5 : L’anti-islamisme chrétien, l’anti-christianisme judéo-islamique

Si le judaïsme s’est en partie développé dans la sanctification de la Loi et la dénonciation de Jésus (renversant la démarche chrétienne et son rapport aux juifs), le christianisme va poursuivre son identification dans la sanctification de l’Evangile et la dénonciation de Muhammad…

Le prophète mekkois est alors souvent décrit comme un pervers sexuel, ce qui permet d’expliquer l’attitude libérale de l’Islam à l’égard des relations matrimoniales (mariage, divorce, polygamie). Ses révélations sont décrites comme les hallucinations d’un épileptique. L’expansionnisme médinois est défini comme le reflet de la violence d’un pseudo-prophète obsédé par les richesses du monde, à l’inverse de l’idéal anachorète du monachisme.

Puisque les arabes sont polythéistes (hanp-ê en syriaque), ils doivent donc être idolâtres. Au XIème siècle, l’occident latin se constitue comme seul et unique refuge chrétien. Lorsque les Francs partent à la conquête du monde méditerranéen, (Italie, Sicile, Espagne, Syrie-Palestine, Egée…) et que Rome fédère les églises de la péninsule européenne ; on commence à prétendre à un culte d’idoles de Mahomet.

A l’inverse, juifs et musulmans, en Afrique du Nord et encore plus au Levant (ou les sectes chrétiennes sont importantes), connaissent précisémment ce culte chrétien, et analysent, en premier lieu, avec justesse, son penchant idolâtre : l’iconodoulie et le culte des saints.

Il y a ainsi une association théologique de principe entre un Avicenne (Ibn Sinna) et un Maimonide (Ibn Maymûn) : les catholiques romains sont des barbares, car ils vénèrent des statues de bois et de pierre, des idoles païennes. Cette unité intellectuelle, rhétorique, et théo-logique ne cessera jamais.

La civilisation islamique étant fondée sur une élite intellectuelle et capitaliste, et non guerrière, implique une dimension internationale très forte, qui dépasse les clivages identitaires raciaux, qui définissent par contre l’ethnie barbare. En effet, dans la logique politique romaine dont hérite la civilisation islamique, l’Imperium, le Dâr, est un espace multiracial, multiconfessionnel, polyglotte ; tandis que les barbares sont des « Gentes », des groupes ethniques restreints.

A l’inverse, l’occident latin constitue, avant même sa propre prise de conscience au IXème siècle, une sorte de microcosme linguistique (deux langues : le roman et l’allemand) et donc ethnocentré par nature. Le phénomène des “croisades” le démontre assez parfaitement : la contingence ethnique fut, au début, très forte dans les colonies franques du Levant (provençaux-toulousains à Tripoli, italo-normands à Antioche et francs-lotharingiens à Jerusalem).

L’identité guerrière de l’élite catholique romaine (la chevalerie) constitue également le fermant le contrôle des masses par une petite oligarchie, qui va favoriser l’éclosion des Etats Nations. De plus, la logique de caste étanches entre soldats-citoyens et paysans-serfs, conscients de leur infériorité produisit, à terme, une stabilité sociale qui permit, à l’âge moderne, l’expansion politique et industrielle de l’Occident.

Dans cet univers ethniquement homogène et socialement casté, il n’y a pas de place pour les non-catholiques romains.

Un dernier aspect structure les relations entre monde latin et monde judéo-islamique :

Le judaïsme consiste avant tout en un code juridique complet, axé sur les commandements mosaïques, destiné aux cité-états israelites de l’âge du fer, auxquels s’ajoute la Mishna, la Torah Oral, qui définit l’identité judéenne de l’époque héllénistique et romaine face aux « étrangers », les Goyim/Gentils…

Si le Coran, à de rares exceptions, n’est pas un texte juridique (contrairement aux IV derniers livres du Pentateuque), l’Islam consiste avant tout, et ce depuis l’installation à Yathrib en une construction juridique et politique en quête de justice et de cohérence. Ainsi, à l’instar du judaïsme, il dérive de la constitution politique médinoise, puis de la construction d’une Sunna arabe, médinoise et prophétique durant le premier siècle de l’hégire…

Le christianisme, de son côté, hérite du rejet christique du monde, de l’attente eschatologique et messianique ; mais aussi de l’extension, très précoce, de l’évangélisation aux « étrangers », et donc de « dés-hébraïser » et « dé-judaïser » le culte divin. Il s’agissait de faire du monothéisme messianique l’unique objet identitaire du « peuple de Dieu ».

Cette absence d’identité politique et juridique, conduit le christianisme à épouser la jurisprudence romaine comme cadre législatif. Le droit canon hérite en effet aussi bien de l’ordre théologique communautaire (les pères de l’église), et des codes théodosien et justinien.

L’absence d’essence constitutionnelle, de principe de droit fixe, (ce qui est intrinséquement constitutifs du sens socio-politique de “Religion”) caractérise le christianisme face au monde judéo-islamique.

Le flou juridique du monde chrétien d’orient conduit rapidement à s’affranchir de principes de droit fondamentaux. Entres autres destructions : l’égalitarisme et le personnalisme du droit romain, et les droits personnels des femmes .

Dans le monde catholique romain, l’église accueille tout simplement le système de caste militaire/serf et favorise le patriarcat (en dépersonnalisant plus encore le droit des femmes) au cœur de ses principes législatifs.

L’église va surtout renoncer au principe constitutif du droit antique et judéo-islamique : la tolérance des opinions et la pénalisation des actes.