Strabon, Cappadoce, v. 15 n-è

[…] On peut dire pourtant que le nom de Cappadociens appartient surtout aux peuples parlant un seul et même idiome qui sont compris entre les limites suivantes : au S le Taurus cilicien ; à l’E l’Arménie, la Colchide, et, outre ces deux contrées, le groupe intermédiaire de peuples qui parlent une langue différente du cappadocien ; au N l’Euxin jusqu’à l’embouchure de l’Halys ; à l’W enfin la Paphlagonie et la partie de la Phrygie occupée par les Galates[…]

La Cappadoce figure proprement l’isthme d’une grande presqu’île, isthme resserré, étranglé pour mieux dire, entre deux mers, à savoir la partie de la Mer qui forme le golfe d’Issus et se prolonge jusqu’à la Cilicie Trachée et la partie du Pont-Euxin qui s’étend de Sinope à la côte des Tibaréni. La presqu’île embrasse toute la région située à l’W. de la Cappadoce, laquelle n’est autre que la région en dedans de l’Halys d’Hérodote, puisqu’elle appartenait en entier au roi Crésus et qu’Hérodote appelle ce prince le tyran des nations sises en dedans de l’Halys. […]On sait que les Perses avaient divisé la Cappadoce en deux satrapies ; devenus maîtres à leur tour de cette contrée, les Macédoniens permirent bon gré mal gré qu’elle érigeât chacune de ses satrapies en royaume. La première forma le royaume proprement appelé de Cappadoce ou de Cappadoce taurique, voire même quelquefois de Grande Cappadoce, et l’autre le royaume de Pont[…] un récent décret de César et du Sénat intervenu après la mort du roi Archélaüs ayant rangé ce royaume au nombre des provinces romaines. Mais sous Archélaüs et sous les rois ses prédécesseurs, il avait été partagé en dix stratégies ou préfectures, dont cinq dans le voisinage immédiat du Taurus appelées la Mélitène, la Cataonie, la Cilicie, la Tyanitis et la Garsauritis, et cinq autres appelées la Laviansène, la Sargarausène, la Saravène, la Chamanène et la Morimène. […]

 

Rien de moins favorable, du reste, pour l’établissement d’une capitale que le site de Mazaca, en effet, la ville manque d’eau, […] Ajoutons que les environs de la ville sont d’une extrême aridité et qu’avec une surface plane et unie ils ne sont cependant susceptibles d’aucune culture, le sol n’étant là à proprement parler que du sable sur un fond pierreux, sans compter qu’un peu plus loin la plaine paraît minée par un feu intérieur à en juger par les puits de feu qu’on rencontre à chaque pas sur un espace de plusieurs stades. […] Comme la Cappadoce, en effet, manque de bois presque partout, tandis que les flancs du mont Argée sont couverts de belles forêts de chênes, il semble au premier abord que les habitants de Mazaca ont du moins toute facilité pour se procurer du bois dans leur voisinage ; il n’en est rien pourtant, car au pied de ces forêts de chênes le sol est généralement miné par le feu en même temps que détrempé par des nappes d’eau souterraines, sans pourtant laisser jaillir ni eau ni feu au dehors et sans montrer à sa surface (si ce n’est en quelques endroits où il est très marécageux et où il dégage des vapeurs sujettes à s’enflammer la nuit), sans montrer, dis je, autre chose que de verdoyantes prairies ; et il s’ensuit que, si certaines personnes ayant une connaissance parfaite des localités réussissent en prenant bien leurs précautions à aller pour leur usage personnel couper les bois de l’Argée, il y aurait en revanche pour le plus grand nombre du danger à le faire, les bêtes de somme surtout courant grand risque de tomber dans ces puits de feu dont rien n’annonce la présence. […] C’est ainsi encore qu’il existe dans la plaine en avant de Mazaca et à une distance de la ville qui n’excède pas 40 stades un cours d’eau important, le Mêlas ; malheureusement le lieu où cette rivière prend sa source se trouve être plus bas que la ville même et il en résulte que ses eaux, faute de partir d’un point un peu plus élevé, ne peuvent être utilisées par les habitants. Il y a plus, comme le Mêlas est sujet à déborder et qn’il forme alors sur ses rives des marais et autres flaques d’eau, il vicie l’air pendant l’été aux environs de la ville, et gêne d’autre part l’exploitation d’une carrière voisine qui ne laisse pas, malgré cela, de rendre aux Mazacéniens les plus grands services, vu que la pierre s’y présente sous forme de larges dalles qui sont autant de matériaux tout prêts pour la construction de leurs maisons ; seulement une fois cachées sous les eaux, ces lourdes dalles opposent une grande résistance à l’extraction. Enfin, de ces marais que forme le Mêlas se dégagent partout des flammes. […]

D’autre part, si malgré ses nombreux inconvénients les rois de Cappadoce ont préféré Mazaca comme capitale, c’est qu’ils n’eussent pu, ce semble, trouver dans toute la Cappadoce une seconde localité située comme celle-là au centre des cantons pouvant seuls leur fournir du bois, de la pierre à bâtir, et, ce dont ils avaient le plus besoin, du fourrage pour nourrir leurs troupeaux : la ville n’était en effet pour eux qu’un camp, si l’on peut dire, et, en cas de danger pour leur sûreté personnelle et pour la sûreté de leurs trésors, ils s’étaient ménagé de plus sûrs abris dans ces châteaux forts si nombreux en Cappadoce et qui tous appartenaient à eux ou à leurs amis. […] Ce sont les lois de Charondas qui sont en vigueur à Mazaca et l’interprétation en est confiée à un nomode, dont l’office équivaut à celui des jurisconsultes à Rome. […]

[…] Bien qu’étant plus méridionale que le Pont, la Cappadoce a un climat plus froid. Cela est si vrai que dans le canton de Bagadania qui est la plaine la plus méridionale de toute la Cappadoce, située au pied du Taurus, c’est à peine si l’on rencontre un seul arbre fruitier. Ajoutons que ce canton, comme presque toute la Cappadoce du reste[…] nourrit un très grand nombre d’onagres. […]