Léon l’Africain, v. 1530, Description de l’Afrique : Cités de la péninsule tingitane

L-‘araish, cité.

Lharais est une cité bâtie par les anciens Africains sur la mer Océane, à l’entrée du fleuve Luccus, sur lequel est assise une partie d’icelle, et l’autre sur l’Océan, dont toutes les parties étoient assez bien peuplées, tandis que les Maures tinreat Arzilla sous leur seigneurie, avec Tangia; mais après que ces deux ciés furent, par les chrétiens, subjuguées, elle demeura déserte par l’espace de vingt ans puis après un fils de roi de Fez, qui est à présent, délibéra de la peupler et la fortifier; ce qu’il fit, y tenant toujours bonnes gardes, à cause que les habitants sont en continuelle crainte des Portugais, et y a un port très-difficile à prendre, qui veut entrer dans la bouche d’icelui fleuve. Celui-ci y fit encore édifier une forteresse, en laquelle demeure ordinairement un capitaine avec deux cents arquebusiers et trois cents chevaux-légers. Dans le pourpris de la cité, y a plusieurs prés et matais, là où se pêchent des anguilles en quantité, et s’y trouve force gibier; puis sur le rivage du fleuve y a grands bois, dans lesquels se nourrissent plusieurs lions et autres cruels animaux. Les habitants de cette cité ont une ancienne usance de faire charbon, qu’ils envoient par mer en Arzilla et Tangia; tant qu’il est venu en commun proverbe entre ceux de Mauritanie, quand ils veulent signifier une chose qui a plus belle montre qu’elle ne vaut. Cela est comme la naue de Lharais, laquelle porte marchandise de charbon, et a les voiles de coton, que les campagnes d’autour de cette cité produisent en grande quantité.

Qaçar l-Kabir, c’est a-dire le grand Palais, cité.
Cette cité est grande, et fut édinée au temps de Mansor, roi et pontife de Maroc en son
ordre, c lequel (comme l’on dit ), se trouvant un jour a la chasse, fut surpris d’une si grande
pluie poussée d’un vent impétueux, avec o une si grande obscurité, qu’il égara sa compagnie, sans savoir où il était, ni de quel côte se tourner, dont il ne se promettoit )1 autre logis, pour la nuit, que la découverte et spacieuse campagne durant cet orage de temps, ne s’osoit tant hasarder que d’avancer un pied devant l’autre, qui le rendoit fort perplexe et fâché; tant qu’apercevant de loin une lumière connut, à l’approcher, que c’étoit un pécheur qui venoit là pour pécher des anguilles, et l’ayant abordé, lui demanda s’il lui pourroit enseigner la demeurance du roi; a quoi il répondit qu’il en ‘) étoit à dix milles loin, dont le roi commença bien fort à le prier de lui vouloir » conduire. Si le Mansor étoit ici en personne (dit le pécheur), je lui refuserois pour cette » heure, en temps si ténébreux, de peur qu’il ne se noyât dans ces lieux marécageux. En quoi te touche la vie du Mansor, répliqua le roi? En quoi? (dit le pêcheur) il mérite que je lui porte telle affection et bon vouloir comme à moi-même. Tu en as donc reçu (dit le roi) quelque grand et singulier bénéfice ? Quel plus grand bénéfice(dit JeIl pécheur) se peut espérer et recevoir d’un
roi, que la justice également, sans partia!ité et acception de personnes administrées avec une bonté naturelle, une très-grande anectiou et naïf amour, qu’il montre à l’endroit de ses sujets et au gouvernement d’iceux ? Or, lui étant de toutes ces vertus-ci doué, autant ou plus que prince qui se puisse trouver, n’ai-je pas bonne occasion de lui » être aCHectionné? d’autant que je puis jouir H en paix avec ma femme et petite famille de ce qu’il plait au souverain me donner en ma » pauvreté tellement, que je sors librement et entre quand bon me semble, et à toutes heures, dans ma petite cabane, sans qu’il se » trouve homme vivant qui dise ou fasse chose qui me doive tourner à déplaisir. Et vous, mon gentilhomme, venez-vous-en (s’il vous est agréable) prendre logis en ma pauvre loge, là où je vous aurai pour hôte; puis le matin, à telle heure qu’il vous plaira faire départ, vous m’aurez poui* sûr et fidèle guide jusques-Ià où bon vous semblera. Le roi ne refusa cette offre que lui faisoit ce bon homme, avec lequel s’achemina en sa )) cabane; là où étant parvenus, après avoir donné l’avoine au cheval, le pécheur servit devant son hôte (qui avoit tandis essuyé ses habillements près d’un bon feu au mieux qu’il avoit pu) de ses anguilles, qu’il avoit fait rôtir, lesquelles, ne revenant peu à son goût, demanda si on ne pourroit avoir autre viande. Toute ma richesse ( dit le pauvre homme ) consiste en one chèvre et un chevreau de lait; mais j’estime bien fortune l’acimal de la chair duquel on peut honorer et satisfaire un tel homme que je vous pense être car, ou votre port brave et magistrale apparence me déçoivent, ou vous êtes quelque grand seigneur, et de noble extraction et sans dire autre chose, égorgea lechevreau, le St appareiUer et rôtir à sa femme, tuis le sery~ devant le roi qui, après avoir s’en alla reposer jusqu’au matin, qu’il a délogea de la petite cabane avec son hôte. Mais il n’eut pas à peine outrepassé les mais, qu’il rencontra une grande multitude a de chevaliers et veneurs, qui, tout trouMes, « s’etoient mis eu la quête du roi, lequel étant a par eux découvert, d’autant qu’ils étoient caches, se trouvèrent joyeux et soulagés. » Alors Mansor ne se voulut plus céler au pêcheur, l’avertissant qu’il n’oublierait jamais h la grande courtoisie quit avoit usé en son endroit. Et de fait, lui fit don, à son dé» part ( poar récompense du bon traitement qu’il s’était efforicé de lui âure), plusieurs maisons et palais qu’il avoit fait bâtir lorsqu’il se délectoit à demeurer en la campagne; mais le pccheur lui St requête pour n plus ample démonstration de sa bonté et grand&libéralité~ que son bon vouloir fût de M les faire environaer de murailles, ce qui lui M fut accordé, j) Au moyen de quoi il demeura seigneur de cette neuve et petite cité, laquelle multiplia et accrut tellement, q~t’elle contenoit plus de quatorze cents feux, à cause de la grande abondance du pays, où le roi soutoit toujours séjourner en temps d’été dont est semblablement avenue en partie la perfection de cette cité, près laquelle passe un fleuve nommé Luccus, qui déborde parfois si fort, qu’il entre par les portes de la ville, qui est toute pleine de marchands et artisans. B y a plusieurs temples, un collége et un hôpital; mais il ne s’y trouve puits ni fontaine, à faute de quoi les citoyens s’aident de citernes, et sont gens de bien et libéraux, mais plutôt simples qu’autrement, se tenant bien en ordre, avec certains draps en manière d’un linceul, qu’ils entortillent autour d’eux. Hors la dté se trouvent plusieurs jardins et possessions, ayant le terroir qui produit merveilleusement bons fruits, entre lesquels le seul raisin se trouve de mauvais goût, à cause que toutes les terres sont en prés. Le lundi, il se fait un marché à la campagne, auquel s’assemblent tous les voisins arabes; et au mois de mai, les citoyens ont coutume d’aller aux champs oiseler, là où ils prennent des grives en grande quantité. Le terroir est assez fertile rendant le plus souvent trente pour nn. Mais les habitants ne le sauroient cultiver plus au large que de six milles autour de la cité, à cause qu’ils sont continuellement molestés par les Portugais qui habitent en Arzilla, et de là cette cité est prochaine de dix-huit milles, dont le capitaine s’en fait bien ressentir; car il a trois cents chevaux, avec lesquels il va courir jusques sur les portes d’ArzilIa.

Açila :

Arzilla, que les Africains appelèrent Arzella, fut grande cité édifiée par les Romains sur la mer Océane, prochaine du détroit des colonnes d’Hercule environ soixante milles, et distante de Fez cent quarante. Elle fut soumise au domaine du seigneur de Sebta, qui étoit tributaire aux Romains; depuis, fut par les Goths subjuguée, lesquels nommèrent ce seigneur même au gouvernement d’icelle, puis de là à quelque temps elle fut prise des mahométans, en l’an 94 de l’Hégire, qui en furent jouissant par l’espace de 200 ans, jusqu’à ce que les Anglais, à l’instinct des Goths, étirent sur mer une grosse armée, laquelle ils firent marcher à la volte de cette cite; néanmoins Ils conçurent puis après de grandes inimitiés les uns contre les autres, à cause que les Goths reconnaissaient Jésus-Christ, et les Anglais servoient aux idoles ; mais ils avoient fait cela expressément pour contraindre les mahométans à lever le pied et déplacer de l’Europe. 1/entreprise succéda bien aux Anglais, lesquels ayant pris la cité à force d’armes, firent passer tous les habitants d’icelle par le net et tranchant de leurs épées, mettant tout à feu et à sang, tellement qu’ils n’y laissèrent aucune créature vivante, ainsi demeura environ 30 ans inhabitée. Mais régnant les seigneurs et pontifes de Cordoue, en Mauritanie, elle fut redressée, et remise en meilleur état et forteresse qu’auparavant, dont les habitants se rendirent en peu de temps riches et opulents. Le territoire est fertile en grains et fruits; mais à cause que la cité est distante des montagnes par l’espace de deux milles, il y a grande faute de bois, dont il faut qu’on use de charbon qu’on amène de L-‘arays, comme nous avons dit auparavant. En l’an 802 de l’Hégire, elle fut derechef assaillie et reprise par les Portugais, qui retinrent et menèrent prisonniers en Portugal tous ceux qu’ils trouvèrent, entre lesquels étoit Mahomet, qui est aujourd’hui roi de Fez, lequel, pour lors encore enfant, fut pris avec une sienne sœur de même âge; car de ce temps-là leur père étoit en Arzilla pour cause de la révolte de Habat; et après qu’’abdulah, dernier roi de la maison de Marin, fut occis par les mains d’Enërif, noble et puissant citoyen de Fez, fut lui-même, par le consentement de tous, élu et créé roi. Quelque temps après, un shaykh Abra vint pour assiéger Fez, et s’en emparer pour usurper le royaume;
mais Efférif imitant l’avis d’un sien conseiller (qui étoit proche parent de ce saie), le repoussa bien vivement avec sa grande perte et honte. Depuis, ayant envoyé le conseiller en Témesne pour pacifier le peuple, survint saïc avec un secours de huit mille chevaux arabes, avec lesquels s’étant campé devant Fez, y entra au bout de l’an, par trahison que les citoyens traînèrent, ne pensant pouvoir résister à telles impétuosités, et se trouvant en une nécessité trop extrême ce que voyant, Efférif se sauva, avec toute sa famille, au royaume de Tunis; et pendant que Fez étoit assiégée,
le roi de Portugal envoya une armée en Arzilla, qui fut prise; au moyen de quoi (comme il vous a été récité), le roi qui règne pour le jourd’hui avec sa sœur, fut mené prisonnier en Portugal, là où tous deux ensemble furent détenus captifs par l’espace de 7 ans; ‘mais pendant ce temps, ils surent fort bien apprendre et retenir la langue du pays. Finalement, le père, avec grande somme de deniers, paya la rançon du fils, lequel, parvenu au gouvernement du royaume, fut appelé, pour cette occasion, le roi Mahomet-Portugais, qui essaya depuis, par plusieurs fois, se ressentir des Portugais, tellement qu’il assaillit à l’impourvu la cité d’Arzilla dont il démolit les murailles en partie, et entra dedans, mettant en liberté tous les Maures qui étoient esclaves; mais les chrétiens se retirèrent au château entretenant toujours le roi de paroles palliées par un mensonge, couverte de dire qu’ils le vouloient rendre; et surent si bien dire, que les trêves par deux jours leur furent octroyées, pendant lesquelles survint Pierre de Navarre, avec plusieurs vaisseaux bien armés et en bon équipage, lequel, à forcé de canonnades, contraignit le roi de
quitter non-seulement la cité, mais de gagner le haut avec toute sa gendarmerie. Lors les Portugais se mirent à fortifier la cité; mais pour icelle recouvrer, le roi employa depuis toutes ses forces vrai est que son effort fut toujours trouvé de nulle valeur en cet endroit-là. Je me trouvai toujours présent à tous les sièges en la gendarmerie du roi, de laquelle demeurèrent sur le champ cinq cents hommes et davantage. Ces choses passèrent ainsi en l’an 917
jusqu’à 921 de l’Hégire.

Tangia, cité.

Tangia est nommée par les Portugais Tangiara, et est grande cité, édifiée anciennement, selon le faux jugement de quelques historiens, par un seigneur appelé Sedded, fils de Had, qui, comme ils disent, dompta et gouverna tout l’univers; au moyen de quoi il lui prit envie de faire bâtir upe cité conforme et ressemblante au paradis terrestre; et, persistant en son opinion, fit ériger les murailles et couvrir les maisons d’or et d’argent, expédiant en toutes parts des commissaires pour recevoir les tributs. Mais les vrais historiens sont d’opinion que les Romains la fondèrent du temps qu’ils subjuguèrent la Grenade, distante du détroit des colonnes d’Hercule par l’espace de 30 milles, et 150 de Fez; d’où étant puis les Goths possesseurs, cette cité fut ajoutée au domaine de Sebta, jusqu’à ce que les mahométans s’en emparèrent, qui fut lorsqu’ils subjuguèrent Arzilla. Elle se montra toujours civile, noble et bien habitée, avec ce qu’elle était embellie par la superbe structure des somptueux palais tant anciens que modernes. Le territoire n’est pas fort bon pour semer; mais il y a aucunes vallées prochaines qui sont arrosées par l’eau d’une vive fontaine, et là se trouvent plusieurs vergers qui produisent oranges, limons, citrons etautres espèces de fruits. 11
y a semblablement hors la cité quelques vignes; mais le terroir est tout sablonneux; et vécurent les habitants en grande pompe et magnificence jusqu’à tant qu’ArziIa fût occupée, de quoi étant avertis, troussèrent bagage, prenant leurs plus chères hardes, et quittant ta cité, escampèrent suivant la route de Fez. Sur ces entrefaites, le général du roi de Portugal y envoya un capitaine avec bonne compagnie, qui la tint au nom du roi, lequel y transmit un sien parent, pour autant que c’est une cité d’importance, et limitrophe des monts de Guimère (Ghumara), ennemis des chrétiens. Mais avant qu’elle parvint entre les mains des Portugais, environ vingt ans, le roi y fit passer une grosse armée, estimant qu’elle ne put être à temps secourue, d’autant que le roi de Fez était détenu en guerre contre un sien vassal qui s’était révolté et lui avait enlevé Miknas, cité. Mais, contre l’opinion de tous, ayant fait trêve avec son ennemi, expédia un sien conseiller, accompagné d’un gros amas de gens, moyennant lequel il mit en route !a gendarmerie des Portugais, qui furent troussés et défaits en grande quantité; et entre les morts se trouva le capitaine, qu’il fit serrer dans une caisse, puis le fit porter à Fez, là où il fut mis en un haut lieu et éminent, pour être exposé à la vue de tous. Le roi de Portugal ne se montrant en rien intimidé par cette première route qu’il avait reçue, remit sus une autre armée, qui fut caressée et traitée de même qu’avoit été l’autre, avec un grand carnage, combien que les Portugais assaillissent de nuit la cité, et d’emblée.

Mais ce que la fortune leur dénia, emparés des forces de deux armées,~ elle leur octroya, puis avec petit nombre de soldats, et sans aucune effusion de sang, en la manière qui vous a été récitée. Il est vrai que de notre temps Mahomet, roi de Fez, fit dessein de s’en emparer, mais la chose ne succéda comme il l’avait proposée, parce que les Portugais ont toujours montré combien ils ont le cœur grand, et féconde de forces gaillardes et invincibles défenses. Ceci advint en l’an 917 de l’Hégire.

Qasar-Aç-Caghir, c’est-à-dire le palais Mineur, cité :

Cette petite cité fut édifiée sur la mer Océane, distante de Tangéra environ 12 milles, et 18 de Sebta, par Mansor, roi de Maroc, lequel, passant tous les ans en Grenade, trouvoit un certain pas entre quelques montagnes par où l’on va à la mer, qui étoit difficile à passer, au moye de quoi il fabriqua cette cité en une belle plaine qui découvre toute la rivière de Grenade, qui est à l’objet d’icelle. Or, la cité étoit fort civile, combien que les habitants fussent quasi tous mariniers, faisant ordinairement le voyage de Barbarie en Europe. Il y avoit preillement des tissiers de toiles, plusieurs riches marchands et gens de réputation. Le roi de Portugal la prit d’emblée, dont le roi de Fez a depuis plusieurs fois tâché, avec tous les moyens qu’il a pu, de la recouvrer; mais il s’est travaillé en vain en l’an 863 de l’Hégire.

Sebta : grande cité :

Sebta est une grande cité, par les Latins nommée Civitas, et des Portugois Seupta; laquelle, selon la vraie opinion de plusieurs, fut édifiée des Romains sur le détroit des colonnes d’Hercule, et fut jadis chef de toute la Mauritanie, pour autant qu’elle fut par les Romains ennoblie joint aussi qu’elle étoit fort civile et bien habitée. Depuis, les Goths l’usurpèrent, et y constituèrent un seigneur; tellement, que le gouvernement d’icelle demeura entre leurs mains jusqu’à ce que les mahométans vinrent à s’emparer du pays de Mauritanie, et prirent cette cité, qui fut lorsque Julian, comte de Sebta, reçut une grande injure de Roderic, roi des Goths et de toute l’Espagne, dont s’étant allié avec les infidèles, les introduit dans Grenade, par quoi Roderic en perdit le royaume et la vie en un même instant. Alors les mahométans conquirent la cité de Sebta, qu’ils tinrent au nom de leur pontife, appelé Al-Walid, fils de ‘abdul-Malik, qui, pour l’heure avoit son siége en la cité de Damas, et fut en l’an de l’Hëgire 102. Cette cité, depuis ce temps-là jusqu’à
présent, est toujours allée en augmentant, tant en civilité comme en nombre d’habitants; tellement, qu’elle s’est rendue la plus belle et mieux peuplée cité qui se trouve en Mauritanie. Il y avoit en icelle à force temples, colléges, artisans, hommes doctes et de gentil esprit, avec plusieurs maîtres singuliers à faire ouvrages en cuivre, comme chandeliers, bassins et telles autres choses qui se vendoient autant que si c’eût été argent même. J’en ai vu en Italie qu’on pensoit certainement être ouvrages damasquinés, mais (à dire vrai) ils étoient encore plus exquis et subtilement faits. Hors la cité, y a de fort belles possessions et édifices, mêmement en un lieu qui, pour le grand vignoble qui y est, s’appelle vignones; mais la campagne est maigre et stérile, qui cause une grande cherté de blé ordinairement dans la cité, de laquelle, tant du dedans comme au dehors, on peut voir la rivière de Grenade sur le détroit, et on peut discerner les espèces d’animaux d’un côté à l’autre, parce qu’il n’y a d’espace entre deux sinon douze mitles en largeur. Mais elle a été grandement endommagée dernièrement par ‘abd-l-Mumin, pontife et roi, contre qui elle tenoit, lequel l’ayant subjuguée, a démoli les maisons, et condamné plusieurs des nobles à perpétuel exil en diverses parties. Elle reçut encore une grande antorse depuis par le roi de Grenade, qui, l’ayant conquise et ne se contentant de l’avoir ruinée, fit passer tous les nobles et plus opulents en Grenade. Davantage, en l’an 918, elle fut prise par une armée du roi de Portugal, au moyen de quoi ceux de dedans l’abandonnèrent, gagnant le haut. Mais Abu Sahid, pour lors roi de Fez, pour sa paresse et nonchaloir, ne se daigna mettre en devoir de la remettre en son obéissance; ainsi quand il fut averti de la prise d’icelle, ainsi qu’il était à banqueter en un festin, ne voulut que par ces tristes nouvelles les cœurs des assistants fussent rendus passionnés, de sorte qu’il fit toujours continuer le bal, sans vouloir aucunement permettre qu’il prit cesse, et Dieu (qui se montre juste en tous ses faits, qui parfois diffère la vengeance et délaisse par temps les vices impunis) permit enfin qu’il fût privé de vie par les mains de son secrétaire ( lequel il pensoit lui être bien fidèle), avec six de ses enfants, parce que ce roi vouloit décevoir et suborner sa femme, qui fut en l’an de l’Hégire 824. Ainsi demeura le royaume de Fez . sans seigneur par l’espace de huit ans; et à la fin d’iceux, on trouva un sien petit-fils né d’une chrétienne, laquelle s’était sauvée à Tunis la nuit que ce cruel et inhumain homicide fut commis, et s’appela Habdulhaq, dernier roi de la maison de Marin, qui fut semblablement mis à mort par le peuple d’un commun consentement, comme nous avons dit ci-dessus.

Tittawin :

Tettéguin est une petite cité édifiée par les Africains distante du détroit environ 18 milles, et six de l’Océan. Les mahométans la subjuguèrent au temps qu’ils conquétèrent Sebta sur les Goths, et l’ayant subjugée (comme l’on dit ), ils en donnèrent le gouvernement à une comtesse qui n’avoit qu’un oeil, laquelle s’acheminoit une fois par semaine dans la cité pour lever son droit qui lui appartenoit; et pour autant qu’elle étoit privée d’un œil, les habitants nommèrent leur cité Tettéguin, qui, en langue africaine, vaut autant dire comme œil. De là à certains temps, les Portugais l’assiégèrent si bien, qu’après quelques assauts ils la prirent, dont le peuple prit la fuite au moyen de quoi elle demeura inhabitée par l’espace de 95 ans, au bout desquels elle fut redressée, et habitée par un capitaine de Grenade, qui passa avec !e roi à Fez, après que Dom Ferrand, roi d’Espagne, l’eut expulsé de son royaume. Ce capitaine fut un homme rare, et merveilleusement exercé et expert aux ruses de guerre, de sorte qu’il fit preuves de son corps admirable aux guerres de Grenade, et est, par les Portugais, appelé Almandali, lequel obtint le congé de remettre en nature le territoire, et jouit du domaine de cette cité; par quoi il fit retourner toutes les murailles sur pied, lesquelles environnoient une forteresse qu’il fit fabriquer et environner de beaux et profonds fossés; ce qu’ayant mis à fin, s’acquit une très-grande envie des Portugais mais il ne cessoit de molester et fort endommager Sebta, Casa, et Tangéra, parce qu’il étoit toujours fourni de trois cents chevaux de la fleur et élite de Grenade, avec lesquels faisoit de sondaines courses par ces pays, là où il prenoit souventefois plusieurs chrétiens, qu’il faisoit continuellement travailler à la fabrique de la forteresse, et m’y trouvai une fois que j’en y vis plus de trois mille vêtus de sacs de laine, dormant la nuit dans certaines fosses sous terre fort bien enchaînés. Celui-ci fut un homme fort libéral, et caressant merveilleusement les étrangers qui passaient par sa cité, où il mourut depuis, que par cas d’aventure l’un des yeux lui fut ôté avec la pointe d’un poignard, et fut privé de la lumière de l’autre en sa vieillesse. Il délaissa au gouvernement de la cité un sien neveu qui est aujourd’hui vaillant homme et de grand courage.