Clavijo, Rapport d’Ambassade Castillane auprès de Timur, v. 1395 n-è

Nomades “Chaghatay”

Ces peuples n’ont pas d’autre lieu ni maison que leurs tentes, et ils errent dans les plaines, aussi bien en hiver et en été. En été, ils vont au bord des rivières, et sèment leur blé, le coton et le melon, que je crois être le meilleur au monde. Ils sèment aussi beaucoup de mil, qu’on fait bouillir avec le lait. L’hiver, ils vont dans les quartiers chauds. Le Seigneur, avec toute son armée, se promène de la même manière dans les plaines, hiver comme été. Son peuple ne marche pas tous ensemble, mais le Seigneur, avec ses chevaliers et des amis, ses serviteurs et ses femmes, passe par une route, et le reste de l’armée par une autre, et ils y passent leur vie.

Ces peuples ont beaucoup de moutons, de chameaux et de chevaux, et quelques vaches, et quand le Seigneur leur commande de marcher avec son armée, ils partent avec tout ce qui leur appartient, troupeaux, femmes et enfants, et ils accueillent ses troupeaux, en particulier moutons, chameaux et chevaux.

C’est avec ces gens que le Seigneur a accompli de nombreux exploits, et vaincu à moultes batailles, car ils sont un peuple de grande valeur, excellents cavaliers, experts à l’arc, et endurant aux épreuves. S’ils ont de la nourriture, ils mangent, et sinon, ils souffrent du froid et de la chaleur, de faim et de soif, mieux que tout autre peuple au monde. Quand ils n’ont pas de viande, ils se nourrissent de lait et d’eau bouilli ensemble, et ils font leur nourriture de cette manière : ils remplissent un grand chaudron d’eau, et, quand il est chaud, ils versent du lait aigre et produisent une sorte de fromage, qui est aussi aigre que le vinaigre. Ils prennent ensuite des galettes de farine, coupées très fin, et les mettent dans le chaudron. Lorsque le mélange est cuit, ils le prennent, et ils en mangent avec appetit, et c’est la nourriture dont ils vivent.

Ils n’ont pas de bois pour cuire leurs aliments, mais ils utilisent le crottin des chevaux et des chameaux, et cette nourriture, que je vous décris est appelée Haz.

[…]

Amu Darya :

Le seigneur Timur Beg, dès qu’il eut gagné le gouvernement de Samarqand, voulut traverser ce grand fleuve (Amu), pour conquérir la terre de Khurâçan. Il a donc établi un large pont de bois sur des bateaux, et lorsque son armée eut traversé, le pont fut détruit, mais, à son retour à Samarqand, il ordonna qu’il soit reconstruit, pour le passage de lui-même et ses lignes, et les ambassadeurs traversèrent ce pont, et rapportèrent que le Seigneur avait donné l’ordre de détruire le pont, dès que toute son armée fut passée dessus. Près de ce grand fleuve Alexandre mena bataille à Porus, roi de Bactriane, et le défit

C’est le jeudi que les ambassadeurs atteignirent ce grand fleuve, ils le traversèrent et, dans l’après-midi, arrivèrent à une grande ville appelée Tirmidh, qui appartenait autrefois à l’Inde, mais est maintenant dans le territoire de Samarqand, ayant été conquis par Timur Beg, et c’est à cet endroit que commence l’empire de Samarqand. Le territoire de cet empire de Samarqand est appelée la Mogolie, et la langue du peuple est mogole (sic), ainsi ceux de l’autre côté de la rivière ne le comprennent pas, car ils parlent le persan, et l’écriture dont ils se servent sur le côté de la rivière Samarqand, n’est pas compris par ceux de l’autre côté (?). Le Seigneur a certains scribes qui lisent et écrivent cette écriture Mogole. La terre de Samarqand est très peuplé et très riche et fertile.

La coutume que l’Emir fait observer pour ce grand fleuve, c’est qu’une fois traversé, les gens doivent détruire le pont, […], mais il y a des bateaux dans l’Amu, qui transportent des passagers d’un côté à l’autre, et nul n’est autorisé à passer sous ces bateaux, sans montrer une lettre indiquant d’où il vient, et où il va, même quand il est natif de la terre.

Cependant, quand quelqu’un veut entrer en Samarqand, cette lettre n’est pas requise. Le Seigneur a placé une garde sur ces grands bateaux, qui lèvent de lourds péages à ceux qui les utilisent. Cette garde se tient là parce que le Seigneur a emmené de nombreux captifs à Samarqand, en provenance des pays conquis, pour enrichir et ennoblir les terres ; la garde doit les empêcher de s’échapper et de retourner chez eux.

De plus, les ambassadeurs trouvaient des orphelins, et des femmes sans attaches, en Perse et au Khuraçan, et comme les hommes avaient été pris de force pour peupler les terres de Samarqand, on leur attribua à qui une vache, un âne, un mouton ou une chèvre, et ils furent nourris sur la route par les officiers de l’Emir, et ainsi le Seigneur amena plus de 100.000 personnes sur la terre de Samarqand.

Cette ville de Termit, que les ambassadeurs avaient atteint, était très vaste et très peuplé, et sans aucun mur. La ville était entourée de nombreux jardins et de ruisseaux. Je ne peux vous en dire plus, parce que nous étions très fatigués quand nous sommes arrivés à notre gîte, à part que nous avons traversé des rues peuplées et desplaces  où se vendaient beaucoup de choses. Les ambassadeurs furent reçus avec beaucoup d’honneur, et fournis de tout ce dont ils avaient besoin, et se sont vu offrir une robe de soie. Dans cette ville, un messager du Seigneur est arrivé au devant des ambassadeurs, et dit que le Seigneur les saluait, et souhaitait savoir comment ils avaient supporté le voyage, et comment ils avaient été traités, et si elles allaient arriver. Lorsque ce messager s’en retourna, on lui donna une robe, et il fut aussi offert aussi une robe florentine au chevalier qui avait été envoyé en premier, et qui était venu avec eux, l’ambassadeur du sultan de Babylone en fit autant. Ils donnèrent aussi un cheval à l’autre chevalier, que le Seigneur avait envoyé, car tel est l’usage de tous ceux qui viennent au Seigneur, de donner quelque chose, et donc de respecter la coutume de donner et de recevoir des cadeaux. Leur grandeur est considéré en fonction du nombre de présents, ils donnent, en l’honneur du Seigneur, et telle est la mesure de la louange qu’ils reçoivent.

Vendredi, le 22 août, après le dîner, les ambassadeurs partirent, et dormirent sur la plaine, à proximité de certaines grandes maisons.

Samedi, ils ont parcouru de vastes plaines, parmi de nombreux villages bien peuplés, et atteignirent un village où elles furent ravitaillées en tout ce qu’il fallait. Le dimanche, ils dînèrent dans quelques grandes bâtisses, où l’Emir avait l’habitude de faire halte. Ils y reçurent quantité de fruits, de viande, de vin et de melons. Ces melons sont très bons, et en grande abondance. La coutume est de placer les fruits avant la venue des ambassadeurs, sur le terrain.

[…] Le lundi, ils dînèrent au pied d’une haute colline, où il y avait une belle maison, ornée de très belle œuvres de briques, et beaucoup de motifs ornementaux, peints en plusieurs couleurs. Cette colline est très élevé, et il y a un passage menant par un ravin, comme si elle avait été artificiellement tranchée, et le col est plat, et très encaissé. Au centre du col se trouve un village, et la montagne se dresse à une grande hauteur derrière. Ce passage est appelé « les portes de fer », et dans toute la chaîne de montagnes il n’y a pas d’autre passage, de sorte qu’il protège les terres de Samarqand des Indes. Ces « portes de fer » confèrent au Beg un revenu important de la part de tous les marchands, qui arrivent d’Inde.

Timur Beg est aussi Seigneur de « l’autre porte de fer » qui est près de Derbent, conduisant à la province de Tartarie, et la ville de Qaffa, qui sont également en très haute montagne, entre la Tartarie et l’Etat de Derbent, face à la mer de Bakou, et le peuple de Tartarie est obligé d’utiliser ce passage, quand ils va en Perse. La distance des « portes de fer » de Derbent, à celles de la terre de Samarqand, est de 1500 lieues.

Comment affirmer qu’un grand seigneur, qui est maître de ces 2 « portes de fer » et de toutes les terres entre elles, tels que Timur, n’est pas un prince de Dieu ?

Derbent est une ville très importante, avec un vaste territoire. Ils appellent les « portes de fer » par les noms de Derbent et de Tirmidh.

Ils firent aux ambassadeurs cadeau d’un cheval, car les chevaux de ce pays sont louées pour leur grand esprit. Ces montagnes des « portes de fer » sont sans forêt, et dans les temps anciens, ils disent qu’il y avait des grandes portes, couvertes de fer, placées en travers de la passe, afin que personne n’y puisse passer sans ordonnance.

Le jour suivant, ils dînèrent et prirent leur sieste à proximité des tentes Chagatay, sur les rives d’un fleuve. Dans l’après-midi, ils marchaient, et dormaient sur le sommet d’une chaîne de collines.[…]

KESH : Shahr-i-Sabz

Jeudi 28 août, à l’heure de la messe, ils arrivèrent à la grande ville de Kesh, située dans une plaine, parcourue en tous sens par des canaux qui irriguent de nombreux jardins. Le pays environnant est plat, et ils virent de nombreux villages, des pâturages bien arrosés, et un pays beau, lumineux et bien peuplé. Dans ces plaines, il y avait beaucoup de champs de sorgho, des vignobles, des plantations de coton, des rinceaux de melons et des bosquets d’arbres fruitiers. La ville était ceinte d’un mur de terre, avec un fossé profond, un pont-levis menant aux portes.

Le seigneur Timur Beg, et son père, étaient tous deux natifs de cette cité de Kesh.

Dar ut-tilovat-Dar us-syodat

Dans cette ville il y a des grandes mosquées et autres édifices, en particulier une grande mosquée dont le seigneur Timur a ordonné la construction, jusqu’à présent inachevée, dans lequel le corps de son père est enterré. Il y a aussi une autre grande chapelle […] pour son propre corps, inachevée. Ils disent que quand il était ici, il y a un mois, il n’aimait pas cette chapelle, en disant que la porte était trop basse, et lui imposait de se baisser, et ils travaillent maintenant à la restaurer. Le fils aîné de Timur, nommé Cehan-Ghir, est également enterré dans cette mosquée.

Cette mosquée, avec ses chapelles, est très riche, et joliment décorée d’azur et d’or, et dedans ise trouve une grande cour, avec des arbres et des étangs d’eau. Dans cette mosquée, le seigneur donne 20 mouton bouilli tous les jours, pour les âmes de son père et son fils, qui sont enterrés là.

Lorsque les ambassadeurs arrivèrent, ils furent invités à cette mosquée, et nourris avec beaucoup de viande et de fruits, puis ils prirent logement dans un grand palais.

Aq-Saray : 

Le vendredi ils furent emmenés visiter un grand palais, que le Seigneur a ordonné à construire, et on dit qu’ils y ont travaillé 20 ans, et beaucoup d’ouvriers y travaillent encore. Ce palais a une longue entrée et une arche très élevée. Sur chaque côté il y avait des arcs de brique, couverte de tuiles vernissées, et de nombreux modèles en différents coloris. Ces arcs forment de petits recoins, sans portes, et le sol est pavé de carreaux de faïence prévus pour que les serviteurs s’assoient, quand le Seigneur est là.
En face de la première entrée, il y a une autre arche, menant à une grande cour pavée de pierres blanches, et entouré par des portes d’un travail très riche. Au centre de la cour il y a un grand bassin, et cette cour mesure 300 pas de large. Un portail aussi haut que large y est orné d’or et de figures à carreaux de faïence bleus, richement et magnifiquement travaillées. Au dessus de cette porte se trouve la figure d’un lion et le soleil, qui sont les armes du seigneur de Samarqand, et si on dit que Timur Beg a ordonné cette construction, je crois que c’est plutôt l’ancien seigneur de Samarqand, parce que le soleil et le lion, qui sont représentés ici, sont les armes des seigneurs de Samarqand, et que celles de Timur sont un ours et trois cercles pour signifier qu’il est le Seigneur des trois parties du monde. Il imposa ce dispositif sur toutes les monnaies et tout ce qu’il avait, et c’est pourquoi je pense qu’un autre seigneur a du commencer ce palais. Le Seigneur a ces trois cercles sur ses cachets, et il a ordonné à ses tributaires, de le faire apposer sur les monnaies de leur pays.

Cette porte conduit à une salle de réception, dont les murs sont couverts de tuiles vernissées, en motifs or et azur, le plafond était aussi tout doré. De là, les ambassadeurs furent menés dans tant de chambres que cela prendrait beaucoup de temps pour les décrire toutes. Il s’y trouvait des œuvres d’ornement or et azur, et beaucoup d’autres couleurs, exécutées avec une merveilleuse habileté. Ils visitèrent aussi les appartements des femmes du seigneur, qui étaient couverts d’ornements étranges et riches, tant sur les murs, les plafonds et les planchers, et beaucoup d’ouvriers qualifiés ont été employés dans ce palais.

Ensuite, les ambassadeurs pénétrèrent une chambre que le Seigneur avait mis à part pour la fête, et pour le devoir de ses femmes. En face d’elle il y avait un grand jardin, dans lequel il y avait beaucoup d’arbres ombrageux, et toutes sortes d’arbres fruitiers, avec des canaux d’eau entrelacés de canalisations. Le jardin était si grand, qu’un grand nombre de personnes pourraient en bénéficier en été avec grand plaisir, près des fontaines, et sous l’ombre des arbres.

La finition de ce palais est si riche qu’il est impossible de la décrire, sans s’attarder sur chaque détail, à pas lents. La mosquée et le palais sont parmi les plus exquis édifices que le Seigneur a ordonné de construire, en l’honneur de son père, qui est enterré là, et était originaire de cette ville. Mais, bien que natif de cette ville, il n’appartient pas à la race de cette terre, mais était d’une lignée appelée Chagatay, qui venait de Tartarie […].

Vie de Timur :

Le père de Timur était de bonne famille, mais de petit domaine, avec pas plus de 3 ou 4 cavaliers de suite. Il vivait dans un village, près de cette cité de Kesh, car les hommes de cette terre préfèrent vivre dans les villages, et dans les plaines, que dans les villes. Son fils, lui aussi, n’avait pas plus de 4 ou 5 chevaux […]

Il est dit comme vérité certaine que Timur, sortit un jour extorquer avec ses hommes un mouton, puis une vache, puis chaque jour, par la force, au peuple indigène, après quoi il les mangeait avec ses gens. Certains afin de piller, d’autres par bravoure et bon cœur, se joignirent à lui, jusqu’à ce qu’il constitue une force de 300 hommes à cheval. A cette époque, il parcourut le pays, pour piller et voler tout ce qu’il pouvait se mettre sous la main, pour lui et ses compagnons, et il coupait aussi les routes, et pillait les marchands.

Les nouvelles de ces agissements atteignirent le Khan de Samarqand, qui fut seigneur de cette terre, et ordonna l’exécution du pillard. Mais il y avait des chevaliers Chagatay à la cour de l’empereur, de la lignée de Timur, qui obtinrent son pardon, et l’amenèrent à vivre en courtisan. De ces chevaliers, 2 vivent encore avec Timur, et sont appelés ‘Umar Tobar, et le Shykh Qaladay.

Ils disent que dès que Timur vécu avec le Khan, il provoqua tant de haine à son encontre que ce dernier ordonna son exécution, mais Timur en fut informé, et s’enfuit avec ses partisans, retournant à sa vie de pilleur patenté. Un jour, alors qu’il avait pillé une caravane de marchands, il accrut de beaucoup sa richesse, et se rendit au Sistan, où il pilla moutons et chevaux, car cette terre est très riche en troupeaux, et il avait dès lors pas moins de 500 partisans.

C’est alors que les Sistani se consultèrent, et, une nuit, alors qu’il était tombé sur un grand troupeau de moutons, ils l’attaquèrent et tuèrent plusieurs de ses hommes, le renversèrent au bas de son cheval, et le blessèrent à la jambe droite. Ils lui entaillèrent également la main droite, et lui tranchèrent deux doigts, le laissant pour mort.

Dès qu’il le put, il se leva, et alla vers les tentes de certaines personnes qui étaient campés dans une plaine, d’où il s’en retourna rassembler à nouveau ses hommes.

L’empereur de Samarqand n’était pas apprécié de ses sujets, en particulier des gens du commun, et même certains nobles lui voulaient du mal. Ils proposèrent à Timur de tuer ce Khan, et déclarèrent vouloir le mettre à sa place. La conspiration alla si loin que l’empereur, étant dans une ville proche de Samarqand, fut attaqué et battu par Timur. Il s’enfuit dans les montagnes, et appela à lui un homme pour se cacher, lui promettant de le rendre riche et de lui donner des bijoux précieux. Cet homme, au lieu de le cacher, le trahit, qui finalement vint le tuer, et prit la cité de Samarqand.

Timur épousa la femme du Khan, nommé Khanum qui signifie « grande impératrice» (sic : Dame), et est toujours son épouse. Ensuite il a conquis la terre de Khurâçan, en profitant d’une querelle entre deux frères, seigneurs de cette terre. C’est ainsi qu’il acquis ces deux empires du Khraçân et de Samarqand, et tel était son origine.

Un de ses premiers compagnons, un Chagatay de sa propre lignée, est parmi ses plus proche confidents, il épousa une de ses sœurs […]

La raison pour laquelle les Tartares sont venus en ce pays, et ont pris ce nom de Chagatay est comme suit :

Il y a longtemps, il n’y avait qu’un empereur de Tartarie (Gengis), qui était natif d’une ville appelée Dorgancho, ” le trésor du monde “. Cet empereur règnait sur un vaste territoire, qu’il avait conquis, et, quand il mourut, il laissa 4 fils nommés Gabuy, Zagatay, Esbeque, et Charcas (sic), tous de la même mère. Il divisèrent la terre entre ses fils, et Chagatay reçu cette terre de Samarqand, avec un autre territoire (le Tarim). Le père dit à ses 4 fils de rester unis, car le jour où la discorde s’éleverait entre eux, ils seraient perdus. Ce Chagatay était un homme d’un grand courage et d’une grande générosité, mais il provoqua l’envie parmi ses frères, et ils lui firent la guerre. Quand le peuple de Samarqand vit cela, ils se souleva contre Chagatay, l’occirent avec plusieurs de ses partisans, et firent d’un autochtone le Khan. (sic)

De nombreux adeptes de Chagatay restèrent dans le pays, en possession des biens pour vivre, et quand leur maître disparut, tous les gens du pays les appelaient Cagatay, et qu’il est à l’origine de ce nom. Timur Beg, et les autres Chagatay-s qui le suivent, sont les descendants de ces Tartares Chagatay, et beaucoup de gens de la terre de Samarqand ont désormais pris ce nom de Chagatay.

Sur la route

Le samedi 30 août, ils dînèrent dans une vaste demeure, que le Seigneur avait fait construire, dans une plaine à proximité des rives d’un fleuve, et au milieu d’un grand et très beau jardin. Ils passèrent la nuit dans un grand village, qui est à 1 lieue de Samarqand, appelé Maqar. Le chevalier qui les conduisait alors quitta les ambassadeurs puisqu’ils pourraient facilement atteindre la cité de Samarqand, il se proposa d’annoncer leur approche du grand seigneur, et d’envoyer un homme signaler leur arrivée et que l’homme de nuit a été envoyé à le signaler au grand seigneur.

Le lendemain, à l’aube, le chevalier revint avec un ordre du grand seigneur, que les ambassadeurs, et l’ambassadeur du sultan de Babylone, qui voyageait avec eux, devraient être emmenés vers un jardin près du village, et y demeurer jusqu’à ce qu’il donnât de nouveaux ordres. Ce jardin était entourée par un mur d’argile et contenait un grand nombre d’arbres fruitiers de toutes sortes, sauf les citrons et limes, sillonnée par de nombreux canaux, et un grand ruisseau coulait en son centre. Ces canaux coulaient au milieu des arbres, qui étaient grands et hauts, et dispensaient une ombre agréable . Au centre des allées formée par les arbres, il y avait des plateformes surélevées, qui traversaient tout le jardin. Il y avait aussi un tertre de terre, entouré de palissades en bois, et sur cette colline, il y avait des palais, avec des chambres très richement ornés de carreaux polis d’or et d’azur ; cette colline était entourée d’un fossé profond, rempli d’eau, dans lesquels l’eau coulait à partir d’un gros tuyau.

Pour gravir la colline, il y avait deux ponts, sur les côtés opposés, donnant sur deux portes et des escaliers menant au sommet de la colline, où se trouve le palais. Dans ce jardin il y avait des chevreuils, faisans… Au-delà du jardin, il y avait un grand vignoble, aussi vaste que le jardin, qui était également ceint d’un mur de terre, et tout autour de celui-ci, il y avait des haies de magnifiques grands arbres. Ils appellent ce jardin et le palais Taliqia, et dans leur propre langue Qalbet: et, dans ce jardin, les ambassadeurs furent largement nourris.

Le jeudi 4 Septembre, un noble vassal du Seigneur, vint au jardin, et déclara aux ambassadeurs que le Seigneur était occupé par les ambassadeurs de l’empereur Tokatmish, et que, par conséquent, il ne pouvait pas encore les recevoir et pour les faire patienter, avait envoyés de menus rafraîchissements pour célébrer toute cette journée. Ils apportèrent des moutons et un cheval grillé, servi avec du riz, et nombre de fruits. Rassasiés, on leur fit présent de deux chevaux, une robe et un chapeau.

Il est de coutume de ne voir aucun ambassadeur avant que 5 ou 6 jours soient passés, et plus il est important, plus il attend.

Le lundi 8 Septembre, les ambassadeurs quittèrent le jardin et se rendirent à Samarqand. La route longe une plaine couverte de jardins et maisons, et les marchés aux produits de vente sans nombre, à 3 heures, ils trouvèrent un grand jardin et un palais, en dehors de la ville, où se trouvait l’Emir. Deux chevaliers vinrent à eux et reçurent leurs cadeaux. […]

L’entrée de ce jardin était large et haute, et joliment orné de tuiles vernissées, azur et or. 6 éléphants, avec des châteaux de bois sur leur dos, avec chacun deux bannières, reçurent les ambassadeurs et l’ambassadeur que Timur avait envoyé au roi de Castille, était avec eux, et ceux qui le virent, se moquèrent de lui, parce qu’il était habillé en costume à la mode de Castille !

Ils les menèrent à un vieux chevalier, le fils de la sœur de Timur, qui était assis dans une antichambre, et ils s’inclinèrent respectueusement devant lui. Ils furent alors portés devant certains petits garçons, petits-fils du seigneur, qui étaient assis dans une chambre, qui s’inclinèrent devant eux. Un petit garçon, le fils de Miran Mirza, aîné du seigneur, pris la missive officielle et porta la lettre à l’Éternel ; qui exigea que les ambassadeurs soient portés devant lui.

TIMUR-LAN :

Timur était assis devant un Iwan, en face de l’entrée d’un palais magnifique, à même le sol. Devant lui se dressait une fontaine, au jet majestueux, garnie de pommes rouges. Le seigneur était assis les jambes croisées, sur des tapis de soie brodée, adossé à des coussins sphériques. Il était vêtu d’une robe de soieries, d’un haut chapeau blanc, décoré d’un rubis, ceint de perles et autres pierres précieuses.

Dès que les ambassadeurs virent le Seigneur, ils mirent genou à terre, et croisant les bras sur la poitrine, ils s’approchèrent avant de renouveler ce respectueux salut, à deux reprises, et restèrent ainsi le genou au sol. L’Emir leur ordonna de se redresser et de se présenter, et les chevaliers, qui les avait tenus jusque-là, les libérèrent.

Trois Mirza de ses conseillers les plus intimes, qui se tenaient devant le Seigneur, nommés ‘Abd-al-Malik Mirza, Borundo Mirza, et Nur Ad-Din Mirza, vinrent les prendre par le bras, et les conduisirent jusqu’à ce qu’ils se soient présentés ensemble devant le Seigneur. Cela fut fait dès que le Seigneur put mieux les voir car sa vue était fort mauvaise, si vieux que ses paupières étaient tout à fait tombés. Il ne leur donna pas sa main à baiser, car ce n’était pas la coutume mais il s’enquit du roi, en disant:

« Comment va mon fils le roi ? Est-il en bonne santé ? »

Lorsque les ambassadeurs eurent répondu, Timur Beg se tourna vers les chevaliers qui étaient assis autour de lui, parmi lesquels se trouvaient l’un des fils de Tokatmish, l’ancien empereur de Tartarie, plusieurs chefs du sang de son ancêtre, et d’autres de la famille du Seigneur lui-même, et dit:

« Voici ! Voici les ambassadeurs envoyés par mon fils, le roi d’Espagne, qui est le plus grand roi des Francs, et vit aux confins du monde. Ces Francs sont véritablement un grand peuple , et je vous donnerai ma bénédiction pour le roi d’Espagne, mon fils. Il aurait suffi qu’il ne m’ait envoyé que sa lettre, sans cadeaux, ainsi je suis satisfait d’entendre parler de sa santé et son état prospère. »

La lettre du roi (en arabe) fut présentée au Seigneur, de la main de son petit-fils, et le maître de la théologie s’exclama que personne ne saurait la lire sauf lui, et que, lorsque Son Altesse aurait souhaité l’entendre, il la lui lirait. Le Seigneur prit alors la lettre de la main de son petit-fils et l’ouvrit.

Les ambassadeurs furent ensuite convié dans une pièce, à droite de l’endroit où le Seigneur trônait ; et le Mirza, qui les tenaient au bras, les fit asseoir derrière un ambassadeur, que l’empereur Chuys-Khan (Ming), seigneur de Cathay, avait envoyé à Timur Beg pour exiger le tribut annuel qui était auparavant versé. Lorsque le Seigneur vit les ambassadeurs assis sous ce dernier, il ordonna qu’on inverse cela [car l’ambassadeur Ming était celui d’un Seigneur voleur et un homme mauvais, son ennemi].

Cet empereur du Cathay est appelé Chuys-Khan (?), ce qui signifie 9 Empires, mais les Chagatay l’appelait Tanguz, qui signifie “l’empereur des porcs.” (sic) Il est le seigneur d’un grand pays, et Timur Beg avait pour coutume de lui rendre hommage, ce qu’il refuse depuis peu. Dès que ces ambassadeurs, et plusieurs autres, qui étaient venus de pays lointains, furent ordonnés, on apporta beaucoup de viande, bouillie, grillée…, et des chevaux rôtis, et ils ont placé ces moutons et chevaux sur de très grandes pièces rondes de cuir imprimé.

Ils le coupèrent ensuite par morceaux, et les placèrent  dans des bassins d’or et d’argent, de faïence, de verre et de porcelaine, qui est très rare et précieuse. La pièce la plus honorable était un quartier de cheval, avec les reins, mais sans la cuisse, et ils placèrent certaines de ses parties sur dix coupes d’or et d’argent. Ils coupèrent aussi la croupe des brebis et mirent ensuite des morceaux de tripes des chevaux, de la taille d’un poing d’homme, dans des tasses, et des têtes de mouton entier, et c’est ainsi qu’ils prirent de nombreux plats et des gâteaux de millet très fins […]

[…]
Une coutume est que, quand ils prennent tout aliment devant l’un des ambassadeurs, ils la donnent à leur suite, et il y avait tant de nourriture devant eux, que, s’ils ne l’avaient enlevée, elle leur aurait duré une demi  année. Après les viandes rôties et bouillies, ils introduisirent des viandes présentées sous diverses façons, et des boulettes et après cela, il y eut les fruits : melons, raisins, et pêches, et ils donnèrent à boire dans des cruches d’argent et d’or, notamment le sucre et la crème, une boisson agréable, qu’ils font pendant d’été.

[…]
Lorsque les ambassadeurs prirent congé du Seigneur, ils livrèrent les présents que le roi avait envoyé, et il les reçut avec beaucoup de complaisance. Il divisa ces cadeaux entre ses femmes, en donnant la plus grande part à sa première femme, nommée Khanum qui se trouvait dans ce jardin avec lui. Les autres présents, apportés par l’ambassadeur du sultan, ne furent pas acceptés, mais revinrent aux hommes qui les avaient eu en charge, reçu et hebergé 3 jours durant, quand le Seigneur leur ordonna d’être ramené : parce que c’est la coutume de ne pas recevoir un cadeau avant le troisième jour. Cette maison et ce jardin, où le seigneur recevait les ambassadeurs, a été appelé Dilkoosha, et il y avait de nombreuses tentes de soie, et le Seigneur y resta jusqu’au vendredi suivant, quand il se rendit à un autre jardin, où il y avait un palais très riche , dont il venait d’ordonner la construction, appelé Bayginar.

Kök-Saray :

Le lundi, le 15 Septembre, le Seigneur quitta ce palais et ce jardin pour un autre, qui était très beau. Ce jardin possède un haut et magnifique portail, de briques, ornées de carreaux bleu et or, de motifs divers. Ce jour, le Seigneur avait ordonné qu’on prépare une grande fête pour les ambassadeurs, et plusieurs autres personnalités, hommes et femmes. Ce jardin est très vaste, et contient de nombreux fruits et d’autres arbres d’ombre. En son sein, il existe des voies et des terrasses en bois, sur laquelle on peut marcher. Dans le jardin il y avait de nombreuses tentes et auvents de toile rouge, et des soies de différentes couleurs , brodées de différentes manières ou bien plates. Au centre du jardin se trouvait une très belle maison, en forme de croix, et très richement ornée de décorations. Au milieu de celle-ci, il y avait trois chambres, avec divans et tapis, et les murs étaient couverts de tuiles vernissées. Face à l’entrée, dans la plus grande des chambres, il y avait une table en argent doré, haute comme un homme, au sommet d’un large trepied se trouvait un lit de draps de soie, brodés d’or, l’un au dessus de l’autre, et c’est là que le Seigneur était assis. Les murs étaient tapissés de Roses, de draps de soie colorées, ornés de plaques d’argent doré, sertis d’émeraudes, de perles et autres pierres précieuses, aménagées avec goût. Sur ces ornements, il y avait des morceaux de soie en Palme, d’où pendaient des dattes de différentes couleurs, et le vent les déplaçait en va et vient, dont l’effet était très joli. Avant la grande arche, qui formait l’entrée de la chambre, il y avait des ornements du même genre, et des draps de soie sur des lance, et maintenu par des cordons de soie, avec de grands noeuds, qui retombaient au sol. Les autres chambres étaient meublées de la même manière, et aux étages, il y avait des tapis et des nattes de paille.

Au centre de la maison, en face de la porte, il y avait deux tables d’or, chacun debout sur ses quatre pattes, et la table et les jambes tout en un. Ils étaient tous les cinq PalmOS longtemps, et trois de large et sept fioles d’or était sur eux, dont deux ont été fixées avec de grosses perles, d’émeraudes et de turquoises, et chacun avait un rubis à proximité de la bouche. Il y avait aussi six tasses ronde et dorée, dont l’un a été fixé avec des perles rondes grand clair, à l’intérieur, et dans le centre de celui-ci il y avait un rubis, deux doigts de large, et d’une couleur brillante.

Les ambassadeurs furent invités à cette fête par le Seigneur, mais ils devaient attendre leur interprète, et quand ils arrivèrent, le Seigneur avait dîné. Le Seigneur déclara que la prochaine fois, ils devraient venir directement, sans attendre l’interprète, mais que cette fois il ne leur pardonnerait jamais. Il avait fait de cette fête pour eux, qu’ils puissent voir la maison, et le peuple. Le Seigneur était dans une grande colère envers les Mirza, parce que les ambassadeurs n’étaient pas venus à temps pour la fête, et parce que l’interprète n’était pas avec eux. Il fit venir l’interprète, et dit:

“[…]Pourquoi tu n’étais pas avec les ambassadeurs Francs ? J’ordonne qu’un trou soit percé à travers ton nez, et qu’on y passe une corde, et que tu sois trainé par l’armée, comme punition. ” Il avait à peine fini de parler, que ses hommes attrapèrent l’interprète par le nez, pour y creuser un trou, et le chevalier, qui a assisté sur les ambassadeurs, par ordonnance du seigneur, a demandé à la miséricorde, et il a été gracié, échappant à l’infliction de sa peine.

Le Seigneur envoya dire aux ambassadeurs, à leur domicile, que, comme ils n’avaient pas été de la fête, elle devrait venir en partie à eux, et il leur envoya 5 moutons, et 2 grandes jarres de vin. Lors de cette fête, de nombreuses personnes étaient réunis, dames comme grands seigneurs, et beaucoup d’autres, mais comme les ambassadeurs n’avaient pas vu cette maison et le jardin, ni les chambres en elle, ils ont parlé à quelques-unes des personnes qui les avait vus.

Le lundi le 22 Septembre, le Seigneur se rendit à une autre maison et le jardin, qui était entouré d’un haut mur, et à chaque coin, une haute tour ronde. Dans le milieu, il y avait une maison en forme de croix, avec un grand étang de front, et cette maison était plus grande que celles de n’importe quel des jardins dont ils n’avaient pas encore vu, et le travail de l’or et le bleu est la plus riche. Ces maisons et les jardins étaient hors de la ville, et cette maison est ouverte Bagino.

Le Seigneur ordonna une grande fête et il invita les ambassadeurs à lui, et beaucoup de gens s’y assemblèrent. En cette fête, le Seigneur donna l’ordre de boire le vin car le peuple n’est pas autorisé à boire en public, ou en secret, sans sa permission.

Le vin est servi après dîner, et on le sert en telles quantités, et si souvent, qu’il rend les hommes ivres, et ils ne considèrent pas qu’il y ait plaisir ou fête sans ivresse.

Les serviteurs de vin, lorsqu’une coupe est vide, en donnent une autre, et ces hommes n’ont d’autre devoir, que de verser une autre tasse, dès que la premier est terminée. Dès qu’un de ces préposés est fatigué de remplir les coupes, un autre prend sa place […]et ceux qui n’ont pas désir de boire du vin, il leur est affirmé qu’ils insultent le Seigneur, à la demande duquel ils boivent. […] Ils boivent à la même coupe, une fois ou deux, et si ces derniers sont appelés à boire par amour du Seigneur, […] ils doivent en boire tous d’un seul coup, sans en laisser une goutte.

L’homme qui boit le plus de vin est proclamé Bahadur, c’est à dire «homme valeureux », et celui qui ne boit pas doit le faire, même s’il ne le souhaite pas.

Il leur envoya un de ses Mirza, avec une hjarre de vin, et un message leur demandant de le boire avant son arrivée, afin que celle-ci se fasse dans une humeur joviale. […]  Après manger, un des Mirza du Seigneur vint avec un bassin d’argent, empli de pièces d’argent, appelé Tenga, et ils les jetèrent sur les ambassadeurs, et sur le reste des invités, et cela fait, ils mirent ce qui restait dans les plis de leurs vêtements.