Clot Bey, VI, 2, Famille Musulmane, 1840

4. On peut dire que les mœurs de l’Orient n’ont jamais changé fondamentalement. Le respect silencieux pour la tradition, et l’immobilité, en fait d’idées , de religion, d’usages, forment toujours le caractère distinctif de la civilisation orientale; aussi, dans ses détails comme dans son ensemble, tranehe-t-elle fortement avec la nôtre, si active, si mobile, si insubordonnée envers le despotisme des anciennes lois et des anciennes coutumes, et qui a appris, à l’école des progrès modernes, à n’avoir foi qu’au présent, à ne tourner que vers lui ou vers l’avenir ses regards et ses préoccupations.

5. Autorité paternelle. — C’est principalement dans la famille que l’Orient exhale ce parfum de traditions antiques qui nous rend quelquefois son étude attrayante à un haut degré; la famille a conservé, chez les musulmans, sa constitution patriarcale. Né au milieu d’un peuple qui faisait remonter avec orgueil son origine à un fils d’Abraham et vivait encore, presque tout entier, de la vie nomade de ses ancêtres, le fondateur de l’islamisme dut faire, dans ses lois religieuses, une haute part à la famille, dont le rôle est si important chez les peuples pasteurs. C’est un des motifs pour lesquels l’autorité paternelle possède en Orient une partie de la puissante influence dont elle jouit pendant l’ère patriarcale. Le père est le chef suprême; il exerce un pouvoir absolu sur sa femme, sur ses enfants et sur ses esclaves; chacun d’eux témoigne la plus grande déférence pour ses ordres et l’entoure des égards les plus empressés. Cette autorité du père, cette soumission du reste de la famille existent dans toutes les classes de la société; on les rencontre chez les princes, de même que chez les plus indigents de leurs sujets.

6. Déférence de l’épouse envers le chef de la famille. — Dans ses rapports avec son époux, la femme se montre trèsrespectueuse; elle n’a pas avec lui cette familiarité, cet abandon, indices, en Occident, de l’égalité qui règne entre les deux sexes. Souvent elle se tient debout en présence de son mari; toujours elle l’appelle son maître. Elle a pour lui des soins, des prévenances qu’en Europe on exigerait à peine d’une servante ; mais l’accomplissement de ces devoirs est loin de lui être pénible: elle est habituée à s’absorber dans son époux; elle n’a d’autre souci que de chercher à lui plaire, d’autre occupation que de travailler à embellir son existence. C’est la même aflection humble et dévouée que nous voyons dans les récits bibliques animer les femmes des anciens jours.

7. Respect des enfants pour leur père. — Le chef de la> famille reçoit de ses enfants des marques analogues de vénération et de profond respect; ils lui baisent les mains, en signe de soumission; ils ne s’asseyent devant lui que lorsqu’il le leur permet, ne prennent la parole que lorsqu’il les interpelle, et se garderaient bien de fumer ou de boire du café en sa présence. Ce n’est qu’après leur mariage qu’ils ont avec lui un peu plus de liberté. Ils étendent à leur mère ce respect filial, et lui donnent à toute occasion des marques du vif sentiment de tendresse qu’ils nourrissent pour elle.

8. Hiérarchie fraternelle. — Entre les frères et les sœurs s’élève une hiérarchie basée sur l’âge, qui exige de la part des plus jeunes des témoignages de soumission et des égards envers les plus âgés. L’aîné occupe le second rang dans la famille; il en devient le chef à la mort de son père. Enfin, les liens de la parenté sont regardés comme si religieux, que le serment le plus sacré des musulmans est celui qu’ils font sur la vie de leurs parents, et, lorsque ceux-ci ne sont plus, sur leur mémoire ou sur leur tombe.

9. Respect des jeunes gens pour les vieillards, et des inférieurs pour leurs supérieurs. — Ces mœurs de famille ont profondément agi sur la société musulmane. Elles ont consacré le respect des vieillards auxquels les jeunes gens prodiguent presque les mênies attentions qu’à leurs pères ; c’est de ce nom qu’ils les appellent ordinairement, ou de celui de cheik, qui veut dire vénérable. Les différences d’âge ne sont pas les seules à influer de cette manière sur les rapports sociaux. La différence des rangs a des effets semblables. La subordination des classes inférieures se révèle par des formules de politesse spéciales. Ainsi, toutes les fois que passe un personnage de distinction, les hommes du peuple quittent la pipe et leur travail, restent debout et attendent respectueusement son salut. Lorsqu’un individu adresse la parole à son supérieur, il l’appelle son maître ou son père; à son égal, il donne le titre de frère. On dirait que la société musulmane ne forme qu’une seule famille et qu’une parenté commune en réunit tous les membres dans le système hiérarchique de la tribu patriarcale.