Az-Ziani, Chronique Alaouite 2 : de 1730 à 1760

PREMIER RÈGNE DE MAULAY ABDALLAH BN ISMAÏL.

Après la mort du sultan Ahmad Eddhehebi, les princi-
paux membres du gouvernement et du diwan des Abids
s’accordèrent pour proclamer souverain Abdallah qui, en
ce moment, se trouvait à Tafilalt 2. Ce prince avait accom-
pagné son frère Abdelmalek au moment de son départ du
Sous; mais quand celui-ci s’était enfui à Fâs, il l’avait aban-
donné et s’était retiré dans sa maison à Tafilalt. Aussitôt
après avoir déclaré Abdallah souverain, et avoir annoncé
solennellement son avènement à l’armée, les principaux
personnages de l’Etat expédièrent un détachement de cava-
lerie pour aller chercher le nouveau sultan. Us écrivirent
ensuite aux habitants de Fâs une lettre de condoléance au
sujet des pertes en hommes qu’ils avaient faites durant le

1 Le mot qobba désigne une petite construction de forme carrée surmontée
d’un dôme; elle recouvre généralement les cendres d’un pieux personnage,
mais elle peut être aussi destinée seulement à consacrer l’endroit où un saint
musulman s’est reposé.

1 Tafilalt doit être le nom moderne de Sijilmasa, car l’auteur emploie
indifféremment l’une ou l’autre de ces dénominations. Il se pourrait néan-
moins, comme on l’a cru jusqu’ici,que l’emplacement de Tafilalt ne fût pas
tout à fait le même que celui de Sijilmasa.
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—w( 65 )•«—
dernier siège, et ils insistèrent auprès d’eux pour qu’ils re-
nonçassent à toute résistance et qu’ils reconnussent l’autorité
du sultan Abdallah. Cette lettre lue en chaire, à la mosquée
d’Elqarouïin 1, fut accueillie favorablement par la population,
qui promit de jurer fidélité au souverain dès qu’il viendrait.
Arrivée à Tafilalt, l’escorte ramena le sultan et, lorsqu’il
fut campé près de la ville, à l’endroit appelé Elmihras, les
ulémas, les chérifs et les notables de Fâs se portèrent à sa
rencontre et lui présentèrent leurs hommages. Tout joyeux
de leur accueil, le sultan leur témoigna la plus grande
bienveillance et leur promit de venir le lendemain faire
un pèlerinage au tombeau de Maulay Idris. Parés de leurs
plus beaux vêtements et de leurs armes, les habitants de
Fâs, précédés de leurs bannières, se trouvèrent le lende-
main au rendez-vous fixé par le sultan. Dès que ce cortège
fut arrivé au camp, Abdallah monla à cheval et, entouré de
ses serviteurs et de toute sa suite, il se dirigea vers la ville
par le chemin qui aboutit à la porte d’Elfeth.

Dans l’entourage du sultan se trouvait Hamdoun Errousi,
l’ennemi juré des habitants de Fâs. Certains courtiers d’in-
surrection, les fils de Bn Youcef, se concertèrent pour
assassiner Hamdoun, qui avait tué leur père, quand il
entrerait dans la ville. Hamdoun, qui les avait remarqués,
s’était d’abord éloigné de l’endroit où ils étaient; mais se
voyant suivi par eux, il comprit leur dessein et, s’élan-
çant au galop de son cheval, il arriva auprès du sultan
et lui raconta ce qu’il venait d’observer. Le cortège se trou-
vait alors sur le pont d’Erresif. Le sultan retourna sur ses

Qarouïin est le pluriel de qarouï, adjectif ethnique de Qaïrouân; la forme
Qaïrouâni est également admise.
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—-».( 66 ).«—

pas, prit le chemin de la mosquée d’Elhout et, passant par
Djcza bon Amer, il sortit par la porte d’Elhadid sans avoir
accompli le pèlerinage du tombeau de Maulay Idris, puis il
entra dans Fâs al-Jadîd. Personne, à ce moment, ne con-
nut le motif de celte détermination. Le lendemain, les habi-
tants de Fâs, ayant à leur tête leur cadi, leurs ulémas, leurs
chérifs et leurs notables, se rendirent auprès du sultan, lui
jurèrent fidélité et lui offrirent leurs présents. Ayant ap-
pris alors la cause de l’incident de la veille, les juriscon-
sultes assemblés adressèrent au sultan, en manière d’excuse,
un discours dans lequel ils affirmaient que ce qui s’était
passé était le fait de quelques fous. Sans rien répondre à ce
discours, Abdallah reçut leur serment et leurs présents, puis
il les invita à désigner parmi eux les cinq cents archers rjui
devaient l’accompagner. Ces hommes furent désignés et par-
tirent avec le sultan.

Quand on arriva près de Miknâs, les Qâ’ids des Abids,
à la tête de leurs soldats, se portèrent avec les Qâ’ids des
Arabes et des Berbères à la rencontre du sultan, qui entra
dans sa capitale en déployant une pompe inusitée. Les ulé-
mas, les chérifs et les notables vinrent le reconnaître so-
lennellement, ainsi que de nombreuses députations arrivées
de tous les points du Maghreb. Il tint audience pour rece-
voir tous ces hommages et, quand il eut terminé, il distribua,
selon l’usage, de l’argent à tout le monde excepté aux gens
de Fâs qu’il exclut de ses libéralités. Lors de l’Aïd Esseghir,
ces derniers, ayant à leur tête leurs ulémas, leurs chérifs et
leurs talebs, apportèrent leurs cadeaux et, comme de cou-
tume, ils accompagnèrent le sultan au Mosalla 1 pour la

‘ Dans les villes importantes, il est rare que la mosquée principale soit asse
grande pour contenir toute la population. Dans les grandes cérémonies reli
Vue 84 sur 346
–i-3.( 67 ).ci~

prière de la fête. La prière terminée, Abdallah fi! remettre
de l’argent à tous ceux qui étaient venus des villes et
des campagnes assister à cette cérémonie, mais, cette fois
encore, il ne donna rien aux Ahl Fâs. Le lendemain, il
ordonna à ces derniers de comparaître au conseil, et quand
ils furent en sa présence, il leur dit: «0 Ahl Fâs, écri-
vez à vos concitoyens qu’ils me livrent leurs forteresses 1 et
leurs bastions qui appartiennent au gouvernement et for-
ment un des apanages de la couronne; s’ils s’y refusent,
j’irai moi-même ruiner leur misérable cité. r> Les envoyés
de Fâs se déclarèrent prêts à obéir à cet ordre, mais le
soir même, à peine étaient-ils de retour dans leur camp,
qu’ils partirent à la faveur de la nuit, et le lendemain matin
ils entrèrent dans Fâs. Dès que les envoyés eurent transmis
à leurs concitoyens le discours du sultan, ceux-ci furent una-
nimes à refuser la cession des forteresses et des bastions;
ils députèrent des ulémas, des chérifs et des notables inter-
céder en leur faveur auprès du souverain, qui ne voulut
pas les écouter et les renvoya sans leur rien accorder. On
décida alors d’envoyer un présent, offert par les négociants
de la ville, que des notables et des commerçants furent
chargés de porter au sultan. Mais les Udaya arrêtèrent
ces envoyés, les dépouillèrent des cadeaux qu’ils portaien’
et les retinrent prisonniers dans Fâs al-Jadîd; ils avaient,
disaient-ils, reçu l’ordre de mettre le siège devant Fâs.
Aussitôt la révolte contre le souverain fut proclamée dans
la ville; on invita ceux qui voulaient rentrer dans leurs

gieuses, l’office se fait alors sur une grande place entourée d’un mur. Cet en-
droit, appelé Mosalla, est réservé aux prières solennelles.

La forme qesâbi, pluriel du mot fjnsbali, n’est pas donnée dans les dic-
tionnaires.
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—y>( 68 )•«—

pays à faire leurs préparatifs et à sortir dans les trois jours,
puis les portes de la ville furent fermées.

Le i5 du mois de chaoual de cette année, le sultan Abd-
allah, qui venait d’être informé de ces événements, se mit
en marche et campa bientôt avec toute son armée sous les
murs de Fâs, qu’il investit complètement. Il permit à ses
soldats de tout dévaster, de couper les arbres, de détruire
les maisons et de saccager les cultures et les potagers; puis
il empêcha les habitants de venir à la rivière. De tous les
côtés, à chaque porte de la ville, des engagements eurent
lieu nuit et jour; les artilleurs, les renégats et les chrétiens
lancèrent continuellement dans la place de la mitraille, des
bombes, des boulets et des pierres, ne laissant ainsi aucun
instant de repos aux habitants de Fâs, qui bientôt désespé-
rèrent du succès de leur résistance. Par suite de l’investis-
sement le prix des denrées s’était élevé, ce qui avait pro-
voqué des émeutes; les assiégés envoyèrent donc demander
la paix. Mais comme le sultan maintenait ses prétentions
sur les forteresses et sur les bastions, ils reprirent les armes
et continuèrent courageusement le combat jusqu’au moment
où, décimés par la guerre, ils durent renoncer à la lutte.
Ils consentirent à livrer leurs forteresses et la paix fut con-
clue, par l’entremise du Qâ’idMuhammad Esselouï 1, au mau-
solée de Maulay Idris. Les notables et les chérifs accompa-
gnèrent le Qâ’id à Fâs al-Jadîd, et là ils eurent une entrevue
avec le sultan; celui-ci les traita généreusement et donna
1,000 dinars aux ulémas et aux chérifs et des habits aux
notables; puis il nomma Al-Hajj Esselouï Qâ’id de Fâs. Le

1 Le texte porte Esselouï, mais je crois qu’il faut lire Esselâouï trie Sa-
létini.
Vue 86 sur 346
—«.( 69 )•«—

second jour de la fête de Mouloud 1, le nouveau Qâ’id entra
dans la qasba de la ville; il répartit ses compagnons dans
les bastions, et le premier acte de son administration fut de
faire mettre à mort le cheikh Dahmân Enneggâd. Aussitôt
informé de ce meurtre, le sultan révoqua le Qâ’id Elhajd
Esselouï et nomma à sa place Elbadisi ould Hamdoun Er-
rousi, qu’il destitua, peu de temps après, pour le remplacer
par Abdennebi bn Abdallah.

Le sultan quitta Fâs au mois de rebia I 11^12 (octobre
1729). Cette année-là, il envoya son fils Sidi Muhammad
accomplir le pèlerinage de la Mecque. Ce prince, qui n’était
pas encore pubère, car il n’avait que dix ans, était accom-
pagné de sa mère Khenatsa bnt Bekkar. Bntré à Miknâs,
Abdallah s’aperçut que les tribus avaient repris leurs an-
ciennes habitudes : elles possédaient, de nouveau, des armes
et des chevaux, dont elles se servaient pour piller leurs voi-
sins et infester de leurs brigandages les routes du Maghreb.
Il ordonna alors aux Abids de se préparer à entrer en cam-
pagne, afin de pacifier le pays. Puis il partit clans le dessein
de gagner Tâdla et de réduire les Aït Yemmour. Cette
tribu, chassée de son territoire par les Ait Mâlou, s’était
établie près de Tâdla et, par ses déprédations, elle causait
un grand préjudice aux habitants de la ville, qui, à maintes
reprises, avaient porté leurs plaintes au sultan. Dès qu’ils ap-
prirent l’arrivée des troupes, les Aït Yemmour s’enfuirent sur
le territoire des Aït Ysri, mais le sultan les y poursuivit et, dans
le combat qu’il leur livra sur les bords de l’Wad Elabbâd 2,

La fête du Mouloud ou de la nativité du Prophète tombe le 10 du mois
de rebia I.

C’est sans doute l’affluent de l’Omm Errebia nommé Wad Elabid sur les
cartes.
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—«.( 70 )•«—

il leur tua un millier d’hommes et s’empara de leurs ri-
chesses.

En revenant de Tâdla, Abdallah fit mettre à mort vingt
des notables de Fâs qui l’avaient accompagné dans son ex-
pédition. Il écrivit ensuite aux habitants de cette dernière
ville pour se justifier de cette sanglante exécution et de-
manda qu’on lui désignât un nouveau contingent. Ce con-
tingent, aussitôt réuni, fut taillé en pièces, à Bas Elma,par
Hamdoun Errousi qui, le lendemain, fit en outre mettre à
mort AbdelouahedBettir et Muhammad bnElachheb,près
de la porte de la prison. Les cadavres de ces deux person-
nages furent traînés dans les rues. Le surlendemain, Ham-
doun ordonna de démolir les portes d’Elmahrouq,.d’Elgui-
cha, d’Elhadid, d’Eldjedid et d’Elfotouh et d’en transporter
les vantaux à Fâs al-Jadîd. Puis, le icr moharrem ii/i3
(17 juillet 1730), if fit commencer la démolition des rem-
parts, dont les matériaux furent également emportés à Fâs
la neuve. Le sultan ayant ensuite écrit qu’il pardonnait aux
Ahl Fâs, Hamdoun Errousi prit la fuite et se réfugia à
la zaouïa de Zerhoun.

Au retour de son expédition, le sultan nomma Ettaïeb
bn Djelloul gouverneur de Fâs. Jamais cette ville n’eut à
supporter un chef plus odieux que ce personnage tyran-
nique et brutal, qui mérita d’être appelé le Hedjdjadj 1 de
son temps. Ce fut lui qui suggéra au sultan l’idée de s’em-
parer des grains que les Arabes avaient dans la ville. Comme
il s’occupait de les recueillir, les chérifs vinrent solliciter du
souverain le retrait de celte mesure, mais celui-ci les ren-

1 Heddjadj, général du calife Abdelmalek bn Merouan s’est rendu célèbre
non seulement par ses talents militaires, mais encore par sa cruauté qui est de-
venue proverbiale.
Vue 88 sur 346
— K>.( 71 ).e-i—

voya après les avoir accablés d’injures. Poursuivant le cours
de ses méfaits, Ettaïeb fit périr Ahmad Forsadir bn Moussa,
devant la porte delà Medressa des Soffârin,puis il préposa
au service des successions et à la direction du diwan des
mulâtres, un personnage de son acabit, Abdelouahed bn
Souda. Au mois de chaaban 1 ihh (janvier 1782), étant à
Tâdla, le sultan fit mettre à mort cet Abdelouahed bn
Souda, puis, lorsqu’il fut de retour à Miknâs, il fit arrêter
et emprisonner Ibn Djelloul, qui était venu lui offrir des
présents. Abdellatif bn Abdelkhâleq Errousi fut alors
nommé gouverneur de Fâs.

Cette année-là, on termina la porte de Mansour Eleuldj
et les remparts de la qasba. Abderrezzâq ould Ali bn
Ychchou fut envoyé à Fâs ; il fi t arrêter les négociants de celte
ville et, pénétrant dans leurs maisons et leurs boutiques, il
parvint à réunir une somme de 120,000 dinars. Le sultan
ayant déclaré se contenter de cette somme, les négociants
accompagnèrent Abderrezzâq, qui allait verser l’argent re-
cueilli. Lorsqu’ils furent en présence du sultan, celui-ci exigea
une contribution plus considérable et fit jeter les négociants
en prison. Puis, irrité également contre Abdellatif Errousi,
qui avait tardé à lui envoyer des archers], il ordonna
d’abord de le frapper et ensuite de lui trancher la tête.

En 1 i h 5 ( 17 3 2 -17 3 3), le sultan entreprit une campagne
pour pacifier le Sous. Au retour, il donna aux chrétiens et
aux Chaânba l’ordre de démolir la ville de Erriàdh, qui était
la parure et la joie de Miknâs. Erriâdh renfermait les
maisons des gouverneurs, des secrétaires, des Udaya et
de tous les fonctionnaires du gouvernement du sultan Is-

 

 

maïl qui y avaient fait bâtir leurs demeures. Ismaïl, lui même, en avait fait construire la grande mosquée, la medressa, les bazars et les bains; les négociants venaient dans

cette ville apporter leurs marchandises. Dix jours à peine
s’étaient écoulés, qu’il ne resta plus là qu’un monceau de
décombres. Cette année, le sultan fit périr, au moment
même où ils se présentaient devant lui, Moussa Eldjerâri,
ainsi que trois cents hommes des Oulad Djerâr qui reve-
naient d’expédition. Le même sort attendait trois cent cin-
quante Modjahidin rifains, venus de Tanger pour faire
cesser la rupture qui avait éclaté entre le sultan et le bâcha
Ahmad bn Ali, celui-ci ayant offert ses services au sultan
El-mostadhi. Enfin deux cents hommes des Hedjaoua, de
la tribu de Bni Hassen, furent également mis à mort; ils
avaient été accusés d’avoir détroussé les passants dans leur
pays.

Les rapports entre le sultan et les Abids furent rompus
en ii&6 (1733-173/1). Ceux-ci avaient eu à déplorer la
perte de chefs, de notables et de Qâ’ids, que le sultan avait
fait périr pour détruire l’influence de cette milice et aussi
pour venger le meurtre de son frère Abdelmalek. Abdallah
réussit à calmer les Abids en leur distribuant de l’argent,
puis il leur demanda de lui désigner un contingent qui de-
vait opérer dans les montagnes des AïtMâlou. Cette même
année, il envoya Muhammad Ou Ali EzZammûri en qualité
de gouverneur à Fâs, en lui disant: «Prends l’argent de ces
gens-là et jette-le à Abou’lkherâribx; ne leur laisse rien,

1 Je suppose que par Abou’lkherâvib trie père des monnaies’), il faut en-
tendre le makhzen. Le mot %^ pi. ^^lyi., était employé en Algérie
pour désigner une petite monnaie d’argent; en Tunisie, ce mot est encore en
usage, niais il ne s’applique qu’à la monnaie de billon.
Vue 90 sur 346
—M»( 73 )•«—

mais ne me les amène pas. Ce n’est qu’à cause de leurs ri-
chesses que les habitants de Fâs sont arrogants et mépri-
sent l’autorité royale. 15 Muhammad se rendit à Fâs et s’in-
stalla dans la maison d’Abou Ali Errousi, à Maadi. Il désigna
ensuite par chaque quartier un délégué, qui fut chargé
d’inscrire sur un registre les négociants, ainsi que les gens
aisés et possédant des immeubles. Ces délégués amenèrent
ensuite en présence de Muhammad tous les négociants et
propriétaires, qui furent mis en prison et condamnés à payer,
les uns 5 00,000 mitsqâls, les autres 10,000, 8,000, 6,000,
i,ooo, 3,ooo ou 2,00G 1. Muhammad s’occupa d’abord
de recouvrer cet argent, puis il imposa aux artisans une
somme qui variait de 1,000 à 100 mitsqâls. Lorsqu’un chef
de famille était absent on s’emparait de son fils, de son
frère ou de sa femme. Les choses durant ainsi, la population
abandonna Fâs et se dispersa dans les villes et villages du
Maghreb. Quelques-uns allèrent jusqu’en Tunisie, en Egypte,
en Syrie et même au Soudan. Au fur et à mesure qu’il rece-
vait de l’argent, Muhammad l’envoyait au sultan, à Méqui-
nez; mais quand il apprit que le sultan Abdallah s’était enfui
de Miknâs, Muhammad quitta Fâs pendant la nuit. En
11^7, le sultan envoya son armée dans la montagne des Aït
Mâlou. Cette armée, formée de vingt-cinq mille Abids et
commandée parle Qâ’id, le bâcha Qâsem bn Bisoun, fut
renforcée de trois mille Udaya ayant à leur tête le Qâ’id
Abdelmalek bou Chefra. Elle se mit en marche; mais arrivée
à la rivière d’Oumm Errebia, les Berbères ayant fait le vide
devant elle, elle s’engagea à leur poursuite dans des mon-
tagnes escarpées. Les montagnards barricadèrent alors, à

Ce passage, assez mal rédigé, parait empreint d’une certaine exagération.
Vue 91 sur 346
–*».( 74 ><: —

l’aide de troncs de cèdres, les défilés par lesquels l’armée en-
nemie avait passé, puis ils entourèrent leurs adversaires et
les mirent en déroute. Tous les passages de la montagne ayant
été obstrués, les fuyards durent abandonner leurs chevaux et
leurs bagages; les Berbères postés sur toutes les routes arrê-
tèrent tous ceux qui se sauvaient, mais ils n’en tuèrent aucun
et leur rendirent ensuite la liberté après les avoir complète-
ment dévalisés. Quand les fuyards arrivèrent tout nus à Mé-
quinez, l’irritation des Abids, provoquée déjà par les exécu-
tions sanglantes dont leurs chefs avaient été les victimes,
s’accrut au plus haut point, et il fut décidé qu’on s’empare-
rait de la personne du sultan et qu’on le mettrait à mort.
Informé de ce dessein par une personne de son entourage,
Abdallah s’enfuit de Miknâs, pendant la nuit, et s’arrêta le
lendemain au campement des Aït Idris. Les gens de cette
tribu furent heureux de recevoir le prince fugitif; ils le trai-
tèrent avec déférence, l’accompagnèrent jusqu’à Tâdla et
revinrent ensuite chez eux. De Tâdla, Abdallah se rendit
à Murrâkush, puis à Sous et enfin à l’Wad Noun, où il resta plus
de deux ans chez ses oncles maternels, lesMoâfera. Il avait
emmené avec lui son fils, Sidi Muhammad, qui était alors
tout jeune, à peine pubère. Les Abids expédièrent une
escorte de cavalerie pour aller chercher, à Tafilalt, et
ramènera Miknâs, Maulay Ali bn Ismaïl.

RÈGNE DE MAULAY ALI BN ISMAÏL.

Dès que le sultan Abdallah eut quitté Miknâs, les chefs
des Abids tombèrent d’accord pour proclamer Maulay Ali.
En conséquence, ils l’envoyèrent chercher et, lorsqu’il lut
arrivé à Miknâs, les cadis, les ulémas et les personnages
influents d’entre les Abids se réunirent et le proclamèrent
Vue 92 sur 346
-—13-( 75 )•«——

souverain. Ils annoncèrent ensuite cette décision par des
lettres qu’ils expédièrent dans toutes les provinces. Des dé-
putations des tribus, des villes, des chefs arabes et berbères
arrivèrent bientôt avec des présents. Le nouveau sultan
tint audience pour recevoir les hommages de ses sujets;
quand il eut terminé, il distribua aux Abids tout l’argent
qu’il possédait. Il nomma ensuite Mesaoud Errousi gouver-
neur de Fâs. Quelque temps après, les troupes ayant ré-
clamé leur solde, Je sultan fit arrêter Khenatsa, la mère de
son frère, et lui ayant pris tout l’argent qu’elle avait, il s’en
servit pour payer ses soldats. Il essaya ensuite, mais vaine-
ment, d’obtenir d’elle de nouvelles sommes, en la frappant
et en lui infligeant des tortures, pour lui faire avouer qu’elle
possédait d’autres richesses.

Le gouverneur de Fâs, Mesaoud Errousi, fit périr traîtreu-
sement Al-Hajj Ahmad, le chef des Lemtiens, parce que ce
dernier, à l’époque de la mort du sultan Ismaïl, avait excité
les confédérés à assassiner Abou Ali Errousi; le cadavre
d’Al-Hajj fut ensuite traîné à Bâb Elfeth. A la nouvelle de
ce crime, les habitants de Fâs coururent aux armes et se mi-
rent en devoir de tuer Mesaoud Errousi. Mais comme ce
personnage avait fui, ils brisèrent les portes de la prison et,
après avoir donné la liberté aux prisonniers, ils massacrè-
rent les geôliers. Informé de ces faits, le sultan laissa Me-
saoud de côté et envoya à Fâs son frère Elmohtadi, accom-
pagné, du Qâ’id Ghânem Al-Hajj. Eu même temps, il écrivit
qu’il avait révoqué Mesaoud Errousi et qu’il lui donnait
pour successeur Ghânem Al-Hajj. Les habitants de Fâs n’ac-
ceptèrent point ce nouveau chef; ils envoyèrent, en com-
pagnie de Elmohtadi, des notables chargés d’offrir un pré-
sent considérable au sultan. Celui-ci accepta le présent,
Vue 93 sur 346
—«•( 76 ).es—

mais il adressa de vifs reproches aux envoyés et leur fit
l’énumération de ses griefs contre leurs concitoyens; toute-
fois il n’emprisonna personne. Quand cette nouvelle parvint
à Fâs, les habitants fermèrent les portes de la ville et firent
périr les compagnons de Mesaoud Errousi, ainsi que tous
ceux qui lui étaient attachés par quelque lien. La guerre
qui s’ensuivit entre eux et les Udaya dura jusqu’au
mois de ramadan. A ce moment, le sultan dépêcha à Fâs
l’un des Qâ’ids des Abids, Abdallah Elhamidi. Ce personnage
excusa son maître auprès des habitants de la ville et les en-
gagea à lui faire porter un présent par une députation d’ulé-
mas et de chérifs; il écrivit en même temps une lettre, dans
laquelle il disculpait les Ahl Fâs auprès de leur souve-
rain. Lorsque la députation arriva à Miknâs, le sultan lui
accorda le pardon qu’elle sollicitait, puis il fit mettre en li-
berté ceux des citoyens de Fâs qui étaient prisonniers et
donna la charge de gouverneur de cette ville au Qâ’id Abd-
allah Elhamidi.

En 11Z18 (1735), le sultan révoqua Abdallah Elhamidi
et le remplaça par Abdallah Elachaar; il s’occupa ensuite
d’organiser une expédition contre les Aït Mâlou, afin de per-
mettre aux Abids de venger leur précédente défaite. Il se
mit à la tête de ses troupes et partit au mois de moharrem
de cette année (2/1 mai). A l’approche de l’armée, les Ber-
bères prirent la fuite et gagnèrent les pics escarpés de leurs
montagnes. Quand l’armée eut franchi les cols de la mon-
tagne, les Berbères les assaillirent de tous les côtés et enga-
gèrent le combat. Les Abids, mis en déroute, furent arrêtés
au passage des défilés; ils durent abandonner leurs ba-
gages, mettre.pied à terre et se disperser dans les ravins;
là ils furent dépouillés de tout ce qu’ils portaient et rendus
Vue 94 sur 346
—H.( 77 ).«—

ensuite à la liberté. Seul le cortège du sultan ne fut pas
inquiète et les Berbères se contentèrent de le poursuivre
jusqu’à ce qu’il eût franchi la rivière d’Oumm Errebia. En
rentrant à Miknâs, les Abids qui avaient été dévalisés
demandèrent leur solde et des vêtements, mais Maulay Ali
n’avait rien à leur donner.

Au mois de dzoulhiddja, on apprit que le sultan Abdallah,
venant de l’Wad Noun, était arrivé à Tâdla. Les Abids par-
lèrent alors de lui rendre la couronne, mais Sâlem Ed-
doukkali et ses partisans furent d’un avis opposé, parce qu’ils
avaient été les principaux instruments de la déposition de
ce prince. Ils déclarèrent même qu’ils le déposeraient une
seconde fois s’il était remis sur le trône. Les partisans d’Abd-
allah l’ayant emporté, Sâlem Eddoukkali et ses Qâ’ids furent
contraints de s’enfuir à la zaouïa de Zerhoun. Informé de
ces événements, Maulay Ali quitta précipitamment Miknâs
pour se rendre à Fâs al-Jadîd. Les Udaya lui ayant re-
fusé l’entrée de cette ville, il gagna d’abord Taza; de là, il
vint s’établir chez les Ahlâf. Ceux-ci lui offrirent une de
leurs filles en mariage et le traitèrent avec égards. Maulay
Ali resta au milieu de cette tribu jusqu’au moment où il lui
arriva ce que nous dirons ci-après.

Le premier moharremde l’année 11/19 (12 mai 1736),
les Abids proclamèrent Abdallah souverain et lui envoyè-
rent une députation à Tâdla. Quant à Sâlem Eddoukkali
et à ses parlisans qui étaient à Zerhoun, on assure qu’ils
écrivirent aux habitants de Fâs une lettre, dans laquelle ils
disaient qu’ils étaient d’accord pour reconnaître comme sou-
verain Sidi Muhammad bn Arbia 1, mais qu’ils désiraient

Ce nom pourrait êfre lu Ariba, les trois points diacritiques du ba et du
ija étant réunis ensemble.
Vue 95 sur 346
—«.( 78 )•«*-—

avoir sur ce point l’avis de leurs ulémas. Ceux-ci répondi-
rent qu’ils se rangeaient à l’opinion de Sâlem. Sidi Moham-
med bn Arbia, qui était à Sijilmasa, ayant appris cette ré-
ponse, monta aussitôt à cheval et alla à Fâs. A peine arrivé
à Safrou 1, il acquit la certitude que les Abids avaient pro-
clamé Abdallah. Tout décontenancé par cette nouvelle, il
entra dans Fâs et se cacha dans la maison de Sidi Abderrah-
man Echchami, son ami et son conseiller religieux 2. Abd-
allah déclara aux envoyés des Abids qu’il n’accepterait pas
le trône que ceux-ci lui offraient et qu’il n’irait pas les re-
joindre, tant que Sâlem Eddoukkali et ses Qâ’ids seraient
vivants. Aussitôt qu’ils connurent cette réponse, les Qâ’ids et
les principaux chefs des Abids montèrent à cheval, se ren-
dirent à Zerhoun et s’emparèrent de Sâlem Eddoukkali et
de-ses Qâ’ids. Puis, les ayant chargés de chaînes qu’ils rivè-
rent, ils les emmenèrent à Tâdla et les conduisirent en
présence du sultan. Celui-ci demanda alors au cadi Abou
Inân, qui était auprès de lui, quel sort méritaient ces gens
coupables d’après la loi. Le cadi ayant, répondu que c’était
la mort, ils furent tous tués.

SECOND RÈGNE DU SULTAN ABDALLAH.

Lorsque, après la fuite du sultan Ali, les Abids eurent
décidé de proclamer Abdallah, celui-ci avait mis comme
condition à son acceptation la mort de Sâlem Eddoukkali
et celle de ses Qâ’ids. Amenés en présence d’Abdallah, Sâ-
lem et ses Qâ’ids furent mis à mort; puis les Abids prêtèrent
bay’aau nouveau souverain et l’amenèrent

1 Safrou, à environ trente kilomètres au sud de Fâs, est une petite place
fortifiée, bâtie au milieu d’une plaine, sur les bords de l’Wad Guigou.

2 Je Iradnis ainsi le mot £L=.
Vue 96 sur 346
—».( 79 )<>,-

de Tâdla à la qasba d’Abou Fekrân ‘ où il s’installa. Là,
Abdallah reçut les serments des Udaya et celui des habi-
tants de Fâs, qui lui avaient député leurs ulémas, leurs
chérifs et leurs notables. Quand cette députation fut en sa
présence, le sultan lui adressa de vifs reproches et lui pro-
digua les injures et les menaces; ensuite il révoqua leurs
notables et les fit mettre à mort. Le Qâ’id de Miknâs et
son entourage subirent également le dernier supplice. Le
cadi Aboulqasem Elamiri fut révoqué. Les biens de ces
divers personnages furent livrés au pillage. Le sultan con-
gédia ensuite les ulémas et les chérifs, qui partirent avec
Muhammad bn Ali, le nouveau gouverneur de Fâs. Arrivé
dans cette ville, Muhammad s’enferma dans la qasba, d’où
il n’osa plus sortir, tant il craignait pour ses jours. Le jeudi
suivant, les Udaya dévalisèrent tous ceux qui vinrent au
marché; puis, se jetant sur les pâturages des Ahl Fâs,
ils s’emparèrent de leurs troupeaux et infestèrent les routes
de leurs brigandages. Les habitants cle Fâs s’engagèrent
alors par serment à ne plus reconnaître l’autorité d’Abdallah
et à choisir pour souverain Sidi Muhammad bn Arbia, qui
était toujours caché dans la maison d’Echchami. En consé-
quence ils se rendirent auprès de Sidi Muhammad, lui
firent part de leur projet et conclurent un pacte avec lui.
Ils s’occupèrent aussitôt cle procurer au prince tout ce dont il
avait besoin : chevaux, selles, armes, javelots, lances et para-
sol. Tout cela fut remis à Sidi Muhammad, qui fut conduit,
au milieu d’un cortège, au mausolée de Maulay Idris, où il
fit ses dévotions. Puis le cadi, les ulémas, les chérifs et les

L’Wad Abou Fekrân est un des alnuenfs de l’Wad Rdem, qui passe près
de Miknâs. C’est sur les bords de ce petit cours d’eau qu’était la qasba
dont il est question ici.
Vue 97 sur 346
—H.( 80 .)*.—

notables prêtèrent serinent de fidélité à Sidi Muhammad, qui
sortit, accompagné de la garnison, depuis Essemmatin jus-
qu’à la porte de la maison d’Echchami. La formule du serment
d’obéissance du nouveau souverain futrédigée le 15 de djou-
mada II de l’année 11/17 ( 22 octobre 1736). Les ulémas
l’acceptèrent; tous ceux qui refusèrent d’y adhérer furent
emprisonnés ou furent l’objet de mauvais traitements. On
écrivit ensuite au diwan des Abids à Mechra Erremel pour lui
annoncer l’avènement de Sidi Muhammad bn Ismaïl et lui
demander son acquiescement. Le diwan accueillit favorable-
ment cette proposition; il fil proclamer Sidi Muhammad bn
Arbia à Mechra Erremel et écrivit à ce sujet à Miknâs.
Le sultan Abdallah s’enfuit de Miknâs, aussitôt qu’il
connut la proclamation de son frère Bn Arbia; il se ren-
dit au campement des Aït Idrâsen et s’y établit avec sa suite
et son eseorte 1. Quand la réponse des Abids arriva à Fâs,
les habitants rouvrirent les portes de la ville et le lende-
main le sultan entra dans Fâs al-Jadîd, où il reçut le ser-
ment des Udaya. Le jour suivant Sidi Muhammad se
rendit à Miknâs, la capitale de son royaume, où les dé-
putations des tribus, des villes et des villages lui apportèrent
leur hommage et leurs présents. La réception terminée, le
sultan distribua aux Abids tout l’argent qu’il avait, mais cela
ne put suffire au payement de la solde. Il s’appliqua alors
à enlever aux gens de Miknâs tous les grains qu’ils pos-
sédaient et, dans ce but, il fit fouiller tous les greniers et les
silos. Il s’empara également des grains que les habitants

1 Le mot employé ici est yïi**. Selon M. Jules Erckmann ( Le Murrâkush mo-
derne, Paris, t885), les Mosakkberin sont des cavaliers qui remplissent,
au Murrâkush, un office analogue à celui des spahis en Algérie ou des gendarmes
en France.
Vue 98 sur 346
—w( 81 )*-»—

des campagnes apportaient à la ville, et, si on lui signalait
quelqu’un qui en possédait, il le faisait arrêter et ne le re-
lâchait qu’après avoir obtenu la remise de tous ses grains.
Les paysans berbères, ainsi dépouillés de leur bien, se
répandirent sur les routes et exercèrent leurs brigandages
jusqu’aux environs de la capitale.

Le sultan Abdallah, qui était à Elhâdjeb chez les Ber-
bères, entra pendant une nuit à Miknâs; il pénétra dans
les écuries, tua tous ceux qu’il y rencontra et partit après
avoir mis le feu aux paillottes. Quand Sidi Muhammad
bn Arbia apprit cela, il donna l’ordre aux Abids de l’ac-
compagner dans une expédition qu’il voulait diriger contre
Abdallah et contre les Berbères, qui soutenaient ce prince. Les
troupes avaient à peine quitté Miknâs qu’Abdallah, in-
formé de leur marche, s’enfuit en abandonnant ses demeures.
Les Abids pillèrent les maisons du prince et le poursuivirent
jusque dans le district de la Molouïa, sans réussir à l’at-
teindre. Au retour de cette poursuite, les Berbères barrèrent
la route aux Abids, les attaquèrent et les mirent en déroute.
Chacun s’enfuit emportant seulement ce qu’il put charger
sur sa monture, et l’on arriva dans le plus grand désordre
à Safrou. Là, le sultan ordonna aux Abids de saccager les
villages qui avoisinent Safrou et qui appartiennent aux
Mezdâgher, aux Senhddja, aux Bahâlil, aux Azzâma, aux
Moudjou et aux Oulad Abbâd, en disant : «Tout ce que
vous trouverez chez ces gens-là appartient aux Berbères. i>
Les Abids se mirent aussitôt à l’oeuvre, ravageant tout,
pillant, tuant, faisant des prisonniers et coupant des têtes
qu’ils envoyaient à Fâs, où l’on croyait que c’étaient des
têtes de Berbères. Le frère du sultan, Eloualid, accompagnait
les pillards; il s’emparait de tout l’argent des chérifs, et

6
Vue 99 sur 346
—H-( 82 )<*—-

aucun d’eux n osait lui-résister, car on ne laissait en repos
que ceux qui livraient leurs richesses : les autres étaient
emmenés à la suite de l’expédition. Ces agissements terro-
risèrent les populations. Nombre de chérifs furent obligés
de suivre l’armée, et l’on pilla les biens et les maisons de
ceux qui résistèrent. Parmi ceux dont on pilla la maison, il
faut citer Maulay ‘Umar Elmadani, qui habitait à Elaqouâs.
Lors de son arrivée à Fâs, le sultan fit saisir Al-Hajj Mo-
hammed bou Djida dans sa maison, et, après l’avoir fait
mettre à mort, il s’empara de toutes ses richesses et fit
vendre ses immeubles. On arrêta également Al-Hajj Abdel-
khâleq Adil, dont les biens furent saisis. Le sultan s’attaqua
ensuite aux gens des zaouïas, qu’il dépouilla ainsi que tous
ceux qui lui étaient signalés comme ayant quelque aisance. Il
se conduisit de même à l’égard des habitants de Miknâs,
lorsqu’il revint dans cette ville, et personne n’échappa à sa
rapacité. Une terrible épreuve fut imposée à ce moment à
la population, par suite de la famine qui vint s’ajouter aux
troubles et au pillage des maisons pendant la nuit. Les gens
aisés ne dormaient ni la nuit, ni le jour, et tout le monde
s’adonna au vol.

Les Udaya étendaient leurs razzias jusqu’aux portes de
la ville; ils saccageaient les jardins, dévalisaient les blan-
chisseurs x qui étaient sur les bords de la rivière de Fâs
et leur enlevaient à Masmouda le lin qui était déjà lavé;
enfin ils brisaient les serrures des fondouqs 2. Le sultan ne
s’opposait point à tout cela et n’en prenait nul souci.
Une foule de gens moururent cle faim, et le directeur de

1 11 s’agit sans doute d’ouvriers qui faisaient rouir du lin.
‘ Les fondouqs servent à la fois d’hôtel et de lieu de dépôt pour les mar-
chandises qui viennent du dehors.
Vue 100 sur 346
—«•( 83 ).e-t—

l’hospice a raconté que, pendant les mois de redjeb, chaaban
et ramadan, il avait fait enterrer 80,000 personnes et
qu’un nombre plus considérable encore avait été inhumé
par les soins des familles. Le Qâ’id de Fâs, Abdelhamid El-
mechâouï Echcherif pillait aussi les musulmans et envoyait
leurs dépouilles au sultan. Cet état de choses dura jusqu’au
mois de safar de l’année 1 i5i (juin 1738). A cette époque, les
Abids s’emparèrent du sultan Sidi Muhammad bn Arbia, de
son Qâ’id Elmechâouï et de son conseiller spirituel Abder-
rahman Echchâmi; ils les chargèrent de chaînes qu’ils firent
river, puis ils expédièrent à Tafilalt des messagers pour ra-
mener Maulay Al-Mustadi, qu’ils acclamèrent à Miknâs et à
Fâs et au nom duquel la prière fut faite dans les mosquées.

RÈGNE D’ELMOSTADIIl BN ISMAÏL.

Les ulémas, les chérifs et les notables de Fâs allèrent
au-devant d’Al-Mustadi jusqu’à Safrou; là, ils lui prêtèrent
serment d’obéissance et le conduisirent ensuite à Fâs la
neuve. Le nouveau souverain nomma gouverneur de cette
ville le Qâ’id Ahmad Elaguidi Elâyzegbi, qui se fit suppléer
par son lieutenant Chachou, puis il se rendit à Miknâs.
Arrivé dans cette ville, les Abids l’acclamèrent en présence
des ulémas et des chérifs; les députations des tribus et les
cheikhs des montagnes suivirent leur exemple et apportè-
rent leurs présents. Mais rien ne fut changé à la situation,
et les exactions poursuivirent leur cours. Aussitôt que les
réceptions furent terminées, le sultan écrivit au gouverneur
de Fâs une lettre qui devait être lue aux habitants cle cette
ville. Tous ceux qui avaient été convoqués pour entendre
cette lecture prirent la fuite, et une vingtaine de personnes
seulement se rendirent à l’appel du gouverneur. Celui-ci

6.
Vue 101 sur 346
-—*o«( 84 )«c-*—

les fit jeter en prison et ordonna ensuite aux habitants de
payer une contribution dont il fixa la quotité à un chiffre
si élevé qu’elle dépassait leurs ressources. La cause de tout
cela, c’était que Maulay ‘Umar Elmadani s’était plaint au
souverain du pillage de sa maison et des dénonciations dont
il avait été l’objet de la part des habitants de Fâs. Le sultan
lui avait alors offert le gouvernement de la ville afin qu’il
pût se venger et recouvrer ce qui lui avait été pris. Mais
Maulay ‘Umar avait refusé en disant : et II y a ici quelqu’un
qui saura mater ces gens-là et découvrir parmi eux les
fauteurs de désordres : c’est Ibn Ziân Elaouer. » Elmosta-
dhi nomma donc Ibn Ziân, en le plaçant toutefois dans
la dépendance de Maulay ‘Umar. Celui-ci put ainsi tirer
vengeance de ceux qui avaient refusé de venir à son aide
pour empêcher le pillage de sa maison par Bn Arbia.

Sidi Muhammad bn Arbia, chargé de chaînes, fut, sur
l’ordre du sultan, envoyé à Tafilalt, tandis que Elmechâ-
ouï et Echchâmi étaient jetés dans un cachot, à Fâs. La
maison d’Echchâmi fut pillée et lui-même subit la torture
jusqu’à ce qu’il expirât. On infligea la bastonnade aux pri-
sonniers de Fâs jusqu’à ce qu’ils se fussent décidés adonner
une partie de leur argent. Elirâqi, qui thésaurisait et qui
prétendait n’avoir d’autre argent que celui déposé chez lui
parKhenâtsa, la mère du sultan Abdallah, fut également
arrêté; il resta en prison jusqu’au moment où il consentit
à racheter sa liberté. Ibn Ziân, qui malmenait les chérifs de
Fâs et leur prenait leur argent, fut arrêté à son tour; on
le promena par la ville sur un âne en l’obligeant à dire :
crTel est le sort réservé à ceux qui frappent les chérifs. v
Maulay ‘Umar se débarrassa de ce personnage en lui faisant
trancher la tête, à la porte d’Elmahrouq; la tête fut ensuite
Vue 102 sur 346
—w( 85 >«—

suspendue au-dessus de cette porte. Néanmoins, la persé-
cution contre les chérifs continua. Le sultan ordonna de
de lui envoyer tous les prisonniers de Fâs, et, quand ils
furent arrivés en sa présence, il les fit tous périr. Il donna
également l’ordre de lui amener Ould Hâmi, qui était dans
le mausolée de Maulay Idris, et le fit mettre à mort aussitôt
qu’on le lui eut amené. Une députation de quatre-vingts
et quelques personnes des Bni Hasen se rendit à Miknâs
offrir des présents au sultan. Celui-ci partit ensuite, pour
une expédition à Fazâz; mais à peine arrivé là, il fut at-
taqué par les Berbères, qui le mirent en déroute et pillè-
rent tous les soldats qu’il avait avec lui : Abids, Udaya,
Ahl Fâs et autres. Le sultan était tombé malade; il avait
écrit auparavant aux habitants de Fâs de pavoiser leur
ville, pensant qu’il serait vainqueur; la ville fut pavoisée,
et quelques jours plus tard, comme il était rétabli, il écrivit
de nouveau de pavoiser, et cette fois on le fit à cause de
son retour à la santé.

Rentré à Miknâs, le sultan fit périr Ghânem Al-Hajj
Saadoun, le Qâ’id de Miknâs et six des enfants de Ez-
zâtemi, qui étaient en prison. Le sultan Abdallah, resté
chez les Berbères, voyant que les Udaya avaient accom-
pagné Al-Mustadi dans son expédition, alors qu’il avait
pensé qu’ils ne reconnaîtraient point l’autorité de ce
prince, lança contre eux ses Berbères, qui ravagèrent
le territoire des Udaya, pillèrent leurs troupeaux, sac-
cagèrent leurs cultures et leurs demeures, et, se ré-
pandant ensuite sur les routes, détroussèrent tous ceux
quils rencontrèrent, en sorte qu’il devint impossible de
voyager dans cette contrée. Zîn Elâbidîn bn Ismaïl, qui
était venu de Tafilalt à Miknâs, fut arrêté par son frère
Vue 103 sur 346
—».( 86 >e-î—

Al-Mustadi et jeté en prison. Plus tard, le sultan ordonna de
l’amener dans la salle d’audience du palais; et après l’avoir
fait rouer de coups, au point qu’il faillit en mourir, il le
fit couvrir de chaînes, et l’expédia à Tafilalt sous la con-
duite d’un certain chérif qui devait le mettre en prison
dans cette ville. Aussitôt qu’ils apprirent cette nouvelle, les
Abids envoyèrent des émissaires qui rejoignirent Zîn El-
âbidîn à Safrou et lui rendirent la liberté. Ils le conduisi-
rent ensuite chez les Bni Yâzegh au Qâ’id Ahmad Elaguidi,
auprès duquel il demeura.

Le sultan donna l’ordre au bâcha Ahmad Errifi de se
rendre à Tétouan, de piller cette ville, de faire périr ses
notables et de démolir ses remparts; il voulait ainsi punir
les habitants, qui ne lui avaient pas envoyé de députation.
Le bâcha se mit en marche, entra dans Tétouan à la suite
d’un combat et fit mettre à mort huit notables de cette
ville, dont il rasa les remparts. Quand le sultan reçut la
lettre annonçant cette nouvelle, il assigna une somme con-
sidérable aux troupes; mais le bâcha garda pour lui seul
tout l’argent qu’il reçut. Au mois de dzoulqaada, Al-Mustadi
apprit que les Abids songeaient à le déposer et à proclamer
pour la troisième fois Abdallah. Il quitta alors Miknâs pour
faire un pèlerinage à Maulay Abdesselâm bnMechich. Abd-
allah, accompagné d’Abids convoyeurs, se mit à la pour-
suite d’Al-Mustadi; il l’atteignit, mais il fut vaincu dans la
lutte qui s’ensuivit. Après cela, le sultan se rendit à Tanger,
où il séjourna environ deux mois, puis il alla à Murrâkush, où
son frère Ennâser était son lieutenant. Dans cette dernière
ville, Al-Mustadi reçut de toutes les tribus du Hawz des
députations chargées de lui offrir des présents. Seules les
tribus des Abda et des Ahmer s’abstinrent de cette dé-
Vue 104 sur 346
—«•( 87 )•«-«—

marche. Les Dukkâla insinuèrent alors que, si les Abda
n’étaient point venus, c’est qu’ils tenaient parti pour le sul-
tan Abdallah, et ils ajoutèrent que la province ne-serait pas
tranquille tant qu’on n’aurait pas châtié ces gens-là. Elmos-
tadhi envoya aussitôt son chapelet aux Abda et leur écrivit
qu’il leur accordait Y aman. Ceux-ci, au nombre de cent,
vinrent accompagnés des descendants du cheikh Abou
Muhammad Sâlah et apportèrent le manteau de ce saint
personnage. Dès que ces envoyés furent arrivés en sa pré-
sence, le sultan donna l’ordre de les mettre tous à mort et
de distribuer leurs chevaux et leurs armes aux Dukkâla.
Quand Abdallah avait appris le départ du sultan de Tanger,
il était allé se poster à Elmezemma* pour l’arrêter au
passage, mais Al-Mustadi avait réussi à passer tandis que
son adversaire le guettait à Elmezemma. C’est pendant
qu’Abdallah se trouvait dans cette localité que le diwan des
Abids résolut de le replacer sur le trône.

TROISLÈME RÈGNE DU SULTAN ABDALLAH.

Aussitôt que les Abids eurent reconnu Abdallah comme
souverain, ils proclamèrent la déchéance d’Al-Mustadi. Ils
écrivirent ensuite aux habitants de Fâs et aux Udaya, qui
s’empressèrent de prêter serment au nouveau sultan.

On était alors en 11 53 (17Û0). La ville de Fâs se mit
en fête : on brûla de la poudre, on décida qu’une députation
irait offrir un présent, et les ulémas, les chérifs et les notables
qui furent désignés se rendirent auprès du sultan, à Me-
zemma. Ils étaient accompagnés de négociants, ainsi que
de pèlerins porteurs de présents, et Abdallah Elamiri, Qâ’id

Elmezemma est situé en i’ace d’Alhucemas, îlot sur la côte du Rif, où les
Espagnols ont établi un de leur présides.
Vue 105 sur 346
—«•( 88 )•«—

de Fâs, qui représentait le diwan se joignit à eux. A ce même
moment, le wazîr d’EImostadhi s’enfuyait de Miknâs, tandis
que son frère, le cadi Aboulâqsem Elamiri, s’installait
dans le harem du prince. Enfin les brigandages se mul-
tiplièrent sur les routes, et les voleurs pullulèrent aussi
bien à Miknâs qu’aux alentours de cette ville.

Au mois de redjeb, le sultan Abdallah quitta Elmezemma ;
il vint camper à Bâb Errîh, mais n’entra point dans la
partie de Miknâs qu’avait habitée Al-Mustadi. Les juris-
consultes et les notables sortirent à sa rencontre; quand
ils furent en sa présence, le sultan fit arrêter le cadi Aboul-
qâsem Elamiri, Ahmad Echcherrâdi, Elabbâs bn Rahhâl
et Elmelliti; il mit un terme à la cupidité de ces person-
nages et les couvrit de confusion en leur disant : ce Comment
avez-vous osé, pendant mon absence, marier mes femmes à
mon frère? •» Puis, aprèsles avoir abreuvés d’outrages, il les
fit jeter en prison. Il donna ensuite la maison d’Elamiri à
un des Qâ’ids des Abids et permit à chacun des autres Qâ’ids
de s’emparer de la maison qui lui plairait. Tous les prédi-
cateurs qui, dans les différentes villes, avaient fait la prière
au nom d’EImostadhi furent révoqués. Les Abids ne tardè-
rent pas à exercer leur rapacité à l’égard des habitants de
Miknâs; la nuit ils allaient se placer devant la porte d’une
maison et disaient : ce Mon maître m’a donné ta maison n, ou :
te Mon maître m’a donné ta fille •», et le propriétaire ne pouvait
échapper à ces vexations qu’à prix d’argent. Jamais popula-
tion n’eut à supporter d’aussi terribles exactions, car il fallait
en outre fournir des réquisitions de vivres aux mosakhhharin et
aux ouvriers qui bâtissaient à Bâb Errih. Enfin, quand les
grains arrivèrent à maturité, le sultan donna l’ordre aux mo-
sakhkharin de faire main basse sur les céréales des habitants
Vue 106 sur 346
—«•( 89 )«-*—

de Miknâs. Vainement intervint-on à plusieurs reprises
auprès du sultan, il fut inexorable et punit les plaignants.

Maulay Abdallah donna les fonctions de gouverneur de
Fâs à Al-Hajj Abdelkhâleq Adil, et celles de cadi de cette même
ville à Youcef bou Inân. Ce dernier reçut l’ordre de révoquer
tous les cadis, notaires et prédicateurs qui avaient exercé
leurs fonctions sous le règne d’EImostadhi. Les Udaya
n’avaient envoyé aucune députation à Abdallah et ne lui
avaient point prêté serment de fidélité; le bâcha Ahmad
Errifi, les gens du Rif et ceux des montagnes avaient agi de
même, ce qui avait fort irrité le sultan. Plus tard, les Udaya
prièrent la mère du souverain, Khenâtsa bnt Bekkâr d’in-
tercéder en leur faveur auprès de son fils ; Khenâtsa y con-
sentit et envoya une députation d’Udaya au sultan, qui Gt
grâce aux coupables. Abdallah avait envoyé le Qâ’id Ahmad
Elaguidi dans sa tribu et dans celle des Hayayina en qualité
d’agent chargé du recouvrement de l’impôt; à peine ce Qâ’id
était-il campé sur le territoire de cette dernière tribu que les
Hayayina l’attaquèrent et le tuèrent. Une très vive irritation
s’empara du sultan lorsqu’il apprit cette nouvelle, car il
considérait Elaguidi comme un des plus fermes soutiens de
son empire. La désorganisation devint dès lors complète;
les routes furent infestées de brigands, et partout on vit s’ac-
croître les rapines et les troubles.

Bientôt on apprit que le bâcha Ahmad s’était porté sur
Alqasar et qu’il avait enlevé des richesses considérables aux
habitants de la province du Gharb, ainsi qu’à tous ceux qui
appartenaient à un autre parti que le sien. A cette nouvelle
le sultan Abdallah envoya un corps d’Abids d’Erremla 1

Erremla paraît être une forme abrégée de Mechra Erremel.
Vue 107 sur 346
—w( 90 )*->—

camper près d’Alqasar pour protéger les populations. Aus-
sitôt Ahmad bn Ali distribua une entrée en campagne à
ses soldats et se prépara à attaquer l’armée impériale. Mais
une troupe d’Udaya et une autre d’Abids, qui arrivèrent à
son camp, lui annoncèrent que l’armée impériale s’était re-
tirée. A cette époque, en effet, l’anarchie régnait partout
aussi bien dans la population que parmi les troupes. Cela
se passait en 1138 (17Z15).

Lors du nouvel avènement du sultan Abdallah et de la
déchéance d’EImostadhi, Zîn Elâbidîn avait éprouvé une
grande joie. Il avait quitté les Bni Yâzegh pour aller d’abord
à Fâs, puis à Miknâs et enfin auprès du bâcha Ahmad.
Celui-ci le traita avec égards et prit en main ses intérêts.
H eut à son sujet divers entretiens avec les Abids et leur
envoya maints émissaires pour plaider la cause de son pro-
tégé. A la suite de ces démarches, les Abids écrivirent qu’ils
reconnaissaient comme souverain Zîn Elâbidîn et prièrent
le bâcha de le conduire au palais de Miknâs, ajoutant
qu’ils étaient décidés à arrêter le sultan Abdallah et à le
faire périr. Informé du danger qu’il courait, le sultan en-
voya prévenir sa mère Khenâtsa, qui s’enfuit aussitôt à Fâs
la neuve, et lui-même, le lendemain, prenait la même
route et allait camper à Ras Elmà. Là, les Udaya et les ha-
bitants de Fâs vinrent à sa rencontre. Abdallah leur témoi-
gna sa joie de les voir et chercha à se les concilier en leur
disant: ttVous êtes mes soldats et mon arsenal 1, ma main
droite et ma main gauche; je vous demande de rester unis
sous une même bannière.-n II fit alors alliance avec eux, et
l’on se sépara ensuite.

1 Mot à mot ttmon matériel».
Vue 108 sur 346
—M.( 91 )•€-!—

Après avoir écrit au bâcha Ahmad qu’ils l’autorisaient à
faire proclamer Zîn Elâbidîn par ceux qui étaient auprès de
lui et qu’ils ratifieraient ce choix, les Abids du diwan envoyè-
rent une escorte de Qâ’ids pour accompagner le nouveau
souverain au palais de Miknâs. Le bâcha Ahmad convoqua
aussitôt, pour un jour déterminé, les cadis de Tétouan, de
Tanger, de Larache, d’Alqasar, de Chefchaoun et d’Azrou,
ainsi que les ulémas de ces villes et les notables des tribus
du Fahs et des Hayayina, et tous prêtèrent serment de fidé-
lité à Zîn Elâbidîn.

RÈGNE DE ZÎN EÂLBIDIN BN ISMAÏL.
Le bâcha Ahmad, accompagné des gens du Fahs, de ceux des montagnes et des villes, proclama Zîn Elâbidîn le 1er rbi῾a I 1158 (3 avril 1745). Les Abids conduisirent le prince à Miknâs, la capitale du royaume, et là, le nouveau souverain fut acclamé solennellement par les cadis, les jurisconsultes, les chérifs et les personnages influents. On écrivit ensuite dans toutes les provinces pour annoncer cet événement, et bientôt les députations affluèrent.
Quand Abdallah connut la nouvelle de l’entrée de Zîn Elâbidîn à Miknâs, il quitta précipitamment Ras Elmâ et alla s’établir en pays berbère. Zîn Elâbidîn convoqua les Qâ’ids du diwan pour entreprendre une expédition contre Fâs, parce que ni les habitants de cette ville, ni les Udaya n’étaient venus lui présenter leurs hommages. Leurs préparatifs terminés, les Abids se rendirent à Miknâs, auprès du sultan, et, le 15 de Jumada I, celui-ci se mit à la tête de ses troupes et alla camper à Sidi Omaïra, afin d’assiéger à la fois Fâs al-Bâlî et Fâs al-Jadîd. Le lendemain, l’armée campa clans la plaine de Safrou, et le combat s’engagea au pont d’Ibn Thathou, près de la porte d’Elmosâfirin. La population de Fâs se trouva dans une situation très critique ; mais, le jour suivant, la discorde se mit parmi les Abids, qui, à la suite de cette querelle, ramenèrent le sultan à Miknâs après avoir seulement incendié les meules de grains que les Udaya avaient à Elkhemis. Dieu avait ainsi délivré Fâs de ses ennemis. A Miknâs, où l’on arriva bientôt, les Abids saccagèrent les jardins, dévalisèrent les vergers et partirent ensuite pour Erremla, tandis que Zîn Elâbidîn restait dans sa capitale.
Au mois de Jumada II, Abdallah entra dans Fâs al-Jadîd ; il y fut bien accueilli par les Udaya et les habitants. Le même jour, il quitta la ville pour aller à Dâr Dbibagh.
Au milieu du mois de ramadan, il reçut des Qâ’ids des Abids une lettre lui annonçant que les membres du diwan avaient déposé Zîn Elâbidîn et qu’ils l’avaient de nouveau reconnu comme souverain. Cette nouvelle causa une grande joie à Abdallah; les Udaya et les habitants de Fâs se répandirent au dehors de la ville pour se livrer au jeu de poudre, et la ville fut pavoisée. On apprit bientôt que Zîn Elâbidîn s’était enfui de Miknâs.
QUATRIÈME RÈGNE DU SULTAN ABDALLAH BN ISMAÏL.
La proclamation d’Abdallah par les Abids, faite à Mshra῾a Ar-Rmal au mois de ramadan 1158 (octobre. 1745), fut renouvelée par les Udaya, les Ahl Fâs, les Arabes et les Berbères. Jusqu’au mois de ḏu-al-qa῾da le sacré, il ne survint aucun événement important ; mais à cette époque on reçut avis que la masse des Abids, revenant sur sa décision, avait déposé Abdallah et envoyé chercher Al-Mustadi, qui était alors à Murrâkush. Abdallah s’occupa aussitôt de gagner à sa cause les tribus arabes et berbères ainsi que les Udaya et les habitants de Fâs ; il leur fit jurer de le défendre, de combattre quiconque l’attaquerait et de mourir pour lui.
Sur ces entrefaites, Al-Hajj Muhammad As-Sûsi arriva de Murrâkush. On prétendit qu’il était venu à Fâs dans le but d’engager les habitants de cette ville à reconnaître Al-Mustadi.
Informé de cela, Abdallah donna l’ordre de mettre à mort cet émissaire, ce qui fut fait.
Au commencement de Muharram 1159 (janvier 1746), Al-Mustadi entra à Miknâs à la tête de l’armée des Abids ; il était accompagné de son wazîr Amer Elamiri et de son cadi Aboulqâsem Elamiri. Les ulémas, les chérifs et les principaux fonctionnaires du diwan vinrent lui prêter bay῾a, et la nouvelle de cette bay῾a ayant été répandue dans toutes les directions, on vit arriver les députations des villes, des montagnes et des Arabes. Comme Al-Mustadi était à Miknâs occupé à préparer une expédition et qu’il attendait l’arrivée de la colonne des Abids, qui devait venir d’Ar-Ramla, les habitants de Fâs reçurent du basha Ahmad Errifi une lettre qui les engageait à reconnaître Al-Mustadi, mais ils s’y refusèrent. Au mois de rbi῾a I, Al-Mustadi vint avec l’armée des Abids camper à Dahr Ezzaouïa. Le sultan Abdallah quitta aussitôt Dâr Dbibagh et se réfugia chez les Berbères, au campement des Bni Idrâsen. Dès le lendemain, le combat s’engagea entre les Abids et leurs adversaires, les Udaya, les Ahl Fâs, les Hayayina, les Cherâga et les Oulad Jmâ῾. De part et d’autre, on perdit beaucoup de monde, et la lutte dura jusqu’au commencement du mois de rbi῾a II. A ce moment, Abdallah arriva avec des contingents berbères fournis par les tribus des Bni Idrâsen, des Zammûr, des Aït Mâlou et des Garwân. Ces bandes étaient si nombreuses que le Créateur seul eût pu les dénombrer. Aussi Al-Mustadi et les Abids, en voyant cette multitude contre laquelle toute lutte leur était impossible, levèrent le camp pendant la nuit, et le lendemain matin il ne restait là que la trace de leur campement. Tout le monde se réjouit de cette solution obtenue sans combat.
Khnâṯa bnt Bakkâr, mère du sultan, mourut au mois de Jumada I ; elle fut enterrée dans le cimetière des chérifs, à Fâs al-Jadîd. Au mois de Jumada II, un conflit s’éleva entre Al-Hajj Abdalkhâlq ‘Adil et Sidi Muhammad Al-Ghâli Al-Idrisi. Adil se plaignit au sultan, qui ordonna d’arrêter Sidi Muhammad; mais celui-ci parvint à se réfugier dans le mausolée de son ancêtre. Le sultan enjoignit alors aux habitants de Fâs de le tenir étroitement bloqué, jusqu’à ce qu’il demandât l’aman. Sidi Muhammad sortit bientôt, et le sultan, après l’avoir accablé d’injures, le fit bâtonner, puis mettre en prison et enfin il fit massacrer tous ses compagnons. Quand la caravane des pèlerins de la Mecque partit, Abdallah lui remit, pour les déposer sur la tombe du prophète, 23 exemplaires du Coran couverts d’or, parsemés de rubis et autres pierres précieuses, et 2700 pierres précieuses de diverses couleurs.
Le 12 muharram 1150 (25 janvier 1767), Ahmad Ar-Rifi campa avec ses bandes à Ghassâl tandis qu’Al-Mustaḍi, avec une armée d’Abids commandée par le bâcha Fâtah, campait à Jrâra. A la première nouvelle de cette marche, les Hayayina et les Shrâga se groupèrent autour de Fâs ; ils s’installèrent dans les jardins qui entourent la ville, se pressant les uns contre les autres et groupant leurs tentes dans cet étroit espace, tant ils redoutaient les fureurs d’Ar-Rifi et celles d’Al-Mustadi. Tout cela causa une grande agitation.et un grand effroi dans la population. Le lendemain, les troupes d’Ar-Rifi et celles d’Al-Mustadi se dirigèrent vers le pays des Hayayina, pensant que cette tribu était restée sur son territoire; mais, après avoir parcouru le pays, elles apprirent que les Hayayina étaient massés autour de Fâs. Elles retournèrent alors sur leurs pas et gagnèrent leur campement.
Quant au sultan Abdallah, accompagné de 10 de ses fidèles, il se rendit chez les Bni Idrâsen et descendit au campement d’Abdallah bn ‘Iššû dans la plaine d’Ašâr. Là, il renversa sa selle au milieu du campement, puis quand tout le monde fut réuni autour de lui, il s’écria :
« Sachez que ce montagnard était un de nos serviteurs ; l’argent qu’il a gagné chez-nous à cette époque l’a rendu arrogant. Il a alors excité Notre frère Al-Mustadi contre Nous, et maintenant il veut s’emparer de notre pays et nous couvrir de confusion. Or ce pays n’est-il pas le vôtre ? N’en êtes-vous pas les légitimes possesseurs ? Je viens donc à vous, vous demander assistance contre ce tyran ; car, plus que tous autres, vous êtes dignes de soutenir les descendants du Prophète. »
Remontant ensuite à cheval, Abdallah reprit sa route et rentra le même soir à Dâr Dbibagh. Les Berbères lui députèrent alors leur chef Muhammad Ou Aziz, et il fut convenu qu’on marcherait ensemble contre d’Ar-Rifi et Al-Mustadi. Les Bni Mâlou, les Bni Hakam, les Zammûr et les Garwân, aussitôt avisés, se joignirent aux Bni Idrâsen, et leurs contingents se rendirent auprès d’Abdallah.
De son côté, Al-Mustadi avait rassemblé toutes les troupes des Abda et du Rif et les avait organisées; la cavalerie occupait la plaine d’Azrât, tandis que le bâcha avec ses bataillons était campé sur la colline de Tamzaït, d’où il dominait toute l’armée ennemie, les Udaya, les Hayayina et les Ahl Fâs, qui étaient placés devant lui et dont les positions s’étendaient sur des hauteurs entre Aïn Elmoqbi et Dâr bn ‘Umar.
Tout à coup les masses berbères débouchant à Dâr bn ‘Umar, ayant aperçu la cavalerie ennemie devant eux, poussèrent, de grands cris, la chargèrent et la mirent en déroute. Quand le bâcha Ahmad vit que la bataille allait être perdue, il monta à cheval et s’enfuit avec les siens, abandonnant son camp et ses bagages. Les Berbères continuèrent leur marche, tuant et renversant tout devant eux, jusqu’à ce qu’ils atteignirent le camp abandonné, où ils firent un butin considérable en étoffes, en armes et en troupeaux. Pendant l’action, le sultan Abdallah était resté à Dâr Dbibagh, tandis que son fils Sidi Muhammad était avec les Udaya. Les Berbères qui n’avaient point pris part au combat arrachèrent le butin des mains de ceux qui le rapportaient, et pas un des Arabes qu’ils rencontrèrent ne put conserver un seul des objets dont il s’était emparé. Tel est le récit que m’a fait de cette rencontre le sultan Muhammad bn Abdallah. Le sultan Abdallah donna l’ordre à son Qâ’id Abou Inân, intendant de la chaussure royale, d’aller chercher les canons, les obusiers, les boulets, les bombes et la poudre que l’ennemi avait abandonnés et qu’aucun Berbère n’avait songé à s’approprier. On rassembla ensuite les têtes des ennemis et il s’en trouva plus de 800, parmi lesquelles la tête de Fâtah An-Nûni. Dieu venait de dissiper ainsi les angoisses des musulmans.
Host, Nachrichten von Marokos und Fes, Kopenhagen, 1781, p. 152.
Arrivé à Tanger, Ahmad Ar-Rifi s’occupa de réparer les pertes qu’il avait subies en chevaux, armes, tentes et troupeaux. Il jura de ne pas manger de viande ni de boire de lait tant que la ville de Fâs n’aurait pas été pillée comme l’avait été son propre camp. Il envoya ensuite à Al-Mustadi 50 quintaux d’argent pour la solde des soldats, 200 chevaux, 1000 équipements et 200 tentes, le tout destiné aux Abids. Il fixa en même temps un jour pour la concentration des troupes à Alqasar, puis, au commencement du mois de safar, il quitta Tanger. Dès que le sultan Abdallah apprit ce départ d’Ahmad, il ne put tarder davantage à se porter à sa rencontre. En conséquence, il envoya dire aux Berbères :
« Si vous voulez la fortune, venez à moi et nous irons ensemble à Tanger ! »
II fit prévenir aussitôt les Hayayina, les Cherâga et les gens du Gharb, puis il quitta Fâs et alla camper à l’Wad Sebou jusqu’au moment où ses troupes furent réunies et organisées.
De son côté, Al-Mustadi s’adressa aux Bni Hasan, qui reconnaissaient son autorité et qui lui amenèrent 10 000 cavaliers à Mshr῾a Ar-Rmal. Il fixa ensuite le contingent que devaient fournir les Abids, et ce contingent vint camper avec les Bni Hasen. Aussitôt qu’Al-Mustadi eut appris que le sultan Abdallah avait quitté Fâs avec ses troupes, il saisit l’occasion favorable qui se présentait pour se rendre à Miknâs, la capitale. Il pénétra dans la ville, pilla les maisons, et il était déjà parvenu au centre de Miknâs lorsque les habitants, revenus de leur surprise, l’attaquèrent à leur tour et le combattirent du haut de leurs maisons. Ils furent vainqueurs et chassèrent l’ennemi. Celui-ci, qui avait d’abord tué, pillé et fait des prisonniers, perdit plus de monde que les habitants de la ville, et dut s’en retourner avec les bottes de Honeïn.
Tandis que ces événements se passaient, le bâcha Ahmad attendait à Al-Qṣar l’arrivée d’Al-Mustadi. Lorsqu’il apprit que le sultan Abdallah avait passé la nuit près de son camp, il se porta à sa rencontre, et les deux armées se trouvèrent en présence à Dâr Al-῾Abbâs, sur les bords de la rivière de Lukkus. Le bâcha fit alors dresser sa tente et donna l’ordre à ses troupes de camper. En voyant l’ennemi prendre ces dispositions, le sultan dit à ses soldats :
« Ne campez point, car nous ne camperons qu’après avoir vaincu ou avoir été mis en déroute ! »
Là-dessus et sans autres préparatifs, les soldats du sultan chargèrent leurs adversaires et défirent tous ceux qu’ils trouvèrent devant eux, les Khuluṭ, les Taliq, les Bdâwa et les Ahl Fahs. Bientôt Ahmad Ar-Rifi, attaqué à son tour, prit la fuite. Les soldats du sultan s’élancèrent derrière les fuyards, leur tuant du monde, leur faisant des prisonniers et n’arrêtèrent leur poursuite qu’à la nuit. En revenant, ils trouvèrent le bâcha Ahmad étendu mort : un des soldats l’avait reconnu. La tête du bacha fut tranchée et envoyée au sultan Abdallah, qui la fit aussitôt porter à Fâs, où elle fut suspendue au-dessus de la porte d’Al-Mahrûq. Le camp d’Ar-Rifi, avec ses tentes, ses pavillons et ses montures, tomba au pouvoir du vainqueur.
Le lendemain, les Khuluṭ, les Taliq, les Bdâwa et les Ahl Fahs vinrent implorer leur pardon. Le sultan fit grâce à tous, excepté toutefois aux serviteurs de Ahmad bn Ali, à ses Qâ’ids, à ses agents et à ses secrétaires, qui furent arrêtés, maltraités et dont les biens furent confisqués.
Abdallah envoya ensuite le Qâ’id Abdelkhâleq Adil, ainsi qu’un certain nombre de Ahl Fâs, pour fouiller la maison de Ahmad bn Ali. On rassembla tout l’argent contenu dans les caisses et les draps, toiles, vêtements et armes renfermés dans les magasins ; puis les Rifains reçurent l’ordre d’amener les chevaux, mulets, chameaux, boeufs et moutons d’Ahmad qui se trouvaient chez les Arabes. Quand le sultan eut reçu tout cela, il le distribua aux Berbères qui avaient servi sous ses ordres et qui étaient au nombre d’environ 4000 appartenant aux tribus des Bni Idrâsen et des Garwân. Quant aux grains qui étaient dans les silos ou dans des couffes, ils furent abandonnés en entier aux soldats réguliers. Le sultan resta 40 jours à Tanger.
Après avoir été chassé de Miknâs, le rebelle Al-Mustadi retourna à Mšr῾a Ar-Rmal. Là, il apprit la défaite et la mort d’Ahmad bn Ali, ainsi que le départ du sultan pour Tanger. Il pressa alors les Abids et les Bni Hasen de prendre les armes et d’entreprendre une nouvelle campagne pour arrêter le sultan à son retour. Il envoya ensuite le Qâ’id des Bni Hasan pour réorganiser les troupes et les diriger. Enfin il ordonna aux Abids de réunir leur contingent, et, aussitôt que les Bni Hasan l’eurent rejoint, il se mit en marche avec ses troupes pour aller barrer le passage au sultan Abdallah. Des espions qui venaient chaque soir au bivouac le renseigner, lui ayant appris que le sultan avait passé la nuit à Dâr Al-῾Abbâs, près de l’endroit où avait eu lieu la défaite d’Ar-Rifi, Al-Mustadi, dès l’aube, fit monter ses troupes à cheval et leur assigna leur rang de bataille : les Bni Hasan formaient l’avant-garde. Au jour, on se trouva en face de l’armée du sultan Abdallah, qui ignorait la présence de ses adversaires. Dès qu’il aperçut l’ennemi, Abdallah donna l’ordre à ses soldats de ne pas lever le camp ; puis, laissant là ses bagages, il partit entouré de ses réguliers et des contingents berbères. Les Bni Hasan, qu’il rencontra les premiers, furent attaqués et mis en déroute. Tandis que les Berbères poursuivaient les fuyards, le sultan, à la tête des soldats de la province du Gharb, se porta contre Al-Mustadi et les Abids et les défit. Comme ses soldats se mettaient à la poursuite des Abid-s, le sultan envoya le Qâ’id Bu ‘Azza, intendant de la chaussure royale, leur dire: « O frères de la province de Gharb, ne tuez pas les Abids, contentez-vous de les dépouiller et rendez-leur ensuite la liberté ! »
Ces ordres furent exécutés. Après la poursuite qui dura jusqu’à la nuit, les troupes, chargées de butin, revinrent auprès du sultan Abdallah, qui était dans son camp à Dâr Al-‘Abbâs. Cette bataille fut des plus terribles : Dieu seul sait le nombre de ceux qui succombèrent dans cette journée. Les pertes des Bni Hasan s’élevèrent à plus de 1000 hommes tués ; on leur prit environ 5000 chevaux et un nombre d’armes plus considérable encore. Quant aux Abids, ils n’eurent qu’une 50 d’hommes tués dans la première charge. Al-Mustadi partit avec les Bni Hasan et s’établit dans leur campement, attendant une occasion favorable de prendre sa revanche.
A la suite de cette victoire, le sultan Abdallah se rendit à Fâs, où il distribua de l’argent aux Abids qui avaient combattu avec lui sous la conduite de Bou Azza, intendant de la chaussure royale : c’étaient les Abids de Taza. Il donna également une part du butin aux habitants de Fâs, aux Udaya et aux Berbères, puis il s’installa à Dâr Dbibagh, où il resta jusqu’au mois de rbi῾a II de l’année 1158 (mai 1746).
A cette époque, il reçut un certain nombre de Qâ’ids des Abids, qui, réprouvant eux-mêmes le passé, vinrent lui exprimer leur repentir et offrir leur soumission. Ils déclarèrent en outre qu’ils avaient déposé Al-Mustadi et qu’ils le reconnaissaient, lui Abdallah, comme sultan. Abdallah les accueillit avec indulgence et leur dit :
« Je ne puis prendre aucun engagement avec vous tant que vous n’aurez pas exterminé les Bni Hasan, leurs adhérents et leur prince ! »
Il entendait par ce dernier mot Al-Mustadi :
« Nous avons entendu, répondirent les Abids, et nous obéirons. »
Le sultan leur fit alors remettre une entrée en campagne et leur enjoignit de venir le trouver à Miknâs pour, de là, aller chez les Bni Hasan, puis chez les Dukkâla, partisans d’Al-Mustadi, et enfin à Murrâkush, qui tenait également pour ce prince, qui y avait laissé son frère An-Nâṣir comme Khalifa.
Pendant que les Abids se conformaient à ces instructions, Abdallah manda aux Hayayina, aux Shrâga, aux Ahl Fâs et à ceux du Gharb de se préparer à entrer en campagne et de venir le rejoindre à Miknâs. Quand les contingents de ces tribus furent réunis, ainsi que les Abids venus de Mšra῾a Ar-Rmal, on renouvela la proclamation du souverain, et toutes les provinces furent instruites par lettres de cet événement.
CINQUIÈME RÈGNE DU SULTAN ABDALLAH.
Aussitôt après que cette cinquième proclamation eut été faite en présence de l’armée et des tribus, le sultan partit avec ses troupes et se mit en marche contre les Bni Hasan. Il suivit la route d’Elfedjdj, de façon à couper à l’ennemi le chemin de la montagne. L’armée surprit les Bni Hasan dans la plaine de Zobeïda et fondit sur eux avant qu’ils eussent eu le temps de se reconnaître. Al-Mustadi prit aussitôt la fuite et eut grand peine à échapper. Le camp des Bni Hasan fut pillé ; on s’empara de leurs tentes, et leurs femmes et leurs enfants furent faits prisonniers. Les hommes, pour la plupart, s’étaient enfuis à Eḍ-Ḍaya, mais, le même soir, ils revinrent faire leur soumission. Le sultan leur accorda leur pardon ; il leur rendit leurs femmes, leurs enfants et leurs tentes, puis, les laissant là, il se remit en route jusqu’à ce qu’il atteignit Bû-Al-῾Awwân. Il s’installa dans la maison qu’Al-Mustadi avait dans la qasba, tandis que ses troupes campaient près de là, dans la plaine de Dukkâla. Les habitants du pays avaient lui dans le Hawz dès l’arrivée d’Al-Mustadi. L’armée resta dans le Dukkâla, occupée à fouiller le sol pour en retirer les grains et autres objets qui y avaient été enfouis. Quand le sol eut été bouleversé de tous côtés, on coupa les arbres et on détruisit les villages : un oiseau n’aurait pu trouver de quoi manger, ni de quoi s’abriter dans toute cette contrée.
Le sultan Abdallah demeura une année entière clans la qasba ; ensuite il se transporta au pays des Ṣrâghna, dont les habitants l’accompagnèrent après être venus lui faire leur soumission.
Il était encore sur le territoire de cette tribu, lorsqu’il reçut la soumission des gens de Damnât, des Senâga et autres Berbères des montagnes voisines de Damnât. Au moment où le sultan quittait le pays des Ṣerâghna, son frère, Al-Mustadi, fuyait avec les Dukkâla dans la montagne des Masfiwa, dont les habitants, ainsi que ceux de Murrâkush, reconnaissaient l’autorité d’Al-Mustadi.
Abdallah alla ensuite camper au pays de Zemrân, où les gens des Rhâmna, du Sûs et d’Ad-Dir vinrent faire leur soumission et se joindre à son armée. Ses troupes ravagèrent alors le territoire des Masfiwa et le mirent à feu et à sang. Chaque jour elles engagèrent le combat contre Al-Mustadi, les gens de Dukkâla et ceux de Masfiwa, qui reculèrent d’abord jusqu’à Wargla, puis jusqu’à l’Wad Az-Zât, où la lutte continua ; toute cette contrée fut également ravagée et incendiée, au point qu’il devint impossible d’y séjourner. Se voyant dans l’impossibilité de résister, manquant de vivres parce que les troupeaux des gens de Dukkâla avaient été pris ou étaient morts de faim, les gens de Masfiwa se rendirent auprès du sultan Abdallah pour demander l’aman; ils portaient des corans et avaient amené avec eux leurs enfants,
« Amenez-moi Al-Mustadi, leur répondit le souverain !
Il s’est sauvé hier à Murrâkush, répliquèrent-ils ; s’il était resté parmi nous, nous vous l’eussions sûrement amené, car il nous a été néfaste. C’est à cause de lui que notre pays est ruiné, que nos femmes sont déshonorées et qu’un grand nombre de nos enfants sont orphelins ! »
Le sultan se montra indulgent et leur fit grâce. Le lendemain, les gens de Dukkâla, suivis de leurs femmes et de leurs enfants, vinrent, à leur tour demander l’aman :
« Voici nos femmes et nos enfants, s’écrièrent-ils, faites-en ce que vous voudrez; quant à notre fortune, elle n’existe plus, elle a péri dans le pillage. Puissiez-vous, ainsi que Dieu, nous faire grâce ! »
Abdallah leur accorda l’aman et les renvoya dans leur pays. Il prit ensuite quelques jours de repos, pendant lesquels il reçut une députation des Ad-Dir, qui apportèrent des présents et demandèrent l’aman. Les Rhâmna et les Ahl Sûs vinrent prier le sultan d’aller avec eux à Murrâkush, ce qu’il promit de faire.
Lorsque Al-Mustadi arriva à Murrâkush, son frère An-Nâṣir, qu’il y avait laissé comme son représentant, était mort. Les habitants de la ville en refusèrent l’entrée au fugitif, mais ils lui remirent la succession de son frère, consistant en chevaux, armes et hardes, et lui amenèrent la famille du défunt. A peine Al-Mustadi était-il parti que les habitants de Murrâkush, accompagnés de leurs ulémas, de leurs chérifs et de leurs notables, se rendirent auprès du sultan Abdallah.
Arrivés en sa présence, ils lui jurèrent fidélité et alléguèrent pour leur défense qu’ils n’avaient point fait acte ouvert d’hostilité. Ils obtinrent leur pardon et prièrent le sultan de venir dans leur ville.
Le sultan, ayant voulu se rendre compte de l’état de ses forces tant en troupes régulières qu’en contingents berbères, s’aperçut qu’il n’avait plus que la moitié de son effectif, le reste ayant déserté à cause des nombreux combats qu’il avait fallu livrer, de la longueur du voyage et du manque de provisions. Depuis plus de 2 ans, le sultan n’avait rien donné à ses soldats ; on avait vécu sur le butin de l’ennemi ; ceux-là seuls avaient mangé qui avaient pu piller ; quant aux autres, pressés par la faim, ils avaient déserté. Lorsqu’il vit qu’il lui restait si peu de monde, Abdallah congédia les gens du Hawz et ceux de Murrâkush et fit partir avec eux son fils Sidi Muhammad bn Abdallah, le père de Maulay Sliman. Ce prince devait être son lieutenant à Murrâkush et s’installer dans la qasba de cette ville. Sidi Muhammad partit alors pour Murrâkush, et le sultan reprit le chemin de sa capitale.
En passant à Rabat, il y laissa son fils Maulay Ahmad, qu’il installa dans-la qasba et auquel il confia le gouvernement des Châouïa et des Bni Hasen. Il continua ensuite sa route et arriva, au mois de Rbi῾a II 1159 (mai 1746), à la qasba de Bu Fkrân, où il demeura.
En quittant Murrâkush, Al-Mustadi traversa le Dukkâla, qui avait été ruiné à cause de lui ; ensuite il gagna Tâmesna, où aucun des habitants ne fit attention à lui, puis, après avoir passé sur le territoire des Bni Hasean, qui ne voulurent point lui permettre de s’y arrêter, il se dirigea vers le Fahs, les gens de Rif se tenant sur la défensive comme des caméléons. Il s’arrêta dans le Hawz de Tanger, où il séjourna, exerçant son autorité souveraine sur les faibles populations du Fahs.
Quant au sultan Abdallah, il reçut une députation composée de 300 notables des Bni Hasan qui venaient le féliciter de son retour ; à peine ces envoyés furent-ils en sa présence, qu’il les fit massacrer jusqu’au dernier. Bientôt après, un groupe de plus de 100 Rifains, accompagnant la veuve du bâcha Ahmad Errifi et ses deux enfants, vint apporter un présent considérable. Le sultan accepta le présent, mais il fit mettre à mort les deux enfants et leur suite et jeter la veuve en prison. Cette conduite fut l’objet de nombreux commentaires dans l’armée et dans la population.
Les Ait Idrâsen avaient ensemencé des terres dans la banlieue de Miknâs ; quand les grains arrivèrent à maturité, le sultan donna ordre à ses Musaḵḵarīn de les moissonner, de les dépiquer, et ensuite de les lui remettre. Il agissait ainsi parce que les gens de cette tribu n’étaient pas venus lui rendre hommage. Or ceux-ci n’étaient point venus, uniquement parce qu’ils redoutaient d’être, comme ceux qui avaient fait cette démarche, victimes de la cruauté du sultan. Abdallah écrivit ensuite au chef de la tribu Mohammed Ou Aziz, pour lui adresser de vifs reproches de ce que ni lui, ni ses contribules n’étaient venus le voir, alors que ces derniers étaient du nombre de ses partisans et qu’une vive amitié les liait l’un à l’autre, au point qu’en lui parlant, le sultan se servait souvent de ces mots : mon père. En recevant cette lettre, Muhammad Ou Aziz dit à ses contribules :
« Préparez un présent qu’une députation choisie parmi vous ira porter au sultan, car il nous reproche de ne point être allés le voir »
Les Bni Idrâsen refusèrent de s’associer à cette démarche, en disant :
« N’avez-vous donc pas su ce qui est arrivé aux autres députations ?
-Mais vous n’êtes point dans les mêmes conditions qu’eux, repartit Muhammad. »
Enfin Muhammad les pressa tant qu’ils finirent par accéder à son désir et qu’ils désignèrent 100 cavaliers pour l’accompagner à la qasba de Bû Fkrân.
Quand le Hâjib Abdalwahhâb Elyemmûri vit arriver cette députation, il n’en put croire ses yeux ; cependant, comme il ne pouvait les renvoyer maintenant qu’ils étaient à la porte du palais, il informa le sultan de leur présence.
Celui-ci ordonna de les introduire et prit place sur son trône. A peine les députés étaient-ils entrés que les bourreaux du prince, ses Musaḵḵarīn et ses gardes pénétrèrent dans la salle d’audience et les entourèrent. Quand ils se furent assis sur l’invitation du sultan, celui-ci s’adressa en ces termes à Muhammad Ou Aziz :
« Ces gens-ci se sont écartés du droit chemin ; ils ont semé la corruption sur la route des musulmans ; énumère-leur les nombreux méfaits et les déprédations dont ils se sont rendus coupables à l’égard des rois et de leurs armées et qui leur ont fait mériter la mort et la perte de leurs biens. Si maintenant je reviens à d’anciens errements auxquels j’avais renoncé, la faute en est à eux seuls. Je veux mettre face à face ce bouc noir et ce bélier blanc ; l’un deux périra, et alors je serai débarrassé de ses fureurs ; quant à l’autre, je saurai le contenir. »
Le sultan ordonna ensuite, de saisir les envoyés et de les lier avec de fortes cordes ; puis il donna l’ordre à Mohammed Ou Aziz de se retirer :
« Sire, s’écria Muhammad, je ne suis point de ceux qui trahissent leurs engagements, et, j’en jure par Dieu, je ne partirai qu’avec mes compagnons. C’est moi qui vous les ai amenés, quoiqu’ils m’eussent annoncé tout ce qui vient d’avoir lieu ; je ne puis donc les abandonner ! »
Puis, voyant ce qui venait de se passer, il ajouta :
« OAbdalwahhâb, que peut-on espérer de bon d’un homme qui donne à un autre le titre de père et qui refuse d’accueillir son intercession en faveur de sa tribu ? »
Mis en liberté, les compagnons de Muhammad quittèrent le palais et, sautant sur leurs montures, ils partirent pour leur pays. Quand ils se furent éloignés, ils dirent à leur chef :
« ous étions morts et nous voici ressuscites. Nous connaissons maintenant la perfidie de cet homme que tu nous a contraints d’aller voir ; aussi faut-il que nous nous vengions. Ne t’oppose pas à notre dessein.
-Faites comme il vous plaira, répondit-il. »
Aussitôt arrivés chez eux, les envoyés convinrent de se mettre en campagne 3 jours après, et il fut décidé que l’on brûlerait la tente de quiconque dans la tribu refuserait de marcher. Là-dessus on se sépara, et l’on convia toutes les fractions de la tribu à prendre part à l’expédition ; toutes furent exactes au rendez-vous. Le sultan Abdallah, qui ne s’attendait à rien, fut tout surpris à la vue soudaine des étendards de la tribu, qui apparurent du côté d’Al-Hâjib. Il donna l’ordre de faire monter ses femmes sur des mules, d’emporter tout ce qu’il possédait et de disposer en bataille les gardes Abids, qui étaient au nombre de 12 000. Puis il envoya ses femmes sous la garde d’une Relia, c’est-à-dire de 1000 hommes ; une seconde Relia suivit la première et, s’étant placé lui-même au centre avec sa cavalerie, il disposa en arrière les autres reha. L’agression des Berbères fut si rapide qu’on n’eut pas le temps de charger tous les trésors et qu’on dut les abandonner en monceaux. On se mit en marche en côtoyant la rivière, et bientôt les Berbères, arrivant de tous côtés, se précipitèrent sur le convoi. Les gardes répondirent à cette attaque par un feu de peloton, la cavalerie en fit autant, et chaque décharge abattit de quarante à cinquante hommes. Le combat dura tout le jour et ne cessa qu’au moment où le convoi entra dans la qasba par la porte d’Al-Qazdir. Les Abids avaient perdu environ 300 hommes et les Berbères 500.
Ces derniers, ayant échoué dans leur entreprise, transportèrent leurs morts dans la qasba de Bû Fkrân, où, après les avoir ensevelis dans un double linceul, ils les enterrèrent.
Quand les Abids furent réunis à leurs frères de Miknâs, ils leur firent part de ces paroles dites par le sultan Abdallah à Muhammad Ou Aziz :
« Je veux mettre face à face ce bélier et ce bouc »
Ces mots, passés de bouche en bouche, causèrent parmi les Abids une vive émotion. Ils écrivirent au diwan pour lui annoncer ce qui s’était passé et lui rapporter le propos du sultan ; ils demandèrent en même temps conseil sur la conduite qu’ils devaient tenir. Prévenu par un des notables des Abids de ce qui avait été dit et de ce qui avait été écrit au diwan, le sultan Abdallah envoya aussitôt une lettre aux Udaya. Dans cette lettre qu’il fit porter par un émissaire, le sultan disait :
« Si vous tenez à Abdallah, le fils de votre soeur, montez immédiatement à cheval et venez à lui ! »
Dès que l’émissaire fut arrivé, 400 Udaya montèrent à cheval au moment de l’Asr et accoururent auprès du sultan. Celui-ci avait fait charger ses trésors, ses femmes, ses meubles et ses bagages qui lurent prêts au Mughrib ; puis il fit seller son cheval, et quand, peu après le crépuscule, les Udaya arrivèrent à la porte d’Al-Qazdir, il fit sortir ses femmes et ses bagages et se mit en route. On marcha toute la nuit, et le soleil n’était pas levé lorsqu’on arriva à Fâs al-Jadîd.
Quant aux Abids du diwan, ils s’étaient réunis et avaient décidé de quitter Mechra Erremel pour se rendre à Miknâs et y rejoindre ceux de leurs frères qui étaient dans cette ville. Ils écrivirent aussitôt aux gens de Miknâs pour leur dire de ne rien entreprendre contre le sultan avant leur arrivée, qui devait avoir lieu trois jours après. Ils se préparèrent ensuite au voyage et emmenèrent avec eux leurs enfants et leurs bagages, laissant toutefois les objets trop encombrants pour un second voyage. Quand les Bni Hasen apprirent le départ des Abids, ils se portèrent à leur rencontre, pillèrent leur camp et assaillirent tous les traînards qu’un lourd bagage avait fait rester en arrière. Puis ils continuèrent à les harceler, dépouillant tous ceux qu’ils pouvaient atteindre, jusqu’à ce que la colonne fût débandée.
Lorsque les Abids arrivèrent à Miknâs, ils se répandirent dans les maisons, dans les marchés, sur les places, dans les écuries, dans la qasba Hedrach, à la Bab Mrah, à la porte d’Ibn-Al-qâ et s’établirent partout où ils trouvèrent place. Ceci se passait en 1160 (1747)
Lorsqu’il s’était révolté, ainsi que ses Berbères contre le sultan Abdallah, Muhammad Ou Aziz avait écrit aux Ahl Fâs pour les informer de ce qui venait de se passer. Ceux-ci avaient répondu :
« Nous sommes avec vous ! »
Muhammad Ou Aziz avait écrit dans le même sens au Qâ’id Elhabib, aux gens du Gharb et aux Hayayina, qui tous avaient fait lamême réponse.
Les Berbères se mirent donc à attaquer les Udaya et à piller leurs troupeaux, et les Udaya agirent de même à l’égard des Ahl Fâs. Ceux-ci fermèrent alors les portes de la ville et déclarèrent hautement qu’ils avaient déposé le sultan Abdallah et qu’ils entraient en hostilités contre lui. La lutte dura ainsi jusqu’au moment où arriva à Fâs un courrier envoyé par les pèlerins.
Les habitants de la ville demandèrent assistance aux Berbères, qui fournirent 500 cavaliers pour aller chercher les pèlerins à Taza. Cette escorte se mit en route et rencontra les Hayayina, qui firent alliance avec elle et l’accompagnèrent à Taza. Les deux troupes ramenèrent les pèlerins à Fâs, où ceux-ci firent leur entrée par bab ftûh, et allèrent ensuite camper à Az-Zitûn. Pendant qu’une partie de ces pèlerins était entrée dans la ville pour divers soins, les Udaya attaquèrent ceux qui étaient restés au camp Az-Zitûn et les mirent en déroute. Les Hayayina et les autres Berbères se retirèrent alors chacun dans leur pays. Les Udaya coupèrent les têtes des ennemis qu’ils avaient tués : il y en avait 30. On les envoya au sultan Abdallah, qui donna l’ordre de les suspendre aux murs de la qasba des Shrâga.
La situation des Ahl Fâs continuait à être critique. Muhammad Ou Aziz écrivit alors au Qâ’id Al-habib et aux gens du Gharb d’entreprendre une expédition contre le sultan Abdallah et contre les Abids et les Udaya que ce dernier avait avec lui. Cette expédition organisée se mit en marche et vint camper à Dahr Az-Zawiya, tandis que Muhammad Ou Aziz avec ses Berbères s’était établi à Dâr Dbibagh. On était alors en 1160 (1747). Le lendemain de son arrivée, Elhabib monta à cheval et, suivi des gens du Gharb, du Khuluṭ et des Taliq, il se rendit à Dâr Dbibagh. Les Berbères profitèrent de ce mouvement pour marcher droit au camp des gens du Gharb, et après l’avoir pillé ils se dirigèrent vers Says. Apprenant ce qui venait de se passer dans leur camp, les gens du Gharb traversèrent la rivière de Fâs et regagnèrent leur pays. On assure que le sultan Abdallah avait envoyé pendant la nuit de l’argent à Muhammad Ou Aziz et à ses Berbères pour obtenir d’eux qu’ils dispersassent ce rassemblement de troupes. Le pillage du camp avait été le stratagème employé à cet effet.
Les Ahl Fâs se décidèrent alors à demander la paix et à offrir au sultan de le reconnaître. Celui-ci leur envoya dire de se présenter devant lui. Une députation, composée des chérifs, des ulémas et des notables, se rendit à Fâs al-Jadîd.
Quand ces envoyés furent introduits en sa présence, le sultan leur adressa de vifs reproches avec injures et menaces et leur dicta ses conditions. Entre autres conditions, il leur proposa de lui livrer les grains que les Arabes conservaient à Fâs, de détruire les maisons que ces derniers y possédaient, pour les rebâtir ensuite avec les matériaux de démolition à Dâr Dbibagh, ou, s’ils le préféraient, d’être incorporés dans son armée soit pour le service des garnisons, soit pour le service de marche. Avant de répondre, les envoyés demandèrent à conférer avec leurs commettants ; mais, à peine rentrés à Fâs, ils fermèrent les portes de la ville et déclarèrent qu’ils ne feraient rien de ce qui leur avait été demandé. La lutte continua, et les Ahl Fâs envoyèrent à Al-Mustaḍi un délégué chargé de le ramener de Tanger pour le proclamer souverain. Al-Mustaḍi renvoya le délégué avec une simple promesse.
Le 7 du mois de ḏu-al-ḥijja, les habitants de Fâs s’emparèrent des quftân-s qui appartenaient au sultan Abdallah et qui étaient déposés au funduq An-Najjârîn sous la garde de ‘Adil : il y en avait 3000. Ils se les partagèrent et les revêtirent pour la fête de ‘Ayd Al-Kabir. Al-Haj Al-Khayyâṭ ‘Adil fut arrêté ; on voulait le contraindre à livrer l’argent du fisc qu’il détenait, mais il réussit à obtenir sa liberté en payant une rançon de 3000 miṯqâl-s. Sur ces entrefaites, les Bni Hasan vinrent se plaindre au sultan de ce que les gens du Gharb, en revenant de Fâs, les avaient attaqués et leur avaient enlevé leurs troupeaux. Le sultan Abdallah écrivit aussitôt aux Abids de partir en campagne avec les Bni Hasan, et les Udaya reçurent l’ordre de se joindre à eux. Quand ils apprirent ces préparatifs, les gens du Gharb, les Khuluṭ et les Taliq prirent la fuite et se réfugièrent à Larache où ils se fortifièrent. Là, ils furent assiégés et, la guerre ayant duré trois mois, ils perdirent leurs boeufs et leurs moutons par suite de la sécheresse. Le sultan leur envoya alors un Coran et un chapelet, qui leur furent apportés par un détachement d’Udaya. Les tribus, après avoir promis un présent, se rendirent avec les Udaya auprès du sultan Abdallah, qui usa de clémence à leur égard et donna au Qâ’id Al-Habib le commandement de toutes les tribus des montagnes. Quant à l’armée du sultan, elle quitta Larache où elle était et alla camper devant Alqasar ; les habitants de cette ville pourvurent à la nourriture des hommes et des chevaux. Malgré cela les troupes entrèrent le lendemain, dans la ville et la mirent à sac : les maisons furent pillées, les femmes enlevées et pendant six jours on se porta à tous les excès; aussi ne resta-t-ilbientôt rien dans cette ville qui méritât de porter un nom. La colonne rentra ensuite à Mshra῾a Ar-Ratnal, tandis que le sultan était à Al-Wujûd.
Au mois de jumada II 1161 (juin 1748), le sultan se rendit à Miknâs ; il avait dessein d’entreprendre une expédition contre les Berbères, mais personne ne répondit à son appel. Cette même année, des bandes de Berbères se portèrent du côté de Fâs ; elles razzièrent les troupeaux des Udaya, saccagèrent leurs champs de culture et leurs potagers, et campèrent ensuite sous les murs de la ville. D’autres bandes des mêmes tribus apportèrent alors des grains, du beurre, de la laine; elles amenèrent des moutons et des boeufs, le tout pour en faire commerce. Un marché fut installé; il dura dix jours sans que personne le troublât, et depuis ce moment ce marché eut lieu régulièrement tous les mois. Les Berbères y apportaient leurs denrées et s’en retournaient après les avoir vendues ou échangées.
On reçut de Tanger la nouvelle que les Rifains avaient arrêté Al-Mustaḍi, lui avaient enlevé tout ce qu’il possédait, argent, chevaux, etc., et qu’ils avaient également dévalisé tous les partisans de ce personnage, parce qu’il avait fait arrêter le Qâ’id Abd-al-krim, frère du bâcha Ahmad bn Ali Ar-Rifi, et lui avait pris son argent et ses armes. Après s’être ainsi vengés, les Rifains rendirent la liberté à Al-Mustadi. Celui-ci écrivit alors à son frère Abdallah pour s’excuser sur sa conduite passée et demanda qu’on lui fixât un endroit où il pourrait s’établir.
Le sultan lui répondit :
« Tu ne m’as fait aucun mal ; tu n’as cherché, comme moi, qu’à recouvrer le trône de ton père, et en cela tu n’as rien fait de répréhensible. Si maintenant tu veux, comme moi, vivre sans éclat, établis-toi à Aṣila; cela vaudra mieux que Dâr Dbibagh où je suis. Si, au contraire, tu recherches le pouvoir, c’est ton affaire, et quant à moi, je suis prêt à te l’abandonner ! »
Al-Mustadi se mit en route pour Açila, où il s’établit; il s’installa dans la maison d’Elkhidr Ghilân, après l’avoir fait restaurer. Cédant ensuite aux instigations de certains aventuriers qui l’entouraient, il s’occupa activement de vendre des céréales aux infidèles. Quand le sultan Abdallah apprit cela, il écrivit à son fils Sidi Muhammad, son lieutenant à Murrâkush, de faire expulser Al-Mustadi. Sidi Muhammad envoya son wazîr Idris bn Elmachaar avec 100 cavaliers auprès d’Abdallah Essofiâni; celui-ci prit avec lui 500 cavaliers de sa tribu et accompagna le wazîr. On chassa Al-Mustadi de la ville d’Açila, on s’empara de tout ce qu’il possédait, armes, poudre et meubles, et on l’emmena, ainsi que ses femmes et ses enfants, à Fâs, où on les installa dans le mausolée de Abu Bakr Ibn Al’arbi. Al-Mustadi envoya son fils auprès du sultan Abdallah, son frère, qui était à Dâr Dbibagh, pour se plaindre de la conduite de Sidi Muhammad à son égard. Abdallah répondit :
« Dis à ton père que Muhammad est plus puissant que lui et que moi et que je n’ai aucun pouvoir sur mon fils. Que ton père aille donc au pays de son père et de ses ancêtres et qu’il y demeure (il voulait dire au Tafilalt), car ni lui ni moi n’avons plus longtemps à vivre »
Al-Mustadi partit pour Safru, où il laissa sa famille dans la maison d’Ettihami bel Djouthi. Quand Idris bn Elmontasir apporta les bagages d’Al-Mustadi au sultan Abdallah, celui-ci prit la poudre et quelques autres objets et dit au gouverneur de Fâs d’écrire à Al-Mustadi d’envoyer chercher ses bagages. Al-Mustadi envoya quelqu’un les prendre pour les remettre à sa famille à Dâr Eš-šurfa.
Le sultan Abdallah, revenu à Fâs, y avait établi sa résidence. Les Berbères infestèrent alors les routes ; ils poussèrent leurs incursions jusqu’aux pâturages qui avoisinaient Miknâs et détroussèrent tous ceux qui se rendaient dans cette ville. Quand les Abids sortaient pour les combattre, les Berbères prenaient la fuite et profitaient du moindre relâchement dans la surveillance pour recommencer leurs déprédations. Les approvisionnements devinrent difficiles, et les Berbères enlevèrent les enfants jusque clans les tentes et dans les jardins. Ils bloquèrent si étroitement la ville que les Abids leur envoyèrent demander la cessation des hostilités.
Mais les Berbères refusèrent, en disant qu’ils agissaient ainsi d’après les ordres du sultan. En apprenant cette réponse, les Abids se réunirent et dirent :
« Il est indubitable que ces ordres viennent du sultan Abdallah. Il aura excité, ces Berbères contre nous, lorsqu’il a vu que nous avions refusé de marcher contre eux, en disant qu’il nous fallait attendre, avant de partir, l’arrivée de nos frères, des tribus et des Udaya. »
Ils décidèrent alors d’arrêter le sultan et de le déposer. Informé de cette résolution, le sultan s’enfuit de Miknâs pendant la nuit et alla à Dâr Dbibagh. Les Abids le déposèrent aussitôt et proclamèrent son fils Sidi Muhammad. Grâce à la déposition d’Abdallah, la paix fut conclue avec les Berbères. Les Abids se rendirent à Murrâkush pour prêter bay’a à Sidi Muhammad.
Le prince se mit en colère quand on lui lut la formule du serment, et il la repoussa en disant : « Je ne suis que le serviteur de mon père ! Par Dieu ! Je ne puis m’entendre avec vous sur ceci ». Il les renvoya donc sans accepter leur démarche; mais, de retour à Miknâs, les Abids continuèrent à faire faire la prière publique au nom de Sidi Muhammad clans la capitale et à Zarhûn.
Le sultan Abdallah fit la paix avec les habitants de Fâs. Il s’excusa auprès d’eux et leur jura que jamais il n’avait donné l’ordre de les combattre ni de leur faire aucun mal.
«Tout cela, dit-il, provenait des Udaya, qui dévastaient leur pays. »
Il congédia ensuite les envoyés de Fâs, après leur avoir distribué des cadeaux. Les habitants ouvrirent alors les portes de la ville, après avoir soutenu un siège de 27 mois. Puis la paix fut faite avec les Udaya sur le tombeau de Maulay Idris. Ceci avait lieu en 1161 (1748).
En 1162 (1749), le sultan Abdallah reçut de son fils Sidi Muhammad un cadeau d’environ 30 quintaux. Au mois de sha῾aban, il donna 5 dinars à chacun des Abids qui étaient avec lui, en leur disant :
« Informez vos frères de Miknâs que tous ceux d’entre eux qui viendront ici recevront pareille somme ! »
II espérait ainsi les attirer à lui. Quand ces paroles leur furent transmises, les Abids mandèrent aux Berbères de Sâys de tuer tous ceux des Abids qu’ils rencontreraient se dirigeant vers Fâs. Cette dernière mesure fit plaisir aux habitants de Miknâs, qui étaient heureux de la déposition du sultan. Au moment où cette inimitié se manifestait entre les Abids et Abdallah, Muhammad Ou Aziz vint, avec une députation de Berbères, trouver le sultan et conclure la paix avec lui. Celui-ci donna 10 000 dinars à ces Berbères et leur fit encore remettre pareille somme lorsqu’ils revinrent à l’époque de la fète. Les Udaya et les Ahl Fâs reçurent également 10 000 dinars. Le sultan agissait ainsi pour exciter le dépit des Abids, qui l’avaient déposé.
En 1163 (1750), il ne plut pas dans le Maghreb et les vivres devinrent cher. La peste fit son apparition. Le pays fut très troublé, car les Berbères, n’ayant plus à redouter la répression du sultan, se répandirent sur les routes, portant partout la dévastation et le désordre. La déposition du sultan par les Abids avait détruit tout gouvernement régulier. Cette même année, Sidi Muhammad vint de Murrâkush rendre visite à son père. Quand il arriva à Miknâs, il s’aperçut qu’on faisait la prière publique en son nom. Il eut à ce sujet une vive discussion.avec les habitants et les blâma sévèrement, en leur disant :
« Je ne suis rien pour vous et n’encours point la responsabilité de ce que vous faites. Je ne suis qu’un serviteur de mon père, comme je vous l’ai dit déjà quand vous êtes venus me trouver à Murrâkush, et pourtant vous persistez clans votre erreur. »
Les habitants de Miknâs cessèrent de faire la prière au nom de Sidi Muhammad aussi bien à Miknâs qu’à Zarhûn et rédigèrent un nouveau bay’a au sultan Abdallah bn Ismaïl. Les Qâ’ids et les notables accompagnèrent Sidi Muhammad et apportèrent à son père, le texte de ce serment.
SIXIÈME RÈGNE DU SULTAN ABDALLAH.
Lorsque Sidi Muhammad arriva auprès de son père, les Udaya, les Ahl Fâs et du Hawz sortirent à sa rencontre. Il s’arrêta alors avec son armée, qu’il avait amenée de Murrâkush; elle s’élevait à environ 4000 Abids, qui lui avaient été fournis par les Abda, les Rhâmna, les gens du Sous et ceux du Dukkâla. Le sultan Abdallah, à la tête de son cortège, se porta au-devant de l’armée de son fils. Dès que son père parut, Sidi Muhammad mit pied à terre, se prosterna devant lui et lui baisa le pied. Il intercéda ensuite en faveur des Abids; le sultan lui accorda leur grâce et fit sa paix avec eux. Ce fut un jour de grande liesse; toute la population de Fâs et du Hawz accourut au camp ; on pavoisa la ville et l’on tira des salves d’artillerie. Aussitôt après cette réception, le sultan prit congé de son fils et lui dit :
« Ne passe pas la nuit ici ; les Berbères sont traîtres et rusés : s’ils savent ce que tu as fait et avec qui tu es venu, ils se jetteront sur ceux que tu as amenés et t’infligeront ainsi un affront. Retourne donc immédiatement à Miknâs. »
Sidi Muhammad se mit en marche aussitôt et, au lieu de camper à l’Wad An-Na῾ja et d’y passer la nuit, il continua sa route de nuit jusqu’à Miknâs. De là, il rentra à Murrâkush.
Au moment de l’Ayd, les Qâ’id des Abid, accompagnés d’un groupe de Garwân et d’un autre de Bni Idrâsen, se rendirent auprès du sultan Abdallah et passèrent les fêtes avec lui. Au moment de les congédier, le sultan donna à Muhammad et aux gens des Bni Mṭir et des Garwân qui étaient avec lui ?0 000 miṯqâl-s, mais il ne donna rien aux Qâ’id des Abid, qui s’en retournèrent désappointés.
En 1161 (1751), Sidi Muhammad envoya ses compagnons porter un présent à son père. Celui-ci bnit son fils et lui adressa des éloges; puis il donna 10 000 douros (55 000 fr) aux Udaya et 3000 douros aux Abids qu’il avait auprès de lui. Il agit ainsi parce qu’il avait appris que les Abids, qui n’avaient point eu part à ses largesses, s’étaient rendus à Murrâkush auprès de son fils Sidi Muhammad et s’étaient plaints à lui de l’isolement dans lequel le sultan les tenait pour pactiser avec les Berbères, les ennemis du gouvernement.
« Nous sommes venus à toi, lui dirent-ils, pour te proposer cette alternative : ou tu seras notre souverain, ou bien nous proclamerons ton oncle Al-Mustadi ! »
Sidi Muhammad leur répondit :
« Je ne serai pas souverain et ne veux plus entendre parler de cela ! »
Il les calma ensuite, en leur donnant de l’argent et il leur remit une lettre pour son père. Dans cette lettre, il faisait appel à la bienveillance du sultan en faveur des Abids, lui rappelant, en outre, qu’il n’avait pas tenu compte de sa précédente recommandation. Il avait envoyé cette lettre par un de ses serviteurs qui avait accompagné les Abids.
En 1165 (1752), le sultan apprit que les habitants de Tétouan avaient assassiné leur Qâ’id Al-Hajj Muhammad Al-Tamimi.
« Vous aviez vous-mêmes choisi cet homme pour Qâ’id, dit-il aux gens de Tétouan qui vinrent le trouver, et vous l’avez assassiné. Choisissez qui vous conviendra. »
Ils présentèrent alors Muhammad bn Al-Hajj ‘Umar Al-Wuqqâch au sultan, qui le nomma Qâ’id, puis ils rentrèrent dans leur pays avec leur nouveau chef.
Immédiatement après cela, arriva un ambassadeur espagnol apportant 100 000 douros et un présent proportionné à cette somme. Ce présent consistait en étoffes de soie, en drap, en toile, en curiosités et en vases. L’ambassadeur venait pour délivrer les prisonniers de sa nation qui étaient au pouvoir du sultan Abdallah. Celui-ci accepta l’argent et dit ensuite à l’ambassadeur :
«J’attendrai que vous ayez d’abord renvoyé les musulmans qui sont prisonniers chez vous ! »
II distribua une partie de cet argent et donna à chacun des Abids et à chacune de leurs femmes 2 riyâl. Le nombre des Abids qu’il avait auprès de lui était de 2200.
En 1166 (1753), les Abids de Miknâs se rendirent auprès du sultan. Ils étaient accompagnés d’un envoyé de Sidi Muhammad, porteur d’une lettre adressée par son maître au sultan. Celui-ci pardonna aux Abids et leur donna 20 000 douros.
En 1167 (1754) eut lieu un terrible tremblement de terre, qui détruisit Miknâs et Zarhûn; un grand nombre de personnes périrent sous les décombres.
En 1168 (1755), les habitants de Fâs se mirent à acheter une grande quantité de chevaux. Chaque jour ils sortaient de la ville et allaient à la Bab Ftûh s’exercer à l’équitation, à la manoeuvre et au tir à feu. Ils voulaient ainsi abaisser l’orgueil des Udaya, qui leur étaient supérieurs dans les exercices à cheval.
En 1169 (1756), les Qâ’ids des Abids de Miknâs se rendirent auprès du sultan. Quand ils furent en sa présence, ils déclarèrent qu’ils ne s’en iraient point tant que le sultan ne les accompagnerait pas dans la capitale.
« Comment irais-je avec vous, répondit-il, alors que vous avez parmi vous un tel et un tel qui jouissent d’une grande influence ? Cela ne saurait être. Aussitôt que les Abids furent rentrés dans leur camp et que la nuit fut venue, ils se mirent à tuer tous ceux que le sultan leur avait désignés. Le lendemain, ils apportèrent les têtes de ces personnages au sultan. Il y avait entre autres la tète du Qâ’id Mohammed Esselâouï, celle du Qâ’id Zaghbûl et celle du Qâ’id Sliman bn Al-‘Aṣri. Us les présentèrent au sultan, en lui disant le nom de chacune d’elles.
« Tout va bien maintenant », dit le sultan.
Il ordonna ensuite de remettre 40 quintaux aux Abids et leur dit :
« Dès que j’aurai terminé mon oeuvre, je viendrai vers vous ! »
Là-dessus, il les congédia. Cette année-là, le sultan reçut la visite de son frère Maulay Ali Elmekhlou, qui était chez les Ahlâf. Il lui donna de l’argent et des objets pour une valeur de 10 000 miṯqâl-s, puis il lui offrit le choix entre la résidence de Miknâs et celle de Sijilmasa. Maulay Ali ayant choisi Miknâs, le sultan l’envoya dans cette ville et lui assigna les droits sur les denrées et les produits des terres domaniales qui se trouvaient aux environs de cette ville. Lors de la saison des pluies, quand les populations eurent achevé les labours, les Abids se saisirent de Maulay Ali et l’expédièrent au sultan, en lui disant :
« Cet homme trouble notre pays. »
Le sultan le fit mettre en liberté et l’envoya à Sijilmasa.
A cette époque, le Qâ’id Muhammad Al-Wuqqâch vint apporter un magnifique présent de 100 000 douros, de diverses marchandises et de chrétiens qui avaient été faits captifs par ses galiotes. Le sultan Abdallah reçut ce Qâ’id avec de grands honneurs et il le congédia après lui avoir donné deux femmes de son harem. Cette même année, les Berbères attaquèrent les Udaya, pillèrent leurs troupeaux et saccagèrent leurs récoltes; dans cette expédition, leur chef Muhammad Ou Aziz mourut. De leur côté, les Bni Mṭir et leurs alliés attaquèrent les Garwân, qui vinrent camper à Dâr Dbibagh, et demandèrent au sultan de les protéger. Maulay Abdallah invita les Udaya à contracter alliance avec les Garwân et à leur venir en aide. Les nouveaux alliés vendirent leurs troupeaux et allèrent combattre les Bni Idrâsen. Dans l’action qui s’engagea, les Bni Idrâsen furent défaits et mis en fuite ; leur camp fut pillé et ils perdirent environ 500 hommes. Le reste se réfugia sur le territoire des Cherâga, où il demeura. Telle fut l’origine de l’alliance contractée entre les Udaya et les Garwân sous les auspices du sultan Abdallah, en 1170 (1756-1757).
Quant à Al-Mustadi, aussitôt arrivé à Safrou, il manda aux Aït Yousi de venir à son camp, et là il leur demanda de l’assister dans ses projets.
« Il faut d’abord, répondirent-ils, que vous obteniez l’appui des Garwân et des Bni Mṭir, car nous sommes résolus à marcher avec eux. »
Ces démarches n’ayant pas abouti, Al-Mustadi envoya chercher sa famille et ses bagages, qui étaient à Fâs, puis il partit pour Sijilmasa, où il demeura jusqu’à sa mort survenue en 1173 (1759-1760).