6 : La dérive inquisitoriale (1 : les causes)

Au Moyen-Âge central (XI°-XIII° s.), le monde entier connaît une même montée progressive d’intolérance. Si le phénomène est global, le monde franc diffère sensiblement du reste de l’univers islamo-chrétien…

Au XIème siècle, les mondes « roman » et judéo-islamo-chrétien, connaissent une violente remise en question identitaire, qui découle d’une multiplicité de facteurs, parmi ceux-ci :

-les dernière grandes invasions : scandinaves, magyars, pechenegues, franco-normands, turkmens, hillaliens, sanhajas … qui confrontent une « civilisation » à une vague de « barbarie »…

-la conversion rapide et parallèle des sahéliens et des Turks à l’Islam, des Slaves Orientaux au Christianisme byzantin, et des Slaves Occidentaux, Hongrois et Scandinaves au Christianisme grégorien.

-le schisme orient-occident de 1054 qui essentialise le monde franc et le constitue, à ses yeux, comme seul véritable monde chrétien. En parallèle, le chiisme domine le Moyen-Orient, avec les Buyides et les Fatimides, et le non-chiisme s’étend aux peuples nouvellement islamisés ou aux nouveaux envahisseurs… ces deux faits sont générateurs d’une quête d’orthodoxie politique…

-dans les communautés juives, la conversion a cessé depuis l’islamisation/christianisation du monde non romain. Le qaraisme, version non Mishnaique du judaïsme, ultra-dominant en dehors de la Babylonie et de l’Espagne jusqu’au X-XIème siècle, commence à céder la place au judaïsme talmudique, hiérarchisé, dogmatique et traditionaliste. Ce rabbanisme, concentré sur les communautés urbaines, revendique l’ethnicisation de son fait religieux (pourtant héritée de l’image des islamo-chrétiens majoritaires). En quelques siècles, le qaraisme va pratiquement disparaître. L’évènement symbolique de cette mutation serait sans doute la venue de Maïmonide au Caire.

-l’instabilité générale, conséquence des invasions, des schismes et de la réorganisation politique des sous-ensemble civilisationnels caractérise aussi bien la guerre civile féodale ouest-européenne, héritière de l’empire franc, que les affrontements tribaux et dynastiques incessants au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Asie Centrale.

L’orthodoxie (au sens propre) devient donc la panacée pour une pacification du monde.

L’élite intellectuelle islamique comme ecclésiastique prend conscience de l’unité nécessaire de la “chrétienté” comme de l'”Islam”, en dépassant le cadre étroit des éphémères et instables formations politiques. L’idéologie Seljukide en orient, puis l’Ayyubisme, le mouvement Almoravide, puis Almohade en occident musulman, la réforme grégorienne et la paix de Dieu en occident latin en sont quelques exemples.

Face à ce nouvel ordre idéologique, la minorité est un danger en puissance. Peu à peu, le sunnisme devient la seule et unique religion islamique acceptable, chiites et kharijites sont repoussés, dissous, convertis, parfois militairement détruits ; dans le monde « roman », l’adversaire est de plus en plus clairement désigné comme le non-chrétien, mais surtout, le non-orthodoxe.