D. Busnot, Histoire du règne de Moulay Ismail, 1714 : Ecuries de Meknès

Les femmes et les enfants du roi de Maroc auraient un sort plus heureux s’il les aimait autant que ses chevaux et s’il en avait autant de soin. Mais comme il traite les hommes en bêtes, il semble trai­ter les bêtes en hommes. Ménager à l’excès pour sa
famille, il n’épargne rien pour ses chevaux. Ses roües ou écuries sont ce qu’il y a de plus beau dans tout son palais. Elles consistent dans deux rangs d’arcades qui sont comme deux galeries parallèles et en face l’une de l’autre, d’une longueur de près de trois quarts de lieue, distantes entre elles de 30 à 40 pas. Sous ces arcades sont les chevaux, attachés à la mode du pays, par les quatre pieds à deux anneaux, l’un devant et l’autre derrière le cheval, avec des cordes de crin. Par le milieu de cet espace est un canal d’eau courante, couvert de carreaux, sur lequel, de distance en distance, sont bâties de petites loges en forme de dôme où l’on serre les équipages et harnachements et sous lesquelles le canal est ouvert afin de puiser l’eau pour abreuver les chevaux. Leur nourriture est de la paille menue avec des herbes odoriférantes qu’ils mangent à terre et de l’orge qu’on leur pend à la tête dans un sac en forme de muselière, car il n’y a ni auge ni râtelier. Leur litière est de la sciure de bois. Pendant deux mois de l’année on les met au vert sous des hangars en leur donnant de l’orge verte et les laissant tout ce temps-là sans les panser.
Il n’y a dans ces écuries qu’environ six cents che­vaux d’élite que le roi a soin de visiter tous les jours et s’il trouve qu’ils ne sont pas en l’état qu’il entend, il fait de cruelles exécutions. Deux esclaves, l’un chrétien et l’autre noir, ont la charge de dix che­vaux et leur exactitude à tenir tout dans la dernière propreté doit erre si grande qu’il leur en coûterait la vie si le roi trouvait à terre seulement un peu de paille. Parmi ces chevaux, il v en a que les Maures regardent comme saints parce qu’ils ont été à La Mecque. Ils sont dispensés de tout travail et le roi même n’ose les monter. Il faut que les esclaves qui en ont soin aient une attention tout à fait grande quand ils veulent se vider, afin de leur pré­senter un vaisseau et qu’ils ne fassent pas à terre. Ces saints chevaux sont des asiles pour tous ceux qui auraient encouru l’indignation du roi ou com­mis quelque crime. Dès qu’ils peuvent se jeter entre leurs jambes, ils sont sûrs de leur grâce. Le roi étend quelquefois ce droit d’asile à ceux qu’il monte.