Niẓām al-Mulk al-Ṭūsī, Le livre du gouvernement (Siyāsat Nāma), Ch. 41, trad. Charles Scheffer (1893) révisée, p. 200-204.
Si, aujourd’hui, en écrivant au plus mince personnage, on lui donne moins de dix laqab laudatifs, il s’irritera et témoignera du mécontentement.
Les Sāmānides, qui furent souverains (Pādishāh) tant d’années, ne portaient chacun qu’un laqab. Nūḥ avait celui de Shahinshah ; son père était appelé l’Amīr Sadīd (juste) ; son grand père, Amīr Ḥamīd (louable), et Ismaʿīl b. Aḥmad [son arrière grand-père], l’Amīr ʿĀdil (équitable). Le laqab des cadis, des imams et des savants (ʿulāmā-s) étaient Majd (gloire de) al-Dīn, Sharaf (la noblesse de) al-Islām, Sayf (l’épée de) al-Sunna (l’épée de la loi religieuse), Zayn (ornement de) de la Sharīʿa, Fakhr (réjouissance des) al-ʿUlāmā, et autres titres semblables, parce qu’ils se rapportent tous à la religion. Le prince doit punir, et ne pas autoriser à les porter, les gens qui se les attribuent sans appartenir à la classe des interprètes de la Sharīʿa. On caractérisait de même les titres des chefs d’armée et des détenteurs d’iqṭāʿ, par le mot al-Dawla. Ainsi, ceux-ci sont qualifiés de Sayf al-Dawla, Ḥusām (glaive de) al-Dawla, Ẓāhir (assistant de) al-Dawla, et d’autres dénominations semblables. Le laqab des gouverneurs et des administrateurs était mulk. Sharaf al-Mulk, ʿAmīd (support de) al-Mulk, Niẓām al-Mulk, Kamāl (perfecteur de) al-Mulk. Ces règles tombèrent en désuétude après le règne du sulṭān Saʿīd Alp Arslān, Dieu lui fasse miséricorde. La distinction établie entre les différents laqab disparut ; la confusion fut extrême, et, comme les moindres personnages sollicitaient des laqab et qu’ils leur étaient accordés, les laqab tombèrent dans l’avilissement.
Les Bouyides qui, en Irak, n’avaient personne de supérieur à eux en puissance, portaient les laqab de ʿAḍud al-Dawla, Rukn (pilier de) al-Dawla. Leurs vizirs portaient le laqab de Ustaḏ Jalīl (enseignant illustre), Ustāḏ Khaṭīr (enseignant élevé) […] et le vizir du sulṭān Maḥmūd de Ghazna avait reçu celui de Shams al-Kafāʾ (soleil des capables). Autrefois, les mots dūnyā (monde) et dīn ne figuraient pas dans les laqab des rois (malik). Le Commandeur des Croyants, al-Muqtadī (r. 1075-1094), octroya parmi les laqab honorifiques au sulṭān Malik-Shāh, que Dieu lui fasse miséricorde, celui de Muʿizz (fortificateur de) al-Dunya wa al-Dīn. […] et cette distinction et cet usage furent étendus aux laqab des fils de rois (malik). Ils leur conviennent, car la prospérité de la religion (dīn) et du monde (dunyā) est intimement liée à leur propre prospérité, et la splendeur du royaume (mulk) et de la dawla est attachée à la durée de la vie du souverain (Pādishāh).
Il se passe une chose étrange : un Turc ou un ghulām qui n’ont aucune bonne conduite (madhhab) et suscitent mille troubles et désordres contre la religion (dīn) et le royaume (mulk), reçoivent les laqab de Muʿʿin (assistant de) al-Dīn et de Tāj (couronne de) al-Dīn. […] Nous venons de dire plus haut que les mots de dīn, islām, dawla peuvent entrer dans les laqab de quatre catégories de personnes : d’abord, dans ceux des souverains (pādishāh), puis, dans ceux des vizirs, des docteurs (ʿulāmā), enfin, en quatrième lieu, dans celui d’un amīr constamment occupé à combattre pour la victoire de l’islam. Il faudra infliger une punition, qui servira d’exemple, à tous ceux qui, en dehors de ces personnages, introduiront dans leurs laqab les mots dīn et islām.
Le but des laqab est de faire reconnaître la personne qui le porte. Ainsi, dans une réunion d’une centaine de personnes, il y en aura au moins dix qui porteront le nom de Mohammed. Si quelqu’un appelle : « Ô Mohammed », les dix personnes ainsi nommées répondront à haute voix : « Oui ? » car chacune s’imaginera que c’est à elle que l’on s’adresse. […] Lorsqu’on les appellera par leurs laqab, elles sauront tout de suite que c’est à elles que l’on s’adresse. En dehors du vizir, du de l’officier de la signature (tughrā), du financier et du chargé des requêtes du sultan, des gouverneurs de Bagdad et du Khorassan, personne ne doit employer un laqab avec al-mulk dans le titre dont il est décoré. On devra désigner (les autres fonctionnaires) sous les dénominations de Khōja, Rashīd, Mukhtaṣ, Sadīd, Najīb, Ustāḏ Amīn et Ustāḏ Khaṭīr et Tekīn et autres semblables, afin d’établir une distinction entre le rang et la dignité qui séparent le maître du serviteur, l’inférieur du supérieur, la notabilité (khāṣ) du populaire (ʿām). Le prestige du dīwān sera ainsi sauvegardé.