double travail fut terminé, il se retira
en laissant dans les nouveaux bâtiments une garnison.

c Abd Allah ben K’âsim ben Hilàl W, qui fit un voyage
d’étude (rihla) et qui introduisit en Espagne les livres
de Dawoûd el- c Abbâsi ( 5 ) et d’autres encore, mourut

(1) Je n’ai retrouvé son nom que dans Ibn Aboù ‘Oçaybi’a, qui
(Tailleurs se borne à le citer (éd. du Kaire, u, 42).

(2) Nâdjira, dit leMerâcid (m, 189), est une ville de l’Espagne orien-
tale, et fait partie des cantons de Tudèle ; probablement Najera.

(3) Traditionniste dont il est fait une brève mention dans Dhabbi
(ir 1248).

(4) Dhabbi lui consacre une courte notice sous le n° 948, éd. Codera;
voir aussi Makkari, n, 121. Ce juriste avait un frère nommé Yahya,
dont il est aussi parlé par Dhabbi sous le n* 1487, ainsi que par le
ms 851 d’Alger, f. 10, et qui mourut en 272, 278 ou 292.

(5) Le texte arabe porte el-kiyâsi, leçon inadmissible puisque pareille
èpithète ne peut s’appliquer à Dàwoùd ben ‘Ali Içfahàni, + 270,adver«

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– 235 –

cetie année-là, de mêmeque le vizir Soleymàn ben Mo-
hammed ben Wânsoûs, et e Abd er-Rahmân ben Omeyya
ben e Isa ben Choheyil connu sous le nom de Dqh’aym,
ainsi que les deux frères de ce dernier, e Othmân ben
Omeyya et e Isa ben Omeyya b).

En 293 (2 nov. 905) la campagne d’été fut dirigée con-
tre Fihr ben Asad, qui occupait le château de Toch (*)
dans le canton de Jaën. La place fut emportée, et ce chef,
fait prisonnier, fut mené à Cordoue où, par ordre de
Fimàm e Abd Allah, il fut crucifié en rebî e II auprès [du
quartier] des bouchers.

(b Mohammed ben Omeyya ben Choheyd se vit enlever
(le gouvernement) de la ville (capitale] et remplacer par
Mohammed ben Ghânim, qui fut à son tour remplacé
au bout de quelque mois par Moûsa ben Mohammed ben
H’odeyr.

Le comte H’azmir fut emprisonné et torturé ; on lui
comprima les pieds, et il finit par mourir b).

En djomâda II (avril 906), le kâïd Ahmed ben Moham-
med ben Aboû e Abda pénétra dans le chàteau-fort de
Kanît (Canete la Real), du canton de Tacorona, et y ins-
talla une garnison. Il y plaça un de ses pages en qualité
de gouverneur et en fit sortir ceux des Benoû’l-Khalî e
qui s’y trouvaient.

(b En cette année moururent Yoûnos ben Hâchim ben

sa ire du kiyàs et fondateur de la doctrine zàhirite ; on retrouve au
contraire l’épithète el-‘abbâsi accolée à son nom dans Ibn el-Faradhi
(p. 17, 1. 12). Ce passage prouve en outre que l’introduction du zàhi-
risme en Espagne est plus ancienne que ne Ta cru Goldziher, qui la
fait remonter au célèbre Mondhir ben Sa’îd [et non Ziyâd] Balloùti,
-f355 {Die Zahiriten, p. 114).

(1) C’est, d’après F. Gonzalez (p. 314), l’ancienne Tucci, Martos
dans la province de Jaën. entendirent pour aller rejoindre Ibn
Hafçoûn dans la ville de Belda, tandis que d un autre
côté leurs compatriotes qui accompagnaient r Abbûs ben
Ahmed dans l’expédition contre Monteléon s’entendirent
pour passer du côté d’Ibn Hpdheyl, de sorte que de part
et d’autre ils abandonnèrent le camp pour faire cause
commune avec les infidèles et les révoltés. Mais auprès
des deux chefs ennemis les actes dont ils se rendirent
coupables amenèrent des dispositions défavorables, et
les traîtres, victimes du châtiment divin, furent mis à

(1) Son gendre, d’après Dozy (Mus. d’Esp., n, 314).

(2) Le texte porte «au Bai) es-sodda», c’est à dire à la porte, qui
parait avoir été la principale, du palais.

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~ 245 –

mort à Bobastro aussi bien qu’à Monteléon ; ceux qui
survécurent firent leur soumission. L’expédition d’été
était commandée par El- c Açi ben c Abd Allah, qui se mit
en marche le lundi 12 cha’bân ou le 15 avril [911]. Des
maladies et la peste éclatèrent au cours de cette cam-
pagne.

Mohammed ben c Abd el-Melik et-Tawîl se dirigea
vers l’Aragon dans l’intention de gagner Pampelune et
d*y opérer sa jonction avec r Abd Allah ben Mohammed
ben Lope. Il arriva d’abord au château-fort dit H’içn el-
Berber (*>, dont il livra les environs aux flammes, et ruina
Jes églises de la région. Cela se passait au mois de rama-
dan (mai 911). Renonçant alors à son projet de rencon-
tre avec Ibn Lope et de marche sur Pampeluae, il se
retira et alla s’établir dans un de ses châteaux, le Chà-
rat K’achtila( 2 h Mais, sur l’avis qu’il reçut de l’imminence
d’une attaque du fils de Sancho, il s’esquiva furtivement
avec quelques-uns des siens.- En présence de cette fuite
les soldats perdirent toute fermeté, et la conséquence en
fut la déroute de la garnison de ce château. c Abd Allah
ben Lope, quand il apprit que la peur avait fait éviter à
Ibn et-Tawil une rencontre avec Sancho, alla avec les
musulmans qu’il avait auprès de lui attaquer le château

(1) Ne ligure ni dans Edrisi ni dans le Meràcid; d’après F„ Gon-
zalez (p. 297), c’est Bellver, dans la province de Lérida; d’après
Codera, c’est Santa Barbara (l. l. } p. 321).

(2) Chàra répond à l’espagnol Sierra. Quant à Kachtîla ou Kach-
tàla (Castille), il est employé par les Arabes pour désigner la région
au Nord du principal groupe des Sierras, avec Tolède pour ville
principale {Meràcid, il, 415; Gëog. dWboulféda, il, 238 et 240; Edrisi,
p. 208 et 211 ; Saavedra, La Geog. de Espafia del Edrisi, 87). Le châ-
teau ici désigné est celui de Ruesta, à 10 k. E. S. E. de Sos, autrefois
Çer Castiello (Codera, l L p. 322).

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– 246 —

dit Hiçn LawâzaW, qui faisait partie des possessions de
Sancho, et y tua un certain nombre de ceux qui le défen-
daient. [P. 153] Après quoi, comme il s’en retournait,
il rencontra une troupe de cavaliers que commandait
Sancho, et en tua ou fit prisonniers plusieurs.

Ibn Aboû’l-H’oçayb Tot’îli, dont le nom était Ni’ma’l-
Khalf (*) et qui était un homme supérieur, lettré, juriste
et traditionnaire, périt de la mort des martyrs.

Au nombre des morts de cette année figurent : Ibra-
him fils de Timâm Mohammed — Mo’âwiya ben Moham-
med ben Hichâm K’orachi — ‘Othmân, fils de l’émir
Mohammed — Mot’arrif ben Ahmed ben Mot’arrif,
arrière-petit-fils de Ternir f Abd er-Rahmân — Abân ben
f Abd el-Melik, petit-fils de l’émir f Abd er-Rahmân —
Mohammed ben f Omeyya ben ‘Isa ben Choheyd le vizir,
préposé à la ville (capitale) — Sa’îd ben f Abd er-Rahîm
Chidhoûni le secrétaire — Aboû Yahya Yezîd ben Mo-
hammed Todjîbi le trésorier — Moùsa ben el- f Açi ben
Tha’leba — Aboû Merwân ‘Obeyd Allah ben Yahya ben
Aboû ‘Isa — Açbagh ben f Isà ben Fot’ays — Ibrahim ben
H’addjâdj, prince de Séville, qui avait soixante-trois ans
— Omar ben K^ûmes le secrétaire — le page Reyân,
chef de la [manufacture de] broderie* 3 ) — et Aflah’ le
nègr^ (waçîf).

(1) Je n’ai pas retrouvé ce nom ailleurs, et il ne figure pas dans
Edrisi. Le Merâcid mentionne un Laioâta parmi les dépendances de
Firrich, et il ne peut y avoir eu confusion entre ces deux noms d’une
orthographe analogue.

(2) De courtes notices lui sont consacrées par la Çila (n* 1290), et
Dhabbi (n* 1397) : le premier rappelle Ibn Mohammed ben Yahya
Ançàri Gharnàti, le second Ibn Aboù’l-Khoçayb Totîli. Je ne sais si
la manière dont j’ai vocalisé son nom est correcte.

(3) Je suis disposé à croire qu’il s’agit d’une fabrique gouverne-

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– 247 —

En 299 (29 août 911), au commencement de moharrem,
une expédition conduite par le kâïd Ahmed ben Moham-
med ben Aboû f Abda contre le chàteau-fort de Fonte-
djâlat 1 ), dans les possessions d’Ibn Hodheyl, non loin de
la montagne de Monteléon, aboutit, à la suite d’un siège
poussé de très près, à la prise de cette place.

L’expédition d’été, conduite par Abân, fils de l’imâm
e Abd Allah, et où ‘Abbàs ben c Abd el-‘Azîz le vizir était
à la tête de la cavalerie, se mit en marche le lundi 20
cha’bân (11 avril 912) contre le château de Bobastro, où
elle attaqua Ibn Hafçoûn et lui fit ‘du mal. Ahmed ben
Mohammed ben Aboû f Abda suivit les traces du corps
expéditionnaire, où il prit le commandement de la cava-
lerie en remplacement d”Abbàs ben *Abd el-‘Azîz, rap-
pelé à Cordoue; il poursuivit les hostilités contre les
châteaux d’ibn Hafçoûn et leurs défenseurs b).

En cette année, le mercredi 28 chawwâl (18 juin 912),
une éclipse totale de soleil eut lieu avant le moment du
coucher de l’astre ; [P. 154] les étoiles apparurent, et la
plupart des crieurs attachés aux mosquées se précipitè-
rent pour annoncer la prière du maghreb, qui fut en effet
prononcée. Mais alors l’astre reparaissant ramena la
lumière, pour ensuite se coucher véritablement.

(b Mohammed ben ‘Abd el-Melik et-Tawil fit une cam-
pagne du côté de la rivière de Barcelone [le Llobregat]
et ravagea la vallée de T’arrâh’atë). Le chrétien Santo

mentale où se faisait le tiràz (broderie, liseret) employé sur les dra-
peaux, vêtements et étoffes officiels (cf. p. 148, ad f., et Simonet, l. L,
p. 140).

(1) Fuentecilla, dont remplacement actuel ne peut être déterminé
(Simonet, 128).

(2) C’est à dire de Tarrega, sur la route de Lérida à Barcelone, cf.
(suprà, p. 156 ; Annales du Maghreb, p. 233,

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– 248 –

» (*) sortit à la tête de ses troupes et occupa les défilés,
de sorte que les musulmans, quand ils voulurent retour-
ner, trouvèrent le chemin barré; mais Dieu leur donna
la victoire et leur permit de faire un grand carnage.

En cette année moururent e Abd Allah ben Aboû Zeyd,
préposé à la cavalerie — le juriste et ascète Açbaghben
Màlik( 2 — le chrétien Alphonse, qui avait régné qua-
rante-quatre ans et qui eut pour successeur son fils
Garcia ( 3 ).

SITUATIONS RESPECTIVES
DE MOHAMMED ET DE MOT’ARRIF, FILS DE L’ÉMIR 4 ABD ALLAH.

*Abd Allah avait fait donner à son fils Mohammed une
éducation en rapport avec la qualité d’héritier présomp
tif qu’il lui réservait et le traitait d’une manière parti-
culière. Mot’arrif, un autre de ses fils, supportait avec
peine cette situation, “de sorte que les deux frères étaient t
aussi éloignés que possible l’un de l’autre et qu’ils se
fuyaient réciproquement. Or Mot’arriH 4 ), ayant un jour
trouvé un cavalier de Mohammed, le tua par trahison;
puis il quitta son père c Abd Allah pour échapper au
courroux de celui-ci, de la violence de qui il se méfiait;
se rendant à la prison il en ouvrit les portes à ceux que

(1) Codera écrit «Sunier (?) »

(2) Il mourut en 304, d’après Dhabbi, n° 575.

(3) Alphonse III le Grand, roi des Asturies, régna de 866 à 910, où
il fut forcé d’abdiquer au profit de son fils et vainqueur Garcia ; il
mourut deux ans plus tard.

(4) Ailleurs le rôle des deux frères est interverti, et c’est Moham-
med qui fait cause commune avec Ibn Hafçoûn (voir Ibn Khaldoun,
iv, 136, suivi par Dozy, Intr. au Bayan, i, 47 ; t. h du texte, p. 48
des notes ; cf. Ibn el-Koùliyya, f. 45 v°, qui se borne à une allusion à
ces faits).

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– 249 –

son père y faisait détenir, se mit à la tète des vauriens
et des malfaiteurs qui y étaient renfermés, se rendit
avec eux à Bobastro, capitale de Terreur et de la rébel-
lion, et rejoignit Ibn Hafçoûn dans une forteresse assez
gardée pour donner toute sécurité. Alors son père l’émir
f Abd Allah lui fit savoir qu’il lui pardonnait, en lui di-
sant : « Que le nom de méchanceté vient mal après la
loi I » (Koran, xlix, 11), et le transfuge, écoutant son
père, rejoignit sa famille et les siens. Mais après cela
Mot’arrif sans relâche excita [son père] contre Moham-
med, déploya l’hostilité et l’envie, prétendant qu’il cor-
respondait avec Ibn Hafçoùn et s’entendait avec lui
[P. 155] pour le pousser et l’aider dans sa rébellion.
Alors c Abd Allah fit emprisonner son fils Mohammed
dans le Dâr el-Bak’ik’a (*) et ouvrit une enquête pour
savoir positivement à quoi s’en tenir ;. mais un examen
attentif, prolongé soir et matin, n’ayant pu lui faire con-
naître aucun acte punissable, il donna promptement l’or-
dre de relâcher le prisonnnier. Alors Mot’arrif, péné-
trant auprès de celui-ci, l’assaillit brutalement et ne
l’abandonna que baignant dans son sang, étendu sur la
face et les mains contre terre. Cette nouvelle surprit
douloureusement l’émir c Abd Allah, qui voulut d’abord
faire exécuter le coupable (*) ; mais plus d’un s’employa
aie calmer #), et il renonça à le châtier”. D’autres au
contraire disent qu’il lui fit payer ce crime de sa tête.

(1) Ce dernier mot est douteux ; le ms qui est maghrébin, semble
porter plutôt, dit Dozy à propos du même mot répété plus bas,
4jLUJ\, el-benîk’a.

(2) Sur la question de savoir si ‘Abd Allah a ou non ordonné la
mort de Mohammed, voir Dozy, Intr. au Bayàn, 48.

(3) Sur le-sens que j’attribue à y»$, cL notre texte, p. 78, 1. d.

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– 25tf –

Dieu sait ce qu’il en est. Ces faits sont de Tannée 277 (25
avril 890).

EL-KASIM FRÈRE DE L’ÉMIR ‘ABD ALLAH.

‘Abd Allah soupçonnait son frère de songer à se ré-
volter contre lui et à le faire périr pour prendre sa place.
Comme il recevait de nombreux rapports dans ce sens
et que de toutes parts il en était question, il estima qu’il
était de son devoir de prince, et conforme aux règles de
la politique et de l’administration, de le faire interner
au palais dans le Dâr el-Benik’a jusqu’à ce que la lumière
fût faite; le prisonnier fut ensuite transféré dans la pri-
son d’Ed-Doweyra, où il fut pris d’insomnie, et sa mère
lui ayant adressé un soporifique qu’il devait avaler en
trois jours, il but le tout en une seule fois, de sorte
qu’au matin il était mort ” W,

En 300, dans la nuit du jeudi 1 er rebî f I (16oct. 912),
l’imâm f Abd Allah ben Mohammed mourut à l’âge de
soixante-douze ans après un règne de vingt-cinq ans et
quinze jours, (b Les dernières prières furent dites sur
lui par le Prince des croyants f Abd er-Rahmân ben Mo-
hammed, et il fut inhumé dans le palais de Cordoue à
côté des khalifes ses ancêtres.

Il était de teint clair, blond roussâtre, avait les yeux
bleus, le nez aquilin ; il se teignait en noir, était d’une
taille un peu au-dessus de la moyenne et était fort en
chair.

[P. 156] Il eut, avant de devenir khalife, les enfants
que voici : Mohammed, père du Prince des croyants

(1) Ce récit trahit assez son origine, ainsi que le dit Dozy dans son
Jntr, au Bayân, p. 61, à laquelle il faut encore se .reporter,

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– 251 —

‘Abd er-Rahmân ben Mohammed, dont la mère était
Dorr ; Ahmed, dont la mère était Temmâm i Mot’arrif et
Soleymân, fils l’un et l’autre de Ghazlân ; Abân, fils
d’une esclave concubine nommée Chân ; f Abd er-Rah-
mân et ‘Abd el-Melik; EsSeyyida, ‘A’icha et une autre
Seyyida, toutes les trois filles de Ghazlân ; Hachîma,
fille de K’oreych ; Esmâ, fille de Fityân ; Hakîma, fille de
Melek; El-Behâ, fille de Dorr ; et Fâtima, laquelle était
l’aînée de tous. Devenu khalife, il lui naquit El-‘Açi de
Mostat’rif, ‘Abd er-Rahmân de Khadî’, Mohammed le
jeune et Ahmed le jeune, l’un et l’autre fils de Malh’a;
Rok’ayya et Zeyneb, filles de Malh’a; Fâtima, fille de
Mâdjin ; Zeyneb, fille de Chârik’, et Fâtima la jeune, fille
de Dorr.

CHAMBELLANS, VIZIRS, SECRÉTAIRES ET CHEFS DE LA GARDE.

A la mort de l’imàm El-Mondhir, ‘Abd Allah trouva
la place de chambellan occupée par f Abd er-Rahmân
ben Omeyya ben Choheyd, qu’il confirma dans cette situa-
tion ; mais ensuite il le révoqua et le remplaça par Sa’id
ben Mohammed ben es-Selîm qui, plus tard, fut aussi
révoqué et à qui il ne fut pas donné de successeur dans
sa charge. Les vizirs furent : Barra’ ben Mâlik Korachi
— c Abbâs ben ‘Abd el- f Azîz Korachi — Sa’îd ben Moham-
med ben es-Selîm — < Abd el-Melik ben < Abd (*) Allah
ben Omeyya. Le commandant de la cavalerie dans les
expéditions estivales était ‘Obeyd Allah ben Mohammed
ben Aboû f Abda ; le secrétaire était Ahmed ben Moham-
med ben Aboû f Abda; le kâïd dans les expéditions esti-

(1) Le ms porte ‘Obeyd, ce qui est certainement une faute (cf. Dozy,
Corr., p. 52). On trouve encore ‘Abd dans Ibn el-Koutiyya, f. 44, etc.

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– 252 –

vâles était Selarpa ben ‘Ali ben Aboû c Abda — c Abd er-
Rahmân ben H’amdoûn ben Aboû f Abda — H’afç ben
Mohammed ben Besil. Comme préfet de la ville il y eut
Mohammed ben Welîd ben Ghânirn, qui était en même
temps vizir — Açbagh ben e Isa ben Fotays, qui était eo
môme temps vizir — c Abd Allah ben Mohammed Zedjâli,
qui était secrétaire et vizir — Soleymân ben Mohammed
ben WânsoûsM — Ahmed ben Hâchim. Comme com-
mandants de la cavalerie il y eut Dja c far ben c Abd el-
Ghàfir — El- c Açi ben c Abd Allah ben Tha c leba — Tem-
mâm ben c Amr ben c Alk’ama, qui fut vizir de trois kha-
lifes — e Abd Allah ben H’àrith ben Bezi c — Ibrahim ben
Khamir — [P. 157J et Mohammed ben Omeyya ben
Choheyd. Comme préfet de la ville, il y eut Nad’r ben
Selama( 2 ); Moûsa ben Ziyâd ( 3 ) était kâdi, il fut aussi
secrétaire, préfet de la ville et kâdi. Comme chef de la
garde, il y eut Moûsa ben Ziyâd, qui, étant devenu kâdi,
fut remplacé par son oncle Yahya ben Ziyâd. La mort de
celui-ci laissa la place de chef de la garde sans titulaire
pendant deux ans; puis K’âsim ben Welid Kelbi fat
nommé à ce poste et l’occupa jusqu’à la mort de l’imâm.
Parmi ses secrétaires figurèrent le vizir c Abd Allah
ben Mohammed, c Obeyd Allah ben Mohammed ben Aboû
c Abda et Moûsa ben Ziyâd; parmi ses kàdis, En-Nad’r
ben Selama K’aysi, et successivement Moûsa ben Ziyâd

(1) Dhabbi lui a consacré un article (n* 775), de même qu’Ibn Abbà?
dans la Hollat, p. 87.

(2) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n* 1400) et par Ibn
el-Faradhi (n 8 1496).

(3) Ce personnage, dont le nom *e retrouve ci-dessous, était Djo-
dhàmi et originaire de Sidona (lbn el-Koutiyya, f. 43; Ibn el-Faradhi,
n-1456).

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– 25â -*

et Mohammed ben Selama, frère d’En-Nad’r; puis Eïi-
Nad’r fut nommé de nouveau kâdi et ensuite remplacé
par Mohammed ben Selama, à la mort de quiW fut
nommé Ahmed ben Mohammed ben Ziyâd LakhmiW b).
Pour en venir aux qualités de ce prince < 3 ), disons que
Tirnâm c Abd Allah était bien pondéré et qu’il en témoi-
gnait par son costume, son extérieur et en toutes circons-
tances. Il savait par cœur le Koran, qu’il récitait souvent,
répandait d’abondantes aumônes et de nombreux dons;
rempli d’une piété scrupuleuse et d’un grand mérite, il
aimait le bien et les gens de bien, disait de fréquentes
prières; humblement et sincèrement soumis à Dieu,
dont il rappelait souvent le nom, il désapprouvait les
excès et écartait ceux qui s’y livraient, châtiait sévère-
ment l’injustice et la violence. Il avait des connaissances
variées dans les diverses sciences, était versé dans la
langue arabe, parlait élégamment et en employant des
images choisies, (b Pendant presque tout son règne, il ne
manqua pas de siéger avec ses vizirs et les principaux
de ses guerriers; puis, après avoir fini d’examiner et de
décider les affaires du royaume ainsi que les moyens
qu’il souhaitait à l’effet d’arrêter les maux de la guerre
civile, il se plongeait avec eux dans l’histoire et les scien-
ces. Il ne figure pas parmi ceux qui se laissèrent aller à
la volupté ou qui, soit sur le trône soit auparavant, com-
mirent aucun fait d’ivresse. [P. 158] Il fit construire le
passage couvert qui relie le palais à la grande mosquée
de Cordoue, pour pouvoir assister à la prière du ven-

(1) Sa mort est de 289, d’après Ibn el-Faradhi (n* 1139).

(2) Voir Ibn el-Faradhi (n* 133).

(3) Cf. la sévère appréciation de Dozy, Intr. au Bayân, p. 61.

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^ 254 ~

dredi, accomplir les autres prières et obéir à son désir
de bonnes œuvres. Il s’asseyait dans ce passage couvert
avant et après la prière du vendredi, et de là voyait le
peuple, surveillait ses faits et gestes, figurait sans être
vu dans les réunions, entendait ce que disaient les victi-
mes d’actes arbitraires, en un mot se mettait entière-
ment au courant des affaires de ses sujets. Il avait aussi
l’habitude de se tenir à des jours déterminés à l’une des
portes du palais, et Ton venait lui dénoncer les injustices
commises ; les lettres lui étaient remises par une porte
de fer percée et qu’il avait fait disposer pour cet usage,
de sorte que le plus faible pouvait lui remettre une lettre
en mains propres et sans être empêché de parler d’un
acte arbitraire dont il était victime. Aussi tous les gens
influents ou fonctionnaires quelconques se gardaient-ils
de rien faire de nature à soulever des plaintes et s’abs-
tenaient-ils de surcharger leurs subordonnés, car la
crainte d’être punis et le désir d’échapper au blâme leur
faisaient rechercher les procédés employés par le prince
lui-même. Sous son règne on cessa de se livrer aux
voluptés, ni grands ni petits ne s’adonnèrent aux diver-
tissements; la pratique du bien, la manifestation exté-
rieure de la piété et de la religion étaient générales
aussi bien dans toutes les classes des gens dépendant
de la cour que dans le peuple. Il demandait souvent
pardon à Dieu, s’abstenait de jurer par son saint nom ;
il ajoutait foi au serment fait au nom de Dieu, agréait
une intercession où Dieu était invoqué, et de même
accordait grâce ou pardon à l’apeuré ou au coupable
qui recourait à lui. Ses faits mémorables sont nombreux
et le souvenir de ses mérites est fixé dans la mémoire
des hommes b).

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— 255 —

(à II avait fait ouvrir au palais une porte qu’il appela
« Porte de la justice », où il se tenait à un jour déterminé
de la semaine pour entendre ses sujets, de façon à com-
muniquer directement avec eux et à recevoir sans inter-
médiaire les doléances des opprimés. Il était versé dans
la connaissance de la langue, savait par cœur les vers
des anciens Arabes, connaissait leurs journées célèbres,
ainsi que l’histoire des khalifes, et pouvait citer de nom-
breuses poésies. Sous son règne on ne s’adonna pas aux
divertissements, car lui-même ne buvait jamais ni vin
ni boissons enivrantes. Comme un jour un de ses clients
s’efforçait de se disculper à ce propos auprès de lui, il
lui répondit : « Toutes les apparences prouvent le con-
traire de ce que tu dis et annoncent l’inanité de tes
excuses ; si tu avouais ta faute et que tu demandasses
pardon de ton péché, cela serait plus digne et pourrait
te faire plus facilement pardonner. — [P. 159] J’ai, dit
son interlocuteur, commis cette faute, je suis coupable
de ce péché; je ne suis qu’une créature et je suis sans
excuse W. — Va doucement, dit l’émir, ne te hâte pas I
Tu as fait ton service d’abord, et tu t’es repenti après; le
péché n’a pu se glisser entre les deux. Je te pardonne. »

Il dicta la lettre que voici adressée à l’un de ses gou-
verneurs : « Après les compliments d’usage ; si ton zèle
à examiner et à surveiller ce dont je t’ai chargé répon-
dait à la régularité de tes messages et au soin que tu
mets à t’occuper de ce que tu regardes comme ta beso-
gne la plus sérieuse, tu compterais parmi mes auxiliai-
res les plus utiles, les plus sagaces, les plus résolus.
Fais moins de lettres sans but et sans utilité ; emploie

(1) Je forme l’allitération .S* <J, ^yà^ .

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— 256 —

les soins, ton intelligence et ton zèle à des affaires où se
montrera ton talent, d’où ressortira ta capacité. »

A un vizir qui lui avait écrit à propos de quelque
affaire, il répondit par ce rescrit sur la lettre même :

[Khq/îf] Tu es, ô Nad’r, un être de malheur de qui il ne
faut espérer aucun service utile; tu ne peux qu’approvision-
ner les cabinets et la table <*).

C’était un homme pieux et sans tache. Il fit bâtir le
passage couvert qui reliait le palais à la grande mos-
quée pour pouvoir par là se rendre aux prières qu’il
suivait assidûment à côté de la chaire, habitude qu’il
conserva jusqu’à sa mort. Il était naturellement poète et
a composé de beauxve^s; c’est ainsi que dans une poésie
légère il dit en parlant de ses amours :

[Monsarih’] Que je suis malheureux à cause d’un gazelon
aux yeux noircis et tel qu’il fait perdre toute retenue ! Ses
joues semblent une rose entourée de fleurs blanches et de
narcisses ; c’est une branche de saule qui, en se ployant,
lance de son œil noir sur fond très blanc un regard circu-
laire ! Tout mon plus pur amour lui restera acquis aussi
longtemps que la nuit succédera au jour (2).

Il dit encore sur le même sujet :

[Redjez] Que tu souffres, ô âme d’amoureux, que d’humi-
liation, ô captif de l’amour! Que de célérité à répondre et à
transmettre, dans cet œil qui a les regards pour messagers,

(1) Ces vers ont aussi été rapportés par Ibnel-Abbar {Notices,?. 66),
et par Makkari (i, 227).

(2) On retrouve ces vers dans les Notices, p. 66, et dans le Machmua,
p. 153.

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– 257 –

qui emporte et rapporte le secret à Tinsu même des assis-
tants !.

(1) Cf. Annales du Maghreb, 311 et 361. Mouzna, mère d’En-Nàçir,
y est aussi citée soit sous ce nom, soit sous celui de Marta, par
suite du déplacement d’un point diacritique ; elle est l’objet de notices
dans Dhabbi (n° 490) et dans là Çila (n° 1414). Sur Eri-Nàçir, voir
aussi Ibn el-Abbàr, Hollat, p! 98; Makkari, i, 227; ‘Ikd, n,368; Ibn
Khaldoun, ïv, t37, etc., et les Mus. d’Esp., n, 319 et s.

(2) Des articles, assez développés lui sont consacrés par Dhabbi
(n° £71) et par Ibn el-Faràdhï (n° ?78).

(3) De bref s, articles lui sont consacrés par Dhabbi {n° 385) et par
Ibn el-Faradhi (n° 103).-

(4) Ce personnage, dont le nom est souvent cité, devint grand
kàdi de Gordoue en 339> en remplacement de. Mohammed ben ‘Abd

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– 260 –

Son sceau portait la légende gravée « f Abd er-Rah-
mân est satisfait du décret de Dieu». Mohammed son
père avait été désigné par *Abd Allah, dont il était le fils
aîné, en qualité d’héritier présomptif ; mais Mot’arrif,
frère de Mohammed, tua ce dernier, et par suite fut à
son tour mis à mort par leur père commun M. [P. 1 63]
Ces événements ont donné lieu à bien des paroles.

En-Nâçir naquit le jeudi 22 ramadan 277 (8 janv. 891),
vingt-un jours avant la mort violente de son père. Il était .
le favori de son grand-père ‘Abd Allah, qui l’aimait
mieux que ses propres fils, le distinguait d’une manière
particulière et lui faisait donner l’éducation convenant à
un futur souverain. Maintes fois, à de certains jours ou
lors de fêtes, il le faisait asseoir à sa propre place pour
recevoir les hommages du djond, de sorte que les espoirs
des courtisans convergeaient vers lui, et Ton ne dou-
tait pas qu’il ne fût appelé à régner. A la mort de son
grand-père, ce fut lui, et non un des fils du défunt, qu’on
plaça sur le trône, car la volonté de Dieu était la gran-
deur du royaume, la victoire de l’Islam et l’anéantisse-
ment du polythéisme, et à ces divers points de vue nul
prince ni avant ni après lui n’obtint autant de succès. Il
habitait au palais avec son grand-père et sans ses oncles,

Allah ben Aboû ‘Isa, et mourut âgé de 82 ans, le 28 dhou’1-kada 355;
la date de 366, donnée par Ibn el-Athîr, est fausse. Le poste de kàdi
fut après lui confié à Mohammed ben Selim (Khochani, ap. Mus.
d’Esp., m, 117). Voir sur Mondhir, Ibn el-Faradhi, n° 1452; Dhabbi,
n° 1357 ; Matmah, p. 37 ; Bekri, Géogr., p. 294 ; Makkari, pass. ; ms
2074 de Paris, f. 66 ; Merrâkechi, trad. fr., p. 316 ; Annales du Ma-
ghreb, p. 380; Derdîr, commentaire de Sidi Khalîl, Boulak, 1292,
t. il, p. 193 ; ci-dessous, p. 266 et 267 du t. ar. ; etc*

(1) Voir le récit des circonstances dans lesquelles Motarrif périt,
Jn Dozy, Intr. au Bayân, p. 55, et ci-dessus.

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– 261 –

de sorte que son intronisation, qui excluait ces derniers,
se fit sans difficulté. On dit aussi que son grand-père lui
jeta le sceau royal pour indiquer qu’il le choisissait pour
son successeur.

Ceux qui les premiers lui prêtèrent serment furent ses
oncles* les fils d’ f Abd Allah, savoir : Abân, El- f Açi, *Abd
er-Rahmân, Mohammed et Ahmed, après qui vinrent ses
grands-oncles, les frères du défunt, savoir : El-‘Açi,
Soleymân, Sa’id et Ahmed. Ce dernier prit la parole en
leur nom, et après avoir prêté serment, il prononça
d’ f Abd er-Rahmân un éloge où les plus belles qualités
étaient attribuées au nouveau prince.

En-Nàçir lut le premier Omeyyade d’Espagne qui s’at-
tribua le titre d’Emir el-mou’mintn et qui prit un sur-
nom honorifique, celui d’En-Nâçir, réservé aux sultans.
Ses successeurs après lui prirent également ce titre et
portèrent un surnom honorifique quand la dynastie
Abbaside s’affaiblissant allaita sa perte et que les dynas-
ties turque et Deylemite commençaient à se montrer.
“Ce titre convenait à sa situation, cette épithète fut
gardée par ses descendants; ce fut le prédicateur Ahmed
l?en Bak’ï ben Mokhalled qui, le premier, un vendredi
de 316, employa dans la grande mosquée de Cordoue ce
ijora destiné à durer”. Ahmed ben ‘Abd Rabbihi dit
dans une kaçtda à propos du jour de son avènement (*) :

[Basit] La nouvelle lune paraît, et il naît un règne nou-
veau ; que les bienfaits divins s’accroissent, mais toi tu ne
peux croître !

[P. 163] “L’Espagne à son avènement était, grâce à

(1) On retrouve ces vers, avec variantes dans le dernier hémis-
tiche, dans Y’Ikd (n, 368) et dans Makkari (i, 227).

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– 262 –

la discorde et à rhypofcrisie, un charbon flambant, un
feu dévorant; mais il sût éteindre ces bûchers et apaiser
ces troubles”. Nombreuses furent les expédit

(1) Ce lieu ne figure pas dans Edrisi ; cf. Simonet, Descripcion,
p. 107 et 306; ci-dessus, p. 241.

(2) Plus haut, notre auteur a parlé du jeudi 4 chawwâl.

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– 271 –

! De ià Fémir s’avaiïça jusqu’à la ville de Salobrena <*),
où il agit comme il avait fait ailleurs. Dans chacune de
ses conquête^ il installa des garnisons qui les tinssent
en respect, de sorte; qu’il cautérisa ainsi lés ulcères
qui rongeaient le canton d’Elvira, que la concorde fut
rétablie et qu’une obéissance complète régna partout.
[P. 1 69] Il se rétira alors en prenant la route des châ-
teaux-forts de San Estevan et de Pena Forât’àP), qui
avaient fait tort aux deux villes de Grenade et d’Elvira
et qui étaient l’un et l’autre des mieux fortifiés par l’art
et la nature. On dressa le camp au pied des murailles
de ces places, et le blocus commença avec accompagne-
ment de combats des plus acharnés et des plus meur-
triers. Au bout de vingt jours, elles furent emportées,
et des garnisons y furent installées. Alors l’émir, après
avoir examiné avec le soin le plus minutieux tout ce
qu’il vit de nature à se rattacher à l’amélioration des
cantons de Jaën, d’Elvira et des environs, rentra dans
son palais de Cordoue le jour de la fête des Victimes
(17 juil. 913), après être resté en campagne pendant
quatre-vingt-douze jours.

(1) En arabe, Gheloûbîna ou Gheloûbîniya (Edrisi, p. 242 ; Merâcid,
u, 123; Simonet, Description, p. 106; Aboulféda, i, 254). C’est de là,
nous apprend ce dernier auteur, qu’était originaire le grammairien
‘Omar ben Mohammed Gheloûbîni, ce qui nous permet de corriger
l’orthographe de ce nom dans la Tekmïla, n° 1829. Sur cet auteur,
-f 645, voir aussi lbn Khallikân (h, 386) ; de Sacy, Anthologie gram-
maticale, p. 192, et Pons, Ensayo, p. 287.

(2) Pour la transcription et l’identification de ces deux noms, j’ai
suivi Dozy (Mus. d’Esp., n, 331). Le premier présente les variantes :
Astîn, Achtîn et Achnîn ; c’est probablement le Ochtoûn du Merâcid
(I, 66), le Istan de Simonet [Description, p. 132). On trouve bien un
Binna dans le canton d’El-Faradj, autrement dit Guadalaxara, men-
tionné par le Merâcid (i, 177; cf. n, 342, et Aboulféda, Géog., u, 255);
mais ce n’est pas de lui qu’il peut être question ici.

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En la même année mourut Hicbâm ben Mohammed
Korachi, connu sous le aom dlbn ech-Chebànesiyya tf) 6).

En moharrem 301 (7 août 913), mourut à Séville f Abd
er-Rahmân ben Ibrahim ben Haddjâdj, seigneur de cette
ville, et la population se mit d’accord pour le remplacer
par le brave Ahmed ben Maslama W. Mais En-Nâçir fit
marcher contre cette ville, en qualité de général, le vizir
Ahmed ben Mohammed ben Hodeyr, qui fut le premier
à l’attaquer et qui remporta des succès. Mohammed ben
Ibrahim ben Haddjâdj, qui était à ce moment à Carmona,
se rendit au palais (bâb es-sodda), et offrit à l’émir ses
services pour combattre les Sévillans. Le prince les
ayant envoyés à cet effet, lui et K’âsim ben Welîd Kelbi,
ces deux chefs entamèrent un siège qui dura plusieurs
mois ; puis le chambellan Bedr ben Ahmed, qui vint les
rejoindre, entra dans la place le lundi 19 djomâda I 301
(21 déc. 913); il la démantela, remit les affaires en ordre
et laissa en qualité de gouverneur Sa’id ben el-Mondhir
qu’il avait avec lui.

(b En cette année, Mohammed ben Soleymân ben
Wânsoûs fut nommé au vizirat, poste qu’occupa égale-
ment f Isa ben Ahmed ben Aboû * Abda. Mohammed ben
f Abd Allah [P. 170] Kharroûbi, Mohammed ben Ahmed
ben Hodeyr, K’and Tainé^et Dorri, affranchi d’En-Nâçir,
furent chargés des requêtes. L’inspection du marché fut
enlevée à c Omar ben Ahmed ben Faradj et donnée à
Mohammed ben f Abd Allah Kharroûbi au mois de rebi’ II
(nov. 913). Ahmed ben Maslama fut chargé du premier

(1) Je n’ai pu retrouver ailleurs le nom de ce personnage.

(2) Cf. suprà, p. 213.

(3) C’était, ainsi qu’on le voit plus loin, un affranchi d’En-Nàçii ;
il faut probablement lire ici LxJy« « l’un et l’autre affranchis. . . ».

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— 273 —

corps delà chorta ; Mohammed ben Ibrahim ben Haddjâdj
fut rappelé de Carmona et nommé vizir, mais il ne siégea
avec les autres vizirs qu’un seul jour. Sa’ld ben El-Mon-
dhir lut rappelé de Séville, où il fut remplacé, au mois de
cha’bân, par Fot’ays ben Açbagh. Le premier corps de la
choria fut de nouveau confié à Kâsim ben Welid Kelbi.
Moûsa ben Soleymân Khawlâni, connu sous le nom
d’Aboû’l-Kawther, fut nommé gardien du Trésor, et son
frère f Abd el-Melik ben Soleymân fut chargé de la garde
de l’arsenal .

Le mercredi 18 dhoû’l-ka’da (15 juin 914), les habi-
tants de la frontière conquirent le château-fort de Cala-
horra, qui était alors entre les mains des chrétiens b).

Lope ben Mohammed mit le siège devant Saragosse
(6 et éleva des constructions dans le but de maintenir
cette place. En la même année fut tué Mohammed ben
‘Abd el-Melik et-Tawil b.

La seconde campagne entreprise par Ternir fut diri-
gée contre le canton de Malaga, Algéziras et Carmona.
Ce prince quitta le palais de Cordoue le jeudi 8 ramadan
(7 avril 914) et se mit en campagne le 8 chawwâl (8 mai)
en laissant dans le palais Moûsa ben Mohammed ben
Hodeyr, préfet de la ville ; les correspondances étaient
remises entre les mains du jeune Hichàm, fils de l’émir.
(b Le chambellan Bedr ben Ahmed commença par mar-
cher avec un corps de troupes du djond contre le châ-
teau-fort de Belda, dont il surprit les habitants et où
il fit un grand nombre de prisonniers b). Le premier
objectif du prince fut le château de ToroxW [P. 171]

(1 ) Orthographié Tolox in Mus. d’Esp., it, 337. Deux localités, dont
Ja plus connue est entre Vêlez Malaga et Almunecar, portent le nom
de Torox ou Torrox {Mus, d’Esp., i, 324 ; Simonet, Descr., p. 107,
m, 129, 130 et 133). ^

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– 274 –

sous les murs duquel il dressa son catnp (b le mercredi
14 chawwâl (13 mai 914) b) et qu’il commença à serrer de
près ; (b pendant cinq jours il ne cessa, soir ou matin,
de renouveler ses attaques, tandis qu’on coupait les
arbres des environs, qu’on détruisait les vivres b) et
qu’on massacrait tout assiégé qui se montrait. Laissant
alors des troupes pour continuer le siège, il s’avança
contre les châteaux de Malaga et les refuges d’Ibn Haf-
çoûn, les attaquant les uns après les autres, y installant
ses hommes et livrant aux ravages de ses troupes tous
ceux où il se portait. Il infligea à ce chef et aux chrétiens
qui s’étaient enrôlés sous ses drapeaux à Torox une
grande défaite où beaucoup périrent, et leurs tètesiurent
envoyées à Cordoue. (b Des navires de ce rebelle, qui
“lui apportaient dés vivres provenant de l’autre côté de
la mer, furent saisis et brûlés jusqu’au dernier b). Alors
les habitants de cette région, Ghàner, Feddj, Sîm, K’ala-
bîra, El-K’açr (Aznalcazar ?) et le territoire dépendant
•d’Algéziras, s’empressèrent de se soumettre pour échap-
per à une perte totale. En-Nâçir accepta leurs proposi-
tions, leur accorda l’amnistie et rétablit l’ordre.

Il marcha ensuite contre Algéziras même, puis contre ‘
le canton dé Sidona et contre celui de Moron, et installa
son camp au-dessus de Carmona le mardi 1 er dhoû’I-
hiddja (28 juin 914). Comme Habib ben Sawâda s’était
mis en état de rébellion dans cette ville à la suite du
départ de Mohammed bén Ibrahim ben Haddjâdj pour
Cordoue, l’armée de l’émir commença le siège et le
poussa avec une telle vigueur que le rebelle, se trouvant
au bout de vingt jours réduit à toute extrémité, sollicita
son pardon en demandant le délai nécessaire pour trans-
porter sa famille et son mobilier à Cordoue. En-Nâçir

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– 275 —

ne voulut pas lui imposer. des conditions par trop péni-
bles et donna son consentement. Lui-même regagna
Côrdoûe, où- il fit son entrée [P. 172] le lundi 2? dhoû’l-
hiddja (25 juil. 914), {b ayant fait campagne pendant
quatre-vingt-deux jours*

Au cours de cette expédition, il avait envoyé des
ordres au sujet de K’âsim ben Welid Kelbi, qu’il avait
laissé à Cordoue en qualité de chef de la choria, et qu’il
fit jeter en prison en même temps que Mohammed ben
Ibrahim ben Haddjâdj, Mohammed ben Woheyb, ‘Obeyd
AJlâh ben Mohammed Ra’bâniW et Sakan ben Djodeyda.
Il destitua en outre Ibn Màslama du commandement du
premier corps de la chorta et le remplaça par ‘Abbâs
ben Ahmed ben Aboû f Abda.

En la même année, En-Nâçir nomma kâïd ‘Isa ben
Ahmed ben Aboû f Abda et le renvoya dans le canton de
Séville.

En rebî f I (oct. 913), mourut le vizir et secrétaire

(1) Cet ethnique est écrit indistinctement dans le ms ; je l’ai restitué
h ypothétiquement d’après le nom de lieu que donne le Merâcid, i, 474.

(2) Ce juriste, dont la généalogie présente quelques variantes, est
Tobjet d’articles de Dhabbi (n° 561) et d’Ibn Faradhi (n° 265) ;.ce der~

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– 276 –

et le juriste Sa’îd ben KhomeyrW moururent également.

A Barcelone fut tué ‘Abd el-Melik ben f Abd Allah ben
Chebrît’. Les chrétiens firent une incursion dans la val-
lée (wâdi) d’El-Hâmma, vers la frontière W. Le combat
d’Arnedo ( 3 ) eut lieu le dimanche 19 cha f bân (19 mars 914).
Garcia, fils d’Alphonse, roi de Galice, y périt; il eut pour
successeur son frère Ordono, fils d’Alphonse b).

En 302″, le vendredi 1 er redjeb (29 janv. 915), naquit
El-H’akam- el-Mostançir bi’llâh ben f Abd er-Rahmân
ben Mohammed, au moment où se faisait l’appel à la
prière du d’ohr.

En la même année, En-Nâçir [P. 173] mit à la tête
de l’expédition d’été son oncle paternel Abân ben f Abd
Allah, qui, en chawwàl (18 avril 915), se mit en marche
pour attaquer le canton de Malaga, qu’il parcourut avec
ses troupes ; il y bloqua les châteaux-forts, abattit les
arbres et détruisit les cultures.

La population eut à souffrir de la disette par suite
d’une sécheresse prolongée et générale, (b Le préposé à
la prière, Mohammed ben ‘Omar ben Lobâba, se rendit
au moçalla du faubourg et par cinq fois, à des jours dif-
férents, il fit la prière pour demander de la pluie, maisc
sans succès. Le prix des vivres monta, et les marchés
étaient fort dégarnis. Ensuite, le lundi 13 chawwâl, qui

nier le fait mourir en 302 ; mais on retrouve aussi la date de 301 dans
lbn Farhoûn (ms 5032 de Paris, f. 48).

(1) Sa’id ben Khomeyr {var. H’amir) est l’objet d’articles de Dhabbi
(n« 798), d’Ibn Faradhi (n° 482), et d’Ibn Farhoûn (l. I. f. 61 v).

(2) C’est dans lbn Khaldoun (iv, 141) qu’on trouve le plus de détails
sur les diverses guerres qui eurent lieu entre En-,Nàçir et les chrétiens.

(3) Arnît’ ou Arnedo n’est cité par Edrisi (p. 211) que comme nom
de province; mais le Merâcid (i, 51), un peu plus explicite, parle de
la ville.

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— 277 –

était le 1 er mai [915]> Ahmed ben Ahmed ben Ziyàd sortit
de la ville pour faire avec la population les mêmes
prières. Il tomba alors une légère pluie qui fut absorbée
par une partie des semences, mais la plus grande partie
de celles-ci ne purent germer. Toutes les régions de
FEspagne, aussi bien que les frontières, eurent à souffrir
de cette sécheresse générale b), et partout le prix des
vivres s’éleva beaucoup.

(b En-Nàçir fit de Mohammed ben ‘Abd Allah Khar-
roûbi, qui était préposé au marché, le préfet de la ville,
au lieu et place de Moûsa ben Mohammed ben Hodeyr,
et l’inspection des marchés fut donnée à Ahmed ben
Habib ben Behloûl, le samedi 17 chawwâl (5 mai). Le
môme jour, la charge de secrétaire fut enlevée à *Abd
AUàh ben Bedr et donnée à *Abd el-Melik ben Djahwar ;
le commandement du dernier corps de la ohorta fut retiré
à. Mohammed ben Mohammed ben Aboû Zeyd et confié
à Yahya ben Ish’âk.

En la même année, la direction de la cavalerie fut
enlevée à ‘Afcd er-Rahmân ben Bedr, qui fut remplacé
par c Abd Allah ben Mod’ar. Les deux affranchis de Nâçîr,
K’and et Dorri, furent chargés des successions.

Le dimanche 1 er dhoû’l-hiddja (17 juin 915) vit la mort
violente d’ ‘Abbâs ben Ahmed ben Mohammed ben Aboû
e Abda, chef du premier corps de la chorta : il périt d’un
coup qu’il reçut dans un combat livré pendant le siège
de Monte RubioW, opération militaire dont En-Nâçir
l’avait chargé, et où il s’exposa au danger. Le prince mit
son frère f Abd Allah ben Ahmed ]P. 174] ben Moham-

(1) II est parlé plus loin de ce château-fort, contre lequel, ainsi
qu’on le voit ici, Ternir dirigea des attaques dès le début de son
règne (cf. Mus. d’Esp., n, 345).

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— 278 —

med à la tête du premier corps de la chorïa y et Moham
med ben Mohammed ben Abôû c Abda fut changé de la
garde du Trésor.

Le mardi 14 djomâda II (4 janv. 915), mourut Merwân
ben el-Mondhir, fils de rtmàm f Abd er-Rahmân ben
el-Hakam. Il avait été, le 24 djomâda I, précédé au tom-
beau par (son oncle paternel) ? Omar ben f Àbd er-Rah-
màn.

Le 4 rebi< II (27 oct. 914), mourut Sa’îd ben es-Selîm,
qui avait été chambellan de l’imâm c Abd Allah; le mardi
7 djomâda II (28 déc. 914), mourut En-NadV benSelama,
qui avait été kâdi du temps de l’imâm ramadan (22 mars 915), mourut ‘Obeyd Allah ben Mo-
hammed ben Aboû M3thmân. ITamdoûn ben Besîl mou-
rut en cha’bân (fév.-mars 915). Le 24 djomâda I (16 déc.
914), mort d ,f Abd Allah ben Mohammed ben Khâlik GhsssàniW, kâdi deSéville. Le dimanche 4 rebi’ II
(27 oct. 914), mort du juriste Khâlid benWahbt*). En
djomâda II (déc. 914-janv. 915), mort du grammairien
Mohammed ben Yahya, connu sous le nom dé K’alfâU 3 ):
c’était un savant qui connaissait le Koran par coeur et
un poète distingué; il maniait la satire et injuriait les
puissants; ses vers étaient remplis d’obscénités et de
sottises b).

En 303 (16 juil. 915), sévit en Espagne une grande
disette qui fut comparée à celle de 60 M et qui réduisit la

(1) Son nom ne figure ni dans lbn el-Faradhi ni dans les autres
recueils biographiques de la Bibl ar.-hisp.

(2) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n° 606) et par Ibu
Faradhi (n° 304).

(3) Voir ci-dessus, p. 210.

(4) C’est à dire de Tannée 260 {suprà, p. 167). .

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— 279 —

population à un état de détresse dont elle ne connaissait
pas l’analogue, (b Le kafîz de blé, mesure du marché de
Cordbue, se vendit à raison de trois dinars [correspon-
dant à] quarante [dirhems] dokhlWb). Des épidémies se
déclarèrent, dont les ravages chez les pauvres et les
besogneux furent tels qu’on fut près de ne pouvoir suffire
aux inhumations, (b L’émir En-Nâçir distribua, à cette
joccasion d’abondahtes aumônes aux indigents, et ceux
de ses conseillers qui songeaient aux récompenses cèles*-
tes firent de même; le chambellan Bedr ben Ahmed se
distingua le plus par sa charité et par les secours dont
il préleva le montant sur ses biens. Les circonstances
furent cette année-là trop difficiles [P. 175] pour qu’on
entreprit aucune incursion ou qu’on mit des troupes en
campagne ; mais En-Nâçir s’occupa avec zèle et fermeté
de contenir les extrémités du royaume et de préserver
les musulmans contre les rebelles et insurgés, qui, mal-
gré la faim dont on souffrait partout, dirigeaient des
incursions contre leurs voisins et surprenaient les cara-
vanes musulmanes, ainsi que les gens qui cherchaient à
se procurer des vivres ou qui en emportaient, lorsqu’ils
se trouvaient à leur portée.

Ish’àk ben Mohammed Korachi, homme sage et capa-
ble, fut nommé aux fonctions de vizir.

Mohammed ben Mohammed ben Aboû Zeyd, qui com-
mandait auparavant le dernier corps de la chorta, fut
promu au commandement du premier corps b).

Le mardi 2 djomâda II (13 nov. 915) de cette année,
niourut Abân, fils de L’imâm f Abd Allah, à l’âge de cin-

(1) Ces cinq derniers mots sont la traduction donnée par Sauvaire
(/. As., 1882, i, 114 et 315) d’un passage que je ne comprends pas
plus que Fleischer, Dozy et de Goëje (voir Corrections, p. 54).

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*«n?

– 280 –

quante-cinq ans ; (b il fut enterré au faubourg, dans le
cimetière de Koreych.

La mort enleva le premier-né d’En-Nâçir, qui s’appe-
lait Aboû’i-Welid Hichâm.

Le vendredi 19 chawwâl (26 avril 916), mourût Ahmed
ben Hichâm, fils de Timâm f Abd er-Rahmân ben el-
Hakam, et le lundi 18 ramadan (26 mars), Korachi ‘Oth-
mâni, qui était arrivé d’Orient sous le règne de l’imâm
c Abd Allah ben Mohammed.

Mort de Korachi <Abdi, le 13 cha’bân (21 lév.) ; du
juriste Yahy a ben Ish’âk’ ben Yahya ben Aboû ‘IsaW,
qui fit un voyage d’étude où il apprit des traditions ; il
méritait peu de confiance, mais c’était un homme habile
et bavard. Mort du juriste Nomeyri, qui s’appelait Ahmed
ben f Abd Allah ben FaradjW; du juriste Ahmed ben
Bît’îH 3 ), le jeudi 2 dhoû’l-hiddja (7 juin); de Mofawwiz
ben <Arîb b). L’ennemi fit prisonnier à la frontière Mot’arrif ben Mohammed ben Lope ben K’asi. (b A la frontière mourut f Abd Allah ben Mohammed ben Lope ben Kasi, [P. 176>homme brave et vaillant
qui faisait beaucoup souffrir l’ennemi. Son fils Moham-
med ben entre les Benoû Lope des dissensions et des combats
qui mirent leurs affaires en mauvais état.

(b Cette année-là vit mourir à Cordoue un grand nom-

(1) Il lui est consacré des articles par Dhabbi (n° 1459) et par Ilm
el-Fara,dhi (n° 1571).

(2) Voir Dhabbi, n° 417 ; lbn el-Faradhi, n° 70.

(3) Il est consacré un article à ce juriste, dont le nom semble bien
indiquer son origine chrétienne, par lbn el-Faradhi (éd. Codera,
n« 77).

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— 281 –

bre des notables et des riches de la ville ; il serait trop
long de les citer, sans d’ailleurs parler des morts tout à
fait innombrables qui se produisirent dans les cantons
et les localités éloignées. Du côté de la frontière l’en-
nemi, à plusieurs reprises, en vint aux mains avec les
Benoû K’asi *).

En 304 (5 juil. 916), l’émir En-Nàçir envoya le kâïd
Ahmed ben Mohammed ben Aboû ( Abda en expédition
contre le territoire ennemi, (b Cet officier se mit en route
le samedi 16 moharrem, 18 du mois de juillet (sic), et
un grand nombre de clients et d’hommes du djond se
joignirent à lui A). Il pénétra en pays chrétien, où il
exerça des dévastations, se livra au pillage et fît des
prisonniers ; après quoi il ramena les musulmans sains
et saufs et chargés de butin.

(ô f Abd el-H’amid ben Besil fut nommé trésorier.

Ish’àk’ ben Mohammed Korachi entreprit une campa-
gne dans le canton deTodmîr; il s’y rendit maître du
château- fort d’Orihuela et rétablit Tordre dans ce canton,

Fot’ays ben Açbagh devint pour la première fois tré-
sorier b).

Le chambellan Bedr ben Ahmed marcha contre la
ville de Niebla, devant laquelle il mit le siège et dont il
se rendit maître (b le lundi 20 ramadan (17 mars 917) b).

f Abd el-Melik ben Djahwar fut remplacé en qualité de
secrétaire par f Abd el-Hamîd ben Besîl, mais pendant
peu de temps, car il reprit bientôt son poste.

(ô Ismâ f il ben Bedr fut chargé du service des requêtes.

Le 12 çafar (15 août 916), f Ali ben Hoseyn passa de la
garde de l’arsenal au service des requêtes.

Mohammed ben f Abd Allah ben Mod’ar fut nommé au
service des requêtes.

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— 282 —

[P. 177] Le 29 cha’bân (25 fév. 917), mort de Mon-
dhir, fils de l’imâm El-Mondhir, qui était né six mois
après la mort de son père; le mardi 9 rebî* II (lOoct.
916), d”Abd el-Melik ben H’awza Koracbi; de son frère
El-Ah’dab, dont les calculs astrologiques annonçaient la
mort sitôt après rebî f II; du préposé aux requêtes et
aux successions, K’àhd, client de Ternir En-Nâçir, le
mardi 3 redjeb (31 déc. 916). Ismâ’il ben Bedt le rem-
plaça dans sa charge des successions. ‘
1 Le vendredi 6 redjeb (3 janv. 917), mourut le profes-
seur Mohammed bon Ark’amW ; dans le même mois
mourut le jeune Mohammed, fils de l’émir En-Nâçir,
ainsi que le jeune Soleymân l’aîné.

Le 10 chawwâl de cette année (6 avril 917), naquit
Aboû Merwân ‘Obeyd Allah, frère germain du Prince
des fidèles Hakam EI-Mostançir, que puisse Dieu aider!

Mort du juriste et pieux Aboû ; d’Aboû’l-Kâsiro
Mohammed ben f Abd es^Selem ben K’almoûk’ dans la
nuit du mercredi au jeudi 16 rebî< II (17 oct. 916) ; c’était
un homme distingué, auteur de petits traités (?) et bon
calligraphe ; il avait été trésorier et parlait une langue
fleurie 6).

(1) Trois lignes lui sont consacrées dans, la Tekmila, n° 308.

(2) J’ai ajouté « [ben] » d’après ce qu’on lit ci-dessous, année 309,
ainsi que dans Dhabbi (n« 11) et dans Ibn el-Faradhi (n°1163). Ge
dernier place la mort d’Ibn ez-Zerràd soit en 304 soit en 305 ; notre
auteur donne aussi plus bas la date de 309.

(3) Il est parlé de lui par Dhabbi (n° 861) et par Ibn el-Faradhi
(n<> 617).

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— 283 —

En 305 (24 juin 91?), ‘l’expédition d’été contre les pays
chrétiens lut faite par Ahmed ben Mohammed ben Aboû
<Abda, vizir et kàïd, qui partit le lundi 10 çafar (2 août
917), en compagnie d’hommes de toutes classes désireux
de faire la guerre sainte, ainsi que de gens de bureau
(et autres). Après avoir également fait des levées vers la
frontière, il entra en pays ennemi à là tète de bandes
nombreuses et installa son camp sous les murs de Ca&
tro MorosW le 14 rebî* I (4 sept. 917). Les musulmans
combattirent avec ardeur, et bientôt ils se virent tout
près de rester vainqueurs des assiégés; [P. 178] mais
alors les chrétiens firent des levées partout et pour
secourir leurs coreligionnaires et tenir tète aux musul-
mans, amenèrent leurs forces tant en cavalerie qu’en
infanterie. Alors une partie de ceux de la frontière pour
qui l’Islamisme n’était qu’un masque, s’entendirent pour
feindre la déroute et ainsi la provoquer chez les musul-
mans. Beaucoup de ceux-ci s’enfuirent en effet, mais le
kâïd Ahmed ben Mohammed lui-même tint ferme et
s’obstina à combattre en homme qui défend son foyer.
On a même dit qu’il était bien décidé à rechercher la
mort des martyrs, et il la trouva en effet, à cette date
du 14 rebi’ I 305 (4 sept.), de compagnie avec ceux qui,
préférant cette fin glorieuse, reculèrent devant la honte
de la fuite. Ce général ne voulut ni tourner le dos aux
infidèles, ni reculer, ni fuir. Quant au reste de l’armée,
il opéra sa concentration et rentra en territoire musul-
man sans autre dommage et n’ayant perdu ni montures,
ni bagages, ni tentes.

(1) Qu’on appelle aussi San Estevan de Gormaz, (infrà, p. 294) ;
Dozy, Mus. d’Esp*, ni, 34 -et 41.; cf. BeJkri, Descr. de V Afrique,
p. 214, n. 2.

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– 284 –

(* Le vizir Ish’âk’ ben Mohammed fit une expédition
contre la ville de Carmona, où il assiégea H’ablb ben
‘Omar et le réduisit presque à la dernière extrémité.
Puis le chambellan Bedr ben Ahmed s’avança contre
cette ville et en continua le siège jusqu’à ce que la force
l’en rendit maitre, le jeudi 5 rebi’ II (25sept.) (1) *)-

‘Omar ben Hafçoûn, l’appui des infidèles, le chef des
hypocrites, le tison des guerres intestines, le refuge
des hommes de discorde et de rébellion, mourut cette
année-là, et cet événement fut regardé comme une cause
de bonheur, un présage de la faveur divine et de l’inter-
ruption du règne de l’abomination W.

Alors aussi eut lieu la conquête d’Ubéda d’Elvira
(b connu sous le nom d’Ubéda de FerwaW b) t où se trou-
vait Soleymân ben ‘Omar ben Hafçoûn, que Yahya ben
Ish’âk réussit à en faire sortir et qu’il amena, au mois
de chawwâl (mars-avril), à Cordoue, où ce fils du rebelle
fut installé et largement traité W.

(i Le samedi 11 chawwâl (27 mars 918), ben Djahwar devint vizir.

[P. 170] Mort à Firrîch du juriste Sa’îd ben c Othmàn

(1) 11 a été plus haut (p. 274) question d’une révolte de Habib ben
Sawâda dans cette même ville de Carmona, qui fut prise par le prince
lui-même. Ce personnage est appelé plus loin Habib ben *Omar ben
Sawàda.

(2) La mort d’Ibn Hafçoùn eut lieu en 306 (14 juin 918-2 juin 919)
d’après Vlkd (n, 374, 1. 4 ad f.), aussi bien que d’après lbn Khaldoun
(éd. Boulak, iv, 135). S’appuyant sur notre texte, Dozyla place en
Tannée 917 {Mus. d’Esp., h, 339).

(3) Sur ce nom, cf. Edrisi, p. 247, n. 1 ; Simonet, Description,
p. 107.

(4) .Sur la soumission de Soleymân, voir Mus. d’Esp., n, 340; cf.
infrà, année 309.

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– 285 –

ben Soleymân ‘Anàk’i (*) à la fin de moharretn (juil. 917);
– d’El-Behâ, fille de l’imâm ‘Abd er-Rahmân ben el-
Hakam, à l’enterrement de qui personne ne manqua, en’
redjeb (déc. 917-janv. 918) ; — d’ f A’icha, fille d’En-Nâçir ;
r-de Sa f id ben f Abd el-Wàrith Ayser, brave guerrier
et fonctionnaire capable; — du juriste et traditionniste
Mohammed ben Ibrahim HidjâzK 2 ); — d”Omar ben
Ahmed ben Faradj, secrétaire-conseil ( 3 ) et préposé au
marché b).

Ordoûo, fils d’Alphonse, et Sanctro, fils de Garcia, ce
dernier régnant sur les chrétiens de Galice et de Pam-
pelune, firent des levées, et s’ avançant à la tête de leurs
bandes et de gens accourus de toutes parts (b contre
NajeraW, ils restèrent pendant trois jours campés sous
les murs de cette ville de la frontière citérieure, vers la
fin de dhoû’l-hiddja (comm. de juin 918) b). Après avoir
ravagé la région et détruit les cultures, les chrétiens se
portèrent vers Tudèle et arrivèrent (b à la rivière de
Kâlès, aux aiguades de Mask’îra et b) au Wâdi Tara-
zona. Sancho, laissant l’Ebre derrière lui, dirigea ses
attaques contre le château-fort de Valtierra, battit les
gens du faubourg et réduisit en cendres la mosquée

(1) Il lui est consacré des articles par Dhabbi (n° 803) et par Ibn
«WParadhi (n° 484). J’ai lu, avec ce dernier, le nom du lieu où il est
mort, Firrich, et non Fawîch (qui est d’ailleurs inconnu), comme Ta
imprimé Dozy.

(2) Dhabbi, qui consacre à ce savant un assez long article (n° 43),
lai donne pour ethnique H’icljâri, de même qu’Ibn el-Faradhi (n° 1 164),
et non Hidjâzi, comme le porte notre texte.

(3) Je n’ai pas rencontré ailleurs l’expression ^\^\ u-ofc, dont je
ne puis donner qu’une traduction approximative.

(4) Cette ville n’est pas mentionnée par Edrisi, mais l’est par le
Mer’âcicl (m, 189).

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– 286 —

principale. Ce fut’ là l’un des motifs qui provoquèrent là
colère (TEn-Nâçir et le poussèrent à faire la guerre
sainte pour venger ces injures, ce que nous ràconterohs
plus loin.

En 306 (14 juin 918;, le chambellan Bedr ben Ahmed
dirigea en pays infidèle la campagne dite de Mot’oû-
niya W. Quand En-;Nâçir apprit les violences auxquelles
se livraient lés infidèles sur ceux de ses sujets qui habi-
taient les frontières dans leur voisinage, parce que les
expéditions d’été les avaient épargnés et n’avaient pu
s’avancer assez loin lors de la campagne dont nous
venons de parler, [P. 180] ces faits soulevèrent sa
colère, exeitèrent sa résolution et lui firent définitive-
ment arrêter d’attaquer cette année même les ennemis
de Dieu et de là foi. Il ordonna en conséquence de pro*
céder partout’ à des levées, de rassembler un grand
nombre d’hommes du djond ainsi que des plus braves
cavaliers, et il confia au chambellan là mission de se
mettre en personne à la tête de l’expédition estivale.
Des dépêches envoyées dans toutes les provinces et. fron-
tières enjoignirent à la population de rejoindre le camp
du chambellan et de faire tous ses efforts pour châtier
les infidèles et leur infliger les maux de la guerre au
beau milieu de leur pays même, en pleine chrétienté.

Le chambellan se mit en marche le mardi 25 mûh’ar^
rem(8juil.918), et quand la concentration de toutes les
forces qu’il avait à sa disposition se fut faite dans le lieu
le plus rapproché de la ligne frontière, il pénétra en ter-

Ci) Mutonia, dont on ignore remplacement exact, dit Dozy (Mus.
d Esp., m, 40). On retrouve la même orthographe du nom de cette-
ville dansun passage d’Ibn.el-Faradhi (n° 1457 -ad f.); on lit A^Âk*
dans Ylkd (ii, 373, 1. 4 ad f.).

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– 287 –

Moire* infidèle» où de leur côté les polythéistes avaient
fait des levées, s’étaient réunis des extrémités les plus
éloignées et abrités dans les montagnes les plus inacces-
sibles. Bedrben Ahmed, en compagnie des saints amis
de Dieu et des soutiens de sa foi, les attaqua, et les
combats qu’il leur livra et où Dieu les protégea, permi-
rentaux musulmans d’assouvir leur soif de vengeance.
Le nombre des chrétiens d’entre les plus braves, les
plus héroïques, les plus expérimentés, qui mordirent la
poussière au Gûurs de cette campagne^ dépasse toute
énumération ou description. La victoire nous fut acquise
le jeudi 3 et le samedi 5 rebî c I (14 et 16 août), à la suite
de nombreux engagements plus terribles que ce qu’on
avait jamais vu par l’acharnement qui s’y déploya, par
le nombre des chrétiens qui y furent tués ou faits pri-
sonniers. L’émir En-Nàçir reçut la nouvelle de la vic-
toire le vendredi 11 rebî e I (21 août), et se confondit en
actions de grâces vis à vis du Créateur qui l’avait favorisé
duh aussi remarquable succès. [P. 181] Il fut donné
dans les mosquées principales lecture du message de
victoire, et dans toutes les provinces cette nouvelle fut
envoyée.

(b Le samedi 13 rebi* I (22 août), naquit Aboû’l-Açbagh
f Abd el- f Aziz ben l’émir El-Mostançir billâh, que Dieu protège f 6).

CAMPAGNE DE L’ÉMIR EN-NAÇIR CONTRE BELDaW.

En dhoû’I-hiddja de cette année (mai 919), En-Nàçir
en personne dirigea une expédition contre Belda, dans le

(1) Cette campagne est placée en Tannée 307 par Ibn ‘Abd Rabbihi ;
voir plus bas année 307.

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canton de Malaga. (6 Sorti le jeudi 19 dhoû’l-ka’da [du
palais], ce fut vingt-six jours après, le mardi 15 dhoû’l—
hiddja, qu’il se mit en campagne b). Il laissa dans le
palais de Cordoue, pour le suppléer, l’héritier présomp-
tif, celui vers qui se tournaient les espoirs après lui,
l’émir El-Mostançir billàh, que puisse Dieu garder ! ainsi
que le vizir Moûsa ben« Mohammed ben Hodeyr. En
approchant de Belda, En : Nâçir envoya des guerriers de
confiance et des hommes du djond choisis parmi les plus
alertes pour faire reconnaître le parti qu’il y avait à tirer
des moissons et l’endroit par où l’attaque devait se faire.
Mais de ce côté la végétation était en relard, tandis que
d’autre part il apprit que les cultures de la banlieue de
Ro’ayn étaient utilisables, ce qui le décida à se tourner
de ce côté, mais après avoir donné l’ordre d’élever des
fortifications sur la route de GbawzânW, qui devait ainsi
commander à la plaine de Belda. Il se porla alors contre
le château-fort de Dos Amantes, qu’il assiégea et com-
battit jusqu’à victoire complète ; après quoi il alla établir
son camp sous les murs de Belda, le mardi 28 dhoû’l-
hiddja (1 er juin 919), et il la fit cerner par ses troupes.
Alors les musulmans qui se trouvaient dans cette ville
s’abouchèrent avec lui et demandèrent de sortir avec la
vie sauve pour eux et leurs enfants, en alléguant qu’ils
n’avaient fait jusqu’alors qu’obéir à la force. En-Nàçir
leur accorda l’amnistie, et continua de combattre les
infidèles renfermés dans la ville jusqu’à ce que Dieu lui
donnât la victoire ; il fit alors massacrer les chrétiens
jusqu’au dernier* 2 ) [P. 182] et installa une garnison

(1) Aujourd’hui Gaucin (Simonet, Description, p. 130).

(2) De cette campagne, le massacre seul des chrétiens de Belda est
rappelé par Dozy {Mus. d’Esp., n, 341).

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dans sa nouvelle conquête. De là il s’avança contre les
cbàtéaux-forts du canton de Malaga, où il se porta de
côté et d’autre en enlevant successivement tous les repai-
res par bii il passa ; il campa au pied de la montagne où
S’élève Bobastro, établit le blocus, coupa les arbres des
environs et fit beaucoup souffrir l’ennemi. Alors Dja f fàr
ben ‘Omar ben Hafçoûn le pria de prendre des otages
qui garantiraient sa fidélité et le paiement du tribut qu’il
aurait à payer. En-Nâçir accepta, et les otages fournis
par Dja’far et ses partisans furent gardés dans son
camp; après quoi, il quitta la montagne de Bobastro et
rentra dans son palais le 27 moharrem 307 (29 juin 919).
Sa campagne avait duré quarante jours.

En cette année, En-Nâçir fit installer le jet d’eau qui
est en face de la porte du palais, connue sous le nom de
Bâb el-‘adl (Porte de la justice), et dresser le mihrâb du
moçalla d’El-Moçâra à CordoueW.

Mort d’ 5 rêbî< II (15 sept. 918) ; — d’Aboû’l-Kâsim Mohammed,
fils d’En-Nâçir;— de Rok’ayya, fille de l’imâm Moham-
med ; — du juriste originaire d’Ecija Moûsa ben Azhar (*),
homme éloquent, au langage fleuri et bon calligraphe, le
3rebî< I (14 août) ; — de H’izb Allah ben Robâ’i ben f Abd
Allah KhochanK 3 ), ascète qui avait une certaine connais-
sance des traditions.

En 307 (3 juin 919), (b En-Nâçir alla à Bobastro, ainsi

(1) Ibn Khaldoun consacre un paragraphe spécial aux constructions
élevées par En-Nàçir (éd. Boulak, iv, 143).

(2) Une notice lui est consacrée par Ibn el-Faradhi (n° 1457).

(3) Ce personnage est mentionné par Ibn el-Faradhi (n° 385), qui
l’appelle H. A. ben eLWabâ’i, . . . Khochani ; j’ai suivi son orthogra-
phe, conjecturée par Dozy, de ce dernier mot.

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— MÛ —

qu’il a été raconté sotis l’année précédente, et après
avoir terminé sa campagne, il rentra à Cordoue à la date
indiquée &).

On fit la conquête du château-fort de ToroxW, qui lut
remis par celui qui l’occupait, f Abd er-Rahmân ben
‘Omar ben Hafçoûn, aux troupes de l’émir En-Nâçir. Ce
personnage se rendit à Cordoue, où il fut installé et large-
ment traité ; il ne s’était pas, comme son père et ses
frères, engagé dans la voie de la guerre et des troubles:
[P. 183] c’était un homme d’esprit faible, qui avait des
livres et était bon calligraphe. Selon f Arîb, il se fit plus
tard copiste.

(ô Le 9 ramadan (2 f év. 920), l’émir nomma Mohammed
ben f Abd Àllâh ben Mohammed Zedjâli gardien du
Trésor.

Mort de Mohammed ben Ahmed ben Ziyâd, le samedi
14 redjeb (10 déc. 919) : il était voisin du juriste Moham-
med ben Wad’d’àh ( 2 ), qui lui demanda de prononcer sur
lui les dernières prières, ce qui valut de la notoriété au
ditlbn Ziyâd. Mort du vizir Mohammed ben Soleymân
ben Wànsoûs, le vendredi 10 ramadan (3 fév. 920) ; ainsi
que de Hamdoûn ben Besîl 6).

Dans la nuit du (vendredi au) samedi 12 çafar (14 juil.
919), b l’émir fit mettre à mort Mbûsa ben Ziyâd, qui, en
qualité de vizir de Timâm f Abd Allâh, avait soulevé
toute sorte de réclamations contre les sujets, les avait

(1) Ou Tolox, d’après l’orthographe de Dozy, qui rappelle ce fait
(Mus. d’Esp., u, 340).

(2) Il ne peut être question ici que du célèbre juriste de ce nom,
qui était petit-fils de Bezî’, qui mourut en 287, et dont parlent Ibn
el-Faradhi, n° 1134; Dhabbi, n° 291 ;, le ms n° 851 d’Alger, f. 10 v°,
et lbn Farhoûn, ms 5032 de Paris, f. 106.

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dénoncés et tracassés. Il avait aussi lûanifesté de l’ani-
mosité à l’égard d’En-Nâçir, contre qui il avait porté des
plaintes par devant le grand-père de celui-ci, et de
même avait excité Pimâm f Abd Allah contre [plusieurs
de] ses conseillers. En-Nâçir l’avait fait jeter en prison
le jour même de son avènement au trône, et l’y laissa
jusqu’au jour où’ il le fit exécuter, de compagnie avec
H’abîb ben ‘Omar ben Sawâda et ses deux fils, ainsi que
Mohammed ben Welîd, connu sous le nom de Ghalîli,
qui avaient excité la colère du prince par diverses fautes
et méfaits.

En 308 (23 mai 920), En-Nàçir entreprit en pays infi-
dèle la campagne connue sous le nom d’expédition de
Muez ; il quitta à cet effet son palais le jeudi 13 dhoû’l-
hiddja 307 (5 mai 920), et de là partit de Cordoue pour
se mettre en campagne [P. 184] le samedi 13 mohar-
rcm 308 (4 juin) (b c’est à dire le 3 du mois de hazîrân,
trente jours après sa sortie solennelle 6) du palais, où il
laissa pour le suppléer son héritier présomptif El-Hâkam
el-Mostançir, que Dieu aide ! ainsi que le vizir Moûsa
ben Mohammed ben Hodeyr. Le quatrième jour de son
départ, il était campé au Gué de la victoire, mekhâd’at
el- fath’.W, quand il reçut une lettre par laquelle le gou-
verneur de Medinet el-Faradj ( 2 ) lui annonçait une vic-
toire : les chrétiens de Galice, en très grand nombre,
étaient venus les attaquer et, se répandant dans la plaine
de cette ville, y enlevèrent les moutons et les bestiaux
qu’ils y trouvèrent ; puis se détournant vers un château-
fort du voisinage nommé El-K’oley f a< 3 ), et obéissant à

(1) Sur le Guadalquivir, au Nord de Mengibar (cf. suprà, p! 78).

(2) Ou Guadalaxara, suprà, p. 117.

(3) Alcolea, sur la Ginca, entre Fraga et Monzon (?).

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– »2 –

l’envie qu’ils avaient de s’en emparer, ils en commen-
cèrent le blocus. Mais alors tous les habitants de la ville
se levèrent, tant cavaliers que fantassins, et altèrent
leur offrir un combat où Dieu livra à leur résistance
surhumaine les épaules des ennemis, de sorte que, la
victoire leur étant restée, ils tuèrent ou firent prisonniers
de nombreux chrétiens, et les poursuivirent depuis le
point du jour jusqu’à la- nuit Tépée dans les reins. Ils
envoyaient au prince quantité de têtes comme trophées
de leur succès. Cette nouvelle causa un grand plaisir à
En-Nâçir, qui tira un heureux présage du nom de l’en-
droit où elle lui était parvenue b).

Mettant ensuite son projet à exécution, tandis que des
recrues et des soldats arrivant de toutes les provinces
d’Espagne le rejoignaient, il alla camper sous les murs
de Tolède, dont le prince Lope ben et-T’arbtcha se hâta
de venir le trouver pour combattre sous ses ordres, en
affichant une soumission qui n’était qu’apparente. Il se
rendit de là avec tous ses moyens de transport à Medi-
net el-Faradj, où, à la suite de l’examen auquel il pro-
céda et des plaintes des habitants, il destitua les Benoû
Sàlim et installa comme vizir et kâïd chargé de main-
tenir cette place, Sa f id ben el-Mondhir ; mais il emmena
ce chef pour le suivre dans sa campagne, et chargea du
gouvernement [provisoire] de la ville Ibn Ghazlân K’o-
rachi, fP. 185] allié du précédent, de même qu’il y
nomma kàdi le juriste Mohammed ben MosawwarW.

Tout étant ainsi remis en ordre et la satisfaction étant
générale, la plupart des habitants marchèrent avec lui

(1) Sur ce juriste, +325, voir Ibn el-Faradhi (n 6 1211), ainsi que
Dhabbi (n° 272), qui le fait mourir en 322.

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– 293 –

à la guerre sainte. Suivi de guerriers pour lesquels les
routes étaient trop étroites et qui remplissaient les plus
vastes espaces, l’émir arriva à la place frontière de Medl-
naceli et, feignant de continuer sa marche vers la fron-
tière par delà, il envoya dé ce côté son avant-garde.
Mais dans la réalité il se détourna avec ses troupes
vers l’Alava, et faisant trois étapes dans une journée* il
arriva au Wâdi DoweyrW, où il campa et passa la nuit.
Le lendemain matin, il fit partir le vizir Sa’id ben el-
Mondhir avec des cavaliers armés à la légère et choisis
parmi les plus rapides dans la direction du château-fort
de Wakhchema W, et ce chef, faisant diligence, arriva à
proximité de cette place, puis lança ses troupes à gauche
et à droite pour opérer des razzias. Or les chrétiens
étaient tranquilles et ne redoutaient rien, (ô car leur
chef avait écrit au Prince des croyants pour lui faire de
menteuses promesses et ainsi l’empêcher de venir dans
cette région. L’émir avait feint d’accepter et n’avait pas
révélé son plan, de sorte que les chrétiens n’étaient pas
sur leurs gardes quand ces razzias les surprirent b). Les
troupeaux et les bêtes de somme paissaient donc libre-
ment dans la campagne, et les nôtres les enlevèrent tous,
puis rejoignirent sains et saufs avec leur butin le gros
de l’armée. Le vendredi matin, 17 çafar (8 juillet 920),
la cavalerie, en bon ordre et parfaitement disposée en
rangs serrés, s’avança résolument contre Wakhchema,
d’où les infidèles s’enfuirent, laissant la place vide pour
se réfugier dans des fourrés épais et des montagnes

(1) Le Duero ou Douro, aussi nommé Wàdi Djawfi (Merâcid, m,
264, n« 8).

(2) Osma (Mus. d’Esp., ni, 41 K

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-294 —

sauvages; [P. 186] les musulmans alors y pénétrèrent
et, après avoir pillé tout ce qu’elle renfermait’, (b la livrè-
rent aux flammes. L’émir passa dans son camp sous les
murs de Wakhchema la nuit du (vendredi au) samedi, et
de là se dirigea le lendemain contre le château de Cas-
tromoros, ou San Este van, principal centre et capitale
des infidèles, l’endroit d’où ils avaient coutume de bra-
ver ceux qui s’introduisaient dans leur pays; mais quand
ils virent que les défenseurs de la foi arrivaient et que
les protégés de Dieu s’avançaient contre eux, ils évacuè-
rent la place et s’enfuirent. Les musulmans alors mirent
au pillage tout ce qu’il renfermait et ruinèrent, égale-
ment, dans le voisinage, le château d’AlcubillaW b). Tout
fut mis au pillage, et les ennemis de Dieu furent laissés
dans le plus complet dénûment.

(b Le camp fut dressé à l’Est du château de Castromo-
ros, et les musulmans y passèrent W la nuit du (samedi
au) dimanche dans la plus vive allégresse. Le lendemain
matin, l’émir transporta son camp de l’Est à l’Ouest de
la place, c’est à dire à un mille de distance, et la journée
fut consacrée à rechercher ce qu’avaient laissé les infi-
dèles et à finir de ramasser le butin. Puis on se mit en
marche vers une ville antique du nom de Cluniatf), qui
comptait parmi les plus importantes; la route qui y
conduisait passait par une série ininterrompue de bour-

(1) J’ai suivi l’identification de Dozy (Mus. d’Esp. y ni, 42) ; ce nom
ne figure ni dans Edrisi ni dans le Merâcid.

(2) Le raotuJ, ici et dans de nombreux passages ci-dessous, a le
sens de « dépenser, gâcher », ce qu’a remarqué avec raison Fleischer
(Kl. Schriften, h, 762) corrigeant Dozy (Supplément etc., n, 465).

(3) Cette identification appartient également à Dozy (vbixi.). Le
Merâcid mentionne cette ville (n, 445). : ; – – :: .

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– 295 –

gades et une riche plaine cultivée, où les musulmans
pillèrent tout et tuèrent ceux qui leur tombèrent entre
les mains. Mais en arrivant à la ville ils la trouvèrent
vide, car les habitants s’étaient enfuis dans les monta-
gnes voisines; les nôtres la mirent entièrement au
pillage et s’employèrent à en ruiner les maisons et les
églises. En-Nâçir y passa trois jours [P, 187] occupé
à malmener les infidèles et à anéantir leurs richesses;
après quoi il repartit de Clunia le samedi 24 çafar (15
juillet) pour répondre aux demandes de secours des mu-
sulmans de Tudèle, place frontière que le chrétien San-
cho [de Navarre] serrait de près et accablait de ses atta-
ques. Mais le prince n’opéra ce mouvement qu’aveG len-
teur pour ne pas accabler ses troupes, qui avaient fait
campagne sans arrêt, par des marches par trop précipi-
tées : il mit cinq journées à franchir le grand désert en
longeant le Wâdi Duero, et établit alors son camp dans
la région de Tudèle. Il expédia en avant la cavalerie,
sous le commandement de Mohammed ben Lope, gouver-
neur de cette ville, contre le château-fort de Carcarf 1 *
élevé par Sancho pour maintenir la région ; la garnison
évacua cette place à l’approche de nos cavaliers, qui y
établirent leur autorité.

En-Nâçir poussa ensuite contre le château de Cala-
horra, dont Sancho avait fait son principal repaire et où
il habitait; mais l’approche inopinée de nos troupes fit
vider les lieux au chrétien, et tout ce qui s’y trouvait
tomba entre nos mains. En-Nàçîr y passa deux jours à
tout ruiner et à dévaster entièrement les environs, puis

(1) En arabe SjJUl»; celte identification est de Dozy, Mus. d’Esp.
m, 42. Carcar est sur Hîgà, affluent de TEbre.

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– 296 –

repartit le dimanche 4 rebi* (24 juillet) pour Dachero W
tjL ^ en franchissant TEbre pour y arriver. Alors San-
cho sortit du château d’Arnedo à la tête de ses bandes
de chrétiens pour attaquer notre avant-garde ; mais les
plus braves guerriers se lancèrent sur eux avec la rapi-
dité de la flèche et les mirent en déroute, puis la cavale-
rie les poursuivit en les tuant et les blessant jusqu’à ce
qu’ils gagnassent les montagnes et s’y réfugiassent dans
les gorges. On coupa un grand nombre de têtes pour les
présenter à l’émir, qui n’avait aucune connaissance du
combat qui venait d’être livré. Le camp fut dressé sur le
champ de bataille même, et les nôtres y passèrent la
nuit, profitant de leur victoire pour se répandre dans les
bourgades et les champs de l’ennemi.

En Nàçir, apprenant alors que les deux chrétiens San-
cho et Ordono réunissaient leurs forces pour se prêter
un mutuel appui et dans l’espoir soit d’attaquer Tavant-
garde [P. 188] soit de surprendre l’ai’rière-garde, fit
ranger ses troupes en ligne de bataille et bien surveiller
les ailes, puis continua sa marche en avant dans le terri-
toire ennemi. Les chrétiens se montrèrent sur des som-
mets de montagnes peu accessibles, puis attaquèrent les
flancs de nos troupes en poussant des cris et des hurle-
ments destinés à ébranler le cœur des nôtres. En-Nàçir,
arrêtant son mouvement, donna l’ordre de camper et de
dresser les tentes; puis ses guerriers, se précipitant sur
les infidèles descendus de leurs montagnes, engagèrent
la mêlée. Les gens de l’entourage immédiat du prince,
les guerriers, les héros et les défenseurs de la frontière
se jetèrent sur eux les armes à la main, et les accablèrent

(1) Peut-être Echarren, dit Dozy (p. 200 du texte ai\, n. b).

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– 297 —

de coups de lance, de sorte que les chrétiens, mis en
déroute, s’enfuirent sans même se tourner ou se diriger
du côté de leur camp, tandis que les nôtres, se lançant
sur leurs traces, tuaient tout ce qui leur tombait sous la
m ain, et n’arrêtèrent leur poursuite qu’à l’arrivée de la
nuitW.

Plus d’un millier des fuyards se. réfugièrent dans le
château-fort de Muez, où ils espéraient pouvoir résister ;
mais En-Nâçir fit avancer sa tente ainsi que celles de
ses troupes, et le château fut investi de toutes parts ; les
réfugiés furent attaqués, et la place finit par être empor-
tée. Tous les chrétiens qui s’y trouvaient en furent tirés
et amenés à En-Nâçir, qui les fit tous décapiter sous ses
yeux. Dans ce château et dans le camp chrétien qui était
proche, on trouva, en quantité innombrable, des mar-
chandises, des tentes, des bijoux artistèment travaillés
et des vases; environ treize cents chevaux furent égale-
ment pris. L’émir passa en cet endroit quatre jours à
détruire toutes les propriétés chrétiennes du voisinage,
ainsi que les récoltes et les cultures. Le dimanche 11
rebi’ I (31 juillet), il se transporta vers le château-fort de
Viguera »j^ 2) , que Sancho avait édifié pour maintenir
cette région, mais il le trouva abandonné par la popula-
tion*qui s’était enfuie, et il le fit ruiner. Pendant cette
campagne et jusqu’à son arrivée au château de Viguera,
Ternir fournit [chaque jour] à ses gens pour les soutenir

(1) Cette rencontre eut lieu dans la vallée dite Junquera, entre
Estella et Pampelune ou, plus précisément, entre Muez et Salinasde
Oro (Dozy, Mus. d’Esp. m, 43).

(2) Il existe, dit le Meràcid (i, 166 ; cf. Moschtarik, p. 62), deux
localités de ce nom, Tune dans TEspagne orientale, l’autre dans la
région de Malaga. Edrisi n’en parle pas.

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mille mesures ^$^ provenant des approvisionnements
en vivres des infidèles b).

Après cela il se dirigea [P. 189] vers les châteaux-*
forts appartenant aux musulmans pour y installer des
garnisons et veiller à ce que tout y fût bien en ordre, ne
manquant pas, chaque fois qu’un repaire chrétien se
trouvait dans le voisinage, d’y porter la destruction et
4e livrer la campagne environnante à l’incendre, de sorta
que le territoire chrétien fut ravagé par les flammes sur
une étendue de dix milles carrés. Aussi les vivres et
objets divers étaïenl-ils en trop grosse quantité pour
qu’on pût les emporter et avaient-ils perdu toute valeur :
on donnait dans le camp six kafîz de blé pour un dirhem,
et comme on ne trouvait pas d’acheteurs, on mit les
vivres en tas et on les brûla. (6 Le mardi 27 rebi f I (16
août) M, En-Nâçir battit en retraite et arriva à la ville
d’Atienza, où il passa une journée. Les guerriers de la
frontière, qui se rendirent auprès de lui, reçurent des
vêtements d’honneur et des montures, ainsi que la per-
mission de rejoindre leur pays b). Il expédia à Cordoue
des têtes d’infidèles tués dans les divers combats que
nous venons de dire, en telle quantité que les bêtes de
somme ne purent suffire à les emporter toutes. Il rentra
lui-même dans son palais à Cordoue le jeudi 13 rebr II
(2 sept.), ayant fait une campagne qui avait duré quatre-
vingt-dix jours.

(b Après son retour En-Nâçir destitua Mohammed ben
Mohammed ben Aboû Zeyd du commandement du pre-
mier corps de la chorta et y nomma son affranchi Dorri b).

Dja’far ben ‘Omar ben Hafçoûn fut tué par trahison

(1) Le 8 septembre, d’après Dozy (A/us, d’Esp., ni, 44).

-^ I

par ses propres partisans dans là montagne de Bobastro;
alors son frère Soleymàn s’y rendit et y établit son auto-
ritôW. –

(b Le service des requêtes fut confié à ^Abd er-Rahmân
ben ‘Abd Allah Zedjâli.

El-Mondât (Monda), qui est. . . de Cordouet*) et appar-
tient au canton de Malaga, fut conquise. Il construisit le
château-fort de Castro Dhakwân* 3 ) et y installa une gar-
nison et les approvisionnements nécessaires.

Mort à Cordoue, en djomàdal (sept.-oct. 920), du
juriste Aboû f Amr Sa’d ben Mo<âc(h ben ‘Othmàn ben Hassan Jt>en Yakhàmeir Cha’bâni, [P. 180] qui étaithau-
tement estimé par les savants ( 4 >. Mort d’ f Abd el-Ghàflr
ben Hâchim ben

En 309 (12 mai 921), Èn-Nâçir entreprit dans le canton
de Malaga l’expédition de Torox, pour laquelle il sortit
le jeudi 7 dhoû’l-hiddja 308, 10 du mois d’ayyàr. Il quitta
le palais de Cordoue le samedi 8 moharrem 309 (6 ou 10
hazîràn( 5 ), trente-et-un jours après sa sortie solennelle,
laissant dans le palais son héritier présomptif El-Mos-
tançir billâh, veuille Dieu prolonger sa vie! b). Il se mit
en marche entouré tlé ses troupes et des diverses classes
de ses conseillers, et alla camper- sous les murs du

(1) Voir sur ces événements Mus. d’Esp., n, 341 ; Ibn Khaldoun,
iv, 135. ; •

(2) Le mot du texte %yst que je n’ai pas traduit (lirer^J^ ?), est
rendu par Simonet, qui parait avoir compris *jJ&à, par « en los
terminos de Cordoba» (Description, p. 123 et 124; cf. 135).

(3) Aujourd’hui Coin, au N. de Marbella (ib. p. 122).

(4) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n o -786) et par Ibn
el-Faradhi (n° 535).

. (5) D’après -les tables de concordance de Wustenfeld, le 7 dhoû’l-
hiddja 308 répond au 19 avril 921, et le 8 moharrem 309, au 20 mai.

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-.300 -*-.

château-fort de Torox, où les chrétiens avaient concen-
tré leurs levées et s’étaient fortifiés. Il l’investit de toutes
parts, le fit attaquer et serrer vigoureusement, tandis
que des mangonneaux dressés sur des hauteurs lançaient
leurs pierres sur les infidèles. Ceux-ci au début opéraient
des sorties etopposaient.de la résistance; mais les com-
bats les affaiblirent, diminuèrent leur nombre et leur
ardeur; de sorte qu’ils finirent par se tenir renfermés
dans la place. Le blocus se fit de plus en plus étroit, et
ils se trouvèrent réduits à une telle extrémité qu’ils en-
gagèrent des pourparlers avec l’émir en lui demandant
de leur laisser la vie sauve, moyennant quoi, ils lui
livreraient le château et se retireraient. Le prince accepta
ces propositions de soumission : ses guerriers entrèrent
dans la place, d’où sortirent tous les chrétiens ; les forts
furent détruits, les matériaux qui en provenaient furent
jetés dans la rivière, et sur l’emplacement de l’église
[P. 191] fut édifiée une mosquée principale (djâmi<).
Pendant qu’il était à assiéger Torox, En-Nâçir s’était
occupé d’envoyer des troupes contre les châteaux de
Bobastro et d’Akoût’ (Castillo Agudo) ainsi que contre le
Djebel el-HidjâraW pour y combattre Soleymân (*) et Hafç,
les deux fils d”Omar ben Hafçoûn, les serrer de près et
les affaiblir. En-Nâçir repartit de son camp de Torox le
lundi 14 rebi r I et rentra dans son palais de Cordoue le
jeudi 17 de ce mois (26 juillet), après avoir fait campagne
pendant soixante-neuf jours

(1) Qu’il ne faut pas confondre avec Guadalaxara ou Wàdi’l-
hidjàra, au N.-E. de Madrid. Cf. Moschtarik, p. 431, et-Simonet, Des-
cripcion, 128.

(2) Soleymàn avait commencé par se soumettre eu 305 {suprà,
p. m et 299).

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– m –

{b En cette année durent opérer leur soumission les fils
tie Sa’id benNâçih’W ben Maslana, qui quittèrent leurs
châteaux-forts de Priego appelés f Àliya et RabrachW ;
Moûsa ben Yezid, frère de H’imçi, qui dut abandonner
le rocher où il se tenait ; les fils de Mohalleb, qui occu-
paient les châteaux-forts de K’azdlra (ou K’ardhîra ?),
Achberghîra* 3 * et autres. Toutes ces places furent rui-
nées.

Dans la nuit du (mardi au) mercredi 3 redjeb (7 nor.
921), En -Nâçir fit exécuter El- f Açi, fils de l’imâm* f Abd
Allah, et Mohammed ben r Abd el-Djebbàr, petit-fils de
l’imâm Mohammed, qui étaient en effervescence et
s’étaient accusés mutuellement avec beaucoup d’insis-
tance de chercher à monter sur le trône et de songer à
violer leur serment de fidélité.

Le chambellan Bedr ben Ahmed mourut dans la nuit
du (jeudi au) vendredi 6 redjeb (10 nov.); Moûsa ben
Ahmed ben Hodeyr le remplaça.

Mort du vizir Mohammed ben f Abd Allah ben Omeyya ;
d ,ç Abd el Wâhid ben Mohammed ben ben Yezîd Iskenderâni, en chawwâl ; du juriste Moham-
med ben Ahmed, connu sous le nom d’Ibn ez-Zerrâd,
dans la nuit du (mercredi au) Jeudi 18 dhoû’l-hiddja
(19 avril 922) b).

En 310 (1 er mai 922), En-Nâçir entreprit dans le can-
ton d’EIvira l’expédition de Monte Rubio. Il sortit solen-

(1) II faut, je crois, lire «… ben el-Welîd », ainsi qu’il est écrit
plus haut.

(2) Ces deux noms sont, si je ne me trompe, transcrits Algalia et
Riberas par Simonet, Deacripçion, p. 94.

(3) On pourrait songer à lire Achirguerra; mais lesBenoû Mohalleb
habitaient, comme le dit Dozy, dans la province d’Elvira {Mus.
d’Esp., h, 345) ; suprà, p. 226.

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-.302 –

nellement à cet /effet [P. 192] le jeudi 3 dhoû’I-hiddja
309, (6 4 du mois d’avril, et quitta le palais de Cordoue
le samedi 10 moharrem, 11 du mois de mai, trente-sept
jours après sa sortie solennelle b), y laissant l’héritier
présomptif ElrMostançir, (b dont Dieu veuille prolonger
la vie 1 ainsi que le vizir Ahmed ben Mohammed ben
Hodeyr ; mais il emmena à sa suite le chambellan Mo usa
ben Mohammed b). Il campa sous les murs du château^
fort de Monte RubioM le lundi 19 moharrem (19^ mai) :
c’était une montagne dans une situation très forte, d’une
acquisition difficile, où beaucoup de barbares réfugiés
constituaient une population nombreuse. Situé entre les
cantons d’Elvira et de Jaën, sur la route de Pechinà, ce
château commandait à la route, et aucun de ceux qui s’y
engageaient dans un sens ou dans l’autre n’était à l’abri
des brigandages et des meurtres auxquels se livraient
ces gens, qui étaient maîtres des chemins. Après trente-
cinq jours de siège, l’émir, qui avait tué beaucoup dés
assiégés, coupé les arbres et ravagé les propriétés, laissa
poursuivre le siège par ses soldats et par le dfond, qui
empêchèrent qui que ce fût d’entrer ou de sortir, tandis
que lui-même se porta en avant contre les châteaux –
forts d’Elvira et les endommagea tous. Après quoi il se
détourna du côté du canton de Malaga, et établit son
camp au pied de la montagne de Bobastro le samedi
7 rebr I (5 juillet ; il en poussa très vigoureusement
l’attaque, lui fit beaucoup de mal et coupa les arbres à
fruits encore existants sur les flancs de la montagne. Il
désigna ensuite ses principaux officiers pour poursuivre
les opérations du siège, et lui-même se rendit dans le

(1) Voir Mus. d’Esp., n, 345; cf. Simonet, Description, p. 101.

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f

– 303 —

canton de Tacorona, où il s’efforça de rétablir Tordre,
s’assura de la fidélité des habitants [P. 103] ef fit emme-
ner à Cordoue ceux dés notables dont il jugea nécessaire
la présence dans- la capitale, (b II procéda en même temps
à l’examen de la situation du canton de Moron b). Tout
en poursuivant sa route, il se rendit compte de ce qui
se passait dans les cantons de Séville et de Carmona, et,
après avoir tout reifnis en ordre dans ces régions, il se
retrouva dans son palais le samedi 6 rebî* II (3 août),
après une absence de quatre-vingt-cinq jours.

(b Le Mercredi 16 rebi< II (14 août), Aboû Sa’îd <Abd
el-Melik ben Mohammed Chidhoûni fut nommé vizir. La
même charge fut, dans cette même année, confiée à
Yahya ben Ish’âk, qui commandait le troisième corps
de la chorta, et ce dernier poste fut confié à Mohammed
ben Mohammed ben Aboû Zeyd, le samedi 24 chawwâl
(15 février 923).

La direction de la cavalerie fut enlevée à Aflah’ ben
‘Abd er-Rahmân pour être donnée au préfet de la ville
Mohammed ben f Abd Allah Khawoûbi ; mais Aflah fut
renommé à son poste au bout de très peu de jours.

En chawwâl (janv.-fév. 923), Ahmed ben Moûsa ben
Hodeyr et Nomâra ben Soleymàn furent nommés gar-
diens (du trésor).

Ahmed ben vice des placets.

Mort du juriste Sâlim ben *Abd Allah ben ‘Omar ben
*Abd el-‘Azîz ben AbbâM ; — du juriste f Abd Allah ben
Aboû’l-WelidP), fils de la sœur de Mohammed ben eç-

(1) Dhabbi parle de lui sous le n° 836, et Ibn el-Faradhi sous le
n» 579.

(2) Dhabbi lui a consacré un article (n° 956).

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— 304 –

Çaffâr le juriste, qui avait reçu tes leçons de Sah’noûu ;
— de Mohammed ben f Abd el-Hakam; — : d”01eyya, fille
de l’imâm

En 311 (21 avril 923), eut lieu une expédition d’En-
Nâçir contre la ville de Bobàstro et les châteaux-forts de
Malaga. (b II sortit solennellement le jeudi 6 dboû’I-
Jiiddja 310, c’est à dire le 27 mars, et se mit en campa-
gne le lundi 1 er moharrem, c’est à dire le 22 avril,
[P. 194] ou 25 jours aprèâ sa sortie solennelle b). Il
alla camper sous les murs du château-fort de Bobastro,
et aussitôt Soleymân ben ‘Omar ben Hafçoûn s’empressa
de lui écrire dans l’espoir de le détourner de son projet.
Mais En-Nâçir, évitant de lui répondre et d’accepter des
offres trompeuses, poursuivit avec ardeur et décision
son projet de siège, et acheva de couper ce qui restait
d’arbres fruitiers et de vignobles, et d’anéantir toutes
les subsistances de son ennemi; il passa sept journées
entières, du matin au soir, à .tout détruire et ravager
sans miséricorde, et il agit de même à l’égard des
autres châteaux du rebelle, (ô K’ardhârech, Beh’ârech,
Aldjech et Santi Pétri (*). Alors H’afç ben ‘Omar ben
Hafçoûn alla le trouver et déclara renoncer en sa faveur
au château de R’âmeraW, et En-Nâçir, lui accordant
l’amnistie, le confirma dans la possession d’une partie
de ses châteaux, car il reconnut en lui et en son frère
Soleymân des aptitudes administratives et de bonnes
dispositions. Puis il s’avança vers le port de Chat’ (Gete

(1) Les trois premières de ces places sont indéterminées; la qua-
trième répond au despoblado de Santi Pétri, près d’Alora (Simonet,
Description, 128).

(2) Le nom de Gamara, entre Antequera et Gasabermeja, est parvenu
jusqu’à nous (ibid.).

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– 305 –

ou Jeté), Almunecar et le château de Machkerîl (Motril ?),
et pénétra avec ses troupes dans des régions abruptes
où aucune armée ne s’était encore aventurée b). Tous
les habitants de ces régions se soumirent et le pays se
trouva pacifié.

(6 L’émir ensuite marcha (de nouveau) vers la mon-
tagne de Bobastro, dont les habitants avaient tenté une
attaque contre Soleymàn ben Hafçoûn : ils lui avaient
enlevé la forteresse (kaçba), avaient rendu à la liberté
ceux qu’il détenait prisonniers et avaient pillé la plus
grande partie de ses biens. Ce chef cependant parvint
ensuite, grâce à une ruse qu’il ourdit avec le reste de
ses partisans, à entrer dans la ville, dont on lui ouvrit
une porte par où il pénétra voilé. Il excita la populace à
s’emparer des biens de ceux qui s’étaient soulevés contre
lui, et avec son concours massacra ceux dont il resta
vainqueur et qu’il livra presque tous à la mort. Dieu fit
ainsi s’entre-détruire les infidèles, de manière à faire
disparaître leurs traces. Soleymàn resta alors dans la
montagne uniquement occupé à tâcher de sauver sa tète
et n’ayant aucune confiance dans son entourage. L’émir
donc y vint établir son camp une seconde fois au cours
de cette campagne, le dimanche 4 rebî< I (22 juin #23),
[P. 195] mais aucun infidèle, contrairement à l’habi-
tude antérieure, n’apparut quand l’armée dressa les
tentes. En-Nâçir confia le soin de la montagne à des
guerriers de confiance, qu’il installa dans de nombreux
endroits b). Puis il se retira, et rentra dans son palais de
Cordoue le 10 rebî’ I (28 juin), après une campagne de
soixante-neuf jours.

(b En la même année eurent lieu l’affaire de VigueraW

(1) Yiguera, emporté en 308 par les musulmans, n’avait donc pas

20

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– 306 –

et le siège par les habitants de Pampelune d’ f Abd Allah
ben Mohammed ben Lope, de qui ils se rendirent maî-
tres aussi bien que de ses partisans ; le chrétien Sancho
les emprisonna, puis les fit exécuter. Avec Ibn Lope se
trouvaient dans le château-fort de Viguera Mot’arrif ben
Moûsa ben Dhoû’n-Noûn, Mohammed ben Mohammed,
son cousin paternel, et leurs principaux guerriers, qui
participèrent tous à cette affaire, dont l’issue fut hon-
teuse pour En-Nâçir. Celui-ci alors envoya en qualité de
général à la Frontière extrême El-Hamîd ben Besîl, après
Tavoir fait vizir, et qui était alors gardien du trésor. Cet
officier arriva à la frontière avec de nombreuses troupes
dont les unes lui avaient été confiées, dont les autres,
venant de la frontière et d’ailleurs, le rejoignirent ; il
entra dans la ville de Tudèle, dont il se rendit maître.

La conquête de la citadelle de Moron eut lieu cette
année.

Mohammed ben Ahmed ben Hodeyr fut chargé du
service des requêtes ; le commandement du troisième
corps de la choria fut enlevé à Mohammed ben Moham-
med ben Aboû Zeyd et confié à Yabya ben Yoûnos
Kobrosi (*).

Mort d’ f Abd er-Rahmân, fils de l’imâm El-Mondhir;
— de Djahwar ben f Abd el-Melik, kâïd de Sidona. Mort
violente d”Abd Allah ben Mohammed ben Merwân le
Galicien, gouverneur de Badajoz, qui périt victime d’une
agression d’une partie des habitants de cette ville. Mort

été ruiné autant qu’il est dit plus haut. La conquête par Sancho I
de Navarre est sommairement indiquée in Mus. d’Esp. t ut, 45.

(1) La prononciation Kobrosi, Chypriote, n’est qu’une hypothèse,
car ce nom, plusieurs fois répété ensuite, n’est nulle part complète-
ment orthographié. •

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– 307 –

cTOrdono, fils d’Alphonse et prince de Galice, à qui suc-
céda Fruela [Fruela II, son frère] b).

[P. 196J En 312 (9 avril 924), En-Nâçir fît en pays
ennemi l’expédition connue sous le nom de campagne de
PampeluneM. (b Ce qui était arrivé à Viguera aux Benoû
Lope et aux Benoû Dhoû’n-Noûn avait excité sa colère,
de sorte qu’il sortit pour cette campagne d’été avant
l’époque habituelle, le jeudi 2 dhoû’l-hiddja 311 ou 12
chebât. Il quitta Cordoue le samedi 16 moharrem (b 312,
27 avril, quarante- trois jours après sa sortie solennelle b).
Il établit d’abord son camp à Vêlez ^^W et y passa
deux jours à y attendre ceux qui allaient avec lui faire
la guerre sainte, hommes du djond et du peuple aussi
bien que recrues tirées des provinces. Il laissa dans le
palais de Cordoue son héritier présomptif El-Hakam
el-Mostançir, (6 que Dieu garde 1 et le vizir Ahmed ben
Mohammed ben Hodeyr 6). En-Nâçir se porta d’abord
dans les cantons de Todmir et de Valence, où il rétablit
le bon ordre chez les habitants. Il obtint la soumission
d’ e Abd er-Rahmân ben Wad’d’âh’, de Ya f koûb ben Aboû
Khâlid Toûberi, d’ e Amir ben Aboû Djawchen et autres,
qui quittèrent les places où ils dominaient et d’où ils
s’étaient (jusqu’alors) refusés à sortir, (ô II laissa des
officiers et des troupes pour surveiller et combattre
Mohammed ben c Abd er-Rahmân ben ech-Cheykh, qui
occupait dans la région de Valence Medinat el- c Asker< 3 ) et se refusait à en sortir pour prendre part à la campa- gne b). (1) Voir Mus. d’Esp., in, 46. (2) Le Vêlez dont il s’agit paraît être à proximité de Cordoue, et doit être autre que les localités de ce nom dont parle Edrisi. (3) Ce nom ne ligure ni dans Edrisi ni dans le Meràcid. Digitized by Googk – 308 – En-Nâçir, continuant sa marche à la tête de guerriers aussi nombreux que les grains de sable, pénétra dans Tudèle, place frontière, et les Todjîbides et autres se portèrent au-devant de lui; il fut rejoint par les gouver- neurs de la frontière, qui amenèrent des troupes nom- breuses et parfaitement équipées, [P. 197] et entra en pays chrétien le samedi 4 rebî c II (10 juillet) avec l’inten- tion très ferrçie et le projet bien arrêté de venger Dieu et sa religion des misérables et impurs infidèles. Le pre- mier endroit où il campa sur leur territoire fut le chà- teau-fort de Carcar, qui avait été évacué par Sancho ; il le fit démanteler et livra aux flammes tout ce qu’il ren- fermait, (b De là il se porta au lieu dit Peralta kJI ï^s-j, dans les environs duquel se trouvaient des châteaux dans de fortes positions; les chrétiens les évacuèrent, mais en laissant dans la plaine tous leurs biens et leurs vivres, qu’ils n’eurent pas le temps d’emporter. Certains d’entre eux se réfugièrent avec leurs femmes et leurs enfants dans trois cavernes situées à l’extrémité d’une berge dominant la rivière; mais nos soldats ne cessè- rent pas leurs attaques et, soit en s’y hissant soit en y descendant, finirent, grâce à Dieu, par rester les maîtres: ils massacrèrent les hommes, réduisirent les enfants en esclavage et s’emparèrent des dépouilles des vaincus, trouvant là le premier butin dont Dieu les gratifia au cours de cette campagne b). Les châteaux-forts de cette région furent ruinés et on n’en laissa pas une pierre debout. (6 Après s’être arrêté en cet endroit pendant une journée, En-Nâçir se porta contre le château-fort de Falces u*^’, les faubourgs furent livrés aux flammes, les cultures et tous les biens des environs furent entiè- Digitized by Googk tmuA^ w – 309 – rement ravagés et anéantis. De là il s’avança contre le château-fort de Talalla, qui jouissait d’une haute répu- tation, et où Ton trouva quantité de vivres et de grandes richesses b). Les musulmans mirent tout au pillage et ruinèrent méthodiquement toutes les habitations et cons- tructions quelconques. Il se porta ensuite contre le châ- teau de Carcastillo JU~iji, situé sur la rivière Aragon, puis conçut le projet de pénétrer [P. 198] en plein pays chrétien, d’arriver au centre même des infidèles, au lieu d’où partaient leurs ravages et où ils habitaient en sécu- rité. Il fit donc plier bagage, et après avoir donné Tordre de bien garder les ailes, il s’avança par le défilé d’El- Markwîz (*) en maintenant son armée en ligne de bataille et parfaitement disposée (b le samedi 11 rebî c II (17 juillet). Menant ses troupes dans des lieux où elles n’a- vaient jamais pénétré, il livra les châteaux aux flammes et ruina les habitations jusqu’à ce qu’il parvint à la bour- gade de Biscaye ( 2 ) d’où’ le Chrétien était originaire et où toutes les constructions furent détruites, tout ce qui s’y trouvait livré aux flammes. Alors Sancho réunit ses coreligionnaires et fit deman- der du secours dans tous les pays chrétiens où il pouvait en espérer, si bien qu’il se trouva à la tête de forces avec lesquelles il comptait pouvoir tenir tête aux musul- mans. Comme, dans la nuit du mardi au mercredi 15 rebî f II (21 juillet), un parti de cavaliers surveillait des montagnes qui dominaient nos troupes, En-Nâçir fit prendre les dispositions de combat, resserrer les rangs (l)’Sur ce nom, qui est ici orthographié Markwîr, cf. p. 160, n. 2. (2) Ce nom est ici écrit Bachkounsa et désigne peut-être la loca- lité elle-même. Digitized by Googk – 310 – et organiser une active surveillance. Le matin arrivé, il se remit en route et marcha toujours en avant, met- tant sa confiance en Dieu et comptant sur son appui. On se trouva ainsi entre de hautes montagnes et des pics isolés, où les ennemis de Dieu espéraient trouver une occasion favorable pour tomber soit sur une aile soit sur l’arrière-garde des nôtres. L’armée était engagée dans ces lieux resserrés, près de la rivière nommée Ega àJut, quand des cavaliers ennemis descendant des hau- teurs vinrent engager une escarmouche sans impor- tance. L’émir fit abattre sa grande tente, [P. 199] prit ses dispositions de combat b), et les musulmans, se jetant comme des lions sur leurs ennemis, franchirent la rivière pour arriver jusqu’à eux, et les chargèrent avec rage jusqu’à ce qu’ils les eussent délogés et mis en fuite ; puis à coups de sabre et de lance ils les forcè- rent à gagner un endroit escarpé sur une montagne isolée. Mais les musulmans les assaillirent, et Dieu leur ayant aplani les difficultés d’accès, ils tuèrent un bon nombre de leurs ennemis dont les cadavres jonchèrent le sol. La cavalerie ravagea la plaine sans relâche et enleva du butin, des bestiaux et toute sorte de richesses. L’arrnée se retira saine et sauve, n’ayant perdu que Ya’koûb ben Aboû Khâlid Toûberi et un petit nombre d’hommes de l’entourage du prince qui trouvèrent le martyre et pour qui Dieu avait décrété la félicité céleste. Il fut réuni un grand nombre de têtes de chrétiens, (b que la difficulté des chemins et la trop grande distance empêchèrent d’expédier à Co\;doue. L’émir arriva ensuite à l’étape de Lumbier *j~d , puis à celle de Leguiu ^fi; les troupes, sur leur passage, déracinaient tout, consommaient toutes les moissons, Digitized by Googk – 311 — ruinaient les bourgades et les châteaux, et Ton arriva ainsi à Pampelune, que Ton trouva abandonnée et vide. Le prince en personne y pénétra et, après l’avoir parcou- rue, donna Tordre d’en détruire toutes les constructions et de ruiner l’église qui s’y trouvait et qui servait de tem- ple aux infidèles pour l’accomplissement de leurs pra- tiques religieuses; il n’en resta plus pierre sur pierre. De là il se transporta à Çakhrat K’aysW, où se trouvait une église édifiée par le prince chrétien, qui y avait mis tous ses soins et s’était plu pendant un long temps à l’orner et à en assurer la défense. Nos troupes étaient arrivées et commençaient à la ruiner quand ce chien d’infidèle apparut sur une montagne qui en dominait l’emplacement et avec l’intention de la défendre; mais les serviteurs de Dieu, plus prompts que le regard, [P. 300] le chassèrent et le forcèrent à tourner les talons, cou- chant dans la poussière ceux de ses cavaliers et de ses partisans qui voulurent couvrir sa personne et qui sacri- fièrent leur vie pour lui. L’église et ce qui l’entourait furent mis en ruine, et la bourgade devint la proie des flammes. De là l’émir gagna l’étape d’Asâriya en passant par le défilé dit de Herk’ala, où la route se resserrait dans un passage difficile. Comme les chrétiens voulaient profiter de la circonstance, En-Nâçir rangea ses troupes en ordre de bataille, fit exercer une surveillance attentive et les conduisit par rangs serrés et sans aucun désordre, de sorte que le défilé fut franchi sans encombre. L’ennemi, posté au sommet d’une montagne, apparut aux yeux de l’arrière-garde ; mais la cavalerie l’attaqua, le mit en (1) Le nom [de cet emplacement se retrouve dans les Annales du Maghreb, p. 165. Digitized by Googk – 312 — déroute en lui tuant du monde, et les autres se dispersè- rent, fuyant droit devant notre poursuite et sans chercher à se dérober à droite ou à gauche. Les musulmans s’avancèrent ainsi dans la puissance de leur supériorité et la joie de la victoire jusqu’à l’étape d’Asàriya ; de là En-Nàçir repartit pour l’étape fixée à la bourgade de Maneru, puis pour celle d’Echarren (?), proche de San Estevan W b). Ce fut en cette place, qui constituait le lieu de sûreté dans lequel Sancho avait toute confiance, que les troupes arrivèrent le mercredi 21 rebî c IL Alors appa- rut au sommet de la montagne ce chien de chrétien, qui avait réuni toutes ses bandes, levé tous ses guerriers et appelé d’Alava des troupes de secours dans l’espoir de combattre les musulmans avec un succès qui le relè- verait aux yeux des infidèles ses coreligionnaires. Les musulmans commencèrent l’attaque et engagèrent une mêlée où Dieu leur permit de mettre leurs ennemis en déroute ; ceux-ci se concentrèrent au sommet de la mon- tagne pour se disperser ensuite dans des fourrés avoi- sinants, et les vainqueurs passèrent la nuit dans leur camp, [P. 20 1 ] tandis que les f ourrageurs se répandaient dans les bourgades du voisinage et y enlevaient tout. (b En-Nâçir ensuite se transporta à l’étape dite Rubia Sorita(?).^y-Ljj dans l’intention de gagner Calahorra 6). Alors le chrétien reparut de nouveau avec ses bandes (b sur une hauteur d’où il dominait les nôtres et qui augmentait d’autant sa force; mais nos cavaliers se pré- cipitèrent aussitôt sur lui b) et lui infligèrent une défaite des plus honteuses, non sans lui tuer des fantassins et couper les jarrets de ses chevaux. (1 ) Sur le nom d’Echarren, voir ci-dessus, p. 296. . Digitized by Googk – 313 – En-Nâçir se rendit (b au château de Calahorra, qu’il trouva abandonné et qu’il démantela, et de là au château de Valtierra, appartenant aux musulmans et situé dans Je voisinage des infidèles : il y fit accumuler des provi- sions de vivres et distribua de l’argent à la garnison. Il alla de là à Tudèle, où il passa [quelque temps] ; on était alors au lundi 26 rebi c II (1 er août) et, continuant b) sa marche en arrière, il passa par le territoire des Benoû Dhoû’n-Noûn, où Yahya ben Moûsa avait gardé une atti- tude louche en s’abstenant de participer à la guerre sainte. Les dégâts causés par l’armée provoquèrent sa soumission, et il se rendit, craintif et tremblant, auprès de l’émir, à qui il confessa sa faute et qui lui accorda son pardon, (b II en fut de même de Yahya ben Abo.û’1-Fath’, fils du frère de ce chef 6). L’émir fit sa rentrée à Cor- doue le jeudi 22 djomàda I (26 août), après une campagne de quatre mois. En 313 (29 mars 925), En-Nâçir fit une expédition con- tre le canton d’Elvira, assiégea le château de San Este- van (*) et rétablit l’ordre dans le canton de Jaën et lieux environnants, (b II sortit le jeudi 11 moharrem 313, 7 du mois de nîsân (18 avril 925) b) et se mit en campagne le jeudi 21 çafar (b 7 du mois d’ayyâr ( 2 ), c’est à dire qua- rante-deux jours après sa sortie solennelle 6), laissant dans le palais de Cordoue son héritier présomptif Hakam el-Mostançir avec Ahmed ben Mohammed ben Hodeyr pour vizir, (b et comme préfet de la ville Mohammed ben e Abd Allah Kharroûbi. Il fit venir [P. SOS] du canton (1) Transcrit ici ^^^ î cf – P- 271 > n – 2 –

(2) Le 21 çafar correspondant au 18 mai, il semble que, au lieu du
7 ayyâr, on doive lire il, étant donné que Terreur d’un jour se pro-
duit assez souvent,

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— 314 –

deTodmîr le vizir Sa e id ben el-Mondhir pour faire cam-
pagne avec lui, et y envoya pour le remplacer Moham-
med ben Ish’âk. En route il passa par le château-fort de
Monteléon dans le canton de Jaën, et en éloigna c Abd
Allah ben Sa e id ben Hodheyl, qu’il dépouilla également
de tous les autres châteaux obéissant à ce chef, et mit à
sa place dans ces différents endroits c Abd el- e Azîz ben
Maslama et e Abd Allah ben c Amr ben Maslama 6). Il fit
démanteler la plupart des châteaux et des citadelles de
Jaën, qui servaient de points d’appui aux vauriens et aux
fauteurs de troublps, et étaient une cause de dommage
pour les sujets fidèles et loyaux. Il en fit autant pour les
châteaux d’Elvira, et arriva ensuite au château de San
EstevanM (b le lundi 11 rebî c I (6 mai) 6). Comme les
habitants de cette place couvaient des pensées de trahi-
son sous une feinte obéissance, En*Nâçir les invita à des-
cendre et à venir le trouver dans la plaine. Mais alors ils
s’agitèrent et renoncèrent même à leur [apparence de]
fidélité. En conséquence l’armée dressa son camp sous
les murs de la place et en commença le siège avec
ardeur et résolution. L’investissement fut opéré dans
toutes les directions, et l’on éleva six châteaux se faisant
face les uns aux autres et constituant, tant ils resser-
raient la place, comme un anneau où se trouve enchâssé
le chaton. Pendant vingt-cinq jours, En-Nâçir poursuivit
le siège, mais tout en donnant de grands soins au réta-
blissement du bon ordre chez ses sujets, à la sécurité des
routes, à l’extirpation des causes de leurs craintes, et
partout se rendant en personne pour examiner les choses
sur place.

(1) Même remarque qu’à la p. 313, n. 1,

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– 315 –

Pendant qu’il était en campagne, ce prince fit venir de
Cordoue son héritier présomptif et enfant chéri Hakam
el-Mostanç|r,qui avait alors dix ans et huit mois et demi;
il Tinstalla au camp auprès de lui, car il souffrait d’en
être éloigné et désirait vivement le revoir. Il fut en con-
séquence amené par des guerriers et des pages de con-
fiance, tandis qu’au palais il était remplacé [P. 303] par
son frère e Abd el- e Azîz, au nom de qui les correspon-
dances furent expédiées pendant cette absence. Ce rap-
prochement fut une cause de grand plaisir pour En-
Nàçir, qui, ensuite, repartit le vendredi 6 rebi c II (l or
juillet) en laissant aux deux vizirs Sa e id ben el-Mondhir
et f Abd el-H’amld ben Besîl, en compagnie de beaucoup
de gens de sa suite, le soin de continuer le siège du
château de San Estevan. Il rentra dans son palais à Cor-
doue le jeudi 12 rebî c II (7 juillet) b), après être resté
cinquante jours en campagne.

En cette année, le page Khalaf, l’ancien, fut mis à la
tête des manufactures j!^i>.

En chawwâl (comra. 20 déc. 925), Yahya ben Yoûnos
Kobrosi(?) fut chargé des marchés, à raison d’une mala-
die qui mit Ahmed ben Behloûl hors d’état de se mou-
voir. Puis en dhoû’l-ka e da (janv.-fév. 926), Yahya ben
Yoûnos reçut l’inspection des successions, et c Abd Allah
ben Mohammed Kharroûbi devint gardien de l’arsenal.

Sur la chaussée, près de la porte du palais de Cordoue,
fut crucifié l’archer connu sous le nom d’Aboû Naçr,
dont la renommée de tireur était grande du temps
d’ c Omar ben Hafçoûn. Quand on l’eut attaché à la croix,
on lui décocha des flèches jusqu’à ce que les parties
vitales fussent atteintes; son cadavre, après être resté
plusieurs jours en croix, fut livré aux flammes.

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– 316 –

Mort de Mohammed, fils d’En-Nàçir ; — de Thâbit ben
H’azm c Awfî, en ramadan (nov.-déc. 925) : il était de
Saragosse, connaissait de nombreuses traditions, était
un philologue pénétrant, et fit en Orient un voyage
où il reçut les leçons de juristes W. Mort de Fruela [ou
FroïlaH], prince de Galice ( 2 ); Alphonse [fils d’Ordono II]
lui succéda, puis se fit moine et confia le pouvoir à son
frère Rodmîr [Ramire II] en 319 [24 janvier 931 b).

En 314 (19 mars 926), En-Nâçir confia à ses officiers le
soin des expéditions estivales et n’en entreprit pas per-
sonnellement, à cause d’une disette qui ravageait le
pays à la suite d’une sécheresse intense. Il envoya le
vizir c Abd el-H’amîd ben Besîl au point de la frontière
[P. 204] où se trouvaient les Beno.û Dhoû’n-Noûn, pour
les châtier de leur désobéissance, des dévastations aux-
quelles ils se livraient et de leur orgueil vis à vis de
leurs voisins musulmans ( 3 ). Le vizir mit à mort ceux
d’entre eux qui le méritaient, (b et conquit la ville de
Sorita( 4 >, dont les habitants avaient manifesté de l’insu-
bordination et refusaient d’obéir, de sorte qu’à partir
de là ils versèrent de gros impôts et que tout y marcha
aussi correctement que dans les autres cantons b). c Abd
el-H’amîd se retira de cette province après avoir tout

(1) Dhabbi, dans l’article qu’il lui consacre (n° 603), assigne à sa
mort l’une ou l’autre des deux années 313 ou 314.

(2) Sur ce prince et sa succession, voir Dozy, Recherches, 2 e éd., i,
152, ou 3 e éd., 150.

(3) Cette campagne est, d’après Ylkd, de 313.

(4) Dans le Guadalaxara actuel, non loin de Madrid, ou dans le
Waladja des Arabes (Edrisi, 210 et 239; Merâcid, n, 23). Dozy iden-
tifie Sorita avec Almonacid de Zorita, mais M. Saavedra y voit le
Zorita de los Canes actuel (La geog. de Esp., 45). — Il est fait une
brève mention de cette campagne in Mus. d’Esp., h, 346.

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– 317 –

remis en ordre, et En-Nàçir l’envoya alors à Bobastro
pour y assiéger Soleymân ben Hafçoûn (b de concert
avec les autres officiers déjà occupés à cette opération.
L’émir fit également marcher son client Aflah’, directeur
de la cavalerie, contre Soleymân ben Hafçoûn, et ce chef
bloqua de près le rebelle, à qui il enleva le château-fort
de Monte Rubio, qui était l’un de ses repaires les plus
inaccessibles b).

C’est en cette année que fut tué Soleymân ben c Omar
ben Hafçoûn. 11 était sorti à cheval de Bobastro pour
combattre un parti de musulmans qui s’étaient détachés
du gros de l’armée pour l’attaquer; mais des cavaliers
venus du côté où se tenait le vizir f Abd el-H’amîd se
jetèrent sur lui, et Soleymân, précipité de son cheval, fut
décapité par Sa’id ben Ya f la, officier subalterne Çartf)
(b connu sous le nom d’Ech-Chefa ; plusieurs coups de
lance lui avaient d’ailleurs été portés par l’officier subal-
terne Mohammed ben Yoûnos et par certains des Benoû
Motâhir les étrangers (*?^ \)b). On lui coupa en outre
les mains et les pieds. Cet événement est du mardi l Pr
dhoû’l-hiddja 314 (7 fév. 927). Le vizir eirvoya la tête, le cadavre et les deux mains détachées
du corps à Cordoue, où ces débris furent hissés près du
Bâb es-Sodda sur une haute potence. Cet important
succès fut pour tous les musulmans une cause de grande
joie.

(b En la même année on reçut la nouvelle de la mort
du chrétien Sancho, prince de Pampelune b).

La grande sécheresse qui sévit cette année fut la cause
d’une disette générale. Le prédicateur Ahmed ben Baki,

(1) Sancho de Navarre, mort en 926.

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— 318 —

préposé à la prière, se mit plusieurs fois à la tète du
peuple pour dire les prières à l’effet de demander de
l’eau au ciel, [P. 205] et des lettres furent envoyées
dans les divers cantons pour y prescrire les mêmes
cérémonies. L’arrivée de la pluie coïncida avec l’exposi-
tion sur un gibet du cadavre de Soleymân ben Hafçoûn
à la porte d’es-Sodda, et les poètes composèrent à ce
propos de nombreuses poésies, celle-ci entre autres :

[Tawîl] Là des nuages qui laissent échapper une pluie
abondante, ici une pluie formée par le sang ennemi qui
s’écoule et dégoutte ! Ainsi trouvons-nous dans la pluie deux
aides, mais celle-ci est impure, celle-là pure : d’une part
un sang noirâtre dont la terre ne veut pas ; d’autre part un *
liquide bienfaisant qu’elle reçoit et absorbe; souillée par
l’un, elle purifie (par l’autre) sa surface aussi bien que son
intérieur.

(b Le samedi 15 djomâda 1(29 juillet 926), Mohammed
ben f Abd Allah Zedjàli fut investi du vizirat.

Aslem ben f Abd el-‘Azîz, souffrant d’une maladie qui
le forçait à rester assis, fut remplacé en qualité de grand
kâdi de Gordoue par Ahmed ben Baki, qui était déjà
chargé de la prière.

Ahmed ben f Abd el-Wahhâb ben f Abd er-Ra’oûf fut
nommé gardien du trésor ; f Obeyd Allah ben *Abd Allah
Zedjâli fut chargé du service des placets; H’oseyn ben
Mohammed ben < Açim, Ahmed ben Yah’ya ben H’assân
et f Abd el-Wahhâb ben Mohammed ben r Abd er-Ra’oûf
devinrent gardiens des magasins militaires.

Mort d’Açbagh, fils de l’émir El-Mondhir; — du juriste
Mohammed ben c Omar ben Lobâba, dans la nuit du
dimanche au lundi 24 çha r bân (5 nov. 926): né le l ep

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r

– 319 –

redjeb226, il était versé dans la connaissance de&fettvas,
avait des croyances bien orthodoxes et ne dévia pas du
droit chemin depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort.

Mohammed ben ‘Abd Allah Kharroûbi, préfet de la
ville, mourut également le 1 er çafar (18 août 926), et fut
remplacé dans ses fonctions, huit jours après sa mort,
par e Isa ben Ahmed ben Aboû ‘Abda b).

En 315 (8 mars 927), En-Nàçir entreprit une expédition
contre Bobastro pour y combattre Hafç ben f Omar ben
H’afçoûn. (b II sortit en pompe le jeudi 13 çafar 615
(19 avril 927), [P. 206] dix-neuvième jour de nîsân, et
se mit en campagne le lundi 15 rebi* 11.(19 juin), onzième
jour (sec) d’ayyàr, trente- deux jours après sa sortie solen-
nelle 6). Il emmena avec lui dans cette expédition son
héritier présomptif El-Hakam el-Mostançir, alors âgé
de douze ans et neuf mois et demi, laissant dans le palais
f Abd el- e Azîz, frère germain du précédent, Ahmed ben
Mohammed ben H’odeyr en qualité de vizir, et Ahmed
ben f Isa, successeur de son père ‘Isa ben Ahmed le vizir,
en qualité de préfet de la ville b). Suivi de ses troupes,
de sa cavalerie et de ses approvisionnements, l’émir alla
camper sous les murs de Bobastro le mardi 22 rebî f II
(26 juin), mettant plus que jamais de la décision à élever
des constructions offensives et de l’ardeur à bloquer cette
place. Il laissa des officiers en cet endroit pour poursui-
vre les opérations sans interruption, et lui-même se
transporta devant la ville d’El-H’anechW, dont il invita
les habitants à se rendre; il leur fit évacuer la ville,
après quoi il en détruisit les murailles et en anéantit

(i) On en ignore remplacement exact, dit Simone t (Description,
p. 128); c’est aujourd’hui Alanje (ci-dessus, p. 167).

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.

– 320 –

jusqu’aux traces, (b opération à laquelle veilla l’héritier
présomptif de concert avec son client le chambellan
Moûsa ben Mohammed.

En-Nâçir marcha ensuite contre le château de San
Pedro (*) et les châteaux avoisinants, qu’il investit b), cou-
pant les arbres et les vignobles du voisinage et livrant
aux flammes toutes les subsistances de ses ennemis. De
là il conduisit ses troupes vers la ville de Malaga, où il
fit subir le même traitement aux châteaux du voisinage.
Dans cette ville il nomma gouverneur ‘Abd el-Melik ben
el- c Açi et laissa avec lui un certain nombre d’hommes
de sa suite pour expéditionner contre ces châteaux, avec
Tordre de passer par l’épée quiconque en sortirait ou y
entrerait. De là il retourna à Bobastro, sous les murs de
laquelle il réinstalla son camp pour la seconde fois, du
côté de Lemâya( 2 ). [P. 207] Il se rendit alors bien
compte du tort que les constructions élevées par ses
ordres causaient à l’ennemi et combien ils en -étaient
gênés ; il fit en conséquence élever une autre construc-
tion sur un rocher où avaient construit les anciens et
appelé la Ville (el-medîna), (b et chargea de ce soin
Ahmed ben Mohammed ben Elyâs, qui eut à s’occuper
du. canton de Tacorona et de la portion avoisinante de
Lemâya. Il assigna au vizir f Abd el-Hamîd ben Besil un
poste d’où il dominait toutes les routes, de manière à
pouvoir étendre sa protection sur les gens de l’armée
qui s’écartaient pour fourrager ou chercher des vivres,
aussi bien que sur ceux qui, de toutes parts, se ren-

(1) Aujourd’hui Santo Pitar (Simonet, Description, 124 et 319)..

(2) Lemàya, dont Edrisi ne parle pas, est donné comme étant une
forteresse de la région de Malaga (Aboulféda, Géog., n, 250) ou une
ville de la région d’Alméria {Merâcid, m, t7); cf. Simonet, p. 135.

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— 32! –

daient auprès de lui A). Le prince passa sept jours en
cet endroit et n’y laissa subèîster ni. vivres ni appro-
visionnements quelconques à l’usage des infidèles, (b II
gagna de là l’étape de Talad jîra <*), où il fit aussi élevé* des constructions dont il attendit l’achèvement et qui avaient la tournure d’une r ville; le vi?ir Sa’id ben el- Mondhir en reçut le commandement. En-Nàçir jugea alors à propos de renvoyer l’héritier présomptif à Côr- doue, pour qu’il y fût davantage en sûreté et pût repren- dre ses études ; il le fit donc partir sous la garde de gens de confiance, parmi lesquels Dorri ben c Abd er-Rahmân, chef du premier corps de la chorta, et Mohammed ben Ahmed ben Hodeyr le préposé aux placets. Ces person- nages le déposèrent au palais, puis repartirent aussitôt par le Bâb es-Soddà pour regagner le camp, sans qu’au- cun d’entre eux rentrât même dans sa propre demeure o?i vtt aucun parent b). L 4 émir ensuite se retira le samedi 16 djomàda H (18 août), et fut de retour au palais le mardi 19 de ce mois, après soixante-cinq jours de cam- pagne. (b En cette année, En^Nâçir envoya son client Dorri ben e Àbd er-Rahmâu, chef de la ckorta, en expédition contre Ibn ez-Zeyyât, qui s’enfuit à l’approche des trou- ves. Dorri dans cette expédition resta vainqueur de Hà’il, officier au service d’Ibn Hafçoûn, ainsi que de soldats qui étaient sous ses ordres; il les fit prisonniers et les emmena enchaînés à Cordoue, où ils furent crucifiés dans la prairie qui est vis à vis le palais, le dimanche 7 ramadan (5 nov.)* (1) L’emplacement exact en est inconnu (Simonet, Description, 128), mais doit être cherché non loin de Bobastro, ainsi qu’on peut encore le conclure de Y’Ikd, il, 381, 1. 2. Cl. p. 282 et 240. Digitized by Googk – 322 – Fot’ays ben Açbagh fut nommé vizir, son fils ‘Isa gardien ûu trésor, *Abd Allah ben Mohammed bèn c Abd AHâh Kharroûbi [P. 808] préposé aux placets, c Obeyd Allah bèn c Abd Allah Zedjâli, préposé aux successions 6 ). PRISE DE LA VILLE DÉ BÔBASTRO. Comme le siège de cette place -se poursuivait impitoya* blement contre Hafç ben c Omar beiïlHafçoûn, qui. était de toutes parts entouré d’ouvrages destinés à le conte- nir, ce chef reconnut qu’en présence du zèle et de la résolution déployés contre lui il ne pourrait se mainte- nir dans la montagne où il était fixé: En conséquence il écrivit à l’émir pour lui demander 1 quartier et obtenir son pardon, promettant de quitter la montagne et dç reconnaître et accepter son autorité. En-Nàçir lui envoya le vizir Ahmed ben Mohammed ben Hodeyiy lequel, de concert avec Sa e ld ben el-Mondhir, veilla à la sortie d’Ibn Hafçoûn de Bobastro, qui fut occupée > par des
soldats et des gens de la suite d*En-Nàçir le jeudi 23
dhoû’l-ka f da (21 janv. 928). Le vizir Ibh Hodeyr emmena
Hafç avec sa famille ainsi que tous les chrétiens de là
ville avec femmes et enfants, à Cordoue, où leur entrée
eut lieu le 1 er dhoû’l-hiddja:(22 janv.). L’émir ‘accueillit
généreusement Hafç, à qui il- accorda son pardon et un
oubli complet, et qui fit dorénavant partie de la suite du
prince et entra dans le djondW. Quant au vizir Sa c ld ben
el-Mondhir, il resta, à Bohastrô pour contenir cette ville
et y élever les ouvrages commandés par le prince et des-
tinés à renforcer la place.

(t) Cf. Mus. d*Esp>, II, 343.’

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— 323 –

(ôlifort à Ecija d’Ahmed;* fils de l’émir Mohammed;’
‘— du vizir Mohammed ben *Abd Allah Zedjâîi, à l’âge
de cinquante-trois ans, au mois de eha*bàn 5 de Moham-
med beri Ahmed ben Hodeyr> chargé dés placets, vers l’a
fin de l’année j bien que jeune> il avait déjà acquis de la
renommée et de l’influence, et sa perte fut* un coup très
Sehsible pour son oncle le chambellan et pour son père
le vizir. En-Nâçir donna sa place au frère du défunt;
Moûsa ben Ahmed ben Hodéyr, jeune enfant encore
impubère, pour ainsi manifester ses condoléances ai*
père et à l’oncle du défunt [P. 209] et honorer le sou-»
venir de ce dernier. Alors aussi mourut àCordoue Aboû
Soleymân Dâwoûd bén Hodheyl ben Mennàn, qui était
de Tolède (*>. Il répétait les traditions de Nesâ’U 2 ) et d’au-
tres, que plusieurs Cordouans apprirent de sa bouche b)\

En 316 (25 fév. 928), l’émir En-Nâçir se rendit dans la
vHle de Bobastro, postérieurement à la conquête de cette
place, pour y arranger les choses et en régler définitive-
ment l’occupation, (b II quitta Cordoue sans cérémonie
le mardi 15 moharrem (10 mars), sept du mois d’adhâr,
emmenant avec lui son héritier présomptif El-Môstançir>
laissant dans le palais son autre fils *Abd ePAziz pour
recevoir la correspondance, le vizir Ahmed ben Moham-
med ben Hodeyr, et, en qualité de préfet de la Aille,
Ahmed ben ç Isa remplaçant son père e lsa hen Ahmed.
Le chambellan Moûsa ben Mohammed, qui était malade,
ne participa pas à l’expédition. On fit route d’abord par

(1) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n° 737) et par Ibn
el-Faradhi (n« 426). .

(2) Ahmed ben ‘Ali Nesâ’i, -f- 303, a compilé l’un des-grands recueils
de traditions (Ibn Khallikàn, 1, 58). i

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– 324 –

Eôija, puis par Ossunaft). Le prince arriva au château
de Bobastrô lé dimanche 20 moharrem (15 mars), IL
entra dans la ville, la parcourut dans tous les sens et
vit de ses yeux de manière à n’en pouvoir douter que,
par sa position dominante* ses; défenseis, .son élévation
et son isolement des autres montagnes, cette place
n’iavait pas au monde sa pareille pour l’inexpugnabilité
et l’étendue de son assiette. Aussi se confondH-H en
actions de grâces à l’égard de Dieu qui lui avait permis
et facilité cette conquête, et il pratiqua le jeûne pendant
toute la durée de son séjour. Il prit les mesures néces-
saires pour l’édification d’une citadelle aussi bien condi-
tionnée et aussi forte que nulle part ailleurs. IlTépartit
entre ses soldats la destruction de tous les ouvrages de
fortification qui se trouvaient à l’entour, ainsi que des
demeures qui étaient en dehors. Il fit exhumer les cada-
vres d^Omar benHafçoûn et de son ûte»et leurs tombes
ouvertes les montrèrent, couchés sur . le dos, selon le
mode d’inhumation des chrétiens. Tous les juristes qui
participaient à l’expédition d’En-Nâçir virent la chose,
et. tous les assistants attestèrent [P. 210] que les deux
infidèles étaient morts dans la foi chrétienne. En consé-
quence ils furent retirés de leurs tombes, et leurs impurs
ossements, transportés à Cordoue, furent exposés au Bâb
es-Sodda sur des potences élevées à côté de celle de
l’hérétique Soleymàn ben c Omar, pour servir d’avertis-
tissement aux spectateurs. Ce fut là pour les musul-
mans une véritable satisfaction (*).
(b L’émir confia le commandement et la possession de

(1) Ce trait déshonorant pour la mémoire du prince qui ordonna un
pareil acte, est aussi rappelé par Ibn Khaldoun (ïv, 135 ad f.) et par
r

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— 325 –

BôBâstro, ainsi que les ouvrages à y construire, à Sa c îd
Jien el-M©ndhir. Il força à se soumettre les habitants d^s
châteaux de San Pedro, de Yemàrech, de H’àt’roûn «t
autres repaires de èé genre, et ces gens, descendant de
leurs montagnes, se répandirent dans la plaine, tandis
que les châteaux étaient entièrement rufnés et renversés
de fond en comble. Les chrétiens ne cçnservèrent plus?
de ce côté aucun château connu ni aucun. repaire habité,
et le canton de Malaga, malgré la Quantité de places
inaccessibles et de fiers repaires qu’on y comptait, se
trouva n’avoir plus de montagnes entré les mains d’un
ennemi : quelque peu redoutable. Les mêmes procédés
furent employés à l’égard des châteaux de Tacorona et
de MeghîlaM, sauf pour ceux dont la prise de possession
était indispensable. II rechercha quels étaient les hom-
mes qu’il y avait lieu d’éloigner et de transférer à Cor.*-
doue à raison de leur participation aux troubles, de
manière à ce qu’il ne régnât qu’un même esprit dans une
population désormais tranquille et en repos. Il envoya
le vizir e Abd el-Hamîd ben Besil dans le canton de
Sidona pour y ruiner les châteaux-forts et réunir les
habitants de ceux-ci dans la ville de Calsâna, capitale
de cette région &h. Il fit sortir lés Benoû Dâwoûd de leurâ
châteaux-forts, dont il attribua le gouvernement à des
fonctionnaires et à des hommes de confiance destinés à

(1) Meghlla, que ne cite pas Edrisï, « constitue un vaste canton de
Sidona ; on y trouve la Kal’at Ward » (Merâcid, m, 128 ; cf. suprà,
p. 224). Peut-être Benameji, dit Simonet, p. 135 ; et cette identification
est aussi admise par Dozy (Recherches, i, 2′ éd. p. 328, ou 3′ éd. p. 326).

(2) Le nom de cette ville ne ligure pas dans Edrisi, ou plutôt y est
écrit fautivement Tochâna, mais le Meràcid le donne (n, 440) ; cf. la
dissertation de Dozy, Recherches, 3* éd., i, 303, et Boletifi de la R. A.,
xxix, p. 364 et 429.

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— 326 —

administrer sagement la population de la province. Cette
expédition du prince, où tout se fit sans aucun danger*
fut des plus fécondes au point de vue des bons et profi-
tables résultats : gloire soit à Dieu I II se relira le diman-
che 5 çafar (30 mars) et rentra à Monyel en-Nâ c oûra ie
samedi 11 du même mois, après une absence de vingtrsix
jours.

En la même année, le kâïd Ahmed ben Ish’àk Korachi
conquit la ville d’Alicante, dans le canton de Todmir, et
celle de Callosa ii^ij(*). [P„ 81 1] Il provoqua la soumis-
sion des Benoû’ch-Cheykh, qui occupaient ces places et
les forteresses avoisinantes, et les amena à Cordoue le
samedi 15 cha’bân (23 septembre)»

Les fils d’Aboû Djawchen, au nombre d’une soixan-
taine, durent sortir de leurs retraites (des environs) de
Valence. Ils s’étaient laissé aller à provoquer des trou-
bles et à provoquer ainsi la vengeance. En-Nàçir recher-
cha ceux d’entre eux qui étaient coupables, qu’il fit dis-
perser ; puis on amena dans la prairie, vis à vis le palais
de Cordoue, ceux qui avaient mérité la mort, et ils furent
décapités en cet endroit le jour même de leur arrivée.

Les fonctions de vizir furent retirées à Fot’ays ben
Açbagh ; celles de préfet de la ville passèrent des mains
d’*Isa ben Ahmed ben Aboû e Abda dans celles d’Ahmed
ben c Abd el-Wahhàb ben e Abd er-Ra’oûf. On n’avait jus-
qu’alors pas vu la destitution simultanée de tous les gar-
diens du trésor : or les cinq hommes qui remplissaient
ces fonctions, Sa e id ben Sa e id ben H’odeyr, Ahmed ben

(1) Le Merâcid écrit ^J^JlB et place celte ville, que ne cite pas
Edrisi, à six milles cTOrihuela (t. n, p. 447). Sur cette expédition,
cf. Mus. d*Esp., il, 346.

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– 327 –

Moûsa ben Hodeyr, Ahmed ben
doue. 11 fit son entrée à Béja, dont il nomma gouverneur
c Abd Allah ben e Omar [sic} ben Maslama, soùs les ordres
de qui il laissa une forte garnison avec les approvfeiont
neraents nécessaires, et qui reçût pour instructions d’élè^
Ver dans cette ville une citadelle destinée à abriter le
gouverneur seul.

Après avoir séjourné en tout quinze jours devant Béja,
(b Ëu-Nàçir en repartit pour se rendre à Ocsonoba, pro-
che du littoral de l’Océan Atlantique, et arriva sous les
murs de celte ville le 22 djomâda II (2 août). En route il
s’était rendu maître de Hiçn el-Wik’à e , où se trouvaient,
appartenant à Khalaf ben Bekr, seigneur d’Ocsonoba,
des richesses, des approvisionnements et des armes, dont
s’emparèrent la suite du prince et les soldats, et qui leur
furent laissés à titre de butin. Des envoyés de Khalaf se
présentèrent à l’émir pour lui dire le retour de leur maî-
tre à de meilleurs sentiments, l’obligation qu’il contrac-
tait de dorénavant obéir et les excuses qu’il invoquait à
raison de l’éloignemént de la contrée qu’il habitait; il
envoya en outre les cadeaux d’hospitalité et des rede-
vances extraordinaires en s’engageant au versement inté-
gral d’un fort tribut. D’autre part, les habitants du pays
manifestaient un vif attachement pour lui et parlèrent
avec éloge de son administration, de sorte qu’En-Nâçir
le confirma dans son poste en lui imposant le versement
annuel du tribut auquel il s’était engagé, l’obligation de
continuer une sage et douce administration, ainsi que de

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nfepas recevoir d’insoumis ni accueillir de fugitif s.. Kfaar
laf prit tous ces engagements et se conforma à ce qui lui
était imposé. /

En-Nâçir repartit d’Ocsonoba lé samedi 27 djomâda II
(7 août) et rentra dans son palais à Cordoue le dimanche
Î4 rédjeb> après avoir fait eampagne pendant quatre–
vingt-treize jours.

[P. 216] EN-NAÇIR SE REND EN HIVER A BOBASTRO
POUR EXAMINER CETTE PLACE.

Le prince fit, en cette année, une absence du palais
Ën-Nâ e oûra pour aller examiner Bobastro et voir de ses
yeux à quoi en étaient les constructions et le degré
d’avancement des mesures qu’il avait prescrites, (b ij
partit de Monyet en-Nâ e oûra le jeudi 13 cbawwâl (19
nov.jet arriva à.la montagne de Ôobastro le jeudi 19 [sic ;
lisez 20] de ce mois. Il pénétra dans la ville qu’il parcou-
rut,, et résolut les diverses affaires qui avaient provoqué
son déplacement. Il en repartit le lendemain et rentra
au palais d’En-Nà’oûra le mardi 25 chawwâj, b) ayant
fait une absence totale de treize jours.

Maints succès furent remportés au cours des engage-
ments qui eurent lieu avec les habitants de Badajoz, et
Ahmed ben Ish’âk envoya soixante-dix prisonniers .qu’il
leur avait faits, et qui périrent par la çnain du bourreau
devant le palais à Cordoue.

La ville de Xativa, dans la région de Valence, fut con-
quise; c Amir ben Aboû Djawchen dut apporter sa sou-
mission (b entre les mains de Dorriben c Abd er-Rahmân,
chef de la chorta, mais il stipula qu’il continuerait dtia-.

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– 334 –

bîtèr à Sôntéèria hj* viJLfi tf). jasqa’â ce qu’il commettait
à transporter ses meubles et ses enfants à Gordoue. –

e Abd el-Melik ben c Omar ben Choheyd et e Isâ ben
Ahrùieé ben Aboû e Abda furent nomoaés vizirs par le
prinee ; Sa e id ben Sa c îd bçn Hodeyr fut nommé comman-
dant du second corps de la choria, fonctions qui furent
créées à ce moment. Khâled ben Omeyya ben Ghoheyd fat
pour la seconde fois nommé gardien (du trésor); c Abd
er-Ra’oûf ben Ahmed ben e Abd el-Wahhâb fut chargé
du service dès plàcetsô). ” •”

L’année 318 (3 fév. 930) vit la conquête de Badajoz.
(h Quand les habitants de cette ville et leur chef Ibn Mçr-
wân se trouvèrent serrés de près et que, pour soutenir
cette longue lutte, ils eureqt perdu leurs guerriers,
épuisé toutes leurs ressources, que, d’autre part, tous
leurs arbres étaient coupés, [P. 217] quand ils recon-
nurent avoir, affaire à une fermeté sans défaillance, à une
ardeur contre laquelle ils ne pouvaient rien, ils deman-
dèrent grâce, et réclamèrent leur pardon à En-Nàçir,
qui se montra aussi bon pour eux que pour ceux qui les
avaient précédés dans cette voie 5). Ibri Merwàn le Gali-
cien, ainsi que sa famille et les plus puissants de ses
partisans, furent en conséquence éloignés de cette ville
et installés à Cordoue, où de hauts grades militaires
leur furent attribués. Quant à Badajoz même, En-Nâçir
nomma un gouverneur dans sa nouvelle possession, qui
fut traitée comme les autres cantons.

En~Nâçir envoya des gens de confiance de son entou-
rage ainsi que des juristes sérieux et capables; de sa

(1) Il est parlé de cette ville par le Merâçid (n, 129). Edrisi n’en dit
rien.

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– 335 –

capitale; aux Tolédans pour lés inviter et les sommer
de rentrer dans l’obéissance et d’agir comme les autres
membres de la communauté des fidèles-: ils ne payaient
en effet p$s le tribut, ne s’astreignaient pas à l’obéis-
sance et ne s’abstenaient ni d’actes défendus ni d’in-
soumission. La réponse, qui consista en excuses falla-
cieuses, convainquit En-Nàçir de leur duplicité et de
leur refus d’obéir, et,- se décidant à faire campagne
contre eux, il se prépara à les attaquer et à leur faire
sentir la puissance de son bras. -Il fit donc sa sorfie
solennelle pour une expédition d’été au commencement
de rebi* II 318 (mai 930), c’est à dire au mois de nlsàn,
et se” fit précéder par un important corps d’armée conûé
au vizir Sa c îd ben el-Mondhir, que suivirent aussi dé
noiiibreuses bandes. Sa c îd avait ordre de camper soua
lés murs de Tolède et d’en faire le blocus, en attendant
d’être rejoint par l’émir à la tête de toutes ses troupes et
des diverses catégories des gens formant son entourage.
Parti le samedi 21 rebi e II (23 mai)» le vizir s’avança à
marches forcées, et sitôt qu’il eut établi son camp dans
la plaine voisine de Tolède, il entreprit le blocus de
cette ville, ainsi qu’il en avait reçu Tordre, avec une
résolution et un zèle extrêmes. Quant à l’émir, il se mit
en marche le jeudi 2 djomâda II (2 juillet) (b 29 ayyâr,
emmenant avec lui son héritier présomptif El-Mostançir
et son fils Mondhir, mais laissant dans le palais son
autre fils e Àbd el- e Azîz pour recevoir la correspondance,
ainsi que le vizir Ahmed ben Mohammed ben Hodeyr,
[P. 218] et, en qualité de préfet de la ville, Ahmed ben
c Abd eï-Wahhâb ben e Abd er-Ra’oûf .
t Pendant qu’il était en route et campait à Algodoz (*),
(1) C’est ainsi que, dans ses Corrections, Dozy lit le nom, de cette

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– 336 ~

proche du chôteau-fort dé Mora ij y, dont les Tolédans
s’étaient emparés ef avaient fait à là fois une cause d’in-
quiétude pour les musulmans et un point d’appui pour
les malfaiteurs, — il envoya au Tolédan qui y comman-
dait, Mot’af rif ben e Abd ér-Rahmàn ben H’abib, un mes-
sage* chargé de l’avertir, môrpe, en employant lès-. ‘mena-
naces, qu’il eût à sortir dé ce château et à en opérer la
remise, Mot’af rif obéit aussitôt sans chercher aucun fau*
prétexte ni montre}’ la moindre velléité de résistance ; il
quitta la place, qu’En-Nâçir fit occuper. Le prince, pour-
suivant sa marche à la. tête de ses troupes et toujours
çtnimé d’une implacable résolution, parvint à l’étape de
Djarankas W, près Tolède, le mardi 14 djomàda I (13
juin). Dominant de là la plaine de Tolède, le fleuve, les
jardins et les Vignobles de cette ville, il chercha l’en-
droit le meilleur pour en faire sa base d’opérations et lé
lieu le plus rapproché pour infliger aux habitants toutes
les angoisses d’un siège rigoureux. Le cimetière, proche
Ja porte de la ville, lui ayant paru constituer le point
d’où il pourrait faire le plus de mal et pousser le siège
de plus près, il s’y installa Je lendemain et commença à
faire aux rebelles un mal inimaginable b). Jt resta là
pendant trente-sept jours sans discontinuer ses dévasta-
tions, coupant les arbres, pillant et ruinant les bourga-
des, anéantissant toutes les cultures. Puis il donna l’or-
dre d’élever sur la montagne de Djarankas une ville
qu’il nomma El-Fath’ (la victoire), et confia ce soin au
vizir Sa e id ben el-Mondhir ; ce fut là qu’il fit transporter

rivière, qu’il avait ailleurs (Mus. d’Esp., H, 349) orthographié Algodor,
forme qui figure aussi sur la carte de l’atlas Stieler..
(1) Ce nom est ici orthographié ^XjL^.; dans V’Ikd (n, p. 381)»

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– 337 –

les boutiques, ce fut là l’endroit qu’il traita eu ville, car
c’était là que les soldats se procuraient tout ce qui leur
était utile. Mohammed ben Sa c id ben el-Mondhir (b fut
placé à la Porte du ponU 1 ) avec des gens de l’entourage
royal, et ces deux chefs eurent ordre de mettre la plus
grande ardeur à combattre. Pendant qu’En-Nàçir était
dans son camp sous Tolède, il reçut la visite des deux
chefs des châteaux de Canelas et d’Alfamint 2 ), [P. 2 19]
qui vinrent reconnaître sa souveraineté : il les fit trans-
férer à Cordoue en donnant Tordre de les traiter géné-
reusement et de fournir tout ce qui était nécessaire pour
leur déménagement et leur voyage 6). Le jeudi 23 djo-
raâda II (23 juillet), lui-môme quitta Tolède pour rentrer
dans son palais de Cordoue le lundi 4 re.djeb, après une
campagne d*une durée de soixante-et-un jours.

(b T’arafa ben c Abd er-Rahmân, préposé à la cuisine
(royale), fut chargé du service des successions. La con-
servation des magasins militaires fut confiée à Ahmed
ben Abân ben Hâchim et à Hafç ben Sa c îd ben Djâbir.

Mort d’un fils d’En-Nàçir du nom de Mohammed ; —
d’Omeyya ben Mohammed ben Omeyya ben e Isa ben
Choheyd ; — de Hâchim ben Mohammed Todjibi ; — de
Mohammed ben Ibrahim ben el-Djebbâb, juriste préposé

(1) Dans le texte, bâb el-kantara. M. Amador de los Rios distingue
à Tolède les deux ponts el-kantara, qui était à arches et en pierre, et
el-djisr, qui était formé par des bateaux. C’est- de ce dernier, dit-il,
qu’il est question ci-dessus, p. 112 1. 15, 138 1. 19, et 157 1. 12 {Los
puentes de la antigua Toledo, in Revista de archivos, 1903, p. 441 et s.).

(2) Le premier de ces noms est écrit ^JLLwii . Le Merâcid men-
tionne aussi un ^xJu^i dans la région de Carmona (n, 457 ; cf.
Simonet, p. 134). Quanta Alfamin ^v^.^.aJ\, il en est’ question dans

Edrisi (p. 211 et 229) et dans le Merâcid (il, 369).

22

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– 338 –

à la rédaction des actes W, le lundi 3 ramadan; — de
Çoheyb ben Menî e , kâdi de SévilleW; — d’Aboû Ghâlib
Merwân ben e Obeyd Allah ben Besîl b).

En 319 (24 janv. 931), (b on sortit les grandes tentes
(royales) et les tentes ordinaires pour les porter au cam-
pement situé au Nord du Guadalquivir et connu sous le
nom de Plaine des tentes royales (fahç es serâdik)®).
En-Nâçir ensuite se rendit au môme endroit à raison de
la campagne qu’il projetait contre Tolède ; mais il ne
donna pas suite à ce dessein, et se contenta de laisser
poursuivre les opérations par les officiers qu’il avait
chargés du siège. Néanmoins il leur envoya des renforts
considérables en cavalerie, en approvisionnements et en
armes, ainsi que des recommandations d’avoir à faire
tous leurs efforts et à déployer tout leur zèle et leur
résolution pour accabler les fauteurs de désordres qui
résidaient dans cette ville b).

{a En cette année 319, Moûsa ben AboiVl- c Afiya, prince
du Gharb, écrivit à En-Nâçir pour lui faire savoir son
désir de contracter amitié avec lui et de le reconnaître
pour son suzerain, ajoutant qu’il s’efforçait de lui conci-
lier les sympathies des populations du Gharb qui l’avoi-
sinaient. Il fut fait à cette demande le plus gracieux
accueil, et il y fut répondu par un envoi de vêtements
d’honneur et de sommes d’argent, secours qui mirent
Moûsa en état de lutter victorieusement avec Ibn Aboû’l-
r Aych et d’autres. Aussi à partir de ce moment [P. 220]

(1) Il ne figure ni dans Ibn Farhoun ni dans la Bihl. ar. hisp.

(2) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n° 856) et par Ibn
Faradhi (n à 602).

(3) C’est un emplacement qui servait de lieu de plaisance et dont il
est dit quelque chose in Makkari, i, 309.

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– 339 –

les affaires de Moûsa dans le Gharb prospérèrent, de
nombreuses tribus berbères se joignirent à lui, il conquit
la ville de DjorâwaW et en chassa El-Hasan ben Aboû’l-
e Aych ben Idrîs TAlide. Entre lui et ce dernier prince il y
eul de terribles combats ( 2 ).

En la même année, En-Nâçir se rendit maître de la
ville de Ceuta, où il mit une garnison et qu’il fortifia par
des constructions; il employa le tuf dans l’édification des
murs d’enceinte et installa dans cette place les officiers
et les hommes du djond qu’il choisit ( 3 ). Ceuta devint
pour l’Espagne la clef et la porte du Gharb et du littoral
africain, de la même manière qu’Algéziras et Tarifa for-
maient pour le littoral africain la clef qui ouvrait la porté
de l’Espagne. Le prône y fut prononcé au nomd’En-Nâçir
le 3 rebî c I de cette année (26 mars 931).

(b Les officiers qui assiégeaient Tolède apprirent que
leurs ennemis préparaient une sortie pour tâcher de
tomber sur quelque point faible des pays- frontières mu-
sulmans. Mais le vizir Ahmed ben Mohammed ben
Hodeyr, étant parti de Cordoue à la tête d’un certain
nombre d’hommes de l’entourage royal et de musulmans
armés à la légère, les ennemis de Dieu, au reçu de cette
nouvelle, renoncèrent â leur projet et ne bougèrent pas
de leur ville, de sorte que, grâce à Dieu, nous n’eûmes
pas à souffrir de leur perfidie. Le kàïd [et vizir] Ahmed
ben Mohammed ben Hodeyr arriva alors devant Tolède
et joignit ses efforts à ceux des officiers spécialement
désignés pour en faire le siège.

(1) C’est ainsi qu’il faut prononcer le nom de cette ville, et non
Djeràwa (voir le Merâcid et le Lobb el-lobâb, et cf. Edrisr, p. 91).

(2) Sur ces événements, cf. le t. i, p. 287.

(3) Voir le 1. 1, p. 289, et les auteurs cités ; Dozy, Mus. d’Esp., m, 49.

W-

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– 340 —

Le samedi 2 djomâda I (23 niai), Ahmed ben Moham-
med ben Elyâs et Yoûnos ben Sa c id partirent à la tête
d’une flotte chargée d’approvisionnements et où de nom-
breux bâtiments transportaient quantité de guerriers et
de matelots de toutes catégories. Passant par le port
d’Algéziras, ils allèrent débarquer sur le littoral africain
et assiégèrent Ibn Aboû’l- c Aych, qui exerçait des hosti-
lités contre ceux de ce pays qui avaient reconnu la suze-
raineté du Prince des croyants, et combattait ouverte-
ment Moûsa ben Aboû’l- c Afiya, partisan de ce dernier et
soutien de ses droits. Mais l’hiver qui survint empêcha
la continuation du siège, et ces deux chefs s’éloignèrent
avec leurs vaisseaux et les guerriers qui s’y trouvaient.

De préfet de la ville, Ahmed ben f Abd el-Wahhâb ben
r Abd er-Ra’oûf devint vizir, et [P. 221] Yahya ben
Yoûnos Kobrosi fut nommé au premier poste, le 1 er djo-
mâda I (22 mai). Mais comme Yahya se montrait trop
irascible et trop violent à regard des malfaiteurs, le
vizir e Abd el-Hamîd ben Besil le remplaça en chawwâl
(oct.-nov.).

c Abd el-Wahhâb ben Mohammed ben c Abd er-Ra’oûf
fut chargé du service des placets, et l’administration des
domaines royaux fut confiée conjointement à Mohammed
ben f Abd Allah ben Mod’ar et à e Abd Allah ben Mo’âwiya
ben Bozeyl.

Ahmed ben Hâchim ben Ahmed ben Hâchim, client de
l’héritier présomptif El-Mostançir, fut nommé, sous la
haute direction de celui-ci, gouverneur d’ c Abla et de
Finana dans le canton d’ElviraW.

Mort, le mercredi 6 cha c bân, à l’âge de quatre-vingt-

(1) Ces deux localités sont sur la route de Pechina à Grenade (Edrisi,
p. 246, reproduit par Simonet, Description, 144).

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– 341 –

sept ans, d’Aboû’l-Dja’d Aslem ben c Abd el- c Aziz ben
Hùchim ben Khâlid ben c Abd Allah ben Hoseyn ben
Dja c d ben Aslem ben Abân ben c Amr, lequel c Amr était
client d’ c Othmân ben c Affân. Aboû’I-Dja e d Aslem était
grand kâdi à Cordoue, avait voyagé et suivi les leçons
de divers savants. Il était peu traitable et appliquait le
droit à ses chefs; il n’ç^erça pas ses fonctions de kâdi
jusqu’à sa mort, à raison de son grand âge et de ce qu’il
n’était plus capable de rédiger les jugements qu’il ren-
dait (*>.

Mort du juriste Fad’l ben Selama Bedjâni, qui avait
reçu les leçons [de bons maîtres] et qui est auteur de
bons livres (2 ) ; — du juriste et traditionnaire Mohammed
ben Fot’ays, à ElviraW ; — d’Ahmed ben H’àmid Zedjâli,
en djomâda I (mai-juin 931).

Mort, le 21 dhoû’l-hiddja, d’Es-Seyyida, qui était fille
de l’imâm e Abd Allah. Pendant que le jeune En-Nâçir,
avant de monter sur le trône, était élevé au palais sous
les yeux de son grand-père c Abd Allah, cette princesse
l’avait plus d’une fois accusé et desservi auprès de
l’imâm c Abd Allah, son père à elle. Aussi s’attendait-elle
bien à ce qu’En-Nâçic, après son avènement, la punirait
et lui rendrait le mal dont elle s’était rendue coupable à
son égard ; mais ce fut le contraire qui se réalisa : En-
Nâçir la traita avec faveur, et lui accorda une influence
plus grande qu’à aucune personne de sa famille ou à ses
cousines, de sorte qu’elle les éclipsa toutes.

[P. 222] Mort, le samedi 18 dhoû’l-hiddja, d’ c Obeyd

(1) Voir ci-dessus, p. 259.

(2) Des articles lui sont consacrés par Dhabbi (n° 1283) et par Ibn
el-Faradhi (n° 1040).

(3) Voir les articles de Dhabbi (n° 252) et d’Ibn el-Faradhi (n- 1203).

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— 342 –

Allah ben Fihr, qui avait été chargé du gouvernement
de diverses provinces et était général b).

En 320 (13 janv. 932), En-Nàçir entreprit contre Tolède
une seconde expédition, (ô qui aboutit à la conquête de
cette ville. Il fit sa sortie solennelle au commencement
de djomâda II 320, au mois de hazlràn, et partit le samedi
14 redjéb (21 juillet), le 11 de tamoûz, en compagnie de
son héritier présomptif El-Mostançir, laissant au palais
son fils e Abd el- e Azlz, à qui devait parvenir la correspon-
dance, et les vizirs Ahmed ben Mohammed ben Hodeyr
et e Abd el-Hamîd ben Besîl, ce dernier préfet de la
ville b).

Quand les Tolédans s’étaient vus bloqués et serrés de
près par des officiers qui ne lâchaient pas pied, ils
avaient fait des levées et cherché des recrues chez les
infidèles dans l’espoir de se procurer ainsi une aide suf-
fisante M. Mais cela ne leur avait servi de rien, ni n’avait
pu éloigner le châtiment qu’ils méritaient, et ces efforts
n’aboutirent qu’à une honteuse déconvenue : les assié-
geants en effet marchèrent contre les infidèles qui, bat-
tus et dispersés, durent s’enfuir vers ceux qui avaient
sollicité leur concours et espéré en leur aide. Alors les
Tolédans, désespérant de plus trouver personne qui les
mît à l’abri de la puissance divine ou qui les protégeât
contre les maux dont Dieu les affligeait depuis longtemps,
réclamèrent leur pardon à l’émir et lui demandèrent
humblement l’amnistie. Tel fut le motif pour lequel En-
Nâçir partit à la date précitée à l’effet de recevoir la
soumission des Tolédans, d’établir son autorité dans

(1 ) Allusion au secoure cherché par les Tolédans auprès de Ramire II
de Léon {Mus. d’Esp., n, 349, et ni, 51 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak,
iv, 141).

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– 343 —

leur ville et de procéder à l’examen des mesures défini-
tives à prendre, (b II établit son camp â Djarankas le
mercredi 25 redjeb (1 er août), mais il avait été déjà pré-
cédé dans cette localité par le chef de la ville, Tha e leba
ben Mohammed ben e Abd el-Wârith, qui était venu au-
devant de lui [P. 2S3J pour confesser son ignorance et
demander le pardon de son # erreur. En-Nâçir se montra
indulgent et le couvrit de sa grâce; il amnistia égale-
ment les Tolédans, qui se présentèrent alors au camp
pour s’y procurer les commodités de la vie et y acheter
les vivres de la privation desquels ils souffraient depuis
longtemps, par suite du siège. Ces gens apprirent ainsi
à connaître les avantages de la sécurité succédant à la
crainte, de l’abondance à la suite du besoin, de l’expan-
sion après la contraction b). Le lendemain de son arri-
vée, le prince monta à cheval et fit son entrée à Tolède,
qu’il visita dans toutes ses parties : il constata la force
des fortifications, la hauteur de l’emplacement, l’enche-
vêtrement des montagnes dans la cité même, les diffi-
cultés d’accès dans toutes les directions, rivière ou pentes
abruptes, le grand nombre des habitants, et cet examen
ne fit qu’augmenter la reconnaissance qu’il devait à Dieu
pour lui avoir donné cette place au prix d’efforts peu
considérables ; il dut reconnaître que, sans le zèle et la
résolution déployés, cette place n’aurait pu être emportée,
tant à raison de la force qu’elle tenait de la nature et de
la main de l’homme que de l’habitude des habitants de
soudoyer les infidèles, de rechercher chez eux protection
et secours contre leurs propres gouverneurs. Combien
de rois n’avait elle pas lassés, les armées restant impuis-
santes et les expéditions devant se retirer sans avoir rien
pu obtenir! Mais la faveur divine s’étendant sur l’émir

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— 344 –

et le fortifiant, lui permit d’en devenir maitre. (b II prit
ensuite les mesures nécessaires pour assurer l’édification
de constructions solides et bien conditionnées destinées
à abriter les officiers qui auraient à y demeurer et à
maintenir les habitants. Ce fut le kâïd Dorri ben c Abd
er-Rahmân qui fut chargé de ce soin, et la place reçut
une forte garnison abondamment approvisionnée d’ar-
mes et de tout le nécessaire. A plusieurs reppises En-
Nâçir retourna dans la ville, y fit faire les démolitions
nécessaires, et pendant huit jours surveilla l’achèvement
de ce qu’il avait ordonné et l’exacte mise à exécution de
ses volontés: on jeta les fondements des bâtisses, les
habitants recouvrèrent la tranquille jouissance de leurs
demeures, [P. 224] les boutiques se rouvrirent, les
marchés, aussi bien que le pourtour dés habitations et
les portes des mosquées purent être fréquentés en toute
sécurité b). En-Nâçir repartit de son camp sous Tolède
le samedi 6 cha c bân (12 août) et rentra dans son palais
à Cordoue le samedi 19 [sic] de ce mois, après une cam-
pagne de trente-six jours.

(b En-Nâçir répandit ses générosités sur les diverses
classes et catégories de guerriers, du djond et des gens
de son entourage qui avaient assisté avec lui à la prise
de possession de Tolède. Il procéda simultanément à la
circoncision de quelques-uns de ses jeunes fils.

Il révoqua de leurs fonctions de gardiens du trésor
Mohammed ben c Abd Allah ben Hodeyr et e Abd er Rah-
mân ben c Abd Allah Zedjâli. De ce même poste Ahmed
ben c Isa ben Aboû c Abda fut transféré à celui de com-
mandant militaire de Pechina ajUr? d). Khâled ben Oraeyya

(1) Ancienne capitale de la province cPAlmeria (cf. Edrisi, 245;
Simonet, Description, p. 136 et 145 ; Merâcid, i, 127, etc.)

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nrr?w

– 345 _

ben Choheyd et Mohammed ben Djahwar ben f Abd el-
Melik furent confirmés en qualité de trésoriers, et leurs
deux collègues révoqués furent remplacés par Seken ben
Ibrahim et Ahmed ben Mohammed ben Mostanir.

Sa e id ben el- K’âsim, oncle maternel de l’émir, fut pré-
posé au service des placets.

Le 11 chawwâl (15 oct.), Fot’ays ben Açbagh fut nommé
préfet de la ville.

Mohammed benK’àsim ben T’amellèsMfut préposé au
service des placets.

Le samedi 4 chawwâl (8 oct.), la direction de Phôtel
des monnaies fut enlevée à Ahmed ben Mohammed
ben Moûsa ben Hodeyr et confiée à Yahya ben Yoûnos
KobrosiP).

Mort d’Ahmed ben Aboû Nawfel K’orachH 3 ), c’est à
dire d’Ahmed ben Moh’àrib ben K’at’an ben c Abd el-
Wàhid ben K’at’an ben e Açma ben Anîs ben c Abd Allah
ben Djah’wân ben e Amr ben H’abîb ben c Amr ben Chey-
bân ben Motfârib ben Fihr: il vivait à l’écart du monde
et en ascète, et atteignit l’âge de soixante-quinze ans.

Mort du chambellan Moûsa ben-Mohammed ben Ho-
deyr, âgé de soixante-cinq ans, dans la nuit du samedi au
dimanche 15 çafar (26 fév. 932) après la prière du magh-
reb; — [P. 225] d”Obeyd Allah ben préposé aux successions et aux bâtiments, en ramadan
(sept.), à l’âge de quarante-et-un ans; — d’Ahmed ben
Mohammed Zedjâli, qui s’était mis au service [du prince],

(1) J’ai orthographié ce nom d’après le Kamoûs; Dozy récrit
Tomlos, avec les voyelles qu’indique le ms, et de Slane, Tamlès.

(2) Cet alinéa est traduit par Sauvaire, qui prononce le mot Ko-
brosi (?) « el-Qabarty ? » {J. As., 1882, i, 287).

(3) Il ert l’objet d’une brève mention dans Dhabbi (n° 466). %

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– 346 –

et qui avait des connaissances et de la promptitude d’es-
prit; — d ,e Imrân ben Aboû e Omar le bouffon, qui était
aveugle; cet homme, qui jouait le rôle de plaisant et de
bouffon, fréquentait les cours et trouva bon accueil auprès
d’En-Nâçir, qui l’appelait auprès de lui dans ses moments
de repos b).

En 321 (1 er janv. 933), la nouvelle parvint à Cordoue
qu’Aboû’l-Mançoûr [SemghoûK 1 )] ben el-Mo e tazz, jeune
garçon de treize ans, était devenu gouverneur de Sidjil-
mâssa; au bout de deux mois, son cousin paternel Mo-
hammed ben el-Fath* se révolta contre lui, le chassa et
s’empara de la ville ; il prit le titre d’emîr el-mou’mintn
et, au bout d’une vingtaine d’années W, le surnom d’Ech-
Châkir lillàh. Les dinars châkiriyya sont ceux que fît
frapper ce prince < 3 ).

En 322 (22 déc. 933), on apprit à Cordoue la mort du
prince d’Ifrîkiyya c Obeyd Allah le Chi c ite, surnommé le
Mehdi, et l’intronisation de son fils Aboû’l-Kâsim, sur-
nommé El- K’â’im bi-amr Allah <*). En 323 (11 déc. 934), le Slave Meysoûr, officier du prince d’Ifrîkiyya Aboû’l-Kâsim le Chi c ite, se présenta sous les (1) J’ajoute ici ce nom tel qu’il est orthographié dans le t. i # p. 298 ; c’est le même, vraisemblablement, qui figure sous la forme Semgou dans Bekri et dans YHist. des Berbères. (2) En 342, d’après le 1. 1, p. 298. (3) Sur ces événements, cf. le 1. 1, p. 298 et 322 et les notes. Ce qui a trait à la frappe des dinars a été reproduit par Sauvaire, J. As., 1880, i, 465 ; cf. Bekri, p. 335 ; le Kartàs, p. 55 du texte ; Berbères, i, 264. — Sous Tannée 321, une campagne dirigée par ‘Abd el-Hamîd contre Yahya ben Dhoû’n-Noûn amena la soumission de celui-ci {‘Ikd, il, 382). (4) Voir t. i, p. 300. — En l’année 322, une campagne fut dirigée contre Mohammed ben Hichàm, à Saragosse, contre Pampelune, etc. (‘Ikd, ii, 383 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 142 ; Mus. d’Esp., ni, 51 ; Recherches, 3* éd., i, 155). Digitized by Googk – 347 – murs de Fez, dont les habitants luttèrent contre lui pen- dant sept mois sans qu’il pût venir à bout de leur résis- tance. Il assiégea ensuite Ibn Aboû’l- e Afiya et obtint pour cela l’aide desBenoû Idrîs. Ibn AboûVAfiya dut s’enfuir dans le désert, et tout ce qui lui appartenait tomba entre les mains des Benoû Idris, princes dont nous avons déjà tait l’histoire* 1 ). En 324 (30 nov. 935), eut lieu en Ifrikiyya la révolte contre Aboû’l-Kàsim le Chi’ite de Makhled ben Keydâd. Ce soulèvement se produisit dans les montagnes de l’Au- rès, où se trouvent de nombreuses forteresses occupées par les Hawwâra et autres peuples qui professent les doctrines khâredjites ( 2 >.

En 325 (19 nov. 936), EnrNâtfir donna Tordre d’édifier
la ville d’Ez-Zahrà, où chaque joyr six mille pierres
équarries étaient mises en œuvre, en outre des moellons
employés dans les fondations, ainsi que je le dirai plus
loin 0). .

En 327 (29 oct. 938), [P. 226] à l’extrémité du Gharb
s’éleva, à la suite de la mort de son père, [ c Isa ben e Abd
Allah] Aboû’l-Ançàr ben Aboû e Afir Berghawât’i (*), qui

(1) Voir là-dessus le t. i, p. 301 et s. ; Annales du Maghreb, p. 320,
et les auteurs ci lés.

(2) Voir le 1. 1, p. 313 et s. ; Annales, p. 323; Mus. d’Esp., m, 66, etc.

(3) Sur la construction d’Ez-Zahrà, cf. Mus. d’Esp., ni, 92, ainsi
qu’Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 144. — Ce dernier auteur, sous
Tannée 325, mentionne aussi la révolte d’Omeyya ben Ish’àk à Santa-
rem, ainsi que des expéditions contre les villes de Saragosse et de
Calatayud et contre Tota, reine régente de Navarre (éd. Boulak, iv,
139 et 140; ci. Dozy, Mus. d’Esp., m, 56; Recherches, i, 182 de la
2* éd., ou 166 de la 3* éd.).

(4) Les mots entre crochets sont ajoutés d’après ce qu’on trouve
dans le 1. 1, p. 324 et 327, cf. 313; voir encore Bekri, p. 301 et 305;
htibçâr, tr. fr., p. 158; Annales du Maghreb, p. 379. Le nom ‘Afîr
ou ‘Ofeyr est écrit Ghofeyr par Bekri.

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– 348 –

observait ses engagements et ses promesses. Ce fut lui
qui envoya en ambassade Zemmoûr Berghawât’i à El-
Mostançir fils d’En-Nàçir.

En 329 (6 oct. 940), le kâïd Ahmed ben Mohammed ben
Elyàs acheva la ville de Sektàn (*), où il mit une garnison
et qu’il approvisionna de vivres et d’armes. En-Nâçir
envoya le kàïd Ahmed ben Ya e la ( 2 ) avec des personnes
de rangs divers provenant de son entourage à l’effet
d’aller rejoindre le premier chef dans cette ville, où Ibn
Ya c la arriva en çafar (décembre). Le 1 er djomàda I (1 er fév.
941), on apprit le succès de celui-ci, gouverneur de la
ville qui venait d’être bâtie : il avait de là pénétré dans
le territoire du roi chrétien Rodmir (Ramire II), et y
avait tué et réduit en captivité un certain nombre d’enne-
mis. La lettre qu’il adressa à Cordoue était accompagnée
de deux cents captifs chrétiens. Ce fut là le premier suc-
cès par lequel Ibn Ya’la rabattit l’orgueil du chrétien
RodmîrW.

En 330 (26 sept. 941), au mois de moharrem, la constel-
lation de Zoubàna (pinces du Scorpion) s’éleva à l’hori-
zon occidental de Cordoue vis à vis le Scorpion en s’éloi-

(1) La même que Sekyàn des Annales du Maghreb, p. 24.4 ?

(2) Cet officier était gouverneur de Badajoz (Dozy, Notices, p. 140;
Mus. d’Esp,, ni, 65).

(3) L’année 939 (327 de l’hégire) vit une terrible défaite infligée à
En-Nàçir par les chrétiens, et sur laquelle notre auteur est absolu-
ment muet ; voir l’article « Batailles de Simancas et d’Alhandega »
in Dozy, Recherches, 3* éd., I, 156 ; cf. Mus. d’Esp., ni, 62 ; ce savant,
sans parler du texte d’Ibn el-Athîr {Annales, p. 323), ni de celui des
Notices (p. 150 ad f.), a cru qu’Ibn Khaldoun et Mas’oûdi sont seuls
parmi les auteurs musulmans à rappeler la défaite du khalife omey-
yade. J’ajouterai qu’on en retrouve encore le récit, dans une rédac-
tion à peu près identique à celle de Mas’oûdi, dans la portion de
l’ouvrage géographique de Bekri actuellement conservée à Paris (vas
ar. 5905, f. 150 ; c’est une copie moderne très médiocre).

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– 349 –

gnant de celui-ci et paraissant à la vue tout près de
toucher la sphère (?) supérieure. Cela fut vu pour la pre-
mière fois dans la nuit du vendredi au samedi 27 mohar-
rem ou 16 octobre, et la constellation continua de s’éle-
ver de plus en plus haut dans le ciel jusqu’à ce qu’elle
disparût (*).

En 331, le jeudi 5 çafar (20 oct. 942), le vizir et kâïd
Ahmed [ben Mohammed] ben Elyâs fit son entrée à Cor-
doue, de retour de l’expédition qu’il avait entreprise du
côté de la frontière et pour laquelle il était parti à la fin
de chawwâl 330 (mi-juillet 942), c’est à dire que son
absence avait duré trois mois et deux jours. Il avait
envahi le canton de Todmîr ( 2 ), avait mis fin à la confu-
sion où se débattaient les habitants et ramenait des
otages prélevés chez certains d’entre eux. Son influence
avait exercé les effets les plus favorables.

Une forte crue du fleuve de Cordoue endommagea le
pont de celte ville.

En 332 (4 sept. 943), En-Nâçir envoya le kâïd Ahmed
ben Mohammed [P. 337] ben Elyâs en expédition con-
tre la Galice; ce général envahit le territoire ennemi, où
il enleva du butin et détruisit plusieurs châteaux-forts
par l’incendie, après quoi il se retira.

Un violent tremblement de terre se fit sentir à Cordoue
dans la nuit du dimanche au lundi 9 dhoû’l-ka f da (15*
juillet 944); jamais on n’avait ressenti d’aussi vives
secousses non plus qu’on n’en avait ouï parler. Elles

(1) Il est aussi parlé d’un phénomène céleste en Tannée 939, proba-
blement une éclipse, et qui ne peut être le même que celui-ci, par
Sampiro (in Recherches de Dozy, 3* éd., i, 158, n. 1, et cf. p. 162).

(2) Ce nom de Todmîr, c’est à dire Murcie, me paraît être employé
ici à tort.

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– 350 –

eurent lieu après la dernière prière du soir et durèrent
une heure. La population, excessivement effrayée, se
réfugia dans les mosquées, adressant au ciel de bruyan-
tes invocations pour lui demander la fin de cette épreuve,
et les prières finirent par être exaucées. Le lendemain
matin se produisit un ouragan, suivi bientôt d’un autre,
lesquels déracinèrent une grande quantité d’arbres, oli-
viers, figuiers, palmiers, etc., et enlevèrent un grand
nombre de tuiles des toits; après quoi il tomba une pluie
torrentielle qui inonda le sol et une grêle violente qui
tua quantité d’animaux sauvages, d’oiseaux et de bes-
tiaux, de même qu’elle anéantit les récoltes sur lesquelles
elle éclata, de sorte que les effets en furent désastreux.

En moharrem 333 (août-sept. 944), un vent d’ouragan
venant du sud souffla sur Cordoue, et il tomba une forte
grêle.

En la même année parut à Lisbonne un individu qui
prétendait descendre d^Abd el-Mott’aleb et avoir pour
mère Meryem, fille de Fàt’ima; il se donnait en outre
pour prophète, et Gabriel, disait-il, lui faisait des révé-
lations; il donna à ses adeptes diverses prescriptions
et leur imposa des rites tels que de se raser la tête et
autres peu raisonnables. Mais quand on voulut le recher-
cher il disparut.

En-Nâçir envoya sur le littoral africain K’âsim ben
Mohammed [ben Tamellès] pour y commander les trou-
pes destinées à combattre les Benoû Mohammed, Idri-
sides descendant de H’asan, qui, cette année-là, se mon-
traient insoumis et violaient leurs engagements de fidé-
lité^). Il avait préalablement adressé à Mohammed ben

(1) C’est dans Ibn Khaldoun {Berb., n, 146 ; cf. i, 270, et Téd. Boulak,
IV, 141) qu’on trouve le plus de renseignements sur ces faits, dont il est

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•=- 354 **

el-Kheyr W, chef des Zenâta, et à ses autres gouverneurs
dans le Gharb, l’ordre écrit de faire les préparatifs néces-
saires et de prêter leur concours à son général ; puis il fit
partir celui-ci pour Ceuta le 15 rebî c I (5 nov. 944). Quand
le chef des Benoû Mohammed, qui était Aboû’l-‘Aych
ben c Omar ben Idris ben e Abd Allah ben H’asan ben el-
Hasan ben r Ali ben Aboû Tàleb < 2 ) fut informé de la
chose, il s’empressa d’affirmer son obéissance |P. 338]
à En-Nâçir, qui lui garantit la vie sauve. Alors Aboû’l-
c Aych envoya à Cordoue son fils Mohammed à l’effet de
bien confirmer sa soumission, et le prince Omeyyade le
fit recevoir en grande pompe. Mohammed fit son entrée
à cheval en compagnie du kâïd Ahmed ben Elyàs, qui
avait été chargé de le recevoir, et la pompe déployée à
cette occasion ravit le regard et combla tous les cœurs.
Il arriva ainsi au^palais d’Ez-Zahrâ, où En-Nâçir le reçut
en audience solennelle, le fit placer auprès de lui et le
traita avec les plus grandes marques d’honneur ; après
quoi le nouveau- venu se retira dans le même cérémonial.
Le même jour que Mohammed ben Aboû’l- e Aych, arri-
vèrent aussi auprès d’En-Nàçir des envoyés des Idrisi-
des, cousins de Mohammed et émirs du Gharb. On dressa
ce jour-là l’acte accordant l’amnistie à Mohammed ben
Idrîsi 3 ). En-Nâçir adressa en outre une invitation à Mo-

parlé insuffisamment dans le t. I du Bayân et dans Bekri ; voir aussi
le Kartàs, p. 51 du texte.

(1) A Mohammed ben Khazer et à El-Kheyr ben Mohammed, à ce
que dit Ibn Khaldoun {Berb., u, 146).

(2) AboùVAych Mohammed ben ldris ben ‘Omar, connu sous le
nom d’Ibn Methala (d’après les Berb., n, 146-7, ainsi que Bekri, où
on lit lbn Meyala, p. 296; cf. Jakubi, Descriptio, p. 124).

(3) C’est à dire, si je ne me trompe, le Mohammed ben ‘Isa ben
Ahmed ben Mohammed de Y H. des Berb.,, n, 147. Il règne d’ailleurs

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•-352 –

hammed ben Aboû’l- e Aych et le traita avec les plus
grands honneurs. Ce prince passa à Cordoue le reste de
Tannée toujours comblé de la même manière. La dépu-
tation dont nous avons parlé se retira après avoir pris
rengagement de reconnaître l’autorité d’En-Nâçir. Les
détails de tout cela seraient longs à raconter.

A la fin de chawwâl (mi-juin 945), arriva l’envoyé d’EI-
Kheyr ben Mohammed ben Khazer Zenâti, émir du
Gharb, accompagné de l’envoyé de H’omeyd ben Yeçel
Zenâti (*), lesquels annoncèrent à En-Nâçir rentrée de ces
deux chefs dans la ville de Tâhert, où ils avaient établi la
suzeraineté du prince Omeyyade.

Le dernier jour de chawwâl (14 juin 945) arrivèrent
auprès d’En-Nâçir deux envoyés d’Aboû Yezid Makhled
ben Keydâd, connu sous le nom de l’homme à l’âne, lequel
s’était révolté en Ifrikiyya contre Aboû’l-Kâsim le Chi c ite.
Ce chef annonçait dans son message qu’il s’était emparé
des villes deKayrawân, deRakkâda et des cantons qui
en dépendent, qu’il y avait infligé un échec aux partisans
du Chi’ite, qu’il reconnaissait l’autorité d’En-Nàçir et se
soumettait à lui en acceptant sa qualité d’imàm. Depuis
ce moment jusqu’à sa mort, les lettres et les messagers
d’Aboû Yezîd furent régulièrement envoyés à Cordoue.

En 334 (13 août 945), En-Nâçir donna une audience de
congé aux messagers envoyés par les Kayrawâniens et
par Aboû Yezîd Makhled ben Keydâd Ifreni, qui avait
surgi en Ifrîkiyya et y combattait le bon combat contre
les princes chiMtes, qui s’étaient emparés de ce pays

assez de confusion dans les noms des Idrisides (voir de Goèje, Jalntbi,
p. 122).

(1) On prononce aussi ce nom H’amîd, p. ex. dans YHist. dés Ber-
bères ; cf. t. t, p. 281, et Bekri, p. 184, 288 et 293.

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– 353 –

[P. 2S9] et descendaient d ,e Obeyd Allah le pseudo-
f atimide. Ibn Keydâd leur avait à plusieurs reprises infligé
des défaites complètes. En-Nàçir reçut ces messagers,
au nombre de trois et dont le principal était Temîm ben
Aboû’l- c Arab Temimi, s’entretint avec eux de l’objet de
leur mission et, après leur avoir donné une réponse pour
leur maitre, leur permit de retourner auprès de lui, non
sans leur avoir remis des cadeaux et des vêtements
d’honneur.

Cordoue vit encore arriver des ambassadeurs envoyés
par le grand empereur de Constantinople, Constantin,
fils de Léon, pour présenter des lettres au prince Omey-
yade. Celui-ci s’assit sur son trône dans le palais de
Cordoue pour recevoir ces envoyés, ainsi que les nom-
breuses et diverses députations qui attendaient audience ;
il avait d’ailleurs envoyé au-devant d’eux les provisions
nécessaires ainsi qu’une escorte militaire. Bien installé
sur son trône, En-Nâçir avait a sa droite son fils El-Hakam
également assis, tandis que ses autres fils occupaient des
sièges à gauche et à droite, de môme que les vizirs et
chambellans rangés en ligne et par rang d’importance.
Les ambassadeurs, précédés des présents dont ils étaient
porteurs, firent leur entrée et restèrent interdits en
voyant de leurs yeux cette manifestation intimidante
de la grandeur royale et cette foule de monde ; ils vou-
lurent se prosterner le front contre terre, mais En-Nàçir
leur fit signe de n’en rien faire. Ils remirent alors le
message dont les avait chargés Constantin, calligraphié
en lettres d’or sur papier azuré (*).

(1) Cette ambassade serait de 336, d’après ce que dit Ibn Khaldoun
dans le chapitre qu’il a consacré aux relations entretenues par En-
Nàçir avec les puissances étrangères (éd. Boulak, îv, 142) ; ci-dessous,

23

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— 354 —

Il y eut à Cordoûe une grande inondation; Peau mofata
dans la tour connue sous le nom de Tour du lion (bordj
el-asad), ce qui restait du pont fut détruit, une brèche
fut faite au quai et ailleurs encore.

En-Nàçir reçut la visite de Mohammed ben Moham-
med ben Koleyb, qui vint de Kayrawân lui annoncer
qu’Aboû’l-Kàsim ben e Obëyd Allah le chi c ite était mort
à Mehdîyya pendant qu’il y était assiégé par Aboû Zeyd,
et que ses adhérents avaient choisi pour le remplacer son
fils Ismâ f îl, brave et fier cavalier qui avait marché contre
Aboû Zeyd, Pavait attaqué dans la ville de Sousse, battu
et forcé de s’enfuir à Kayrawân.

A la fin de çafar (comm. d’oct. 945), la garde des maga-
sins militaires fut confiée à r Abd el-A’la ben Hàchim
[en remplacement de. . . ?], mort au mois de moharrem.

En 335 (2 août 946), on commença à élever la ville de
Sâlem (Medinaceli) à la Frontière moyenne. [P. 230]
On lit dans le livre d’Ibn Mas’oûdW : « En 335, En-Nàçir
rebàtitla ville de Medinaceli, depuis longtemps abandon-
née, située à la Frontière moyenne orientale, vis à vis
le pays de Castille, que Dieu veuille anéantir ! Elle était
à cette époque déserte et abandonnée, et le prince char-

année 338. On trouve ailleurs des détails sur les ouvrages de médecine,
d’histoire, etc., qui furent alors envoyés de Constantinople en Espa-
gne (lbn Aboù ‘Oçaybi’a, n, p. 47, éd. du Kaire, traduit par deSacy,
Ahdalîatif, p. 495; cet auteur parle de l’empereur Romain, c. à d.
Romain II, qui régna de 948 à 963, et place l’envoi de ces ouvrages à
une date qu’il croit être, dit-il, 337 de l’hégire. A la date de 965 indi-
quée par lbn Adhari, Constantin Porphyrogénète venait de remonter
sur le trône).

(1) Il n’y a, à ma connaissance, aucun chroniqueur ayant acquis
de la notoriété sous ce nom ; peut-être s’agit-il du célèbre lbn Bach-
kowal, qui s’appelait Khalaf ben .

En-Nàçir révoqua et emprisonna c Abd Allah ben Mo-
hammed, directeur de la Monnaie, [P. 83 1] dont l’in-
capacité avait excité sa colère. Il le remplaça par e Abd
er-Rahmàn ben Yahya ben Idrîs le sourd, et l’hôtel des
monnaies fut transféré de Cordôue à Ez-Zahrâ.

Le secrétaire Djà c far ben c Othmân Moçh’afiW se trans-
porta à Mayorque et dépendances, pour y rétablir Tor-
dre troublé.

Homeyd ben Yeçel Miknâsi vint du Gharb, son pays,
à Cordoue auprès d’En-Nâçir, qui envoya au-devant de
lui une escorte militaire pour le recevoir en pompe. Il
fut accueilli avec honneur et de magnifiques promesses
lui furent faites.

En 337, le 15 moharrem (25 juil. 948), En-Nâçir tint
dans le palais d’Ez-Zahrâ une pompeuse audience à
laquelle se présenta Homeyd ben Yeçel ; après celui-ci
arrivèrent Mançoûr et Aboû’l-‘Aych, l’un et l’autre fils

(1) Ramire II s’était alors aliéné son vaillant vassal Ferdinand
Gonzalez {Mus. d’Esp., m, 72).

(2) Sur ce personnage, dont le nom reviendra plus loin, voir Notices,
p. 141 ; Matmah, p. 4 ; Dhabbi, n° 614 ; ms 2327 de Paris, I. 5 ; Mak-
kari, etc.

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– 357 –

d’Aboû’l-‘Afiya, accompagnés de H’amza ben Ibrahim,
seigneur d’AlgerW. Tous reçurent des cadeaux et des
vêtements d’honneur, puis ils furent autorisés à rentrer
dans leur pays.

A Cordoue fut mis et} croix, après qu’on lui eut coupé
les pieds et les mains, f Ali ben r Achra, de Lisbonne,
qui avait fait de grandes dévastations et exerçait le bri-
gandage sur les grandes routes.

L’affaire d’Artak’ira < 2 >, où l’ennemi fut battu, est aussi
de cette année.

En 338 (l cr juil. 949), des ambassadeurs du grand empe-
reur de Constantinople vinrent trouver En-Nàçir pour
lui offrir rétablissement de relations amicales et d’une
correspondance régulière. En-Nâçirfit de grands prépa-
ratifs pour les recevoir, après leur avoir envoyé une
escorte militaire et des approvisionnements. L’audience
qu’il leur accorda est restée célèbre, car jamais prince
avant lui ne déploya une telle pompe et ne fit ainsi res-
sortir sa puissance ; aussi la description en serait-elle
longue. La lettre que remirent ces envoyés au nom de
leur souverain était écrite en lettres d’or sur du parche-
min teint en azur ; elle portait un cachet en or pesant
quatre mithkâl, et sur l’une des faces duquel se trouvait
l’image du Messie, tandis que l’autre face portait les
effigies de l’empereur Constantin et de son fils ( 3 ).

(1) En arabe, Djezà’ir Mezghanna. Or, ce fut vers cette époque que
Bologgîu ben Zirî reçut de son père l’autorisation de fonder la dite
ville (Hist. des Berbères, n, 6).

(2) Je n’ai pas vu ce nom ailleurs, et j’ignore même dans quelle
direction est située la localité qu’il désigne. Le dictionnaire de Madoz
relève, du côté de Pampelune, deux localités portant les noms d’Ar-
tacoz et d’Artariain.*

(3) Cf. ci-dessus, p. 353, n. 1.

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– 358 –

Conformément à Tordre d’En-Nâçir, Ahmed benYa’la
et H’omeyd ben Yeçel Miknàsi marchèrent contre les
Benoû Mohammed, Idrisides Hasanidesqui étaient émirs
du Maghreb. Ces deux chefs quittèrent [P. 232] Cordoue
pour Algéziras avec ceux des soldats qui se joignirent à
eux, le 15 redjeb (8 janv. 950). A la fin du même mois,
En-Nâçir reçut l’envoyé d’un des princes Hasanides,
lesquels faisaient savoir qu’ils reconnaissaient son auto-
rité et acceptaient son ordre de ruiner Tetuan, dont il
leur avait interdit l’édification. Le 1 er cha’bân (24 janv.),
il accepta ces offres et donna Tordre de leur adresser
une réponse. Ensuite Mohammed ben Aboû’l- f Aych Ha-
sani vint trouver En-Nâçir au nom de son père Aboû’l-
‘Aych, et le prince Omeyyade, se portant au-devant de
lui, le reçut avec les plus grands honneurs. Puis, comme
on apprit la nouvelle de la mort d’Aboû’l-‘AychW, En-
Nâçir fit venir Mohammed auprès de lui, lui offrit ses
condoléances à l’occasion de la perte fut tué cette année-là.

Kâsim ben c Abd er-Rahmàn partit de Cordoue condui-
sant à Homeyd ben Yeçel, kâïd d’En-Nâçir dans le Gharb,
onze charges d’argent et des charges d’approvisionne-
ments pour faciliter à ce chef les moyens de défendre la
dynastie Merwânide [ou Omeyyade] dans cette région. Le
5 çaf ar (19 mai 956) eut lieu ce départ, et le 15 une lettre
de Homeyd annonça qu’il avait pénétré à Tlemcen( 3 ).

En 346 (4 avril 957), les émirs des Benoû Rezîn et de
ceux qui s’étaient ralliés à eux vinrent trouver En-Nâçir,
et parmi eux le principal, Merwân ben Hodheyl ben
Rezin, qui s’était révolté dans la plaine qui dépendait
d’eux [Albarracin]. Ils furent bien reçus et traités hono-
rablement.

Le kâïdGhâlib Nâçiri se transporta au Fahç es-Serâdik
pour partir en guerre contre les chrétiens. Il remporta
en effet des succès contre eux, enleva des châteaux-forts
dont il massacra les défenseurs, ravagea entièrement

(1) Sur ce savant juif, voir Mus. d’Esp., ni, 75 et 84; Ibn Abou
‘Oçaybi’a, éd. du Kaire, n, 47, dans Tarticle consacré à Ibn Djoldjol
et traduit par de Sacy, Abdallatif, p. 495 ; Munk, Mélanges de philo-
sophie juive, p. 480, et les auteurs cités.

(2) Cf. Mus. d’Esp., III, 75.

(3) La conquête de ïlemcen par En-Nâçir en 345 est aussi rappelée
par le Kartâs, p. 62.

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les plaines qui obéissaient à Garcia fils de Sancho, et,
après en avoir mis les bourgades en ruines, revint vic-
torieux. De môme le kâïd Ahmed ben Ya e la opéra sa
sortie solennelle après Ghâlib pour aller aussi combattre
en pays chrétien. [P. 238] Le dimanche 24 rebî f II
(25 juil. 957) arriva une lettre annonçant qu’il avait pu
remporter une grande victoire W au cours de son expé-
dition contre la Galice, massacrer un grand nombre
d’ennemis, couper quatre cents têtes et ramener avec lui
une quantité innombrable de bêtes de somme et de
chevaux.

En 347, au commencement demoharrem(fin mars 958),
le kâïd Ahmed ben Ya’la, chef de la chorta, reçut d’En-
Nâçir l’ordre d’aller à la tête de la flotte attaquer leterri-
toire de Ma’add ben Ismâ’il, prince chi c ite d’Ifrîkiyya. Ce
chef eh conséquence se rendit solennellement au campe-
ment du faubourg le jeudi 8 moharrem (l or avril) pour
préparer cette expédition. Sa sortie, qui eut lieu en
grande cérémonie, provoqua la curiosité des Gordouans
qui se précipitèrent tous à ce spectacle, hommes, fem-
mes et enfants, en foule innombrable. Selon leur cou-
tume, ils se répandirent aux abords du faubourg, puis
la populace commença à se lancer des pierres et à se
partager en deux camps, comme dans un véritable com-
bat. Il arriva ensuite de ce côté des Tangitains du djond
du sultan, et, grâce à leurs excitations, ce qui n’était
qu’un jeu devint une véritable bataille, sous les yeux
d’une foule de spectateurs, hommes, femmes et enfants,
rangés autour des deux partis. Soudain uae volte donna

(1) Où fut battu Sancho, frère et successeur (TOrdofio III, roi de
Léon {Mus. ct’Esp., m, 79).

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le dessus à l’un d’eux, qui tomba sur l’autre et se livra
à des violences. Alors les Tangitains, donnant libre cours
à leurs mauvais instincts et à leur grossièreté, commen-
cèrent à piller les vaincus, puis passèrent de ceux-ci aux
spectateurs qui les entouraient, brutalisèrent les fem-
mes à qui ils enlevèrent leurs vêtements et en violèrent
un grand nombre ; alors celles d’entre elles qui se trou-
vaient nues se cachèrent dans les cultures assez touf-
fue^ 1 * pour les faire échapper aux regards des hommes
et attendre qu’ils se séparassent. Tout cela serait long à
raconter.

En djomâdall (juil.-août), un message du kàïd Ahmed
ben Ya f la, qui commandait la flotte, arriva d’Aslân,
dans la province de Tlemcen, annonçant que Djawher,
général au service du prince d’Ifrikiyya Ma’add ben
Ismâ’îl, avait tué par trahison Ya f la ben. Mohammed
ben Çàlih’ Ifrenit 2 ), seigneur de la ville d’Afekkàn* 3 ),
lequel avait été remplacé, par suite de la désignation
des siens, par son cousin paternel. [P. 839] Le dit offi-
cier revint à Cordoue accompagné de Weled ben K’orra;
cousin paternel de Ya’la ben Mohammed précité, choisi
par ses contribuas les Benoû Ifren pour remplacer ce
dernier. De très grands honneurs furent rendus à ce
chef.

En 348, le 1 er rebî< II (11 juin 959), 3flty.

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– m ~

Joi. perdre toute valeur; ttt as remémoré ou plutôt ré/614
dans l’oubli ce qu’on disait de leurs actes, qui sont main*
tenant comme inexistants. Venu le dernier d’entre eux, ton
opulence, égale à celle de tes prédécesseurs, manquera à tes
successeurs : nui de ceux-ci ne pourra répéter tes actes, de
ceux-là ta générosité n’a rien à réclamer.

“Combien ce prince n’a-t-il pas fait d’expéditions bieti
connues, remporté de victoires célèbres dont la gloire
lui restera dans l’avenir sans que le cours des siècléà
la puisse effacer I ”

Ibn c Abd Rabbihi a composé une ardjoûza cjttt traité
des expéditions entreprises par En-Nàçir de 301 à 322 W.
Les poètes ont longuement chanté ses louanges et copieu-
sement témoigné leur reconnaissance. N’était le fait
qu’on se contente de ce qui circule de cette ardjoûxà;
nous la répéterions en tout ou en partie ; mais la règle
que nous suivons est d’être bref et concis.

Voici une anecdote rapportée par Hayyân ben Khalaf
et qui montre sa généreuse conduite à l’égard d’un de
ses fonctionnaires. Mohammed ben Sa e id, connu sous
le nom d’fbn es-Selim( 2 ), s’était constitué une grosse
fortune grâce à ce qu’il avait géré pendant longtemps
des charges importantes, et En-Nâçir le savait. A plu-
sieurs reprises, le prince lui adressa [sans succès] des
invites à l’y faire participer de son plein gré, car il était

(1) Poème du mètre redjez dont il a été parlé plus haut et où Ton
trouve beaucoup plus de verbiage que de renseignements utiles.
Notre compilateur aurait dû dire 300, et non 301.

(2) Ce personnage ne paraît pas devoir être confondu avec le kàdi
connu aussi sous le nom dlbn es-Selîm. Du rapprochement de Y ‘Ikd
(il, 381 1. 3) et de notre texte, p. 321, 1. 6, il faut conclure que Sa’id
ben el-Mondhir était aussi appelé ïbn es-Selim ; il ne semble pas
qependant qu’il puisse être ici question de lui.

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— 374 —

son souverain, et pourrait, s’il le voulait, s’en emparer;
mais la générosité de ses sentiments s’y opposait. Alors
il dit un jour à son audience : « A quoi peuvent penser
certains courtisans qui,^ se trouvant largement pourvus
par nous des biens de ce monde, se sont mis à amasser
de l’argent sans se soucier de nous servir, qui voient
les grosses dépenses auxquelles nous astreignent nos
affaires, et qui y trouvent, parce que nous pouvons les
faire, la tranquillité de leur situation et les aises de la
vie? Ils savent pourtant que le Prince des croyants
[P. 843] c Omar ben el-Khattâb imposa à ses gouver-
neurs le paiement d’une portion déterminée d’après les
bénéfices qu’ils avaient réalisés dans leurs fonctions, et
la fit verser au trésor, Qu’était ce chef et qui étaient
ceux à qui il s’adressait ? C’est un exemple à suivre. »
Ibn es-Selim, sans répondre sur ce point, se mêla à la
conversation comme si un autre que lui eût été visé.

Cependant la colère et les mauvaises dispositions
d’En-Nàçir croissaient. Un jour que, à une de ses audien-
ces privées, il venait de recevoir du vin de sa main et
qu’il coupait une pomme avec un couteau: « Je voudrais,
s’écria-t-il, couper de même la tête de celui que je sais
avoir acquis une grosse fortune à notre détriment et qui
n’en verse rien au trésor I » Cette fois, Ibn es-Selim resta
tout interdit et ne douta plus qu’il ne s’agît de lui ; alors,
se dressant devant son maître, il lui parla ainsi : « Prince
des croyants, il y a longtemps que tu fais allusion à moi,
et je me suis tu. Oui, je l’affirme, j’ai une grosse fortune,
mais qui n’est pas ce que tu penses ; c’est par l’économie
que je l’ai acquise, pour faire face à des revers possibles,
et je ne t’en donnerai ni un dirhem ni, partant, davan-
tage. Tu as un jugement parfait, sauf quand tu déclares

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= 375 –

licite [ce qui ne Test pas] ; à Dieu de plaise que tu rtiettes
la mairi sur mon bien sans que je réclame contre toi !
Les âmes des hommes sont livrées à l’avarice W.» Alors
En-Nàçir, tout honteux, baissa la tête en récitant les
paroles sacrées : S’il vous demande vos biens et qu’il vous
presse, vous montrerez votre avarice, et Dieu dévoilera
vos haines (Koran, xlvii, 39). Puis, s’approchant d’Ibh
es-Selim et lui parlant amicalement, il le rassura, de
sorte que la réunion continua tranquillement. Mais ce
courtisan, dans le but de chasser la frayeur dont il avait
été saisi, se mit à boire assez pour trouver l’ivresse. En
vain En-Nâçir lui disait : « Doucement, Mohammed, on
ne peut te faire entendre raison I » l’ivresse arriva, et
notre homme se mit à vomir. Les esclaves se précipitè-
rent pour lui apporter une cuvette et des serviettes,
tandis qu’En-Nâçir, lui soutenant la tête, lui disait :
« Débarrasse-toi l’estomac et fais doucement. » Ibn es-
Se|im n’avait d’abord pas distingué sa voix de celle de
ses serviteurs, mais en tournant la tête il vit que c’était
le prince lui même; alors, n’y tenant plus, il se jeta à ses
pieds et les lui embrassa en s’écriant : [P. 243] « flls
des khalifes, c’est ce degré de bonlé que tu as pour moi ! »
El il se mit à lui adresser toute sorte de vœux et à mani-
fester très vivement sa reconnaissance. « Il n’est que
juste, repartit le prince, que je compense ma conduite
de ce soir à ton égard, en te rendant en prévenances la
peur que je t’ai donnée et en amabilités, ma dureté. »>
Il lui fit ensuite remettre un vêtement, et cet homme
rentra chez lui. Voilà un des traits de magnanimité et
de bonté de ce prince. Or, au bout de quelques jours, Ibn

(1) Allusion au Korau, iv, 127.

•-Tfcv- .

« 376 »

es-Selim lui envoya cent mille petits dinars [valant le
quart du dinar ordinaire], qu’En-Nâçir accepta en le
remerciant et en lui assignant par contre de hautes
fonctions. Jusqu’à sa mort d’ailleurs il ne cessa de se
montrer très généreux à son égard.

En-Nâçir étant un jour à plaisanter avec son vizir
Aboû’l-Kâsim Lope, lui dit de faire la satire du vizir . En conséquence, les musulmans
s’entendirent avec les barbares de Cordoue pour pren-
dre là moitié de leur plus grande église, qui était située
dans l’intérieur de la ville; dans cette moitié ils élevè-
rent une mosquée principale (djâmi*), tandis qu’ils lais-
sèrent l’autre moitié aux chrétiens, mais en détruisant
toutes les autres églises. Cependant quarîl le nombre des
musulmans s’accrut erl Espagne et que Cordoue prit des

(1) Ràzi étant mort vers 344, il ne peut s’agir de Mohammed ben
‘Isa ben Mozeyn, qui vivait au XI e siècle, à la cour des Abbadides
(Dozy, Intr. au Bayân, 76; Script.. de Abbadidis, n, 123; Pons Boigues,
Ensayo bio-bibliog., 171). Celui, parmi les juristes qui portent ce nom,
dont il est fait mention, doit probablement, à raison de son époque,
figurer parmi ceux dont il est question dans Dhabbi, n° 212 (== Ibn
Faradhi, n° 1100), dans la Tekmila, n° 304, ou dans Ibn Faradhi,
n” 1241, 1243, 1356, 1662, 1664 et 1708. — Tout le passage qui suit
figure également, avec quelques variantes et un peu plus au long,
dans Màkkari, i, 368, 1. 7 et s. ; éd. Boulak, i, 262.

(2) Voir notamment à ce sujet Beladhori, p. 125.

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– 37Ô –

développements dus à ce que les émirs arabes et leurs
bandes s’y installèrent, cette mosquée devint insuffisante:
on dut y ajouter des galeries (S^i-), mais on resta néan-
moins fort à l’étroit. Quand *Abd er-Rahmân ben Mo f â~
wiya fut arrivé en Espagne et se fut installé à Cordoue,
il examina la question de l’agrandissement [P. 245] et
de la consolidation des bâtiments de la mosquée. Il fit
appeler les barbares de la ville pour leur demander de
lui vendre la portion de l’église qu’ils détenaient encore;
leur en offrant d’ailleurs un prix très élevé pour respec-
ter les termes du traité conclu lors de leur soumission,
et leur permettant de relever les églises qui, en dehors
de Cordoue, avaient été abattues lors de la conquête. Ce
fut ainsi que les chrétiens abandonnèrent la moitié qui
leur avait appartenu jusqu’alors, et qui fut jointe au
djâmi”. Ce fut en 169 (14 juil. 785) qu’ c Abd er-Rahmân
ed-Dâkhil commença la démolition de cette moitié et
l’édification de la grande mosquée ; en 170, c’est à dire
en une seule année, la construction était achevée, les
nefs terminées et tous les murs extérieurs debout. La
dépense d”Abd er-Rahmân pendant cette période monta,
dit-on, à 80.000 pièces fortes de poids, et c’est à ce pro-
pos qu’El-Balawi M s’exprime ainsi :

[Tuwîl\ Pour Dieu et par amour pour lui, il dépensa qua-
tre-vingt mille pièces d’argent et d’or, employées dans une
mosquée qui a pour fondement la piété et qui sert à l’exer-
cice de la religion prêchée par le Prophète Mahomet.

(1) On retrouve ici deux des trois vers que cite Makkari (i, 369),
qui leur donne pour auteur Dih’ya ben Mohammed Balawni, poète
dont je n’ai pas retrouvé le nom ailleurs. La lecture Balaioi est cor-
recte ; elle figure dans l’édition de Makkari publiée à Boulak; cf. le

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Hichàm, fils du précédent, ajouta à l’endroit d’où se
criait l’appel à la prière un minaret haut de quarante
coudées, éleva en arrière de la mosquée des galeries où
les femmes pussent faire leurs prières et installa le bas-
sin à ablutions qui est à Test dû djâmi*. L’ensemble du
monument resta dans cet état jusqu’à ‘Abd er-Rahmân
ben el-Hakam ben Hichàm ben ‘Abd er-Rahmân ed-
Dâkhil, qui y ajouta la portion ornée de pilastres qui a
cinquante coudées de long sur cent cinquante de large,
où Ton compte quatre-vingts colonnes, et dont l’édifica-
tion fut terminée en djomàda I 234 (déc. 848). L’émir
Mohammed ben f Abd er-Rahmân fit perfectionner les
côtés du monument, l’orna de sculptures et édifia la
makçoûra (tribune), à laquelle il donna trois portes.
Quand tous ces travaux furent terminés, il pénétra dans
le temple et y fit de ferventes prières de plusieurs rek’a,
ce qui a fait dire à Moûsa ben Sa’ld :

[Tawîl] J’en jure par ma tête, l’Imàm vient de manifester
son humilité, mais en prouvant à la fois sa piété et sa fortune.
Il a construit une mosquée qui n’a pas sa pareille au monde,
et y a prié pour témoigner sa gratitude au Maître du trône.
[P. 246] Heureux celui pour qui l’émir Mohammed a inter-
cédé dans les prières qu’il y a faites !

L’émir El-Mondhir ben Mohammed ajouta air dfâmi c
la salle dite du trésor, où il déposa l’argent provenant
des wakf (fondations pieuses) et destiné à secourir les
fidèles, de même qu’il remU le réservoir wliw à neuf et

Lobb el-lobâb, p. 44, et le Merâcid, i, 173, qui cite le nom de lieu

J^Jb « dans le canton d’El-Balloût, en Espagne ». Le même ethnique

est porté par le poète El-Àbrach (f. 124 v° du ms 2327 de Paris), et par
Ahmed ben Mohammed Ichbtli (f . 41 v° du ms 3340 de Paris).

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-88i –

fit restaurer les galeries. Son frère Ternir f Âbd Àllâh
ben Mohammed ajouta un passage couvert formé d’ar-
cades IjUx reliées entre elles (H et faisant communiquer
le palais et la mosquée du côté ouest de celle-ci ; il fit
aussi installer une sitâra (garde-corps, parapet) qui,
partant du bout de ce passage couvert, arrivait jusqu’à
la niche (mihrâb); il ouvrit encore une porte qui donnait
accès à la tribune et par où il passait pour se rendre à
la prière. II fut le premier prince omeyyade d’Espagne
qui introduisit cet usage.

Pour en rovenir à En-Nâçir, on prétend qu’il dépensa
pour la construction du minaret P), la régularisation de
la mosquée et la construction de la façade des nefs, au
nombre de onze, sept mody et deux keyl et demi de
dirhems kâsimiV). Le même prince dépensa pour cons-
truire la ville d’Ez-Zahrâ vingt-cinq mody de dirhems
kâsimi, plus six kafîz et trois keyl et demiW. L’édifica-
tion de cette ville fut commencée sousEn-Nàçir au début
de l’année 325 (19 nov. 936). On y mettait en œuvre quoti-
diennement six mille pierres équarries, en outre des
moellons employés dans les fondations. Le marbre était
importé de Carlhage, en Ifrîkiyya, et de Tunis par les
soins d’hommes de confiance, à savoir f Abd Allâh ben

(1) L’expression arabe doit être rapprochée de celle que cite Dozy
{Dictionnaire, n, 149 a, 1. 26), et la correction proposée par Fleischer
île semble pas devoir être admise (Kleinere Schriften, n, 641).

(2) Sur ces travaux, voir aussi Makkari, i, 369.

(3) Sauvaire, qui cite ce passage, le seul à sa connaissance où il
soit question du dirhem kàsimi, est disposé à croire que cette mon-
naie tira son nom d’Aboû’l-Kàsim el-Kà’im le Fatimide (J. As., 1881,
H, 509). Il faut d’ailleurs en rapprocher le passage parallèle qui figure
dans Makkari, t, 374, L 15 et 16.

(4) Sur la construction d’Ez-Zahrà, voir ci-dessus, p. 347 ; Mue.
d’Esp., in, 92, et les auteurs cités.

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– 382 ~

Yoûnos, Hasan [ben Mohammed] Kortobi et e Alï ben
Dja’Iar Iskenderâni. En-Nâçir leur payait chaque pièce
de marbre trois dinars, chaque colonne huit dinars
sidjiltnassi ; or la construction absorba 4313 colonnes,
dopt 1013 provenant d’Ifrikiyya, et 140 envoyées par Je
roi des chrétiens (melik er-roûm); le reste fut tiré de
l’Espagne même. Quant au magnifique bassin sculpté et
orné d’images dorées, [P. 247] dont la valeur est ines-
timable, il fut amené de Constantinople par l’évêque
Rebi’W, qui le traîna d’un lieu à un autre jusqu’au bord
de la mer. En-Nâçir le plaça dans la chambre de repos
du salon oriental connu sous le nom de Mou’nes. Il était
orné de douze statues d’or rouge incrusté de perles d’un
haut prix, [statues] travaillées dans râtelier du palais
de CordoueW. Celui qui était chargé de surveiller lès
travaux de construction était El-Hakam, car En-Nâçir
n’avait donné pour cela sa confiance à personne autre
que son fils. Sous le règne de ce prince, huit cents pains
étaient quotidiennement employés à nourrir les poissons
des étangs ; ce détail est des plus importants, mais d’au-
tres le sont encore davantage. Des tributs (djebâya) qu’il
recevait, En-Nâçir faisait trois parts égales, l’une pour
le tfjond, la seconde pour des constructions, et la trot*
sième était mise en réserve. Le tribut de TEspagne,4arrt
des cantons que des bourgades, était alors de cinq mil-
lions quatre cent quatre-vingt mille dinars; le revenu
des domaines princiers et des marchés était de sept cent
soixante-cinq mille dinars.

(1) Ce personnage est aussi cité par Makkari, qui lui associe Ahmed
K le philosophe grec “>*.

(2) Cf. Makkari, r, 346 et 374.

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A propos des monuments de Gordoue et de la grandeur
de cette ville lorsqu’elle eut atteint tout son développe-
ment sous les OmeyyadesW, on dit. que l’intérieur des
murs renfermait, rien que pour les sujets et non compris
les demeures habitées par les vizirs et les hauts fonc-
tionnaires, 113.000 maisons ; que les mosquées étaient
au nombre de 3,000; que les hOtels renfermés dans l’en-
ceinte du palais d’Ez-Zahrâ et destinés au logement, du
sultan, de son entourage et de sa famille, étaient au nom-
bre de 400 ; que le nombre des eunuques ^l~s esclavons
était de 3.750; que, dans le palais d’Ez-Zahrâ> le nombre
des femmes,: vieilles et jeunes, et des servantes était de
6.300; que pour tout ce monde il fallait 13.000 livres de
viande réparties à raison de dix livres et moins par tête*
non compris les poules, les perdrix, les oiseaux et pois-
sons de toutes espèces ; que le nombre des bains était
de 300. Elle était, disait-on, le lieu par excellence d’exhi^
bition (?) des femmes. [P. 248] Elle avait alors, veuille
Dieu la rendre à l’Islam! vingt-huit faubourgs, parmi
lesquels les deux villes d’Ez-Zahrâ et d’Ez-Zâhira. Quant
à la perle extraordinaire qui figurait dans le salon mer-
veilleux, elle provenait du César grec de Constantinople,
qui l’avait envoyée à En-Nâçir avec de nombreux et pré-
cieux cadeaux. Louanges à Celui dont l’empire ne passe
pas et dont la puissance persiste toujours !
* En-Nâçir mourut au commencement de ramadan 350
(oct. 961), On trouva une liste dressée de sa main et où
il disait, par ordre chronologique : « Les jours de ma

(1) On peut voir le tableau qu’a fait Dozy de Cordoue à cette époque
{Mus. d’Esp., m, 91), en suivant principalement notre texte; cf. Mak-
Vari, i, 366 et 373 ; Ibn Haukal, p, 76, et Merrâkechi, Hist. des Almo-
hades, p. 315 de la tr. fr.

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-384-

vie où j’ai joui d’une joie pure et sans trouble sont tel
jour de tel mois de telle année. » Or le total en était de
quatorze I Que l’homme dissipé juge donc de ce qu’est ce
monde et combien il manque de sécurité et de stabilité
même pour ceux qui sont comblés de ses faveurs : le
khalife En-Nâçir, après un règne de cinquante ans, sept
mois et trois jours, n’avait joui que de quatorze journées
sans nuage 1 Louange soit au Tout-Puissant, dont l’em-
pire ne passe pas! Que Son nom soit béni, que Sa gloire
soit exaltée I

Entre autres poètes qui ont déploré la mort de ce
prince, Dja’far ben ‘Othmàn Moçh’afl a dit :

[Tawîl] Un injuste arrêt de la fortune vient donc de ravir
l’Imâm de l’époque ! Mais le sort n’afflige de ses plus forts
coups et de ses surprises que les cœurs des plus, grands.
Examine s’il est personne dont l’ascension ne décline sous
ses coups, si nul, quand ils se dressent, peut rester assis ;
regarde s’il est un homme qui, s’allaitant au sein de [la for-
tune], ne trouve la mort quand il en est sevré ! La vie du
peuple paraissait attachée à celle de ce prince, et par la mort
de celui-ci, celui-là ne peut plus douter de son propre trépas ;
le désespoir de trouver aucune consolation le met hors de
soi, et la résignation est impuissante à calmer ses sanglots et
sa fièvre (*).

Khalifat dEl-Hakam el-Mostançir billâh, fils d”Abd er-ttahmân.

La généalogie de ce prince s’établit ainsi : El-Hakam
ben f Abd er-Rahmàn ben Mohammed ben ‘Abd Allah
ben Mohammed ben ‘Abd er-Rahmân ben cl-Hakara ben

(1) D’autres fragments de celte pièce figurent dans la Hotktt d’Ibn
el-Abbar (Notices, p. 145).

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– 385 –

Hichàm bea .

Il constitua aussi des fondations au profit de la mos-
quée- Après l’achèvement des travaux il réunit les juris-
tes, les témoins judiciaires, les notables et chefs des
habitants, [P. 250] les kâdis et les imâms, fit devant
eux l’éloge et proclama la gloire de Dieu en lui renou-

(1) Maintes fois cité dans Makkari sous le simple nom de « Dja’far
Çaklajn ». Son souvenir est d’ailleurs rappelé dans l’inscription du
mihrâb de la grande mosquée de Cordoue (Dozy, Rech. 3 8 éd., h, 434).

(2) Au sujet de ces agrandissements, voir Tanecdote rapportée par
Merrâkechi, p. 316 de la trad. fr.

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-38? –

vêlant l’expression de sa reconnaissance de ce qu’il lui
avait permis de mener à bonne fin ce noble travail, et
ajoutant que, pour reconnaître cette insigne faveur, il
consacrait le quart des revenus annuels de toutes les
propriétés, etc., qu’il avait héritées de son père dans leâ
divers districts et provinces de l’Espagne à l’effet de
secourir les malades des provinces frontières, avec cette
seule réserve que, en cas de disette survenant à Cor-
ci oue, cette ville profiterait des dits revenus jusqu’à ce
que Dieu y eût amélioré la situation. Il désigna pour
prendre possession de cette fondation, en même temps
qu’il l’en constitua administrateur, son chambellan et
principal officier Dja’far,. et chargea son vizir et secré-
taire *Isa ben Fot’ays d’en opérer la remise. Il prit tous
les assistants comme témoins de cette fondation, et
aussi de l’affranchissement de tous ses esclaves mâles
achetés à prix d’argent. Il partit ensuite pour faire cam-
pagne contre les infidèles.

En 352 (30 janv. 963), Hakam fit contre les pays chré-
tiens une campagne où il conquit de nombreux châteaux-
forts et des villes importantes. Il rentra victorieux,
chargé de butin et traînant des captifs à sa suite M.

Aboû Çâlih’ Zemmoûr Berghawât’i vint à Cordoue en
qualité d’ambassadeur d’Aboû Mançoûr ‘Isa ben Aboû’l-
Ançâr, roi des Berghawâta. Le khalife lui adressa, au
sujet des origines et des croyances de ce peuple, des
questions auxquelles furent faites les réponses que nous
avons rapportées dans la première partie ( £ ).

(1) Voir Mus. cïEsp., m, 105; et plus bas. p. 389. Cet alinéa et le
suivant, qui ont trait à Tannée 352, paraissent déplacés ; cf. Dozy,
Correctiohs, p. 60 ; Mus. d’Esp., m, 102 n. ; Ibn Khaldoun; éd. Bou-
]ak, iv, 144, 1. 7 ad f.

(2) Voir ci-dessus, p. 348, et t. i, p. 324.

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En moharrem 351 (&fév. 962), Hakam avait envoyé à
tous les gouverneurs, kâïds et fonctionnaires de toutes
les localités d’Espagne des ordres écrits d’équiper de la
cavalerie, de la nourrir, et de tenir prêts les approvision-
nements, armes et machines de guerre nécessaires pour
entreprendre la guerre sainte.

Il enleva à la chorta de Cordoue et le confia, par un rescrit autogra-
phe, à Mohammed ben Djahwar.

Dja’far Çaklabi Nàçiri le grand eunuque ^ fut nommé
chambellan.

[P. 251] Hakam reçut la visite d’Ordono (*) fils d’Al-
phonse le Bossu, qui était [de la famille] des rois de
Galice et en lutte avec son cousin paternel Sancho fils de
Rodmir, par lequel il s’était laissé supplanter sur le
trône. Le khalife le reçut avec les plus grands honneurs,
qu’il serait trop long de décrire. Les gens diserts rédi-
gèrent à ce propos des séances {makâmât) et des poésies
qui grossiraient trop notre livre. Voici un extrait d’une
kaçlda d’

\Kâmiï\ Le r£gne du khalife a pour marque la prospérité,
et son bonheur est ininterrompu : aussi les musulmans sont-
ils puissants et glorieux, les infidèles avilis et abaissés. Sa
bonne fortune lui a soumis les barbares, qui redoutent sa
tempétueuse attaque, et voici que leur prince vient le trouver
pour recevoir de lui des liens qui enchaînent leur liberté.

(1) Il s’agit d’Ordono IV le Mauvais, fils d’Alphonse IV, cousin ger-
main de Sancho fils de Ramire, et gendre de Ferdinand Gonzalez
(Mus. d’Esp., m, 81 et 96; Ibn Khaldoun, iv, 145).

(2) Au lieu des quatre vers cités par notre auteur de cette pièce
cT’Abd el-Melik ben Sa’id Moràdi, on en retrouve dix-huit dans Mak-
kari (i, 255). Dhahbi dit quelque chose de ce poète (n’ 1067); voir aussi
la Yetîmat ed-dahr, éd. Damas, i, 364.

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Il arriva à Cordoue des envoyés de Sancho fils de
Rodmîr, qui était en désaccord avec le prince infidèle de
Galice Ordono, son cousin paternel. Ces gens, qui avaient
entre autres avec eux ‘Abd er-Rahmân ben Djah’h’âf,
kâdi de Valence, et Ayyoûb ben et-T’awîl, arrivèrent en
rebi< II (mai) et transmirent à El-Mostançir la lettre par laquelle Sancho ben Rodmir répondait à ce qui lui avait été écrit et annonçait longuement que lui et tous ses sujets reconnaissaient l’autorité du Prince des croyants. Il naquit au khalife de sa concubine, qu’il nomma Dja’farM et qui devint ainsi esclave-mère, un enfant mâle à qui il donna le nom d’ f Abd er-Rahmân W. Comme c’était là son premier-né, il ressentit une joie très vive de cet événement, que les poètes et les littérateurs célé- brèrent de toutes les manières. Les Galiciens violèrent de toutes parts leurs promes- ses (de fidélité). . ‘ Le fleuve de Cordoue arriva à son point de déborde- ment. En 352 (30 janv. 963), El-Hakam el-Mostançir dirigea en personne l’expédition de San Esteban [de Lerin] ( 3 >.

En 353 (19 janv. 964), une famine intense sévit à Cor-
doue, et Hakam prit soin des malades et des indigents,
aussi bien de la ville que des faubourgs et d’Ez-Zahrâ; il
pourvut à leur nourriture, et il leur sauva ainsi la vie.

Il fut, dans les deux mosquées principales de Cordoue
et d’Ez-Zahrâ, donné lecture de la lettre par laquelle
[P. 252] Sa’d DjVferi, client du khalife et kâïd d’El-

(1) Elle s’appelât en réalité Çobh’, queDozy a traduit par Aurore;
voir sa note de là p. 133, t. ni des Mus. d’Esp.

(2) Ce prince mourut tout jeune {infrà, p. 391).

(3) C’est de cette expédition qu’il a été parlé plus haut, p. 387, n. 1.

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Djawf W, annonçait les succès que Dieu lui avait fait rem-
porter sur les Galiciens et le butin dont, par laveur pour
Tirnâm à l’âme pure, il avait gratifié les musulmans.

La presse de la population dans la mosquée principale
était telle, grâce à l’affluence des fidèles, que plusieurs
faillirent y périr, ce qui détermina El-Mostançir à y
ordonner des agrandissements et additions. Le kâdi
Mondhir ben Sa’îd, accompagné du préposé aux fonda-
tions pieuses, des juristes et des témoins instrumentai-
res, se rendit dans le temple pour y étudier les travaux
d’agrandissement à exécuter à l’aide des fonds existants
et provenant des biens de main-morte.

El-Mostançir donna à Ahmed ben Naçr (*) l’ordre de
construire dans la province frontière de Tolède une ville
solidement bâtie et bien organisée ; il mit à cet effet plu-
sieurs charges d’argent à sa disposition.

Le khalife se transporta de Cordoue à Alméria, poussé
par la crainte de ce que pouvait tenter le prince d’Ifrî-
kiyya contre les habitants de la Péninsule, pour y voir
de ses yeux l’état des considérables travaux de défense
qu’il avait fait exécuter, examiner le couvent-caserne
d’El-K’abt’a* 3 ) et se rendre compte de la situation des
habitants de cette région.

(1) Cette région n’est pas mentionnée par Edrisi. D’après le Merâcid
(i, 273), « c’est un pays situé dans la partie ouest de l’Espagne et domi-
nant l’Atlantique ». On voit par le dire d’Ibn Faradhi (n, p. 17 1. 13)
qu’il a Mérida pour ville principale. Il fut le siège de la révolte d u Abd
er-Rahmàn ben Merwàn Djàliki (Makkari, n, 218 1. 17 ; ce nom a été
omis dans l’index). Un autre endroit du même nom se retrouve encore
du côté d’Ocsonoba, d’après le Mo’djem de Yakofit, n, 158.

(2) Son nom est encore rappelé dans l’inscription de la mosquée
de Cordoue {Recherches, 3* éd., n, 434).

(3) Je n’ai retrouvé nulle part le nom de £k*JL)\ £L>\. ; je note
seulement les noms de Cobda, Cobda de Andarax, Cobdar y Albanche?

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■wpt*’

– 3Ô1 –

En chawwàl (octobre), se répandit la nouvelle du vol
commis au détriment du trésor conservé dans l’intérieur
de la grande mosquée de Cordoue et destiné à [l’édifica-
tion de] la fontaine.

En 354 (7 janv. 965), il tomba à Cordoue des pluies
abondantes qui détrempèrent la terre, et la bonne récolte
qui en fut la suite procura une satisfaction générale.

Hichâm ben el-Hakam naquit cette année-là. Au dire
d’Ibn Hayyân, le khalife était très anxieux d’avoir un
fils, car il était d’un âge avancé; aussi fut-il bien joyeux
quand une esclave avec qui il avait cohabité vint à con-
cevoir. Il attendit (impatiemment) le terme de la gros-
sesse, mais l’enfant, qui naquit dans les premiers jours
de son règne, mourut tout jeune, et il en éprouva du
chagrin. Une nouvelle grossesse le combla de joie, et
son vizir Dja’far ben c Othmàn, prenant part à sa satis-
faction, lui adressa ses félicitations dans les vers que
voici :

[Wdflr] Mes congratulations aux humains et à l’Imâm!
Voilà qu’un être magnanime est rejointe) par un autre, un
khalife futur encore £ Télat d’embryon, mais sur qui repo-
sent de grands espoirs, et qui projette sa lumière sur sa noble
mère, ainsi soustraite à l’obscurité. [P. 253] Et pourquoi ne
t serait-on pas éclairé par les flancs de celle qui porte une
pleine lune dans son sein ?

Quand, continue cet auteur, la concubine Dja c far eut
accouché de ce fils, c’est à dire de Hichâm surnommé

dans Simonet {Description, etc., p. 303 et 301; cf. p. 152, « Gobdaa,
boy Cobdar»).

(1) Le mot JwcblXuo, si cette leçon est correcte, paraît avoir le
sens de juu .

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– 392 –

El-Mo’ayyed, le khalife Hakam fut saisi de joie, et Djalar
ben e Othmân, qui à ce moment se trouvait en tête à tète
avec lui, se réjouit également de cet heureux événement ;
il complimenta le prince en lui adressant cet impromptu:

[Monsarih] La plaine lune vient de surgir de derrière son
voile, le sabre vient de sortir de sa gaine, et l’héritier des
plus hautes qualités nous arrive pour que l’empire reste dans
la même lignée. Le Seigneur des créatures c^use notre joie
par l’octroi du bienfait dont Dieu parle dans son saint Livre,
et je donnerais ma vie au porteur de cette bonne nouvelle
que je ne lui verserais pas encore son dû pour ce message !

En djomâda II (juin 965) fut achevée la coupole domi-
nant le mihrâb, travail qui faisait partie des agrandisse-
ments de la mosquée.

On commença les incrustations de mosaïque de cet
édifice. El-Hakam avait écrit au roi des Roûm à ce sujet
et lui avait ordonné (sic) de lui expédier un ouvrier capa-
ble, à l’imitation de ce qu’avait fait El-Welîd ben c Abd
el-Melik lors de la construction de la mosquée de Damas.
Les envoyés du khalife lui ramenèrent le mosaïste, ainsi
que trois cent vingt quintaux de cubes de mosaïque que
le roi des Roûm lui envoyait à titre de présent. Le prince
hébergea et traita largement le mosaïste, auprès de qui
il plaça plusieurs de ses mamlouks en qualité d’appren-
tis, et ces esclaves travaillant avec lui acquirent un
talent d’invention qui leur fit dépasser leu.r maître ; ils
restèrent ensuite à travailler seuls quand le maître mo-
saïste, de qui l’on pouvait dorénavant se passer, eut
quitté le pays, non d’ailleurs sans avoir reçu du prince
de riches cadeaux et des vêtements. Les ouvriers habiles
venaient à l’envi et de toutes parts travailler au monu-
ment. Dans la seconde décade de chawwâl (9-19 oct.),

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EI-Hakam se rendit à cheval d’Ez-Zahrâ à la mosquée,
où il entra pour examiner les agrandissements et leur
degré d’avancement : il fît enlever les quatre magnifiques
colonnes [P. 254] qui se trouvaient dans les jambages
de l’ancien mihrâb et qui n’ont pas leurs pareilles, et les
fit mettre de côté pour les replacer dans le mihrâb nou-
veau quand le degré d’achèvement de celui-ci le per-
mettrait.

En moharrem 355 (28 déc. 965), il fit placer l’ancienne
chaire à côté du mihrâb et érigea (à nouveau) l’ancienne
tribune (makçoûra). Dans la kibla des agrandissements
il fit ériger une tribune de bois sculpté intérieurement et
extériehrement et couronnée d’un chapiteau; longue de
soixante-quinze coudées et large de quarante-deux, sa
hauteur jusqu’au sommet de ce dernier était de huit
coudées. C’est en redjeb (juin-juil. 966) que fut terminé
cet agrandissement et que fut érigée la tribune.

Le vendredi 8 de ce moisW, lecture fut donnée du mes-
sage où Sa c àda Djo e ayferi, kâïd de Medinet el-Faradj (*),
faisait part des victoires où Dieu s’était servi de lui
comme instrument pour abattre les infidèles.

Le mercredi 4 rebî e I (28 févr. 966), il fut adressé aux
gouverneurs des Frontières citérieure et ultérieure des
ordres pour préparer une nombreuse cavalerie et veiller
à ce que tout ce qui la concernait fût parfaitement orga-
nisé, car on comptait faire bientôt la guerre sainte.

(1) Faut-il entendre de moharrem, c. à d. le 5 janvier 966, — ou de
redjeb, 30 juin ?

(2) C. à d. Guadalaxara, voir ci-dessus, p. 117. Quant à Sa’àda
Djo’ayferi, c’est probablement le même gouverneur dont le nom est
écrit quelques lignes plus haut et plus bas « Sa’d Dja’feri ».

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– 394 –

Le vendredi 3 de ce moisW, il fut donné à Cordoue et
à Ez-Zahrâ lecture de lettres de victoire émanant du vizir
Yahya ben Hâchim, de Sa c d Dja’feri et de H’ariz ben
Hàbil : ces chefs annonçaient les victoires où ils avaient
servi à Dieu d’instruments pour battre les infidèles, et
disaient s’être avancés droit chacun dans le pays qu’il
avait devant soi, y avoir semé la mort, le pillage et la
désolation et en être revenus sains et saufs porteurs de
butin.

Le 1 er de redjeb (23 juin 966), El-Mostançir reçut,
venant du fort d’Aboû Dânis’ 2 ), une lettre du gouver-
neur lui annonçant l’apparition dans la mer bornant
l’Algarve, à proximité de ce lieu, de la flotte des # païens
(madjoûs), forte de vingt-huit bâtiments, et le trouble
ainsi jeté dans toute la population du littoral, car ces
barbares avaient la coutume d’envahir la Péninsule.
[P. 855] Des messages successifs arrivèrent ensuite
de la même région, annonçant les ravages causés par ces
infidèles et leur arrivée dans la plaine de Lisbonne. Les
musulmans marchèrent contre eux, et dans une bataille
qu’ils leur livrèrent, un certain nombre des nôtres trou-
vèrent le martyre, de même que les envahisseurs lais-
sèrent des morts sur le terrain. La flotte de Sévi lie mit
à la voile, attaqua l’ennemi dans la rivière de Silves, lui
détruisit plusieurs bâtiments, rendit à la liberté les
musulmans qui y étaient détenus, et les barbares, à la
suite des pertes en hommes qui leur furent infligées,
furent mis en déroute. On continua néanmoins de rece-

(1) Il faut probablement lire «le vendredi 13», le 13 rebi* I tombant
en effet le vendredi; un peu plus haut, il a été question du « mercredi 4».

(2) Le Kaçr Aboù Dànis correspond à Alcacer do Sal, dans la pro-
vince actuelle d’Alenlejo (Edrisi, p. 211 et 219),

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voir à chaque instant à Gordoue des nouvelles venant du
littoral occidental et concernant ces Madjoûs, jusqu’au
jour où Dieu daigna les éloigner W.

El-Hakam envoya contre les infidèles une expédition
commandée par le kâïd Ghàlib, qui obtint des succès et
revint sain et sauf avec le butin qu’il avait conquis.

D’après les ordres du prince, Ibn Fot’ays tint la flotte
dans le fleuve .de Cordoue et construisit des navires de
la môme forme que ceux des Madjoûs, dans le but de
faire croire à ceux-ci qu’ils pouvaient s’approcher [de
leurs compagnons de rapine].

En 356 (17 décembre 966), El-Hakam fît adresser aux
gouverneurs des divers cantons d’Espagne des ordres
très sévères pour réprimer leurs agissements audacieux
et les menacer de tout le poids de ses châtiments, car
il avait appris que certains d’entre eux commettaient de
honteux abus dont souffrait le peuple. Ses ordres prohi-
baient tout acte arbitraire.

Diverses expéditions entreprises par les musulmans
contre les infidèles tournèrent à notre avantage, et la
victoire nous resta.

El-Hakam investit Mohammed ben e Abd Allah ben
Aboû ‘Amir, qui arriva plus tard au pouvoir sous le sur-
nom d’ENMançoûr, de la gestion des affaires d’Aboû’l-
Welld Hichâm ben el-Hakam et lui confia tout ce qui
regardait le jeune prince. Aussi la situation de Moham-
med devint-elle considérable à la cour ( 2 ).

Jl) Ce paragraphe ainsi que deux autres ci-dessous, où il est parlé
des Normands, ont été traduits et employés par Dozy pour expliquer
les invasions des pirates en 966-971 {Recherches, 2* éd., u, 300 et s. ;
3′ éd., 286; cf. Mus. d’Esp., m, 107).

(2) Il s’agit du célèbre ministre bien connu chez nous sous le nom

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A la mi-chawwâl (21 sept.), El-Hakam tint à Ez Zahrà
une audience solennelle et où se déploya une grande
pompe. Assis sur son trône, il reçut deux ambassadeurs
envoyés par les émirs Idrisides du Gharb et porteurs de
lettres dans lesquelles ces princes protestaient de leur
amitié sincère et solide, s’engageaient à lui obéir et
reconnaissaient sa suzeraineté. A la suite de cette récep-
tion, il fît dresser des réponses très aimables (*>.

Le vendredi 25 chawwâl (3 oct. 967}, il fut donné lec-
ture d’une lettre de victoire où le kâïd Ghâlib annonçait
combien la faveur divine lui avait permis de faire de vic-
times et de prisonniers chez les infidèles de Castille.
[P. S56] Les têtes qu’il envoyait arrivèrent à Cordoue,
et le khalife fut très satisfait de cette heureuse nouvelle.

Le samedi suivant, El-Hakam adressa des lettres à
tous les kâïds et gouverneurs de l’empire pour leur
signifier sa désapprobation des faits parvenus à sa con-
naissance, concernant des effusions de sang survenues
entre certains d’entre eux, sans ordre ni avis ; il disait
toute l’importance qu’il attachait à ces faits et déclinait,
quand il aurait à sévir, toute responsabilité devant Dieu.

L’eau commença à remplir les réservoirs o^ de la
mosquée principale et les deux bassins à ablutions occi-
dental et oriental. C’était une eau pure provenant d’une
source située dans la montagne de Cordoue et pour
laquelle on avait fouillé la terre ; elle était amenée dans
une conduite de pierre solidement et artistement cons-
truite, dans laquelle se trouvaient des tuyaux de plomb
pour éviter que l’eau se souillât. Elle commença à couler

(TAlmanzor (Mus. cl’Esp., ni, 111 et s. ; voir aussi l’article que lui
consacre Ibn el-Abbàr, Notices, p. 148).
(1) Cf. Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv, 146.

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– 3Ô7 –

le vendredi 10 çafar (25 janv. 967), et c’est à ce propos
que Mohammed [ben Motarrif] ben Chokheyç dit dans
une kaçîda (*) :

[Basît] Tu as déchiré les flancs de la terre pour y trouver
des flots de l’eau la plus pure que tu amènes au temple tant
pour purifier les corps, quand ils sont souillés, que pour
abreuver les humains quand ils sont assoiffés. Tu as ainsi
fait à la fois, chose rare, un acte glorieux et une bonne oeuvre
à l’intention d’un peuple dont tu es le pasteur et le protecteur.

Il fit construire à l’ouest de cette mosquée une maison
de secours qu’il affecta à la distribution des aumônes.
Entre autres actes de bienfaisance et bonnes oeuvres de
ce prince, il faut citer l’affectation qu’il fit dç maîtres
destinés à enseigner le Koran aux enfants des infirmes
et des indigents dans les alentours du temple et dans les
divers faubourgs de Cordoue. Des traitements étaient
assignés à ces maîtres, à qui, dans son désir de plaire à
Dieu, il adressa des recommandations de déployer les
plus sincères efforts. Ces diverses écoles étaient au nom-
bre de trois autour de la grande mosquée, et vingt-quatre
autres étaient réparties dans les divers faubourgs de la
ville. C’est à ce propos qu’Ibn Chokheyç s’exprima ainsi :

[Basit] Le parvis du grand .temple a une couronne formée
d’écoles destinées aux orphelins des environs. Si les sourates
du Koran pouvaient parler, elles te diraient que c’est toi qui
les lis et les retiens le mieux !

On a trouvé écrit de la main du khalife El-Mostançir :

(1) Dhabbi, sôus le n° 276, a consacré quelques lignes à ce poète,
mort, dit-il, avant Tan 400. Son nom est aussi cité, sans plus, pa*
Makkari, n, 121.

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a L’édification de la grande mosquée, [P. 957] commen-
cée le dimanche 4 djomàda II 351 (19 juill. 962), a été
terminée en 355 (28 déc. 965) ; il y a été dépensé 261.537
dinara et 1 1/2 dirhem (*) a. (a Le chiffre un demi ne figu-
rait pas dans l’original d’où ceci est tiré, et [le copiste]
dit Tavoir transcrit, bien qu’il fût effacé; mais il sut
ensuite, par le témoignage de gens de confiance, qu’il
devait y figurer, et ajouta que cela figurait dans l’auto-
graphe d’El-Hakam.a).

En 357, dans la dernière décade de ramadan (fin août
968), les deux vizirs et kàïds Ghâlib ben e Abd er-Rahmân
et Sa e id ben El-Hakam Dja c feri, à la tête des troupes de
la frontière, allèrent camper au cours de la campagne
d’été sous les murs du château-fort de Calahorra, et
restèrent dans les environs de cette place le temps néces-
saire pour élever l’enceinte de murailles et exhausser le
huitième bastion (bordj) qui en couronne le sommet.
Après avoir mené à bonne fin ce qu’ils voulaient, et
avoir ainsi assuré la sécurité de ce château, ils se retirè-
rent avec leurs troupes.

En moharrem 360 (4 nov. 970), le khalife, assis sur son
trône dans le palais de Cordoue, tint une audience avec
la pompe et le luxe habituels pour recevoir e Isa ben
Mohammed, Mohammed ben el- e Alî et Hasan ben c Ali,
qui étaient députés par les Benoû Mohammed, émirs
Hasanides du Gharb, et apportaient un message où ces
derniers affirmaient leur obéissance à El-Hakam et
réclamaient l’envoi d’archers pour être mieux en état de
résister à une attaque prévue du général de Ma c add le

(1) Le même chiffre, qui a pour garant Ibn Bachkowàl, figure dans
Makkari, i, 369.

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— 399 —

Chi e ite. Les cadeaux envoyés par ces émirs pour se con-
cilier les faveurs du khalife consistaient en chevaux,
chameaux, etc., et furent bien accueillis.

Au commencement de ramadan (fin juin 971), il circula
des bruits inquiétants à cause des mouvements des
Madjoûs normands^) qui s’étaient montrés en mer et
voulaient, comme d’habitude, attaquer le littoral occi-
dental d’Espagne. Le khalife fit immédiatement partir le
chef de la flotte pour Alméria, à l’effet d’armer les bâti-
ments pour les amener à Séville ainsi que de réunir
toutes les forces navales, pour ensuite se porter sur le
littoral occidental.

MORT DE ZIRI BEN MENAD, OFFICIER DU CHI’ITE, SOUS LES MURS
DE TAHERT.

Le samedi 18 ramadan (15 juil.), [P. 258] El-Mostan-
çir reçut la nouvelle que Zîrî ben Menâd, qui était au
service de Ma c add le Chi e ite en qualité de kâïd du Gharb,
avait été tué par Dja c far et Yahya, l’un et l’autre fils
d’ f Ali connu sous le nom dlbn el-Andalosi( 2 ). Ces deux
chefs, qui luttaient contre Ma’add avec ceux des Zenâta
qui leur obéissaient, trouvèrent dans le Gharb Zirî
occupé à une guerre à laquelle prenaient part les Benoû
Khazer et d’autres chefs des tribus hostiles à Ziri et favo-
rables à la cause d’El-Hakam. L’affaire où périt Zirî
constitua une victoire des plus importantes, et le secré-

(1) ^toX\ ordemâni; sur ce mot, cf. Recherches, h, 315 et 356;
3 e éd., p. 300 et 337. Ce paragraphe a été traduit dans le même ouvrage,
t. n, p. 313 ; 3* éd., p. 298.

(2) Sur la mort de Zîri, voir notamment Berbères, n, 7 et 8, et 555 ;
m, 234. Cf. également les Annales du MaghreB, index.

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– 400-

taire ‘Ali BaghdâdU 1 ) apporta au khalife une lettre où
Dja e f ar relatait ce succès et parlait de l’ardeur de la lutte
à laquelle se livraient les deux partis dans le Gharb.

Voici comment s’opéra la scission de Dja e far, qui était
fils d”Ali, connu sous le nom d’Ibn el-Andalosi, et sei-
gneur de Mesîla, au nom du Chi’ite Ma’add ben Ismâ’il,
prince d’Ifrîkiyya, et son rapprochement avec El-Hakam
el-Mostançir; comment il se joignit aux Zenàta ralliés
à la dynastie omeyyade; comment, tous réunis contre
Zîrî beh Menâd Çanhâdji, chargé par le Chi’ite Ma’add
dés opérations militaires du Gharb, ils firent périr ce
chef dans une attaque qu’il dirigea contre eux.

Les Zenâta, renonçante à la voie qu’ils avaient suivie
jusqu’alors, cherchèrent dans sa mort un moyen de se
concilier les faveurs d’Èl-Hakam ; les deux frères Dja’far
et Yahya ainsi que leurs partisans se hâtèrent de passer
en Espagne pour y porter la tête de Zirt, rompant ainsi
avec la dynastie chi’ite et reconnaissant l’autorité des
Ômeyyades orthodoxes, ce qui leur valut un bon accueil
et de grands honneurs auprès du khalife.

Les faits sont ainsi exposés par Mohammed ben Yoû-
sof el-Warrâk ( 3 ). Ces deux chefs étaient fils d’ r Ali ben
H’amdoûnW et avaient pour grand-aïeul ‘Abd el-H’amid,
qui, ayant émigré de Syrie en Espagne, se fixa dans le

(1) Je lis dans le texte ***a- «_*o£. Le chef de cette mission était,
d’après Ibn Khaldoun {l. I), Yahya ben ‘Ali en personne; cf. ci-
dessous.

(2) Le texte, qui est corrompu, a été l’objet de deux corrections suc
cessivesde Dozy ; ni l’une ïii l’autre ne semblent admissibles, et je lis

(3) Il a été parlé de cet auteur, t. I, 189 et 339.

(4) Voir le 1. 1, 272 et 311 ; Berbères, n, 553, etc.

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– 4M –

canton d’Elvira. Hamdoûn, petit-fils de ce dernier et
grand-père de Dja’far, émigra à Bougie et devint un des
compagnons du missionnaire chi’ite Aboû f Abd Allah,
dont il embrassa les croyances. Quand le Chi’ite eut
conquis l’Ifrikiyya, ‘Ali ben H’amdoûn commença à se
faire connaître; sa réputation et son influence ne firent
que grandir pendant le règne d ,f Obeyd Allah le Mahdi,
qui rattacha à son fils et héritier présomptif Aboû’l-
Kâsim. Dans cette situation, son influence s’accrut en-
core, et il partit avec ce dernier prince pour le Gharb.
[P. 859] Sur Tordre d’Abpû’l-Kâsim il bâtit la ville
(TEl-MesîlaM et en fut nommé par lui gouverneur; ce
fut là qu’il périt en 334 (13 août 945), lors des troubles
excités par Aboû Yezîd, des suites d’une chute qu’il fit
d’une chaussée élevée et dans laquelle il se brisa les bras
et les jambes ( 2 ). Son fils Dja’far devint après lui gouver-
neur de Mesîla et, toujours jouissant d’une grande
influence auprès de son souverain, le resta jusqu’au jour
où Zirî ben Menàd mit à mort Mohammed ben el-Kheyr
ben Khazer Zenâti, partisan de la dynastie omeyyade.
Alors Dja c far, redoutant les suites de la colère du prince
d’Ifrîkiyya ( 3 ) et désireux de sauver sa tête, s’enfuit pré-
cipitamment en 360 (4 nov. 970) en emmenant son frère
Yahya et toute sa fortune, auprès des Benoû Khazer,
émirs des Zenâta. Il se mit alors avec ces derniers chefs
à battre le pays à la recherche de Zirî et, dans une
bataille où le succès fut chèrement acquis, ils finirent

(1) Cf. t. i, p. 272 et 312.

(2) Sa mort est placée sous Tannée 326 d’ans le t. i, p. 312 ; mais on
trouve aussi la date de 334 in Berbères, n, 554.

(3) Car une rivalité d’ambition le séparait de Zirî, et il avait témoi-
gné de la partialité en faveur des Zenàta {Berbères, 1. 1.).

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– 402 –

par tuerZîrî et bon nombre de ses partisans; les Zenâta
l’emportèrent sur leurs ennemis et purent exercer sur
eux de sanglantes représailles. L’affaire s’étant ainsi
terminée au gré des souhaits des émirs Zenâta et de
Dja’far ben e Ali, celui-ci s’empressa d’envoyer un mes-
sage à El-Hakam, prince d’Espagne, pour se déclarer
son homme et s’attacher à la fortune de sa dynastie. II
lui dépêcha ensuite son frère Yahya, puis il se rendit lui-
même à la cour et y jouit de beaucoup d’influence.

Voici ce que dit Ibn HammâdaW. En rebî f II 360 (fév.
971), Yoûsof ben Zirl Çanhâdji, plus connu sous le nom
de Bologgin, livra à Mohammed ben el-Kheyiyémir des
Zenâta, une bataille où il resta vainqueur et où il tua
des parents et des partisans de son ennemi. Ce dernier,
voyant que Bologgîn le cernait, se jeta sur sa propre
épée et se tua avant que son vainqueur pût s’emparer de
lui ( 2 ). Les résultats de cette victoire furent considéra-
bles pour Bologgîn, dont le nom se répandit dans le
Gharb; il conquit ensuite ce pays, massacra les Zenâta,
ruina la ville d’El-Baçra et s’obstina contre celle de
Ceuta ; mais celle-ci marqua la limite de ses succès, car
il dut se retirer sans avoir pu s’en rendre maître.

En dhoû’l-ka’da (sept.-oct.), le khalife fit savoir aux
kâïds et gouverneurs des divers cantons d’Espagne d’a-
voir à lui envoyer les notables et les principaux guer-
riers pour les faire assister à rentrée de Yahya ben f Ali
ben H’amdoûn [P. 260] et des Benoû Khazer, émirs
des Zenâta, qui apportaient les têtes de Zîrî ben Menâd
Çanhâdji, kâïd du Chi f ite Ma’add ben Ismâ e ll, et de ses

(1) Sur cet auteur, plusieurs fois cité, cf. t. i, p. 314 n.

(2) On retrouve les mêmes détails in Berbères, il, 7.

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– 403 –

principaux partisans. Le mardi 11 dhoû’l-ka’da, l’inspec-
teur de la Monnaie, préposé aux successions et kâdi de
Séville, Mohammed ben Aboû ‘Amir (*), se porta à la
rencontre de DjVfar ben f Ali et de son frère Yahya ; il
avait avec lui quatre chevaux magnifiques et \\n mulet
gris choisis dans les écuries du khalife, sellés et bridés
comme les montures royales, ainsi que les tentes de
brocard, etc. Ibn Aboû f Amir installa son camp dans le
port, voisin de Malaga, où Dja’far était débarqué ; puis il
arriva ensuite des chevaux et des mulets envoyés par le
khalife pour les nouveau-venus, ainsi que des palanquins,
des vêtements et des litières destinés aux femmes de
Dja’far. On se mit alors en marche en grande pompe
vers Cordoue, et cette troupe fit auprès du khalife une
entrée solennelle et magnifique. Les poètes ont décrit
comment Dja’far et Yahya se séparèrent de leur prince
Ma’add ben Ismâ f il et se rendirent auprès du khalife
El-Hakam pour reconnaître le bon droit de celui-ci ; ils
se sont longuement étendus sur ce point en faisant
Téloge d’El-Hakam. C’est ainsi que Yoûsof ben HâroûnW
a dit :

[Kâmil] J’admire la facile aisance d’El-Mostançir à rassem-
bler une si prodigieuse armée pour faire honneur à Dja’far.
S’il était quelqu’un qui, abattu par lui, voulût relever la tète,
ses seuls regards joueraient le rôle d’une armée.

(1) Il était devenu titulaire de ces diverses charges en très peu de
temps (ci-dessous, p. 415 ; Mus. d’Esp., m, 122).

(2) Sur ce poète, mort en 404 et plus connu sous le nom de Ramàdi,
voir Mus. d’Esp., m, 172 ; Çila, n° 1376 ; Dhabbi, n° 1451 ; Matrnah,
p. 69; Merràkechi, H. des Almoh., p. 18 ; ms 2&7 de Paris, f. 5 v°;
Makkari, index ; Yetîmat ed-dahr, î, 365.

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– 404 –

Le samedi 28 dhoû’l-ka f da (22 sept.), El-Hakam, ins-
tallé sur son trône, tint une grande audience où il admit
auprès de sa personne les djond des provinces et les
notables habitants qu’il avait fait venir pour voir Dja e far
ben f Ali et les émirs Zenàta arrivés avec lui. Puis il leur
donna congé et tous rentrèrent dans leurs pays respec-
tifs, c’est à dire le djond de Damas à Elvira, le djond
d’Emesse dans le canton de Séville, le djond de Kinnes-
rîn à Jaën, le djond de Palestine à Sidona, et ainsi de
suite W.

En 361 (24 oct. 971), divers combats eurent lieu dans le
Gharb entre H’asan ben K’annoûn Hasani, émir du
Gharb( 2 >, et les officiers d’El-Hakam, dans les circons-
tances que voici. [P. 261] Le khalife fît appeler Moham-
med ben K’àsimf 3 ) le majordome, et lui donna Tordre,
en ramadan (juin-juil. 972) de cette année, de se rendre
à Ceuta en qualité de commandant et à la tête des déta-
chements des djond qu’il lui confierait. En effet, H’asan
ben K’annoûn se montrait disposé à violer ses engage-
ments, inclinait à reconnaître l’autorité de Ma’add, sou-
verain d’Ifrikiyya, convoquait ses partisans les plus rap-
prochés pour s’en faire des auxiliaires dans ses projets
félons contre El-Hakam, et publiait que Ton eût, dans
les chaires de sa province, à invoquer la bénédiction
divine sur la tête de Ma’add le Chi f ite. Le khalife en
conséquence recommanda à son général de déployer

(1) En cha’bàn 360 arriva à Cordoue une ambassade envoyée par
le comte de Barcelone Borrell I (voir Godera, ‘Boletin de la R. Ac,
xiii, 453 = p. 95 de la Mision historica en la Argelia y Tunes).

(2) Sur cette guerre, voir entre autres Mus. d’Esp.,m, 124; Ber-
bères, H, 149; iu, 215.

(3) Dont il est parlé l. I. sous le nom dlbn Tomlos (ou Tamlès) ; cf.
p. 345, n. 1.

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– 405 —

tous les efforts et le zèle nécessaires, ajoutant que, si
Dieu bénissait cette entreprise, il eût à employer le par-
don et l’indulgence, à remettre le pays sur pied et à
chercher le bien de la population, en cherchant d’ailleurs
à s’appuyer sur les partisans de la dynastie omeyyade.
Le 18 chawwâl (2 août 972), le kâïd franchit le détroit, et
la flotte et l’armée opérèrent leur concentration à Ceuta.
Le samedi 4 dhoû’l-ka’da (17 août), le khalife reçut une
lettre annonçant la conquête de Tanger par son amiral
f Abd Allah ben Riyàh’in, qui était, disait-il, arrivé le
1 er de ce mois devant la ville et avait d’abord invité les
habitants à se soumettre et à rentrer dans le sein de
l’orthodoxie; mais ils avaient donné une réponse néga-
tive et grossière, soutenus d’ailleurs qu’ils étaient dans
ces dispositions par H’asanben K’annoûn qui se trouvait
dans la ville. Le jeudi, ce dernier avait opéré une sortie
centre l’armée qui, partie de Ceuta, marchait vers Tétuan
pour venir lui livrer bataille; mais malgré le nombre
considérable de ses soldats maghrébins du djond et de
ses auxiliaires, il avait été mis en déroute et avait tourné
le dos devant les troupes d’El-Hakam; il avait échappé
avec quelques-uns de ses intimes et avait piqué droit
devant lui sans se détourner ni s’occuper des biens,
tentes et objets divers appartenant à lui et à ses parti-
sans, et. restés à Tanger. Quand il se fut ainsi beaucoup
éloigné et que les Tangitains.se trouvèrent livrés à eux-
mêmes, leur cheykh Ibn el-Fâd’il, accompagné de quel-
ques-uns des notables habitants, sortit dans la direction
d’Ibn Riyàhîn, [P. S6S] en déclarant hautement qu’ils
étaient prêts à obéir à Dieu et au- Prince des croyants
El-Hakam. Puis il se présenta en personne au kâïd, solli-
cita et obtint Y aman pour les habitants. Les vainqueurs

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– 406 –

entrèrent ensuite à Tanger et y mirent au pillage tout ce
qui appartenait à Hasan ben K’annoûn et à ses parti-
sans. Tel était l’exposé des faits que renfermait la lettre
du kâïd adressée au khalife.

Celui-ci reçut, le 21 dhoû’l-ka’da (2 sept.), une lettre
où le kàïd Mohammed ben K’àsim annonçait les succès
qu’il avait remportés et que voici. Une rencontre ayanl
eu lieu avec H’asan ben K’annoûn, celui-ci avait, à la
suite d’un combat acharné, fini par être mis en déroute
en laissant nombre des siens sur le terrain et s’était, avec
les survivants, réfugié dans une montagne dont la posi-
tion était très forte ; mais, poursuivi et chargé par le
djond, un nouveau combat, d’ailleurs peu important,
s’était engagé, à la suite duquel il avait dû fuir de nou-
veau, abandonnant ses bagages et ne s’occupant de rien
sinon de s’échapper, de sorte que cette montagne était
restée aux mains du djond, qui avait livré au pillage les
objets qui y avaient été réunis. Le lendemain, les vain-
queurs avaient marché sur la ville de Deloûl (*), dont
Dieu leur avait permis la conquête, et Mohammed ben
Kâsim, avec les troupes régulières^£~e, s’était joint à
eux. Puis celui-ci s’était dirigé sur la ville d’Açila^, y
était entré et avait pénétré dans la. mosquée principale,
où il avait trouvé une chaire neuve et marquée au nom
du.Chi’ite Ma’add ben Ismâ f il; il l’avait fait jeter au feu,
après en avoir enlevé à la partie supérieure la planche

(1) Je ne trouve que dans Bekri (p. 164) une place de ce nom, située
à cinq parasanges de la mer et à deux journées de Mostagauem. Il
ne peut être ici question de cette ville, dont Dozy se borne à enre-
gistrer le nom sans observation {Mus. d’Es])., m, 125). Il n’en est pas
question dans le récit, d’ailleurs bien moins détaillé, du Kartàs
(p. $6 du texte).

(2) Sur Açila ou Azila, voir t. i, p. 337.

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– 407 –

où était incrusté le nom de Ma’add et dont il y aurait
beaucoup à dire pour en faire apprécier le prix; il l’en-
voyait au khalife en même temps que sa lettre. L’armée
alors se retira vers Deloûl, dont il fit abattre les fortifia
cations et brûler les maisons pour en faire un exemple;
l ‘armée s’empara de ce C[ui s’y trouvait et fit un riche
butin des vivres et de ce qu’y avait abandonné Hasan.

En 362 (12 oct. 972), Mohammed ben Kâsim succomba
dans la banlieue de Mehrân (*) sous les coups de H’asan
ben K’annoûn. Dans cette affaire, qui eut lieu le diman-
che 23 rebî f I (22 déc), il périt avec lui quantité de gens
du djond, c’est à dire environ cinq cents cavaliers anda-
lous d’entre les plus braves et environ mille fantassins.

Le 1 er djomâda II (9 mars 973), soixante-dix Maçmoû-
dites qui avaient jusqu’alors suivi H’asan ben K’annoûn
et qui venaient faire leur soumission, [P. 263] arrivè-
rent à Cordoue.

Le khalife fit venir Ghâlib ben ‘Abd er-Rahmân et lui
donna des ordres pour combattre H’asan ben K’annoûn
Hasani, car la situation de ce côté, par suite de la défaite
du djond et des pertes qu’il avait subies, devenait grave.
Alors arriva une lettre de victoire émanant des kàïds
d’Açila, qui annonçaient qu’ayant marché contre H’asan
ben K’annoûn, ils lui avaient livré un combat acharné,
l’avaient mis en déroute et lui avaient tué un grand
nombre d’hommes. A Cordoue arrivèrent H’annoûn ben
Idris, seigneur du quartier espagnol de Fez, et un envoyé
d”Abd el-Kerîm ( 2 ), seigneur du quartier kayrawanite de

(1) Je ne retrouve pas ce nom ailleurs, et Ton ne peut, semble-t-il,
songera lire ^\ybj Oran. D’après le Kartâs {l. h), cette-bataille eut
pour théâtre le Fahç Benoû Miçrakh, dans le district de Tanger.

(2) [Abd el-Kerîm ben Tha’leba Djodhami (Berbères, u, 151).

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– 406 –

cette même ville, qui venaient manifester leur désir de
se soumettre au Prince des croyants et de soutenir sa
souveraineté. Ils furent reçus avec de grands honneurs,
et de belles promesses leur furent faites.

En cha’bân (mai 973), le kâïd Ghâlib fut avisé de l’ex-
pédition qui lui était faite de dix mille dinars à distribuer
à ceux des partisans de H’asan ben K’annoûn, propor-
tionnellement à leurs rangs, qui se joignaient à lui. Cet
envoi comprenait également un grand nombre de riches
vêtements et de sabres enrichis de pierreries, pour ser-
vir de récompenses honorifiques.

Le khalife envoya le vizir Yahya ben Mohammed To-
djibi dans le Gharb à la tête de troupes destinées à ren-
forcer Ghàlib et pour qu’il prêtât à cet officier son con-
cours contre le rebelle H’asan ben K’annoûn, affaire dont
le récit exigerait de grands développements.

Vers la fin de dhoû’l.-ka f da (fin août), une lettre de
Ghâlib annonça au prince la faveur que Dieu lui avait
faite en lui laissant conquérir le château-fort d’El-KeremM
et en réduisant à la fuite le misérable H’asan ben K’an-
noûn, son parent par alliance f Ali ben Khaloûf, et d’au-
tres encore.

A la mi-dhoû’1-hiddja (mi-sept.), une lettre du chef de
la chorta et grand kâdi du Gharb Mohammed ben Aboû
c Amir< 2 ) annonça que l’on avait célébré dans ce pays, le jeudi, la fête du Sacrifice et que dans les moçalla le prône y avait été dit au nom d’El-Hakam, à la grande joie et allégresse des musulmans (orthodoxes). (1) Je n’ai pu retrouver ailleurs le nom de cette place; peut-être le Kaçr ibn ‘ Abd el-Kerîm ? (2) Sur l’attribution de ces fonctions à Ibn Aboù ‘Amir, voir Mus. d’Esp., m, 122 et 127 ; ci-dessous, p. 416. Digitized by Googk – 409 – Divers combats, trop longs à raconter, furent livrés aux Hasanides et finirent par le massacre d’un grand nombre [P. 264] des partisans de H’asan ben K’annoûn Hasani. On coupa les têtes décent des principaux, mais le plus grand nombre resta sur le champ de bataille. Dans la déroute fut tué Mohammed ben Aboû’l- e Aych Kenâni, que Hasan considérait tantôt comme son frère tantôt comme son fils. En 363 (2 oct. 973), le kâïd Ghàlib se rendit maître de la ville d’El-Baçra, dont s’était emparé Mohammed ben H’annoûn Hasani (*>. Les habitants se soulevèrent et,
après avoir mis à mort le lieutenant qu’il avait nommé
‘dans cette ville, s’empressèrent d’écrire au kâïd Ghàlib
pour lui demander de venir les trouver. Cet officier, se
rendant à leur appel, prit possession de la ville, et il
annonça ces événements au khalife en insérant dans sa
lettre celle que les habitants lui avaient adressée.

Le jeudi 15 çafar (15 nov. 973), une lettre de Ghàlib
annonça au khalife que, après s’être fait livrer des ota-
ges, il avait évacué El-Baçra ; que tous les habitants du
Gharb et la généralité des tribus berbères avaient fait
leur soumission, à l’exception toutefois du traître H’asan
ben K’annoûn, qui était serré de si près qu’il était réduit
au désespoir. Une députation fut envoyée à Cordoue par
les habitants d’El-Baçra, qui répudiaient leur chef Hasan
et rentraient dans l’obéissance.

Le khalife reçut l’agréable nouvelle que H’asan ben
K’annoûn s’était soumis et que, cessant toute opposition,

(1) Qui paraît être le fils du chef de la famille Idriside à ce moment;
voir p. 410 et cf. p. 351 n. 3 ; t. i, p. 303. Son nom ne figure pas dans
les recherches consacrées à la généalogie des Edrisides in Jakubi,
Descriptio, p. 122 et s.

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– 410 –

il avait participé à la prière du vendredi 29 djomâda II
(27 mars 974). Il tint en conséquence, dans la grande mos-
quée de Cordoue, une audience où il annonça aux vizirs
la soumission du rebelle du Gharb, dont Ghâlib l’infor-
mait par une lettre qui lui faisait part également de
l’envoi du fils du dit chef, ‘Ali ben Hasan, et de la célé-
bration du prône dans le fort de Hadjar en-Nesr w. Les
vizirs accueillirent cette nouvelle avec plaisir, présentè-
rent leurs félicitations au prince et adressèrent à Dieu
leurs témoignages de reconnaissance et des vœux pour
leur maître, toutes choses qui durèrent longtemps W.

En 364 (21 sept. 974), Ghâlib ben f Abd er-Rahmân, de
retour du littoral africain, se présenta au khalife; il était
accompagné de H’asan ben K’annoûn et de sespartisans
hasanides, les Benoû Idrîs, princes du Gharb qui avaient
dû quitter leurs repaires et venir en Espagne ; [P. 268]
ite faisaient cortège à leur cheykh connu sous le nom de
H’annoûn et dont le nom était Ahmed ben c Isa, prince de
la ville d’EI-Ak’lâmf 3 ) et du territoire voisin de cette
ville, lequel avait avec lui ses frères et ses cousins pater-
nels accompagnés de leurs fils et de leurs femmes. Le

(1) Le Rocher des aigles (Hadjar en-nesr ou Çakhrat en-nesr) cons-
tituait le principal réduit des Idrisides; voir 1. 1, 278. Ce fut la dernière
place qu’assiégea Ghâlib, et sa chute entraîna la soumission de Hasan
{Kartàs et H. des Berb.).

(2) Sur les relations de Hakam et de Garcia, comte de Gastille, en
Tannée 363, voir Godera, Mision historica, p. 119.

(3) Je ne retrouve le nom d’El-Ak’làm (pourtant cité par de Goëje,
Jakubi, 127, probablement d’après Ibn Haukal), que dans le Merâcid
(i, 84) : « C’est, dit-on, uue montagne dans la campagne de Fàs, non
loin de Ceuta». Cette montagne est aussi donnée comme étant pro-
che de Fàs ou Fez par le ms 2327 de Paris (f. 117, article consacré à
Mohammed ben Soltàn, poète dont le nom est également rappelé par
Yakoùt dans son Mo’djem à propos d’El-Ak’làm).

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. ,j

– 411 –

khalife fit emmener tous ces nobles personnages, dans
la soirée du jeudi 4 moharrem (24 sept.), du camp aux
habitations de Cordoue qui avaient été évacuées à leur
intention. Les nouveau-venus, qu’accompagnaient leurs
eunuques et affranchis de confiance, furent conduits jus-
qu’aux demeures préparées pour les recevoir et dont
les salons avaient reçu des décorations trop longues à
décrire (*).

En rebî f I (nov.-déc), le khalife tomba malade et ne
reçut plus personne jusqu’au jour où sa situation s’amé-
liora; il ne se montra à ses intimes que le vendredi 28
rebi’ II (5 janv. 975). Le 29 de ce mois, il affranchit une
centaine de ses esclaves, les uns au titre posthume, d’au-
tres purement et simplement ou à terme, sans qu’il y eût
d’autres réserves. De ces. libérations il fut dressé des
actes auxquels Aboû’l-Welîd Hichâm ben el-Hakam
apporta le premier son témoignage, et après lui les juris-
tes membres du conseil vJm j^Jl J*’> puis ‘ es témoins
inslrumentaires.

El-Hâkam immobilisa les boutiques des selliers à Cor-
doue au profit des maîtres chargés d’enseigner les enfants
pauvres.

Il fit remise du sixième de tous les impôts extraordi-
naires (meghârim) payés par les sujets de tous les can-
tons d’Espagne, à l’effet de témoigner à Dieu sa recon-
naissance pour les faveurs qu’il avait reçues de lui.

L’ennemi s’agita et mit le siège devant quelques-uns
de nos châteaux-forts, mais Dieu le confondit.

(1) En 365, tous ces Idrisides furent embarqués pour Tunis, d’où
ils se rendirent en Egypte {Kartâs, p. 58’du texte; cf. Ibn Khaldoun,
éd. Boulak, îv, 146). — En 364, Ghàlib dirigea contre Gormaz une
expédition dont on trouve le récit, d’après Ibn Hayyàn, dans Codera,
Mision historica, pi 127.

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— 4Î2 —

Aboû’l-Ah’waç Ma f n ben f Abd el- f Azîz Todjîbi ayant eu
le dessous^), Rechik s’assura de sa personne et l’envoya
enchaîné à Cordoue avec dix de ses partisans. Cet homme
assistait les infidèles et les renseignait sur les points
faibles du territoire musulman, mais Dieu mit un terme
à ses trahisons.

En 365 (10 sept. 975), Dja e far et Yahya, l’un et l’autre
fils d ,c Ali ben Hamdoûn ben el-Andalosi, sortirent de
Cordoue précédés des étendards et des tambours, pour
se rendre sur le littoral africain en qualité de kâïdset
remplacer le vizir Yahya ben Mohammed ben Hâchira( 2 ).

Le 1 er djomàda II (5 fév. 976), il fut annoncé qu’on eût
à prêter le serment de fidélité à Aboû’l-Welîd Hichâm
ben el-Hakam, que cette cérémonie aurait Heu, tant pour
les grands que pour le peuple, à Cordoue et dans le reste
de l’Espagne [P. 266] et des portions soumises du
Gharb, et que son nom figurerait dans le prône débité du
haut des chaires les vendredis et jours de fête. Le Prince
des croyants tint à ce sujet une audience dans son palais,
commença son discours en annonçant sa résolution d’in-
vestir son fils du pouvoir pour lui succéder, puis ordonna
la prestation de serment : on exhiba des copies de ce ser-
ment pour que chacun de ceux qui y étaient astreints y
apposât son témoignage, et ceux qui eurent à les présen-
ter aux assistants dans l’ordre assigné par leurs rangs
respectifs se nommaient El-Mançoûr Mohammed ben
Aboû c Amir, alors chef de la choria et préposé aux succes-
sions, et l’eunuque (fêta) et secrétaire Meysoûr Dja c feri.

(1) Du côté de Saragosse {Mus. d’Esp., m, 131).

(2) (Je rappel de Yahya et son envoi à Saragosse (cf. plus bas) furent
le fait du vizir Moçh’afi pendant la maladie du khalife et étaient moti-
vés par des raisons d’économie {Ibid.).

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tr 413 –

Le vizir Yahya ben Mohammed ben Hâchim partit de
Cordoue précédé des tambours et des étendards pour se
rendre en qualité de commandant à Saragosse.

Un rescrit d’El-Hakam adressé au vizir Dja c far ben
c Othmân Moçh’afi, préfet de la ville, lui fit savoir que le
pardon était accordé à Aboû’l-Ahwaç Todjîbi et à ses
compagnons et qu’il eût à les tirer de Ja prison souter-
raine pour les rendre à la liberté.

En 366 (30 août 976), mourut Aboû f Ali [Ismâ’îl ben
el-Kâsim] Baghdâdi, auteur des Nawâdir, connu sous le
nom d’El-K’âli, c’est à dire originaire de K’âlik’ala, en
Orient* 1 ); Mohammed ben Yahya le grammairien (*), et le
littérateur Aboû Merwân Morâdi e Abd < 3 > el-Melik ben
Sa’id moururent également, et Ton appela cette année
« année des littérateurs ».

En 365 (lOsept. 975), la construction de la mosquée fut
achevée. La chaire que fit faire El-Hakam était incrustée
de bois de santal rouge et jaune, d’ébène, d’ivoire et
cTaloès ; elle lui coûta 35.705 dinars, et on mit cinq ans à
rétablira.

(1) Ce littérateur est l’objet d’articles d’Ibn-Khallikàn (i, 210) et de
Dhabbi (n° 547), qui le font l’un et l’autre mourir en 356 ; cf. aussi
Merràkechi, H. des Almohades, p. 20 et 25; Makkari, Index; lbn
Khaldoun, éd. Boulak, îv, 146 ; Pons, Ensayo, n° 33. Kàlikala est située
dans la Grande Arménie, du côté de Khelàt {Merâcid, n, 381 ; Belà-
dhori, etc.).

(2) Parmi les nombreux personnages ayant porté ce nom, je ne
trouve comme grammairien de cette époque que Rebàh’i, dont la
mort est placée sous Tannée 358 par lbn el-Faradhi (n° 1290).

(3) J’ai corrigé le texte en supprimant le^ de sX>^ : en effet, je ne
trouve qu’un seul personnage nommé Aboû Merwàn ‘Abd el-Melik
ben Sa’id Moràdi, dont nous avons vu plus haut une poésie, et dont
le nom figure dans Dhabbi (n° 1067) et dans Makkari (i, 256; n, 121;.

(4) Sur cette chaire, cf. Makkari, i, 367. La date de 365 (en chiffres
dans le texte imprimé), qui est ici donnée comme étant celle de l’achè-

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^ 414 —

On a trouvé écrite de la main de ce prince Tannée de
la mort de celui qui fut son kâdi et le kâdi de son père,
Mondhir ben Sa c id Balloût’i, lequel mourut le jeudi 28
dhoû’l-ka e da 355, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, puis-
qu’il était né en 273. Ce kâdi avait un caractère enjoué
dont il donnait des manifestations, lesquelles provo-
quaient des ripostes : or quelques effrontés plaisants lui
adressèrent ces vers :

[P. 267 ; Khafif] Dis au grand kâdi Balloûti : Que penses-
tu d’une jeune vierge semblable à un tendre rameau avec
qui ont couché, à titre d’œuvre pie, des gens spirituels?
Vois-tu là, Seigneur, une faute ?

Il écrivit au bas de ce papier: « Non spécial à notre
école (*). » Un assistant lui demandant ce que cela signi-
fiait, il répondit ne pas vouloir donner d’avis ; et comme
son interlocuteur lui disait qu’on attendait de lui toute
autre chose, le kâdi reprit : « Chacun répond selon sa
croyance. » Il est le héros de jolis traits et a dit bien des
choses spirituelles.

comment mohammed ben abou ‘amir entfia au service
d’el-hakAm.

Au dire d’un chroniqueur, qui déclare tenir ces faits
du secrétaire Ibn Hoseyn, du littérateur Aboû Ishâk ben
Mohammed Aflîli W et d’autres cheykhs encore, le cham-

vement de la mosquée, est en contradiction avec ce qui est dit p. 398,
et paraît être un lapsus.

(1) Sur le sens que j’ai donné au mot ib.-*-*, cf. entre autres Gol-
dziher, Die Zahiriten, p. 86.

(2) L’auteur en question doit être, sauf erreur, celui qui est appelé
Aboû’l-Kâsim Ibrahim ben Mohammed ben Zakariyyà, surnommé Ibn
el-Aflîli,+441 (Çila, n° 195; Dhabbi, n° 485; Makkari, I, 893; il, 118).

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– 415 —

bellan Dja’far ben Othmân Moçh’afi, qui était chargé du
gouvernement sous El-Hakam, était un jour à causer
en tête à tête avec le kàdi Mohammed ben Ish’âk ben
es-Selîmi 1 ), qui lui exposa ses ennuis à propos de Mo-
hammed ben Aboû e Amir et lui dit la situation où il se
trouvait. Quand El-Hakam demanda à Dja’far un inten-
dant pour son fils r Abd er-Rahmân, qui venait de naître,
le ministre lui parla en termes avantageux d’Ibn Aboû
f Amir et fournit à la mère du jeune prince des rensei-
gnements sur plusieurs candidats; le choix de la prin-
cesse fut décidé par l’opinion favorable de Dja’far, et
El-Hakam l’attacha au service de la mère et de l’enfant.
Après la mort d ,f Abd er-Rahmân, il continua de servir
cette princesse, et quand elle devint mère de Hichâm,
lui-même fut nommé intendant du nouveau-né. Quand
il était devenu intendant du jeune f Abd er-Rahmân, le
samedi 9 rebî c I 356 (22 fév. 967), le traitement qui lui fut
alloué montait à quinze dinars forts par mois (*). Mais il
se fit avantageusement connaître par sa loyauté et par sa
bonne administration, et quand ensuite Dieu rappela à
lui f Abd er-Rahmân, il fut nommé intendant de Hichâm
le mercredi 4 ramadan 359 (11 juillet 970), après avoir
d’ailleurs été nommé déjà inspecteur de la Monnaie le
samedi 13 chawwâl 356 (21 sept. 967). En outre de sa
place d’intendant, il fut nommé trésorier, puis curateur
aux successions [P. 868] le jeudi 7 moharrem 358 (l or

(1) Qui avait succédé à Mondhir ben Sa’id le 13 moharrem 356 (Ibn
el-Faradhi, n° 1317, etKhochàni, ap. Mus. d’Esp., ni, 117; cf. l’anec-
dote rapportée par Merràkechi, H. des Almohades, p. 22 ; ci-dessus,
p. 373 et 385.

(2) C’est principalement d’après notre texte que Dozy décrit les
rapides étapes de la fortune d’El-Mançoûr (Mus. d’Esp., ni, 117 et s.).

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— 416 —

déc f 968); le mercredi 12 dhoû’l-hiddja 358 (27 oct. 969)
il devint kâdi du canton deSéville et de Niébla et dépen-
dances; en djomâda II 361 (mars-avril 972), El-Hakam
lui confia le commandement du deuxième corps de la
chorta. Il l’appela au contrôle des fonds secrets (*) à dé-
penser dans l’Afrique septentrionale, où Ibn Aboû f Amir
fit régner Tordre et se concilia l’esprit des populations,
de sorte que le khalife le nomma grand-kâdi de la partie
occidentale du littoral africain, en enjoignant aux gou-
verneurs et kâïds de ne rien trancher sans en référer à ce
magistrat; puis, pendant l’attaque de paralysie dont il
mourut, il le chargea des fonctions de majordome.

On dit aussi que ce qui le mit en lumière fut son service
auprès de la princesse Çobh’ [AuroreJ la Basque, mère
d’ f Abd er-Rahmân et de Hichâm, et que ce fut par elle^
surtout qu’il arriva si vite et si haut. Il sut se concilier
cette femme par ses bons services, les plaisirs qu’il lui
procura, les sommes considérables qu’il mit à sa disposi-
tion, si bien qu’il la fascina et domina son cœur. Or elle-
même dominait son maître, et Ityi Aboû f Amir faisait
tous ses efforts pour lui témoigner son respect et ne
jamais interrompre ses attentions pour elle, inventant et
faisant à son intention des choses inouïes : ainsi il fit
pour elle, pendant qu’il [lui] était [encore] subordonné,
un [petit] palais d’argent auquel il consacra beaucoup de
temps et de grosses sommes, qui était une chose extra-
ordinaire et plus belle que ce qu’on avait jamais vu; on
l’exposa en dehors de la demeure d’Ibn Aboû c Amir à

(1) Cette expression toute moderne me parait ici être le sens de
Cj^L»^)\ , car on sait qu’à ce moment, tout comme ailleurs et à
d’autres époques, l’or servit à l’Espagne pour ‘acheter des défections
en Afrique (cf. Mus. d’Esp., m, 127).

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~ 417 –

l’admiration du public, qui se pâma à ce spectacle et qui
en causa longtemps. En un mot, il régnait en maître
absolu dans le cœur de cette femme, qui de son côté
lui adressait des preuves multiples d’estime et s’inquié-
tait tant de lui que l’opinion publique s’occupa du pen-
chant qu’elle manifestait en sa faveur. El-Hakam dit un
jour à un de ses affidés : « Par quels habiles procédés ce
garçon attire-t-il toutes mes femmes, que leur cœur lui
appartienne? Elles ont beau être entourées de tout le
luxe du monde, elles n’apprécient que les cadeaux venant
de lui, ne goûtent que ce qu’il apporte. C’est un sorcier
savant ou un serviteur bien entendu ! Mais j’ai peur pour
ce qu’il a entre les mains I » [P. 269] Le khalife reçut
des délations, et le favori fut accusé d’avoir rapidement
dissipé les sommes qui, avant lui, étaient immobilisées
à la Monnaie. El-Hakam, voulant s’assurer qu’elles
6’ nient intactes, ordonna qu’elles lui fussent représen-
tées; Ibn Aboû ‘Amir, qui en avait dépensé une grande
partie, feignit un grand empressement à obéir, mais se
précipita chez son intime ami le vizir lbn Hodeyr pour
lui en demander le prêt et ainsi combler le déficit. Le
vizir y consentit, et l’argent qu’il lui fit aussitôt porter
prit la place de celui qui manquait à la Monnaie. Tout
soupçon fut ainsi écarté, et El-Hakam, regardant comme
mensongers les bruits qui étaient parvenus jusqu’à lui,
ne fit qu’admirer davantage le fonctionnaire soupçonné
et le confirma dans sa situation. Ibn Aboû e Amir rendit
aussitôt l’argent prêté par son ami, resta attaché à El-
Hakam et figura au nombre de ses ministres.

Vers la fin de son règne, ce prince se préoccupa des
affaires du littoral africain et des détachements de trou-
pes qu’il avait à y expédier pour combattre les Idrîsides

27

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– 418 –

et autres ennemis ; il voyait en effet d’un œil chagrin les
sommes qu’il devait dépenser de ce côté. Il nomma donc
Ibn Aboû e Amir grand-kàdi de cette Région et en fit l’ins-
pecteur général de l’armée, avec mission de veiller à
toutes les affaires importantes la concernant. Le nouvel
inspecteur se rendit à son poste, où ses services furent
appréciés et où il se trouva en contact avec les princi-
paux officiers et avec les cheykhs et chefs de tribus. Ce
fut cette affaire qui le mit [véritablement] en lumière, et
après son retour il ne cessa de déployer toute son habi-
leté et de croître en influence. Cela ne l’empêchait pas
cependant de se rendre matin et soir chez Dja e far ben
c Othmàn Moçh’afi, qui était le principal vizir, de le fré-
quenter et de faire montre de fidélité.

Dans la nuit du samedi au dimanche 3 ramadan [lisez
çafar] 366 (1 er oct. 976), El-Hakam el-Mostançir billàh
mourut des suites de sa maladie qui ne lui laissa aucun
répit et pendant laquelle le pouvoir fut exercé par Dja e far
ben c Othmân.

Khalifat de Hichâm ben el-Hakam ben ‘Abd er-Rahmân en-Nâçir,
et pouvoir de la dynastie ‘Amiride.

Ce prince, dont la généalogie est connue par ce que
nous avons dit de son père et de son aïeul, avait pour
prénom Aboû’l-Welid et pour surnom El-Mo’ayyed billâh.
Sa mère était une esclave concubine, Çobh’ la Basque,
que son maître El-Hakam appelait Dja e far, [P. 270]
et qui, habile chanteuse, exerçait sur lui une grande
influence (*) ; elle mourut pendant le règne de son fils
Hichâm. Le serment de fidélité fut prêté à celui-ci, qui

(1) Sur cette femme, voir ci-dessus, p. 389; cf. Mus. d’Esp., in, 133.

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– 419 –

était l’héritier désigné par El-Hakam, le Iundi4çafar366
(2 oct. 976) ; il avait alors onze ans et huit mois. Déposé
le mercredi 16 djomâda II 399 (15 fév. 1009), son premier
règne, antérieur à la période de troubles, fut de trente-
trois ans quatre mois et dix jours; son second règne fut
de deux ans et dix mois, soit un total de trente-six ans
deux mois et dix jours. Il était blond, avait les yeux bleu
foncé et à large prunelle, les joues minces, la barbe rou-
geàtre, le corps bien fait et les jambes courtes; il était
porté à la dévotion et à la vie retirée, s’adonnait à la
lecture du Koran et à l’étude des sciences [religieuses],
et distribuait d’abondantes aumônes aux gens pieux
frappés par la maladie ou l’indigence.

Ses kâdis furent Mohammed ben es-Selîm, qu’il trouva
en place à la mort de son père et qu’il confirma dans ce
poste ; Aboû Bekr [Mohammed ben Yabk’a] ben Zerb (*),
puis Mohammed ben Yahya Temîmi, connu sous le nom
d’IbnBerfâl», etc.

La devise de son sceau était a Hichâm ben el-Hakam
cherche son refuge en Dieu». Celui qui dressa l’acte de
prestation du serment de fidélité fut son intendant, chef
du second corps de la chorta, directeur de la Monnaie et
des successions, Aboû e Amir Mohammed ben Aboû
f Amir, après que le grand-kâdi Mohammed ben Ish’âk

(1) A ce kàdi, mort en 381, Ibn Faradhi consacre un article (n° 1361),
de même queDhabbi (n* 325) et Ibn Farhoun (ms 5032 de Paris, f. 115).

(2) Ibn Faradhi parle de lui (n’ 1388). Les trois vers cités par Mak-
kari (n, 304) sont probablement du même kàdi, bien qu’il y soit pré-
nommé « Aboù Dja’far », tandis que le nôtre est « Aboù ‘Abd Allah ».
Le kàdi avait un frère, connu également sous le nom d’Ibn Bertàl
(Ibn Faradhi, n° 449) ; un autre Ibn Bertàl, grand-père maternel du
célèbre Almanzor, s’appelait Yahya ben Zakariyyà {Notices, p. 152:
infrà, p. 426.

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– 420 –

ben es-Selim l’eut recueilli de la boache de ceux qui
assistaient à l’audience, oncles et cousins paternels,
vizirs, employés de divers grades du palais, principaux
Koreychites et notables de la ville.

Le samedi 10 çafar 366 (7 oct. 976), sixième jour de
Tavènement de Hichàm, ce prince confia le poste de
chambellan (hâdjib) au vizir favori de son père, Aboû’l-
Hasan Dja c far ben c Othmân Moçh’afi ; le même jour, il
appela du commandement du deuxième corps de la
chorta au poste de vizir Mohammed ben Aboû c Amir, et
le donna comme collègue à Dja c far pour participer à
l’administration du royaume ; mais Mohammed prit le
pas sur Dja’far et se lança vers le but avec une vitesse
qui laissa son rival loin en arrière.

[P. 271] Aboû’l-Hasan Dja c far ben e Othmân ben Naçr
ben Fawz ben c Abd Allah ben Koseyla K’aysi était bien
vu d’El-Hakam el-Mostançir, dont il était un vieux et
intime camarade, ce qui avait pour première origine le
fait que son père c Othmân ben Naçr M avait été le pro-
fesseur d’El-Hakam pendant l’enfance de celui-ci. Ce
prince l’attacha à son service du vivant de son propre
père En-Nâçir, en fit son secrétaire, puis lui donna de
l’avancement, le fit nommer commandant du second
corps de la chorta et inspecteur dans plusieurs gouver-
nements et cantons. Trois jours après son avènement
au khalifat, il le nomma vizir, le fit passer.au secrétariat
particulier et ensuite joignit à cette dernière charge celle
du secrétariat supérieur, tandis qu’il nommait ses fils à
des gouvernements importants. Dja c far ben f Othmân

(1) Quelques lignes lui sont consacrées par Ibn el-Faradhi (n* 896),
qui lui attribue une généalogie un peu différente de celle qui figure
dans notre texte ; cf. aussi Notices, p. 141.

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vrw- n

– 421 –

figure parmi les bons poètes espagnols; il a pratiqué
divers genres, la louange, la description, l’ode, et partout
s’est placé au premier rang par sa finesse, sa faculté
d’invention et le fini de ses vers. Nous avons cité plus
haut deux de ses impromptus, et on en pourrait citer
d’autres.

Au dire d’Ibn Bessâm (*), “Dja e far ben c Othmân atteignit
le point extrême, et pendant un long temps put réaliser
ses désirs. Rameau provenant d’un arbre jusqu’alors
dépourvu de notoriété et de gloire, ce fut de l’aurore au
soir de sa vie qu’il grandit; bien que sans antécédents,
il s’éleva et monta à un rang peu en rapport avec celui
de sa famille; toujours à la hauteur de la situation et
toujours poursuivant son ascension, il arriva à briller à
l’horizon du khalifat, et alors, comme ivre d’un vin nou-
veau, il s’enleva dans un allègre essor vers le khalifat
même. Devenu chambellan de l’Imâm, sa sagesse fit cre-
ver ce nuage, et il obtint ainsi ce que l’on sait, en ten-
dant des lacs et des filets pour réaliser ses désirs; il
acquit et thésaurisa, dépréciant et méprisant autrui.
Mohammed ben Aboû c Amir, alors que son étoile était
sous l’horizon [P. 272] et que le secret de son avenir
était encore caché, rechercha la bienveillance du minis-
tre sans qu’aucun accueil répondît à ses efforts, sans

(1) Aboû’l-Hasan ‘Ali ben Bessàm est l’auteur de la Dhâkhira fi
mehâsîn ahl el-djezîra y anthologie poético-historique à la rédaction
fort boursouflée, dont trois volumes, sur quatre qui la composent,
sont parvenus jusqu’à nous («7. As., fév. 1861 ; Pons, Ensayp y n* 171 ;
Dozy, Loci de Abbad., m, 38; Cat. des mss arabes de Paris, n oi
3321-23; Cat. des mss d’Alger, n° 1615, 2°, etc.). Le passage cité n’est
pas d’Ibn Bessàrn, ainsi que l’a fait remarquer Dozy, mais d’Ibn
Khàkàn (voir le texte, qui présente des variantes, du Matmah, éd.
Gstp., p. 4 ; cf. Makkari, î, 261 et 389). …

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— 422 –

pouvoir, dons le parterre de sa puissance, prendre ni
cueillir aucune des fleurs qu’il espérait. Moçh’afi, chargé
de l’administration de l’Espagne* parcourait un vaste
hippodrome de félicité et s’abreuvait à même le bassin
rempli de l’eau potable du pouvoir. Lettré de premier
ordre et ayant le don de rimer facilement les beaux
faits, voici entre autres choses ce que, pour divertir et
égayer ses contemporains, il écrivit quand sa Selma ou
sa So e àd (*> excitait sa bonne humeur” :

[Tawîl] Mon cœur doit avoir plusieurs gardiens pour sur-
veiller ton œil, et des chagrins divers rongent mes flancs ( 2 ).
Mon corps a beau être usé par la main de la passion, ton
amour est un rameau toujours frais que garde mon cœur 0).

“Un matin que, tout plein des ardeurs de l’ivresse,
provoquant le monde à lui répondre, humant le liquide
d’une lèvre familière et en aspirant le parfum, alors que
le suprême pouvoir lui lançait de morbides regards
amoureux et que dans cet état — car de quel diadème
la félicité ornait-elle son front! — il réalisait l’impossi-

(1) L’auteur fait probablement allusion à Selma bent Sa’id ben
Khàlid, dont la mort provoqua les regrets versifiés de son mari
Welîd ben Yezîd {Aghâni, index). Une chanteuse dont les charmes
ont inspiré deux poètes, s’appelait So’àd (ibid.), mais ce nom me
paraît plutôt rappeler celui qui figure dans le poème appelé Bànat
So’âd. Il se peut d’ailleurs que ces noms soient employés dans un
sens tout à fait général : c’est ainsi que le poète Aboùl’-Welid Mos-
lim chante Zeyneb et Asmà, comme d’autres parient de So’âda, de
Salma ou de Hind {Mostatref, trad. Rat, n, 442, 465, 468, 470, etc.).

(2) Le texte comporte un double sens intraduisible.

(3) Ces deux vers figurent également dans le Matmah, p. 5 ; voir
aussi Makkari (i, 262 et 390; éd. Boulak, i, 188 et 277), et les Notices,
p. 145.

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«. 423 —

foie, il se mit à décrire la couleur du vin et ce que, au
repentir près, il en savait’ 7 . Voici ces versW :

[Kàmil] Ce liquide jaune qui scintille dans la bouteille
s’insinue, une fois versé, dans le corps comme un serpent à
la morsure cuisante. Gomme le temps se riait de sa beauté,
il a, pour échapper à ses regards, pris un vêtement parfai-
tement lumineux; il se dérobe ainsi à la vue de ceux qui
l’absorbent, et qui trouvent, dirait-on, la satiété dans un
vase vide.

“Il resta dans sa situation de chambellan, ne cessant
de se rendre aux appels de la fortune, tandis que les
grands, l’esprit troublé par sa haute situation, restaient
confondus devant la réalisation de son bonheur. Sans
interruption il resta ceint du baudrier dukhalifat, trai-
tant successivement les affaires les plus épineuses jus-
qu’au jour où, par la mort d’El-Hakam, sa situation bien
assise fut ébranlée, que les épreuves fondirent sur lui,
que la mauvaise fortune lança contre lui des flèches bien
dirigées, que l’indolence l’envahit, que les pointes et les
épines se précipitèrent vers lui, que les plaies se succé-
dèrent les unes aux autres et que des misères qui comp-
tent l’assaillirent. Le pouvoir alors passa à El-Mançoûr,
qui le fit aussi sien que [P. 273] le libéral se rapproche
de son frère le généreux ( 2 ), qui domina cette situation

(1) On retrouve encore ces vers dans les Notices, p. 144; Makkari,
I, 390, ou éd. Boulak, i, 277 et 282 ; Matmah, p. 5.

(2) J’ai tâcbé de rendre par un à-peu-près le sens des deux mots
Yezîd et el-Ghamr, qui peuvent aussi être employés comme noms
d’homme. Je n’ai en effet rien trouvé qui autorise à croire qu’ils figu-
rent, dans ce style amphigourique dont le cliquetis et l’allitération
des mots font toute la valeur, autrement qu’avec leur signification
primitive. Le fond de tout ce passage se trouve résumé en trois
lignes in Merràkechi, Hist. des Almoh., p. 20.

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– 424 –

de la môme manière que, autrefois, e Amr était devenu
trop grand pour porter son. collier (*) ; il se ceignit de ce
baudrier (*) et en monopolisa l’usage à l’exclusion des
autres grands personnages. Déjà favorisé par un bonheur
remarquable, mais depuis longtemps insuffisant à son
gré, il s’attaqua à Moçh’afi, qui avait excité sa colère,
le perdit et le dépouilla de toute influence, lui rendit le
mal qu’il lui avait fait et lui serra la gorge de toutes
façons, lui fit flamber les côtes de tristesse et le dépouilla
de tous ses trésors et réserves, lui détruisit ce qu’il gar-
dait et le bourra, Dieu sait comme ! pour ses actes blâ-
mables. Le vaincu passa ainsi des années dans le défilé
de l’adversité et la consomption du chagrin, El-Mançoùr
le traînant à sa suite dans ses expéditions et le retenant
prisonnier entre les griffes ou dans le gosier de la gêne;
malgré ses efforts pour se concilier ou adoucir son vain-
queur, il n’y avait réellement pour lui ni espoir ni encou-
ragement. Cela dura jusqu’au moment où le soleil de ses
jours se coucha, où son âme s’exhala sous les morsures
des épreuves: il fut mis à mort en prison, et l’heure
marquée par Dieu l’atteignit prématurément”.

DÉBUTS D’EL-MANÇOUR MOHAMMED BEN ABOU ‘AM1R.

Aboû c Amir Mohammed était fils d’Aboû Hafç c Abd
Allah ben Mohammed ben c Abd Allah ben c Amir ben

(1) Dans ce passage, qui forme la moitié d’un vers tawtl, il est fait
allusion à ‘Amr hen <Adi, à qui son oncle Djodheyma parla ainsi
(voir G. de Perceval, Essai. . ., n, 22, et les auteurs qu’il cite; Hariri-
de Sacy, p. 436; Meydani, H, 319). Au mot Iraduit par collier, Cheri-
chi donne le sens de « vêtement d’enfant dépourvu de poche ».

(2) Je conserve la leçon ^i^ du ms, corrigée en v^XJlXj par Dozy;
ce membre de phrase ne figure ni dans le Matmah ni dans Makkari.

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Aboû e Àmir Mohammed ben el-Welid ben Yezîd ben
c Abd el-Melik U). Ce dernier était arrivé en Espagne avec
Târik ; c’était un homme de marque parmi les siens et
qui joua un rôle important dans la conquête. Il a été cité
par le poète Mohammed ben HoseynP), qui était versé
dans l’histoire de l’Espagne, et qui dit, dans une des
pièces consacrées par lui à louer El-Mançoûr :

[Tawîl] De tous ennemis tu détruis la tribu, de toute vic-
toire tu as le mérite. Tu descends bien d’ ‘Abd el-Melik, que
signalent la prise et le pillage de Carteyatë) ! Aboû Merwân
y prélevait l’impôt pendant que ton ancêtre la saisissait d’une
main qui a pour qualité héréditaire de frapper d’estoc et de
taille. S’il est survenu en pays infidèle d’autres victoires
après la sienne, c’est à toi que la récompense en est due.

[P. 274] Son aïeul c At)d el-Melik, arrivé en Espagne
avec Târik, s’établit dès le début de la conquête à Algé-
ziras, où il devint le chef des habitants et où il laissa de
nombreux descendants. A plusieurs reprises, ceux-ci
acquirent de la considération et de l’autorité ; plusieurs
d’entre eux se rendirent à Cordoue auprès des khalifes,
notamment Aboû e Amir Mohammed ben el-Welid, qui
donna son nom à toute la famille, et dont le fils c Amir se
fit ensuite remarquer, car il fit son chemin à la cour,
devint gouverneur de diverses provinces et mourut à
Cordoue. [Le sultan] Mohammed fit graver son nom sur

(1) Sur cette généalogie, voir des détails, principalement tirés de
notre texte, in Mus. d’Esp., ht, 114.

(2) Aboû ‘Abd Allah Mohammed ben Hoseyn ben Mohammed Tobni,
+ 395, est l’objet d’articles dans la Çila, n* 1188; Dhabbi, n # 84 ; Ibn
Faradhi, n # 1404.

(3) Cf. ci-dessus, p. 14, et Notices, p. 152.

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– 426 –

les monnaies et le fit inscrire sur les étendards. Aboû
H’afç c Abd Allah, père de Mohammed el-Mançoûr, était
un homme religieux vivant à l’écart du monde et ne fré-
quentant pas la cour, qui étudia les traditions et pratiqua
la prescription divine [du pèlerinage] ; il mourut, à son
retour, à Tripoli de Barbarie M. Il était devenu parent
par alliance des Temîmites connus à Cordoue sous le
nom de Benoû Bert’âl, par suite de son mariage avec
Boreyha bent Yahya ben Zakariyyâ, qui lui donna deux
enfants, Aboû c Amir el-Mançoûr et Yahya. La mère
d’ c Abd Allah, père d’El-Mançoûr, était fille du vizir
Yahya ben Ishàk( 2 ), qui fut à la fois vizir et médecin
d’En-Nâçir li-din Allah.

Quant au dit Mohammed, il avait reçu une bonne édu-
cation, avait un talent qui s’imposait et le désignait pour
le premier rang. Il suivit d’abord la voie de la magistra-
ture, marchant ainsi sur les traces de ses oncles pater-
nels et maternels; il commença dans sa jeunesse par
étudier les traditions et la littérature et prendre note
des expressions de choix aous la direction d’Aboû c Ali
Baghdàdi ( 3 ) et d’Aboû Bekr ben el-K’oûtiyyaW, étudia
les traditions avec Aboû Beki- ben Mo c âwiya Korachi ( 5 ),

(1) Des articles lui sont consacrés par Makkari, i, 904, et le Tekmila,
n« 1251.

(2) Le nom de ce personnage, en tant qu’auteur de livres de méde-
cine, est rappelé par Makkari (n, 119) et par Dhabbi (n* 1460). Ibn Aboù
‘Oçaybi’a lui a également consacré un article (t. n, p. 43, éd. Boulak).

(3) Autrement nommé Kàli, ci-dessus, p. 413.

(4) Il est dit un mot de ce savant par Dhabbi (n° 1518; cf. n° 223 ;
mais Ibn Khallikàn parle de lui plus longuement, t. m, p. 79; cf.
Matmah, p. 58). Trois frères sont connus sous le nom d’Ibn el-Koû-
tiyya ; celui dont il s’agit ici est Mohammed ben ‘Abd el-‘Azîz, + 367
(ms 2327 de Paris, f. 131 v).

(5) Mohammed ben Mo’àwiya, connu sous le nom çTIbn el-Ahmar,

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r* 427 —

celui qui a le mieux redit les traditions de Nesà’i, et
avec d’autres grands maîtres orientaux. Il arriva ainsi à
un talent qui, ses antécédents et la chance aidant, le rap-
procha d’El-Hakam el-Mostançir : ce prince lui accorda
sa faveur et l’employa dans les affaires de confiance les
plus importantes et de diverses natures. Grâce à ses
efforts, Mohammed sut toujours se tirer convenablement
d’affaire et se montra à la hauteur de outes les tâches
qui lui furent confiées.

El-Hakam, qui étudiait avec beaucoup de soin la science
des pronostics, s’imaginait rencontrer dans Ibn Aboû
e Amir la plupart des conditions de race et de ville d’ori-
gine requises d’un futur usurpateur, et trouvait que cet
originaire d’Algéziras avait la paume des mains jaune (*).
v Quand il faisait cette remarque aux courtisans et qu’on
lui disait de ne pas s’en préoccuper, il répondait : « S’il
avait une blessure à la tête, tous les signes caractéristi-
ques seraient réunis en lui I » [P. 275] Or Dieu voulut
que, postérieurement à la mort d’El-Hakam, Mohammed
reçut cette blessure à la tête par le fait de Ghâlib Nâçiri,
de sorte que le signalement fut complet. El-Hakam savait
aussi sous quelle influence se trouvait le lieu où fut bâtie
[plus tard] Ez-Zâhira, et ce pronostic était redouté par
les princes Omeyyades. Or ce fut par El-Hakam que
cette circonstance vint au jour, car ses recherches lui
apprirent qu’il s’agissait d’Alech, écrit par un e, lieu

-+- 358, étudia les traditions avec Ahmed ben ‘Ali benCho’ayb Nesà’i,
-f- 303, et introduisit le recueil Sonen de ce dernier en Espagne (Dhabbi,
n° 271 ; Ibn el-Faradhi, n° 1287; cf. Makkari, où il est cité sous l’un
et l’autre d^s noms par lesquels il est connu).

(1) D’après une autre prophétie, l’usurpation devait se produire
quand la succession ne s’opérerait pas en ligne directe (Makkari,
H, 59).

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– 428 –

situé à l’ouest de Gordoue et appelé à devenir le siège de
la royauté. Il donna en conséquence Tordre à sonhâdjib
Dja e far de s’y transporter aussitôt pour y commencer là
construction d’une ville, dans le désir de bénéficier de
l’avantage attaché à cet heureux augure et de ne pas
laisser échapper des mains de son fils l’autorité suprême.
Des sommes considérables furent même dépensées dans
cette entreprise. Or, par un merveilleux concours de
circonstances, Mohammed ben Aboû c Amir, alors jeune,
besogneux et inconnu, se trouva figurer parmi ceux qui
veillaient à la direction des travaux. Gloire à Celui qui
donne le pouvoir à qui il veut !

Le hasard apprit ensuite à El-Hakam que l’endroit
visé était situé ailleurs et à l’est de Cordoue. Son homme
de confiance, Mohammed ben Naçr ben Khàlid, envoyé
par lui à l’effet de le reconnaître, arriva à Menzil Aboû
Bedr, connu sous le nom d’Aloch, écrit par un o, et y
trouva une vieille femme qui lui confirma en ces termes
que tel était bien le but de ses recherches : « Nous avons
autrefois ouï dire qu’ici sera fondée une ville, et que c’est
auprès de ce puits que s’installera le prince qui doit y
régner». Mohammed ben Naçr reporta ce témoignage
positif à son maître, et pas bien longtemps après, Ibn
Aboû f Amir éleva une ville en cet endroit et eut soin de
s’installer auprès du puits, dans l’espoir que la prophétie
se réaliserait à son profit. En effet, il était plein de con-
fiance dans la prompte transmission du pouvoir souve-
rain entre ses mains et n’avait aucun doute que cela ne
se réalisât, car il était arrivé à connaître les prophéties
qui étaient entre les mains d’El-Hakam, et il sut ensuite
comment elles étaient confirmées par le dire positif de la
vieille.

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D’autre part, El-Hakam ne cessa pas de promouvoir
et de distinguer Mohammed, puis Hichàm fut reconnu
comme héritier présomptif. Alors l’autorité d’El-Mançoûr
continua de croître à cause de son intimité avec ce jeune
prince et de la considération dont il jouissait auprès de
la mère de celui-ci : le peuple s’adressait à lui et affluait
à sa porte ; il y trouvait une large hospitalité, un accueil
généreux, une facilité d’accès, un agrément de carac-
tère qui lui firent oublier les ministres antérieurs. Son
influence s’élargit ainsi dans de grandes proportions, sa
porte était toujours encombrée, son hôtel à Roçàfa reçut
des agrandissements, il prit comme secrétaires les hom-
mes les plus importants, s’entoura des personnages les
plus distingués; il tint table ouverte [P. 276] pour ceux
qui fréquentaient chez lui, mais son ambition n’était pas
encore satisfaite. Pendant toute cette période il fréquen-
tait lui-même chez Dja c far ben c Othmân Moçh’afi, à la
porte de qui il se rendait soir et matin et dont il recher-
chait l’intimité. .

Pendant qu’El-Hakam souffrait sans interruption de
sa paralysie, ce fut Dja c far qui exerça Pautorité ; puis, la
mort du khalife ayant causé un grand émoi, Mohammed
ben Aboû f Amir conseilla à Dja’far de faire monter à
cheval l’héritier désigné Hichâm et de le promener le
jour même M au milieu des troupes pour intimider les
opposants. Conformément à cet avis, Hichàm fit une sor-
tie qui est restée célèbre et où Ibn Aboû c Amir, après
lui avoir fait revêtir un vêtement de soie et laine (Ma**),
marcha devant lui et le présenta aux principaux fonc-

(1) On a vu que la mort cPEl-Hakam arriva le 3 çafar (p. 385, cf.
418, et Mus. cTEsp., n, 133, n. 3) ; on voit un peu plus bas que cette
promenade solennelle est du 10 de ce mois.

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— 430 —

tionnaires. Ce jour-là, 10 çafar 366 (8 oct. 976), Hîchâm
abolit l’impôt dont l’huile était frappée à Cordoue, et la
disparition de cette charge impopulaire excita la plus
grande joie; on en fit remonter le mérite à Ibn Aboû
c Amir, qui, disait-on, avait conseillé cette mesure, et on
lui en sut beaucoup degré. L’ambition poussait toujours
cet homme, la chance le sollicitait, le sort le favorisait,
son habileté ne se démentait pas, “et il parvint enfin à
exercer le pouvoir khalifal, à en écarter ceux qui y
avaient la haute main; il administra de la manière la
plus personnelle, régit toutes choses de façon supé-
rieure ; grâce à lui tout fut mis en ordre dans les pro-
vinces, par lui les routes restèrent sûres ; sur nul che-
min il n’y eut rien à redouter, toutes les caravanes con-
nurent le bonheur”. Il provoqua aussi la chute de Dja’far
Moçh’afi et le traita comme il lui plut.

Le premier des rouages de l’Etat auquel il s’attaqua
fut celui des Slaves, qui, servant au palais, mais régnant
en maîtres, constituaient l’élément le plus brillant et le
plus intime de la défense de l’empire. Les khalifes avaient
eu à cœur de les réunir en grand nombre; En-Nâçir,
puis El-Hakam avaient fait d’eux leurs intimes, si bien
que sous ce dernier il avait été commis par eux des excès
honteux sur lesquels ce prince avait fermé les yeux, bien
que d’une manière générale il fût partisan de la justice
et réprimât la violence : « Ce sont pour nous, disait-il,
des gens sûrs et à qui l’on peut se fier pour surveiller le
harem; le peuple doit donc se montrer tolérant à leur
égard et les traiter avec douceur ; il n’aura alors à redou-
ter aucun méfait de leur part, [P. 277] car il ne nous est
pas possible d’intervenir à chaque instant contre eux* 1 ‘. »

(1) Ce passage, relatif au rôle des Slaves, est reproduit in Mus.
d’Esp. (ni, 134).

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– 431 –

A la mort d’El-Hakaai, les Slaves, formant le groupe
le plus important et le plus audacieux, croyaient que
personne ne pourrait l’emporter sur eux et que l’empire
serait dans leurs mains. Ils étaient au nombre de plus
de mille eunuques, et Ton peut ainsi juger de la foule
qui gravitait autour d’eux. Le principal était Fâ’îk’, connu
sous le nom de Niz’âmi, grand-maître de la garde-robe
et des manufactures (tirâz), qui avait pour second son
camarade Djawdher, grand-orfèvre et grand-fauconnier;
l’un et l’autre commandaient, en dehors du palais, le
corps des gardes non eunuques. Sitôt après la .mort d’El –
Hakam, il arriva entre ces deux chefs et le chambellan
Dja’far Moçh’afi ce que voici. Comme le khalife était
malade depuis longtemps et qu’il y avait des hauts et
des bas dans son état de santé, l’instant précis de sa
mort échappa au vizir Dja’far et aux autres ministres, et
ne fut d’abord connu que des deux eunuques qui l’appro-
chaient constamment M. Ceux-ci prirent leurs précau-
tions pour cacher l’événement, firent garder le palais et
se consultèrent ; ils résolurent de transmettre le pouvoir
à El-Moghira, fils d’En-Nâçir et frère du khalife défunt,
car ils craignaient qu’il ne périclitât entre les mains de
Hichâm tant à cause de sa jeunesse que du faible goût
du peuple pour son avènement, — mais en lui imposant
d’assurer sa succession à son neveu Hichâm. De la sorte
Moghîra, qu’ils auraient fait khalife, devenait leur obligé,
ils restaient fidèles à leur maître défunt en attendant
l’arrivée de son fils à l’âge d’homme, et l’autorité restait
tout de même dans leurs mains. Le plan était bien ima-
giné, m*ais il eût fallu que Dieu en permit la réalisation.

(1) On trouve dans Makkari (n, 59) le récit par Ibn Hayyàn des péri-
péties consécutives à la mort d’El-Hakam.

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Les choses étant ainsi convenues, Djawdher dit à
Fâ’ik’ : « II nous faut maintenant faire venir le chambel-
lan Dja’far pour lui trancher la tête, et tout ira bien. —
Quoi, frère M 1 ) s’écria Fâ’ik’, tu veux tuer le secrétaire de
notre maître, l’un de nos cheykhs, sans qu’il ait rien fait
pour mériter la mort ! Peut-être bien ne fera-t-il aucune
opposition à nos projets et n’aurons-nous pas à débuter
par une effusion de sang ? » Ils firent en conséquence
venir Dja’far, lui annoncèrent la mort du prince et le
mirent au courant du plan qu’ils avaient conçu : « C’est
là certes, répondit Dja’far, le projet le meilleur et le plus
convenable; c’est à vous de commander, moi et d’autres
nous vous appuyerons. Réalisez ce que vous voulez, mais
en vous assurant du consentement des grands pour
éviter toute opposition. Quant à moi, je vais me rendre à
la porte du palais que je garderai en personne, et où vous
me ferez parvenir les ordres qu’il vous plaira. » Il les
quitta pour aller garder la porte, [P. 278] et convoqua
ses amis Hâchemites, tels que Ziyàd ben Aflatf, client
d’El-Hakam, K’âsim ben Mohammed, Mohammed ben
Aboû f Amir, Hichâm ben Mohammed ben ‘Othmân et
autres personnages analogues. Il fit aussi venir les Benoû
Berzâl, qui étaient de tout le djond ceux sur qui il pouvait
le plus compter, ainsi que les autres principaux officiers
du djond, de sorte qu’il constitua avec ces divers élé-
ments des forces suffisantes pour lui permettre d’agir. Il
fit part à ses amis de la mort du khalife et du projet des

(1) Les Arabes s’interpellent couramment ainsi quand ils sont entre
eux, et sans qu’il soit lait allusion à une parenté naturelle ou autre,
comme semble le croire Dozy (Mus. d’Esp., ni, 136 n.). On peut voir
d’ailleurs, sur l’usage de ce mot, les remarques d’Ismà’il Hakki dans
son commentaire adKoran, xxiv, 60 (t. îv, p. 162 1. 23 de Téd. impri-
mée).

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— 433 —

Slaves de ne pas respecter le serment de fidélité prêté à
Hichâm; il leur adressa des paroles d’encouragement et
continua en ces termes : « En maintenant la transmis-
sion du pouvoir en laveur de Hichâm, nous n’aurons rien
à redouter pour notre sécurité personnelle et l’autorité
sera entre nos mains; si Moghîra l’emporte, il nous
enlèvera nos situations respectives et cherchera à satis-
faire ses haines. » Ses auditeurs lui conseillant d’exécu-
ter Moghîrar avant que celui-ci connût la mort d’El-
Hak&m, il reconnût la nécessité de ce meurtre et se ran-
gea à leur avis; mais ils se rejetèrent cette tâche les uns
sur les autres et chacun recula devant son accomplisse-
ment. Alors Mohammed ben Aboû ‘Amir s’avançant
parla ainsi : « Amis, je crains que votre affaire ne se
gâte ; puisque tous nous appuyons le chef que voici », —
il voulait dire Dja’far — « il ne faut pas que nous lui
fassions opposition; C’est moi qui, s’il m’en charge, vais
remplir cette mission à votre place ; quant à vous, soyez
tranquilles! » Cette proposition plut à Dja’far et aux
autres, et on lui confia cette besogne en lui disant:
« C’est toi qui es le plus qualifié pour cette importante
affaire à raison de ton intimité avec le khalife Hichâm
et du rang que tu occupes à la cour. » Dja’far en consé-
quence le fit partir avec un escadron formé des princi-
paux du djond qui avaient sa confiance.

MEURTRE DE MOGHIRA BEN ‘ABD ER-RAHMAN EN-NAÇIR.

Ibn Aboû ‘Amir montant aussitôt à cheval avec le kâïd
Bedr, client d’En-Nâçir, et cent gardes du corps, se
rendit à l’hôtel de Moghîra. Il posta ces derniers à la
porte, fit cerner la demeure par d’autres troupes et fit
irruption chez ce prince, qu’il trouva tranquille et n’ayant

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– 434 –

fait aucuns préparatifs de défense : il lui annonça la
mort de son frère El-Hakam et l’avènement de Hichâm,
ajoutant que les vizirs craignaient de l’opposition de sa
part et l’avaient chargé, lui Mohammed, de savoir à quoi
s’en tenir. Moghîra, d’abord terrifié, [P. 279] reprit
ensuite courage et manifesta sa joie de l’avènement de
son neveu : « Dis aux vizirs, ajouta-t il, que je ne demande
qu’à obéir et à tenir le serment que j’ai prêté à Hichâm;
exigez d’ailleurs de moi toutes les garanties que vous
voudrez I » Puis il chercha à attendrir Ibn Aboû <Amir, le conjurant au nom de Dieu de respecter sa vie et de revenir sur ses projets homicides, si bien que Moham- med, pris de pitié, écrivit à Dja’far pour lui annoncer la sincérité des dispositions du prince, l’état de calme et de confiance où il l’avait trouvé, et demandant de l’épar- gner. Dja’far lui répondit en le gourmandant de ces retards et l’invitant à accomplir sa besogne : « Tu nous en as fait accroire sur ton compte, lui disait-il ; fais ce que tu dois, ou bien va-t-en, et nous enverrons quel- qu’un pour te remplacer I » Mohammed, ainsi piqué au jeu, remit ce billet au prince et se retira; puis il fit entrer les soldats, qui étranglèrent Moghîra dans son propre salon et suspendirent son cadavre dans un cabi- net contigu, comme s’il s’était suicidé. Tout cela se passa sous les yeux des femmes de la victime. Les meurtriers annoncèrent ensuite que le malheureux s’était pendu parce qu’ils voulaient le forcer à se rendre auprès de son neveu. Ainsi périt ce prince, alors âgé de vingt-sept ans. Alors Mohammed, pour cacher ce qui s’était passé, ordonna d’enterrer le cadavre dans le salon et fit fermer les portes, pour que les gens de l’hôtel préservassent ainsi les enfants et les biens du défunt. Digitized by Googk – 435 – Il se rendit alors auprès de Dja*far> à qui il rapporta
ce qui venait de se passer. Le ministre, tranquillisé, fit
asseoir Mohammed à côté de lui et lui exprima sa recon-
naissance. Mais Djawdher et Fà’ik’ apprirent bientôt le
sort de Moghîra ; ils en restèrent stupéfaits, et le regret
les prit : « Je t’avais bien prévenu, dit le premier —
beaucoup plus astucieux — au second, mais tu n’as pas
voulu m ‘écouter! » Néanmoins ils se rendirent l’un et
l’autre auprès de Dja e Iar, et lui manifestèrent leur satis-
faction de ce qu’il avait fait, en s’excusant du plan qu’ils
avaient eux-mêmes formé : « Dans notre trouble, nous
n’avions pas songé à ce que Dieu t’a inspiré ; puisse Dieu
te rendre en bien ce que tu as fait pour le fils de notre
maître, pour l’Etat et pour les musulmans 1 » Il leur
répondit de son côté par quelques paroles de satisfaction.

Pendant quelques jours, Dja c far fut entièrement ab-
sorbé par les soins de l’intronisation, mais ses senti-
ments pour les Slaves ne le laissaient pas digérer tran-
quillement, et ceux-ci également avaient le cœur étreint
de haine.

[P. 280] Dans la matinée du lundi 4 çafar 366 (2 oct.
976), Dja c far avait fait installer Hichàm ben el-Hakam
sur le trône à l’effet de recevoir la prestation de ser-
ment. C’était Ibn Aboû f Amir qui procédait à l’appel, et
il n’y eut pas deux personnes qui se refusèrent au ser-
ment. Ce fut pour lui un résultat qui produisit un grand
effet ; on se redit la chose, sa situation et son influence
grandirent et son nom se répandit partout.

LES SLAVES ET IBN ABOU *AMIR.

Comme un certain froid commençait à régner entre
Dja’far et les Slaves, ceux-ci se tinrent à l’écart de celui-

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– 436 –

là et se montrèrent peu favorablement disposés pour le
gouvernement de Hiohâm, de sorte que Dja f far prit tou-
tes les précautions nécessaires. Les espions qu’il avait
mis en campagne lui apprirent que Djawdher et Fà’ik’
travaillaient contre le gouvernement et entretenaient des
intelligences secrètes avec ceux des chefs des gardes du
corps et des guerriers qui dépendaient d’eux. Gomme la
Porte de Fer servait à ces ailées et venues, le chambel-
lan la fit murer, et Ton ne put plus entrer au palais que
par la Porte d’Es-Sodda, ce qui arrêta les Slaves dans
leurs méchants projets et les mit sous sa surveillance. Il
résolut en outre de détacher des deux chefs slaves, avec
le concours de Mohammed ben Aboû ‘Amir, les gardes
du corps non-eunuques, et envoya secrètement celui-ci
à ceux d’entre eux sur qui il voulait agir. Mohammed put
ainsi attacher à sa fortune cinq cents d’entre eux, ce qui
augmenta d’autant sa force et son autorité ; il assura le
logement et la solde à ses nouvelles recrues. Les Benoû
Berzàl embrassèrent également le parti de ce chef et se
mirent sous ses ordres, de sorte que, par la réunion de
ces deux groupes, il se trouva à la tête de forces supé-
rieures à celles de ses ennemis ; tout le djond le suivit
également, et dès lors il n’eut plus à compter avec les
Slaves.

Dans cette situation, Djawdher demanda au khalife
l’autorisation de rentrer chez lui et de se retirer du ser-
vice. Il comptait bien sur un refus, mais il fut fait droit
à sa requête. Alors ses compagnons proférèrent des me-
naces et se répandirent en de longs discours. Le plus
violent d’entre eux était Dorri, son sous-ordre, qui se
signalait par sa turbulence et sa sottise. Pour le mettre
à la raison et se débarrasser de lui, Ibn Aboû c Amir, à

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– 437 –

Tinstigation de Dja e far, fît dire secrètement aux habi-
tants de Baëza qui vivaient sur les terres dô Dorri de
porter plainte contre lui et ses intendants, leur promet-
tant qu’on prononcerait contre lui et qu’ils Sauraient
plus à souffrir de ses violences. Leur plainte fut aussitôt
déposée, et le chambellan soumit l’affaire au prince ;
mais déjà Ibn Aboû ‘Amir [P. 281] avait préparé les
voies contre lui, et un rescrit ordonna la confrontation
de Dorri et des plaignants à l’effet d’examiner ces récla-
mations. Dorri fut appelé à l’hôtel du vizirat ; mais quand
il arriva à la porte et qu’il vit les soldats «rassemblés
dans l’intérieur, il comprit ce qu’il avait à redouter et
voulut se retirer. Ibn Aboû c Amir l’en empêcha et le
saisit; ils se colletèrent, et Dorri prit son adversaire par
la barbe. Alors Mohammed appela à lui les soldats pré-
sents ; les Espagnols respectèrent Dorri, mais les Benoû
Berzàl répondirent aussitôt à cet appel et se jetèrent
sur Dorri, qu’ils frappèrent. Un coup de plat de sabre
lui fit perdre connaissance, et il fut aussitôt emporté
chez lui, où la nuit môme il fut achevé. Fâ’ik’ et plusieurs
des principaux Slaves reçurent l’ordre de se retirer dans
leurs demeures et de n’en pas sortir ; ils obéirent, et la
puissance des Slaves se trouva ainsi brisée. Ibn Aboû
c Amir s’appliqua à leur faire rendre gorge et leur extor-
qua des sommes considérables. Quant à Fâ’ik’, il fut
envoyé dans les îles orientales [Baléares], et il y mourut*

Le poète Sa c id de Santarem W parle en ces termes de
leur expulsion du palais :

(1) Ce poète, dont j’ai vainement cherché le nom ailleurs, est pro-
bablement le Sa’idben ‘Abd Allah à qui Dhabbi consacre une mention
d’une ligne et demie (n° 804).

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– 438 –

[Sari’] Du .palais de l’Imâm de la direction ont été chassés
tous les eunuques hautains et violents, d’entre lesquels ceux
que nous avons vus ont dit : « Ne touchez à l’esclave qu’après
en avoir touché d’autres! 1 ) ». Alors le dos du roi s’est trouvé
allégé, bien allégé de ce poids manifeste. L’eau de la science
s’est mise à découler de sa face depuis qu’il a écarté leur
épais vinaigre, et dans son palais il a assidûment fréquenté
l’hippodrome (des affaires) en compagnie du vizir éminent
et pur.

Après s’être débarrassé de ces eunuques, Dja’far confia
le soin du palais et du harem à Sokr, l’un d’entre eux; il
les calma, les maintint dans la soumission et obtint leur
obéissance jusqu’au jour où leur chef Djawdher excita
leurs ressentiments lors du mouvement qu’il méditait ( 2 >.

Après avoir réglé la question des Slaves, Ibn Aboû
‘Amir s’occupa d’arriver au commandement de l’armée
et d’avoir, à l’exclusion de tous autres, la direction de la
guerre sainte. L’ennemi en effet parcourait sans relâche
les possessions musulmanes, toujours à l’affût d’un bon
coup, [P. 282] et cet état de choses l’indignait. Il sug-
géra donc au chambellan d’armer et d’équiper une armée
et d’en offrir la direction à tous les grands. Comme aucun
n’osait accepter cette responsabilité, Ibn Aboû e Amir
s’empressa de se présenter, mais en réclamant la liberté
de choisir les guerriers qui marcheraient avec lui, ainsi
que cent mille dinars. L’un des assistants s’étant alors

• (1) La lin de ce vers, peut-être corrompue, est restée inintelligible
à Dozy, à Fleischer et à de Goeje ; elle semble signifier que l’esclave
ou le mercenaire, en sa qualité d’instrument, est le dernier de ceux

qui ont à être maltraités. Je lis ^g-^LàJi pour ,j;.5LïJl.
(2) Allusion à ce qui est raconté in Mus. d’Esp., in, 172.

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iJ

– 439 —

récrié sur Pénormité de cette somme : « Prends-en le
double, dit Mohammed, pars et tires-en bon parti ! »
Mais son contradicteur se déroba, et Mohammed reçut
le commandement des troupes et l’argent qu’il récla-
mait.

Première campagne de Mohammed ben Abou *Amir. —
Le 3 redjeb 366 (25 fév. 977), il se mit en marche pour la
Frontière septentrionale et alla camper sous les murs de
la forteresse d’El-H’amma [Los Banos, autrefois Balneos],
en Galice, dont il entreprit le siège H). Il se rendit maître
du faubourg et y fit des prisonniers et du butin, avec les-
quels il regagna Cordoue au bout de cinquante-trois
jours. Ce succès y excita une grande joie ; quant à l’ar-
mée, il s’était acquis tout son dévoûment, car sa grande
générosité, son extrême affabilité, sa large hospitalité
lui avaient attiré l’amour et l’affection de tous ; grâce
aux libéralités qu’il avait prodiguées aux soldats, il
pouvait compter sur eux pour arriver à ce qull cherchait
et réaliser ses espérances.

Déclin de l’autorité du chambellan Dja c far. — Quand
Mohammed se vit arrivé à une haute et solide situation,
il eut recours à la ruse et à l’habileté pour provoquer
la chute de Dja c far et rester seul maître du pouvoir.- Il
ne trouva pas de procédé plus sûr que de s’assurer le
concours du vizir Aboû Temmâm Ghâlib Nàçiri, gou-
verneur de Médinaceli et de la Frontière citérieure, le
principal de tous les clients, reconnu comme le Cheva-
lier de l’Espagne et avec qui personne ne pouvait être
mis en balance. Or il régnait entre lui et Dja e far des
sentiments d’hostilité et de rivalité ; dès le début du

(1> Voir Mua. d’Esp., m, 148 et s.

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– 440 –

règne de Hichâm, dans la première année même, les
dispositions de Ghâlib, qui avait vu prendre lar pre-
mière place par Dja c far, n’étaient pas bien nettes: il
s’était évidemment montré impuissant à repousser les
attaques des chrétiens, et l’on pouvait craindre qu’il ne
passât à une révolte ouverte. L’avis d’Ibn Aboù c Amir
fut de le ramener à de meilleures dispositions par le
respect de ses droits, et il ne cessait de le défendre et
de le servir dans l’intérieur du palais, auprès de la
princesse mère de Hichâm et des autres femmes du
harem, [P. 283] si bien qu’il arriva à ce qu’il cherchait
à l’effet d’obtenir son concours pour provoquer la perte
de Dja c far Moçh’afi. Ghâlib fut nommé dhoû’l-wizâra-
teyn, et il lui fut adressé une lettre khalifale d’investiture
avec l’ordre d’entreprendre les expéditions militaires de
concert avec Ibn Aboû c Amir, celui-ci commandant le
contingent de la capitale tandis que Ghâlib dirigerait le
contingent de la frontière.

Seconde campagne d’Ibn Abou c Amir. — Mohammed se
mit en campagne pour l’expédition d’été le jour de la
Rupture du jeûne de 366 (23 mai 977) et rallia Ghâlib à
Madrid. Il toucha le point sensible du cœur de celui-ci
en lui parlant d’une action commune contre Moçh’afi, et
l’entente s’établit entre eux sur ce terrain. Les préve-
nances que montra Mohammed pour Ghâlib pendant
toute cette expédition conquirent entièrement le cœur
de ce dernier, et ils opérèrent toujours ensemble. Le
fort de Mola W fut conquis, et les musulmans y firent

(1) « Il paraît que cet endroit n’existe plus)) {Mus. d’Esp,, ni, 155).
Edrisi cite deux fois la localité du même nom qui se trouve près de
Murcie. Le Merâcid (m, 176) mentionne Moulés ^j»^y* dans la région
de Tolède, mais il ne semble pas qu’il puisse être ici question de ce lieu.

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Wer**”

– 441 –

un énorme butin et de nombreux prisonniers. La plus
grande part du succès revenait à Ghâlib, qui le reporta
cependant sur Ibn Aboû ‘Arnir et qui, le quittant pour
retourner dans son gouvernement, non saris avoir insisté
sur leur entente contre son ennemi Dja e far, lui dit au
moment des adieux : « Cette victoire va porter ton nom
bien haut et te procurer une grande renommée, et la joie
qu’ils vont en ressentir là-bas ne leur permettra pas de
voir ce qu’il y a au fond de ce que tu demanderas. Eh bien !
ne sors pas du palais sans avoir fait destituer le fils de
Dja’far et t’être fait donner sa place de préfet de la
ville! » Mohammed promit de mettre cet avis à profit.

Ghâlib adressa au khalife Hichâm une lettre où il
retraçait la grande part prise par Mohammed à l’expé-
dition, lui en attribuait tout le mal et les efforts, et la
reconnaissance qu’il lui en manifestait fut pour son ami
une excellente recommandation auprès du khalife.
Quand ensuite Mohammed rentra à Cordoue en traînant
à sa suite te butin et les prisonniers qu’il avait faits, il
s’était concilié tous les cœurs, des grands comme des
petits, qui reconnurent en lui le talent doublé de la
chance ; sa renommée s’étendit, il éclipsa Dja c far et les
autres, et il se mit à saper le pouvoir du premier mi-
nistre. Dès le jour de son arrivée, un ordre du khalife
enleva à Mohammed ben Dja’far ben e Ôthmân la préfec-
ture de la ville [P. 284] et l’attribua à Ibn Aboû e Amir,
qui se dirigea sur le champ, vêtu de la robe d’honneur
dont il lui avait été fait don, vers l’hôtel attribué à ces
fonctions. Dja c far, d’ailleurs, ignorait tout, et son fils, qui
siégeait en pompe dans la salle d’audience à l’arrivée de
son successeur, dut lui céder la place et se retirer suivi
de sa monture (?).

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– 442 —

Ibn Aboû c Amir se trouva ainsi dominer la cour par son
commandement de lachorta, l’armée par sa situation de
général, le palais par la faveur dont il jouissait auprès
des femmes. 11 était plus fort que Dja c far, qu’il dépassait
de toute son habileté et à qui il ne resta plus que la
plus faible part du pouvoir.

L’administration de la ville par Mohammed fit oublier
aux habitants tous les plus distingués et habiles de ses
prédécesseurs. On était avant lui très malheureux, obligé
de veiller toute la nuit pour se garder et ayant plus à
redouter les entreprises des malfaiteurs que les habi-
tants de la frontière n’avaient à supporter les attaques
de l’ennemi. Mais Dieu fit cesser tout cela par l’arrivée
au pouvoir de Mohammed, qui déploya son talent et
s’abstint des pratiques attribuées à son prédécesseur, le
fils de Dja c far : il refusa d’écouter aucune recommanda-
tion et frappa sans pitié tous les malfaiteurs quelcon-
ques, si bien que le mal cessa et que les habitants recou-
vrèrent la sécurité. L’assurance des malfaiteurs reposait
sur des protections qu’ils trouvaient jusque dans l’entou-
rage du prince, et Mohammed surprit cette complicité
jusque chez un de ses fils : il le fit venir dans la salle de
la chorta et lui fit appliquer de vigoureux coups de fouet,
qui eurent la mort pour résultat. Aussi l’ordre le plus
parfait régna-t-il de son temps. Il choisit ensuite pour
lui succéder en qualité de préfet son cousin paternel
‘Amr ben e Abdallâh ben Aboû e Amir, qui traita de la
même manière, et plus sévèrement encore, les malfai-
teurs.

Dja c far écrivit à Ghâlib pour solliciter son amitié et
se le concilier en lui demandant de donner en mariage
sa fille à son propre fils. L’accord se rétablit entre eux et

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– 443 –

le contrat de mariage était dressé, quand ces pourpar-
lers furent connus d’Ibn Aboû e Aoiir. Celui-ci alors écri-
vit à Ghâlib pour lui rappeler ses promesses ; il fit en
outre intervenir les membres de la famille royale,
[P. 285] qui lui écrivirent pour provoquer la rupture de
l’alliance projetée, et Ghàlib, se retournant alors du côté
d’Ibn Aboû f Amir, rompit le contrat existant et donna
sa fille Asriiâ à Ibn Aboû c Amir lui-même, dont elle
devint [ultérieurement] la femme la plus honorée.

Après la conclusion du contrat de mariage, le ministre
partit en guerre.

Troisième campagne d’Ibn Abou *Amir. — Il se dirigea
vers Tolède le 1 er çafar 367 (18 sept. 977), et après avoir
opéré sa jonction avec son beau-père Ghâlib, qu’il traita
avec beaucoup de respect, il remit sur pied leur bonne
entente d’autrefois. Ils firent campagne ensemble, con-
quirent le château-fort d ‘El- Mal et celui de Revenga (?)(*)
et se rendirent maîtres des faubourgs de Salamanque.
Ibn Aboû e Amir retourna alors à Cordoue en emmenant
le butin, les captifs et un grand nombre de têtes de chré-
tiens, trente-quatre jours après son départ. Le khalife le
combla de louanges, lui accorda le titre de dhoû’l-wizâ-
rateyn, le mettant ainsi sur la même ligne que Ghâlib,
et éleva son traitement mensuel à quatre-vingts dinars,
c’est à dire an même chiffre que celui du chambellan.

Le khalife alors invita Ghâlib à amener à Cordoue sa
fille Asmâ pour la remettre à Mohammed, et à son arri-
vée le combla d’honneurs. La promenade nuptiale d’As-

(1) JMgnore quelles localités représentent ces deux noms, dont le
second est en partie dépourvu de points diacritiques, et, partant,
d’une prononciation très douteuse. La lecture Revenga m’est suggé-
rée par M. E. Saavedra.

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– 444 ~

ma eut lieu, avec une pompe et une magnificence dont il
fallait aller loin pour retrouver l’équivalent, dans la nuit
du jour de Tan ; le départ eut lieu du palais, et c’était le
khalife lui-même avec les dames du palais qui s’était
chargé de l’organisation. Cette Asmà était douée d’une
éclatante beauté et avait l’esprit cultivé ;-elle resta tou-
jours très considérée de son mari, qui la garda jusqu’à
la fin de ses jours W.

Le khalife donna le titre de chambellan à Mohammed^,
qui partagea ces fonctions avec Dja’far.

Ce prince fit ensuite sentir sa colère à Dja c far bea
‘Othmân Moçh’afi et lui enleva ses fonctions de cham-
bellan le lundi 13 cha’bàn 367 (26 mars 978); il le fit
arrêter, lui, ses enfants et son neveu Hichâm, leur enleva
tous leurs emplois, fit mettre tous leurs biens sous
séquestre, et des amendes leur furent imposées. Ibn
Aboû ‘Amir sut, en leur réclamant des comptes, confis-
quer tous leurs biens, les déshonorer et les accabler de
maux, si bien qu’il les réduisit à rien. Il fit immédiate-
ment mettre à mort, dans la prison où il était enfermé,
Hichâm, fils du frère de Dja’fartë), qui était, de toute la
famille d ,? Othmân, son ennemi le plus acharné, et le
cadavre de la victime fut rendu aux siens. [P. 286]

(1) Sur ce mariage, voir également Makkari, h, 62. Il est parlé
. d’Asmà dans le t. m de la Tekmila (voir la notice de ce volume par

M. Codera, Boletin de la R. Ac, xxxii, p. 101).

(2) Tel est le sens que semble bien comporter le pronom affixe
employé dans notre texte. Ailleurs il est parlé de l’attribution de ce
titre à Ghàlib {Mus. cl’Esp., m, 161, d’après Ibn el-Abbàr, Notices,
p. 142). Or, d’après ce dernier auteur, El-Mançour, né en 328 et mort
en 392, à 65 ou 66 ans, resta hâdjib pendant 25 ans (Notices, p. 150-
151, et 153).

(3) Hichâm ben Mohammed ben ‘Othmân était général en chef de
la cavalerie et vizir (Notices, p. 142; Dozy, Recherches, 3° éd., u» 237).

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^ 445 ^

Pendant plusieurs années Dja e far resta dans la même
situation malheureuse, tantôt en liberté et tantôt en pri-
son. On cite de lui ces vers où il cherche à attendrir Ibn
Aboû ‘AmirW :

[Motak’ârib] Que Dieu te pardonne! Ta miséricorde ne
peut-elle accorder un pardon même tardif? Si j’ai, sans pré-
méditation, commis une grande faute, ta puissance est pour-
tant plus grande et plus haute. N’as-tu pas vu déjà un servi-
teur outrepassant ses droits, mais un maître pardonnant, un
homjne juste marchant droit ? Il est maints coupables qui,
ayant éprouvé ton indulgence, sont revenus et ont réparé
leurs fautes. Pardonne-moi, l’Eternel aussi te pardonnera ; il
te gardera et te sauvera de la perdition !

Dja c far ben ‘Othmân se montra dans son malheur le
plus mou des hommes, le plus dénué de respect de soi-
même, le plus attaché à la vie. Il en vint même, poussé
qu’il était par le désir de vivre, à solliciter Ibn Aboû
c Amir pour lui offrir de servir de professeur à ses deux
fils c Abd Allah et e Abd el-Melik. Mais son heureux rival
répondit : « Il veut me faire passer pour un sot et nuire
à ma réputation : autrefois on m’a vu en quémandeur à
sa porte, et aujourd’hui on le verrait en professeur dans
mon vestibule I »

Ibn Aboû e Amir fit ensuite rechercher .avec soin tout
ce qu’on lui reprochait et fit éplucher ses comptes; il le
fit comparaître au palais khalifal par devant l’assemblée
des vizirs pour y êtrejprocédé à l’examen contradictoire
des abus de confiance qui lui étaient imputés. Des audien-
ces de ce genre eurent lieu à plusieurs reprises et, la

(1) Ces vers se retrouvent aussi dans le Matmah (p. 6) et dans
Makkari (i, 391).

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— 446 —

dernière fois que l’ex-chambellân s’y rendit, sous la sur-
veillance de Wâthik le geôlier, il était rudoyé et poussé
par son gardien, car le chagrin et l’âge l’avaient affaibli
et alourdissaient son pas : « Doucement, mon fils — lui
disait-il — tu arriveras à ce que tu désires ; que je vou-
drais que la mort puisse s’acheter I Mais Dieu y a mis un
prix trop élevé. » Il arriva ainsi à la salle d’audience, où
les vizirs avaient déjà pris place, et il s’assit tout au bout
sans saluer. Aussitôt le vizir Mohammed ben H’afç ben
Djâbir, l’un des fidèles d’Ibn Aboû *Amir, s’avançant
vers lui, l’interpella grossièrement, le traita d’ignorant
et lui reprocha [P. 287] de n’avoir pas même salué.
Dja c far se détourna d’abord sans lui répondre, mais
comme l’autre continuait de plus belle, il prononça ces
mots : « C’est toi qui ignores les égards que tu me dois,
et tu reproches à celui qui les connaît de les ignorer;
non seulement tu oublies les bienfaits, mais tu manques
à celui à qui tu les dois I » Ibn Djâbir, d’abord troublé
par cette répartie, reprit : « Voilà bien le mensonge en
personne I Et où sont donc les grands bienfaits que je te
dois? Est-ce ceci, cela ou cela encore? » Et il énuméra
diverses choses : « Non, dit le vieillard, tout cela n’est
pas connu; ce qui l’est, c’est que mon intercession auprès
du feu khalife, alors qu’il te reconnut coupable de t’être
approprié telle somme, t’a valu de n’avoir pas la main
coupée. » Comme Ibn Djâbir persistait à nier, Dja c far
s’écria : « Au nom de Dieu, je conjure quiconque a con-
naissance de ce que j’ai dit, de parler ! » Le vizir Ibn
f Ayyâch, prenant la parole, répondit : « Oui, Aboû’l-
Hasan, il y a du vrai dans ce que tu as dit ; mais il eût
mieux valu pour toi ne rien dire. — Cet homme, dit
Dja’far, m’a poussé à bout, et c’est ainsi que j’ai parlé ! j>

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Rî’T

— 447 –

Alors le vizir Mohammed ben Djahwar, s’avançant vers
Ibn Djâbir, lui dit : « Ne sais-tu donc pas que celui qui
est l’objet de la colère du prince ne doit pas saluer les
amis de celui-ci ? En effet, s’ils répondent, ils blessent le
prince eh adressant à son ennemi un souhait de sécurité ;
s’ils ne répondent pas, ils manquent à leur devoir envers
Dieu, qui commande de rendre le salut. Ce qu’il y a donc
de mieux à faire c’est de s’abstenir de saluer, et c’est ce
que n’ignore pas AboiVl-Hasan. » Ibn Djâbir resta tout
cpnfus, tandis que le visage de Dja’far s’épanouit.

On se mit ensuite à l’examiner de nouveau pour tirer
de lui de l’argent, et il répondit : a Je le jure devant Dieu,
j’ai perdu tout ce que j’avais de biens acquis ou hérédi-
taires; vous pourriez me couper en morceaux que vous
ne pourriez plus tirer de moi un dirhem I » On le rem-
mena alors à la prison criminelle d’Ez-Zahrâ; ce fut la
dernière fois qu’on le vit.

“Alors que, emprisonné par El-Mançoûr, il était en-
vahi et accablé par les soucis, il composa les vers que
voici, où il gémit sur lui-même et établit la compensa-
tion entre les malheurs présents et le bonheur passé” (*) :

[P. 288 ; Motak’ârib] Je rends la pareille à la fortune telle
qu’elle se présente, comme fait mon âme à ses propres sou-
pirs : qu’un soupir s’exhalant la déchire, et elle le cache à
ceux qui l’entourent ! Qu’un coup du sort me frappe, et c’est
de ma poitrine que je lui couvre la tête !

{1) Ces vers se retrouvent, avec des variantes, dans Makkari (Leyde,
i, 391 ; Boulak,i, 278)., dans la Hollat (p. 146), dans Dhabbi (p. 240) et
dans le Matmah (p. 5). Je lis dans le premier vers <jy^-l , que je
trouve partout sauf dans Dhabbi, qui porte ,<A^.\, c’est à dire la
leçon à laquelle Dozy s’est, sans explication, rallié dans ses Correc-
tions; dans le second, je lis U^là avec le Matmah.

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-448 –

Voici encore de jolis vers où il parle de son charige-
ment de fortune et tâche d’échapper à la tristesse qui le
minait <*):

[Tawîl] J’ai opposé la patience à la fortune devenue con-
traire ; et mon âme, que j’ai forcée à la constance, la prati-
que désormais. Quelle merveille que de voir mon cœur si
patient, mon âme, autrefois si glorieuse, maintenant humi-
liée ! Mon âme n’est plus que là où la met le gardien ; ses
aspirations restent à rétat’de désirs, et si elle n’en a pas elle
jouit du calme. Glorieuse comme elle était autrefois* elle s’est
faite humble en me voyant supporter l’abaissement: « Meurs
considérée* lui ai-je dit, car la fortune, autrefois favorable,
s’est détournée de nous ».

Au sujet de sa mort en prison, voici ce qu’il y a de
certain. Lorsqu’on le fit incarcérer, il fit ses derniers
adieux à sa famille et à ses enfants en disant : «-Voilà le
moment, que j’attendais depuis quarante ans, où la prière
va être exaucée! » Et comme on lui demandait ce qu’il
voulait dire, il répondit : « Sous le règne d’En-Nâçir,
une plainte fut déposée contre un homme à qui l’on en
voulait, et ce fut moi qui instruisis l’affaire; le résultat
en fut sa condamnation au fouet, la perte de ses biens et
une longue détention. Une nuit je vis en rêve quelqu’un
qui me disait : « Rends la liberté à un tel I Sa prière
contre toi a été exaucée, et elle s’accomplira sans que tu
puisses y échapper. » Je me réveillai plein de frayeur et,
faisant venir cet homme, je lui demandai de me sous-
traire à l’effet de cette menace. Il refusa, et comme je le
conjurais de me dire quelle prière il avait faite à mon
sujet, il me dit : « Oui, j ai demandé au Seigneur de te

(1) Ces vers figurent aussi dans le Matmah r p. 4.

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– 449 –

faire mourir dans le plus étroit cachot, comme celui où
tu m’as retenu si longtemps I » Je compris alors que sa
prière devait s’accomplir, et je fus saisi de remords,
mais trop lard. Je fis rendre cet homme à la liberté, mais
depuis lors j’ai toujours attendu la réalisation de cette
menace. »

A la suite de son dernier interrogatoire, il ne resta
emprisonné que peu de jours, mais ce fut son cadavre
qui sortit pour être remis à sa famille. Il fut, dit-on,
étranglé dans la chambre dite Chambre des puces, qui
faisait partie de la prison; d’après une autre version, on
lui fit boire un breuvage empoisonné.

Voici ce que raconte Mohammed ben Ismâ’îl, secré-
taire d’El-Mançoûr (*) : a Je me rendis à Ez-Zahrâ avec
Mohammed ben Maslama “pour opérer la remise du
cadavre de Dja f far à sa famille et à ses enfants et pour
assister à l’inhumation. [P. 289] J’examinai le cadavre,
qui ne portait aucun signe particulier, et n’était couvert
que par un vieux vêtement appartenant à l’un des portiers
et jeté par lui sur le corps. Un laveur mandé par Moham-
med ben Maslama procéda au lavage, je l’affirme, sur le
vantail arraché à une porte de la prison, tandis que je
réfléchissais aux vicissitudes de la fortune. Nous accom-
pagnâmes le brancard jusqu’à la fosse, n’ayant avec
nous que l’imàm de la mosquée appelé pour dire les der-
nières prières et sans que personne osât lever les yeux
sur le convoi. Je vis là un fait dont aucun chercheur
d’avertissementsn’a ouï le semblable, tel qu’on ne peut
ni voir ni entendre. Au temps de sa toute-puissance, je
me plaçai un jour sur son passage pour lui remettre une

(1) Le passage qui suit figure aussi dans Makkari (H, 63).

29

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~W5

– 450 —

requête qui lui était personnellement destinée; mais je
ne pus en vérité arriver par aucun moyen à m’approcher
de lui, tant son cortège était nombreux, tant on se pres-
sait autour de lui; le peuple, pour le voir et le saluer,
encombrait les places et les rues, si bien que je dus re-
mettre ma requête à l’un de ses secrétaires placés sur
les flancs du cortège pour recevoir les placets, et je me
^étirai tout suffoqué de ce spectacle. Pas bien longtemps
après, El-Mançoûr lui fit sentir le poids de sa colère : il
l’emprisonna et le traîna à sa suite dans ses expéditions
en le traitant sans aucun ménagement. Une nuit, il m’ar-
riva en Galice de me trouver auprès de sa tente dans
un campement où El-Mançoûr avait défendu d’allumer
aucun feu pour que sa présence ne fût pas ainsi décelée
à l’ennemie J’atteste avoir vu c Othmân, fils de ce mal-
heureux, lui donner un mélange d’eau et de. farine pour
soutenir ses forces défaillantes et l’empêcher de rendre
l’âme, car il n’avait ni provisions ni argent pour s’en
procurer”. J’entendis alors Dja’far dire ces versW :

[Tawîl] Examinant le cours des événements, toujours je
les ai vus chercher à atteindre l’homme généreux. [P. 290]
Il s’est écoulé des jours qui ont suivi leur cours régulier et
dont je ne perdrai jamais le souvenir, période où la mauvaise
fortune nous épargnant nous a donné sérénité et joie, nuits
où la destinée, ignorante de notre demeure, ne nous a pas
vus frappés par le malheur. Toute cette vie ne voit que
nuages déversant partout tantôt le bonheur et tantôt l’ad-
versité !» –

( 2 ) “Entre autres choses qui servirent Ibn Aboû c Amir

(1) Ils figurent aussi dans le Matmah (p. 6) et dans Makkari (u, 63).

(2) Le passage qui suit est extrait du Matmah (p. 7) et a été aussi
reproduit par Makkari (i, 274).

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– 451 –

contre Dja’far ben ‘Othmân, il faut compter la sympathie
qu’il inspirait aux vizirs, le goût qu’ils avaient pour lui
de préférence à son adversaire, les efforts qu’ils firent
pour le pousser, rattachement qu’ils lui témoignèrent,
qui, pour n’être pas le dévoûment aveugle de l’Arabe à
sa tribu, provenait de ce que leur préféré avait des ancê-
tres fonctionnaires; eux-mêmes marchaient ainsi stfr les
traces de leurs pères et empêchaient que leur noblesse
fût vilipendée, suivaient la voie tracée et une coutume
excellente; les descendants observaient cette règle avec
un fanatisme religieux et employaient ainsi le meilleur
moyen de sauvegarder leurs situations respectives, car
à leur avis un iâbi* (successeur) ne devait de la sorte pas
arriver au sommet ni être porteur de l’étendard. Quand
El-Mostançir prit en gré DjVfar ben c Othmân, l’employa
à son service et réleva dans sa faveur, ces ministres
envièrent et blâmèrent le nouveau-venu, ils l’attaquè-
rent de toutes les manières. Les plus prompts à mani-
fester leurs sympathies pour El-Mançoûr et leur haine
pour Dja c far, à s’éloigner du second pour se rapprocher
du premier, furent lesfamilles d’Aboû c Abda, deChoheyd,
de Djahwar et de Fot’ays, qui occupaient alors les prin-
cipales fonctions et emplois et qui étaient le plus en vue;
elles favorisèrent et aidèrent Ibn Aboû e Amir, suscitè-
rent au contraire des difficultés à Moçh’afi ; elles forti-
fièrent l’édifice de sa fortune et menèrent sa grandeur
jusqu’à l’élément même qui la constituait, jusqu’à ce
qu’il atteignît le but de ses espoirs et qu’il eût complète-
ment réalisé tous ses souhaits. Pendant que ces causes
concouraient en faveur d’Ibn Aboû c Amir, Dja c far ployait
sous la fortune [P. 291] et ne pouvait douter de l’ad-
versité et du déclin de son pouvoir. Il renonça à lutter

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– 452 –

Contre Mohammed et à administrer de concert avec lui;
on cessa de se rendre soir et matin auprès de lui et Ton
afflua chez Ibn Aboû e Amir; son cortège se réduisit, son
étoile se précipita du ciel de la puissance. Son rival,
toujours poursuivant ses efforts contre lui, l’effaça et
(à son gré) l’obscurcit ou l’éclaira”.
Dja’far a dit :

[Kâmil] Ne te fie pas à la fortune, car elle nous ménage
plus d’une vicissitude î Elle m’a fait redouter des lions mêmes,
puis c’est moi qu’elle a fait trembler devant le renard. Quelle
honte, quelle humiliation pour un homme de cœur de devoir
toujours implorer un être vil 1 (*).

Il prononça ces vers quand, amené par devant l’assem-
blée des vizirs pour rendre ses comptes, il était poussé
et rudoyé par le geôlier Wâthik’ et qu’il lui dit : a Dou-
cement, Wâthik’, tu obtiendras ce que tu veux, tu verras
ce que tu désires » ; ce §ue nous avons raconté déjà.

Ibn Abou ‘Amir se rend complètement maître du
pouvoir. — A la suite du meurtre de Dja’far, Ibn Aboû
‘Amir, resté seul, songea à atteindre la dernière étape,
c’est à dire à étendre la main sur le prince et à le confi-
ner, de manière à rester maître suprême de toutes les
affaires de l’Etat et de la dynastie. Il suivit la môme voie
que les émirs Deyiémites qui, en Orient, avaient su deve-
nir les maîtres des khalifes Abbasides, et travailla à
rendre son pouvoir héréditaire. Modifiant les usages
suivis par les khalifes Omeyyades, il commença à atti-
rer toute l’autorité à soi, à modeler le gouvernement à

.(1) Ces vers ont été traduits in Mus. d’Esp. (m, 164) ; on les retrouve
dam le Matmah (p. 7), dans Makkaiï (î, 275) et dans les Notices (p. 147).

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– 453 –

son image. Cela l’amena… [déchirure partielle de deux lignes]
… le repos au mouvement…

Ses conseillers dans toutes les affaires se mirent à
agir d’une façon incorrecte et à ne pas les traiter comme
il fallait (*). Plus d’une fois il lui arriva de laisser aux
plus importants d’entre eux toute liberté d’avis : ils lui
conseillaient comme ils savaient et lui disaient la règle
qu’ils jugeaient bonne, mais il ne les suivait pas, mar-
chait dans la voie où il s’était engagé, continuait son che-
min, affrontait les dangers dont il se rendait compte,
et l’on restait surpris des bons résultats qu’il obtenait.
Voici comment s’exprime Ël-Fath’ ben Khâk’ân <*) : [P. 802] « “Être unique, plus glorieux que ceux qui avaient le pas sur lui, l’employaient et usaient de ses services, c’est lui qui, plus qu’eux, avait des armes agis- santes, un esprit aiguisé, une grandeur parfaite, un pou- voir absolu. Sa situation devint ce que l’on sait, et ce résultat jeta le trouble dans les intelligences, car il y avait du miracle dans son succès et dans le fait, pour lui parti de si loin, de se tant rapprocher du trône. Tout brillant de l’éclat d’un haut pouvoir, il se montra mo- deste et magnanime; il se mut, et l’étoile directrice lui- sit, il régna, et nui drapeau ennemi ne flotta sur son territoire, et cela après être resté dans l’obscurité à sup- porter étranglement et suffocation, après une pénible attente où il eut à lutter avec l’insomnie et les veilles, ce qui dura jusqu’au jour où, les promesses à lui faites (1) Le texte incorrect et incomplet de cette phrase ne donne qu’un sens douteux. (2) Le passage qui suit manque dans le Matmah, mais Makkari lui attribue la même origine (i, 263 ; éd. Boulak, i, 189). On retrouve aussi chez ce dernier auteur un tableau d’ensemble du gouvernement d’El-Mancour (i, 258 ; voir également Dhabbi, n’ 242). Digitized by Googk – 454 – se réalisant, le sort contraire laissa la place à la félicité. Il exerça alors le pouvoir khalifal, soumit ceux qui y avaient quelque prétention, administra d’une façon parfaite et fit sentir une main de fer dans les affaires d’importance. Grâce à lui Tordre régna dans les provin- ces, les routes ne laissèrent rien à désirer, tous les: che- mins devinrent sûrs, toutes les caravanes voyagèrent tranquilles. Il régna en Espagne plus de vingt années, sans qu’on pût rien reprocher au bonheur du pays, sans qu’aucun bruit se fît entendre de quelque acte blâmable, et le royaume enveloppé d’éclat et d’une lumière d’au-* rore, respira un air ‘irakien. Rien de plus digne de louanges que son règne, rien de mieux dirigé que les flèches lancées par sa puissance : il combattit les chré- tiens été et hiver, atteignit son but tant en les repous- sant qu’en les attaquant ; il pénétra dans ces régions et s’avança jusqu’à ce qu’il eût effrayé le lion du fourré; sous ses drapeaux marchèrent les limiers des tribus, à leur ombre se vinrent ranger les épées brillantes et les lances sombres. Et lui cependant exigeait des vies sans marchander |P. 203] et dégainait les glaives contre les prétentions diverses, livrant à la mort ceux qui ne s’atta- chaient ni ne se liaient au pouvoir, enlevant quiconque parmi eux se signalait par son éclat. Cela dura jusqu’au jour où il resta seul et unique maître, que ce qui s’était d’abord montré sauvage et farouche lui témoigna de l’obéissance, que l’Espagne et le littoral africain lui furent soumis et se groupèrent autour de lui comme faisaient les Koreych dans la Maison du conseil (*). Il ne (1) Le dâr en-netltua était la maison commune dans laquelle se réunissaient les Koreychites pour traiter toutes les affaires publiques (G. de Perceval, Essai.,,, i, 237). Digitized by Googk * l’î – 455 — quitta pourtant pas le titre de hâdjib (chambellan) et ne cessa de prêter obéissance et hommage au khalife, démonstrations en désaccord avec la réalité, appella- tion que contredisaient les lieux où résidait la vraie autorité. Grâce à l’immigration des Berbères qu’il favo- risa, il humilia les tribus d’Espagne et par eux rejeta dans l’ombre ces grands chefs, les combattit à l’aide de leurs rivaux dont il fit venir un très grand nombre, si bien que ces derniers devinrent maîtres et restèrent victorieux à la suite de la célèbre attaque qui laissa la plus grande partie de l’Espagne inculte et déserte, qui la remplit de loups et de fauves, qui la priva pour un temps de toute sécurité. De la sorte, lui et son fils El- Moz’affer marquèrent la fin du bonheur de l’Espagne, y constituèrent la limite de la joie et du plaisir. Ses cam- pagnes sont restées célèbres et eurent l’éclat d’un glaive qui lance la foudre. Il était d’une noblesse sans tâche et descendait de Ma c âfir\ Aussi s’en vante- t-il en ces ter- mes (*> :

[Tawîl] J’ai affronté en personne, comme le doit faire un
noble magnanime, les périls les plus graves, et je n’avais
avec moi qu’un cœur vaillant, une lance excellente, un
glaive poli et tranchant. Lançant au combat des troupes de
guerriers, véritables lions qui heurtaient d’autres lions dans
leurs repaires, j’ai en personne mené des chefs de toute sorte
et combattu tant que j’ai trouvé à vaincre. Ce n’est pas un
édifice nouveau que j’ai élevé, j’ai agrandi ce qu’avaient bâti
‘ Abd el-Melik et ‘Amir. Nous avons par des prouesses rajeuni
une noblesse que nous tenons du lointain Ma’âfirt*).

(1) On retrouve ces vers dans Makkari (r, 260, cf. 264 ; éd. Boulak,
1,187 et 190), et dans les Notices, p. 152 ; trois d’entre eux sont traduits
dans YIntr. dd Makkari, p. xxxviil.

(2) Ces trois noms propres sont ceux d’ascendants du poète (ci-dessus,
p. 425).

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– 456 –

[P. 894] “Sa mère étant Temîmite, il se trouvait
noble par Tune et l’autre ligne et pouvait se draper dans
cette double origine”. El-K’ast’alli a ditW :

[Tawît] En lui se sont réunis, venant de Temlm et de
Ya’rob, des soleils et des lunes brillant dans le ciel et pro-
venant des Himyar, dont les mains ressemblent à des nuées
qui déversent une eau fécondante, ou plutôt à de véritables
mers.

“Il occupa divers emplois avant d’arriver au pouvoir
souverain et fournit, en parlant du but suprême de sa
vie, des signes (de sa destinée future), jusqu’au jour où
ses prédictions se réalisèrent (*) et que son* Aurore permit
à la sienne de paraître < 3 ). On fait à ce propos des récits
merveilleux, et dignes d’être remarqués. Il était lettré
et distingué, savant en diverses sciences, et voici à ce
propos des vers où il se souhaite l’empire en Egypte et
au Hedjâz et demande la réalisation ultérieure de ces
vœux” :

[Khafîf] L’ardent désir qu’a mon œil de voir Çafà et la
Station d’Abraham l’empêche de se livrer au sommeil. J’ai
en Orient des créances sur des gens qui ont autorisé le sacri-
lège en ces lieux saints : qu’ils s’acquittent, et mes désirs
seront satisfaits ; sinon leurs cous et leurs têtes en répon-

(1) Ce poète, + 421, s’appelle Aboù ‘Omar Ahmed ben Mohammed
ben Derràdj (voir Ibn Khallikân, i, 120; Çila, n* 75 ; Dhabbi, n’ 342;
ms 2327 de Paris, f. 23 ; Yetîmat ed-dahr, i, 438, etc.). On retrouve
les deux vers qui suivent dans Merràkechi, H. des Almohades, p. 32-
Dhabbi, p. 107; Makkari, i, 264; Notices, p. 152; ils font partie d’une
pièce que la Yetîma a reproduite.

(2) Allusion à l’anecdote que rapporte Merràkechi, p. 22 de la trad.
fr., et qui figure in Mus. dEsp. f ^ii, 111.

(3) Jeu de mots sur Çobh’ (Aurore).

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– 457 –

dront! On verra bientôt les cavaliers de Hichâm arriver
dans leur course jusqu’au Nil et à la Syrie (*).

(«) En 368 (9 août 978), Ei-Mançoû’r ben Aboû f Amir fit
construire son palais connu sous le nom d’Ez-Zâhira,
“alors que sa situation était prépondérante, que son
brasier flamboyait de tout son éclat, que son indépen-
dance était manifeste et que ses envieux étaient en nom-
bre. Craignant de risquer sa vie plus longtemps dans le
palais du prince et de s’y exposer à quelque embûche, il
prit des précautions qui révélèrent à son maître ce qui
lui était resté caché jusqu’alors, à savoir que le ministre
était plus puissant que lui et renonçait à plus reconnaître
sa suprématie. Il se haussa au rang des rois en se fai-
sant bâtir un palais pour y résider et s’y installer avec
sa famille et les siens, en faire le siège. de son autorité
et mettre ainsi le sceau à son pouvoir, y réunir ses escla-
ves et ses gardes. Il choisit comme emplacement le lieu,
qu’il fit sien, appelé Ez-Zàhira, remarquable par des
palais splendides, [P. 205] sur une pointe de la région
s’avançant sur le grand fleuve de Cordoue, et y disposa
et arrangea tout ce qu’on peut faire de plus extraordi-
naire. C’est en cette année qu’en commença l’édification,
pour laquelle il fit venir des artistes et des ouvriers et
amena des machines considérables, et il revêtit ainsi ces
palais d’un éclat qui éblouissait les yeux. Il donna à cette
ville de grandes proportions et se montra fort désireux
de la voir largement se développer dans la plaine; il

(1) On retrouve ces vers dans Makkari (i, 265 ; éd. Boulak, i, 190) et
dans les Notices, p. 153.

(2) Le passage qui suit figure dans Makkari (i, 380), qui le croit,
dit-il, tiré du Matmah, mais on ne le retrouve pas dans cet ouvrage.

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– 458 –

donna une grande hauteur aux murailles, ne négligea
rien pour égaliser les éminences et les dépressions de
l’intérieur. La ville enfin put étaler ses larges dimen-
sions dans le plus bref délai, car la plus grande partie
en fut achevée en deux ans, et ce n’est pas là une des
choses peu remarquables qu’on raconte*.

En 370 (17 juil. 980), El-Mançoûr y déménagea “et s’y
installa avec tous ceux qui lui tenaient de près ou de
loin; il en fit sa résidence, la garnit de toutes ses armes,
de ses biens et de ses affaires”. Il y installa les diverses
administrations et les finances, établit les greniers en
dedans, des murs, permit aux moulins de s’élever dans
la plaine, “puis donna en fiefs les environs à ses minis-
tres et à ses secrétaires, à ses officiers et à ses chambel-
lans, de sorte qu’ils y élevèrent des hôtels importants,
des palais considérables, sans négliger les parties inter-
médiaires constituant des propriétés de rapport et des
pavillons bien établis. Il s’y installa des marchés fré-
quentés par de nombreuses caravanes, la population
accourut à l’envi pour s’y fixer et y prendre ses quartiers
à cause du voisinage du chef du pouvoir ; on bâtit à qui
mieux mieux alentour, si bien que les faubourgs rejoi-
gnirent ceux de Cordoue, et il se produisit un grand dé-
veloppement de la région dont le centre était occupé par
le siège du pouvoir. Le khalife, privé de toute influence,
n’était plus paré que d’un vain titre, et El-Mançoûr
fit du khalifat un dessin qui s’efface. Ce fut là que le
ministre tint conseil avec ses vizirs rangés hiérarchi-
quement et avec ses principaux officiers, là qu’il convo-
qua les fonctionnaires pour les affaires de service, à la
porte de ces lieux qu’il plaça sa gardent établit un chef
comme s’il s’agissait du siège du khalifat et [P. 296]

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– 459 –

de la même façon que pour l’autorité suprême. Des
ordres envoyés dans toutes les provinces d’Espagne et
du littoral africain prescrivirent d’envoyer à Ez-Zâhira
les revenus fournis par lés impôts, imposèrent aux gou-
verneurs de s’y rendre, aux solliciteurs de s’y diriger, et
des mesures furent prises pour que nul ne s’en détour-
nât pour gagner la porte du palais khalifal. Ce fut là que
se tranchèrent les affaires de toute sorte, là qu’affluèrent
les gens venus de tous les côtés. Mohammed ben Aboû
c Amir eut ainsi ce qu’il cherchait et vit ses désirs com-
blés : le palais du khalifat resta privé de tout visiteur,
fut par son fait dépourvu de tout partisan dévoué. Alors
il ferma la porte du palais du prince, tâcha que nulle
nouvelle ne lui parvînt, y mit un de ses affidés pour gar-
der cette demeure, y exercer de pleins pouvoirs, surveil-
ler en son nom quiconque y entrerait et empêcher tout
mouvement suspect à l’intérieur. Il plaça des gardes, des
portiers, des sentinelles qui, la nuit, faisaient des rondes
à tour de rôle, qui montaient jour et nuit une garde inin-
terrompue autour des gens du palais et surveillaient
ostensiblement et secrètement tous leurs mouvements.
Il avait déjà enlevé au khalife tout pouvoir administratif,
et l’empêcha ainsi d’exercer aucun attribut de la royauté,
Hichâm resta sans liberté et sans influence, son nom
s’oublia, son intelligence faiblit, sa porte qu’on tenait
fermée ne laissa plus pénétrer ses amis, nul, ni intime
ni étranger, ne le vit plus, il n’y eut plus rien à craindre
ou à espérer de lui, on ne connut plus de lui que son
nom frappé sur la monnaie ou prononcé au prône. Son
ministre l’avait supplanté, avait revêtu l’appareil royal,
fait disparaître la pompe qui appartenait à son maître,
apprit au peuple à se passer de lui et détourné de lui ses

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– 460 –

désirs; grâce à ses manœuvres, les sujets le méconnu-
rent, et il défendit de plus parler de lui*.

L’autorité dlbn Aboû e Aniir fut à son comble à partir
du jour où il s’installa dans le palais d’Ez-Zâhira, et à
mesurç que le temps passa il ne négligea rien pour en
embellir les constructions, “si bien que la perfection en
fut complète et que la beauté n’en laissa rien à désirer
tant comme bonté de construction et étendue d’empla-
cement, que comme pureté d’un air qui couvrait une
surface (auparavant) peu saine, et comme transparence
d’une atmosphère où le zéphyr était sans force, aussi
bien que pour l’aspect florissant des jardins et des dehors
réellement séduisants”. C’est d’elle que Çâ c id le philo-
logue a diU 1 ) :

[P. 297 ; Basît] O roi El-Mançoûr, toi qui viens du Yémen
et qui crées une race nouvelle et autre que celle dont tu
descends, c’est en faisant une campagne fertile en morts
polythéistes que *tu dis de douces paroles aux lances et aux
glaives. Ne vois-tu pas la source couler joyeuse sur le mar-
bre, puis poursuivre son cours sur les sables qu’elle humecte
et féconde ? C’est toi qui as provoqué son écoulement, grâce
auquel les plantes florissantes se sont encore développées,
de la même manière que tu as grandi et es devenu le chef
des Arabes et des barbares. On dirait que dans ces plantes
se trouvent des troupes aquatiques maladroitement couvertes
de leurs armures et montrant cuirasses et boucliers ; des
arbres vigoureux et variés les entourent, dont la frondaison

(1) Gà’id ben Hasan Rab’i Baghdàdi, -f 417, était un littérateur et
philologue qui devint l’un des favoris d’El-Mançoûr (voir Çila, n° 536;
Dhabbi, n° 852, et p. 148; Ibn Khallikàn, i, 632; Merràkecbi, H. des
Alm.y p. 23 et s., lequel en fait un vizir du tout-puissant ministre;
Makkari, notamment H, 52 et s. ; Mus. d’Esp., in, 247). La poésie qui
suit se retrouve dans Makkari, i, 382 ; éd. Boulak, l, 271.

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– 461 –

est d’argent, puisqu’ils produisent de l’or. C’est la merveille
de l’empire, et celui qui la voit ne cesse de redire à ses audi-
teurs que c’est un étonnant prodige. La fortune n’en pourra
refaire un pareil, épuisât-elle toutes ses forces dans cette
recherche.

c Amr ben Aboû’l-Habbâb alla un jour trouver le pre-
mier ministre dans un de ses palais de la propriété dite
El- e Amiriyya “alors que dans le jardin les fleurs étaient
écloses, que les dépressions et les hauteurs avaient
revêtu leurs atours, que la fortune soumise y régnait,
que le bonheur assujetti y résidait”. Il dit alors ces
vers M :

[Basît] Aucun des jours que tu as vécus n’est à comparer
à celui que tu passes dans 1′ ‘ Amiriyya, où l’on trouve eau
et ombrage, et où la température, même dans les saisons
extrêmes, est toujours modérée. On peut s’y rendre sans se
soucier du bonheur! 2 ), car le soleil n’y est-il pas [toujours]
dans le Bélier (3)?

“Cette ville ne cessa pas d’être belle, de rester toujours
liée au bonheur, d’être sans relâche visitée par la vic-
toire, de se voir amener des ennemis vaincus, de ne
laisser s’éloigner des étendards que marchant à la vic-
toire, de ne prendre des mesures que couronnées de
succès, jusqu’au moment où arriva son jour fatal, où la

(1) Nous n’avons ici que les trois premiers vers d’une pièce dont
Makkari et Dhabbi en citent huit, avec variantes dans le premier. Le
poète qui en est Fauteur portait le prénom d’Aboù’l-Motarrif, sous
lequel” il est cité par Dhabbi (n° 1545), de même que par Makkari (i,
382 et 383).

(2) 11 y a ici un jeu de mots, le mot bonheur s’employant aussi en
parlant des deux planètes Jupiter et Vénus.

(3) Le soleil entre le 20 mars dans le signe du Bélier.

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– 462 –

plus large part de malheur lui fut destinée, de sorte que
la ruine la frappa et qu’elle perdit toute marque d’éclat’.

Ibn Aboû ‘Amir fit annoncer que le prince lui avait
confié le soin des affaires du royaume et s’en était dé-
chargé [P. 298] pour se consacrer lui-même à la dévo-
tion. La nouvelle se répandit dans le peuple, qui finit par
se reposer avec confiance sur ce ministre à la forte poi-
gne et d’une vigueur toujours prête. Tout alla donc bien
pour lui, et mieux encore quand il eut fait entourer le
palais khalifal d’un mur circulaire flanqué d’un fossé de
chaque côté et garni de portes auxquelles veillaient des
gardes et des sentinelles installés dans tous les passa-
ges. Il empêcha le khalife de se montrer et aposta à sa
porte des gens qui avaient mission de ne laisser arriver
jusqu’à lui d’autres nouvelles ou affaires que celles qu’il
permettait, et quiconque était surpris contrevenant à
cette défense était saisi et châtié sur le champ. On raconte
à ce propos bien des choses, mais on peut dire en deux
motsqu’Ibn Aboû ‘Amir agit plus sévèrement que n’avait
jamais fait quelqu’un ayant un khalife à sa discrétion’,
car il avait entre les mains toute l’autorité et le prince
n’était pour lui qu’un instrument, à tel point que rien ne
se faisait dans l’intérieur ou dans le harem de Hichàm
qu’au su et avec l’autorisation du ministre. L’intendant
du palais, nommé par lui, était un de ses hommes de
confiance, lui servait d’espion et était au courant de tous
les faits et gestes du prince.

Après s’être ainsi hissé au sommet, Ibn Aboû ‘Amir
s’occupa du général en chef, son beau- père Ghâlib Nàçiri,
et prépara sa ruine. Il songea à lui opposer un adver-
saire choisi parmi les hommes d’épée et de guerre en
renom, car Ghâlib l’emportait sur lui pour tout ce qui

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– 463 –

concernait l’art de la guerre, avait plus de vaillance et
était son supérieur dans un ordre de connaissances
auxquelles Ibn Aboû ‘Amir ne s’était pas appliqué. Il ne
trouva pour cela personne plus qualifié que Dja c far W, le
fils d’ lui dit de l’offrir au vizir Aboû
Ahmed. Alors Dja’far, se levant, la reçut comme un
témoignage d’estime, puis, transporté de joie, il se mit
à danser, et tous les assistants sans exception suivirent
son exemple. De nombreuses coupes lui furent encore
servies, et il avait la tête alourdie quand, au milieu de
la nuit, il se retira avec quelques-uns de ses pages. Il fut
alors assailli par Ma f n en compagnie de ses afïidés (*) et,
sans que son état d’ivresse lui permît même dé se défen-
dre, il tomba percé de coups, et les assassins n’aban-
donnèrent qu’un cadavre déjà froid. Sa tête et sa main
droite furent coupées et présentées secrètement à Ibn
Aboû c Amir, qui donna extérieurement (les témoignages
du chagrin que lui causait cette mort ( 2 ).

En 375 (24 mai 985), El-Mançoûr équipa un corps de
troupes important et l’envoya sur le littoral africain à
l’effet de réduire Hasan ben K’annoûn, cherif descendant
de H’asan [ben e Ali], qui avait voulu se soustraire à
l’obéissance de la dyna$tie Merwânienne; des habitants
du Maghreb avaient embrassé son parti et son pouvoir
s’affirmait ( 3 ). Mais, rejoint par le corps expéditionnaire,
il ne put échapper qu’en réclamant Y aman, que le chef

(1) Parmi lesquels [Hasan] ben ‘Abd el-Wodoûd, Ibn Djahwar, Ibn
Dhoù’n-Noûn, etc. (Makkari, i, 258 ; Ibn Khaldoun, éd. Boulak, iv,
147 ad f.)

(2) Sur cet assassinat, voir les auteurs cilés, p. 463, et Mus. d’Esp.,
m, 193.

(3) Après avoir été déporté en Espagne, il avait été autorisé à
rejoindre la cour fatimide en Egypte, d’où il regagna le Maghreb pour
y tenter un soulèvement {Mus. d’Esp., m, 200; H. des Berb., h, 569 ;
cf. Kartàs, p. 63).

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– 468 –

de ces troupes lui accorda. Il fut emmené à Cordoue sous
bonne garde, mais Ibn Aboû ‘Amir, ne voulant pas rati-
fier la grâce qui lui avait été faite et étant d’autre part
engagé par la parole de son général, le fit contre toute
justice massacrer en route. Un des témoins oculaires de
cet assassinat a raconté que, cette nuit-là, le vent très
violent qui soufflait et qu’ils avaient en face leur enlevait
leurs vêtements et arracha, sans qu’on pût le retrouver,
le manteau qui couvrait le cadavre de Hasan; le ciel
était si noir qu’ils crurent eux-mêmes ne pas pouvoir se
retirer la vie sauve.

En la même année, les Benoù Idrls se dispersèrent
dans des pays divers, et Ibn Aboû ‘Arnir, devenu maître
du Maghreb, en chassa ceux des Benoû Idrîs qui s’y
trouvaient encorfe. On a dit à ce propos (*) :

[Kâmiï] Ce spectacle a bien de quoi étonner, car notre
malheur est immense et le chemin [que nous suivons] est
bien étroit. J’ai peine à en croire mes yeux, et je suis tenté
de dire que je me trompe. [P. 302] Se peut-il qu’il reste
en vie un seul descendant d’Omeyya, et que cependant ce
bossu gouverne ce vaste empire? Voilà les soldats de ces
princes qui marchent autour d’un palanquin entre les parois
duquel figure un singe grisâtre ! Fils d’Omeyya, vous qui
éclairiez la nuit comme autant de pleines lunes, qu’êtes-vous
devenus, pourquoi ne vous voit-on plus ?

Ce lut ensuite Ziri ben c At’iya Maghrâwiqui se souleva
au Maghreb contre Ibn Aboû c Amir, qui viola ses ser-
ments d’obéissance après avoir été l’objet d’une amitié
et d’une protection très chaudes, mais qui se retourna

(1) Cette poésie, qui a pour auteur Ibrahim ben Idrîs, l’un des
bannis, se retrouve, en totalité ou pour partie, dans Ibn el-Abbàr
{Notices, p. 119) et dans Makkari (i, 376); cf. Mus. cl’Esp., m, 203.

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– 469 —

contre le ministre à raison de ce que celui-ci avait fait
de Hichâm sa chose et lui avait enlevé la royauté. Ibn
Aboû e Amir envoya contre lui une armée considérable
sous les ordres de son affranchi Wàd’ih’, et il fut livré
plusieurs combats importants au rebelle W. Le ministre
expédia ensuiteson fils c Abd el-Melik à la suite de Wâ-
d’ih\ et lui-même descendit à Algéziras pour être à por-
tée de fournir des officiers et des troupes à ses lieule-
nanls. e Abd el-Melik, partant de Tanger, marcha contre
Ziri, à qui il livra une bataille telle qu’on n’avait jamais
rien vu de pareil. L’armée de Zirî fut mise en déroute,
et ce chef lui-même ne put se sauverque tout couvert de
blessures. Ibn Aboû c Amir resta ainsi maître du Magh-
reb [ainsi que son fils après lui] jusqu’en Tannée 397
(27 sept. 1006).

Voici comment les Omeyyades s’étaient emparés de la
partie occidentale du littoral africain. e Abd er-Rahmân
en-Nàçir y avait envoyé une flotte qui, arrivée à Ceuta,
proclama la souveraineté de ce prince, et la population
s’empressa de le reconnaître le vendredi 1 er rebî c I 319
(24 mars 931), après quoi les autres régions firent suc-
cessivement de même. De nombreuses députations par-
ties de ce pays se rendirent à plusieurs reprises auprès
de ce prince, ainsi qu’auprès de son fils El-H’akam. Mais
. Ibn Aboû c Amir, qui rencontra un accueil tout différent,
y envoya son affranchi Wàd’ih\ qui passa toute une
année sous la tente dans le Djebel Aboû H’abîbP), puis

(1) Cf. t. i, 371 ; Mus. d’Esp., m, 222 et 235; H. des Berh., notam-
ment m, 238 et s. ; Kartâs, p. 63 et 64. La prise d’armes de Zirî est
de 386, sa défaite de 388, et il mourut en 391, d’après Ibn Khaldoun.

(2) Il s’agit sans doute de la montagne appelée Djebel Habib par
Bekri et située entre Tetuan et Larache (Bekri, p. 245 ; table géog.
de 17/. des Berb., p. 85).

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– 470 –

ensuite son propre fils c Abd el-Melik. Celui-ci livra
bataille à Zirî, qui fut mis en déroute après avoir été
traîtreusement frappé à la nuque par un coup de lance
que lui porta son cousin paternel El- Kheyr ben Mok’âtil,
Zirî mourut plus tard des suites de ses blessures, non
sans avoir fait face à des bandes de Çanhâdja, qui étaient
les maîtres de rilrikiyya, et les avoir mises en déroute,

c Abd el-Melik se retira après avoir rétabli l’obéissance
dans le Gharb, et trouva son père revenant de son expé-
dition contre le pays des Basques W; il fit avec lui sa
jonction à Saragosse. Cette dernière expédition, connue
sous le nom de ghazât el-beyâd’W, [P, 303] est de 389
(23 déc. 998).

En 379 (11 avril 989), El-Mançoûr fit tuer e Abd er-Rah-
mân ben Mot’arrif, gouverneur de Saragosse et de la
Frontière supérieure. Ce chef en effet, en réfléchissant
au sort qu’avait fait subir Ibn Aboû c Amir aux principaux
chefs, et à ce que seul il avait échappé jusque-là, avait
commencé à craindre d’être traité de même. Il arriva ce
qui était écrit, et le destin’lui inspira de conspirer contre
Mohammed, ce à quoi il fut fortement encouragé par le
fils de ce dernier, f Abd Allah ben el-Mançoûr. Voici ce
qui se machina entre eux. Cet f Abd Allah résidait à Sara-
gosse auprès d ,f Abd er-Rahmân et avait l’esprit aigri
contre son père à cause de la préférence de celui-ci pour

(1) S’agit-il de la célèbre campagne contre Saint-Jacques de Coin-
postelle, en 387, dont il est parlé plus loin? J’ai lu dans le texte >)h
3L***£Là~J\ (?). Il faut cependant ajouter que, d’après Dozy, ce nom
désigne les habitants de la ville de Jaca (Djàk’a dans Edrisi) et se
retrouve ailleurs diversement orthographié (ap. de Goeje, Jakubi,
p. 112). C’est également sous Tannée 389 que le retour d”Abd el-Melik
est placé par le Kartâs, p. 67.

(2) Ce qui semble signifier « campagne du sacrifice de la vie ».

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– 471 –

son autre fils c Abd el-Melik. f Abd Allah en effet se voyait
mieux partagé que son frère sous le rapport de la vail-
lance et de l’intelligence, plus habile guerrier à pied
aussi bien qu’à cheval, et trouvait que leur père commet-
tait une criante injustice en les mettant l’un et l’autre sur
la même ligne, et à plus forte raison en donnant la pré-
férence à f Abd el-Melik. Aussi son cœur brûlait-il d’un
feu qu’ e Abd er-Rahmân ben Mot’arrif ne manqua pas
d’attiser, et il fut convenu entre eux qu’ c Abd Allah sai-
sirait la première occasion pour attaquer son père, étant
entendu qu’ils se partageraient l’Espagne, la capitale
revenant à Ils se mirent alors à préparer les moyens d’atteindre
leur but et de se frayer la voie. Ils avaient pour complices
un certain nombre de chefs de l’armée, de fonction-
naires, etc., à Cordoue même, entre autres le vizir <Abd
Allah ben c Abd el-‘Azîz Merwâni, gouverneur de Tolède.
Mais il courut des bruits de complot, et El-Mançoûr en
vérifia l’authenticité de manière à n’en pouvoir douter.
Il rappela alors de Saragosse son fils c Abd Allah, et com-
mença, pour mieux endormir ses défiances, par lui témoi-
gner beaucoup d’affection et lui donner de l’avancement;
il éloigna Merwâni de Tolède, mais de la manière la
plus convenable, puis au bout de peu de temps lui enleva
le vizirat et le consigna dans son hôtel. Après cela Ibn
Aboû e Amir se mit en campagne contre la Castille, et des
troupes auxiliaires vinrent des frontières le rejoindre,
entre autres riers de Saragosse. Quand on fut arrivé à Guadalaxara,
les habitants de la Frontière, secrètement excités par Ibn
Aboû c Amir, convinrent de déposer une plainte contre
c Abd er-Rahmân. [P. 304] Ils servirent d’instruments

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à la ruse du ministre, et déclarèrent que ce chef détour-
nait leur solde pour se l’approprier. El-Mançoûr alors le
révoqua du commandement de Saragosse, le 29çafar379
(8 juin 989), et le remplaça par Ibn e Abd er-Rahmàn
Yahya surnommé Semâdja, dans l’espoir de s’assurer
ainsi la fidélité des Todjibides, tribu à laquelle apparte-
nait ce dernier. Pendant quelque temps encore, ‘Abd
er-Rabmân circula librement dans le camp, puis il fut
arrêté le mardi 12 rebi f I (20 juin 989J. El-Mançoûr alors
laissa éclater sa colère et ordonna de lui demander
compte de sa gestion; il fut ensuite mis à mort à Ez-
Zâhira sous les yeux d’El-Mançoûr.

Le ministre, craignant que son fils f Abd Allah se
piquât et se laissât entraîner à quelque affaire, le fit venir
au camp et le traita avec douceur, dans l’espoir de le
ramener à de meilleurs sentiments; mais il était loin
de compte, car le jeune homme avait le cœur ulcéré et
animé d’une haine trop violente. Sur ces entrefaites
El-Mançoûr dressa son camp sous les murs de San Este-
ban [de Gormaz], et pendant que les musulmans étaient
tout occupés à combattre, c Abd Allah s’enfuit du camp
avec six de ses pages, et parvint à rejoindre l’ennemi de
Dieu Garcia fils de Ferdinand, seigneur d’AlavaW, qui
accueillit le fugitif et le protégea contre son père. Alors
El-Mançoûr se mit en campagne contre Garcia pour arri-
ver à se faire livrer son fils, jurant qu’il ne cesserait de
poursuivre le chrétien que quand celui-ci lui aurait remis
‘Abd Allah. Comme Garcia s’obstinait dans son refus,
El-Mançoûr le battit, mit ses troupes en déroute, prit la

(1) Il s’agit de Garcia Fernandez, comte de Castille; cf. Mus. d’Esp.,
m, 221.

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■SSkwwa 1 ■

– 473 –

moitié de la région cTAlava et emporta de vive force le
château d’Osma, où il installa une garnison musulmane.
Garcia se trouva ainsi forcé d’accepter les conditions
d’El-Mançoûr tant pour ce qui concernait f Abd Allah que
sur d’autres points, et son adversaire consentit à traiter.
Le prince chrétien confia à une troupe de ses coreligion-
naires e Abd Allah et ses partisans, que Ton fit monter
sur des mulets et qui furent reçus par Sa’d, fonctionnaire
attaché à la cour. f Abd Allah, monté sur un mulet frin-
gant et richement équipé, vêtu d’un habit de soie brochée
d’un merveilleux travail, s’approcha gaîment de Sa’d,
car il était fermement persuadé que son père lui pardon-
nerait. [P. 305] Sa c d lui baisa la main, se montra des
plus courtois et affermit sa confiance en parlant de sa
rébellion comme d’une simple équipée. Mais non loin
du Wâdi Djawfi (Duero) il resta en arrière en donnant
l’ordre à quelques-uns de ses soldats de procéder à
l’exécution du prisonnier, qui fut aussitôt entouré et fut
prévenu qu’il allait mourir. A cette nouvelle d’un sort
qu’il avait des raisons de redouter, f Abd Allah obéit
sans opposition à Tordre de mettre pied “à terre, et il
marcha avec sérénité jusqu’au glaive qui l’attendait,
en témoignant d’une fermeté qui excita l’admiration de
tous les témoins. Ce fut Ibn Khafif, de la chorta, qui le
décapita au coucher du soleil le mercredi 14 djomàda II
380 (8 sept. 990). El-Mançoûr, qui faisait alors sa qua-
rante-cinquième campagne, envoya au khalife, avec un
bulletin de victoire, la tête de son fils ; le cadavre du
jeune homme, qui mourut à vingt-trois ans, fut inhumé
dans le lieu même de l’exécution. Mais à la suite de cette
affaire, Sa’d et Ibn Khafif devinrent à charge à Ibn Aboû
c Amir, qui conçut contre eux une haine sans répit et finit

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– 474 –

par les faire exécuter après les avoir mis â la question.
Ibn Aboù e Amir, en faisant mettre son fils à mort, vit
encore augmenter la ôrainte respectueuse dont il était
l’objet, et tous les cœurs tremblèrent devant lui.
. A propos d’ c Abd Allah qui fut ainsi exécuté, le vizir
Aboû c Omar ben c Abd el- c Aziz s’exprime de la sorte :
« A la suite du meurtre de son fils par El-Mançoûr, la
population resta frappée de terreur; prise de répulsion
pour lui, elle fit de cet événement l’objet de nombreuses
conversations et était diverses conjectures, sans que per-
sonne trouvât dans la conduite de la victime de quoi lui
avoir mérité la peine capitale. El-Mançoûr partit ensuite
pour Tune de ses nombreuses expéditions, et quand il
fut arrivé à Calatrava, nous fûmes, dit le narrateur,
invités à un repas, au cours duquel, la conversation
étant tombée sur f Abd Allah, tous les convives à la fois
posèrent la même question : a Dieu aide El-Mançoûr I Tu
t’es, Seigneur, mis par sa mort dans une situation extrê-
me et peu facilement supportable. Pourquoi cette exécu-
tion?— Je n’en sais d’autre motif, dit-il, que celui-ci.
Quand sa mère me fut présentée, je m’attachai aussitôt
à elle et mon cœur fut pris d’une passion qui constituait
une véritable obsession. Après l’avoir achetée à un prix
excessif, je la plaçai chez une de mes parentes, [P. 306]
où chaque jour j’allais la voir pour m’informer si elle
était enceinte ou non. Quand elle s’aperçut de ma pas-
sion amoureuse, elle me dit, pour condescendre à mes
désirs, que la période légale d’attente était écoulée; mais
elle mentait et ne cherchait ainsi qu’à me satisfaire en.
avançant la date fixée à l’accomplissement de ce que je
souhaitais. C’est ainsi que je couchai avec elle avant que
la période légale (istibrâ) fût écoulée, et je doutais que

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– 475 –

f Abd Allah lût véritablement mon fils, f Le fruit de ces
relations naquit en 358 (25 nov. 968).

Il se passa plus tard un fait piquant entre El-Mançoûr
et l’un des principaux chefs berbères, Zat’arzoûn ben
Nizâr Berzàli, qui, dans une réunion où il était traité
familièrement, lui posa cette question : « Pourquoi, Sei-
gneur, as- tu fait exécuter ton fils f Abd Allah? » et il con-
tinua en exaltant la bravoure et les qualités du défunt.
a Epargne-toi tout regret, dit El-Mançoûr, car si je
n’avais pris les devants, c’est lui qui m’eût tué. Il n’était
pas de mon sang, et c’est à cause de lui que j’ai soup-
çonné sa mère, qui était une esclave malhonnête ; on l’a
dit déjà, de mauvaises matrices ne donnent que des pro-
duits corrompus. — Alors, Seigneur, reprit l’ignorant
Zat’arzoûn, il y a adultère de la mère et acte illicite W du
père? — Ce misérable, s’écria El-Mançoûr rougissant, a
fait mon malheur de son vivant et après sa mort ! » Ainsi
éclata la sottise de Zat’arzoûn, de qui le ministre se
détourna ; mais pendant longtemps ce mot fut fréquem-
ment répété dans les conversations du peuple.

El-Mançoûr était un vrai prodige de finesse, de fuse
et de politique. Il combattit à l’aide des partisans de
Moçh’afi les Slaves, qu’il arriva à massacrer et dont il
abattit la puissance ; il se servit ensuite de Ghâlib Nàçiri
pour combattre et anéantir les partisans de Moçh’afi;
ce fut après cela Dja c far ben [Ibn] el-Andalosi qu’il suscita
contre Ghâlib jusqu’à ce qu’il eût fait aussi périr ce der-
nier ; ce fut enfin avec ses propres moyens qu’il attaqua

(1) J’ai lu tj**} et non fj^j , comme a fait Dozy, dont on peut
voir la remarque sur ce passage in Corrections, p. 65.

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– 476 –

Dja c far et se débarrassa aussi de ce rival par la morU*).
Il resta alors seul n’ayant plus à compter qu’avec lui-
même, et la fortune n’ayant plus, malgré les appels qu’il
lui adressa, de champion à lui opposer, ce fut lui qui la
domina : elle se soumit el devint son auxiliaire, de sorte
que l’autorité exclusive de ce ministre s’établit à un si
haut degré qu’il n’y avait pas eu dé prédécesseur. Parmi
les témoignages les plus éclatants du bonheur qui le
favorisa, on peut citer ces faits, [P. 307] que jamais
il ne connut de déboires dans les combats auxquels il
assista, que jamais il ne fut mis en déroute et que, quand
il se retira d’un pays, ce ne fut qu’après l’avoir conquis
et soumis, et cela malgré le grand nombre de combats
qu’il livra, d’ennemis à qui il eut affaire, de peuples aux-
quels il tint tête, et ce nombre est tel que je ne pense pas
qu’un autre prince musulman puisse lui être comparé
sous ce rapport. Un des moyens qui lui aida le plus, en
outre de sa grande chance et d’une application toujours
soutenue, fut sa large libéralité et ses générosités souvent
renouvelées. Il était à cet égard le prodige de son épo-
que, “et ce fut à l’aide de cette première base qu’il put
s’appuyer sur les buissons épineux de la souveraineté,
sur elle que se déploya et flotta l’étendard de la fortune.
Il fit tomber son collègue El-Moçh’afi et souleva contre
lui les embûches de sa haine secrète, si bien qu’il l’enve-
loppa de soucis et l’incarcéra dans les profondeurs des
prisons”. Le malheureux tenta alors de l’adoucir en lui
adressant cette poésie <*> :

(i) Le passage qui suit, jusqu’à « en ta faveur », p. 477 ad f.,

figure dans Makkari (i, 265; éd. Boulak, i, 190).

(2) Ces vers figurent dans le t. i (p. 159), où ils sont attribués à
Mohammed ben Hayoùn ; on les attribue aussi à Aboù ‘Omar ben

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– 477 –

[Basît] Soit, j’ai mal agi ! Mais où y aura-t-il faveur et
magnanimité, puisque l’obéissance et. le repentir me ramè-
nent à toi ? O toi le plus généreux de ceux vers qui se ten-
dent les mains, seras-tu sans pitié pour un vieillard dont ta
plume a fait connaître la fin prochaine ? Ta colère a été à
l’extrême ; pardonne donc maintenant comme le peut faire
un puissant ! les rois ne refusent pas leur pKié quand on la
sollicite.

”Mais cela ne fit qu’accroître la colère et la haine de
son persécuteur, ces vers ne servirent qu’à l’enflammer
et exciter ; il riposta par des actes qui désespérèrent le
misérable et fit apparaître la tombe devant ses yeux, il
ferma sur lui la porte de sa prison, et le confina dans
les épreuves sans lui laisser aucun répit” :

Maintenant, sot que tu es, ton pied a bronché, et tu deman-
des un bienfait alors que la magnanimité t’a même fait défaut !
Tu as excité contre moi un prince en présence de qui, n’était
son jugement réfléchi, il ne me serait pas permis de pro-
noncer un mot. Maintenant que te voilà enfermé, renonce à
tout espoir de vivre, car les rois, quand ils veulent se ven-
ger, le font bien ! Ma colère, une fois déchaînée, ne se laisse
plus calmer,, Arabes et Barbares intercédassent-ils en ta
faveur.

0) En fait d’actes pieux et méritoires aux yeux de Dieu,
on cite d’El-Mançoûr l’édification de la grande mosquée,
ainsi que les agrandissements qu’il y ajouta en 377 (3 mai

Derràdj Kastalli (Ibn el-Abbàr, Notic s, p. 146). Us ne sont d’ailleurs
pas cités par le Matmah.On en retrouve d’analogues dans Merràkechi,
Hist. des Almohades, p. 107 de la trad.

(1) On retrouve cette description de la mosquée de Cordoue dans
Makkari (I, 360), qui ajoute encore d’autres détails; cf. aussi Edrisi,
p. 257.

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– 478 –

987). En effet, quand la population de Cordoue s’accrut
[P. 308] et que, par suite de l’immigration de tribus
berbères venues du littoral africain et de l’Ifrikiyya, la
ville devint tout à fait immense, les faubourgs et autres
environs devinrent insuffisants, et la grande mosquée
fut trop étroite pour contenir tous les fidèles. En consé-
quence, El-Mançoûr commença l’agrandissement de
celle-ci du côté Est, là où ce travail était possible par
suite de la contiguïté de l’aile occidentale du palais du
khalife. Le premier accroissement qu’il lui donna porta
sur des nels qui s’étendaient d’un bout à’I’autre de la
mosquée dans le sens de la longueur. Ce qu’il rechercha
dans ce travail, ce fut par dessus tout la solidité et le
fini, mais non l’ornementation, bien que la portion qui lui
est due ne soit inférieure en qualité à aucun des accrois-
sements successifs qui furent faits à cet édifice; il n’en
faut excepter que ce qui fut l’œuvre d’El-H’akam. Lé
premier soin d’Ibn Aboû f Amir fut d’ailleurs de tranquil-
liser les propriétaires des maisons et propriétés de rap-
port du voisinage et dont la démolition était nécessaire,
en les achetant à un prix équitable ou en leur donnant
des dédommagements. Dans la cour il fit creuser le grand
puits, qui est aussi large que le périmètre d’approche
(find). Il fit brûler dans le temple des cierges, en outre
de l’huile antérieurement employée, de sorte que les
deux modes d’éclairage furent appliqués simultanément.
Le nombre des colonnes supportant le toit, les diverses
parties de la construction, les coupoles et le minaret,
tant grandes que petites, était de quatorze cent dix-sept;
les lustres, grands et petits, formaient un total de deux
cent quatre-vingts; on comptait sept mille quatre cent
vingt-cinq veilleuses, et le poids des lamperons de plomb

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– 47Ô –

de celles ci était de dix rob* ou environ; le coton néces-
saire pour les mèches pendant le mois de ramadan fai-
sait un poids de trois quarts de quintal; la consomma-
tion annuelle d’huile était de cinq cents rob’ ou environ,
dont la moitié à peu près était brûlée rien que pendant
le mois de ramadan. .Ce mois à lui seul exigeait trois
quintaux de cire et trois quarts de quintal de coton effi-
loché pour donner du corps à cette cire; le grand cierge
qui brûlait à côté de Timâm pesait de 50 à 60 livres; une
partie en était consumée pendant le jnois sacré, [P. 309]
et tout ce qui en restait était brûlé* dans la nuit du 27. Le
nombre.de ceux qui, sous Ibn Aboû <Amir, étaient atta-
chés au service du dit établissement et y remplissaient
quelque fonction, imâms, lecteurs du Koran, intendants,
muezzins, portiers, allumeurs, etc., était de cent cin-
quante-neuf. La consommation des parfums dans la nuit
du 27 de ramadan était de quatre onces d’ambre gris et
de huit onces de bois d’aloès.

M Une autre de ses œuvres pies fut la construction, sur
le grand fleuve de Cordoue, d’un pont qui, commencé en
378(21 avril 988), fut achevé vers le milieu de l’année 379
(oct.-nov. 989), et qui absorba la somme de cent qua-
rante mille dinars. Ce pont rendit de très grands services
et constitua le principal des titres éminents de celui qui
le fit construire ( 2 ). Comme on ne pouvait, pour l’établir,
éviter de passer par un morceau de terrain appartenant
à un vieillard de la plèbe, El-Mançoûr ordonna à ses
intendants de désintéresser largement le propriétaire.

(1) Ce qui suit, jusqu’à la p. 487, in f., figure dans Makkari (i, 266
et s.).

(2) Le pont de Cordoue est décrit par Edrisi, p. 262, et” par Makkari,
I, 367.

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– 480 –

Celui-ci, qui lut convoqué par eux, était sur ses gardes,
et quand ils lui marchandèrent son terrain en lui disant
Tintérôt qu’il y avait à l’acquérir et l’ordre d’El-Mançoûr
de ne lui en payer qu’un prix équitable,, il leur répondit
en en demandant au moins dix dinars, somme la plus
élevée qu’il s’imaginait pouvoir espérer; il stipula d’ail-
leurs que la monnaie devait être de bon aioi^. Profitant
aussitôt de sa naïveté, les intendants lui payèrent cette
somme et en firent dresser acte. El-Mançoûr, quand ses
agents lui racontèrent la chose, se mit à rire de l’igno-
rance du vieillard, et rougissant de le tromper, lui fit
allouer dix fois le montant de sa demande, en recomman-
dant de le payer en pièces de bon aloi, ainsi qu’il Pavait
stipulé. Le vieillard faillit perdre la tête et devenir réel-
lement fou de joie quand il toucha les cent pièces d’or,
et il courut présenter l’expression de sa reconnaissance
à El-Mançoûr. Cette histoire vola de bouche en bouche.
Il construisit encore, en y dépensant des sommes des
plus élevées, un pont sur le Xenil, fleuve qui arrose
Ecija ; il aplanit les routes difficiles et les ravins abrupts.
Il écrivit de sa propre main un Koran qu’il emportait
avec lui en voyage et qu’il étudiait, [P. 310] attirant
ainsi la bénédiction divine sur lui-même. Plein d’espoir
dans la bonté divine, il avait soin de réunir toute la
poussière qui lui couvrait la face au cours de ses campa-
gnes et dans les combats qu’il livrait aux infidèles; cha-
que fois qu’il s’arrêtait, des domestiques la lui enlevaient
à l’aide de serviettes, et il en ramassa ainsi toute une
grande bourse qui devait, d’après ses ordres, figurer au

(1) Çahîh, que Sauvaire traduit par a dinars entiers» (J. As., 1880,
I, 470).

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– 481 –

nombre des aromates destinés à l’ensevelir ; partout il là
portait avec lui, de même que ses linceuls, dans l’attente
de l’arrivée du moment suprême. Ces linceuls prove-
naient du bénéfice le plus pur provenant de la propriété
qu’il avait héritée de son père, et du tissage de ses filles.
La demande qu’il adressait à Dieu d’être repris par lui
pendant qu’il suivait le sentier de la guerre sainte, fut
exaucée.

Il se distinguait particulièrement par le’ bon fonds de
sa nature, l’aveu qu’il faisait de ses fautes, la crainte
qu’il avait de son souverain Maître, le zèle qu’il mit à
faire la guerre sainte : “l’invocation du nom de Dieu faite
devant lui ne restait pas vaine, la menace des châtiments
divins l’arrêtait”. Il ne céda jamais à toutes les séduc-
tions auxquelles obéissent les princes, sauf cependant
au vin; encore y renonça-t-il deux ans avant sa mort.
Sa justice à l’égard des grands et des petits, son impar-
tialité, ses habitudes, sa manière de rendre à chacun
son dû, fût-ce le plus proche de ses familiers ou de son
entourage, passèrent en proverbe.

Voici un exemple de sa justice. Un homme du com-
mun, se présentant un jour à son audience, l’interpella
en ces termes: « protecteur du droit! je suis victime
d’une injustice de la part de cet esclave qui est à tes
côtés»; et il désigna le porte-bouclier d’Ibn Aboû c Amir,
qui jouissait d’une grande faveur auprès de son maître;
« je l’ai, continua-t-il, vainement appelé devant le juge,
il ne s’est pas présenté. — Quoi ! dit El-Mançoûr, même
c Abd er-Rahmân ben Fot’ays en est à ce degré de fai-
blesse et de laisser-aller! Nous le croyions plus exact
que cela. Expose-moi ta plainte. » L’homme raconta
qu’une affaire ayant été traitée entre eux, son cocontrac-

31

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— 482 —

tant l’avait tranchée sans aucune équité. « A quelles
dures épreuves, s’écria El-Mançoûr, nous exposent ces
gens! » Se tournant alors vers le Slave éperdu : « Remets,
lui dit-il, le bouclier à un tel, descends humblement
[P* 31 1] et présente-toi comme l’égal de ton adversaire
jusqu’au moment où il sera établi que tu as tort ou rai-
son 1 » L’esclave s’étant placé devant lui, il dît à l’officier
de la chorta qui était affecté à son service : a Prends la
main de cet injuste vaurien, mène-le avec son adversaire
par devant le contrôleur des plaintes et que celui-ci
applique la peine la plus sévère, prison ou autre chose,
que mérite ce cas! » Ainsi fut fait, puis le plaignant
revint exprimer sa reconnaissance à El-Mançoûr, qui lui
dit : « Justice t’a été rendue, à toi, et tu peux te retirer ;
il me reste à me faire justice de quelqu’un qui m’expose
au mépris» ; et il infligea toute espèce d’humiliations au
Slave, qu’il éloigna de son service (*).

Voici un autre trait de ce genre. Son principal affran-
chi, connu sous le nom d’El-Mayorki( 2 ), avait eu avec un
marchand maghrébin une contestation qui fut portée
devant le juge et où le serment fut déféré à Mayorki;
mais cet eunuque, qui était alors le principal des servi-
teurs d’El-Mançoûr, dont il dirigeait la maison et le
harem, refusa d’obéir au juge, dans la croyance où il
était que sa situation le soustrairait à cette obligation.
Son adversaire réclama justice à El-Mançoûr pendant
que celui-ci se rendait à la mosquée; le ministre le fit
sur le champ conduire par des gardes auprès du juge,
qui fit exécuter sa sentence. El-Mançoûr, irrité contre
son serviteur, confisqua ses biens et l’exila.

(1) Cette anecdote est rapportée in Mus. d’Esp. (ni, 256).

(2) El-Bourki dans Makkari (i, 267; éd. Boulak, I, 192, 1. 7).

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– 483 –

Une autre anecdote nous montre El-Mançoûr respec-
tant la justice à son propre détriment, à propos de Mo-
hammed, qui était son barbier, son serviteur et son
homme de confiance. Ayant un jour besoin de cet homme,
qu’il appréciait fort, pour se faire saigner, il l’envoya
chercher; mais son messager trouva Mohammed détenu
dans la prison du kâdi Mohammed ben Zerb, qui lui
avait infligé ce châtiment à cause d’actes de violence
à Tégard “de sa femme et bien qu’il crût échapper à la
punition à raison de ses fonctions. El-Mançoûr, informé
par son messager de ce qui se passait, le fit sortir de pri-
son, mais sous la garde d’un geôlier qui devait raccom-
pagner jusqu’à ce que le barbier eût fait le nécessaire,
puis le remmener en prison. Ainsi fut fait, mais le bar-
bier se plaignant du traitement qu’on lui infligeait, El-
Mançoûr l’interrompit : « Celui dont tu te plains est le
kâdi et il est dans son droit ; il m’aurait appliqué la loi
que je ne pourrais m’y soustraire. Retourne donc en pri-
son et avoue tes torts, c’est ainsi que tu pourras recou-
vrer la liberté! » Le chirurgien resta atterré [P. 312] et
vit que la faveur ne pouvait rien. L’histoire parvint aux
oreilles du kâdi, qui réconcilia le prisonnier avec sa
femme, mais dont les jugements n’en devinrent que plus
sévères.

Voici un trait de sa pénétration que rapporte Ibn Hay-
yân. Par une nuit très froide, et alors que le vent et la
pluie faisaient rage, il se tenait assis quand, appelant un
cavalier, il lui dit de se rendre au défilé de Taliaresi 1 ),

(1) Ce défilé se trouvait sur les bords du Minho {Mus. d’Esp., in,
231). Cet incident se produisit au cours de l’expédition dirigée contre
Saint-Jacques de Compostelle [th.); il est aussi rapporté par Makkari
(i, 268).

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– 484 –

de s’y poster et de lui amener le premier passant sur
lequel il mettrait la main. Le cavalier obéit et alla se
poster dans le défilé, où il resta exposé au froid, au vent
et à la pluie, toujours à cheval, quand, non loin de l’au-
rore, vint à passer un vieillard tout décrépit, monté sur
un âne et muni d’outils de bûcheron. Il l’interrogea et lui
demanda où il allait, à quoi le vieillard répondit qu’il
allait couper du bois : \ paraît plutôt avoir ici le sens de emj>ocher t mais
je n’en ai pas d’autre exemple.

(2) La valeur exacte de ces deux expressions techniques m’est
inconnue.

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bibliothèques d’El-Hakam, -en présence des principaux
savants tels qu’El-Açîli (*), Ibn Dhakwân i 2) , Ez-Zobeydi( 3 >,
etc., et ce fut de sa propre main qu’il procéda à ces exé-
cutions W.

Parmi ceux qu ? il frappa pour des raisons analogues à
celles de ces détestables opinions, figure Mohammed
ben Aboû Djom c a ( 5 ), qui parlait, à ce qu’il apprit, d’un
danger, annoncé par les astres, menaçant de mettre fin
à son pouvoir : il lui fit couper la langue, puis le fit exé-
cuter et crucifier, ce qui ferma toutes les bouches. Tel
encore le poète ‘Abd el- c Aziz ben el- Khat’ib < 6 ), dont l’in- (1) Ce personnage s’appelle Aboù Mohammed ‘Abd Allah ben Ibrahim, +392 ; il est parlé de lui par Ibn Fâradhi (n° 758) et par Dhabbi (n* 906). Le ms 851 d’Alger place sa mort en Tannée 400 (f 26 v). (2) Aboù’l-‘Abbàs Ahmed ben ‘Abd Allah ben Harthema ben Dhak- wân devint grand kàdi à G jrdoue et mourut en 413 {Çila, n° 63) ; voir aussi Makkari, n, 243. (3) Aboù Bekr Mohammed ben Hasan Zobeydi est un grammairien célèbre qui fut précepteur de Hichàm (Dhabbi, n° 80 ; Ibn el-Faradhi, n* 1355 ; MatmaJi, p. 53 ; Ibn Khallikàn, m, 83 ; Merràkechi, p. 23, 44 et 80 de la trad. fr. ; Makkari, index). Le premier de ces auteurs le fait mourir vers 330, le second et le quatrième en 379. Cependant il est cité par Merràkechi en 414 comme ayant partagé pendant quelques jours le pouvoir à Séville avec Mohammed ben ‘Abbàd, ce qu’a admis Dozy (Mus. d’Esp.y iv, 12) : or il s’agit non du grammairien, mais de son 111s, aussi appelé Mohammed (le même, AbbacL, i, 234). (4) Il est bien vraisemblable qu’en procédant à cet autodafé, El- Mançoùr n’obéissait qu’à des considérations politiques {Mus. d’Esp., m, 176; cf. ce que dit Makkari, i, 136). (5) Je n’ai retrouvé nulle part le nom’ de ce personnage. (6) Il est fait mention de ce poète dans Dhabbi (n° 1090). Quant aux deux vers qui suivent, dont le premier a été aussi cité par Ibn el- Athir, ils lui sont faussement attribués, car ils forment le commence- ment d’une kacîcla adressée au fatimide El-Mo’izz par Mohammed ben Hàni Andalosi, -f- 362 (voir Pons, Ensayo, n* 37) et figurent dans le divan de ce poète (voir Annales du Maghreb, p. 371 et 664). L’anec- dote ici rapportée est donc apocryphe, au moins partiellement. Digitized by Googk ~*V7ÇW* – 489 – fluence dépassait celle de tous ses confrères et qui resta le principal des partisans d’El-Mançoûr jusqu’au jour où, les dispositions de celui-ci lui étant devenues hos- tiles, son maitre chercha son endroit vulnérable. Or f Abd el- f Aziz ayant composé des vers où il disait, avec quelque exagération : [Kàmit] « Ce que tu veux (voilà ce qui fait loi), et non ce que veulent les destins ; décide donc, car c’est toi qui es l’unique, le dominateur! Tu es comme le prophète Moham- med, et tes compagnons sont comme les Ançâr ; » El-Mançoûr lui fit appliquer cinq cents coups de fouet, fit faire à son sujet la proclamation qu’il méritait, l’em- prisonna et ensuite l’exila d’Espagne. En 381 (20 mars 991), El-Mançoûr commença à dresser son fils ‘Abd el-Melik aux soins du gouvernement et éleva son autre fils c Abd er-Rahmàn au vizirat. Quittant le nom de hâdjib (chambellan), il se fit simplement appeler El- Mançoûr, et fit libeller les lettres ainsi, « de la part d’El- Mançoûr [ben] Aboû f Amir, que Dieu garde ! à un tel », sans plus employer le nom de hâdjib, mais en donnant ce titre, celui de général en chef ainsi que tous ceux qu’il avait eus jusque-là, à son fils f Abd el-Melik, à qui il les attribua et qui fut dès lors le véritable hâdjib. Après cela, il remplaça le djond d’Espagne par des Berbères et se constitua une garde particulière qu’il s’attacha entièrement et qui lut toute à sa discrétion, grâce aux bienfaits dont il la combla. Au bout de très peu de temps elle annihila celle qu’avait formée le khalife El-Hakam, ainsi d’ailleurs que cela s’était fait dans toutes les bran- ches du gouvernements. (1) Il a été dit quelques mots dans le 1. 1 (p. 372) des rapports d’El- Digitized by Googk – 490 – [P. 316] C’est à cette époque W que Bologgin ben Ziri Çanhàdji, s’avançant dans le Maghreb à la tête de ses bandes, tomba sur les tribus des Zenàta pour tirer vengeance de la mort de son père Zirî, et tous ces peuples s’enfuirent devant lui jusqu’à Ceuta, où l’espace leur manqua. On dit alors à Ibn Aboû ‘Amir : « Voilà une occasion que Dieu te fournit de te procurer des cavaliers Zenâta et de te les attacher par la reconnaissance; envoie- leur des messagers pour les faire promptement venir, et tes bienfaits trouveront chez eux de quoi s’exercer. » Sui- vant ce conseil, Ibn Aboû c Amir écrivit aux tribus du littoral africain des lettres où il les appelait à lui en leur promettant de les bien et généreusement traiter, de sorte que ces guerriers passèrent en grand nombre en Espa- gne, où ils se trouvèrent bien et acquirent de grandes richesses. Ils y devinrent les familiers et les intimes du premier ministre et le restèrent jusqu’à sa mort et jus- qu’à l’extinction de la dynastie fondée par lui. Ces tribus berbères se répandirent dans toute l’Espagne et en de- vinrent les maîtres jusqu’au jour où les destins divins les concernant furent réalisés par leurs propres mains. En 386 (25 janvier 996), El-Mançoûr décida que, quand on s’adresserait à lui, on emploierait le titre de seyyid (seigneur), qui lui serait exclusivement réservé, sans qu’on pût désormais l’employer pour aucun autre per- Mançoùr avec le Berbère Zirî ben ‘Atiya. On trouve ailleurs des détails sur sa visite à Cordoue, qui eut lieu vers cette époque (en 382 d’après le Kartàs, p. 64 du texte, reproduit par le Kitûb elistikçà, i, 91); cf. ci-dessus, p. 468. (1) Bologgin fit campagne contre les Zenàta vers 370, et mourut en revenant de son expédition en 373 {Bayân, trad. i, 350, et cf. Annales du Maghreb, 379 et 394 ; ci-dessus, p. 402). Notre compilateur donne donc ici une date bien peu précise. — Au dire du Kartâs (p. 73), les sauterelles firent de très grands ravages en Espagne de 381 à 383. Digitized by Googk — 491 — sonnage de la cour ; mais il respecta d’ailleurs le rang [assigné à chacun] dans les formules d’invocation. Un ordre écrit fut expédié à ce sujet, et cet usage resta en vigueur jusqu’à la fin de sa vie. On s’adressa à lui à [partir de] cette époque en le traitant de « roi libéral » (melik kertm), et on lui rendit les plus grands honneurs et marques de considération. RÉCIT ABRÉGÉ DE L’EXPÉDITION DR SAN YACOB (SAINT- Jacques). — El-Mançoûr étant à cette époque arrivé au plus haut degré de puissance, secouru par Dieu, comme il Tétait, dans ses guerres contre les princes chrétiens, marcha contre la ville de Saint-Jacques, qui est située en Galice et est le plus important sanctuaire chrétien tant de l’Espagne que des régions adjacentes de la Grande terre. L’église de cette ville est pour eux ce qu’est la Ka c ba pour nous; ils l’invoquent dans leurs serments et s’y rendent en pèlerinage des pays les plus éloignés, de Rome et de par delàW. Le tombeau qu’on y va visiter est, prétendent-ils, celui de Jacques, lequel était, d’entre les douze Apôtres, le plus intime avec Jésus et que l’on dit être son frère, parce qu’il était toujours auprès de lui; certains chrétiens disent qu’il était fils de Joseph le charpentier. C’est dans cette ville qu’il fut inhumé» [P. 31 7] les chrétiens le disent frère du Seigneur (Allah soit hautement exalté et domine pareil dire!). Jacques, nom qui répond à notre Ya f k’oûb, était évêque à Jérusa- lem et se mit à parcourir le monde pour prêcher sa doc- trine ; il passa en Espagne et arriva jusqu’en cette région, (1) On trouve la tradition chrétienne rapportée par Florez et rap- prochée de ce que dit notre texte in Mus. d’Esp. (m, 228). Voir éga- lement les expressions presque identiques de Makkari (i, 270), ainsi qu’Edrisi, La geo’grafla de Espaiîa, trad. Saavedra, p. 76. Digitized by Google – 492 – puis retourna en Syrie, où il fut mis à mort âgé de cent vingt années solaires; mais ses compagnons rapportè- rent ses ossements pour les inhumer dans cette église, qui était le point extrême où il avait porté son activité. Nul prince musulman n’avait eu encore envie d’attaquer cet endroit ni de pousser jusque-là, à raison des difficul- tés d’accès, de son emplacement tourmenté ainsi que de la grande distance. El Mançoûr dirigea contre cette ville l’expédition esti- vale qui quitta Cordoue le samedi 23 djomâda II 387 (3 juil. 997) et qui était sa quarante-huitième campagne. Il entra d’abord dans la ville de Coria, puis quand il fut arrivé dans la capitale de la Galice [Viseu](*>, il fut
rejoint par un grand nombre de comtes qui reconnais-
saient son autorité, et qui se présentèrent avec leurs
guerriers et en grande pompe, pour se joindre aux
musulmans et ensuite engager les hostilités de leur côté.
D’après les ordres d’El-Mançoûr, une flotte considérable
avait été équipée dans le lieu dit K’açr Aboû Dânis
(Alcacer do Sal), sur le littoral occidental, flotte montée
par les marins et transportant les divers corps de fan-
tassins, ainsi que les vivres, les approvisionnements et
les armes. Ces préparatifs le mettaient en et jt de pousser
les opérations jusqu’au bout. Arrivée à un certain point
[nommé] Porto et situé sur le fleuve Duero, la flotte
remonta cette rivière jusqu’à l’endroit désigné par El-
Mançoûr pour le passage du restant des troupes, et elle
servit ainsi de pont à cet effet, près du château-fort qui
se trouvait là. Les vivres furent ensuite répartis entre

(1) On voit que ce nom de Galice désigne ici la province de Beira
en Portugal {Mus. cl’Esp., m, 23Q).

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– 493 –

les différents corps de troupes, qui furent largement
approvisionnés et entrèrent en pays ennemi.

Prenant la direction de Saint-Jacques, El-Mançoûr
parcourut de vastes étendues de pays, franchit plu-
sieurs grandes rivières et divers canaux où refluent les
eaux de l’Océan; on arriva ensuite à de grandes plaines
appartenant au pays de Valadares, de Mabàsita, d’Ed-
Deyr et des régions voisines; de là on s’avança [P. 3 18]
vers une montagne élevée, très abrupte, sans route ni
chemin, mais sans que les guides pussent indiquer une
autre direction. Sur l’ordre d’El-Mançoûr, des ouvriers
employèrent le fer pour élargir les crevasses et aplanir
les sentiers, de sorte que l’armée put passer. Après avoir
ensuite franchi le Minho, les musulmans débouchèrent
dans de larges plaines et des champs fertiles, et leurs
éclaireurs parvinrent jusqu’à Deyr K’ostânW et à la
plaine de Balbenoût'(2) sur l’Océan Atlantique ; la forte-
resse de San Balayo( 3 ) fut emportée et livrée au pillage,
et après avoir franchi un marais on arriva à une lie de
l’Océan dans laquelle s’étaient réfugiés un grand nom-
bre des habitants de ces territoires. Les envahisseurs
les firent prisonniers et arrivèrent à la montagne de
Morazo, que l’Océan entoure de presque tous les côtés;
ils s’y engagèrent, en chassèrent ceux qui l’occupaient et
firent main-basse sur le butin. Ils franchirent ensuite le
canal de Lourk’i par deux gués que leur indiquèrent les
guides, puis la rivière d’Ulla, et arrivèrent à des plaines

(1) Kacfiân dans Makkari, éd. de Boulak (î, 194) ; le cloître des
saints Cosme et Damien, entre Bayona et Tuy, qui reçut plus tard le
nom de San Colmado {Mus. d’Esp., m, 233). *

(2) Balenbou dans les deux éditions de Makkari.

(3) San Payo, d’après Dozy {Mus. d’Esp., ni, 233).

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– 494 –

très bien cultivées et abondamment fournies, entre
autres celles d’Ounba, de K’ardjita et de Deyr Sontebria.
Ils parvinrent ainsi au canal d’Ilya [Iria ou El Padron],
où se trouvait un des oratoires consacrés à Saint- Jacques
et qui, aux yeux des chrétiens, vient par rang de mérite
après celui qui renferme le tombeau; aussi les dévots
s’y rendent-ils des régions les plus éloignées, du pays
des Coptes, de Nubie, etc. Après l’avoir entièrement rasé,
ils allèrent camper devant l’orgueilleuse ville de Saint-
Jacques le mercredi 2 cha c bân (10 août) ; tous les habi-
tants l’avaient abandonnée, et les musulmans s’emparè-
rent de tout le butin qu’ils y trouvèrent et en abattirent
les constructions, les murailles et l’église, si bien qu’il
n’en resta plus trace. Cependant des gardes placés par
El-Mançoûr firent respecter le tombeau du Saint et em-
pêchèrent qu’on n’y fit aucun dommage ; mais tous ces
beaux palais si solidement bâtis furent réduits en pous-
sière, et Ton n’eût pas soupçonné qu’ils existaient la
veille. Cette destruction fut opérée le lundi et le mardi
qui suivirent le mercredi 2cha f bân. Les troupes conqui-
rent ensuite toutes les régions voisines [P. 310] et arri-
vèrent jusqu’à la presqu’île de San MânkachW, qui
s’avance dans l’Océan Atlantique, point extrême où nul
musulman n’était encore parvenu et qui n’avait élé foulé
par d’autres pieds que ceux de ses habitants. Ce fut la
limite au-delà de laquelle les cavaliers ne s’avancèrent
pas.

Quant à El-Mançoûr, ce fut de Saint-Jacques qu’il
battit en retraite, après s’être avancé plus loin qu’aucun
musulman avaçt lui. En s’en retournant il fit route par le

(1) San Gosme de Mayanca, près la Corogne (ib. t 234).

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territoire de Bermude [II] fils d’Ordono, afin de le ravager
et le dévaster en passant; mais il cessa les hostilités
en arrivant dans le pays qui obéissait aux comtes confé-
dérés qui servaient dans son armée. Il poursuivit ainsi
son chemin jusqu’à ce qu’il arrivât .au fort de Lamego,
qu’il avait conquis, et où il donna congé à tous les com-
tes, les faisant défiier chacun à son rang et leur faisant,
à eux aussi bien qu’à leurs soldats, des distributions de
vêtements. Ce fut de là aussi qu’il envoya à Cordoue la
relation de ses victoires. ]La distribution des vêtements
qu’il fit dans cette campagne, tant aux princes chrétiens
qu’aux musulmans qui s’étaient distingués, consista en
deux mille deux cent quatre-vingt-cinq pièces de soies
diverses brodées, vingt-et-un vêtements de laine marine,
deux vêtements ‘anberi (*), onze ciclaton (soie brodée
d’or), quinze morayyachat (étoffes à ramages), sept tapis
de brocard, deux pièces de brocard roûmi, et des four-
rures de fenek. L’armée tout entière rentra à Cordoue
saine et sauve et chargée de butin, après une campagne
qui avait été une grâce et un bienfait pour les musul-
mans, Dieu en soit loué I

A Saint-Jacques, El-Mançoûr n’avait trouvé qu’un
vieux moine assis près du tombeau, et il lui demanda
pourquoi il se tenait là: « C’est, répondit le moine, pour
honorer Saint-Jacques. » Le vainqueur donna l’ordre de
le laisser tranquille.

Voici comment s’exprime El-Fath’ ben Khâk’âni 2 ) :
a “El-Mançoûr donna la plus énergique frottée aux terri-

(1) C’est à dire, d’après Dozy, fails de peau de cachalot.

(2) Ce passage est également donné comme extrait du Matmah par
Makkari (i, 262), mais on ne le retrouve pas dans l’édition imprimée
de cet ouvrage.

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— 496 —

toires polythéistes, enleva à leurs rebelles habitants
toute idée d’orgueil et de jactance; il laissa leur pays
gisant, les laissa eux-mêmes plus humiliés qu’un pieu
enfoncé dans le sol ; toujours’livrant leurs terres aux
ravages, il lançait droit dans leurs entrailles les flèches
des calamités ; la mort que maniaient ses mains angois-
sait leurs âmes, les maux qu’il leur faisait empoison-
naient chacun de leurs jours. Voici à ce propos l’un des
faits les plus clairs, [P. 320] des événements les plus
démonstratifs. Un de ses envoyés, qui visitait très fré-
quemment ces pays, se rendit dans un de ses voyages au-
près de Garcia, seigneur du pays basque, qui le reçut un
jour de Pâques, ne cessa de lui donner des marques
d’honneur et de lui prodiguer les plus hauts signes de
respect et de zèle. Le séjour de renvoyé se prolongeant,
il n’y eut pas de pavillon de plaisance où il n’allât se diver-
tir, pas de lieu où il ne fût reçu. Il visita ainsi la plupart
des églises, et comme un jour il était dans l’enceinte de
l’une d’elles et promenait ses regards sur les contours de
l’édifice, une femme vieillie dans la captivité, droite en-
core malgré la durée dé son malheur, se présenta à lui et,
l’interpellant, lui fit reconnaître qui elle était ; elle deman-
da si c’était volontairement qu’El Mançoûr, vivant dans
les délices, oubliait son malheur à elle et jouissait des
plaisirs d’une tranquillité qu’elle ne connaissait pas ; de-
puis de nombreuses années, dit-elle, elle était prisonnière
d-ans ce “temple, vouée à l’humiliation et à l’abaissement.
Elle l’adjura au nom de Dieu de faire connaître son his-
toire et de mettre un terme à son angoisse ; elle lui fit
prêter pour cela les serments les plus sacrés et exigea
de lui les engagements les plus stricts pris au nom du
Miséricordieux. L’envoyé d’El-Mançoûr fit à son retour

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– tel –

connaître à son maître les choses qu’il avait mission
de lui faire savoir; ce dernier, après l’avoir écouté
muet et sans l’interrompre, l’interrogea : « N’as-tu eu
là connaissance de rien de blâmable, ou bien n’as-tu
appris que ce que tu viens de dire ? » L’officier raconta
alors l’histoire de la femme, dit ce qu’elle lui avait fait
jurer de rapporter à El-Mançoûr et les engagements
qu’elle lui avait fait prendre. Son maître le blâma et le
réprimanda de n’avoir pas commencé par là, puis aussi-
tôt prépara la guerre sainte, passa en revue ses guer-
riers de toutes provenances, et, beau comme Merwân
au jour du combat de Merdj (*), sauta en selle pour faire
campagne. Quand il arriva auprès du fils de Sancho,
qu’entouraient ses partisans, une crainte respectueuse
envahit les organes du chrétien, qui s’empressa de lui
adresser une lettre pour s’enquérir de la faute qu’il avait
commise, lui jurer de la façon la plus formelle qu’il ne
s’était rendu coupable d’aucun crime et ne s’était en
rien écarté de la voie de l’obéissance. Les porteurs de
ce message furent sévèrement accueillis : « Votre maî-
tre, leur fut-il dit, m’a garanti qu’il ne reste plus dans
son pays ni captif ni captive, rien même de ce que peut
contenir le gésier d’un oiseau de proie. Or j’ai appris
[P. 321] qu’il y a encore telle vieille dans telle église,
et je prends le ciel à témoin que je ne m’en irai d’ici
qu’après l’avoir vue en mon pouvoir. » Lé comte alors
lui envoya cette femme avec deux autres, jurant quM

(1) Merwàn ben Hakam, à la tète des Kelbites, défit à Merdj er-
Rahît les Kaysites et les partisans d’Ibn Zobeyr en 64 Hég. (lbn
‘Badroun, 185; Mas’oudi, Prairies d’or, v, 281 ;Weil, Gesch. der Cha-
lifen, i, 348; Dozy, Mus. d’Esp., i, 133, etc.).

32

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“H

– 498 —

ne les avait pas vues ni n’en avait entendu parler, et
ajoutant, pour confirmer son dire, qu’il avait commencé
à faire de son mieux pour démolir l’église qui lui avait
été indiquée. Il s’humilia pour s’être, par sa négligence,
attiré des reproches, et El-Mançoûr, trouvant. ses excu-
ses suffisantes, se retira”.