Procope, II, 19, 5-7, Al-Harîth disparait, l’armée demande à décamper pour se défendre d’Al-Mundhar, v. 575 n-è

Harêth-â, qui craignait que les Romains ne lui ôtassent son butin, ne voulait plus retourner au camp. Il envoya pour ce sujet des espions pour s’instruire des chemins, et il leur donna un ordre secret de venir rapporter que les ennemis s’étaient emparés du passage de la rivière. Il persuada par cet artifice à Trajan et à Jean de prendre un autre chemin, et de n’aller point rejoindre Bélisaire. Ils marchèrent donc le long de l’Euphrate, qu’ils avaient à la main droite, et arrivèrent à Theodosiopolis, située sur le bord du fleuve Aborras [Habôr-â/al-Khabûr]. Cependant Bélisaire avait de grandes inquiétudes, de ne point apprendre de leurs nouvelles.

Après les avoir attendus fort longtemps au même lieu, il eut le déplaisir de voir son armée attaquée par des fièvres, causées par les ardeurs insupportables de la partie dé la Mésopotamie, qui est sous l’obéissance des Perses. Des Romains, et surtout des Romains nouvellement revenus de la Thrace, ne pouvaient vivre dans le milieu de l’été sous un soleil si brûlant et  un air il enflammé. Il y en avait les trois quarts qui paraissaient à demi-morts.

Ils souhaitaient tous de retourner en leur pays, mais Récitanque et Théodicte le souhaitaient avec plus d’impatience que les autres. Comme ces deux capitaines des troupes du Liban voyaient que la saison où les Sarracènes font leurs sacrifices, était passée, et qu’ils appréhendaient que la Syrie ne demeurât exposée aux courses d’Al-Mundhar, ils demandaient souvent avec Bélisaire leur congé. L’importunité avec laquelle, ils lui renouvelèrent cette prière, l’obligea à tenir un conseil où Jean, fils de Nicolas se leva, et lui dit :

Les siècles passés n’ont point vu de capitaine qui vous ait égalé, ni en courage, ni en distinction.  Vous possédez cette réputation non seulement parmi les Romains mais aussi parmi les Barbares  Vous ne sauriez rien faire de mieux pour la conserver que de nous envoyer dans notre pays, maintenant qu’il nous reste peu d’espérance de le revoir. Considérez, s’il nous plaît, l’état de l’armée.  Les Sarracènes, qui sont sans doute les plus braves de nos soldats, ont traversé le Tigre, et on n’a point de leurs nouvelles. Récitanque et Théodicte sont sur le point de partir, dans l’opinion qu’ils ont qu’Al-Mundhar est au milieu de la Phénicie et qu’il y met tout à feu et à sang.  Il y a un si grand nombre de malades dans les autres troupes, qu’il n’en reste pas assez en santé pour avoir soin d’eux et pour les reconduire en notre pays. Si les ennemis nous attaquaient, ou ici, ou sur le chemin, je ne sais si notre défaite ne serait pas telle, qu’il n’en resterait aucun de nous, pour en porter la nouvelle à Dara. Je n’estime pas que l’on puisse seulement s’imaginer, qu’il soit en notre pouvoir d’aller plus avant.  Il faut donc pourvoir promptement aux choses nécessaires pour le retour ; car dans un danger si évident, ce serait une folie de songer moins à se conserver, qu’à perdre son ennemi.

Voilà ce que dit Jean. Les autres approuvèrent son discours par leur murmure, et demandèrent avec un bruit confus, que l’on se hâtât de partir. Ces instances si pressantes contraignirent Bélisaire de faire mettre les malades sur des chevaux, et de ramener l’armée. Quand il fut sur les frontières, il apprit ce qu’avait fait Harêth-â. Mais comme il était absent, il ne lui était pas possible de le châtier. Voila un récit, fort fidèle de tout ce que firent les Romains en cette, campagne.