Procope de Césarée, I.20.1-5, Diplomatie entre Justinien, le Negus et Abraham de Himyar, récit des relations Yemen-Ethiopie, v. 575 n-è

Pendant cette guerre Ellistée roi des Éthiopiens, qui avait mis grand zèle pour la religion

chrétienne, dont il faisait profession, ayant appris que les Humêr/Himyar habitants du continent qui est vis-à-vis de de son royaume, et qui étaient presque tous, ou Juifs, ou païens, c’est à dire, dans les erreurs, et les superstitions des Grecs, accablaient d’impôts les chrétiens qui vivaient parmi eux, équipa une flotte, y mena une armée, leur livra bataille, les défit, tua leur Roi, et en établit un autre en sa place, nommé Esimiphée, qui était Humêrî de nation, et Chrétien de religion, à condition qu’il lui paierait un certain tribut par an.

Il s’en retourna ensuite dans son royaume, où il ne fut pas suivi par les goujats, et par tout ce qu’il avait de gens accoutumés au brigandage, parce qu’ils aimèrent mieux demeurer dans le pays des Omérites, qui est excellent.

Les peuples se soulevèrent peu de temps après contre Esimiphée, l’enfermèrent dans une étroite prison, et créèrent en sa place un autre roi nommé Abraham, qui faisait aussi profession de la religion chrétienne. Celui-ci était esclave d’un Romain, qui s’était établi à Adulis ville d’Éthiopie, où il trafiquait par mer.

Aussitôt qu’Ellistée eut appris cette nouvelle il leva une armée de 3000 hommes, qu’il envoya sous la conduite d’un de ses parents pour châtier l’injustice que ces rebelles avaient faite à Esimiphée.

Mais les soldats charmés par la fertilité de la terre des Homêr, perdirent l’envie de retourner en leur pays, et ayant conféré secrètement avec Abraham, tuèrent leur commandant pendant le combat, et prirent parti dans les troupes des ennemis. Ellistée irrité d’une telle perfidie dépêcha contre eux une nouvelle armée, qui étant venue aux mains fut défaite, et obligée de se retirer.

Le roi des Éthiopiens n’osa plus depuis faire la guerre à Abraham, qui après sa mort s’assura la possession paisible de du royaume par un traité qu’il fit avec son successeur, auquel il s’obligea de payer un tribut. Mais ce traité ne fut passé que longtemps après.

Pendant qu’Ellistée possédait le royaume des Éthiopiens, et Esimiphée celui des Humêr, Justinien leur envoya un ambassadeur nommé Julien pour les prier de résister contre les Perses, en considération de la religion chrétienne, dont ils faisaient profession. Il proposa aussi aux Éthiopiens d’acheter la soie des Indiens, et de la vendre aux Romains, les assurant qu’ils acquérraient de grandes richesses dans ce commerce, duquel les Romains ne tireraient point d’autre avantage, que de n’être plus obligés de donner de l’argent à leurs ennemis.

Il exhorta encore les Humêr à accorder à Qays qui était fugitif, la charge de phylarque des Ma‘ad, et à faire irruption dans la Perse avec une armée qui fut composée tant de Ma‘ad que de soldats de leur nation.

Qays était né de parents qui avaient autrefois possédé la charge de phylarque, mais parce qu’il avait tué un des proches d’Esimiphée, il avait été obligé de chercher sa sûreté dans la solitude.

Ces deux princes agréèrent les propositions de Justinien, et promirent de faire ce qu’il désirait, mais ni l’un ni l’autre ne lui tint parole. Il était impossible que les Éthiopiens achetassent la soie des Indiens, parce que les marchands de la Perse se trouvaient dans tous les ports, et enlevaient les marchandises.

Pour ce qui est des Humêr, il leur semblait que c’était une entreprise fort périlleuse de traverser un pays d’une vaste étendue, et destitué d’habitants, pour aller combattre une nation fort belliqueuse.

Abraham promit souvent à Justinien de faire irruption dans la Perse, mais il ne se mit qu’une seule fois en chemin, et s’en retourna fort promptement. Voilà le succès qu’eurent ces ambassades faites vers les Éthiopiens et les Humêr.