Diodore de Sicile, XXII, Pyrrhus attaque Lilybée (Marsala), v. 20 av. n-è

Pyrrhus, ayant rétabli les affaires dans Syracuse et Léontium, se dirigea sur Agrigente. Pendant qu’il était en route, quelques messagers, montés sur des bâtiments, vinrent lui dire que la garnison des Carthaginois avait été chassée de la ville où on l’avait gardée seulement pour empêcher Phintias de se proclamer tyran d’Agrigente ; ils lui annonçaient en même temps que la ville allait se livrer à lui, et conclure une alliance. En effet, dès que le roi eut atteint Agrigenle, Sosistrate lui livra la ville ainsi que les troupes, composées de huit mille hommes d’infanterie et de huit cents cavaliers, soldats aguerris et qui ne le  cédaient en rien aux Épirotes eux-mêmes. Il reçut la soumission de trente autres villes dont Sosistrate était le souverain. Après cela, Pyrrhus envoya chercher à Syracuse des machines de siège, ainsi qu’une grande quantité d’armes de trait. Puis, il envahit les possessions des Carthaginois avec une armée de trente mille hommes d’infanterie, de quinze cents cavaliers et de quelques éléphants. Il soumit d’abord la ville d’Héraclée, défendue par une garnison carthaginoise. Il s’empara ensuite d’Azones. Les Sélinontins se joignirent au roi, ainsi que les habitants d’Halycie, d’Égeste et beaucoup d’autres villes. La ville d’Érycine était défendue par une garnison carthaginoise considérable, et, par sa position, elle était très difficile à prendre ; Pyrrhus résolut de l’assiéger et de la prendre d’assaut. Il fit donc approcher ses machines de guerre. Le siège fut long et opiniâtre ; le roi, qui voulait se couvrir de gloire et marcher sur les traces d’Hercule, monta le premier sur les remparts, et là, combattant en héros, il tailla en pièces tous les Carthaginois qui se précipitaient sur lui. Ses amis vinrent à son aide, et la ville fut prise de vive force. Après avoir mis une garnison, il s’avança vers Égine, ville très forte et très bien située près de Panorme. Les Iétiens s’étant soumis volontairement, il vint aussitôt se présenter devant Panorme, ville qui possède le plus beau port de la Sicile ; c’est de là même qu’elle tire son nom. Il l’emporta de même d’assaut; et, s’étant emparé de la forteresse d’Erctes, il devint maître de toutes les possessions des Carthaginois en Sicile, à l’exception de Lilybée. Les Carthaginois avaient bâti cette ville après que le tyran Denys leur eut enlevé Motye. Ils peuplèrent Lilybée avec les débris de la population de Motye. Pendant que Pyrrhus était occupé des préparatifs de siège, les Carthaginois débarquèrent à Lilybée des forces considérables ; et comme ils étaient maîtres de la mer, ils y firent parvenir une grande quantité de blé, des machines de guerre et des armes de trait. Cette ville étant en grande partie baignée par la mer, les habitants défendirent l’accès du côté de la terre par des tours nombreuses et par un vaste fossé. Ils envoyèrent cependant des députés au roi pour lui proposer un traité de paix et pour lui faire l’offre d’une somme d’argent très considérable. Mais Pyrrhus refusa cet argent; il était même disposé à laisser Lilybée aux Carthaginois; mais ses courtisans, ainsi que les députés des villes, le détournèrent d’une telle résolution, lui conseillant de ne laisser aux Carthaginois aucune entrée en Sicile, de les chasser de l’île entière, et de ne laisser à leur empire d’autre limite que la mer. Aussitôt le roi dressa son camp près des murs de la ville, et les fit battre à coups redoublés; mais les Carthaginois le repoussèrent vigoureusement tant par leur nombre que par la puissance de leurs machines de guerre. En effet, ils avaient une telle quantité de catapultes pour lancer des traits et des pierres, que le mur de la ville n’était pas assez vaste pour les contenir. Aussi les projectiles pleuvaient-ils sur les assiégeants qui tombèrent ou furent blessés en si grand nombre que Pyrrhus faillit succomber. Outre les machines de guerre qu’il avait apportées de Syracuse, il entreprit d’en construire d’autres; il fit aussi miner les murs pour les faire crouler. Mais la résistance des Carthaginois d’une part, et de l’autre la nature d’un sol rocailleux sur lequel était bâtie Lilybée, décidèrent Pyrrhus à regarder cette ville comme imprenable et le forcèrent à lever le siège qui avait duré deux mois. Le roi tourna alors ses vues du côté de la mer dont il voulut se rendre maître avec une flotte considérable, afin de débarquer des armées en Libye.