10 : La constitution d’une communauté juive d’occident et les prémices de l’antisémitisme

Ainsi, il devient complexe, à l’époque de catégorisation raciste des « lumières », de définir le monde oriental :

-Il est “despotique”, puisque les hommes y sont insoumis

-Il est “pervers”, ce qui est une réinvention du rapport prude qu’entretenait le christianisme avec le sexe et les relations matrimoniales tandis que Rabbins et Faqih-s n’y voyaient qu’une exigence naturelle à légaliser pour protéger les droits des parties…

-Il constitue un abîme racial, les yeux bridés y côtoient des basanés, des blonds aux yeux bleux servent dans l’armée des généraux noirs, la civilisation islamique est donc désordonnée…

Même l’appellation « sémite » qui se développe avant l’invention officielle du racisme vient en fait désigner une couleur, une physionomie diverse, mélangée, métissée. Un sud-marocain mi-négroide, mi-ibérien ressemble en fait à s’y méprendre à un ouzbek mi-mongoloide, mi-caucasien, tandis qu’un sémite syrien parait le frère d’un aryen de Caspienne ou d’Arménie, et un Slave bosniaque ne se distingue que de vêtement (et encore) d’un turkmen d’Antioche…

Comme ce monde multiracial était aussi le refuge des juifs, il est des juifs sefarades basanés comme des bédouins et des juifs de bukharas qu’on aurait peine à distinguer d’un hindoustanien, quand à la majorité d’entre eux, ils sont indissociables physiquement de leurs compatriotes musulmans.

Le seule moyen courant pour reconnaître un juif est sa teinte, il est de manière générale plus clair qu’un musulman, pour la raison simple que la mélanine, dans un milieu urbain ou de village fortifié (Yemen, Maroc) tend à disparaître, et que, si les musulmans se mélangent parfois (très rarement) avec des ruraux basanés par le soleil, les juifs n’ont pratiquement pas de coreligionnaires agro-pastoraux, pour des raisons statutaires et coutumières…

Le sémite c’est donc le « brun », celui qui n’est ni nègre, ni aryen, ni asiatique ni autre chose, c’est le résultat d’une civilisation multiraciale, donc impure ; et, en cela, il est non seulement hors catégorie, mais en plus, pour l’occidentlal des “lumières”, il est dégoûtant…

En Europe pourtant, la fin des guerres de religion et l’absolutisme des Etats a permis à la nouvelle société de classe bourgeoise de privilégier la finance et le grand commerce, puis la grande industrie, à toute autre considération, religieuse, et même, après tout, ethnique. Ainsi, les séfarades réfugiés au Portugal s’exilent en Aquitaine et dans les Provinces Unies ; souvent, ils sont marranes, mais parfois, ouvertement juifs, et comme les puissances économiques ont besoin de leur dynamisme économique, ils sont tolérés, sans même qu’il soit besoin de leur rétablir au préalable un statut personnel…

Quant au monde juif européen, protégé dans le refuge de Pologne-Lituanie, une partie de son élite va abandonner les Stetl, et gagner les grandes cités de langue allemande, puis l’Angleterre et la France, en y rencontrant leurs lointains coreligionnaires « portugais ». Cependant, la loi française ne les y tolère pas, à la différence des portugais, qui sont habitué à feindre l’idéologie dominante, car ils arrivent d’un milieu d’une pureté idéologique totale : l’archipel des Etats-ghettos de l’Europe Orientale. Ils trouvent donc refuge dans les principauté ecclésiastiques rhénanes, et alsaco-lorraines.

Finalement, sous Louis XVI, les juifs sont officiellement autorisés dans le royaume, et la révolution française leur donnera l’entièreté des droits des sujets du souverain et de citoyens de la Cité…

Ces quelques milliers de familles vivent depuis souvent des décennies, voire des siècles, au contact de l’élite bourgeoise et nobiliaire européenne, dont ils ont adopté les codes, ils se sentent, à l’aube du nationalisme, avant tout français, neerlandais, britanniques, autrichiens ou « allemands ».

Parallèlement, des dizaines d’autres milliers de juifs fuient la misère des Stetl et commencent, au début du XIXème siècle, une des plus importante émigration, vers le cœur de l’Allemagne et de l’Autriche, et puis, peu à peu, vers la France, et surtout, à la fin du siècle, vers les Etats Unis, la nouvelle véritable terre promise du peuple Yiddish…

C’est au double contact d’une communauté prolétaire de culture non-chrétienne et d’une élite juive (désignée sous le critère national/racial d’israelite) européanisée et bourgeoise de longue date que va se structurer le nouvel anti-judaisme :

-un petit peuple incarnant l’étranger par excellence dans une Europe occidentale homogène ethniquement et culturellement ; pauvre et sans honte de la pauvreté et/ou de la mendicité intra-communautaire dans une société bourgeoise qui a banni l’expression de la modestie économique ; fataliste dans une société idéaliste, peu portée sur l’apparence dans une société ou la mode fait désormais loi, même dans les catégories basses de la population culturellement absorbée par le diktat bourgeois parisien ; convaincu de la nécessité de l’hygiène intérieure, la purification, mais peu porté sur la propreté d’apparence développée à Versailles ; près aux plus « viles » tâches vagabondes d’une société sédentaire.

-une élite économique et, de plus en plus, politique, capable de solidarité communautaire, en dépit de son assimilation, concurrençant désormais une grande bourgeoisie chrétienne (peu à peu dé-christianisée) sur son terrain : agriculture spéculative, grande industrie, négoce, mais aussi dans les spécialités d’une économie religieuse qui délègue au Juif les interdits économiques (grand et petit commerce, finance, prêt sur gage)…

Pour la bourgeoisie européenne d’ascendance chrétienne, cette élite à elle totalement identique est néanmoins son concurrent de portefeuille, tandis que le prolétariat Yiddish incarne un sous-peuple qui dégoûte le bourgeois urbain d’occident. Le problème réside dans la définition de son rejet : il s’appellera l’anti-sémitisme.