Mirza Muhammad Haydar Dughlat ; Tarikh-i-Rashidi ; Conversion des Moghols et histoire de Khwaja Ahmad, v.1355

Qu’il ne soit pas caché de l’esprit des sages que le Coran, qui est le plus grand des miracles de Muhammad, est divisé en trois sections. Le premier contient la déclaration du Tawhid de Dieu, le second les statuts de la sainte loi de Muhammad, et la troisième des questions historiques, comme la vie des prophètes. Ainsi, nous voyons, qu’un tiers de ce livre est destiné à enseigner l’histoire des générations passées, et c’est là que réside la meilleure preuve de l’excellence de la science de l’histoire ; la plupart des pays, dis-je, tous les peuples de la monde entier ont étudié, et ont recueilli et transmis les traditions de leurs ancêtres, dont ils donnent d’amples preuves et sur lesquels elles s’appuient.

Par exemple, les Turcs, dans leurs compositions littéraires et dans leur conduite des affaires, ainsi que dans leurs rapports ordinaires, emploient un discours fondé sur les traditions et les chroniques de leurs ancêtres.

De quel droit puis-je, avec mon pauvre apprentissage et mon manque de capacité, tenter de faire couler l’encre de mon roseau sur la blancheur de la littérature ?

Ma justification réside dans le fait que j’ai, au cours de ma vie, recueilli de nombreux faits authentiques concernant ces Khaqan-s Moghols qui étaient musulmans, et ai aussi joué un rôle dans leur histoire. À l’heure actuelle il n’y a pas que moi qui connaîsse ces traditions. Ainsi, si je n’en avais pas fait la tentative, il est probable que la mémoire des Moghols et leurs Khaqan-s serait tout à fait perdue.

L’histoire des Moghols et leurs khans peut être de peu d’intérêt à l’universel, sauf aux Moghols eux-mêmes, car ils sont devenus la plus minuscule des tribus, alors qu’auparavant ils étaient, par la puissance et la résolution de Gengis Khan, les seigneurs du monde. Gengis Khan avait 4 fils à qui il a laissé le monde, en divisant les pays cultivés et les déserts en 4 parties, et en donnant un quart de la terre à chacun de ces fils. Chaque mention dans les histoires des Arba῾at Ulus, ou « quatre hordes », se réfère à ces quatre divisions. Le savant Mirza Ulugh Beg a écrit une histoire appelée ainsi. L’un des “quatre”, de ces hordes de moghol, est divisée en deux branches, Moghol-s et  Jaghatay-s. Mais ces deux branches, en raison de leur inimitié mutuelle, ont pris l’habitude de se renvoyer des sobriquets spécifiques. Ainsi, les Jaghataï sont surnommés Jatah Moghol [bon à rien], tandis que les Moghols sont surnommés Karawanas Djaghataï. A l’heure actuelle, il n’existe aucun Jaghataï à l’exception des rois, qui sont les fils de Babur Padishah et la place de la Chaghatay est maintenant occupé par d’autres civilisations. Mais des Moghols il y en a encore environ 30.000 dans les districts de Turfan et de Kashgar. Le Moghulistan fut saisi par les O’zbeg-s et les Kirghiz-s. Bien que les derniers appartiennent à la tribu de Moghol, ils ont, suite à leurs rébellions répétées contre les Khaqan-s, fait sécession. Tous les Moghols sont devenus musulmans, mais les Kirghiz sont encore infidèles, et, partant, restent hostils aux Moghols. Les Moghols sont devenus un peuple des plus isolé et dérisoir. Il n’y a qu’un Moghol pour s’intéresser à cette histoire, et si je reconnais pleinement mon manque de capacité littéraire, je n’ai pas hésité à faire le mieux qui eut été en mon pouvoir.

Pour trois raisons, j’ai appelé ce livre le Tarikh-i-Rashidi:

Premièrement, ce fut Mawlana Arshad-ud-Din qui convertit Tughluq Timur à l’Islam… Ensuite, bien avant l’époque de Tughluq Timur, Barak Khan et Kabak Khan étaient devenus musulmans, ni ces Khaqan-s ni le peuple Moghol n’avait eu connaissance du Rushd, ou “vrai chemin du salut,” mais une connaissance complète du Rushd est venue éclairer la personne deTimur Tughluq et son heureuse gente. Et dans la mesure où le début de cette histoire traitera de cette question, la pertinence du titre de Rashidi est évidente. Troisièmenent, actuellement, ‘Abd ur-Rashid, le dernier des Khaqan-s Moghol, règne, et puisque ce livre lui fut dédié, la raison en est encore plus apparente.

C’est la pratique des auteurs de s’excuser, de demander pardon s’ils avaient pu faire des erreurs ou des maladresses dans leur travail. Mais je ne vais pas faire l’apologie, comme ceux qui disent : – « S’il y a des erreurs ou des maladresses » – car je sais que mon livre est plein d’erreurs de bout en bout. Mon but n’est pas de vanter mon mérite, mais simplement d’écrire un mémoire, afin que l’histoire des Moghols ne puisse pas être complètement oublié, et que si par hasard, l’un des Khaqan-s Moghol voulait savoir sa généalogie, il pourrait la trouver dans ce livre.

Parmi les Moghols qui n’étaient pas musulmans, je n’ai pas mentionné plus que leurs noms ; car un infidèle, s’il n’a pu parvenir à la splendeur de Jamshid et Zobbak, n’est pas digne qu’on commémore son existence. Ce Ta’rikh-i-Rashidi a été achevé à la fin de la février 1547 dans la ville du Kashmir (que Dieu la défende de la ruine et la destruction) 5 ans après que Mirza Haidar, fils de Muhammad Kurkan, fut monté sur le trône.

[…]

La conversion de Tughluq Timur Khan à l’Islam

Mawlana Khwaja Ahmad (Puisse Dieu sanctifier son âme) descendait de Mawlana Arshad-ud-Din. Il était extrêmement pieux et très estimé et vénéré. Il appartenait à la secte des Khwajagan (que Dieu sanctifie leurs esprits). Depuis 20 ans, je suis à leur service, et n’adore en aucune autre mosquée que la leur. Il a mené une vie de retraite, consacrant son temps à la contemplation religieuse, et il avait l’habitude de réciter les traditions de sa secte d’une manière si belle, si bonne, que tout étranger venu l’entendre était sûr d’être vivement impressionné.

A son sujet, j’ai entendu ce qui a été écrit dans les annales des ancêtres de Mawlana Shuja-ud-Din Mahmûd, frère de Hafiz-ud-din, un ancien de Boukhara (qui fut le dernier des mujtahids, car, après la mort de Hafiz-ud-Din il n’y eut jamais plus d’autre mujtahid), que sous son règne, Gengis Khan avait assemblé les Imams de Boukhara, selon sa coutume, mis à mort Hafiz-ud-Din, et banni Mawlana Shuja’ ud-Din Mahmûd à Karakorum .

Les ancêtres de Mawlana Khwaja Ahmad furent également envoyés là-bas. Au moment d’une catastrophe à Karakorum, leurs fils se rendirent à Lob Katak, qui était l’une des villes les plus importantes entre Turfan et Khotan, et ils y reçurent beaucoup d’honneur et d’estime. On m’a dit beaucoup de détails sur chacun d’eux, mais je les ai, pour la plupart, oubliés. Le dernier des fils s’appelait Shaykh Jamal-ud-Din, un homme austère qui habitait Katak.

Un certain vendredi, après les prières, il prêcha au peuple et dit :

« J’ai déjà, à tant de reprises, prêché et tant donné de conseil, mais pas un de vous ne m’a jamais écouté. Il vient de m’être révélé que Dieu a fait descendre une grande calamité sur cette cité. Une ordonnance divine me permet d’en réchapper et de me sauver de ce désastre. C’est le dernier sermonq que je vous prêcherais. Je prends congé de vous, et vous rappelle que notre prochaine réunion aura lieu le jour de la résurrection. »

Ceci dit, le cheikh descendit du Minbar. Le Mu’addin le suivit et lui demanda la permission de l’accompagner. Le Shaikh l’y autorisa. Après avoir voyagé 3 farsakh ils s’arrêtèrent, et le Mu’addin demanda la permission de retourner en ville pour accomplir une certaine activité, disant qu’il allait revenir immédiatement. Alors qu’il passait devant la mosquée, il se dit :

« Pour la dernière fois, je vais aller appeler la prière du soir. »

Alors, il monta au minaret et appela la prière du soir. Ce faisant, il remarqua que quelque chose tombait du ciel, comme de la neige, mais sèche. Il acheva adhan, puis pria un certain temps. Il descendit, mais constata que la porte du minaret était bloquée, et il ne pouvait pas sortir. Il remonta donc et, regardant autour de lui, s’apperçut qu’il pleuvait du sable, d’une telle intensité que la ville entière en était couverte ; après un petit moment, il remarqua que le sol s’élevait, jusqu’à ce qu’une partie seulement du minaret émergea. Donc, avec crainte et tremblement, il se jeta sur le sable depuis la tour, et à minuit, il rejoignit le Shaykh, et lui raconta son histoire. Le Shaykh se mit immédiatement en route, en disant :

« Il est préférable de se maintenir à distance de la colère de Dieu »

Ils s’enfuirent en toute hâte, et cette cité est, à ce jour, enfouie dans le sable. Parfois, un vent vient, et dénude le minaret ou le sommet de la coupole. Il arrive souvent aussi, qu’un vent fort découvre une maison, et celui qui y pénètre, trouve tout dans un ordre parfait, à part le maître de maison dont les os sont tous blancs.

En bref, le Shaykh se rendit finalement à Bay-Gul qui est dans le voisinage de Aq-Su. À ce moment-là Tughluq Timur Khan était à Aq-Su. Il y avait été conduit dès l’âge de 16 ans. Il avait 18 lorsqu’il rencontra le Shaykh, et il le rencontra de la manière suivante. Le Khan avait organisé une partie de chasse, et avait promulgué une ordonnance stipulant que nul ne devrait s’absenter de la chasse. Il avait cependant remarqué que certaines personnes s’étaient assis en un lieu retiré. Le Khan envoya chercher ces gens, qui furent saisis, liés et amenés par devant lui, puisqu’ils avaient transgressé les commandements du Khan, et ne s’étaient pas présentés à la chasse. Le Khan leur demanda : « Pourquoi avez-vous désobéi à mes ordres? »

Le Shaykh répondit :

« Nous sommes des étrangers, qui avons fui la ville en ruines de Katak. Nous ne savons rien de la chasse, ni des ordonnances de la chasse, et nous n’avons donc pas transgressé tes ordres. »

Ainsi, le Khan ordonna à ses hommes de libérer le Tajik. Il nourrissait alors ses chiens avec de la chair de porc, et il a demanda, furieux, au Shaykh :

« Etes-vous meilleur que ce chien, ou ce chien est-il meilleur que vous »

Le cheikh répondit : « Si j’ai la foi, je suis meilleur que ce chien, mais si je n’ai pas la foi, ce chien est meilleur que moi. »

En entendant ces mots, le Khan se retira et envoya un de ses hommes, en disant :

« Va monter ce Tajik sur ton propre cheval, et, avec tout le respect, conduit le ici à moi »

Le Moghol y alla et amena son cheval avant le Shaykh. Le Shaikh, s’appercevantque la selle était tachée de sang s’exclama : « J’irais à pied. » Mais le moghol insista sur le fait que l’ordre était qu’il monte à cheval. Le Shaykh étendit ensuite un mouchoir propre sur la selle et monta. Quand il est arriva par devant le Khan, il remarqua que ce dernier se tenait seul dans un endroit retiré, avec la trace de la tristesse sur son visage. Le Khan interrogea le Shaykh :

« Quelle est cette chose qui rend l’homme, s’il la possède, meilleur qu’un chien ? »

Le Shaykh répondit : « La foi », et il lui expliqua ce qu’était la foi, et les devoirs d’un Muslim. Su ce, le Khan fondit en larmes, et s’écria :

« Si jamais je deviens Khan, que j’obtiens une autorité absolue, tu devras, sans faute, revenir à moi, et je te promets de devenir Muslim ».

Il renvoya ensuite le Shaikh au loin avec le plus grand respect et la plus grande révérence. Peu de temps après le Shaykh décéda. Il laissa un fils nommé Arshad-ud-Din, qui était très pieux. Son père avaot rêvé qu’il portait une lampe au sommet d’une colline, et que sa lumière éclairait l’ensemble du Mashriq.

Après avoir raconté celà à son fils, il lui dit : « Depuis que je peux mourir à tout moment, prens soin, lorsque le jeune homme deviendra Khan, de lui rappeler sa promesse de devenir Muslim ; et je recevrais cette bénédiction par ton intermédiaire et, à travers toi, le monde pourra s’illuminer ! »

Après avoir terminé ses injonctions à son fils, le Shaykh s’éteignit. Peu de temps après, Tughluq Timur devint Khan. Lorsque ces nouvelles parvinrent Mawlana Arshad-ud-Din, il quitta Aq-Su et se rendit au Moghulistan, où le Khan était intrônisé en grande pompe et splendeur. Mais tous ses efforts pour obtenir une entrevue et accomplir sa mission restèrent vains. Chaque matin, cependant, il avait l’habitude d’appeler à la prière près de la tente du Khan. Un matin, le Khan dit à un de ses disciples : « Quelqu’un appelle de la sorte, tous le smatins, depuis des années, amenés le moi ! » Le Mawlana était au milieu de son appel à la prière lorsque le Moghol arriva, le saisit par le cou,  et le traîna devant le Khan. Ce dernier lui dit :

« Qui es-tu donc pour troubler mon sommeil chaque matin à une heure si précoce ? »

Il répondit :

« Je suis le fils de l’homme à qui, à une certaine occasion, vous avez fait la promesse de devenir un musulman. »

Et il se mit à raconter l’histoire. Le Khan s’exclama alors :

« Sois le bienvenu, où est ton père ? »

Il répondit:

« Mon père est mort, mais il m’a confié cette mission. »

Le Khan reprit :

« Depuis que je suis monté sur le trône, j’ai gardé à l’esprit cette promesse, mais la personne à qui j’avais donné ma parole n’est jamais venue, maintenant, sois le bienvenu ! Que dois-je faire ? »

Ce matin là, le soleil se leva de la bonté de l’orient de la faveur divine, et effaca la nuit obscure de l’incroyance. Mawlana Khidmat ordonna l’ablution pour la Khan, qui, après avoir déclaré sa foi, devint Muslim. Ils décidèrent alors que, pour la propagation de l’Islam, ils devraient s’entretenir avec les princes, un par un, et il serait bon avec ceux qui accepteraient la foi, mais qu’il ferait tuer comme païens et idolâtres ceux qui la refuseraient.

Le lendemain matin, le premier à venir être examiné était Amir Tulik, qui était mon arrière-grand-oncle. Lorsqu’il entra en du Khan, il le trouva assis avec le Tajik, il s’avança et s’assit avec eux. Ensuite, le Khan commença par demander :

« Est-ce que tu souhaites embrasser l’Islam ? »

Amir Tulik fondit en larmes et dit : « Il y a 3 ans, j’ai été converti par des hommes saints à Kashgar, et suis devenu Muslim, mais, par peur de vous, je ne l’ai jamais ouvertement déclaré ! »

Là-dessus, le Khan se leva et l’embrassa, puis les trois se rassirent ensemble. De cette manière, ils examinèrent les princes, un par un. Tous acceptèrent l’Islam, jusqu’à ce qu’elle vint à la tour de Jaras, qui refusa, mais suggéra 2 conditions, dont l’une était : « J’ai un homme du nom de Buka Sataghni, si ce Tajik peut le mettre à terre, je deviendrai croyant »

Le Khan et les Amirs s’écrièrent :

« Quelle condition absurde que celle-ci ! » Mawlana Khidmat, cependant, déclara :

« C’est bien, qu’il en soit ainsi ! Si je ne te met pas à terre, je ne t’obligerais pas à devenir un Muslim ! ».

Jaras dit alors à Mawlana :

« J’ai vu cet homme lever un chameau de 2 ans, il est infidèle, et au-dessus de la taille ordinaire des hommes ! ».

Mawlana Khidmat répondit :

« Si c’est la volonté de Dieu que les Moghols deviennent l’honneur de l’Etat béni de l’Islam, il me donnera sans doute suffisamment de puissance pour surmonter cet homme ! »

Le Khan et ceux qui étaient devenus musulmans n’étaient pas satisfaits de ce projet. Cependant, devant une grande foule assemblée, le Kafir fut introduit, et lui et Mawlana Khidmat s’avançèrent l’un vers l’autre. Le Kafir, fier de sa force propre, s’avança d’un air fat. Le Mawlana avait l’air très petit et faible à côté de lui. Lorsqu’ils en vinrent aux coups, le Mawlana frappa le Kafir en pleine poitrine, et il tomba évanoui. Après peu, il revint à la charge, et après s’être dressé, tomba aux pieds de Mawlana, en criant et en prononçant les paroles de la croyance. L’assistance souleva de grands cris d’applaudissements, et ce jour-là 160.000 personnes se firent les cheveux devinrent musulmans. Le Khan fut circoncis, et les lumières de l’Islam dissipèrent les nuances du Kufr. L’Islam se diffusa sur toute la surface de ce pays de Jaghataï Khan, et, grâce à Dieu, continue fixement à l’heure actuelle.