As-Saadi, Tarikh Soudan :De la Conquête du Soudan par les andalous-renégats de Jawdar (1591) jusqu'à l'indépendance du Pachalik (1613), v. 1650 n-è

XXI : VENUE DU PACHA DJOUDER AU SOUDAN

 Djouder était de petite taille et avait les yeux bleus. Voici les circonstances qui occasionnèrent sa venue : Il y avait un certain Ould-Kirinfil qui était un des serviteurs du prince du Songhaï. Son maître, le souverain Askia-Ishâq, fils du prince Askia-Daoud, fils du prince Askia-EI-Hâdj-Mohammed, irrité contre lui, lavait envoyé, pour y être interné, à Teghâzza, localité qui faisait partie des Etats des roi du Songhaï et était administrée par eux.

 Or le destin voulut que Ould-Kirinfil parvînt à s’échapper de cette localité où il était interné et réussît à se rendre dans la cité rouge de Merrâkech.Son dessein était de se présenter au souverain du pays, le chérif Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi, mais celui-ci avait, à ce moment, quitté Merrâkech et se trouvait à Fez où il était allé châtier les chérifs de cette ville.

 Il avait fait crever les yeux aux révoltés et bon nombre d’entre eux succombèrent à ce supplice. (Nous appartenons à Dieu et c’est vers lui que nous devons retourner.) Il avait agi ainsi en vue d’avantages purement temporels. (Dieu nous préserve d’un pareil sort!)

 Ould-Kirinfil demeura à Merrâkech; de là il écrivit au souverain marocain une lettre dans laquelle il l’informait de son arrivée et lui donnait des nouvelles du pays du Songhaï dont les habitants, disait-il, étaient dans une situation déplorable à cause de la bassesse de leur nature. 11 engageait donc vivement Maulay Ahmed à s’emparer de ce pays et à l’arracher des mains de ses maîtres.

 Aussitôt qu’il eut reçu cette lettre, Maulay Ahmed écrivit à son tour au prince Askia-Ishâq, lui annonçant qu’il comptait se rendre dans son pays, que, pour le moment, il était à Fez loin de sa capitale, mais que, si Dieu voulait, l’Askia pourrait, par le document joint à sa lettre, connaître ses intentions. Et, entre autres choses, Maulay Ahmed, dans ce document, demandait qu’on lui abandonnât l’exploitation de la mine de sel de Teghâzza, mine que, plus que tout autre, il avait droit de posséder puisque c’était grâce à lui que ce pays était défendu et protégé contre les incursions des infidèles chrétiens, etc. Ces dépêches expédiées par messager arrivèrent dans la ville de Kâgho pendant que le souverain était encore à Fez, au mois de safar de l’année 998 de la fuite du Prophète (que sur lui soient les meilleurs saints et bénédictions!) (10 décembre 1589-8 janvier 1590). J’ai vu moi-même l’original de ces documents. Maulay Ahmed retourna ensuite à Merrâkech. La neige fut si abondante au cours de ce voyage qu’il faiiht périr en route(N va) ; grand nombre de ses gens perdirent les mains ou les pieds par suite du froid et Ton arriva à la capitale dans le plus fâcheux état. Demandons à Dieu qu’il nous épargne ces épreuves.

 Non seulement le prince Askia-Ishâq ne consentit pas à abandonner la mine de ïeghâzza, mais encore il répondit en termes violents et injurieux et envoya en même temps que sa réponse des javelots et deux chaussures de fer. Aussitôt que ce message lui parvint, Maulay Ahmed décida d’envoyer une armée faire une expédition dans le Soudan, et l’année suivante, c’est-à-dire au mois de moharrem qui commença l’année 999 (novembre 1590), il mit en marche contre le Songhaïun important corps d’armée comprenant 3. 000 hommes d’armes, tant cavaliers que fantassins, accompagnés d’un nombre double de suivants de toute sorte, ouvriers de divers genres, médecins, etc.

 Le pacha Djouder fut mis à la tête de cette expédition; il avait avec lui une dizaine de généraux, le caïd Mostafa-Et-Torki,lecaïd Mostafa-ben-Asker, le caïd Ahmed-El-Harousi- El-Andelousi, le caïd Ahmed-ben-El-Haddâd-El-‘Amri, chef de la gendarmerie, le caïd Ahmed>ben-‘Atiya, le caïd ‘Ammâr-E]-Feta le renégat, le caïd Ahmed-ben-Yousef le renégat, et le caïd ‘Ali-beu-Mostafa le renégat, ce dernier, qui fut le premier chef marocain investi du commandement de la ville de Kâgho, périt en même temps que le pacha Mahmoud-ben-Zergoun, lorsque celui-ci fut tué à El-Hadjar. Enfin le caïd Bou-Chiba-El- Amri et le caïd Bou Gheïta-El-‘Amri. Deux lieutenants-généraux commandaient les deux ailes de l’armée: Ba-Hasen-Friro,le renégat, l’aile droite et Qâsem-Waradououï-El-Andalousi, le renégat, l’aile gauche. Tels sont les généraux et lieutenants qui partirent avec Djouder.

 Le prince marocain annonça à ses généraux qu’il résultait des calculs divinatoires que le pays de Songhaï devait cesser d’être dominé par les Soudanais et que son armée devait s’emparer d’une certaine partie de ces contrées. L’armée se mit ensuite en marche vers le Songhaï.

 Dès qu’il eut conuaissance de la nouvelle (NV^)du départ de cette armée, le prince Askia-Ishâq réunit ses généraux et les principaux personnages de son royaume afin de les con- sulter sur les mesures à prendre et leur demander leur avis ; mais chaque fois qu’un conseil judicieux fut donné on s’empressa de le rejeter. Dieu, dans sa prescience, avait décidé ainsi que ce royaume disparaîtrait et que cette dynastie s’effondrerait : nul ne peut repousser ce qu’il a décidé, ni faire obstacle à ses décisions.

 Il se trouva qu’à ce moment Hammou-ben-Abd-el-Haqq- Ed-Der’i était venu en voyage à Kâglio. Le prince Askia donna au cheikh Ahmed-Touïreq-Ez-Zobeïri l’ordre d’arrêter et de mettre en prison Hammou, bien que celui-ci fut l’agent du Songhaïà Teghàzza, sous prétexte qu’il n’était venu à Kâgho qu’afin de servir d’espion au souverain marocain Ahmed-Edz-Dzehebi. L’ordre fut exécuté et Hammou fut jeté en prison ainsi que Rafi’, Ahmed-Nini-Bir et El-Harrouchi,père de Ahmed-El-Amdjed.

 Les troupes marocaines atteignirent le Niger dans le voisinage du bourg de Karabara. Elles s’arrêtèrent en cet endroit où Djouder donna un grand repas pour célébrer leur heureuse arrivée au bord du Fleuve. Le fait que ces hommes étaient arrivés là sains et saufs faisait présager que l’entreprise réussirait et que le succès couronnerait les efforts de leur chef. Cet événement eut lieu le mercredi, 4 du mois de djomada II de l’année 999 de l’hégire (30 mars 1591) ainsi qu’il a été dit précédemment.

 L’armée ne passa pas par la ville de Araouân, mais elle passa à l’est de cette localité. Sur sa route elle rencontra les chameaux de Abdallah-ben-Chaïn-El-Mahmoudi; Djouder prit de ces chameaux la quantité qui lui était nécessaire, puis Abdallah partit aussitôt pour le Maroc et se rendit à Merrakech auprès de Maulay Ahmed à qui il se plaignit de l’iniquité dont il avait été ainsi la victime. Ce fut lui qui annonça le premier l’arrivée de Tarmée marocaine au bord du Niger. La première personne dont le prince lui demanda des nouvelles fut Ba-Hasen. «Ba-Hasen, répondit-il, est peut-être bien portant. » Ensuite le prince s’informa du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd et du pacha Djouder. Puis il écrivit à ce dernier de payer la valeur des chameaux qu’il avait pris.

 Les Marocains reprirent ensuite leur marche; ils se dirigèrent (m») vers la ville de Kâgho et rencontrèrent sur leur route le prince Askia-Ishâqà un endroit appelé fenkon dibo’o, près de Tonbodi. Le prince songhaï était à la tête de 12.500 cavaliers et 30.000 fantassins. La réunion de ces troupes ne s’était pas faite plus tôt parce que les gens du Songhaï ne pouvait croire à la nouvelle de l’expédition et qu’ils avaient attendu son arrivée sur les bords du Fleuve.

 La bataille s’engagea le mardi, 17 du mois indiqué précédemment (12 avril). En un chn d’oeil les troupes de l’Askia furent mises en déroute. Parmi les personnes notables qui périrent dans cette bataille on cite parmi les cavaliers : le Fondoko Boubo-Meryama, l’ancien chef duMàsina révoqué; le Cha’-Farma Ali-Djâouenda ; le Binka-Farma ‘Otsmân-Dorfan-ben-Bokar-Kirin-Kirin, le fds du prince Askia-El-Hâdj-Mohamraed ; il était alors très âgé et Askia-lshâq l’avait nommé Binka-Farma lorsque le Binka-Farma Mohammed-Heika était mort, ainsi que nous l’avons dit, dans l’expédition de Nemnatako.

 Il périt également ce jour-là un grand nombre de personnages parmi les fantassins. Quand l’armée fut défaite ils jetèrent leurs boucliers sur le sol et s’accroupirent sur ces sortes de sièges, attendant l’arrivée des troupes de Djouber qui les massacrèrent dans cette attitude sans qu’ils fissent résistance et cela parce qu’ils ne devaient point fuir en cas

de déroute. Les soldats marocains leur enlevèrent les bracelets d’or qu’ils avaient au bras.

Askia-Ishâq tourna bride et s’enfuit avec le reste de ses troupes; puis il manda aux gens de Kâgho de quitter la ville et de fuir de l’autre côté du Niger dans la direction du Gourma; il envoya également la même recommandation aux habitants de Tombouctou et, poursuivant sa route sans passer par Kâgho, il arriva en cet équipage à Koraï-Gourma.

 Arrivé là, il y campa avec le reste de ses troupes, au milieu des pleurs et des lamentations. Ce fut au milieu de cris et de vociférations que l’on commença à grand’peine à traverser le Fleuve dans des barques. Dans la bousculade qui se produisit beaucoup de gens tombèrent dans le Fleuve et y périrent (> t n); on perdit en outre une quantité de richesses telle que Dieu seul en connaît la valeur.

 Quant aux gens de Tombouctou, il leur fut impossible de quitter la ville et de traverser le Niger à cause des obstacles qu’ils rencontrèrent et des difficultés de la situation. Seuls, le Tombouctou-Mondzo Yahya-ould-Bordam et les serviteurs de l’Askia qui se trouvaient là quittèrent la ville et allèrent camper à Elkif-Kindi, localité voisine de ïouya.

 Le pacha Djouder poursuivit sa route avec son armée jusqu’à Kâgho. 11 ne restait plus personne dans cette ville sinon le khatib Mahmoud-Darâmi, vieillard âgé à cette épo- que, et les étudiants et négociants qui n’avaient pu sortir et prendre la fuite. Le khatib Mahmoud vint au-devant des Marocains; il leur souhaita la bienvenue, leur témoigna de la déférence et leur offrit une magnifique et large hospitalité. Il eut avec le pacha Djouder des conférences et de longs entreliens au cours desquels on lui témoigna les plus grands égards et la plus haute considération.

 Djouder manifesta le désir de pénétrer dans le palais du prince Askia-Ishâq; il fit en conséquence venir des témoins et, quand ils furent là, il entra avec eux dans le palais; mais, après avoir tout visité et examiné de façon à s’en bien rendre compte, il lui parut que tout cela était bien misérable.

 Le prince Askia-Ishâq envoya demander au pacha de traiter avec lui. Il s’engageait à faire remettre par Djouder au souverain marocain Maulay Ahmed 100.000 pièces d’or et 1.000 esclaves. En retour le pacha devait lui abandonner le pays et ramener son armée à Merrâkech. Djouder fit répondre qu’il n’était qu’un esclave docile et qu’il ne pouvait agir que sur l’ordre du souverain, son maître. Puis, d’accord avec les négociants de son pays, il écrivit en son nom et en celui du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd pour transmettre ces propositions, après avoir eu soin de dire que la maison du chef des âniers au Maroc valait mieux que le palais de l’Askia qu’il avait visité. Cette lettre fut portée à destination par Ali-El-‘Adjemi qui était bachoud à cette époque.

 Djouder ramena ses troupes àTombouctou où il attendit la réponse du sultan du Maroc. 11 n’était resté, si je ne me trompe, que dix-sept jours à Kâgho. On arriva à Mosa-Benkole(> ir) mercredi, dernier jour du mois de djomada II (24 avril 1591); on en repartit le jeudi, l^’ du mois de redjeb l’unique (25 avril), puis on alla camper sous les murs de Tombouctou du côté du sud et l’on resta en cet endroit trente-cinq jours.

 Le cadi de Tombouctou, le jurisconsulte Abou-Hafs-‘Omar, fils du saint de Dieu, le jurisconsulte, le cadi Mahmoud, envoya le muezzin, Yahma, saluer le pacha, mais il ne lui offrit pas la moindre hospitalité contrairement à ce qu’avait fait le khatib Mahmoud-Daràmi lorsque les Marocains étaient arrivés à Kâgho. Djouder fut vivement irrité de cette réception; néanmoins il^ envoya toutes sortes de fruits, dattes, amandes, ainsi que beaucoup de cannes à sucre; puis il fit endosser au cadi un manteau de drap rouge écarlate”. Les gens sensés n’augurèrent rien de bien de tout cela, et l’événement confirma leurs prévisions.

 Les Marocains entrèrent dans la ville de Tombouctou le jeudi, 6 du mois de cha’ban, le brillant (30 mai 1591) ; ils parcoururent la ville dans tous les sens et reconnurent que le quartier le plus florissant était celui des Ghadamésiens. Ils le choisirent donc pour y installer la casbah dont ils commencèrent la construction, après avoir expulsé de leurs maisons un certain nombre de personnes du quartier.

 Djouder fit alors sortir de prison Hammou-ben-Abd-el-Haqq-Ed-Der’i et lui confia les fonctions à’amin au nom du sultan Maulay Ahmed. Quant à Râfi’et à Ahmed-Nini-Bîr, ils étaient morts tous deux avant son arrivée à Kâgho. Le pacha avait donné quarante jours de délai, tant pour aller à Merràkcch que pour en revenir, au bâchoud Ali-El-‘Adjemi.

 Quand l’armée marocaine était arrivée au Soudan elle avait trouvé ce pays un des plus favorisés de Dieu par la richesse et la fertilité. La paix et la sécurité régnaient partout dans toutes les provinces grâce au souverain le très fortuné, le béni, le prince des Croyants, Askia-El-Hàdj-Mohammed-ben-Abou-Bekr, dont la justice, la fermeté s’étendaient partout, en sorte que ses ordres accomplis sans peine dans son palais s’exécutaient avec autant de facihté sur tous les points les plus éloignés de l’empire, des frontières du pays de Dendi à celles du pays de El-Hamdiya,des confins du pays de Bindoko à Teghâzza et au Touât ainsi que dans toutes leurs dépendances.

Tout changea à ce moment (\i^) : le danger fit place à la

sécurité; la misère à l’opulence; le trouble, les calamités et

la violence succédèrent à la tranquillité. Partout les gens

s’ entre-dé vorèrent ; en tous lieux et en tous sens les rapines

s’exercèrent et la guerre n’épargna ni la vie, ni les biens,

ni la situation des habitants. Le désordre fut général, il se

répandit partout, s’élevant au plus haut degré d’intensité.

Le premier qui donna le signal de ces violences fut Sanba-

Lamdou, le chef de Donko; il ruina le pays de Ras-el-mà; il

s’empara de tous les biens, fit périr un certain nombre d’ha-

bitants et réduisit en esclavage quantité d’hommes libres.

Son exemple fut suivi parles Zaghrâniens qui dévastèrent le

pays de Bara et celui de Dirma. Quant au territoire de Dienné

il fut saccagé de la façon la plus horrible par les Bambaras

idolâtres qui, à Test comme à l’ouest, au nord comme au

sud, détruisirent tous les village, pillèrent tous les biens et

firent des femmes hbres leurs concubines avec lesquelles ils

eurent des enfants qui furent élevés dans la religion des

mages* (Dieu nous préserve dételles calamités!). Toutes ces

atrocités furent exécutées sous la direction du Ghâ’a-Koï,

de Qàsem, fils du Binka-Farma Alou-Zolaïl-ben-Omar-

Komzàgho,le cousin paternel du Bâghena-Fâri et de Bohom,

fils du Foudoko Boubo-Maryama, du Mâsina.

Parmi les chefs païens qui conduisaient ces hordes de bri-

gands on cite : Mansa-Sàma dans le pays du Fadoko^ ; Qâïa-

Bâbo, dans le pays de Koukiri, du côté de Kala. Du côté

du Chili et du Bindoko, on trouvait : Salti-Sanba-Kisi, le

Peul, à la tête de la tribu des Ourourbi ; Salti-Yorobara, père

de Hamda-Soulo, le Peul, à la tête de la tribu des Djaloubi

établis du côté de Foromàn; Mansa-Magha-Ouli , père de

Kin’i-Koï, un des douze sultans du Bindoko, nombre égal à

i. Ce mot est pris ici dans le sens de fétichistes ou païens.

2. Ou « Fadiio ».

224 HISTOIRE DU SOUDAN

celui qu’ils étaient dans le pays de Kala,et Bonkouna-Kendi,

etc.

Ces troubles se renouvelaient sans cesse et allaient tou-

jours en grandissant, tandis que, depuis le jour où le prince

Askia-El-Hâdj-Moharamed était monté sur le trône du Son-

ghaï f\ti), aucun des chefs d’aucune région n’avait osé

s’attaquer aux souverains du pays, tant Dieu leur avait dé-

parti de force, de vigueur, d’audace, de courage et de ma-

jesté. Bien, au contraire, c’était le prince qui allait attaquer

ces chefs dans leur pays et le plus souvent Dieu lui accor-

dait la victoire, ainsi qu’on l’a vu dans les récits de l’histoire

du Songhaï.

Les choses durèrent ainsi jusque vers le moment où la

dynastie songhaïetira à sa fin et où son empire cessa d’exis-

ter. A ce moment la foi se tranforma en infidélité ; il n’y eut

pas une seule des choses défendues par Dieu qui ne fut pra-

tiquée ouvertement. On but du vin ; on se livra à la sodo-

mie et quant à l’adultère il était devenu si fréquent que sa

pratique semblait devenue hcite. Sans lui pas d’élégance,

pas de gloire : c’était à tel point que les enfants des sultans

commettaient l’adultère avec leurs sœurs.

On raconte que le fait se produisit la première fois à la fin

du règne du sultan, le juste, le prince des Croyants, Askia-

El-Hâdj-Mohammed, et que ce fut son fils Yousef-Koï qui

imngina ce genre de débauche. Quand le pèreappritla chose

il entra dans une violente colère et maudit son fils en deman-

dant à Dieu qu’il le privât de sou membre viril avant d’en-

trer dans l’autre monde. Dieu cxauçacevœu et une maladie

fit perdre au jeune prince l’organe de sa virilité. (LeCielnous

préserve d’un pareil sort!) La malédiction s’étendit au fils de

Yousef, Arbinda, père du Bana-Koï* Ya’qoub, car à la suite

i. Ms. C. donne « Toni-Koi ».

CHAPITRE VINGT-ET-UNIEME 225

de la même maladie il perdit également son membre viril vers

la fin de sa vie.

C’est à cause de ces abominations que Dieu se vengea en

attirant sur le Songhaï l’armée marocaine victorieuse; il la

fit venir d’une contrée très lointaine, au milieu de terribles

souffrances. Alors les racines de ce peuple furent séparées

du tronc et le châtiment qu’il subit fut un de ceux qui sont

exemplaires.

Revenons maintenant au récit des propositions de paix

dont nous avons parlé. Le bâchoud ‘Ali-El-‘Adjemi, envoyé

par Djouder, arriva auprès du sultan Maulay Ahmed et lui

fit connaître le premier la nouvelle de la conquête du Sou-

dan. Quand le sultan eut lu la lettre qui lui était adressée il

entra dans une violente colère ; il révoqua sur-le-champ

Djouder de ses fonctions et le remplaça par le pacha Mahmoud-

ben-Zergoun qui partit à la tête de 80 soldats, emmenant

avec lui, comme secrétaire, Mâmi-ben-Berroun et, comme

chaouch, Ali-ben-‘Obéïd.

Le nouveau pacha reçut l’ordre de chasser Askia-Ishâq du

Soudan, de faire mettre à mort le caïd Ahmed-ben-Kl-Had-

dad-El-‘Amri parce qu’il avait été d’accord avec Djouder pour

parler de paix. La lettre annonçant aux troupes la décision

concernant le caïd fut remise au pacha. Mais les chérifas’ et

les principaux [\ i o) chefs de l’entourage du prince, ayant sol-

licité la grâce de Ahmed-ben-El-Haddâd, réussirent à l’ob-

tenir et demandèrent qu’une nouvelle lettre fût envoyée à ce

sujet. Cette seconde lettre contenant le pardon fut écrite et

elle parvint au caïd Ahmed-ben-El-Haddâd avant la pre-

mière. En la recevant, il donna un dhier auquel il conviâtes

lieutenants-généraux et les bâchoud et les informa de ce qui

s’était passé. Puis il donna 100 mitsqâls à chacun des lieu-

tenants-généraux et fit des libéralités à chacun des bâchoud.

1. Les femmes de la cour, filles ou femmes du souverain.

{Histoire du Soudan.) If»

226 HISTOIRE DU SOUDAN

Ceux-ci lui annoncèrent alors qu’il ne lui arriverait aucun

désagrément du moment que la lettre de grâce avait devancé

l’autre. Le soir, en effet, quand l’ordre de mettre à mort le

caïd arriva, ils s’interposèrent entre lui et le pacha Mahmoud-

ben-Zergoun et délivrèrent leur ami en invoquant l’ordre

naturel des choses.

Le vendredi, 26 du mois de chaoual de l’année 999 (17

août 1591), Mahmoud arriva à Tomboucton accompagné du

caïd Abd-El-‘Ali et du caïd Hammou-Barka. Il révoqua aus-

sitôt Djouder et prit le commandement de l’armée. Dans le

feu des reproches et dans l’emportement de sa colère il

avait été jusqu’à demandera Djouder ce qui l’avait empêché

de poursuivre l’Askia. Et comme l’ancien pacha donnait pour

excuse qu’il n’avait pas de barques, Mahmoud se mit à en faire

construire. Puis ne trouvant aucun moyen d’arriver à justi-

fier la mort du caïd Ahmed-ben-El-Haddâd, il le révoqua de

ses fonctions pour les donner au caïd Ahmed-ben- Atiya. Il

agit ainsi parce que, d’une part, Ben-Atiya et Ben-EI-Haddâd

étaient ennemis l’un de l’autre et que, d’autre part, ce dernier

était l’ami du pacha Djouder. C’était donc surtout la haine

qu’il avait contre Djouder qui avait guidé le pacha Mahmoud-

ben-Zergoun dans cette circonstance.

Mahmoud décida ensuite de marcher contre Askia-Ishâq.

Il s’occupa tout d’abord de se procurer des barques, car le

directeur du port, Mondzo-El-Fa’-ould-Zerka, les avait toutes

emmenées lors de sa fuite du côté de Binka, lorsque Askia-

Ishâq avait mandé aux habitants de Tombouctou d’évacuer

cette ville. On coupa donc les grands arbres qui se trouvaient

dans l’enceinte de la cité, on les transforma en planches,

puis on arracha tous les grands vantaux (ma) des portes des

maisons et en assemblant le tout on construisit deux barques.

La première de ces barques fut lancée dans le Fleuve le ven-

dredi, 3 du mois sacré de dzou ‘l-qaada de cette année

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 227

(23 août 1591); la seconde fut lancée un vendredi également,

le 17 du même mois (6 septembre).

Le lundi, 20 de ce mois (9 septembre), Mahmoud à la

tête de toutes ces troupes sortit de la ville; il avait avec lui

Djouder le pacha révoqué et tous les caïds, sauf le caïd El-Mos-

tafa-Et-Torki qu’il délégua à la garde de Tombouctou avec

l’amin Ilammou-Haqq ‘-Ed-Der’i. On campa hors des murs

de la ville du côté de l’est et on resta là jusqu’à la fin du

mois ; puis on se remit en route le samedi, 2 du mois sacré

de dzou’l-hiddja, le dernier mois de l’année 999 (21 septem-

bre 1591).

Mahmoud campa d’abord à Mosa-Banko ; de là il alla

camper ensuite à Sihinka où il séjourna pour y faire la

prière de la fête des sacrifices “^ Il fit alors demander au cadi

Abou-Hafs-‘Omar de lui envoyer quelqu’un pour présider à

cette prière et le cadi lui envoya Timam Sa ïd, fils de l’imam

Mohammed-Kidâdo. Celui-ci dirigea la prière de la fête et

Mahmoud lui assigna ensuite le poste d’imam dans la mos-

quée de la casbah, poste que Sa’ïd conserva jusqu’à l’époque

où il mourut.

Après la fête, Mahmoud reprit sa marche pour aller com-

battre Askia-Ishâq. Celui-ci, qui était alors au Bornou, ayant

appris la venue de l’ennemi, se porta à sa rencontre. Les

deux adversaires se rencontrèrent à Banba, le lundi, 25 du

mois précité (14 octobre 1591), et la bataille s’engagea près

de la colline de Zenzen. Défait de nouveau par le pacha

Mahmoud, Askia-Ishâq s’enfuit en complète déroute. Parmi

les personnes de son armée qui succombèrent ce jour-là se

trouvait le Fàri-Mondzo Yenba-ould-Saï-Oulo, dont la mère

était une princesse. Askia-Ishâq lui donna pour successeur

San-ould-Askia-Daoud.

1. On a vu ci-dessus qu’il laul lire Hammou-ben-Abd-el-Haqq.

2. Fête qui a lieu le 10 du mois de dzou ‘1-hiddja.

228 HISTOIRE DU SOUDAN

Après cette nomination, qui fut la dernière de son règne,

Askia-Ishâq se dirigea vers le pays de Dendi et campa à

Karaï-Gonrma. Au cours de la défaite qu’on venait de subir,

le Balama’ Mohammed-Kâgho, fils de Askia-Daoud, fut at-

teint d’une balle et devint gravement malade. Askia-Ishâq

lui enjoignit alors de se tenir dans un poste avancé ‘ qu’il lui

désigna, tandis qu’il assignait au Baraï-Koï Malki(Mv) un

autre poste de même nature. Le Baraï Koï Malki reçut en

outre l’ordre de diriger une expédition contre les Peuls

établis à Onso’o, ce qui fut fait.

Dans le poste où il était, le Baraï-Koï Malki avait avec lui

un certain nombre de frères de l’Askia-Ishâq que celui-ci

avait révoqués de leurs fonctions au cours de l’expédition de

Tonfîna à cause de la lâcheté dont ils avaient fait preuve à

ce moment. Craignant que ses frères ne s’enfuissent et allas-

sent rejoindre l’ennemi, Askia-Ishâq écrivit au Baraï-Koï de

les incarcérer, mais ceux-ci ayant cuvent delà chose prirent

la fuite dans la direction deKâgho. Parmi eux figuraient entre

autres : Ali-Tondi, Mahmoud-Forâro-Idji, Borhom, Selimâo,

tous fils du prince Askia-Daoud. Le pacha Mahmoud-ben-

Zergoun, avec son armée, les poursuivit jusqu’à Koukiya;

puis arrivé en cet endroit il y campa.

Au moment où il battait en retraite, à la suite de sa se-

conde défaite, Askia-Ishâq avait envoyé à Tombouctou un

de ses agents. Celui-ci arriva dans cette ville le vendredi soir,

l”du mois de moharrem, le mois initial de l’an 1000 de

l’hégire du Prophète (que la meilleure des bénédictions et le

plus parfait des saints soient sur l’auteur de cette hégire!)

(19 octobre 159i), (;l raconta ce qui s’était passé entre son

maître et le pacha Mahmoud. Comme il arrivait à Tombouc-

tou le fait suivant venait de s’y passer.

1. Ix) mot employé ici dt’signc d’ordinaire les poslcs établis sur les frontières

pour surveiller l’ennemi et empêcher toute agression.

CHAPITRE VINGT-ET-UNIÈME 229

Le Tombouctovi-Monclzo, Yahia-ould-Bordam, accompa-

gné de ses partisans et des Zaghrâniens habitant Yoroua,

était venu attaquer le caïd El-Mostafa-Et-Torki. Il arriva sous

les murs de la ville le jeudi, 21 du mois sacré de dzou’l-

hiddja qui termina l’année 999^ (10 octobre 1591); il avait

juré, paraît-il, d’entrer dans la casbah par la porte de

Kabara et d’en sortir par la porte du Marché, (^e Yahia, qui

était le plus stupide et le plus ignorant des hommes, à peine

arrivé sous les murs de la casbah, fut atteint d’une balle et

succomba le jour même dans la soirée. Sa tête fut aussitôt

coupée, mise au bout d’une perche et promenée par toute la

ville. Un héraut suivait, criant à haute voix : « Gens de

Tombouctoii, cette tête est celle d’un mondzo de votre ville.

Quiconque d’entre vous ne se tiendra pas tranquille subira

un sort pareil à celui de ce mondzo. » Puis les soldats ma-

rocains, le visage pourpre de colère, se mirent à dégainer

(> ia) et àfrapper à toute heure les gens qu’ils rencontraient,

ce qui alhima le feu de la révolte.

Revenons maintenant à la fin du récit des faits qui se pas-

sèrent entre le pacha Mahmoud-ben-Zergoun et les gens de

Songhaï dans ces régions. Mahmoud était campé àKoukiya ;

il avait avec lui 174 tentes, chaque tente contenant 20 fusiliers,

ce qui donnait un effectif total d’environ 4000 fusiliers\ C’était

là une armée considérable telle que personne ne pouvait lui

résister ou la mettre en fuite, àanoins d’être secouru ou aidé

par le Très-Haut.

Askia-lshâq envoya alors 1.200 cavaliers choisis parmi

les plus braves de son armée et parmi ceux qui n’avaient

jamais tourné le dos devant l’ennemi. Il mit à leur tête le

1. C’est par erreur que le ms. C dit 1099.

2. A celte époque l’organisation de l’armée marocaine avait été copiée sur

celle des Turcs, En campagne les soldais étaient groupés par escouades de

20 hommes qui occupaient une même lente. Il est à peine besoin de faire re-

marquer que reiïeclir élait de 3.480 hommes et non de 4.000 hommes.

230 HISTOIRE DU SOUDAN

Hi-Koï Laha-Sorkiyâ, homme du plus grand courage et de

plus haute vaillance, et lui enjoignit d’attaquer l’ennemi s’il

trouvait une occasion de le surprendre à l’improviste.

Peu de temps après avoir quitté l’Askia, cette troupe fut

rejointe par le Balama’ Mohammed-Kâgho qui avait avec

lui une centaine de cavaliers. Comme le Hi-Koï demandait

au Balama’ pourquoi il venait le rejoindre, celui-ci répondit:

« C’est l’Askia qui m’a donné l’ordre de te suivre. —

C’est un mensonge et une défaite, répondit le Hi-Koï. Il

n’est pas un, grand ou petit, qui ne sache qu’un Balama’

ne saurait surveiller un Hi-Koï. Certes il n’est pas permis

qu’il en soit ainsi ; mais tout ceci, ô fils de Daoud, n’est dû

qu’à vos déplorables habitudes et à vos vils caractères qui

vous font ambitionner le pouvoir. » Là-dessus le Hi-Koï Laha

s’éloigna avec les personnages de sa suite.

Dauda-Kouro, fils du Balama’ Mohammed-Della-Ko-

bronki, sortit alors des rangs du groupe et se dirigea du côté

du Hi-Koï. « Dauda, lui dit le Hi-Koï, tu veux donc me

tuer, comme ton pèrea tuéMousa, le Hi-Koï de Askia-Daoud !

Tu ne le pourras certes pas, car je suis plus brave que le

Hi-Koï Mousa et ton père valait beaucoup mieux que toi.

Par Dieu! si tu t’approches de moi, je t’éventre et ferai

traîner tes entrailles sur le sol. » Dauda retourna aussitôt

dans le groupe d’où il était sorti.

Tout le monde fut plus que jamais convaincu du courage et

de la vaillance du Hi-Koï Laha et reconnut qu’il avait eu raison

de déclarer qu’il était supérieur en bravoure au Hi-Koï

Mousa ( > M ). C’était en effet le plus brave des hommes de son

époque. Puis Laha retourna vers Askia-ïshâq et lui raconta

ce qui s’était passé. Pcw de temps après cela le groupe dont

il a été parlé ci-dessus prêta serment de fidélité à Moham-

med-Kâgho et le proclama Askia.

A cotte nouvelle Askia-Ishâq se prépara à partir pour le

CHAPITKE VINGT-DEUXIÈME 231

canton de Kobbi ; dès qu’il voulut se mettre en route les chefs

des troupes qui avaient été sous ses ordres mirent la main

sur tous les insifçnes et les emblèmes de la royauté, puis ils

accompagnèrent le prince jusqu’à un endroit appelé Tara: là

ils se séparèrent. Le prince leur demanda pardon et eux de

leur côté implorèrent sa clémence, puis il se mit à pleurer et

tous fondirent en larmes. Ce fut la dernière entrevue qu’il

eut avec eux.

Le Créateur, — et nul ne peut résister à ses ordres, ni

s’opposera ses décisions, — voulut que Askia-Ishâqse rendît

à Tonfina chez les païens du Gourma, qu’il avait combattus

l’année précédente. Personne des gens du Songhaï ne l’ac-

compagna dans sa retraite, sauf le Yaï-Farma Bana-Idji et

quelques-unes des. personnes de son entourage. Ishâq ne

demeura pas longtemps parmi les païens du Gourma , car

ceux-ci le mirent bientôt à mort lui, son fils et toute sa suite,

en sorte que tous moururent martyrs (Dieu leur fasse misé-

ricorde et leur pardonne!).

Parmi les traits du caractère de Askia-lshâq il faut citer sa

générosité; il répandait en dons des sommes considérables.

Il avait demandé aux docteurs et aux faqirs de prier le

Ciel pour que Dieu ne le fit pas mourir tandis qu’il serait au

pouvoir. Ce désir, Dieu le réalisa en sa faveur. Il mourut,

si je ne me trompe, dans le mois de djomada II de l’an 1000

(15 mars- 18 avril 1592).

CHAPITRE XXn

ASKIA-MOHAMMED-KAGHO. — ASKIA-NOUH. – RÉVOLTE DE DIENNÉ.

L’armée revint ensuite auprès deAskia-Mohammed-Kâgho.

Quand la cérémonie de la prestation du serment de fidélité

232 HISTOIRE DU SOUDAIN

eut pris fin, le prince envoya l’ordre de mettre en liberté ses

deux frères, le Fâri-Mondzo, Thafa, et le Bental-Farma,

Nouli. Ces deux fils de Daoud avaient été internés dans le

pays de Dendi par leur frère Askia-Mohammed-Bâno. Quant

à ses autres frères, fils de Askia-Daoud, ils commencèrent

aussitôt (n .) à prendre la fuite et se réfugièrent auprès des

Marocains.

Le premier qui se réfugia auprès de l’ennemi fut le Da’a-

Farma révoqué, Seliman, fils de Askia-Daoud ; il alla trouver

le pacha Mahmoud qui lui fit bon accueil. Cet événement

inspira des craintes à Askia-Mohammed-Kàgho qui envoya

demander de prêter serment de fidélité au sultan Maulay

Ahmed. Son secrétaire, Bokar-Lanbàro, fut chargé de cette

mission qui fut couronnée de succès.

A ce moment la disette se fit sentir dans l’armée du pacha

et l’on en vint à manger les bêtes de somme. Mahmoud fit

alors mander à Askia-Mohammed-Kâgho de lui venir en aide

et de lui envoyer des aUments quelconques. Le prince donna

l’ordre de moissonner toutes les céréales qui pouvaient l’être

à ce moment du côté du Haousa : c’était du millet blanc que

l’on expédia aussitôt aux Marocains.

Peu après, le pacha Mahmoud fit dire à l’Askia de se ren-

dre auprès de lui pour prêter serment de fidélité. Comme

le prince allait se mettre en route, il en fut détourné par

les gens avisés de son entourage et, entre autres, par le Hi-

Koï Laha. « Pour moi, dit ce dernier, je n’ai pas confiance

en ces gens-là. Si tu es absolument décidé à te rendre au-

près du pacha, tu devras envoyer chacun de nous isolément

l’un après l’autre. Si vous le désirez je m’y rendrai moLr

même le premier. Si on me tue, il ne vous arrivera aucun

mal et j’aurais été en quelque sorte votre rançon; si j’é-

chappe à tout danger, alors que les autres personnages agis-

sent comme moi et ce sera toi enfin, prince, qui seras le der-

nier à venir. Les Marocains ne pourront alors te faire aucun

mal puisque cela ne saurait en rien leur servir. »

Cet avis ne fut pas approuvé par le secrétaire Bokar-Lan-

bâro et tout le inonde se mit en route à la fois. Quand on fut

à une faible distance des Marocains, Askia-Mohammed-

Kâgho fit demander une audience au pacha Mahmoud qui

expédia aussitôt quarante des notables et principaux chefs

de Farmée à sa rencontre. Ces personnages n’avaient ni

équipement, ni armes, aussi le Hi-Koï Laha engagea-t-il ses

compagnons à les tuer en disant : « Faisons disparaître tous

ces dignitaires et l’armée marocaine n aura plu s aucun chef. »

Askia-Mohammed-Kâgho se préparait à suivre ce conseil

lorsque, voyant cela, le secrétaire Bokar jura au prince

qu’il ne trouverait auprès du pacha Mahmoud autre chose

qu’une sécurité absolue sous la protection et la sauvegarde

de Dieu. Le prince écouta ces paroles et agit en consé-

quence.

Quand les dignitaires marocains furent en présence de

l’Askia, ils le saluèrent et lui transmirent les salutations du

pacha Mohammed avec ses souhaits de bienvenue; puis ils

se mirent en marche précédant l’Askia et ses compagnons.

Le pacha, qui avait déjà dressé ses filets de perfidie et de

trahison, avait fait préparer un excellent repas. A peine

avait-on commencé de manger qu’on se saisit du prince et

de ceux qui avaient pénétré avec lui (n«>) dans la tente du

pacha Mahmoud et qu’on les dépouilla de leurs armes.

Les gens du Songhaï, qui se trouvaient derrière les tentes,

ayant eu vent de ce qui venait de se passer, prirent aussitôt

la fuite. Ceux d’entre eux que la volonté divine avait décidé

d’épargner se tirèrent d’affaire, mais ceux dont la mort avait

été prédestinée succombèrent sous les coups de sabre ou

sous le feu des mousquets.

Parmi ceux qui réussirent alors à s’échapper se trouvait :

234 HISTOIRE DU SOUDAN

‘Omar-Kato, fils du Kormina-Fâri, Mohammed-Benkan, fils

du prince Askia-Daoud. I^^n fourchant le cheval de Askia-

Mohammed-Kâgho, il s’enfuit et, grâce au Ciel, il échappa

aux nombreuses balles qui furent tirées contre lui. Haroun-

Dankataba,fîls de Askia-Daoud, réussit également à prendre

la fuite et à se tirer d’affaire. Blessé de douze coups de sabre,

il se jeta dans le Fleuve et le traversa à lanage. Mohammed-

Sorko-Idji, fils du prince Askia-Daoud, ainsi que d’autres

personnages purent également se sauver.

Quant à Askia-Mohammed-Kâgho,ilfut chargé de chaînes

de fer, ainsi que dix-huit personnages d’importance, entre

autres : le Hi-Koï Laha; le Kormina-Fâri Mohammed, fils

du prince Askia-Jsraa’ïl, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mo-

hammed; le Fâri-Mondzo, San, fils du prince Askia-Daoud;

le Dendi-Fâri El-Mokhtâr; le Kouma-Koï, etc.

Le pacha envoya tous ces personnages à Kâgho ; il les

adressa au caïd Hammou-Barka, qu’il avait nommé son

lieutenant dans cette ville, et lui enjoignit de les mettre en

prison dans une des pièces du palais du souverain. Ensuite

il donna l’ordre de les faire périr et tous furent écrasés sous

les murs de la pièce où ils avaient été enfermés. Il y furent

ainsi enterrés à l’exception d’un seul, le Hi-Koï Laha ; comme,

lors de l’entrée des Marocains à Kâgho, il avait cherché à em-

pêcher ses compagnons d’aller au-devant de la mort, il fut tué

et mis en croix à Kâgho.

‘Ali-Tendi et Mahmoud-Forâro-ldji, tous deux fils du

prince Askia-Daoud, qui avaient pris la fuite, s’étaient rendus

à Kâgho. Arrivés dans cette ville, ils allèrent trouver le kha-

tib Mahmoud-Darâmi et le saluèrent. Puis, comme celui-ci

leur demandait pourquoi ils étaient venus, ils répondirent

qu’ils voulaient faire leur soumission au pacha Mahmoud.

Le khatib les détourna de ce projet et les engagea vivement

à retourner auprès de leurs frères et concitoyens. « Notre

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 235

père, répondirent-ils, serait encore vivant [\ oy) et nous don-

nerait ce conseil que nous ne le suivrions pas ; à plus forte

raison ce conseil émanant d’un autre que lui. » Les deux

personnages s’étant rendus auprès du caïd Hammou-Barka

et lui ayant fait part de leur dessein, celui-ci écrivit au

pacha Mahmoud pour l’en aviser. Le pacha donna l’ordre de

les interner, puis quand il eut pris Askia-Mohammed-Kâgho,

il enjoignit au caïd de les mettre à mort, ce qui fut fait.

Seliman, fils du prince Askia-Daoud, avait été chargé de

chaînes en même temps que les autres personnes arrêtées ;

mais des gens avisés ayant parlé de lui au pacha, celui-ci

lui rendit la liberté. Seliman resta auprès des Marocains

avec quelques autres personnages peu nombreux, parmi

lesquels se trouvaient entre autres :1e Bàraï-Koï Malki, Mo-

hammed-ould-Benchi, Mohammed-Mauri-Koï, dont la mère

était la fille du prince Askia-Daoud. Quant à Mohammed-

ould-Benchi, Benchi était le nom de sa mère qui était issue

de Omar-Komzâgho; son père était Mohammed-ben-Ma-

souso,fils du Balama’ Mohammed-Kiraï.

Le pacha Mahmoud traita Seliman avec les plus grands

égards et alla jusqu’à le nommer Askia. Le nombre des

personnes arrêtées par le pacha Mahmoud en même temps

que Askia-Moharamed-Kâgho était de quatre-vingt-trois,

tant fils de princes que personnages d’une moindre condition.

A ce moment l’armée marocaine se trouvait à Tenchi, nom

d’une localité voisine de la ville de Koukiyâ.

On rapporte que le prince Askia-El-Hâdj-Mohammed

ben-Abou-Bekr, après avoir vaincu Sonni-‘Ali et s’être

emparé du pouvoir souverain, avait, dans la même localité,

arrêté un nombre égal des enfants et des serviteurs du

Sonni et cela après leur avoir accordé l’aman sous la foi du

serment. Dieu, le Fort et le Puissant, voulut que ce manque

de foi fût ainsi vengé finalement dans les mêmes conditions.

236 HISTOIRE DU SOUDAN

Suivant certains récits, Askia-Mohammed-Kàghô ne de-

meura pas en ce monde plus de quarante jours après la

mort de Askia-Ishâq.Ces deux princes n’ont donc pas tardé

à se réunir dans l’autre monde. Gloire au Vivant, à l’Éter-

nel dont le règne ne cessera jamais et dont la durée n’aura

point de limites !

Lorsque Mohammed-Kâgho avait envoyé l’ordre d’élargir

de prison ses deux frères, le Fàr-Mondzo El-Mostafa et le Ben-

tal-Farma Nouh, ce dernier plus jeune que le premier^ ces

deux personnages avaient éprouvé la joie la plus vive, et

avaient résolu, quand ils rejoindraient le prince, de lui té-

moigner la plus grande déférence en marchant à pied devant

lui quand il monterait à cheval. Mais, en route, ils apprirent

la triste nouvelle de l’arrestation du prince et de ses courti-

sans. Ils revinrent alors sur leurs pas (nov) et retournèrent

au pays de Dendi.

Les gens du Songhaï se groupèrent autour des deux frères

et décidèrent, d’accord avec Nouh, d’élever au souverain

pouvoir le Fâr-Mondzo El-Mostafa et de lui donner le titre

d’Askia. « Non, répondit El-Mostafa, Nouh est plus digne que

moi de ces fonctions, car il est plus favorisé du Ciel. Or Dieu

place sa faveur là où II le veut, sans tenir compte de l’âge

ou de la jeunesse. »

On prêta donc serment d’obéissance à Nouh et tous les

gens du Songhaï qui avaient pris la fuite dans une autre di-

rection vinrent le rejoindre ; il ne lui restait plus à désirer

que la présence de Mohammed-MaurietdeMohammed-ould-

Benchiqui étaient restés chez le pacha Mahmoud; mais bien-

tôt Dieu leur permit de s’échaf»per et ils vinrent alors le retrou-

ver. Le Bâraï-KoïMalki réussit également à s’échapper ;Askia-

Nouh éprouva unejoie très vive de l’arrivée de tous ces per-

sonnages qui étaient sainset saufs et il en témoigna sarecon-

naissance au Très-Haut. « Maintenant, s’écria-t-il, il ne me

CHAPITRE VINGT-DEUXIEME 237

reste aucun souhait à formuler, du moment que ces deux

hommes m’ont rejoint. »

De son côté le pacha Mahmoud investit Seliman des fonc-

tions d’Askia sur les gens du Songhaïqui se trouvaient avec

lui.

Dans le peuple on racontait que c’était le secrétaire Bokar-

Lanbâro qui avait trahi Mohammed-Kâgho et ses compa-

gnons, les avait vendus au pacha Mahmoud et avait ainsi

permis à ce dernier de s’emparer d’eux. Après tous ces évé-

nements, Bokar, qui était allé habiter Tombouctou, dit un

jour à un de ses amis : « On m’accuse de trahison et pour-

tant, j’en prends Dieu à témoin, il n’en est rien. Je n’ai donné

à Mohammed-Kâgho d’autre conseil que celui qui m’avait

été inspiré par Dieu, en m’appuyant sur ce que Mahmoud

m’avait assuré sous la foi du serment et en me fiant à ses

paroles. Lui seul a été un traître et il m’a trahi en même

temps qu’il trahissait Mohammed-Kâgho. Bientôt nous nous

retrouverons tous en présence du Dieu très-haut, et à ce

rendez-vous la vérité se fera jour. »

Après avoir préparé ses troupes, le pacha Mahmoud se

mit à la poursuite de Askia-Nouh et le rejoignit à l’extrémité

du pays de Dendi. L’action s’engagea et les gens du pays de

Kanta entendirent le bruit de la fusillade pendant une jour-

née entière.

Nouh s’installa tout d’abord avec ses compagnons dans la

ville de Ko mou sur les confins du pays de Melli du côté où

ce pays touche au territoire de Kanta. Le pacha Mahmoud

continua la poursuite commencée, et, au cours de celte ex-

pédition, il bâtit une casbah dans la ville de Kolen où il ins-

talla une garnison de deux cents fusiliers sous le comman-

dement (\oi) du caïd ‘Ammâr-el-Feta.

Durant deux années entières la guerre continua dans ces

régions, entre le pacha et Nouh. Des rencontres nombreuses

238 HISTOIRE DU SOUDAN

et sanglantes se produisirent entre les deux armées. Un jour

que le pacha poursuivait Nouh, il arriva avec ses troupes dans

un immense et vaste bas-fonds. Tandis que les Marocains

suivaient leur route ils arrivèrent à une grande forêt très

touffue que traversait le chemin. Le lieutenant-général Ba-

Hasen-Ferîro, qui était un homme avisé et prudent, ayant

brusquement arrêté son cheval, le pacha envoya mander

Ba-Hasen et, outré de colère, il blâma sa lâcheté en termes

violents, en lui demandant pourquoi il s’arrêtait ainsi.

Quand Ba-Hasen arriva près du pacha il lui dit : « Par

Dieu ! si je savais qu’un seul des poils de mon corps se fut

agité de crainte ou de terreur, je l’arracherai sur-le-champ.

Mais ce que je ne veux pas c’est exposer les troupes de notre

maître le sultan à aucun danger, à aucune surprise. » Puis

il ordonna de lancer des dirhâch” dans la forêt. Aussitôt que

cela eut été fait, on vit des hommes sortir de la forêt et

prendre la fuite ; une vive fusillade en tua un grand nombre.

Askia-Nouh avait, en effet, disposé une embuscade dans

cette forêt parce qu’il savait que l’armée marocaine ne pou-

vait suivre une autre route. Il espérait la faire tomber dans

ce guet-apens, mais Dieu, le Très-Haut, fit échouer ce stra-

tagème traître et perfide et sauva l’armée marocaine grâce

à la perspicacité du Ueutenant-général Ba-Hasen-Ferîro.

Pénétrant ensuite dans la forêt, l’armée marocaine la

franchit sans encombre. De nombreux et terribles combats

s’engagèrent dans cette région. Malgré le petit nombre de

ses partisans Askia-Nouh obtint des résultats que Askia-Ishàq

n’eut pas réussi à atteindre avec des forces plus considéra-

bles, même cent fois plus grandes.

Le jour de la bataille de Birnaï le pacha Mahmoud perdit

quatre-vingts hommes de ses meilleurs fantassins qui furent

1. Ce mot signifie en turc bàlon, verge d’huissier. Il faut sans doute l’entendre

ici dans le sens de fusée ou projectile muni d’une baguette.

/

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 239

tués. Quelqu’un, en qui j’ai toute confiance, m’a raconté

qu’après la bataille, Mahmoud vint examiner ceux qui étaient

morts et qu’il donna l’ordre (n»») de dénouer les ceintures

qu’ils portaient sur le ventre. Toutes ces ceintures étaient

pleines de dinars frappés* que le pacha Mahmoud s’appropria

en totalité.

Les troupes marocaines souiFrirent beaucoup de leur long

séjour dans ce pays et furent très gravement éprouvées par

des fatigues qu’elles endurèrent, par le manque de vivres,

par le dénûment dans lequel elles se trouvèrent et par les

maladies que leur causa l’insalubrité dn pays. L’eau attaqua

les intestins des hommes, provoqua la dysenterie et en fit

mourir un très grand nombre en dehors de ceux qui péri-

rent dans les combats.

Au début c’était Askia-Nouh qui conduisait lui-même ses

troupes au combat, mais plus tard il chargea de ce soin

Mohammed-ould-Benchi. Ce fut donc à ce dernier qu’in-

comba la responsabilité des opérations militaires, et il ac-

complit dans cette circonstance nombre d’actions glorieuses

et de faits d’armes retentissants.

Comme le pacha Mahmoud rencontrait de grandes diffi-

cultés dans cette région, il écrivit à son souverain Maulay

Ahmed pour se plaindre des terribles épreuves qu’il avait à su-

bir et lui annoncer que toute sa cavalerie avait péri. Le sultan

du Maroc envoya environ six corps d’armée qui, l’un après

l’autre, vinrent faire leur jonction avec les troupes que le pa-

cha commandait dans ces régions. Parmi ces colonnes de ren-

fort se trouvaient : la colonne du caïd ‘Ali-Er-Râchedi, celle

des trois caïds Ben-Dahmân, ‘Abdelaziz-ben-Omar et ‘Ali-

ben Abdallah-El-Telemsâni; celle de ‘Ali-El-Mechmâch, etc.

1. En se servant de cette expression l’auteur a sans doute voulu montrer que

les soldats marocains gardaient tout l’argent de leur solde qui était en monnaie

d’or et qu’ils se procuraient ce dont ils avaient besoin sans bourse délier.

240 HISTOIRE DU SOUDAN

Malgré tout cela, Mahmoud rentra à Tombouctou sans avoir

vaincu Nouh, comme il l’espérait.

Revenons maintenant à la lutte qui s’était engagée entre

les habitants de Tombouctou et le caïd El-Mostafa-Et-Torki,

après la mort du Tombouctou-Mondzo Yahya. Comme les

soldats marocains avaient blessé bon nombre de gens, les

notables allèrent se plaindre au jurisconsulte, le cadi Abou-

Ilafs-‘Omar, fils du saint de Dieu, le jurisconsulte, le père

des bénédictions, le cadi Mahmoud-ben-‘Omar.Ce magistrat

consulta sur ce point les gens de bon conseil. Les uns furent

d’avis qu’il fallait repousser l’ennemi par les armes si les cir-

constances le permettaient; d’autres, au contraire, estimè-

rent qu’il était préférable de s’abstenir de toute violence, leur

situation pitoyable ne pouvant que s’aggraver par la résis-

tance.

Le cadi ‘Omar avait alors pour huissier Amar* qui était le

plus scélérat des hommes de cette époque,bien que (> «”i) le

cadi ne s’en doutât point. Un soir, il expédia cet homme au

chef des mulâtres, ‘Omar-Ech-Cherif, fils de la fille du chérif

Ahmed-Es-Seqli, et lui dit d’inviter celui-ci à faire annoncer

immédiatement par le crieur public que les habitants eussent

à bien veiller sur leurs personnes et à prendre les plus

grandes précautions contre les Marocains.

Au lieu de transmettre ces paroles, Amar dit au chef des

mulâtres que le cadi lui enjoignait de donner l’ordre aux ha-

bitants de se soulever pour combattre les Marocains. Cet

ordre fut donné la nuit même et le lendemain matin toute la

population était en armes prête à combattre le caïd El-Mos-

tafa. La lutte commença dans la première décade du mois

de moharrcm, le premier mois de l’année 1000 (19-29 oc-

tobre 1591) et dura jusqu’à la première décade du mois de

rebi’ P^ (17-27 décembre 1591).

1. Ce nom ne figure pas dans le ms. C»

CHAPÎTRE VINGT-DEUXIÈME 54l

Durant ces jours de troubles, il périt de part et d’autre

nombre de gens dont Dieu avait décidé la mort. Parmi eux

on cite Ould-Kirinfd, celui qui avait été la cause de la venue de

l’armée de Djouder. Il était arrivé avec cette armée et était

resté à Tombouctou avec le caïd El-Mostafa; il fut tué dans

un des combats par les habitants de Tombouctou.

Aousenba-Et-Targui\ le Maghcharen-Koï, était venu avec

ses hommes au secours de El-Mostafa. Ces Touareg mirent le

feu à la ville, le vendredi, 14 du mois ci-dessus indiqué, et ils

recommencèrent le lendemain. Ce fut un jour terrible pour

les habitants de Tombouctou. Les Touareg s’approchèrent

des maisons du cadi Omar pour y mettre le feu. Une des fil-

les de ce magistrat accourut aussitôt auprès de son père et lui

dit : « Aousenba s’est avancé dans son attaque jusqu’à la

porte de la maison de Elfa’-‘Abdo^ » Cet Elfa’-‘Abdo était le

jurisconsulte Abdallab, frère du cadi et fils du jurisconsulte

Mahmoud. « Que Dieu, le Très-Haut, s’écria alors le cadi,

fasse qu’une incursion arrive jusqu’à la porte de la maison

d’Aousenba et que le plus vil des êtres le dompte et lui fasse

un affront pareil à celui qu’il nous fait! »

Ce vœu fut exaucé : une expédition de Touareg Kel-

Amini arriva jusqu’à la tente de Aousenba ; l’un d’eux y pé-

nétrant le tua ; or ce meurtrier était le plus infime de ces

Touareg. Cela se passa le dimanche, 22 du mois de châoual

de l’année 1005(8 juin 1597). Aousenba avait été élevé dans

la famille du cadi ; il y avait fait ses études et, devenu grand,

il avait été traité comme un enfant de la maison. Plus tard

il se conduisit comme il vient d’être dit avec traîtrise et per-

fidie (Dieu nous préserve d’une telle hypocrisie (>«v) et

d’une aussi triste fin!).

1. « Et-Targui » signifie « le Touareg « ; ce mot pourrait ne pas faire partie

du nom et être une simple épithcle.

2. Ce mot ‘Abdo est ici l’abréviation de Abdallah.

{Histoire du Soudan.) 16

242 HISTOIRE DU SOUDAN

L’affaire de la grande mosquée eut lieu le jeudi, 4 du

mois de safar rexcellent {21 novembre 1591). Les gens sor-

tirent pour abattre les maisons le mercredi, 24 du mois qui

vient d’être cité (9 décembre 1591). Ce fut le vendredi, 26

du même mois (11 décembre 1591), qu’arriva Barâî-Chîgho

pour s’occuper de l’argent que l’Askia devait remettre à

Djouder pour la conclusion de la paix ; il quitta Amazagha

pour se rendre à Tenbahouri le jeudi, 9 du mois de rebi’ I”

(2K décembre 1591).

Le pacha Mahmoud fut informé de ce qui s’était passé

entre les habitants de Tombouctou et le caïd El-Mostafa; il

apprit que des combats avaient eu lieu, que El-Mostafa et ses

compagnons étaient assiégés dans le casbah et la nouvelle lui

en fut apportée par Mâlek, le père de Mohammed-Dara, que

le caïd lui avait envoyé. Le pacha expédia aussitôt le caïd

Mâmi-ben-Barroun à la tête de 324 fusiliers, pris deux par

deux dans chacune des tentes. Avant d’arriver à Tombouc-

tou, aucun de ces hommes ne fut mis au courant de ce qui

s’était passé.

Mâmi avait reçu pour instructions d’arranger les choses

avec les habitants de Tombouctou dût-il les faire périr jus-

qu’au dernier. C’était un homme intelligent, adroit et ingé-

nieux. Il arriva avec ses hommes durant la douzième nuit de

rebi’l”, la nuit même de la nativité du Prophète (27 décem-

bre 1591). Une grande terreur se répandit aussitôt dans la

ville et beaucoup de personnes se jetèrent dans les déserts

et les solitudes.

Le caïd Mâmi réconcilia le caïd El-Mostafa avec la popula-

tion de Tombouctou. Ce fut une grande joie pour tout le

monde. Tous ceux qui avaient fui la ville y rentrèrent; de

ce nombre fut le commandant du port, Mondzo-Elfa’-ould-

Zauka, qui ramena avec lui toutes les embarcations. A la

suite de cette réconciliation, les habitants de la ville prêtèrent

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 243

serment de fidélité au sultan Maulay Ahmed. Les routes s’ou-

vrirent de nouveau dans toutes les directions; chacun reprit

ses occupations et quiconque le voulut put aller à Dienné

ou ailleurs.

Puis se mettant en marche contre les Zaghrâni qui ha-

bitaient Yorona, le caïd Mâmi fondit sur eux, tua leurs hom-

mes et emmena leurs femmes et leurs enfants en captivité à

Tombouctou oii ils furent vendus (n o a) pour un prix variant

de deux cents à quatre cents cauries.

Quelque temps après, le caïd El-Mostafa expédia à Dienné,

dans l’embarcation de Zinka-Daradj, un seul sergent* qui

avait mission de recevoir le serment de fidélité des habitants

de cette ville. Ce sergent arriva juste au moment où mourait

le Djinni-Koï Ouaïbo’ali. Le Djinni-Mondzo Bokarna^ qui

commandait la ville au nom de l’Askia, le cadi Benba-Kc-

nâti, Chima et Tâkoro, les deux caïds du Djinni-Koï, les no-

tables, les jurisconsultes et les négociants du pays écrivirent

au caïd El-Mostafa et au caïd Mâmi qu’ils consentaient à prê-

ter serment de fidélité.

Plus tard les caïds El-Mostafa et Màmi envoyèrent le com-

mandant^ Abdelmalek avec dix-sept soldats pour nommer un

Djinni-Koï. Ces fonctions furent confiées à Isma ïl-ben-Mo-

hammed qui les conserva pendant sept mois. Dieu permit à

la petite troupe marocaine de s’emparer du coquin le plus

abominable, Benkouna-Kendi, qui jetait alors le trouble dans

toute la contrée. On l’amena aux Marocains qui le tuèrent

dans la maison du Djinni-Koï, puis s’en retournèrent à

Tombouctou.

Quant à Ouaïbo’ali, dont il a été question plus haut, son

nom était Abou-Bekr-ben-Mohammed. Il avait occupé ses

1. Le mot du texte est chaovch.

2. Ou « Bokar », suivant le ms. G.

3. Ou « capitaine >>, le mot employé étant raïs.

244 HISTOIRE DU SOUDAN

hautes fonctions’ durant trente-six ans. Il avait épousé

Kâsa, la fille du prince Askia-Daoud, et celle-ci demeura

sous sa puissance maritale tant qu’il vécut.

Le caïd Mâmi vint ensuite en personne à Dienné et logea

dans la maison du Djinni-Koï; il donna le sultanat de

Dienné à Abdallah-ben-‘Otsmân et, après avoir réglé toutes

les affaires de la ville, il rentra à Tombouctou. Pendant qu’il

se rendait à Dienné, El-Hâdj-Bokar-ben-Abdallah-Kiraï-Es-

Senâouï allait de son côté à Tombouctou. Il venait, avec le

consentement des habitants de Dienné, demander au cadi

‘Omar^ la révocation du cadi Mohammed-Benba-Kenâti.

Le cadi Omar refusa énergiquement de déférer à ce désir

et El-Hâdj-Bokar retourna donc à Dienné exaspéré ; ayant

rencontré le caïd Mâmi dans cette ville, il renouvela sa plainte

au nom des habitants en assurant que leur cadi était un pré-

varicateur. En conséquence Mâmi révoqua le cadi Moham-

med, qu*on enferma ensuite comme châtiment dans une

maison dont on boucha la porte, ne laissant d’autre ou-

verture qu’une lucarne par laquelle on passait au prisonnier

l’eau et la nourriture. Tous ceux qui ont connu exactement

ce qui s’est passé à cette époque à Dienné et qui sont gens

sensés prétendent que l’accusation portée contre le cadi était

fausse (\ 0^). Le caïd Mâmi nomma aux fonctions de cadi de

Dienné un marocain, Ahmed-El-Filâh.

Quand Mâmi fut de retour à Tombouctou, le Bâghena-

Fâri, Bokar, fils de Askia-Mohammed-Benkan, arriva à

Dienné venant du pays de Kala; il avait avec lui son fils

Mârabâ, le fds de son frère, Chichi, Bindoko-Yâou-ould-Kcr-

sala et Ourar-Mondzo, ainsi qu’un petit groupe d’autres per-

sonnes. La petite troupe campa en face de Zoboro et, comme

1. Les fonctions de Djinni-Koï.

2. On voit par là que le cadi de Tombouctou était le grand-cadi du Soudan à

cette époque.

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 245

l’eau à ce moment arrivait jusqu’au pied de la citadelle, elle

demanda aux habitants de la ville la permission d’y péné-

trer.

Ni le Djinni-Koï, ni le Mondzo-Koï ne voulurent donner

cette autorisation, parce qu’ils craignaient que ces gens ne

voulussent provoquer des troubles. Ceux-ci insistèrent vive-

ment pour être admis dans la ville, assurant qu’ils étaient

venus uniquement pour prêter serment d’obéissance au sul-

tan Maulay Ahmed-Edz-Dzehebi. Alors les gens de la ville

leur envoyèrent Habîb-Torfi qui apporta un exemplaire du

Coran et le Sahih de El-Bokhâri et leur demanda de jurer

sur ces livres qu’ils n’avaient d’autre but que celui qu’ils

avaient indiqué.

Bokar et ses compagnons, ayant prêté le serment demandé,

entrèrent dans la ville. Mais le lendemain soir, au commen-

cement de la nuit, toutes les mauvaises têtessetant jointes à

eux, ils modifièrent leurs intentions et convinrent de revenir

sur leur serment de fidélité et de choisir un askia pour sou-

verain. Parmi les personnes qui prirent part à cette réunion

on peut nommer Mohammed-ould-Banyâti , Sori-Soti et

Kankan-Dentoura.

Deux ou trois jours après cela, les conjurés s’emparèrent

du Djinni-Mondzo, Bokarna, et pillèrent toutes les richesses

que renfermait sa maison. Ils arrêtèrent également le cadi

marocain*, le chargèrent de chaînes et l’expédièrent dans

la ville deBeled, une des villes du pays de Kala. Ensuite ils

démolirent la maison dans laquelle on avait enfermé le ju-

risconsulte, le cadi Mohammed-Benba-Kenâti et, après avoir

fait sortir le cadi de cette prison, ils lui intimèrent l’ordre

de partir et d’aller dans n’importe quel pays il voudrait.

Rendu à la liberté, Mohammed-Benba se rendit chez le

sultan de Ta’ba auprès duquel il demeura jusqu’à sa mort

1. Ahmed-El-Filâli.

246 HISTOIRE DU SOUDAN

(Dieu, le Très-Haut, lui fasse miséricorde, et, dans sa grâce et

sa générosité, lui accorde son indulgence!). On assure que,

pendant tout le temps qu’il resta enfermé, Mohammed-Benba

s’occupa uniquement à lire {n”v») le livre sacré de Dieu et

cela nuit et jour. On cite de lui le prodige suivant : Le jour

011 il sor tit de prison on ne trouva pas dans toute la maison

la moindre trace de déjections ni urine, ni excréments.

Ce jour-là on nomma cadi Mouri-Mousa-Dâbo qui fut

maintenu dans ses fonctions par le Makhzen marocain après

la fuite des rebelles. Ceux-ci décidèrent ensuite d’arrêter tous

les négociants partisans du Makhzen et de confisquer leurs

biens. Ils voulurent emprisonner, entre autres, Hâmi’-San-

Sokar-Es-Senâouï qui était, dit-on, le plus considéré et le

plus important des négociants.

Cette arrestation avait été décidée la nuit, pendant une

veillée, dans la maison des rebelles. Quand Mohammed ould-

Benyâti et Sori-Soti sortirent de la maison, ils allèrent

trouver Fedji-Mâbi, la femme de Ilârni, et lui annoncèrent

la nouvelle en secret en lui donnant Tordre de prévenir

ce dernier. Fedji s’étant acquittée de la commission, Hâmi

prévint son frère El-Hàdj-Bokar; puis, ayant réussi à se pro-

curer une petite embarcation, il partit secrètement à la faveur

de la nuit, prenant dans sa fuite la direction de Tombouc-

tou.

Le lendemain, la nouvelle de cette fuite ayant été connue,

le Bâghena-Fâri envoya à la poursuite du fugitif et pour le

ramener des gens qui montèrent l’embarcation du Fenfa*

Bâmo’aï-Fîri-Firi. El-Iiâdj-Bokar manda aussitôt le Fenfa

chez lui et lui promit de l’argent pour qu’il ralentît la

marche de son bateau de façon à laisser à son frère le temps

d’arriver en lieu sûr. Le Fenfa accepta cette proposition.

1. Ou : Hâm.

2. Ce litre était celui du directeur du port.

CHAPITRE VI.XGT-DEUXIÈME 247

Quand il fut en vue de la ville de Ouenzagha, Hâmi, dont

la barque était à Tancre, aperçut l’embarcation qui le

poursuivait. Aussitôt il démarra précipitamment et redoubla

de vitesse dans sa marche.

Quand les gens de la barque du Fenfa arrivèrent à Ouen-

zag’ha, ils s’informèrent du fugitif. Un Tombouctien, à qui

Hàmi avait fait cependant beaucoup de bien, leur répondit:

« A l’instant l’embarcation de Hâmi vient de démarrer;

continuez votre route et vous la rejoindrez à peu de distance

d’ici. » Ouenzagha-Mouri*, qui venait d’entendre ces paroles,^

s’avança aussitôt vers eux et leur dit : « Retournez sur vos

pas ; les soldats marocaiîis ont appris votre venue et ils se

sont retirés dans la ville de Kouna pour vous y attendre et

vous tuer. Dites au Bâghena-Fâri que c’est moi qui vous ai

donné l’ordre de revenir sur vos pas. » Les poursuivants

retournèrent alors en arrière. Grâce à Ouenzagha-Mouri,

Dieu, le Très-Haut, écarta ainsi le malheur que (>”vn) le

Tombouctien avait voulu attirer sur la tête de son bienfai-

faiteur.

A ce moment, les rebelles, commirent à Dienné toutes

les turpitudes et toutes les tyrannies qu’ils voulurent. Ce fut

au point qu’un certain vendredi, à l’heure du dohor, alors

que toute la population était réunie, dans la mosquée, ils se

présentèrent à cheval devant la porte, leurs armes à la

main et jurant que personne ne prierait tant qu’on n’aurait

pas proclamé un askia et que l’imam n’aurait pas fait en

chaire le prône- au nom de cet askia.

Comme les notables leur disaient que cela était impossible

1. Il est difficile de déterminer si c’est un nom de personne ou un titre équi-

valant à celui de chef de Ouenzagha.

2. On sait que l’imam doit faire chaque vendredi, à l’issu de l’office, une

prière dans laquelle il prononce le nom du souverain. En demandant celte for-

malité les rebelles voulaient donner au chef qui aurait été choisi la consécration

légale de son autorité.

248 HISTOIRE DU SOUDAN

et illégal, la loi religieuse ne permettant pas d’agir ainsi,

ils devinrent encore pins insolents et plus grossiers. Cela

dura jusqu’au moment du coucher du soleil. Alors les

notables leur dirent : a Attendez que nous sachions ce qui

s’est passé entre le pacha Mahmoud et l’askia : peut-être ce

dernier a-t-il été vainqueur et, dans ce cas, les choses revien-

draient au point où elles étaient primitivement’. » En enten-

dant ces paroles, ils cessèrent leurs violences et la popula-

tion put accomplir la prière du vendredi.

Hâmi arriva ensuite à Tombouctou et informa le caïd

El-Mostafade ce qui venait de se passer. Celui-ci décida aus-

sitôt de faire en personne une expédition contre Dienné,

mais le caïd Mâmi lui dit : « Demeurez ici dans votre cas-

bah; je me charge de vous débarrasser de tout cela. » Puis il

se mit en marche à la tête de trois cents hommes d’élite

qu’il avait choisis.

Quand les Marocains furent près de la ville, le DJinni-

Koï leur envoya Salha-Tâfmi et Tâkoro-Ansa-Mâni avec des

noix de gourou, qu’ils devaient offrir au caïd en l’engageant

vivement à hâter son arrivée. Le Sanqara-Koï, Boubo-Oulo-

Bîr, suivit les messagers et leMasina-Koï, Hammedi-Amina,

se porta à la rencontre des Marocains à Doiiï^ On raconte

que ce fut Habib-ould-Mohammed-Anbâbo qui avait écrit au

Mâsina-Koï, au nom du caïd ‘Amniâr, de suivre le caïd

Mâmi partout où il irait, de lui venir en aide, de le guider

de ses conseils, et que c’est à cause de cela qu’il était venu

promptement en personne à leur rencontre.

Le Bâghena-Fâri, qui avait appris la nouvelle du départ

de ces envoyés, plaça aux portes des remparts des gardes

qui eurent mission de les arrêter lors de leur retour. Salha-

Tâfîni rentra à Dienué par la porte de CIiima-Anzouraa et

1. C’esl-à-dlre qu’ils auraient pour chef un askia comme ils le désiraient.

2. Ou : Douye.

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME 249

Dieu lui épargna tout mal de la part des gardes qui ne le

virent point. Tâkoro, qui rentra par la porte du Grand Mar-

ché, fut arrêté et mis en prison pour être tué ensuite. Mais, le

caïd Mâmi ayant hâté son arrivée, le Bàghena-Fâri et ses

compagnons, préoccupés (n’w) du soin de sauver leurs per-

sonnes, se hâtèrent de quitter la ville et s’enfuirent sans songer

à Tâkoro. Dans leur fuite ils se dirigèrent vers la ville de

Tîra.

Laissant dans la ville de Dienné une garnison de quarante

soldats qu’il plaça sous les ordres de ‘Ali-El-‘Adjemi, le caïd

Mâmi poursuivit sans relâche les rebelles, ayant avec lui le

Djinni-Koï, ‘Abdallah, le sultan du Màsina et le sultan de

Sanqara, Boubo-Oulo-Bîr, chacun d’eux avec ses propres

troupes, et atteignit les fuyards dans la ville de Tîra. Là

le combat s’engagea. Mâraba^ , le fds du Bàgliena-Fàri,

Bokar, s’étant approché, lança un javelot contre la barque

dans laquelle se trouvait le caïd Mâmi au milieu du Fleuve ;

l’embarcation se fendit de proue en poupe, mais, en un clin

d’oeil, les mariniers, tout en restant sur le Fleuve, réparèrent

cette avarie et maintinrent le navire en équilibre.

Le caïd réussit ensuite à mettre les rebelles en fuite et

les dispersa de tous côtés. Le Bàghena-Fâri et ses enfants

s’enfuirent vers le Bindoko et atteignirent la ville du Târa-

nida-Koï ; cehii-ci s’empara d’eux, les mit à mort et envoya

à Dienné la tête du Bàghena-Fâri, celle du Bindoko-Yaou

et du Ourori-Mondzo et la main de Màraba. De Dienné toutes

les têtes furent expédiées par les habitants de la ville à

Tombouctou au caïd El-Mostafa et la main de Màraba fut

suspendue derrière le château sur la route de Doboro.

Le Djinni-Koï, Abdallah, fit demander aux habitants de

la ville de Dienné ce qu’étaient devenus le Mondzo, Bokarna,

et le cadi El-Maghribi. Ils renvoyèrent au Djinni-Koï,

1. Ou : Mârba. i

250 HISTOIRE DU SOUDAIN

Mondzo Bokarna ; mais, pour le cadi, il se trouva qu’il venait

de mourir peu auparavant (Dieu très haut lui fasse miséri-

corde!).

Quand le caïd Màmi avait résolu de quitter Tombouctou

pour accomplir l’expédition dont il vient d’être parlé, le

caïd El-Mostafa avait donné l’ordre à Hàmi, qui avait apporté

la nouvelle de la révolte, de partir avec l’armée. Mâmi se

mit en route avec deux barques chargées de sel. Comme le

sel faisait absolument défaut à Dienné quand il y arriva, il

le vendit avec un bénéfice très considérable.

Le caïd Mâmi retourna ensuite à Tombouctou. L’ordre

était rétabli et, dans toute la région, il n’y avait plus rien

qui pût causer quelque inquiétude. Louanges en soient

rendues à Dieu le grand, le très élevé. ‘Ali-El-Adjemi con-

serva ses fonctions de chef de la ville de Dienné (que Dieu

la garde !), et il fut le premier des fonctionnaires du Makhzen

marocain qui administrèrent cette cité.

CHAPITRE XXIlI(\ir)

LISTE DES CHEFS DE DIENNÉ. – LES TOUAREG ATTAQUENT TOMBOUCTOU

Le Djiuni-Koï, Abdallah, dont il a été parlé ci-dessus,

conserva ses fonctions durant dix ans ou, suivant quelques-

uns, dix ans et deux mois. A sa mort, il fut remplacé parle

Djinni-Koï, Mohammed-ben-Ismaïl. Après être resté à ce

poste pendant seize ans et cinq mois, Mohammed fut révo-

qué par le pacha ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telcmsâni qui le fit en

outre emprisonner à Dienné d’abord, où il resta une année,

puis à Tombouctou où il resta deux ans. Pendant ces trois

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 251

années il fut remplacé comme Djinni-Koï par Abou-Bekr-

ben-Abdallah. Quand le pacha Ahmed-ben-Yousef prit son

commandement il fit sortir Mohammed de prison et le ré-

tablit dans ses fonctions de Djinni-Koï qu’il occupa de nou-

veau trois ans, après quoi il mourut un dimanche, vers midi,

le 15 du mois de chaouâl de l’année 1029 (13 septembre

1620).

Mohammed mort, le Djinni-Koï qui lui succéda fut Abou-

Bekr fils d’Abdallah dont il a été parlé ci-dessus. Jl conserva

le pouvoir pendant sept ans et mourut en l’année 1036

(22 septembre 1626-12 septembre 1627) à l’époque où le

caïd Yousef-ben-‘Omar-El-Qasri gouvernait Tombouctou.

Les fonctions de Djinni-Koï furent ensuite confiées à

Mohammed-ben-Kanbara-ben-Mohammed-ben-Israa’ïl, qui

les occupa dix-huit mois. Il fut ensuite révoqué et remplacé

par le Djinni-Koï, Abou-Bekr-ben-Mohammed. Ce dernier,

après avoir conservé son poste pendant trois ans, fut tué sans

résistance * par le caïd Mellouk-ben-Zcrgoun. Cet événe-

ment eut lieu dans la soirée du jeudi, 13 du mois de djo-

mada !«’ de l’année 1042 (26 novembre 1632).

Mohammed-Kanbara, qui avait été révoqué, reprit ensuite

ses fonctions de Djinni-Koï; il les conserva deux ans moins

trois mois et fut de nouveau révoqué par le pacha So’oud-

ben-Ahmed-‘Adjeroud lorsque celui-ci vint à Dienné, le der-

nier jour du mois sacré de dzou’l-hiddja qui termina l’an-

née 1043 (26 juin 1634). Le pacha lui donna pour succes-

seur (mi) Abdallah-ben-Abou-Bekr-El-Meqtoul” qui entra en

fonctions le 1″ jour du mois sacré de moharrem commen-

çant l’année 1044 (27 juin 1634); Abdallah resta à ce poste

1. L’expression arabe employée ici signifie littéralement « lié, attaché « de

façon à ne pouvoir se défendre. Cependant le sens pourrait être : à brùle-pour-

point, sans aucun motif,

2. « El-Maqtoul » signifie « assassiné »; c’était, sans doute, un surnom qui

avait été donné à Abou-Bekr après sa mort.

252 HISTOIRE DU SOUDAN

pendant huit ans moins deux mois et mourut dans la

matinée du jour de la rupture du jeûne, le vendredi

(l”chaoual) un des mois de l’année 1051 (3 janvier 1642).

Les prières de ses funérailles furent faites aumosalla.

Le Djinni-Koï révoqué, Mohammed- Kanbara, exerça de

nouveau les fonctions de chef de Dienné, pendant une année

et trois mois. Puis, révoqué une seconde fois, il eut pour

successeur son frère Isma’il-ben-Mohammed-ben-Isma’ïl qui

fut élevé à cette dignité le lundi, 3 du mois de moharrem, le

premier des mois de l’année 10o3 (24 mars 1643); il con-

serva ses fonctions durant neuf ans et fut révoqué au mois

sacré de moharrem le premier des mois de l’année 1062

(14 décembre 1651-13 janvier 1652). Son frère Ankeba’li-

ben-Mohammed-ben-Isma’il lui succéda et c’est encore lui

qui à l’époque actuelle est Djinni-Koï.

Au moment où le caïd Mâmi revint de son expédition con-

tre le Bâghena-Fâri, Abou-Bekr-ould-El-Ghandâs, le Targui,

se mit en route de Ras-el-Mâ à Tombouctou pour y combat-

tre le caïd El-Mostafa. Comme les Touareg s’approchaient

de la ville, El-Mostafa fut très inquiet parce qu’il manquait

absolument de cavalerie. Il n’y avait alors à Tombouctou

qu’un seul cheval, c’était le sien. Il était donc en proie à

une grande angoisse lorsqu’il reçut la nouvelle que le caïd

Ali-Er-Ràchedi était arrivé à Bir-Takhonât à une journée

de marche de Tombouctou. Or ce caïd avait avec lui

1.500 hommes d’infanterie, 500 cavaliers et 500 chevaux

non montés. Ces renforts avaient été envoyés à la suite de la

lettre adressée parle pacha Mahmoud’, lettre dans laquelle

il annonçait qu’il avait perdu tous ses chevaux dans le pays

de Dendi.

Aussitôt (n io) le caïd El-Mostafa expédia Amnîra*-ould-El-

1. Il faut ajouter : au sultan du Maroc.

2. La lecture de ce nom est peu sûre.

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 253

Ghezzâli, afin de hâter le plus possible Tarrivée de ces che-

vaux; ce dernier les amena en temps voulu en sorte que,

parmi les Marocains,, la joie fit place à la tristesse. El-Mostafa

se porta à la rencontre du Targui. Celui-ci venait d’arriver

à Bir-Ez-Zobeïr dans la soirée, amenant avec lui tous ses com-

pagnons touareg, un grand nombre de Sanhadji, porteurs

détresses* et des Zaghrâni. Il avait également avec lui Màmi-

ould-Amar-ould-Kobori et son frère Ahmed qui tous deux

étaient venus habiter près de lui lorsqu’ils avaient fui deTom-

bouctou après l’affaire du caïd El-Mostafa.

La bataille s’engagea auprès du puits dont il vient d’être

parlé. La première personne qui fut tuée fut précisément

Mâmi-ould-Amar qui, à l’époque du gouvernement songhaï,

s’était montré très tyrannique, débauché et rapace (Dieu

nous préserve de gens pareils!). Il fut atteint par une balle

et mourut sur le coup. Abou-Bekr le Targui s’étant mis à

l’écart, les Marocains le poursuivirent jusqu’à la colline de

Nana-Zarqoutan. Alors, faisant volte face, le Targui se pré-

cipita sur le caïd El-Mostafa l’épée nue à la main et il allait

le frapper quand Edris-El-Abiod se plaça entre eux avec son

bouclier. L’arme s’abattit sur le bouclier, le coupa en deux

et trancha même un des doigts de Edris.

Enfin Dieu décida la victoire en faveur du caïd El-Mos-

tafa. L’ennemi, mis en déroute, s’enfuit, et nombre de com-

pagnons d’Abou-Bekr le Targui furent tués par les Maro-

cains. Lors de leur arrivée à Ras-al-Mà, les Touareg avaient

tué Ben-Daoud et tous les soldats qu’il avait avec lui et qui

avaient construit la casbah qui se trouvait en cet endroit.

Ces soldats au nombre de soixante et onze étaient restés

sur place pour défendre la casbah.

Cela fait, le caïd ‘Ali-Er-Râchedi continua sa route et con-

1. Il s’agit de Berbères ayant l’habitude de tresser une partie de leurs cheveux,

ainsi que le font encore les populations du Rif marocain.

254 HISTOIRE DU SOUDAN

duisit son corps d’armée au pacha Mahmoud jusque dans le

pays de Dendi. Ensuite d’autres renforts arrivèrent avec les

caïds Ben-Dahmân, Abdelaziz-ben -Omar et ‘Ali-ben-Abdal-

lah-Et-Telemsâni qui amenèrent à eux tous quatre cents

hommes (n’^’v). Ils poursuivirent leur route et rejoignirent

le pacha Mahmoud qui, ainsi qu’on Ta vu plus haut, réunit

six corps d’armée dans le pays de Dendi.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni était le fils d’Abdallah, un des principaux caïds du sultan dans la ville de Fez. Quand son père mourut, ‘Ali fut nommé caïd à sa place. C’était alors un tout jeune homme. Comme il passait sa vie en orgies de toutes sortes et qu’il s’enivrait de vin, il perdit bientôt toute considération parmi les habitants de la ville.

Mais il avait auprès du sultan un très puissant appui, le fils de sa sœur qui était mariée au caïd ‘Azzouz, aussi son nom ne tomba-t-il pas complètement dans l’oubli.

Il fut envoyé au Soudan par le sultan de Maroc en qualité

de caïd de troisième ligne* et il n’exerça ces fonctions de caïd

qu’après la mort de deux personnages qui le précédaient

hiérarchiquement. Devenu seul caïd, il accomplit les actions

les plus extraordinaires au point qu’on le citait comme mo-

dèle dans toutes les circonstances difficiles ou critiques.

Qu’elle serait longue la liste des expéditions auxquelles il

prit part, des braves qu’il combattit, dés ennemis qu’il fit

périr, des demeures qu’il saccagea ou prit d’assaut, des pays

qu’il conquit, des séditions qu’il apaisa, des places fortes

qu’il protégea, des illusions qu’il dissipa pour les ramener à

la réalité ! Durant des années et des années il appliqua tous

ses efforts à cette tache et pacifia si bien le pays que l’on

n’entendait partout que ces mots : paix, paix.

Le pacha Mahmoud, qui n’avait pas quitté le pays de

1. On voit par ce passage que le titre de caïd n’impliquait pas toujours l’exer*

cice immédiat de la fonction.

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME 255

Dendi, manda alors au caïd El-Mostafa de mettre à mort

les deux chérifs,le cheikh Mohammed-ben-‘Otsmâu et Baba-

bou-‘Omar, fils de la fille du chérif Ahmed-Es-Seqli. Ces deux

personnages furent tués de la façon la plus cruelle sur le

marché par l’ordre du hàkem ‘Ali-Ed-Deràouï. Le chaouch

El-Kâmel, qui accomplit cette exécution, coupa les deux mains

et les deux pieds des victimes avec une hache et abandonna

ensuite sur place ces malheureux ainsi mutilés qui ne tar-

dèrent pas à mourir dans cette situation. (Nous appartenons

à Dieu et c’est vers Lui que nous devons revenir.) Ceci se

passa le jeudi, 9 du mois sacré de moharrem (n”iv), le pre-

mier des mois de Tannée 1001 (16 octobre 1592) ; ce mois

commença un mercredi, le 5 octobre *.

Les corps des deux suppliciés furent enterrés dans une même fosse tout près du tombeau de Sidi Aboul-Qâsem-Et-Touâti. Aussitôt après cette exécution le ciel s’était tout à

coup obscurci et une poussière rouge avait envahi l’atmos-

phère. Ces deux personnages, qui appartenaient à la fîère

descendance de la famille de Prophète (que Dieu répande sur

lui le salut et lui accorde sa bénédiction!), périrent en véri-

tables martyrs (que Dieu leur témoigne sa satisfaction et leur

fasse miséricorde!). La main de l’exécuteur resta desséchée

jusqu’à sa mort, et, bientôt, la fille du Prophète- demandera

compte à ce chaouch de ce qu’il a fait.

Au mois de safar de cette même année (7 novembre-6 dé-

cembre 1 592), le jurisconsulte, le cadi Abou Hafs-‘Omar, fils

du saint de Dieu, le jurisconsulte, le cadi, Mahmoud-ben-

Omar (Dieu leur fasse miséricorde et nous fasse profiter de

leur bénédiction!), envoya Chems-Ed-Dîn, fils de son frère le

cadi Mohammed, porter une lettre au cheikh béni, Sidi Ab-

1. En réalité ce mercredi était le 8 octobre et non le 5.

2. L’auteur s’est servi ici du mot « La Vierge » pour désigner Fatima, la fille

du Prophète.

256 HISTOIRE DU SOUDAN

dallah-ben-Mobarek-El-‘Ani, et fit accompagner ce messager

du El-Fa’ Mohammed-oiild-Idider et du El-Fa’ Konba’ali.

Dans cette lettre le cadi demandait au cheikh d’aller trouver

le sultan Maulay Ahmed et de faire appel à sa clémence en

faveur des habitants de Tombouctou au sujet des troubles

qui avaient éclaté entre eux et le caïd El-Mostafa. C’étaient,

ajoutait-il, les Marocains qui avait eu les premiers torts, car

la population de Tombouctou soumise d’abord à Dieu et à

son prophète était également dévouée au sultan.

La députation quitta Tombouctou après la prière du dohor,

le mercredi, 20 du mois ci-dessus indiqué (26 novembre

1592); elle se rendit auprès du cheikh qui se mit aussitôt en

route avec elle pour se rendre auprès du sultan àMerràkech,

ville dans laquelle lui, le cheikh, n’était jamais allé.

La supplique, dans laquelle le cadi faisait valoir les excuses

qu’il avait cru devoir présenter, fut remise au sultan. Celui-

ci agréa la recommandation du cheikh qui retourna ensuite

dans son pays. Le sultan accueillit les envoyés avecles plus

grands égards; il leur fit une réception extraordinaire et

magnifique, puis, après les avoir gardés un an auprès de lui,

il les renvoya chez eux avec le caïd Bou-Ikhtiyâr.

CHAPITRE XXIV

LUTTE CONTRE ASKIA-NOUH. – MORT DU PACHA MAHMOUD-BEN-ZERGOUN. – EXPÉDITION CONTRE LE MASINA.

Revenons maintenant au retour du pacha Mahmoud à

Tombouctou. On a vu précédemment que le pacha s’était

attardé pendant deux ans dans le pays de Dendi pour y

combattre contre Askia-Nouh. N’ayant pu réussir à atteindre

CHAPITRE VINGT QUATRIÈME 957

le but qu’il poursuivait, il revint à Tombouctou. Mais, avant

de parvenir dans cette ville, il écrivit au caïd, El-Mostafa,

lui enjoignant de faire arrêter le cadi ‘Omar et ses frères,

puis d’attendre s(Jn arrivée. Le caïd répondit qu’il lui était

impossible d’exécuter cet ordre : « Attendez, ajouta-t-il,

pour ce faire, que vous soyez vous-même ici dans nos murs. »

Dès qu’il fut à Tombouctou, le pacha voulut mettre son

dessein à exécution; mais les gens prudents et avisés l’en-

gagèrent à n’en rien faire et à tirer vengeance auparavant

de Abou-Bekr-ould-Ël-Ghandàs et de ses complices qui

avaient fait périr Ben-Daoud et ses compagnons. Au moment

où le pacha allait suivre ce conseil, Abou-Bekr prit la fuite

et se mit hors d’atteinte. Le pacha alors attaqua brusque-

ment les Senhadji et en fit un tel carnage que tout le

monde s’imagina qu’il ne restait plus dans toute cette con-

trée un seul Senhadji. En outre le pacha fît un butin con-

sidérable.

Cette expédition terminée, le pacha rentra à Tombouctou.

Au moment où il avait quitté le pays de Dendi, il avait laissé

derrière lui, à Kâgho, le pacha Djouder qu’il avait nommé

son lieutenant dans cette ville. Pendant le trajet il s’était

arrêté pour bâtir la casbah de Benba dans laquelle il ins-

talla une garnison qu’il plaça sous les ordres du caïd El-

Mostafa-ben-‘Asker .

Ce fut après être rentré à Tombouctou, de retour de Ras-

el-Mâ où il était allé attaquer les Senhadji, que le pacha

Mahmoud commença à prendre les mesures qui devaient

aboutir à l’arrestation des jurisconsultes enfants de Sidi Mah-

moud (Dieu fasse miséricorde à celui-ci et nous soit favo-

rable à cause de lui!).

Le principal auxiliaire du pacha et son conseiller le plus

influent à cette époque était Habîb-ould-Mohammed-Anbâbo.

La première mesure qui fut prise, après délibération, fut de

{Histoire du Soudan ) 17

â58 HISTOIRE DU SOUDAN

faire annoncer à Tombouctou par un crieur public que le

pacha devait le lendemain faire une perquisition dans toutes

les maisons de la ville, que tout individu, dans la maison

duquel on trouverait des armes, n’aurait qu’à s’en prendre à

lui-même du sort qui l’attendrait s’il avait des armes et que

seules les maisons des jurisconsultes enfants de Sidi Mahmoud

seraient exceptées de la perquisition.

A cette annonce, la population entière se hâta de trans-

porter toutes ses richesses dans les maisons des jurisconsultes

pour les y mettre en dépôt. On pensait en effet que si le pacha

trouvait de l’argent dans une quelconque (>ni) des maisons

au moment de la perquisition, il s’en emparerait par la vio-

lence et injustement. Tel était en effet le but réel de ceux qui

avaient pris cette mesure.

Le lendemain, la perquisition eut Heu et toutes les mai-

sons de la ville furent fouillées. A la suite de cette opération,

le pacha fit annoncer par le crieur public que, les jours sui-

vants, tous les habitants devraient se réunir dans la mosquée

de Sankoré pour y prêter serment de fidélité au sultan

Maulay Ahmed.

Quand tout le monde fut assemblé dans la mosquée, on fit prêter serment aux gens du Touat, à ceux du Fezzan, à ceux d’Audjela et à tous ceux qui appartenaient à cette région. Cela dura tout le premier jour qui fut un lundi, 22 du mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année 1002 (18 octobre 1593). Puis le mardi, 23 du même mois, ce fut le tour des gens de Oualata, de Oueddan et autres personnes de ces régions.

« H ne reste plus maintenant que les jurisconsultes qui n’ont pas encore juré, dit alors le pacha; ce sera pour demain en présence de tout le monde. » Le jour suivant, quand tout le monde fut réuni dans la mosquée, on ferma les portes, puis on fit sortir tous les assistants à l’exception des jurisconsultes, de leurs amis et de leurs suivants. Le pacha Mohammed les fit tous arrêter ce jour-là, c’est-à-dire le mercredi, 24 du mois de moharrem de l’année 1002 (20 octobre 1593) ; puis, après les avoir ainsi faits prisonniers, il ordonna de les conduire à la casbah en les partageant en deux groupes : l’un qui se rendrait à la casbah en traversant toute la ville; l’autre qui prendrait un chemin passant hors de la ville du côté de l’est.

Les personnes qui composaient ce second groupe furent

massacrées sans défense ce jour-là. Comme elles étaient

en marche et qu’elles avaient atteint le quartier de Zim-

Konda, l’une d’elles, un Ouankoré du nom de Andafo,

s’empara du sabre d’un des soldats qui les conduisaient et

l’en frappa. Immédiatement quatorze des prisonniers furent

massacrés par les soldats.

Parmi les victimes de ce massacre on comptait neuf per-

sonnes appartenant aux grandes familles de Sankoré : le très

docte jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ ; le pieux jurisconsulte

Mohammed-El-Amîn, fds du cadi Mohammed-ben-Sidi-Mah-

moud; le jurisconsulte El-Mostafa, le fds du jurisconsulte

Masira-Anda-‘Omar; Mohammed-ben-Ahmed-(N v«) Bîr, fils

du jurisconsulte Sidi Mahmoud; Bouzo-ben-Ahmed-Ad-‘Ot-

mân; Mohammed-El-Mokhtàr-ben-Mo’yâ-Achâr; Ahmed-Bîr-

ben-Mohammed-El-Mokhtâr, fils de Ahmed, le frère du El-

Fâ Salha-ïakouni, ce dernier fils du frère de Masira-A.nda-

Omar; Mohammed-Siri-ben-El-Amîn, père de Sonna; Mah-

moud-Kiraoukori, un des habitants du quartier de Kâbîr;

Borhom •-BoyroU–Et-Touâti, le cordonnier ; c’était un des

gens de Koïra-Kona; deux Ouankoré, Andafo qui avait pro-

voqué la catastrophe, et son frère; deux hartani appartenant

1. Ou : Yborhom.

2. Ou : Boydoli.

260 HISTOIRE DU SOUDAN

aux enfants de Sidi Mahmoud; eufui FaJl et Chinoun, tous

deux tailleurs.

Un seul individu de ce groupe échappa au massacre;

ce fut Mohammed-ben-El-Amîn-Kânou; il fut délivré de ses

liens par le frère du caïd Ahnied-ben-El-Haddâd qui le prit

sur son cheval et l’emporta dans sa maison où il le con-

duisit sain et sauf. En apprenant cette catastrophe, le pacha

Mahmoud, qui était encore à la mosquée, s’écria qu’il

n’avait pas autorisé ce massacre et il envoya aussitôt des

ordres pour que pareil fait ne se renouvelât pas.

Le cadi Omar était à cette époque un vieillard âgé.

Comme il souffrait de douleurs de reins qui l’empêchaient

de marcher on le fit monter sur un jeune mulet et l’on en

fit autant pour l’ascète Sidi Abderrahman qui faisait partie du

même groupe que lui, celui qui avait traversé la ville. Tous

ceux qui avaient été arrêtés sur l’ordre du pacha Mahmoud

avaient été garrottés pour acccomplir le trajet ; il n’y avait

eu d’exceptions que pour les deux personnages qui viennent

d’être nommés.

Le massacre des prisonniers avait eu lieu près de la

maison de Amrâdocho, un des hartani de la ville de Tom-

bouctou et il reçut l’ordre d’enterrer tous les cadavres dans

sa maison. Le jurisconsulte Ahmed-Mo’yâ, le jurisconsulte

Mohammed-El-Amîn et le jurisconsulte El-Mostafa furent en-

sevehs dans la même fosse, et ce fut le très docte juriscon-

sulte Mohammed-Baghyo’o qui s’occupa de toutes ces funé-

railles. Amrâdocho quitta ensuite Tombouctou pour se

mettre en voyage et il alla s’étabUr dans la ville de Chibi où

il demeura jusqu’à sa mort.

Quand l’ascète Sidi Abderrahman avait appris l’événe-

ment, il s’était écrié : « De tous les membres de cette

famille, tous succomberont aujourd’hui à l’exception de

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 261

Mohammed-El-Amîn*. » Puis lorsqu’il apprit la mort de

Fadl, il dit encore : (nvn) « Fadl a succombé dans cette

affaire, mais il aura la récompense suprême. »

Le pacha Mahmoud pénétra dans toutes les maisons des

jurisconsultes; il en emporta tout ce qu’elles contenaient

d’argent, de choses et de meubles en quantité telle que

Dieu seul la peut connaître, car outre les biens des juris-

consultes il se trouvait là des richesses apportées en dépôt

par la population.

Les gens du pacha pillèrent tout ce qu’ils purent trouver,

faisant mettre à nu hommes et femmes pour les fouiller. Ils

abusèrent ensuite des femmes et les emmenèrent ainsi que

les hommes dans la casbah où ils les tinrent prisonniers

durant six mois. Quant au pacha Mohammed, il gaspilla

toutes les richesses dont il s’était emparé et les dis{)ersa de

tous côtés. Il en fit des largesses à ses soldats, sans envoyer

autre chose au sultan Maulay Ahmed que 100.000 pièces

d’or.

Pendant qu’il était à Tombouctou, le pacha Mahmoud ap-

prit que le jeune ^ caïd Ammâr et ses compagnons qu’il

avait laissés dans la casbah de Kolen étaient dans une situa-

tion très critique par suite des attaques de Askia-Nouh. Il

expédia le caïd Mâmi-ben-Barroun avec des embarcations

pour aller recueillir les assiégés et les ramener à Tombouc-

tou.

Arrivé à Kolen, le caïd Mâmi ne trouva pas moyen de

parvenir à la porte de la casbah tant le blocus établi par les

troupes de l’Askia était étroit. Avec ses embarcations il

pénétra par la voie du Fleuve jusque derrière la casbah dont

on démolit les murs de ce côté, ce qui permit à une embar-

1. C’est-à-dire Moliamined-ben-El-Amin-Kânou. Le texte ne dit pas nettement

à quel moment l’ascète annonça cette nouvelle sous forme de prédiction.

2. Cette épithète pourrait à la rigueur être un surnom.

262 HISTOIRE DU SOUDAN

cation de s’approcher. Le caïd ‘Ammâr monta alors sur une

barque du Fenfa Saïd-Dogha et toute la garnison put en-

suite gagner ainsi Tombouctou et y arriver en toute sécu-

rité.

Après que le pacha Djouder fut retourné à Merrâkech,

les habitants de Dienné chassèrent de leur ville le sultan de

Melli ; le caïd ‘Ammâr était alors pacha, et des félicita-

tions lui furent adressées par l’intermédiaire du chaouch

Mesaoud-El-Lebbân qui alla le trouver sur la barque du

Fenfa dont il a été question ci-dessus. Le Fenfa racontant

cet événement ajouta : « Quand nous fûmes en présence du

pacha, celui-ci me dit : « N’est-ce pas toi qui m’as em-

« mené dans ta barque lorsque nous avons évacué la casbah

« de Kolen? — Oui, lui répondis-je. » Et je vis par là

combien sa vue était perçante et sa mémoire fidèle. »

En réponse à la démarche des envoyés du cadi ‘Omar qui

s’étaient rendus à Merrâkech, le sultan Maulay Ahmed envoya

à Tombouctou le caïd Bou-ïkhtyâr, peu de temps après la

capture des jurisconsultes’, et, si je ne me trompe, c’était au

mois de safar de l’année 14)02 (27 octobre-25 novem-

bre 1593). Ce caïd était un renégat chrétien (nvy) au teint

bronzé et fort bel homme. Fils d’un prince chrétien, dont

les frères étaient jaloux de sa mère, une favorite, il dut,

pour échapper à leurs persécutions réitérées, se réfugier

auprès du souverain musulman du Maroc Moulay Ahmed.

Son père envoya alors des sommes considérables pour le ra-

cheter; mais quand il reçut cet argent, Maulay Ahmed le

remit au jeune homme en lui disant : « Tout ceci t’appar-

tient, c’est ta propriété légitime. » Il était d’usage dans ces

circonstances de ne jamais remettre l’argent ^

1. C’est à-dire: des arrestations opérées par le pacha Mahommed-ben-Zergoun.

2. L’auteur veut dire qu’il n’était pas d’usage de remettre au captif l’argent

destiné à son rachat, quand ce rachat, pour un motif quelconque, n’était pas

effectué.

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 263

En fin de compte le sultan accorda sa grâce au cadi ‘Omar

et lui écrivit un rescrit à ce sujet. Il fit partir les envoyés du

cadi avec le caïdBou-Ikhtiyâret donna l’ordre à ce dernier

dédire au pacha Mahmoud de ne molester en aucune façon

le cadi ni ses gens. Auparavant, le sultan avait écrit au

pacha d’arrêter tous ces gens-là et de les lui amener enchaî-

nés ; mais personne dans son entourage ne savait que cette

lettre avait été écrite.

Quand on arriva à Teghazza, le caïd Bou-Ikhtiyàr, ayant

appris tout ce que Mahmoud-ben-Zergoun avait fait contre

les jurisconsultes à Tombouctou, manda Chems-Ed-Dîn pen-

dant la nuit et lui dit : « Maulay Ahmed m’a trompé et vous

a trompés. » Puis il raconta à Chems-Ed-Dîn tout ce qui

avait été fait contre les personnes de sa famille et l’engagea

à chercher un moyen de sauver sa vie.

Chems-Ed-Din se réfugia alors auprès de Aïssa-beu-Seli-

man-El-Berbouchi, cheikh des Oulad Abderrahman, dont les

tentes à ce moment se trouvaient derrière Teghazza. Il se

plaça sous la protection de ce cheikh et lui demanda de le

conduire jusqu’à la ville de Ouâda*. Accédant à son désir, le

cheikh conduisit lui-même Chems-Ed-Dîn dans cette localité,

et ce dernier y séjourna jusqu’au moment où le très docte

jurisconsulte Ahmed-l^aba revint à Tombouctou. Alors

Ahmed-Baba l’envoya chercher. C^hems-Ed-dîn vint trouver

Ahmed-Baba, habita avec lui et mourut peu de temps après

cela (que Dieu lui fasse miséricorde!).

Quant à Maham-ould-Idider il reçut également un écrit

de sauvegarde qui lui fut délivré par Maulay Ahmed et qu’il

remit au pacha Mahmoud lui-même, lorsqu’il arriva à Tom-

bouctou en compagnie du caïd Bou-Ikhtiyâr; celui-ci était

à la tête d’une armée composée de 1.200 soldats : 600 de

ces soldats, provenant des populations de Massa, marchaient

1. Ou : Ouàd.

264 HISTOIRK DU SOUDAN

avec lui séparément; les 600 autres, comprenant des gens

du Haha, marchaient de leur côté avec El-Hasan-ben-Ez-

Zobeïr.

Maulay Ahmed avait donné l’ordre aux deux corps

d’armée de voyager séparément dans la crainte qu’il y eût

encombrement et bousculade pour l’eau en arrivant à l’ai-

guade. Partout où (>vt) Bou-Ikhtiyar avait passé le jour,

El-Hasen-ben-Zobeïr y venait passer la nuit, en sorte que

Bou-Ikhtiyâr entra avant son collègue dans la ville de Tom-

bouctou. C’était la première fois que Maulay Ahmed se ser-

vait de gens de Massa et du Haha pour le service militaire;

il les avait exonérés en échange de toutes charges et impôts.

En même temps que ces deux caïds était venu le caïd Abd-

elmalek qui poursuivit sa route jusqu’à Kâgho où il alla

demeurer.

Après avoir gardé en prison les jurisconsultes tombouc-

tiens pendant environ cinq mois, le pacha Mahmoud se

décida à les envoyer à Merrâkech. Ils partirent donc formant

une troupe nombreuse où figuraient pères, enfants, petits-

fils, hommes et femmes entassés pêle-mêle’. La caravane

se mit en route le samedi, 25 de djomada II de l’année ci-

dessus indiquée (18 mars 1594); elle comprenait en outre,

le lieutenant-général Bahasen-Feriro, le caïd Ahmed-ben-

Yousef-El-‘Euldji^ et d’autres personnages.

Bahasen-Feriro succomba pendant le voyage dans les cir-

constances suivantes : le jour où il mourut, la caravane venait

de commencer à se mettre en marche. Il se rendit à ce mo-

ment vers le saint de Dieu, le pieux jurisconsulte, Sidi Ab-

derrahman, fds du saint de Dieu, le père des bénédictions,

Mahmoud et le trouva en train de faire ses ablutions. Il lui

i. Mot-à-mol : serrés comme les (lèches dans un carquois.

2. El-Euidji signifie « le renégat » et pourrait n’être qu’une épithète, au lieu

de faire partie du nom du caïd.

r

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 265

lança un coup de pied et lui donna l’ordre de se mettre en

route sans achever son ablution. Le saint ne bougea pas,

acheva son ablution et enfourcha ensuite sa monture. Feriro

se mit en selle également; mais, peu après, son chameau

s’emportant le jeta à terre. Dans sa chute Feriro se brisa la

colonne vertébrale ‘ et mourut sur-le-champ.

Lorsqu’on arriva en vue de la ville de Merrâkech, le ju-

risconsulte, le cadi Abou-Hafs-‘Omar, fils du jurisconsulte

Mahmoud, lança en ces termes une imprécation contre les

habitants de cette ville : « mon Dieu! ainsi qu’ils nous ont

tourmentés et fait sortir de notre pays, tourmente-les à ton

tour et fais qu’ils soient obligés de quitter leur patrie! »

Dieu exauça cette imprécation, car du jour de leur entrée

à Merrâkech commença pour cette ville une ère de cala-

mités.

Aussitôt que les jurisconsultes eurent quitté Tombouctou,

le pacha Mahmoud-ben-Zergoun fit changer l’emplacement

du marché^ et le transporta du côté de la porte de la casbah.

Ce changement eut lieu le jeudi, 6 du mois de cha’ban de

Tannée précitée (27 avril 1594).

La caravane arriva à Merrâkech le premier jour du mois

de ramadan de cette année (l^juin 1594), à ce que rapporte

le très docte Ahmed-Baba (que Dieu lui fasse miséricorde

et nous fasse bénéficier de sa saiiiteté!) dans son livre inti-

tulé Dzeil-Ed-Dibddj . Dans ce même ouvrage Ahmed-Baba

dit à ce sujet : « Ainsi que les membres de sa famille, il

(‘Omar) subit de cruelles épreuves (> vi) ; il fut interné dans

sa propre ville au mois de moharrem de l’année 1002 (oc-

tobre 1593) sur l’ordre de Mahmoud-ben-Zergoun, après que

1. Mol-à-mot : se cassa le cou.

2. C’est généralement sur les marchés que les révoltes se manifestent tout

d’abord, et l’on comprend dès lors tout l’intérêt qu’il y avait à placer le marché

dans le voisinage de la casbah qui contenait les troupes.

266 HISTOIRE DU SOUDAN

celui-ci se fut emparé de cette cité. Emmené prisonnier avec

tous les siens et chargés de chaînes, il arriva à Merrâkech le

premier jour du mois de ramadan de cette même année. Il

resta avec toute sa famille enfermé dans cette ville jusqu’au

moment où son supplice cessa enfin, et où il fut rendu à la

liberté, le dimanche, 2 1 * du mois de ramadan de l’année 1004

(19 mai 1596). Les cœurs de tous les musulmans se rempli-

rent de joie à cette nouvelle. Puisse Dieu faire de cette

épreuve l’expiation de leurs péchés I »

Le caïd Ahmed-ben-El-Haddàd revint en secret de Merrâ-

kech à Tombouctou sans que le pacha Mahmoud eût con-

naissance de son retour. Il était allé au Maroc en prenant

la route de Oualata et avait informé le sultan Maulay Ahmed

de toutes les exactions que commettait le pacha Mahmoud

qui, disait-il, ne connaissait que son sabre ; c’était au point

que si quelqu’un en sa présence déclarait vouloir servir^ le

sultan, il tirait aussitôt son sabre en partie du fourreau en

disant : « Le sultan, le voici ! »

Ce récit excita chez le sultan une vive colère. « Comment,

s*écria-t-il, je n’aurais de victoires dans le Soudan que

grâce à l’épée de ce misérable ! » Sa colère devint encore

plus violente lorsqu’il vit arriver les envoyés du pacha ame-

nant les jurisconsultes et qu’il apprit qu’on avait pillé des

richesses incalculables dans les maisons de ces derniers sans

lui envoyer autre chose que 100.000 mitsqal.

Il écrivit alors à l’amin, le caïd Hammou-Haqq^-Ed-Der’i

de se rendre auprès de lui et à Baqqâs-Ed-Dâremi de rem-

plir les fonctions d’amin à la place de Ilammou. Quand ce

dernier arriva à la cour, il présenta ses comptes au sultan ;

1. Ou :1e 11 d’après le ms. C ; mais il est probable que le copiste a omis la fin

du mol 20 qui, en arabe, est formé par une terminaison ajoutée au mot 10.

2. Ou dire : « que Dieu donne la victoire au sultan ».

3. Au lieu de Hammou-Haqq, il faut sans doute lire Hammou-Abdelhaqq.

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 267

celui-ci y vit figurer la mention de sommes énormes et, après

avoir reçu tout d’abord les sommes qui venaient de lui

être apportées, il demanda ce qu’était devenu tout cet

argent. L’amin répondit que le pacha Mahmoud avait dila-

pidé ces fonds et les avait gaspillés.

Mais le prince apprit que Hammou-Haqq ne lui avait pas

remis en entier les sommes qu’il avait par-devers lui, qu’il

en avait détourné une partie, 20.000 pièces d’or qu’il avait

enfouies dans un jardin qu’il possédait au Der’a. En consé-

quence il le fit arrêter et mettre en prison, puis il écrivit au

caïd El-Hasen-ben-Ez-Zobeïr, qui était à Tombouctou, pour

lui annoncer qu’il le nommait amin et que Baqqâs devrait se

rendre dans la ville de Dienné (nv©) pour y exercer les

fonctions d’amin. Hammou-Haqq resta en prison jusqu’à sa

mort, et ce fut alors seulement que l’on découvrit l’or qu’il

avait volé et enfoui. Grâce à la volonté de Dieu et à son pou-

voir, le sultan rentra en possession de cet argent.

Après avoir fait de nouveaux préparatifs, le pacha

Mahmoud recommença la guerre contre Askia-Nouh qui

avait quitté le pays de Dendi et s’était transporté dans la ré-

gion de El-Hadjar. Il prit avec lui toutes les troupes

qu’avaient amenées le caïd Bou-lkhtiyâr, puis il se porta

avec elles à la rencontre du pacha Djouder qu’il joignit à

Konkoroubou et qui venait de la ville de Kâgho, et il lui

offrit de l’emmener avec lui. Djouder demanda qu’on le

laissât tout d’abord allei’ jusqu’à Tombouctou y prendre

un peu de repos, ajoutant qu’ensuite il ferait sa jonction.

Mahmoud atteignit le pays de El-Hadjar et s’empara de

Honbori et de Da nka et de toutes les dépendances de ces

deux villes.

Le sultan Maulay Ahmed envoya alors au Soudan le caïd

Mansour-ben-Abderrahmân avec l’ordre d’arrêter Mahmoud-

ben-Zergoun et de lui infliger une mort ignominieuse. Le

268 HISTOIRE DU SOUDAN

fils du prince, Maulay Abou-Fârès, dépêcha aussitôt à son

tour, et en lui enjoignant la plus grande diligence, un mes-

sager au pacha pour l’informer du but delà venue de Man-

sour-ben-Abderrahmân et l’engager vivement à prendre

toutes ses mesures pour sa sécurité avant l’arrivée de ce

caïd.

En recevant cette nouvelle, le pacha Mahmoud fut certain

qu’elle était exacte, car il avait toujours été le serviteur fidèle

de Maulay Abou-Fârès et lui avait été plus dévoué qu’aux

autres fils du sultan Maulay Ahmed. Il se mit alors en marche

avec ses troupes, emmenant avec lui Askia-SeUman et se

dirigea vers les rochers de Almina-Ouâlo. On campa au pied

de ces rochers, et, la nuit venue, le pacha décida de les

escalader pour marcher contre les païens. Askia-Sehman

s’opposa à ce projet en disant qu’il n’y avait pas lieu d’es-

calader ces rochers pendant la nuit pour livrer un combat.

En disant cela, il ne doutait pas que le pacha voulait les con-

duire, lui et eux, à une mort certaine.

Vers la fin de la nuit, le pacha partit à la rencontre des

païens, emmenant avec lui quarante soldats marocains et

dix mulâtres des habitants de Tombouctou. Le reste de

l’armée ne savait rien de ce départ lorsqu’elle entendit le

bruit de la fusillade qui crépitait sur la montagne au moment

du lever de l’aurore. Tout le monde, efî’rayé par ce bruit, se

précipita vers l’endroit où était la tente du pacha et, ne Ty

voyant pas, se porta vers la montagne où l’on trouva ceux

qui (w^) avaient échappé au combat d’entre les compagnons

dn pacha et qui annoncèrent que celui-ci était mort ainsi que

le caïd ‘Ali-ben-El-Mostafa et d’autres personnes encore dont

Dieu avait décidé la mort ce jour-là.

Lorsque le pacha, al teint par les flèches, était tombé sur

le sol, les gens de Torai)ouctou l’avaient aussitôt chargé sur

leurs épaules pour le ramener au camp. Mais, serrés de près,

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 269

ils abandonnèrent le corps dont les païens détachèrent la

tête et l’envoyèrent à A skia-Nouh ; celui-ci l’expédia à Koula,

le sultan de Kabbi, qui la fit mettre au bout d’une perche qu’on

planta sur le marché de Lîka où elle resta pendant long-

temps. Askia-Sehman ramena les troupes marocaines, en

marchant avec la plus grande diligence dans la crainte d’être

rejoint parles païens et il arriva ainsi au lac* de Binka.

Avant la mort du pacha, le Maghcharen-Koï Aousenba

était venu le trouver et lui avait amené son fils Aknezer^;

il avait demandé que son fils Aknezer fut nommé chef des

Touareg établis à Ras-el-Mà, tandis que lui conserverait l’au-

torité sur ceux qui habitaient du côté de l’est. Mahmoud

avait accepté cette combinaison ; il avait partagé la rede-

vance de 1 .000 mitsqal, que ces Touareg payaient depuis

de longues années, en imposant 500 mitsqal à chacune des

deux nouvelles fractions. Telle fut la façon dont les choses

furent arrangées.

L’armée marocaine alla rejoindre Djouder et demeura

avec lui dans l’île de Zintà jusqu’à l’arrivée du caïd Man-

sour dans la ville de Tombouctou. Mansour fit son entrée

dans cette ville le jeudi, 1*”” du mois de redjeb l’unique, de

l’année 1003 (12 mars 4595). Le pacha Djouder s’était

porté à sa rencontre jusqu’à Abràz.

Mansour campa avec ses troupes dans le jardin de Dja’far^

et, à la suite du conseil qui fut tenu en cet endroit, il se

porta vers El-Hadjar dans le dessein de venger la mort de

Mahmoud. L’armée se mit en marche au mois de chaouâl

de cette même année (juin 1595); elle se composait de trois

mille hommes tant cavaliers que fantassins. Elle prit contact

avec Askia-Nouh dans le pays de El-Hadjar.

1. Ou : « fleuve ».

2. Ou : Ag-Nczer.

3. Ou : « à Djenan Dja’far », qui serait alors un nom de localité.

270 HISTOIRE DU SOUDAN

Askia-Nouh, qui avait avec lui toutes les populations son-

ghaïes, fut vaincu par le caïd Mansour qui lui fit subir une

déroute telle que jamais Mahmoud-ben-Zergoun ne lui en

avait infligée de pareille. Mis en fuite avec son armée,

Askia-Nouh dut abandonner toute la population qu’il avait

avec lui, et le caïd Mansour l’emmena tout entière en capti-

vité, hommes et femmes, jeunes et vieux, chanteurs et

chanteuses. Cela fait, Mansour retourna à Tombouctou et

confia l’administration de tout ce monde à Askia-Seliman *.

A dater de ce moment il se trouva maître du parti songhaï

et de tous ses adhérents (nvv).

Mansour habita Tombouctou. C’était un homme béni,

juste, ayant une grand(i autorité sur ses troupes; il em-

pêcha les tyranneaux et les déclassés d’opprimer les musul-

mans. Les faibles et les malheureux eurent bientôt pour lui

une grande affection, tandis que les méchants et les débau-

chés n’eurent pour lui que de la haine.

Peu après son installation à Tombouctou, Mansour entra

en conflit avec le pacha Djouder; il voulut retirer à ce der-

nier les troupes qu’il avait sous ses ordres et prendre l’ad-

ministration du pays, puisque Djouder avait été en réalité

révoqué depuis le moment de la venue de Mahmoud-ben-

Zergoun. Les choses en vinrent au point que des dépêches

à ce sujet furent adressées de part et d’autre à Maulay

Ahmed. Le sultan répondit en partageant l’autorité entre

ces deux personnages. Djouder eut l’administration du pays,

étant donné qu’il l’avait conquis par les armes. Quant au

caïd Mansour, il eut le commandement de toutes les troupes,

et il fut interdit à Tun comme à l’autre d’empiéter sur les

attributions de son collègue.

A la suite de ces événements, Mansour fit des préparatifs

pour une nouvelle expédition dans le pays de Dendi. Il se

1. Cette phrase n’est pas très claire dans le texte.

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈMI’: 271

mit en marche et alla camper à Karabara où il s’arrêta

pendant des mois parce qu’il était malade. 11 revint ensuite

à Tombouctou et alla s’installer avec ses troupes dans son

campement habituel. Ce fut là qu’il mourut de la maladie

dont il était atteint, vers le moment du coucher du soleil,

le vendredi, 17 du mois de rebi’ P’ de l’année 1005 (9 no-

vembre 1596).

On prétend que Djouder aurait empoisonné Mansour et

aurait ainsi causé sa mort; il aurait, assure-t-on, agi de

même à l’égard du caïd Bou-lkhtiyâr qui ne tarda pas

beaucoup à mourir après son arrivée au Soudan et qui fut

enterré dans la mosquée de Mohammed-Naddi. Quant à

Mansour, il ne fut pas enterré le jour même de sa mort,

mais seulement dans la matinée du lendemain, le samedi.

Après que les prières eurent été faites sur lui, il fut enseveli

dans la mosquée de Mohammed-Naddi près du tombeau de

Sidi Yahya. Plus tard son fds, venu de Merrâkech, trans-

porta le corps de son père dans cette ville et lui donna là sa

sépulture définitive.

Après la mort de Mansour, Maulay Ahmed envoya au

Soudan le pacha Mohammed-Tâba’. Celui-ci, à la tête d’une

armée de 1000 hommes tant fantassins que cavaliers, arriva

à Tombouctou le lundi, 19 du mois de djomada I” de l’année

1006 (28 décembre 1507), et campa derrière la casbah du

côté de l’est. C’était un homme âgé et un des caïds du

sultan Maulay Abdelmalek ; il était homme d’expérience, avisé

et prudent; il avait été jeté en prison par Maulay Ahmed

au début de son règne et y était resté enfermé douze

ans.

Mohammed-Tâba’ se prépara à quitter son camp pour

entreprendre une expédition dans le pays de El-Hadjar;

il enleva à Djouder le commandement des troupes qu’il

avait sous ses ordres (nva) et emmena avec lui le caïd El-

272 HISTOIRE DU SOUDAN

Mostafa-Et-Torki. Arrivé à Ankandi, Mohammed-Taba’ y

mourut le mercredi, 5 du mois de chaouàl (11 mai 1597);

ou prétend que Djouder lui avait fait admimstrer du poison

par Nâna-Torkia

Djouder était resté à Binka’ pendant ce temps pour garder

le pays. Le caïd El-Mostafa dut ramener ses troupes en ar-

rière après avoir eu avec les habitants du pays de El-

Hadjar un certain nombre d’engagements et après avoir été,

lui aussi, à ce que l’on assure, victime d’un empoisonnement.

Quand il arriva à l’endroit où se trouvait Djouder pour

veiller à la défense du pays, celui-ci voulut lui reprendre le

commandement des troupes et, comme El-Mostafa s’y refu-

sait, le différend fut porté devant les chefs de l’armée.

Ceux-ci donnèrent gain de cause à Djouder dont ils connais-

saient fort bien la façon de commander et qui d’ailleurs

avait toute l’armée dans sa main.

Tous se mirent ensuite en route pour Tombouctou. Quand

on arriva au port de Koronozafi, Djouder donna l’ordre à

El-Mostafa, qui était malade, de se rendre dans la ville de

Tombouctou et de séjourner dans la casbah. Puis, dès que

celui-ci fut parti, il envoya des gens sur ses traces avec ordre

de le tuer avant qu’il arrivât dans la ville. Étranglé dans le

village de Kabara par ces émissaires au nombre desquels

figurait Ibrahim-Es-Sekhàouï, El-Mostafa mourut et son

corps, transporté dans la ville, y fut enterré la première nuit

du mois de dzou ‘1-hiddja qui acheva l’année 1006 (4 juillet

1598). Son tombeau se trouve dans le cimetière de la mos-

quée de Mohammed-Naddi.

Cette même année, c’est-à-dire en l’année 1006 (14 août

1597-4 août 1598), l’amin, le caïd El-Hasen-ben-Ez-Zobeir

retourna à Merrâkech, emportant une somme considérable

1. Le ms. C donne Tombouctou, au lieu de Binka, ce qui est sûrement une

cireur du copiste.

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 273

d’argent provenant de l’impôt foncier* perçu sur le pays

pendant trois ans et un peu plus. 11 fut remplacé dans ses

fonctions, durant son absence, par le caïd Abdaliah-El-

Ilayouni et Sa’ïd-ben-Daoud-Es-Sousi. Mais lorsque l’amin

revint avec le pacha Seliman, à la fin de l’année 1008

(24 juillet io99-13 juillet 1600), les deux personnages ces-

sèrent leurs fonctions intérimaires qui n’avaient pas duré

tout à fait trois ans.

Lorsque le pacha Mahmoud-ben-Zergoun avait fait arrêter

les enfants de Sidi Mahmoud, le prince du Màsina, Hammedi-

Amina, était venu (^v^) à Tombouctou intercéder eu leur

faveur auprès du pacha. Comme le prince y mettait une très

grande insistance, le pacha, qui persistait dans son refus,

songea à le faire arrêter, lui aussi, en le voyant si obstiné à

vouloir défendre ses protégés en dépit de tout. Mais un des

conseillers soudanais de Mahmoud dissuada celui-ci de cette

arrestation et le pacha laissa le prince du Mâsina retourner

dans son pays.

Un peu plus tard Djouder manda au prince du Mâsina de

se rendre auprès de lui. Celui-ci ayant refusé de venir, le

pacha envoya au caïd El-Mostafa-Et-Torki, qui se trouvait

alors à Tendirma, l’ordre de faire une expédition contre

le Mâsina. El-Mostafa partit ayant avec lui 700 soldats ;

400 fantassins etSOOcavahers, puis il écrivit au caïd ‘Ali-ben*

Abdallah-Et-Telemsâni, qui se trouvait à ce moment à Ouen-

zagha^, en observation, de se joindre à lui dans cette cam-

pagne.

Les deux caïds se mirent en marche, emmenant avec eux

les plus vaillants des gens du Songhaï,tels que le Kormina-

Fâri Bokar-Konbou, le Kala-Châ’a Bokar et d’autres per-

sonnage de même valeur. Le prince du Mâsina s’enfuit avec

1. Le texte porte le mot : kharadj.

2. Ou : Ouenza’a.

{Histov’e du Soudan ) 18

274 HISTOIRE DU SOUDAN

les gens de sa maison seulement. Mais les Marocains joigni-

rent l’ennemi derrière la ville de Zâgha dans un endroit ap-

pelé Toulo-Fina. Le prince du Mâsina, qui avait avec lui un

grand nombre de païens du Bambara, s’enfuit avec ses

compagnons, laissant les païens seuls aux prises avecEl-Mos-

tafa. Les Marocains tuèrent un grand nombre de ces païens

qu’ils avaient cernés au milieu d’une grande forêt; ils s’em-

parèrent de toute la famille de Hammedi-Amina, entre

autres de sa femme ‘Aïcha-Folo et de quelques-uns de ses

jeunes enfants.

Hammedi-Amina, avec ses principaux chefs, se dirigea vers

la ville de Zâra auprès du sultan de cette ville Faran-Sorâ,.

pendant que son cousin paternel était nommé sultan à sa

place et que sa famille était enfermée en prison à Dienné.

Après deux années de séjour à Zâra il rentra dans son pays.

Aussitôt que le caïd El-Mostafa eut achevé de combattre

les païens,, il marcha sur les traces de Hammedi-Amina et le

poursuivit jusqu’au moment où celui-ci pénétra dans le pays

de Qayâka. Alors revenant sur ses pas, il parvint à la ville de

Koukirikoï * où habitait le Kala-Châ a et y campa quelques

jours avec ses troupes (na*).

De là les Marocains se mirent en marche en se dirigeant

vers la ville de Chininkou et campèrent sur la rive opposée

du Fleuve. Ils députèrent des envoyés aux notables de cette

ville qui vinrent les saluer et retournèrent ensuite chez eux

pour aller chercher les victuailles destinées à l’hospitalité.

Quand ceux-ci furent de retour, les Marocains leur enjoigni-

rent de leur envoyer des embarcations pour traverser le

Fleuve.

A peine arrivés de l’autre côte du Fleuve, les Marocains

assaillirent les gens du pays et un grand combat s’engagea

1. Koukirikoï pourrait être le titre du chef de la ville deKoukiri et il faudrait

alors traduire « la ville du Koukiri-Koï. »

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME 275

dans lequel le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsàui fut atteint

par une flèche empoisonnée. Le caïd, qui souffrait de cette

blessure, s’étant mis à fumer du tabac fut pris de vomisse-

ments qui le débarrassèrent complètement du poison et as-

surèrent sa guérison. Ce fut à la suite de cela qu’il prit l’ha-

bitude d’user du tabac et ne cessa depuis, jusqu’à sa mort,

de fumer presque constamment.

Le cheval du Kala-Châ’a Bokar, atteint d’une flèche, suc-

comba sous son cavalier. Celui-ci, qui était d’une extrême

bravoure, très vaillant et très hardi, continua de combattre

à pied, mais sans succès. Un gendarme* marocain, qui con-

naissait bien les brillantes qualités du Kala-Châ’a, le voyant

ainsi dans la mêlée, descendit de son cheval et l’engagea à

enfourcher sa monture; mais le Kala-Châ’a, craignant qu’on

lui fît affront de sa conduite, refusa d’accepter cette offre et

il fallut que le gendarme marocain lui jurât qu’il tuerait le

cheval s’il ne le montait pas, pour qu’il se décidât à l’en-

fourcher. Quand le combat fut terminé, le gendarme maro-

cain dit au Kala-Châ’a : « J’ai vu qu’à pied tu ne rendais

aucun service et j’ai craint de te voir succomberinutilement.

Tandis que moi tout ce que je pouvais faire d’utile à cheval

je pouvais le faire aussi bien à pied, c’est pour cela que je

t’ai si vivement pressé de prendre mon cheval. »

En somme, on fit un grand carnage des habitants de la lo-

calité; on prit de nombreux prisonniers, hommes et femmes,

jurisconsultes et gens dévots. Dès que la nuit vint, à la suite

de cette affaire, le caïd ‘Ali-ben-Abdallah fit relâcher tous

ceux qui étaient tombés prisonniers entre ses mains et entre

celles de ses compagnons et leur rendit leur liberté. 11 n’en

fut pas de même du caïd El-Mostafa et de ses compagnons ;

ils emmenèrent à Tombouctou tous leurs prisonniers, les

1. C’est-à-dire un de ces cavaliers qui sont attachés au service d’un chef

marocain pour faire office de courrier et de gendarme.

276 HISTOIRE DU SOUDAN

vendirent au prix qu’ils en trouvèrent et réalisèrent ainsi un

certain profit.

Selon le dire de quelques personnes, la cause du châtiment

infligé aux habitants de Chininkou serait la suivante : Le

Châ’a-Makàï, à la tête d’une troupe de païens du Bambara,

s’était porté sur Dienné^ ravageant le pays, chassant devant

lui les habitants et semant partout le plus grand désordre. Or

c’étaient les gens de Chininkou seuls qui leur avaient fait

traverser le Fleuve (>A\) et c’est à cause de cela que les

Marocains leur avaient infligé un châtiment. Plus tard Ba-

Redouan, qui était alors caïd de la ville de Dienné, dirigea

en personne une seconde expédition contre eux, mais ils le

mirent en fuite lui et son armée et les chassèrent du pays où,

par la suite, les Marocains ne s’aventurèrent plus jamais.

Ce Châ’a-Makaï était \m des habitants de Kala. Au début

de l’occupation marocaine il avait été au service du Makhzen

à Dienné en qualité de palefrenier*. Quand il connut la façon

de combattre des Marocains, il s’éloigna d’eux et se retira

dans son pays d’où il devint un cruel fléau pour eux. A plu-

sieurs reprises et un grand nombre de fois il lança les païens

sur le territoire de Dienné qu’il saccagea et ruina complète-

ment.

CHAPITRE XXV

Le sultan Maulay Ahmed ayant donné l’ordre au pacha

Djouder de se rendre auprès de lui dans le courant de l’an-

née 1007 (4 août 1598-24 juillet 1599), le pacha écrivit au

1. Ou : « simple cavalier ».

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME 277

prince en le priant d’envoyer quelqu’un pour gouverner le

pays et le représenter comme chef de l’armée.

Comme le sultan avait envoyé dans ce but le caïd El-

Mostafa-El-Fîl et le caïd Abdelmalek-El-Bortoqâli^, Djouder

adressa en toute hâte une seconde lettre au prince, lui deman-

dant de ne pas confier le pays à ces deux caïds parce que

le sultan de Melli s’était déjà mis en campagne pour venir

dans la contrée et que le roi du Mâsina Hammedi-Amina

faisait également des préparatifs pour y revenir. C’était

donc non des caïds qu’il fallait envoyer, mais un pacha dont

le titre en imposerait davantage.

Là-dessus Maulay Ahmed expédia le jeune ‘Ammâr-

Pacha, seul, sans le faire accompagner de troupes. Précé-

demment ‘Ammâr était allé au Songhaï conduire une armée

de 1000 hommes dont 500 renégats et 500 Andalous\ Arrivés

à Adzaouât, ces deux groupes se divisèrent pour suivre une

direction différente : les renégats prirent une direction qui

était le bon chemin et arrivèrent sains et saufs; les autres,

qui s’étaient dirigés d’un autre côté, s’égarèrent et périrent

tous. Avec ces derniers se trouvait Mâdji que le cadi “Omar

avait envoyé à Merrâkech après le départ des autres en-

voyés et qui périt également.

Djouder reçut alors l’ordre de venir immédiatement et

en toute hâte (nav), tout le pays fût-il en feu à ce moment.

Toutes ces lettres et tous ces messages se succédèrent dans

un temps très court. Les deux caïds, El-Mostafa et Abdcl-

malek, arrivèrent dans la ville de Tombouctou au mois do

djomada P”” de l’année 1007 (30 novembre- 30 dé-

cembre 1598); mais le pacha ‘Ammâr n’y arriva qu’au

mois de redjeb de la même année (28 janvier-27 fé-

1. « Le portugais ». Un certain nombre de ces caïds étaient des renégats ; de

là ces surnoms indiquant leur origine étrangère.

2. C’est-à-dire des descendants des Maures d’Espagne réfugiés au Maroc. •

278 HISTOIRE DU SOUDAN

vrier 1599). Quant au pacha Djouder il se mit en route,

pour se rendre à Merrâkech, le jeudi, 27 du mois de ramadan

de cette même année également (25 mars 1599).

Le sultan Mahmoud, roi de Melli, décida de faire une

expédition contre les gens de Dienné*. Il envoya un mes-

sager au Kala-Cha’a Bokar pour l’informer de ce projet

et lui demander son concours. Bokar, qui se trouvait à ce

moment dans la ville de Kounti, demanda au messager si

Sanqar-Zouma’a ^ et Faran-Sora devaient se joindre au roi de

Melli. « Non, répondit celui-ci. — Eh! bien, répondit Bokar,

présente-lui mes salutations et dis-lui que je l’attends ici

s’il plaît à Dieu. » Dès que le messager eut tourné le dos,

Bokar dit à ses compagnons : « Cela ne m’a pas l’air grave,

du moment que les deux principaux de ses vassaux ne

suivent point le roi de Melli. »

Quand le roi de Melli s’approcha de Dienné, Bokàr se

mit en marche vers cette ville en prenant les devants. Ni le

sultan de Kala, ni celui du Bindoko n’avaient répondu à

l’appel de Mahmoud et il n’avait avec lui que le Fadoko-

Koï, le Oma-Koï et Hammedi-Amina, le roi du Mâsina.

Seyyid Mansour, que le pacha Djouder avait nommé

hâkem de Dienné, donna aussitôt avis de l’expédition du roi

de Melli au pacha ‘Ammâr en lui demandant de le secourir.

Celui-ci envoya un corps d’armée sous les ordres du caïd

El-Mostafa-El-Fîletducaïd-‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni.

Quand ces renforts arrivèrent à Dienné dans la matinée du

vendredi, dernier jour du mois de ramadan de l’année

ci-dessus indiquée (26 avril 4599), ils trouvèrent l’ennemi

campé avec toutes ses troitpes sur les dunes de Sânouna et

ses forces étaient si considérables qu’elles s’étendaient

1. Le plus souvent, par le mot J»! « gens », l’auteur entend les Marocains,

à l’exclusion de la population noire.

2. La conjonction « et » a élu omise dans le texte arabe.

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME 279

jusqu’au bras du Fleuve dans lequel les barques devaient

passer pour se rendre à la ville’. Le combat s’engagea

en cet endroit et ce ne fut qu’à la faveur d’une violente fusil-

lade que les Marocains durent leur salut. Toutefois les

barques réussirent à pénétrer dans la ville.

Le hâkem de Dienné, Seyyid Mansour, tint alors conseil

avec ses compagnons les plus expérimentés. Le Kala-Cha’a

Bokar émit l’avis de faire une sortie sur-le-champ, ce Si,

ajouta-t-il, nous laissons passer cette nuit sans agir, toute

la population du pays viendra se grouper autour de l’en-

nemi. » Alors Seyyid Mansour donna rendez-vous (nvv) à

ses compagnons pour livrer bataille aussitôt après l’office du

vendredi. A ce moment, en effet, la sortie eut lieu à laquelle

prit part le Djinni-Koï Mohammed-Kinba-ben-Isma’ïl. En

un clin d’œil le Melli-Koï et ses troupes furent mis en

déroute et perdirent un grand nombre d’hommes.

Grâce à son cheval, le Melli-Koï put s’échapper. Il fut

suivi par le Kala-Cha’a Bokar et par Sorya-Mohammed qui,

l’ayant rejoint en lieu sûr, le saluèrent comme sultan et

ôtèrent leurs bonnets pour lui rendre honneur ainsi que

c’était leur coutume. « Maintenant, dirent-ils au prince, il

vous faut accélérer votre marche, afin de ne pas être atteint

par l’ennemi, sinon, si l’on vous atteignait et vous reconnais-

sait, on vous traiterait de la plus indigne façon. » Là-dessus

ils prirent congé du prince et revinrent sur leurs pas.

Quand le combat et la poursuite furent terminés, tous les

caïds et les troupes rentrèrent à Dienné le vendredi vers

minuit, veille de la fête\ Aussitôt l’office de la fête terminé,

on décida de diriger une attaque contre Hammedi-Amina

1 . Dans ce passage, qui n’exisle que dans les mss. A et B, le ms. B met la né-

galion, en sorte qu’il faudrait traduire, « dans lequel les barques ne devaient

pas passer ».

2. La fête, dont il est question ici, est celle de la rupture du jeûne.

280 HISTOIRE DU SOUDAN

et ses tentes qui étaient alors dans la ville de Soa, bourg

situé près de El-Medina*. Mais le Kormina-Fâri Bokar-

ben-Ya’qoub représenta que ce personnage étant un no-

made, sa puissance était peu redoutable et qu’il y avait

beaucoup plus à craindre du Oma-Koï qui était un séden-

taire et qui avait su entraîner le Melli-Koï dans l’expédition

qu’il venait de faire contre eux.

S’en rapportant donc à l’appréciation du Kormina-Fâri,

les Marocains se mirent en marche contre le Oma-Koï; ils

détruisirent la ville de So’o^où ils firent un immense butin,

car à cette époque c’était un grand centre commercial. Cela

fait, ils revinrent à Dienné et conclurent la paix avec Ham-

medi-Amina à qui ils rendirent toute sa famille qu’ils

avaient emmenée en captivité au cours de cette expédition.

Ils révoquèrent Hammedi-‘Aïcha et l’emmenèrent à Tom-

bouctou où il resta emprisonné jusqu’au jour où il mourut

sous le gouvernement du pacha Mahmoud-Lonko^

Quant à la paix dont il vient d’être fait mention, elle n’eut

lieu qu’après la défaite de Seliman-Chaouch, lieutenant-

général à cette époque. Cette défaite eut lieu dans les cir-

constances suivantes : Au moment où les troupes revenaient

de l’expédition de So’a, le Fondoko Haminedi-Amina avait

adjoint à ses troupes un grand nombre de païens du Bambara,

puis il s’était mis en route vers l’est pour soulever le pays.

A cette nouvelle, les habitants de Dienné expédièrent un

corps d’armée pour combattre le Fondoko et placèrent à sa

tète le lieutenant-général Seliman-Chaouch, qui avait avec

lui 1er Fondoko Hammedi-‘Aïcha. Les deux troupes se ren-

1. Ou « près de sa capitale », si le mot « El-Medina » n’est pas un nom propre.

2. Ce nom est écrit plus haut : Soa; les Soudaniens confondent aisément les

deux lettres* et c et les substituent l’une à l’autre non seulement dans les

noms propres, ‘mais encore dans les noms communs. On trouve aussi l’ortho-

graphe Soo,

3. Ou : « Longo »; ce serait alors un surnom espagnol.

CHAPITRE VINGT-SIXIEME 281

contrèrent dans la ville de Ti\ et, dans le combat qui s’en-

gagea en cet endroit, tous les fusiliers de la colonne maro-

caine périrent, à l’exception de deux hommes. A la suite de

cette bataille, Hammedi-Amina alla dresser ses tentes dans

le bas-fonds de Dibi où il demeura quelques jours. Les gens

du campement de Hammedi^-‘Aïcha prirent la fuite (>Ai) et

se réfugièrent dans le pays de Bara où ils séjournèrent pen-

dant longtemps.

Le Fondoko Hammedi-Amina se mit ensuite en marche

et retourna à So’a; il s’y attarda jusqu’au moment où la

paix dont il a été question fut conclue et où on lui rendit

toute sa famille qui comprenait : sa femme ‘Aïcha-Folo ; son

plus jeune fds Kalil et Amina-bent-Fondoko-Boubo-Ma-

ryama, la femme de son fils aîné Boubo-Yama qui était son

héritier présomptif.

Hammedi-‘Aïcha fut révoqué et mis en prison. Lorsque

Mima arriva au pouvoir, il se rendit à Qayàka auprès du

Faran-Sora en compagnie de tous les gens du Mâsina, sauf

un petit nombre. Après être resté là un an, il retourna au

Borgou où il ne trouva plus aucun compétiteur. Il fit alors

sa soumission aux agents marocains, mais en paroles seule-

ment.

CHAPITRE XXVI

LES UOIS DU MASINA

Les rois du Mâsina sont originaires de Koma, nom d’une

1. Ou : « Tiya ».

2. Il s’agit ici de tous los gens campés avec Hammedi-Aïcha, soldats au non.

L’ortho„’raphe Hammedi est donnée par le ms. B. Peut-être faudrait-il lire ici et

ailleurs Haoïmadou.

282 HISTOIRE DU SOUDAN

localité du pays de Qayâka qu’on appelle encore To’o et

Tirmisi. Il y avait là un sultan nommé Djàdji-ben-Sâdi qui

avait deux frères germains : Maghan et Yoko*. Ce dernier

mourut, laissant une veuve que le sultan Djadji voulut

épouser, mais elle s’y refusa, ne voulant d’autre époux que

Maghan qui, lui, n’en voulait pas, et qui ne pouvait d’ail-

leurs pas l’épouser à cause de la crainte que lui inspirait le

sultan son frère.

Les gens avaient longtemps glosé sur celte situation,

lorsque, un jour, Maghan entra chez sa belle-sœur et lui

adressa des reproches en lui disant : « Pourquoi refuses-tu

d’épouser le sultan? Qui donc a plus de droits que lui à

cela? Que vont devenir (> a©) les enfants que tu as? » Il eut

beau essayer de tourner ses phrases dans tous les sens, il

ne parvint pas à la persuader et ses efforts furent vains.

Comme Maghan sortait de la maison de sa belle-sœur, des

délateurs qui l’avaient vu allèrent trouver le sultan en lui

disant : « Eh! bien, croirez- vous maintenant que tout ce que

nous vous avons dit de Maghan est la vérité? nous venons

à l’instant de le voir sortir de la maison de la veuve. »

Quand ensuite Maghan se rendit chez le sultan pour le

saluer et qu’il fut en présence du monarque, celui-ci lui dit :

«Ah! le Ciel vous bénisse! Voici donc à quoi vous vous occu-

pez et la façon dont vous agissez. Je veux épouser une femme

et vous allez lui monter la tête contre moi! » Puis il s’em-

porta en paroles dures et méchantes.

Très irrité de cette apostrophe, Maghan quitta le sultan,

enfourcha son cheval et partit droit devant lui pour s’enfuir.

Il fut suivi par quelques partisans, deux ou cinq cavaliers

et un certain nombre de gens à pied. Quand le soleil fut

couché, ils bivouaquèrent et allumèrent du feu. Quelques

1. Le ms. G. écrit Yenko.

CHAPITRE VINGT-SIXIEME 283

bœufs égarés passant par là s’arrêtèrent auprès d’eux; ils

en prirent un, l’égorgèrent et en firent leur souper.

Le lendemain, ils poursuivirent leur marche, chassant

devant eux les bœufs et arrivèrent ainsi à une colline ap-

pelée Mâsina et située sur le territoire du Bâghena-Fâri. Là

ils trouvèrent des Sanhadji, porteurs de tresses, qui avaient

établi leur résidence en cet endroit; ils demeurèrent avec

eux jusqu’à ce qu’ils eurent été rejoints par les personnes

de leurs familles, qu’ils avaient laissées en arrière. Maghan

se rendit alors auprès du Bâghena-Fâri, et quand il fut en

sa présence, il le salua, lui raconta son aventure, et lui dit

ce qu’il désirait.

Le Bâghena-Fâri souhaita la bienvenue à Maghan, lui fit

un excellent accueil et l’iîivita à s’établir sur son territoire,

à l’endroit qui lui plairait. Puis, il le nomma sultan des

personnes qu’il avait amenées avec lui. LesFoulâni commen-

cèrent à venir rejoindre Maghan, les uns appartenant à la

même tribu que lui, les autres provenant de la tribu de

Sanqar qui, à cette époque, nomadisait sur le territoire

compris entre les bords du Fleuve et Mima.

Maghan eut de nombreux enfants : l’aîné se nommait

Bohom-Maghan, les autres Ali-Maghan, Denba-Maghan,

Kouba-Maghan, Harenda-Maghan ; ces cinq enfants, tous

frères germains, avaient eu pour mère Dimmo-bent-Yadala;

les autres enfants étaient : Yalila-Maghan, seul fils d’une

autre femme de Maghan et Hammedi-Binda et Sanba, tous

deux fils de la même mère.

Quand Maghan-ben-Sâdi mourut, il eut pour successeur

comme sultan son fils aîné Bohom, qui se maria avec une

femme nommée Yedenki dont il eut un fils appelé Nakiba-

Yedenki (nai); ce fut à cette même femme que Ouara-

Yedenki rattache son origine. Il épousa une autre femme

du nom de Kaffi dont il eut un fils appelé Kâneta-‘Ah dont

284 HISTOIRE DU SOUDAN

est issu Ouorârdo*-‘Ali. 11 épousa encore une autre femme

appelée Tiddi qui donna le jour à Hammedi-Tiddi, et c’est

à cette femme que rattachent leur généalogie Ouoro-Tiddi,

Za’aki-Tiddi et Ouededo ‘-Tiddi.

A sa mort, le sultan Bohom-Maghan laissa la royauté à

son frère ‘Ali-Maghan ; c’est de ce dernier prince que descend

Ouoro-‘Ali. Sauf ces deux personnages, aucun des autres

enfants de Maghan n’occupa le sultanat. Quand ‘Ali mourut,

il laissa comme successeur au trône le fils de son frère,

Kâneta-ben-Bohom, qui épousa une fille de la tribu des

Sanqar, appelée Derâma-Sâfou^ et dont il eut comme en-

fants : Djâdji-Kâneta, Anyayâ-Kâneta, Denba’^-Kâneta,

Yoro-Kâneta, Lanbouro^-Kâneta et Kani-Kâneta . Il épousa

une autre femme du nom de Bonka, dont il eut un seul

enfant, Moko-Kâneta. C’est à ce personnage que remonte

Ouoro-Moko.

Quant à Djàdji-Kâneta, il épousa Benba-bent-Iiammedi-

Tiddi dont il eut un fils, Soudi, qui fut la tige de rejetons

parmi lesquels on compte Ouoro-Boki et Ouoro-Dibba, l’an-

cêtre du jurisconsulte Ahmed-Bîr-El-Mâsini.

Kâneta périt dans une bataille que lui livrèrent les Za-

ghrâni et dans laquelle ceux-ci furent vainqueurs; à cette

même époque les Mossi avaient vaincu aussi les gens duMà-

sina. Kàneta eut pour successeur son frère ‘Ali à qui Dieu-

donna la victoire sur les Zaghrâni et sur les Mossi, car il les

vainquit tous deux. Il eut pour fils Denba-‘Ali, Djenka-‘Ali

et Chimmo-‘Ali. A sa mort, il fut remplacé sur le trône par

Anyaya-Kàneta qui quitta leMàsina pour se transporter dans

1 . Ou : Ouorâdro,

2. Le ms, C : Ouro-Tiddi, qui est une erreur évidente.

3. Suivant le ms. C : Sâfou-Darânja.

4. Les mss. A et H donnent : Deaba-Doubi.

5. Ms. C : Lâmboro.

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME 285

le Djanbal et cela sous le règne du prince Askia-El-Hàdj-

Mohammed. Anyayâ-Kaneta conserva le pouvoir pendant

trente ans; durantvingtansil l’exerça au Mâsina et, pendant

dix années, dans le Djanbal.

Anyayâ-Kaneta eut pour successeur le fils de son frère,

Soudi-ben-Djâdji-Kâneta. Il demeura au pouvoir dix ans et

épousa Yebkano, la fdle de Anyayâ, dont il eut deux fils :

llo-Soudiet Hammedi-Foulàni. Quand Soudi mourut (nav)

une discussion se produisit entre son fils Ilo et son oncle

Ilammedi-Siri, le fils de Anyayâ, et tous deux se disputèrent

le pouvoir souverain. Le litige ayant été porté devant le

prince Askia-Ishâfj, fils du prince Askia-El-Hâdj-Mohammed,

l’Askia décida qu’ils partageraient le pouvoir et, après avoir

donné à Ilo-Soudi et à son compétiteur Hammedi-Siri un

costume royal et un cheval, il les renvoya tous deux dans

leur pays en disant : « Que le peuple obéisse à celui des

deux qu’il aimera le mieux ! » La population de Mâsina se

divisa en deux fractions : la plus importante obéit à Ilo et le

reste reconnut l’autorité de Ilammedi-Siri.

Un combat s’engagea alors entre les deux princes : Ilo

vainqueur chassa son rival du pays. Hammedi se réfugia

auprès des Sanqar et leur ayant demandé du secours, il

revint au Mâsina reprendre les hostilités. Vaincu de nouveau

par Ilo, il alla s’adresser à l’askia qui était à Kâgho. Celui-

ci députa un messager à Ilo pour l’inviter à se rendre auprès

de lui. Ilo obéit à cette injonction et s’embarqua pour se

rendre à Kâgho; mais, avant d’arriver dans cette localité^

il fut tué sur l’ordre du prince. Il n’était resté au pouvoir

qu’une seule année.

L’autorité demeura donc aux mains de Hammedi-Siri ;

il la conserva durant quatre années et, pendant tout co

temps, Hammedi-Foulâni demeura à Kâgho auprès de

l’askia. Comme certains habitants du Mâsina refusaient

286 HISTOIRE DU SOUDAN

d’obéir à Hammedi-Siri, l’askia donna le sultanat du

Mâsina à Hammedi-Foulâni qui retourna dans son pays

avec des troupes de l’askia. Hammedi-Siri ayant aussitôt pris

la fuite, tout le pouvoir se trouva réuni aux mains de Ham-

medi-Foulâni qui se mit à la tête de la tribu de son père

et razzia les troupeaux de Soudo-Kahmi qui était un descen-

dant de Djâdji-ben-Sâdi. La tribu de Soudo abandonna

complètement le pays de Mâsina et se réfugia auprès de

l’askia à qui elle paya une redevance. De la sorte Hammedi-

Foulâni n’eut plus dans tout le Mâsina d’autre adversaire

que la tribu de Anyayâ.

Hammedi-Foulâni fit encore une expédition contre la

tribu de Ouorardo-‘Ali et celle de Ouoro-Moko. Ces deux

tribus étaient venues de Qayâka s’établir au pays de Djanbal

sous le règne de Anyayâ et s’étaient fondues en une seule.

A la suite de l’expédition dirigée contre elles, ces tribus se

réfugièrent dans le pays de Kaha et y demeurèrent. Le

prince qui les commandait* alors conserva le pouvoir pen-

dant vingt-quatre ans ; puis il fut destitué parDinba-Lakâro,

le petit-fils de Soudo-Djâdji, qui ne garda le pouvoir que

cinq mois, suivant les uns, six mois, suivant d’autres, et

qui fut à son tour remplacé par Hammedi-Foulâni qui resta

leur chef jusqu’à sa mort.

Sur l’ordre de l’askia, Bâbo^-Ilo succéda à Hammedi-

Foulâni (>aa) et demeura au pouvoir pendant sept ans. Il

mourut dans la ville de Kàgho et eut pour successeur Bor-

hom^-Bouy fils de Hammedi-Foulâni; lui et Boubo-Iio

avaient la même mère qui étaient Bouy, la fille de Dinba.

1. Le texte est peu clair ici, le nom du chef n’étant pas mentionné dans les

mss. A et B et le ms. C ayant une lacune en cet endroit. Il semble cependant

qu’il s’agit de Anyayâ.

2. Il faut sans dire lire Boubo-Ilo qui est la forme donnée pour ce nom un

peu plus loin.

3. Ou : Borhim ou Borhima.

CHAPITRE VINGT-SIXIÈME 287

Il occupa le pouvoir pendant huit ans et mourut dans la

ville de Dienné à l’époque où le prince Askia-Daoud revint

dans cette ville au retour de son expédition contre le Melli.

Le prince avait mandé Borhom dans cette ville et c’est là

qu’il mourut.^ Il eut pour successeur son frère Boubo-

Maryama, fils de Hammedi-Fou^àni, qui garda le pouvoir

pendant vingt-quatre ans.

Le Kormina-Fâri, Mohammed-Benkan, fils de Askia-

Daoud, ayant dirigé une expédition contre Boubo-Maryama,

celui-ci se réfugia sur le territoire de Faï-Sendi. Au moment

où il se disposait à fuir, Djadal lui prit son cheval, nommé

Senba-Dâï, en disant que cet animal appartenait ta Taskia.

Quand Boubo-Maryama revint dans son campement du

Mâsina, il fut révoqué de ses fonctions par Askia-El-Hâdj-

ben-Askia-Daoud qui cependant l’avait précédemment

nommé. Il eut pour successeur Hammedi-Amina-ben-Boubo-

Ilo* qui fut investi du pouvoir par Askia-El-Hâdj dont il

vient d’être parlé. Il avait déjà exercé l’autorité pendant six

ans, lors de l’arrivée de l’armée du pacha Djouder, et il la

conserva ensuite pendant treize ans, ce qui fait en tout, avant

et après cet événement, dix-neuf années, en y comprenant

deux années pendant lesquelles le pouvoir fut exercé par le

Fondoko Hammedi-‘Aïcha.

Après sa mort, Hammedi-Amina, qui vient d’être

nommé, fut remplacé par son fils, Boubo-‘Aïcha;, surnommé

Yâmi. Il détint le pouvoir pendant dix ans, et quand il

mourut, il eut pour successeur son frère, Borhom-Bouy,

qui régna pendant douze ans.

A la mort de Borhim, Selâ-Moko-‘Aïcha lui succéda.

C’était un homme plein d’équité. Il déploya une grande

énergie contre les tyrans et les prévaricateurs qui se trou-

vaient parmi ses fonctionnaires, ses courtisans et les fils des

1. Le ms. G ajoute : Ghelâdj.

288 HISTOIRE DU SOUDAN

sultans. Il les empêcha de nuire aux faibles et aux malheu-

reux, et l’on n’entendit jamais parler d’une pareille équité

sous le règne d’aucun des princes de cette famille. Il con-

serva le pouvoir pendant deux ans.

Quand il mourut, Selâ-Moko eut pour successeur le fils

de son frère, Hammedi-Amina-ben (^A^)-Boubo-Yâmi, qui

règne encore aujourd’hui depuis vingt-cinq ans, en y com-

prenant deux mois pendant lesquels le pouvoir a été exercé

par le Fondoko Hammedi-Fâtima.

C’est de Hârenda-Maghan que descend Ouoro-IIârenda, et

c’est de Yoro-Kâneta qu’est issu Ouoro-Yoro. Quand la tribu

de Anyayâ refusa de reconnaître l’autorité de Hammedi-

Foulâni et que Hammedi-Siri devint leur sultan, ce fut

dans cette tribu que se recrutèrent ensuite ses successeurs,

tandis que, d’autre part, les sultans du Mâsina se recrutaient

dans la tribu de Boubo-Ilo, en sorte que les sultans du Mâ-

sina ont été fournis par les quatre tribus suivantes : la tribu

de Anyayâ, celle de Boubo-Ilo, celle de Moko-Kàneta et celle

de Ardo-Maghan. La tribu de Moko-Kâneta habitait tantôt le

Borkou’, tantôt le pays de Qayàka. Elle resta au Borkou

sans le quitter un seul instant à l’époque de Fondoko Kidâdo^

qui régna trente ans.

CHAPITRE XXVn

LES PACHAS SELIMAN, MAHMOUD- LONKO

Revenons maintenant à ce que nous avons h dire pour

terminer l’histoire du pacha ‘Ammàr. Il exerça son autorité

1. Le ms. C. met ici Yorka, tandis que plus loin il donne Borkou.

2. Le ms. C. écrit v Kirâdo ».

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 289

un an, deux mois et quelques jours ; naais, au cours de cet

intervalle, il se laissa dominer par le caïd EI-Mostafa-El-Fîl,

si bien que ce dernier parut être le dispensateur du pouvoir.

Or, ce caïd était un homme tyrannique, violent et rebelle,

qui ne s’inquiétait de personne. Quand le sultan marocain

apprit ce qui s’était passé entre ces deux personnages, il

entra dans une violente colère contre Ammâr, à qui il re-

prochait de s’être montré si faible qu’il avait subi le joug

du caïd El-Mostafa, et contre ce dernier à cause de sa tyran-

nie et de sa violence.

En conséquence, le sultan révoqua le pacha ‘Ammâr et

envoya pour occuper son poste le pacha Seliman. 11 enjoi-

gnit à ce dernier de faire arrêter ‘Ammâr et le caïd El-Mos-

tafa, de se montrer particulièrement dur et méprisant envers

ce dernier, puis de les lui envoyer tous deux à Merrâkech,

sa capitale, en chargeant de chaînes El-Mostafa.

Seliman arriva à Tombouctou le jeudi, 5 du mois sacré

de dzoul-qa’ada de l’année 1008 (19 mai 1600). Aussitôt

arrivé, il s’aperçut que El-Mostafa, dont il vient d’être parlé

( \ ^ • ), était l’homme qui lui avait été dépeint ; aussi résolut-il

de le faire arrêter au moment même où il se rendait auprès

de lui, mais il fut détourné de ce projet par tous les gens de

bon conseil à cause des troubles que cette arrestation aurait

pu provoquer.

Dès que le pacha Seliman fut installé, qu’il fut entré dans

la salle d’audience et qu’il eut pris place sur l’estrade, il fit

arrêter El-Mostafa au moment où celui-ci pénétrait dans la

salle. Puis, après qu’on lui eut déchiré ses beaux vêtements,

on le chargea de lourdes chaînes et de liens très pesants,

et on l’expédia dans cet état au sultan marocain. Quant à

‘Ammâr, selon les instructions du sultan, il fut mis en prison,

mais traité avec certains égards et envoyé ensuite à Mer-

râkech.

[Histoire du Soudan.) 19

290 HISTOIRE DU SOUDAN

Le pacha Seliman avait amené avec lui 500 fusiliers, ou

même davantage, selon certains récits. 11 se fit bâtir une

habitation hors de la ville et, renonçant au séjour dans la

casbah, il s’installa en cet endroit, entouré de ses troupes.

C’était un homme à hautes vues et à grandes pensées, habile

administrateur et chef énergique; il déploya toutes ces qua-

lités dans la conduite de ses troupes et il obtint qu’aucun de

ses soldats ne passât la nuit ailleurs que dans le camp qui

entourait son habitation. Tout individu de l’armée qui restait

dans la ville après le coucher du soleil recevait à coup sûr

pour ce fait telle bastonnade que Dieu avait décidé qu’il

reçût.

Le pacha passa toutes ses nuits en éveil, surveillant à la

fois et le camp et la ville, en sorte qu’aucun cri ne pouvait

s’élever sans qu’il l’entendît et qu’il en eût connaissance.

Chaque fois qu’un vol était commis sur n’importe quel point

il arrivait toujours, après enquête, à en découvrir l’auteur

qu’il punissait de la façon qu’il convenait.

En examinant avec soin la conduite de l’amin, le caïd

El-Hasan-ben-Ez-Zobéïr, il découvrit que c’était un homme

de désordre qui volait le trésor royal. Il vit aussi que cet

amin s’était approprié trois centsjeunes fdles encore qu’elles

fussent trop faibles pour être employées comme servantes.

Le pacha lui enleva donc les fonds du trésor royal et les fit

déposer pour être placés sous sa surveillance dans une des

pièces du palais qui se trouvaient dans la casbah. Puis il

consulta les bâchoud sur ce qu’il devait faire de l’amin.

« Nous n’avons, lui répondirent-ils, rien à dire à ce sujet.

Le sultan n’est pas éloigné devons, écrivez-lui donc l’un et

l’autre. »

Chacun d’eux, le pacha et l’amin, écrivit en conséquence

au sultan et celui-ci répondit au pacha SeHmân de laisser

l’amin en liberté disposer comme il l’entendrait du trésor.

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 291

« D’ailleurs, ajoiita-t-il, ce trésor nous appartient et le caïd

El-Hasan est notre amin. Tout ce qui vient de se passer

entre vous deux n’a d’autre cause que ce fait que lorsque

tu as eu besoin d’environ 3000 (\%\) mitsqal il te les as

prêtés et qu’il faut que tu les lui rendes. » Mais en réalité

c’était le caïd Azzouz qui était venu en aide à l’amin et

avait défendu sa cause auprès du sultan. Selimân con-

serva le pouvoir quatre ans et deux mois; il fut le der-

nier des pachas que le sultan Maulay Ahmed envoya au

Soudan.

Le très docte jurisconsulte Ahmed-Baba (Dieu lui fasse

miséricorde!) rapporte que le prince, le sultan Maulay

Zîdân, fils du prince Maulay Ahmed, lui a dit : « Depuis le

pacha Djouder jusqu’au pacha Selimân mon père a expédié

au Soudan, dans les différents corps d’armée qu’il y avait

envoyés, 23.000 hommes de ses meilleurs soldats, ainsi que

cela est noté dans un registre que le prince lui-même m’a

montré. Tout cela, ajouta Maulay Zîdân, a été fait en pure

perte et tous ces hommes ont péri au Soudan’, sauf environ

cinq cents hommes qui sont revenus à Merrâkech et qui sont

morts dans cette ville. »

Sur ces entrefaites le sultan Maulay Ahmed vint à mourir^

Le pacha Selimân, qui en avait reçu la nouvelle, la cacha

à tout le monde durant une année entière ; il ne la divulgua

qu’après qu’il eut reçu l’avis de l’avènement au trône de

Maulay Abou-Fârès, fils de Maulay Ahmed, qui succéda à

son père, après la mort de celui-ci, dans les premiers jours de

l’année 1012 (il juin 1603-30 mai 1604).

Le nouveau sultan envoya au Soudan le pacha Mahmoud-

Lonko qui arriva à Tombouctou au mois de safar de l’an-

née 1013 (juillet 1604); il amenait avec lui 300 soldats ou

1. Nombre de ces soldats marocains s’étaient fixés au Soudan.

2. Il mourut de la peste le 20 août 1603.

292 HISTOIRE DU SOUDAN

même davantage, selon certains récits ; la plupart de ces

soldats étaient de la province de Massa. Le lientenant-général

Mohammed-El-Mâssi, l’accompagnait; ce personnage avait

été emprisonné à Merrâkech à cause des guerres qu’il avait

fomentées; le pacha Mahmoud obtint du caïd Azzouz qu’on

lui donnât cet officier et il en fit son lieutenant-général.

Le pacha Mahmoud arriva à Tombouctou au moment même

où avaient lieu les funérailles de Askia-Selimân ; on assure

qu’il demanda qu’on découvrît le visage du défunt afin de

le contempler.

Le sultan avait donné l’ordre au pacha Selimân de se

rendre auprès de lui et la même injonction avait été trans-

mise au caïd Ahmed-ben-Yousef qui, à cette époque, com-

mandait la ville de Dienné. Le caïd écrivit au pacha Sehmân

pour le prier de l’attendre quelques jours afin qu’il pût le

rejoindre et faire le voyage en sa compagnie. Le pacha

attendit, mais, comme l’attente se prolongeait, il se mit en

route avant l’arrivée du caïd et celui-ci le rejoignit ensuite.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-El-Telemsâni remit au caïd

Ahmed une lettre qu’il adressait au sultan Maulay (>^r)

Abou-Fârès pour le mettre au courant de la situation; il lui

faisait part en même temps des nombreuses occupations que

lui donnaient les expéditions à faire et la garde des places

fortes en indiquant la pénurie des moyens dont il disposait

pour parer à toutes les difficultés ; c’était, ajouta-t-il, à cause

de tout cela qu’il ne lui envoyait pas de cadeau* par l’entre-

mise du caïd Ahmed ci-dessus nommé.

A son retour du Maroc, le caïd Ahmed rapporta une lettre

du sultan dans laquelle celui-ci donnait au caïd ‘Ali la ville

deTendirma en lui attribuant pour son usage tous les reve-

nus de cette ville. Arrivé à Tombouctou, Ahmed expédia la

1. Le mot cadeau » ici doit s’entendre dans le sens de tribut ou redevance

que tout vassal doit à son suzerain.

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 293

lettre du sultan à Ouenzagha où se trouvait le caïd ‘Ali pour

assurer la défense de cette région. Or, il se trouva qu’à ce

moment, le caïd ‘Ali-Et-Torki était gouverneur de la ville

de Tendirma. Le caïd Ali-El-Telemsani fit aussitôt savoir au

gouverneur de Tendirma qu’il allait se rendre dans cette

ville et que, s’il l’y trouvait encore là, il lui ferait sûrement

trancher la tête.

Effrayé à cette nouvelle, Ali-Et-Torki s’enfuit à Tombouc-

tou où l’amin, le caïd El-Hasan, furieux contre lui, lui

adressa les plus violents reproches; alors Tamin désigna

comme gouverneur de Tendirma le moqaddem* Iladdou-

ben-Yousef. Mais quand celui-ci apprit que ‘Ali-Et-Telemsâni

se dirigeait vers cette ville, il eut peur à son tour et s’enfuit

à Mouri-Koira. *Ali-Et-Telemsâni entra donc à Tendirma, en

prit possession et s’y installa. Quant à Haddou, il retourna

ensuite à Tombouctou.

Un conflit s’était élevé entre l’amin et ‘Ali-ben-‘Obeïd

qui était gouverneur de Kîso”. ‘Ali-ben-‘Obeïd s’enfuit à Ten-

dirma et se réfugia auprès du caïd ‘Ali-Et-Telemsani avec

l’intention de se fixer auprès de lui. Les gens de Tombouc-

tou mandèrent au caïd de leur renvoyer le réfugié, mais le

caïd s’y refusa. L’amin, le caïd El-Hasan, se rendit alors

en personne à Tendirma, mais il n’obtint pas qu’on lui re-

mît le réfugié.

Dans la longue discussion qui s’engagea à ce sujet,

l’amin finit par dire ces paroles : « Ce don fait par le sultan

n’est pas exécutoire, puisque c’est moi qui suis son amin

et son mandataire général; c’est donc à moi qu’il appartient

d’infirmer ses dons ou de les valider; d’ailleurs, il n’y a

sur tout ceci qu’un simple passage d’une dépêche. » — «Du

1. Ce titre équivalait alors à celui de « commandant » ou « chef de corps »

quand il s’agissait de militaires. Aujourd’hui il désigne un sous-officier.

2. Ou « Kîcho », d’après le ms. G.

294 HISTOIRE DU SOUDAN

moment, répondit le caïd, que vous dîtes qu’un don ne peut

être exécutoire sur le simple passage d’une dépêche, vos

fonctions d’amin n’ont aucune valeur, puisque c’est égale-

ment par un simple passage d’une dépêche venue du sultan

que ces fonctions vous ont été attribuées. »

Enfin, n’ayant trouvé aucun moyen d’arriver à ses fins, l’amin rentra à Tombouctou. Là, de concert avec le pacha Mahmoud, il fit jurer à tous les soldats de l’armée maro- caine qu’aucun d’eux ne se réfugierait* (^^r) dorénavant, auprès du caïd ‘Ali-Et-Telemsâni. Les soldats jurèrent comme on le leur avait demandé. Alors Seyyid ‘Ali-Et-Touâti se rendit auprès du caïd, l’engagea à être calme et lui fit force exhortations. « Ne détruis pas, ajouta-t-il, l’or- ganisation de cette armée, car il se pourrait, si Dieu le vou- lait, que demain cela tournât contre toi. » H>nfin, il réussit à fléchir le caïd ‘Ali-Et-Telemsâni qui se décida à renvoyer ‘Ali-ben-‘Obeïd qui a été déjà nommé ci-dessus.

L’amin, le caïd El-Hasan, s’occupa ensuite de modifier

l’organisation des troupes et de changer leur aff’ectation : le bataillon des soldats de Fez occupa dorénavant l’aile droite, tandis que le bataillon des gens de Merrâkech passait à l’aile gauche. Les corps des renégats et des Anda- lous furent placés sous les ordres de ces deux bataillons. L’amin prétendit qu’il agissait ainsi d’après les instructions du sultan Maulay Abou-Fârès. Enfin, l’amin nomma, lieutenant-général du bataillon de Fez, Mo’allem-Selimân-El-‘Ar- fâouï et, lieutenant-général du bataillon de Merrâkech, Haddou-ben-Yousef-El-Adjnâsi.

L’amin, le caïd El-Hasan, mourut dans le milieu de l’an-

née 1015(9 mai 1 606-28 avril 1 607) ; il eut pour successeur

1. Les soldats marocains, mécontents de leur caïd, allaient souvent se placer

sous les ordres d’un autre caïd. C’est ce que l’amin essaie d’empêcher doré-

navant.

CHAPITRE VINGT-SEPTIEME 295

dans ses fonctions le thaleb* Mohammed-El-Belbâli qui fut

désigné sur l’ordre du commandant en chef le pacha Mah-

moud-Lonko.

Mohammed-El-Belbâli acheta beaucoup d’esclaves et autres

choses dépendant de la succession de son prédécesseur et

occupa les fonctions d’amin pendant sept jours. Le huitième

jour, arriva le fils de l’amin défunt, le caïd ‘Amer-ben-El-

Hasan, que le sultan Maulay Abou-Fàrès avait envoyé pour

être amin, et qui prit possession de ce poste, après avoir

enlevé au thaleb Mohammed tout ce que celui-ci avait acheté

de la succession du défunt.

En l’année 1016 (28 avril 1607-17 avril 1608) Maulay

Zîdân, fils du sultan Maulay Ahmed, monta sur le trône; il

renvoya au Soudan, pour y être commandant en chef, le pacha

Selimân. Mais à peine celui-ci, envoyé d’abord à Merrâkech,

eùt-il quitté cette ville, qu’il fut tué par Saïd-ben-‘Obeïd. Le

sultan autorisa alors une agression contre la tribu des Che-

ràga qui perdit un grand nombre d’hommes et entre autres,

Sald-ben-‘Obeïd, le meurtrier du pacha.

Le Ueutenant-général Mo’allem-Selimân se montra indo-

cile et rebelle. Il ne s’occupa que de contrarier les desseins

dupachaMahmoud-Lonko et de lui susciter de continuelles dif-

ficultés. Alors le pacha voulut (>m) faire partir le caïd ‘Ali-

ben-Abdallah-Et-Telemsâni de Tendirma et le faire venir au-

près de lui pour l’opposer à Selimân et briser la résistance

et l’opposition de ce dernier. Mais il en fut empêché par le

caïd Mâmi-ben-Berroun qui lui dit : « Mo’allem-Selimân est

comme un chien qui aboie contre toi ; si tu lui jettes un os, il

se précipitera dessus et ne pensera plus à toi pendant qu’il le

rongera. Tandis que si ‘Ali vient ici, il ne cherchera autre

chose qu’à prendre la place que tu occupes. »

1. Le mot « thaleb » fait peut-être partie du nom du personnage; cependant

il pavait être plutôt une épithète accolée à son nom, bien qu’il soit parfois écrit

sans l’article.

296 HISTOIRE DU SOUDAN

Toutefois, comme le pacha vit que Mo’allem-Selimân

continuait à être de plus en plus agressif et audacieux, il fit

mander au caïd ‘Ali de venir. Celui-ci arriva sans amener

sa famille qu’il laissa à Tendirma. Le pacha se plaignit

vivement de Mo’allem-Sehmân et donna l’ordre à ‘Ali de

le tuer. Celui-ci exécuta cet ordre le mercredi soir, 9 du

mois sacré de moharrem, le premier des mois de l’année

1017 (25 avril 1608); mais il ne prit pas part directement

à la chose et ce furent ses compagnons qui accomplirent le

meurtre. Us avaient trouvé Mo’allem-Selimân assis devant

la porte de sa maison avec le caïd Ibrahim- Achkhàn et les

avaient frappés tous deux à coups de sabre. Mo’allem-Seli-

mân périt immédiatement sous les coups, tandis que Ach-

khàn, qui n’était tout d’abord que blessé, succomba plus tard

à ses blessures.

Cet événement causa un grand effroi dans la ville. Cette

nuit-là, les habitants fermèrent à clé les portes de leurs mai-

sons et leur émoi ne s’apaisa que lorsque, durant cette

même nuit, des crieurs pubUcs annoncèrent que tout était

calme. Le pacha Mahmoud donna l’ordre au caïd Ali d’ha-

biler Tombouctou et quand celui-ci eut fait venir sa famille

il lui confia pleins pouvoirs*. Quatre ans et demi se passèrent

ainsi sans que rien ne fût fait que sur l’ordre du caïd. Enfin

le caïd déposa le pacha et prit sa place, en sorte que les

choses se passèrent comme l’avait annoncé le clairvoyant

Mâmi.

Cette même année arriva le Hi-Koï Seyyid-Karaï-Idji,

qui venait faire une expédition au nom de l’askia Hâroun-

Denkataya, fils du prince, l’askia Daoud, souverain du Dendi.

Son but était d’attaquer les populations soumises aux Maro-

i. Les pachas du Soudan agissaient comme de véritables souverains et avaient

des caïds qui jouaient auprès d’eux le rôle de ministres. Le caïd ‘AU avait été

nommé en quelque sorte premier ministre.

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 297

cains qui se trouvaient sur les bords du Fleuve. En appre-

nant cette nouvelle, le caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Telemsâni

partit, au mois de rebi’II (15 juillet-13aoùt 1608), à la tête

d’un corps d’armée pour repousser cette agression. Dans ce

corps d’armée se trouvait l’askia Hâroun, fils de l’askia

(^^c) El-Hâdj, fils du prince Askia-Daoud. C’était le

pacha Mahmoud qu’il l’avait investi de ces fonctions d’askia

lors de la mort de l’askia Selimân, fils du prince, Askia-

Daoud, car il était Balama’ à cette époque. Mais ce fut le

pacha SeHmân qui, après la révocation de Haroun, lui confia

les fonctions de général*.

Le caïd ‘Ali se mit en marche, mais sans s’approcher du

Fleuve. Il atteignit la montagne de Douï et de là revint vers

la capitale de Tennemi. Quand le Fondoko Boubo-Ouolo-

Kaïna, souverain de Sanqara, apprit que le caïd prenait cette

direction qui devait lui faire traverser son pays, il fut saisi

de crainte et se réfugia auprès du Fondoko Boubo-Yâmi,

souverain du Mâsina qui, a ce moment, était en état d’hos-

tilité avec les Marocains. Le caïd AU poursuivit le Fondoko

à la tête de ses troupes et arrivé à la ville d’Ankaba il s’y

arrêta et manda au souverain du Mâsina de lui livrer le

fugitif et de le lui amener.

Le souverain du Mâsina répondit que Boubo-Ouolo-Kaïna

s’était placé sous sa protection ; toutefois il proposa de con-

clure l’arrangement suivant : le caïd ferait la paix avec

Boubo-Ouolo, le laisserait rentrer dans sa tribu et celui-ci

donnerait immédiatement en échange 2000 vaches. Le caïd

‘Ali ayant accepté cette proposition, le souverain du Mâsina

remit sur-le-champ un nombre de vaches égal à celui qui

avait été stipulé et cela personnellement. Boubo-Ouolo se

rendit au camp du caïd ‘Ali qui le fit accompagner dans sa

i. La phrase est très obscure dans le texte. Le sens paraît être que le pacha

Seliman confia de nouveau à l’askia révoqué ses premières fonctions.

298 HISTOIRE DU SOUDAN

tribu par le caïd Ahmed-El-Bordj à qui il devait remettre

2000 bœufs à titre de droit de châchia\ car c’était comme

une investiture nouvelle du Fondoko dans ses anciennes

fonctions. Le Fondoko donna ces 2000 vaches et y ajouta

encore les 2000 qui avaient été convenues pour la conclusion

de la paix. Ces 6000 vaches furent remises en une seule fois

et très rapidement ^

Au cours de cette campagne, les gens du Songhaï se sou-

levèrent contre l’askia Hâroun, fils de El-Hâdj, à ‘Ankaba.

Le caïd ‘Ali chercha à les calmer et il y réussit; mais quand

il fut de retour à Tombouctou, les Songhaï se révoltèrent

de nouveau et l’askia fut alors déposé; Tamin, le caïd

‘Amer, le fit venir auprès de lui; il le traita de la façon la

plus bienveillante et avec les plus grands égards jusqu’au

jour où l’askia mourut. L’askia était resté en fonctions

durant quatre ans et vécut après sa déposition pendant

huit ans.

L’année suivante, c’est-à-dire en 1018 (6 avril 1609-

26 mars 1610), le Dendi-Fâri Bar, au nom de l’askia qui

était à Dendi, se mit en marche à la tête d’une nombreuse

armée et se dirigea vers le territoire de la ville de Dienné.

Il traversa le grand bras du Fleuve et vint camper à Tirfoï

au mois de safar de l’année ci-dessus indiquée (mai 1609).

On assure que c’était le Djinni-Koï, Mohammed-Benba, qui

avait engagé l’askia (^^’\) de Dendi à envoyer cette expé-

dition en lui promettant son concours pour enlever aux Ma-

rocains ce territoire qu’ils occupaient.

Le Djinni-Koï s’était associé secrètement dans cette entre-

prise avec le Sorya Mousa et aussi, dit-on, avec le Kala-Cha’a

1. Le mot « châchia » signifie « calotte rouge ». Le droit d’investiture du Fon-

doko s’appelait donc le « droit de bonnet. ».

2. Cette remarque a pour but de montrer la richesse de ce pays à l’époque

où se passaient ces événements.

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 299

Mohammed. Il avait également demandé au Fondoko Bor-

hom, seigneur du Mâsina, de se joindre à eux, mais celui-ci

refusa en disant qu’il était un pasteur, car toute personne

investie de l’autorité souveraine sur cette terre est le ser-

viteur de son peuple et son berger ‘. Toutefois le Djinni-Koï

garda le secret de tout cela vis-à-vis de son principal servi-

teur pour le courage et pour Thabileté, le Sorya révoqué

Ansa-Mân.

Le Dendi-Fâri fit savoir au Djinni-Koï qu’il était campé

à tel endroit et qu’il l’attendait. Mais celui-ci lui renvoya à son

tour le messager pour lui enjoindre de continuer sa marche

jusqu’au château de la ville de Dienné et qu’alors il viendrait

à sa rencontre et se joindrait à lui. Comme Ansa-Mân

avait eu connaissance de cette démarche, il envoya un mes-

sager secret au Dendi-Fâri en lui disant de s’abstenir com-

plètement de venir rejoindre le Djinni-Koï et il ajouta que

les gens de Dienné n’étaient point gens de parole, ni de bon

conseil, aussi les troupes de l’askia ne devaient-elles pas se

fier à eux. Suivant le conseil qui lui était donné, le Dendi-

Fâri s’éloigna aussitôt, traversa le Fleuve et retourna dans

la direction du Gourma.

Or, il arriva à ce moment que le caïdAhmed-ben-Yousef

venait de quitter Tombouctou pour retourner à Dienné dont

il était le caïd à cette époque. Il avait l’habitude, durant

son commandement, d’habiter Dienné un certain nombre

de mois de Tannée et de passer le reste du temps à Tom-

bouctou.

Quand la nouvelle de cette expédition avait été connue

d’une façon certaine, le Kori-Koï en avait averti les gens

de la ville de Kobbi et leur avait montré la gravité de

la situation. Ce fut alors qu’il fut rejoint par le caïd Ahmed,

1. Le Fondoko voulait dire qu’il n’était point dans son rôle de faire la guerre

sans y être contraint par le besoin de défendre ses sujets.

360 HISTOIRE DU SOUDAN

dont il vient d’être parlé, et qui avait avec lui un certain

nombre de fusiliers. Il organisa une colonne en cet endroit

et manda aussitôt au pacha Mahmoud- Lonko qui était à Tom-

bouctou de lui envoyer en toute hâte un corps d’armée en

lui recommandant instamment d’agir avec promptitude.

Le pacha donna l’ordre au caïd ‘Ali-ben-Abdallah-Et-Te-

lemsâni de partir aussitôt avec des troupes. Le caïd quitta

donc Tombouctou, emmenant avec lui toutes les troupes,

sauf celles qui, selon l’usage, ne se montraient que lorsque

le commandant en chef se mettait lui-même en mouve-

ment, comme, par exemple, le caïd des Mekhâzeni^ (> ^v) et

d’autres. Puis on se mit en route dans la direction du

Gourma. Le caïd, ayant appris que le Dendi-Fâri disposait

de forces considérables, envoya demander au pacha de lui

faire parvenir des renforts. Le caïd Haddou quitta aussitôt

Tombouctou avec tous les soldats disponibles qui s’y trou-

vaient, emmenant en outre avec lui l’askia Hâroun, en dis-

ponibilité^ à cette époque, et il gagna la ville de ‘Ankaba où

il campa.

De son côté, le Dendi-Fâri était arrivé à la ville de Kobbi

où le caïd Ahmed-ben-You&ef avait installé ses troupes. Ce

dernier s’enfuit avec ses soldats et tous se réfugièrent dans la

casbah de Kobbi. Le Dendi-Fàri s’empara de la tente du

caïd marocain et de tous les objets que l’armée marocaine

avait laissés derrière elle. Puis il mit la main sur un certain

nombre de barques qui venaient de la ville de Dienné ; il y

trouva des richesses considérables, de l’or et d’autres objets

qu’il s’appropria, et ensuite il assiégea les troupes qui occu-

paient la casbah où elles étaient entrées.

Quand la nouvelle de ces événements parvint au caïd ‘Ali-

1. Les Mekhâzeniou soldais du Makhzen forment une espèce de corps d’élite

analogue à notre gendarmerie.

‘/. Mot à mot : « révoqué ».

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 301

ben-Abdallah, celui-ci se trouvait avec son armée à ‘Ankaba.

Il partit aussitôt à la tête des soldats qu’il avait choisis pour

se porter au secours des assiégés, laissant à ‘Ankaba le caïd

Haddou, l’askia Bokar, Taskia Hâroun et le caïd Ahmed-ben-

Sa’ïd* et tous leurs contingents.

Dès que le Dendi-Fâri apprit la marche du caïd ‘Ali, il

décampa pendant la nuit et se dirigea vers le pays de Dirma,

en arrière de la montagne de Kora. Comme il approchait

ensuite de la ville de Djondjo^, il s’arrêta avec ses troupes

et manda aux habitants de Djondjo de lui envoyer des

vivres ^ ce qui fut fait.

La colonne marocaine de Ankaba, qui s’était mise en

marche pour combattre le Dendi-Fâri, l’atteignit près de la

montagne indiquée ci-dessus. Un violent combat s’engagea

en cet endroit et de nombreux morts de part et d’autre res-

tèrent sur le champ de bataille. Quantité de vaillants Maro-

cains périrent ce jour-là, entre autres Abdelaziz-El-Kâteb

qui faisait partie du corps des Mekhâzeni et qui était connu

par sa vaillance et son audace.

Les gens du Songhaï, c’est-à-dire les partisans du Dendi-

Fâri, firent prisonnier le Balama’ Ishâq, fils du Binka-

Farma Mohammed-Heïka et l’emmenèrent auprès de l’askia

à Dendi. Le combat n’avait pris fin qu’au moment où le

soleil était sur le point de se coucher. Ce qui avait le plus

effrayé les Marocains dans cette rencontre, c’était le bruit

que produisaient les boucliers battant sur les jambes des

chevaux quand ceux-ci galopaient. Toute l’armée maro-

caine, chefs et soldats, s’enfuit jusqu’au lac Dabi où les

hommes avaient de l’eau jusqu’aux cuisses. Mais ayant re-

1 . Sa’doim, d’après le ms. C.

2. Ou : Diondio.

3. Les populations sur le territoire desquelles passent des troupes doivent

fournil- des vivres à ces dernières, quand elles ne veulent pas faire acte d’hosti-

lité.

302 HISTOIRE DU SOUDAN

cooDU la cause de leur terreur, ils quittèrent (>^a) le lac,

après avoir éprouvé la plus grande terreur et la crainte la

plus extrême. Enfin, ils entendirent le bruit des clarinettes

du caïd ‘Ali-ben-Abdallah qui était sur le lac et le traversait

en se dirigeant de leur côté : c’était la délivrance. Tous ceux

qui ont assisté à cette affaire racontent que jamais bruit plus

suave ne charma jamais leurs oreilles, c’était le salut après

l’angoisse.

Quand le caïd ‘Ali atteignit la ville de Kobbi, le caïd

Ahmed-ben-Yousef lui raconta ce qui s’était passé, à savoir

qu’après être allé dans le pays de Dirma il était revenu en

cet endroit avec tous ses compagnons, mais qu’il était arrivé

alors que le combat était terminé. Quant au Dendi-Fàri,

aussitôt qu’il connut l’arrivée du caïd Ali avec ses renforts,

il retourna en arrière et rentra dans son pays. La bataille

avait eu lieu dans la première décade du mois de rebi’ P”,

de l’année déjà indiquée (4-i3 juin 1609).

Accompagné de ses troupes, le caïd Haddou retourna à

Tombouctou. Les Marocains se montrèrent tels que des

fagots d’épines ou que des tigres féroces’ à l’égard des habi-

tants de la ville ; ils dispersèrent toutes les réunions et durant

un long temps on ne vit plus deux personnes oser se réunir

pour causer. Déjà, avant leur retour de cette expédition, le

commandant en chef avait ordonné de faire des patrouilles

au moment de la prière del”acha et quelquefois même aupa-

ravant pour empêcher d’une façon absolue les medddh de

réciter leurs panégyriques pendant la durée du grand mois^ ;

cela n’était plus permis qu’après la prière du coucher du

soleil, alors que l’usage établi et admis de tout temps était

que ces récits eussent lieu après la prière de T’acha.

1. Mol à mot : se couvrirent le corps d’épines et se vôiirent de peaux de pan-

thères .

2. 11 s’agit sans doute du mois de rebi’ I” pendant lequel est né le Prophète

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 303

De son côté le caïd Ali-ben-Abdallah s’était rendu dans

la ville de Dienné emmenant avec lui ses troupes et l’askia

Bokar. Il avait été devancé dans cette ville par le caïd

Ahmed-ben-Yousef. Tout le pays de Dienné, était en effet,

soulevé et en révolte et tous les habitants des villages établis

le long du Fleuve avaient pris la fuite et s’étaient réfugiés

dans le pays de El-Hadjar.

La première barque marocaine, qui arriva dans la ville de

Sâqa, fut attaquée par les cavaliers du pays de Sâtonkaqui,

après lavoir pillée, se retirèrent. Quand le caïd ‘Ali arriva à

son tour dans cette localité, il passa son chemin sans s’oc-

cuper de ces gens-là*. Sur sa route il trouva également que les

habitants de la ville de Kouna s’étaient révoltés et avaient

attaqué les soldats marocains qui étaient dans la casbah;

mais Dieu ayant assuré la victoire de ces derniers, les gens

de Kouna s’étaient enfuis à El-Hadjar. Poursuivant toujours

sa route, le caïd arriva avec ses barques au port de la ville

de Kouba a. Quand les barques mouillèrent en cet endroit,

le caïd n’avait nulle intention de combattre, mais les com-

pagnons du Sorya Mousa étant venus sur ces entrefaites

commencèrent aussitôt l’attaque.

Les Marocains prirent leurs armes et la lutte s’engagea

le {\^^) samedi, 11 du mois de rebi’ V% de Tannée déjà

indiquée ci-dessus (14 juin 1609). Le combat fut vif et

acharné; il dura jusqu’au moment où le soleil sur le point

de se coucher avait perdu tout son éclat. Les gens avisés

dirent alors au caïd ‘Ali : « Si la nuit se passe sans que tu

aies remporté l’avantage, tu ne le remporteras pas plus

tard. »

Le caïd ‘Ali mit aussitôt pied à terre et pénétra par les

remparts de la ville jusqu’à ce qu’il arriva à la porte de la

1. C’est-à-dire : sans venger l’attaque et le pillage de la barque.

304 HISTOIRE DU SOUDAIS

maison du Sorya au milieu de ses soldats qui combattaient

les troupes de celui-ci. Ce dernier était aveugle; il était

assis dans sa demeure tandis que son Bara-Koï était monté

sur la terrasse avec ses hommes ; le Sorya envoyait saluer

le Bara-Koï à chaque instant et s’informait des nouvelles de

sa santé. « Tant qu’il sera vivant, disait-il, les Arabes (Ma-

rocains) ne pourront rien contre nous. » Or voici qu’un

homme vint lui annoncer que le Bara-Koï avait été atteint

par une balle et qu’il était mort au même instant. « Mainte-

nant, s’écria le Sorya, les Marocains arriveront à leurs fins. »

Peu après, en effet, les Marocains brisèrent la porte de

la maison du Sorya, et, pénétrant à l’intérieur, ils le sai-

sirent. Puis, après avoir fait un grand carnage, ils pillèrent

toute la ville, sauf le quartier des païens Boubo et ils emme-

nèrent le Sorya chargé de chaînes.

Le Djinni-Koï Mohammed-Benba fit venir des hommes

dans sa maison où il fit creuser un puits, se montrant

ainsi disposé à combattre et à soutenir le siège. Arrivé à la

ville de Dienné, le caïd ‘Ali campa avec ses troupes à Sibiri ;

puis il envoya dans la ville le Sorya qui y fut mis à mort de

la pire des morts et il invita le Djinni-Koï à se rendre auprès

de lui. Le Djinni-Koï s’empressa de se rendre au camp du

caïd; celui-ci ne lui adressa pas de trop vifs reproches et

Dieu en cela lui avait inspiré le meilleur des conseils.

Tous les soldats marocains qui tenaient garnison à Dienné

étaient persuadés que le caïd mettrait à mort le Djinni-Koï,

aussi quand ils le virent revenir sain et sauf dans sa demeure,

ils entrèrent en fureur contre le caïd ‘Ali en l’accablant

d’injures et de malédictions. Le caïd ‘Ali revint ensuite à

Tombouctou.

Les Marocains* de Dienné firent annoncer à toutes les po-

1. L’expression « les gens » employée dans le texte s’applique seulement aux

Marocains en garnison dans cette ville.

CHAPITRE VINGT-SEPTIEME 305

pulations des localités sises sur le bord du Fleuve, que l’aman

leur serait accordé s’ils revenaient dans leurs demeures. Les

uns se hâtèrent de rentrer dans leurs foyers ; d’autres hési-

tèrent un peu mais finirent également par y revenir.

L’année suivante, en 1019 (26 mars 1610-16 mars 1611),

au commencement des hautes eaux (v • •) du Fleuve, le caïd

revint à Dienné avec l’askia Bokar pour régler les questions

de souveraineté ^ Aucun des soldats qui étaient là en garni-

son ne douta un seul instant qu’aussitôt arrivé dans la ville, le

caïd ‘Ali ne tirerait vengeance du Djinni-Koï et ce dernier lui-

même était persuadé de la chose.

Le caïd ‘Ali campa hors des murs de la ville auprès des

jardins\ Il fit mander le Kala-Cha’a Mohammed qui se pré-

senta. Puis il pensa de nouveau que l’arrestation du Djinni-

Koï n’offrirait aucun avantage et qu’elle occasionnerait dans

le pays des troubles qu’il serait ensuite difficile d’apaiser. Il

lui imposa seulement une forte contribution ^ Le Djinni-Koï

perçut cette somme très considérable des gens de sa tribu

qui la lui payèrent promptement et sans tarder, tant ils étaient

heureux de voir sain et sauf cet homme qui leur était cher et

qu’ils aimaient du fond du cœur.

A cette époque Taskia Bokar était jaloux du Kala-Cha’a

Mohammed parce qu’il voyait qu’il avait plus d’autorité que

lui. Il y avait un vif dissentiment entre eux. Quand on fut de

retour à Tombouctou, le pacha Mahmoud trouva étrange

qu’on n’eût pas arrêté le Djinni-Koï à cause de toutes les

grandes intrigues qu’il avait fomentées. Aussi quand le caïd

‘Ali vint le trouver à son arrivée il lui demanda s’il avait ou

1. Il s’agissait de savoir si l’on nommerait un nouveau chef indigène de la

ville ou si l’on maintiendrait l’ancien,

2. Le mot traduit par « jardins » pourrait être un nom de localité « El-Djenan ».

3. Les dictionnaires ne donnent point cette signification de « contribution »

pour le mot arabe ^Liî. Cependant le sens ne paraît pas douteux d’après le

contexte ,

{Histoire du Soudan ) 20

306 HISTOIRE DU SOUDAN .

non procédé à l’arrestation . «Non, répondit le caïd ‘Ali, il a

payé une contribution. » Alors il ajouta en manière de vœu

en faveur du Djinni-Koï : « Puisse Dieu ne jamais faire voir

aux habitants de Dienné le moment où il ne sera plus parmi

enx ! » Ensuite il remit au pacha la totalité de la contribution.

Pour ce qui est de l’askia Bokar, il ne cessa de dénoncer

le Kala-Cha’a au pacha Mahmoud et de multiplier ses ca-

lomnies contre lui. « C’était lui, disait-il, qui avait été l’ins-

tigateur de la révolte et qui avait envoyé dire à l’askia de

faire venir le Dendi-Fâri. » Alors le pacha écrivit au caïd

Ahmed-ben-Yousef en lui donnant l’ordre de mettre à mort

le Kala-Cha’a. Le caïd fit tous ses efforts pour protéger le

Kala-Gha’a et alla jusqu’à offrir de payer pour lui 500 mits-

qal si on lui laissait la vie. Le pacha refusa, tenant absolu-

ment à le faire mourir, et le Kala-Cha’a périt ainsi injuste-

ment, victime d’une inimitié.

Quand le caïd ‘Ali-ben-Abdallah fut sur le point de quit-

ter Dienné pour revenir à Tombouctou, il destitua le caïd

Ahmed-ben-Yousef de ses fonctions, qu’il donna au thaleb*

Mohammed-El-Belbâli dès son arrivée à Tombouctou. Le

caïd ‘Ali arrangea les affaires de façon à l’y envoyer comme

hâkem} de cette ville.

Le caïd ‘Ali-ben-Abdallah continua à jouir du pouvoir et

de sa haute situation jusqu’en l’année 1021 (4 mars 1612-

21 février 1613). A ce moment il se trouvait à Asafaï, pour

veiller à la défense de cette place (r • s ) bien connue à l’épo-

que, lorsqu’il reçut la nouvelle que Seyyid Kiraï-Idji, Dendi-

Fâri à cette époque, marchait contre lui à la tête d’une

grande expédition sur l’ordre de l’askia El-Amîn, souverain

du Dendi.

1. Ce mot« thaleb » fait peut-être partie du nom et alors il faudrait traduire

à El-Thaleb-Moliammed-EI-Belbâli

2. Le sens de celte phrase est assez obscur dans le texte.

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME 307

Au mois de rebi’ II, si je ne me trompe, le caïd ‘Ali mar-

cha à la rencontre de l’ennemi à la tête d’un grand corps

d’armée dans lequel se trouvait le cheikh Ahmed-Tourik*-

Ez-Zobéïri. Il joignit son adversaire à Chirko-Chirko, loca-

lité au fin fond du pays de Binka dans la direction de l’est ^

Chacune des deux armées en présence s’arrêta en face l’une

de l’autre, puis on se sépara sans combat en se tournant le

dos pour prendre deux directions opposées. L’askia Bokar

aurait, à ce qu’on rapporte, dit à cette occasion : « Je n’ai

jamais vu deux nations perdre à la fois leur pouvoir ^ à

l’exception de ces deux-ci. »

On assure que le caïd ‘Ali avait envoyé de l’or au Dendi-

Fâri Seyyid Kiraï par l’entremise de l’askia Bokar, afin qu’il

se retirât sans combattre. Ce Dendi-Fâri était le fils de

la sœur de l’askia Bokar. Quand il revint auprès de l’askia

El-Amîn, celui-ci, qui avait entendu parler de cette affaire,

la lui dévoila ouvertement pendant l’audience qu’il lui

donna, et, outré de colère, il lui reprocha vivement d’avoir

reçu un pot-de-vin pour renoncer au combat. En rentrant

chez lui, le Dendi-Fâri ayant bu de l’eau de hals^^ mourut

aussitôt. On trouva parmi ses bardes de l’or, dont personne

ne lui connaissait la possession auparavant, et c’est ainsi

que les soupçons à son encontre furent fortifiés.

Ensuite, le caïd ‘Ali ramena ses troupes à Tombouctou;

il déposa le pacha Mahmoud-Lonko, dont il prit les fonctions

dans la matinée du mercredi, 15 du mois de cha’aban, le

brillant de l’année susdite (11 octobre 1612), au mois de

1. Peut-êlre faut-il ajouter une voyelle à la fin de ce mot qui n’est pas voyelle

dans le texte.

2. Au Soudan le mot j^ signifie « est », alors que d’ordinaire il s’emploie ail-

leurs pour indique le sud.

3. Ou : « partir chacune de son côté » sans livrer combat après s’être trouvées

ainsi en présence l’une de l’autre.

4. J’ignore de quel poison il s’agit. Au lieu de « eau de hais », on pouvait

traduire : « sucde/ta/s ».

308 HISTOIRE DU SOUDAN

juillet \ si j6 ne me trompe. Puis il monta aussitôt à cheval

et parcourut toute la ville. Descendant ensuite de cheval, il

entra chez le pacha Mahmoud. Celui-ci le salua, le félicita

et fit des vœux pour lui. Toutefois, parmi les paroles qu’il

prononça en cette circonstance, il ajouta ces mots : « Vous

venez d’ouvrir une porte par laquelle vous sortirez de la

même façou que vous y êtes entré. » 11 faisait allusion à sa

révocation prochaine, et, en effet, il en fut ainsi. Peu de

temps après cela, Mahmoud mourut, après avoir conservé le

pouvoir huit ans et sept mois. Il fut le dernier des pachas

envoyés de Merrâkech^ et l’on prétend qu’il mourut empoi-

sonné.