IV : L’Afrique Romaine

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Sous Tibère, Ptolémée fils de Iuba devient nominalement le roi de toute la Maurétanie, il fait ensevelir son père dans l’arrière-pays de Césarée, près de la petite cité de Tipaza, et il est évident que le centre de gravité de ce royaume factice est avant-tout l’Algérois.

A : Les Cités Maurétaniennes à l’aube du Principat

Strabon nous apprend que la Maurusie historique, la plaine du Maroc du Nord, autrefois très prospère ne fournit plus qu’un mince tribut à la monarchie contrairement à l’Algérie.

Rappelons que Tanger jouit du droit romain, à la différence de Césarée, Zilia, Babba et Banasa suivent le mouvement. La cité portuaire de Sala, la cité capitale de Volubilis et la cité mauro-phénicienne de Lixos étant quasiment indépendante, sans doute dirigés selon leur propre codes municipaux d’inspiration carthaginoise.

Même chose en Oranie, les cités locales sont pérégrines, seul le port d’Arzew a été latinisé en raison de la présence de commerçants et de colons italiens.

Cependant, les cités intérieures de l’Algérois et de la côte sétifienne ont été déduites colonies, dans le prolongement de la latinisation de l’Africa Nova.

Dans l’arrière pays Sétifien, comme dans l’arrière pays maurusien, les cités sont pérégrines, sans doute fédérées, peuplées des premiers groupes Gétules installés lors des guerres de Jugurtha, comme Gafsa en Africa Nova.

B : Recomposition Tribale à l’Aube du Principat

A leurs côtés, dans les montagnes, habitent d’autres peuples dont certains sont assimilés aux Gétules, comme les Macurèb-, fraction des Baniures à en croire Ptolémée qui essaime des sous-groupes à l’époque (Machur-, Maccur-, Machureb-, Marchub-, Malchub-).

Leurs voisins du côté tunisien sont les Nabad-, sans doute assez proche des Natabud- mentionnés plus tard par Ptolémée.

Il reste une partie du peuple Massul- et un sous-groupe appelé par Ptolémée Misul- dans la région de Tebessa.

Les Masaesul- se sont aussi perpétués dans l’Oranie intérieure, voisinant avec les Tolot- sans doute cousin des Taladus-, peut être des déformation, des fractions du peuple Gétule-Autolole.

En Maurétanie Occidentale, on apprend que ces derniers et leurs cousins Baniures ont pris le contrôle de la Meseta Atlantique et semblent avoir transformé, comme les Gétules en Numidie, l’organisation ethnique du pays.

Des Mazic- se sont implantés dans la plaine de Lixos (une fraction de la tribu réside aussi dans l’Algérois Oriental), les Uerb-Uerbic- dans la vallée du Sebou, les Socos- fédèrent le pays Rifain et contrôlent le port de Rûs Adir (Melilla) tandis que l’antique groupe Métagonit- est repoussé sur la cité de Thamuda (Tétouan), qui va bientôt disparaître, remplacée par celle de Septem Fratrem (Sebta), appelée Abila.

A en croire Pline, les romains ne sont pas pour rien dans les modifications ethniques et tribales des différentes régions, mais il est le premier témoin d’une destruction de l’ancien peuple Maure par ces Autololes et ces Baniures, qui ont sans doute participé à la guerre d’Aedemon du côté romain.

C : La conquête Claudienne et la découverte de l’Atlas

En effet, en l’an 40, Caius « Caligula » décide d’éliminer son vassal, sous le prétexte de son port de la toge pourpre, symbole du principat. Son client, « affranchi » Aedemon décide de mener une guerre de vengeance et fédère certains groupes maurétaniens.

Nous savons de cette guerre seulement que la cité de Volubilis, menée par son Suffète (magistrature punique)  et Duumvir (magistrature romaine) Valerius fils de Bostar apporte à Rome une armée d’auxiliaires et recevra en l’an 44, après la victoire de Claude, le droit de cité pour la ville de Volubilis, devenue Municipe allié, comme Tanger avant elle. Cette dernière cependant, comme Lixus ou Césarée, autres grandes capitales indigènes de « Maurétanie » sont alors transformées en colonie de peuplement italien (de droit romain). Peut être ces trois grandes cités avaient-elles décidé de rester fidèles à Ptolémée.

A cette occasion, les armées romaines, poursuivant les rebelles maures descendent dans la Meseta et l’un de ses généraux franchit même l’Atlas, au rapport de Pline :

Et il est certain qu’à la poursuite des barbares qui s’enfuyaient on arriva jusqu’à l’Atlas. Non seulement des personnages consulaires et des généraux pris dans le sénat, qui furent alors chargés des commandements, mais encore des chevaliers romains qui ensuite gouvernèrent dans ce pays, ont eu la réputation d’être arrivés jusqu’à cette montagne.

[…]

Suetonius Paulinus rapporte qu’il arriva à l’Atlas en 10 journées de marche, et qu’au delà, jusqu’à un fleuve qui porterait le nom de Ger, on traverse des déserts couverts d’un sable noir, au milieu duquel s’élèvent, d’intervalle en intervalle, des rochers comme brûlés; que ces lieux sont inhabitables à cause de la chaleur, même en hiver, et qu’il l’a éprouvé; que ceux qui habitent les forêts voisines, remplies d’éléphants, de bêtes féroces et de serpents de toute espèce, s’appellent Canariens, attendu qu’ils vivent comme des chiens, et qu’ils partagent avec ces animaux les entrailles des bêtes fauves.

On n’a pas ici de détails ethnographiques sur la région, à part le pays du fleuve Guir, qui n’a pas non plus changé de nom, et la présence de nomades très sauvages.

D : Les Tribus « Maures » aux marges de Rome

Ailleurs, les Gétules-Autololes sont attesté dans le pays de Ris Ardir, le nouveau nom de Cernè, les îles purpuraires de l’actuelle Mogador, tandis que le sous-groupe Baniure local s’est installé approximativement dans le pays de l’Umm Er-Rbiya.

Ils voisinent les Autololes Uesun-, qui colonisent les Ethiopiens, avec les Gétules Dariens (ancêtres des berbères blancs de la plaine du Dades et du Todgha) qui s’installent donc en dominants dans les hauts du bassin du fleuve Darat, dont la partie inférieures (Zagora) est encore peuplée « d’Ethiopiens Daratites », voisins des « Ethiopiens Perorses » dans l’Anti-Atlas. Le mouvement racial va alors se stabiliser pour plus d’un millénaire.

Un reliquat des anciens peuples du Dyris (ou Durdus) c’est-à-dire de l’Atlas, les Pharusiens semblent encore présents à côté des Gétules, ils pourraient avoir engendré le peuple du Sous (Cosenus) et du Masat(at) ou vivent respectivement les Scelat- et les Masat-.

Dans la Meseta, les nomades Baniures et Autololes ont engendré la fraction des Uakuat-Bakuat, (dont le sens parait être aussi : « troglodytes ») qui habitent peut être dans le plateau des Phosphates, plus au nord, dans le pays Zayan et la plaine de Meknes, les Zegrens-, dont le sens parait être les « bouviers » ou « les gens des plaines » qui terrorisent les Maurétaniens sédentaires de l’orbite romain.

Sur le limes, les Kaun- des forêts de Sala, les Nektiber- dans le pays de Meknès et les Iengauken- dans le pré-rif oriental.

E : Géographie Romaine

Deux autres cités maures indigènes sont attestées chez Pomponius et Ptolémée, sur deux siècles d’intervalles, Gilda ou Silda (au sud du Gharb) et Prisciana ou Pisciana, quelque part dans le Rif, apparemment côté méditerranéen du Mt Diur (Jbel Tidghine)

L’armée claudienne établit des postes au sud de Sala, au sud de Volubilis (Tolocosida), et de cent « millia » en cent « millia » sur la route de l’Oranie.

Ptolémée note d’autres sites, pour des latitudes plus basses, en plein pays indépendant, qu’on appelle de plus en plus Macennitide (Dion Cassius), en référence au puissant peuple des Macenit- qui tend à recouvrir le monde berberophone de l’Atlas et du Tensift.

Il fait figurer des cités et des camps, du nord au sud : Trisidis dans le M-Atlas, Molochath, sans doute le guès de la Moulouya, Benta en amont dans el M-Atlas, Galapha sur la frontière Césarienne, Oecath, peut être l’oppidum des B/Vacuat- dans la Meseta, Dorath, peut être une bourgade liée au Haut-Atlas ou encore une attestation d’une cité Ethiopienne du Darat, Campus Rufus, le point extrême des raids romains, Boccana, peut être, à la consonnance, une antique fondation d’un roi Maurusien.

Sur la côte, on appelle le cap de Safi, le promontoire d’Hercule, celui de l’Atlas, l’Ussadium, Safi ou Souira Qdima est appelé Tamusiga, Mogador, Suriga et, dans la plaine du Sous, un port de Vala.

Baquates, Zegrenses et Macenites, certes repoussés hors de l’Imperium Romanum, joueront un rôle important durant les siècles du Haut-Empire.

F : Diplomatie Tribale

Ces tribus entrent véritablement dans l’histoire avec un raid contre la cité de Cartenna, l’actuelle Tenès, sur la côte, sous l’empereur Hadrien, au début du IIème siècle. Immédiatement, la dynastie antonine tente de se les concilier. En 144, le « Praeses » de la Province de Tingitane est remercié par le Sénat de Sala pour les avoir « libéré des razzia auxquelles nous nous étions habituées », il s’est en outre occupé de les ravitailler durant les disettes.. Au même moment, il semble bien que Sala soit le port de la bourgeoisie agro-industrielle de Volubilis, puisque Salenses et Volubilitains signent une même dédicace sur le forum de Sala.

C’est à cette époque qu’apparaissent les fameux autels de la paix, dédiés à la signature de contrats de « foedus », régulièrement répudiés par les « barbares ».

Vers 173, Marc Aurèle confère officiellement avec un certain « Ucmet- Prince des Baquates et des Macennites », apparemment les deux puissantes tribus du Maroc Central se sont alliées pour piller la Tingitane. Quelques années auparavant, à Banasa, on apprend que les Zegrenses de la plaine du Sais ont rendu d’immense services durant ce péril, et un des chefs de clan de la tribu, du nom de Julien, obtient du Prince de Rome lui-même le droit de cité romain, conjointement à son épouse Ziddina, et ses enfants Julien, Maxime, Maximin et Diogenien. Et il est précisé que cet honneur est exceptionnel dans le cadre de tribus non romanisées.

Les maures romanisés pénètrent alors la hiérarchie romaine, on a notamment pour le milieu de ce siècle, la dédicace d’un décurion du sénat de Volubilis, inscrit dans l’Album de l’ordre équestre, ce qui peut dès lors lui permettre de gravir les échelons du Cursus Honorum, et peut être un jour, de siéger au Sénat Romain.

Le procurateur de Commode célèbrera aussi une convention avec Canarta, prince des Baquates.

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