Léon l’Africain, Magie et Mystique à Fès, v. 1520 n-è

Les devineurs :
La première qualité : sont ceux qui prédisent l’avenir par la connaissance de la géomancie, traçant leurs figures, et on paie autant pour chacune comme s’il s’agissait de la qualité de personnes.

La seconde est de certains, qui mettent de l’eau dans un bassin de verre, et avec une goutte d’huile qui la rend lisse comme un miroir d’acier, disent qu’ils voient passer les jnûn à grands escadrons, venant les uns par mer et les autres par terre, ressemblant un gros exercice ’hommes en armes, lorsqu’ils veulent camper leurs tentes ; et à lorsqu’ils les voient arrêtés, les interrogent des choses de quoi ils veulent être pleinement informés, à quoi les esprits leur font réponse avec qqs mouvements d’yeux ou de mains, qui donnent assez à connaître combien sont dépourvu de sens ceux qui y prêtent foi.
Parfois ils mettent le vase entre les mains d’un enfant de 8 ou 9 ans auquel ils demandent s’il n’a pas aperçu tel ou tel jin, et le s petit, simple et jeune, leur répond que oui […] il s’en trouve certains si fous et abrutis, qu’ils croient à tout, ce qui leur cause bien des dépenses de grand argent.

La troisième espèce est de femmes qui font entendrent au peuple qu’elles sont familières des jnûn blancs, et lorsqu’elles veulent deviner, à l’instance de qui que ce soit, se parfument avec qqs odeurs, puis, « l’esprit qui est par elles conjuré entre dans leur corps », feignant, par le changement de leurs voix que ce soit l’esprit, lequel rend réponse par leur gorge, ce que voyant, l’homme ou la feme venue pour savoir qqchose demandée, après avoir eu réponse du jin laisse qq don en grande révérence et humilité pour ledit jin.

Mais ceux qui se sont acquis, outre leur bonté naturelle, le savoir et l’expérience des choses, appellent ces femmes Sahaqat (?) ce qui veut dire fricatrice en langue africaine, et à vrai-dire, elles sont atteintes de ce mauvaix vice d’user charnellement les unes avec les autres […] lesquelles voyant une femme qui ait en soi qq beauté, elles la prendront en amour, comme le ferait une homme, et au nom du jîn, pour récompense et paiement, lui demandent des copulations charnelles, dont celles à qui elles font cette impudique et déshonnête demande, pensant, peu rusées, complaire au jîn y consentent le plus souvent !

Il s’en trouve ainsi de nombreuses qui, ayant pris goût à ce jeu, et alléchées par le douc plaisir qu’elles y reçoivent, feignent la maladie, afin d’envoyer quérir l’une de ces devineresses, le plus souvent par le mari même, et soudainement leur découvrent leur maladie, et là où gît le remède ; mais pour couvrir leur méchanceté, elles font croire au mari, sot et peu rusé, qu’un esprit est entré dans le corps de sa femme, et pour sa santé, il faut recommander son congé et de rejoindre le rang des devineresses, et converser sûrement en leur compagnie ; Qui y consent, prépare un somptueux festin à toute cette vénérable bande, à la fin duquel on se met au bal avec qqs instruments de quoi jouent les noirs ; puis la femme a congé de s’en aller ù bon lui semblera.

Mais il s’en trouve certains, percevant cette ruse avec finesse, qui font sortir le jîn du corps de leurs femmes avec un terrible son de coups sourds et belles bastonnades.

D’autres aussi font entendre au devineresses être détenus par le jîn, et les déçoivent par le moyen dont ont usé leurs femmes.

Enchanteurs :
Une autre espèce se devins sont appelés les Muhazzamîn, ce qui signifie enchanteurs, qu’on suppose en grande puissance de délivrer aucun possédé par un jîn, non pour autre raison, sinon que parfois ils en sortent à leur honneur, et s’ensuite l’effet tel qu’ils le demandent, ce que n’advenant pas, ils attribuent à leur ignorance et déception, que le jîn est infidèle, où bien que c’est un esprit céleste.
La manière de les conjurer consiste en formant certains caractères dans des cercles au milieu d’un foyer ou autre chose, puis peindre qq signes sur la main ou le front du malade, lequel ayant parfumé de certaines odeurs, commencent à faire l’enchantement, conjurant l’esprit, à qui ils demandent par quel moyen il est entré dans ce corps, d’où il est, comment il se nomme, ajoutant à ceci un devoir, qui doit être rempli immédiatement.

Cabalistes :
Il y a encore une autre sorte d’enchanteurs, qui se gouvernent par une règle appelée Zayragya, c’est-à-dire la cabale, mais ils n’étudient nullement cette science pour la connaître, car il estime l’acquérir naturellement, et, vraiment, ils répondent infailliblement à ce qui leur est demandé. Mais cette règle esttrès difficile, pour autant que celui qui veut s’en assister doit être aussi bien savant astrologue qu’expert arithméticien.
Je me suis trouvé parfois là où on faisait qq figure, à laquelle parfaire faisait demeurer du matin au soir des longs jours, elles se tracent ainsi :
Prs cercles sont tracés l’un dans l’autre, au premier une croix et aux extrémités les 4 parties du monde, soit l’est, l’ouest, le Nord et le Sud ; au période colloquent les 2 pôles, et hors du premier cercle sont situés les 4 éléments, puis divisent le cercle en 4 parties, et le suivant finalement ; après cela vient à découper chaque partie en 7, là où ils impriment certains grands caractères arabes, 27 ou 28 pour chaque élément (sic : 7×4 : 28 lettres).
En l’autre cercle ils posent les 7 planètes, au suivant les 12 signes du zodiaque et en l’autre les 12 mois de l’an, selon les latins, et l’autre les 28 lunaisons (maisons-sièges de la lune). Au dernier, les 365 jours de l’an, et hors de tout cela les 4 vents principaux.
Puis ils choisissent une lettre de la chose demandée, et multiplient, avec tous ces nombres, jusqu’à ce qu’ils sachent quel nombre porte le caractère, puis ils le divise en fonction de où le caractère est et de ce qu’il est, afin qu’après cette multiplication, division et dimension, ils savent quel caractère est propre pour le nombre resté ; et font du caractère trouver de la même manière jusqu’à ce qu’ils viennent à trouver 28 caractères, desquels ils forment une diction, qu’ils réduisent en oraison, en vers du type arabe mesuré de la première espèce appelé At-Tawal ( ?), soit 8 pieds et 12 hâtons, selon l’art poétique des Arabes ; enfin, de ces vers sort une vraie et infaillible réponse.
[…] chose certainement admirable, si que je ne pense pas avoir jamais vu de chose estimée naturelle avoir tant de divinité, ni qui semblât plus surnaturelle que celle-ci.
J’ai encore vu faire une autre figure au Collège de Bâ ‘Inân en la cité de Fàs, en un lieu découvert, lequel, pavé de marbre fin, blanc et poli, et y avait une distance entre chaque angle de 50 coudées, les 2 tiers occupés des choses de quoi se devait faire la figure, pour laquelle fournir 3 hommes, chacun gardant son côté.

La commodité s’offrait bien à moi, tant du temps comme du maître, si j’eusse voulu vaquer ; mais cette doctrine est défendue par la Loi de Muhammad comme une quasi-hérésie, ce qui m’en passa l’envie. Selon l’Ecrit, toute sorte de divination est vaine, car Dieu s’est réservé la profondeur des secrets, tenant en ses mains les choses futures. A cette cause, les inquisiteurs de la Loi de Muhammad font bien souvent emprisonner ces gens, sans jamais cesser de persécuter et poursuivre vivement ceux qu’ils peuvent trouver.

Confréries soufies :

On voit encore prs personnages de bonne science, qui se font surnommer sages et bien versés en philosophie morale, tenant et observant, avec une très grande superstition, certaines lois, outre celles commandées par Muhammad, en quoi ils sont par certains estimés bon catholiques, et par d’autres non.
Mais le populaire les répute saints, bien qu’ils remettent au libre-arbitre prs choses défendues dans le Qur’ân par Muhammad, comme la loi qui défend qu’on ne chante nulle chanson lubrique par musique, toutefois, ces maîtres philosophes réprouvent cela, et disent qu’il se peut faire.
En cette Loi, il y a prs ordres et règles dont chaque partie est gardée par un chef (muqaddem) ayant prs docteurs, qui soutiennent ces règles avec bcp d’œuvres spirituelles, laquelle secte commença 80 ans après Muhammad avec le plus fameux auteur Al-‘As bn Abî al-Hasan Al-Basrî, qui peu à peu commença à donner certaines règles à ses disciples, mais il ne mit rien par écrit
A celui-ci, 100 ans après, succéda un très savant homme, et bien versé en cette matière, nommé Al-Bari bn Asad al-Baghdâdî, qui a écrit une bel œuvre généralement à tous ses disciples ; puis par la révolution des années, cette secte fut condamnée par les fuqaha, remontrant aux khulafâ’ comme elle était damnable, tellement que tous ceux qui la suivaient étaient rigoureusement punis, de sorte qu’elle semblait éteinte, quand un autre fois, après 50 ans, elle fut renouvelée par le moyen d’un de ses Shykh, et, suivi de prs disciples, il prêchait sa doctrine publiquement, de manière que les Fuqaha, avec le khalifa, les condamnèrent à avoir la tête tranchée ; ce qu’ayant entendu le Shykh, érivit une lettre eu khalifa par laquelle il le priait très affectueusement de lui faire la grâce d’entrer en dispute et d’affronter les légistes, et au cas où il serait défait, se soumettrait de bon gré à la peine qu’ordonnerait sa sainteté, mais que s’il leur montrait mieux la vérité par force d’arguments, comme sa doctrine devait être quant à vraie religion, à la leur préférée et beaucoup plus recommandée, il n’était pas raisonnable, selon lui, qu’un si grand nombre de gens innocents, par le faux et calomnieux dire des ignares, furent condamnés injustement à la mort.
[…]
Il rangea facilement et vainquit, leu donnant à connaître son mécontentement et combien leur opinion était pleine d’erreur, et fausse ; et comme sa doctrine était digne d’être reçue et invitée, puisqu’elle consistait entièrement en pure vérité.

[…] Cette secte dura 200 ans, jusqu’à ce qu’il sortit un empereur d’Asie Majeure, d’origine turque, pour la cruelle persécution qu’il usait à l’endroit des sectateurs, les uns durent fuir au Caire, et les autres en Arabie, lesquels demeurèrent en exil 20 ans, jusqu’au temps du règne de Qasim shah, neveu de Malik Shah, qui avait un conseiller, homme fort consommé et de grand esprit, appelé Nizam al-Mulk, qui, adhérant à cette doctrine , la remit sus et la soutint, tellement, que par le moyen d’un homme très docte, nommé Al-Ghazzalî, lequel composa un volume en 7 parties, fit tant, qu’il pacifia les Fuqaha avec ceux de sa ligue, sous telle condition, que ces Fuqaha retiendraient le nom de Mafati et Muhafifîn de la Loi de Muhammad et que ceux-ci seraient appelés Sâlihîn. Cet accord dura jusqu’à ce que Baghdâd fut ruinée et démolie par les Tartare, en l’an 756 de l’Hégire (1352). Mais cette division ne fut aucunement à leur désavantage, car déjà l’Asie et l’Afrique étaient toutes semées de cette doctrine, et pleine de ses sectateurs.

De ce temps là, on ne permettait faire profession de cette secte à d’autres qu’aux Savants, et surtout bien versées et entendues en l’écriture, pour mieux soutenir leur opinion, laquelle, depuis 100 ans, est données à suivre à tout un chacun, sous prétexte qu’il n’est pas besoin, pour en avoir l’intelligence, d’avoir vaqué aux lettres, car le Rûh al-Qudus inspire ceux qu’il trouve sans tâche ni mâcule, leur donnant entière connaissance du pur Haqq, et allèguent encore d’autres raisons, pour leur défense, bien froides et frivoles.
Ainsi, laissant les commandements tant inutiles comme nécessaires à cette règle, ne gardent autre Loi que celle des Fuqaha ; mais sa savent donner trop bien tous les plaisirs permis par celle-ci, bien des fois font-ils des festins, chantent des chansons lubriques, fréquentent beaucoup les danses, [ ;;;].
Ces voluptueux disent qu’ils font tels actes, étant réchauffés par les flammes de l’amour divin ; mais je me ferais bien plutôt à croire que la fumeuse liqueur, accompagnée par grande quantité de viande, leur fit ainsi tourner le cerveau et entrer en humeur, ou font ces cris et grandes exclamations, interrompues par sanglots et gémissements, pour l’amour désordonner qu’ils portent aux jouvenceaux sans barbe, qui les rendent ainsi perplexes et passionnés.

Il advient le plus souvent que qq gentilhomme convie à la fête de ses noces l’un de ces principaux maîtres, avec tous ses disciples, lesquels, à l’entrée de la table, prononcent et chantent qqs oraisons et chansons spirituelles, puis à la fin, les plus apparents commencent à mettre leurs robes en pièces ; et s’il advient en dansant que qq’un d’entre eux, pour être caduc et débilité par l’âge, ou pour avoir la tête enfumée, se laisse tomber, il n’est à peine par terre, qu’il est par un bel adolescent relevé en le baisant fort lascivement.
Pour cela, est venu un proverbe dans la cité de Fàs : « le banquet des ermites », par lequel on veut inférer que le banquet achevé, il se fait une métamorphose de ces adolescents qui deviennent épouses de leurs maîtres, lesquels ne se peuvent marier, à raison de quoi on les nomme ermites.

Parmi cette doctrine, il y a qq règles hérétiques, pour les Mafati comme pour les Sâlihîn, parce qu’elles contrarient et la Loi, mais aussi la Foi. Et certes prs croient fermement que l’homme, par le seul mérite de ses bonnes œuvres, par jeûnes et abstinences, puisse acquérir une nature angélique, pensant se purifier ainsi le cœur et l’esprit, tellement qu’on ne saurait plus pécher, même si on le voulait ; mais avant d’atteindre cette béate perfection, il faut monter 50 degrés de disciplines, et encore peut-on tomber en péché, avant d’arriver au 50ème degré, Dieu ne lui impute plus les fautes commises contre sa divinité ; ce pour quoi, ces gens font de grands jeûnes, ce qui les enhardi, puis se donnent ensuite à tous les plaisirs et vluptés que leur volonté lascive leur saurait représenter.
Ils ont aussi une étroite règle, qui leur a été laissée en 4 volumes par un grand Savant très éloquent […] et un autre auteur nomme Ibn Farîd, lequel se mit à réduire toute sa doctrine en vers exquis et fluides, farcis d’allégories, tellement qu’ils semblent ne traiter d’autre chose que d’amour ; ce qui incita un nommé Al-Farghânî, à commenter celui-ci, et à tirer la règle et les degrés qu’on doit passer pour parvenir à sa connaissance.
[…]
Ceux-ci estiment que toutes les sphères célestes, le firmament, les planètes, étoiles, éléments soient Dieu, et qu’on ne saurait errer en aucune foi et loi […] et croient qu’un seule homme entre eux ait toute la Science de Dieu, celui qu’ils appellent Al-Qut, qui signifie participant avec Dieu, et égale à lui quand à la connaissance des choses ; il y a 40 hommes appelés Al-Awtad : les troncs […]il appartient à ces 40 quand Al-Qut meurt d’élire un autre, qu’ils choisissent parmi le nombre de 60, pour le colloquer en cette place et dignité. Il y en a encore d’autres jusqu’ le quantité de 765 […] desquels ont élit les 60 à la mort de l’un d’eux.

Leur règle recommande qu’il aillent inconnus par la terre, comme de fous ou des pécheurs, et [ …] sous cette ombre, plusieurs Barbares et personnes vicieuses vont courant le pays d’Afrique tout nus, montrant leur parties honteuses, et sont tant déhontés qu’à l’imitation des bêtes sauvages, il s’accouplent avec les femmes (mariées ! ! : scène du Caire) en places publiques, et ont néanmoins acquis une telle réputation auprès des Africains, que tout le peuple les estime saints.