Charles de Foucauld, Dades et Todgha, 1884

Dades et Todgha

Dades

A ce moment là je me trouve au pied du Saghro et au bord de l’Wad Dads, la chaîne expire à 300 mètres de la rivière, à son pied commence les cultures qui remplissent le fond de la vallée, elles forment une bande dont la largeur moyenne est de 1 km ; au milieu coule en serpentant l’Ouad Dâdes. Large de 30 m, il remplit le tiers d’un lit sablonneux et en partie couvert de roseaux ; c’est un torrent au courant très rapide, aux eaux jaunes et glacées. Les champs qui le bordent ne rappellent en rien les merveilles du Draa ; ils présentent les cultures des pays hauts et froids. Plus un dattier, très peu d’arbres, point d’oliviers : à peine qq rares figuiers, noyers et trembles aux alentours des Qçar. Le reste n’est que champs d’orge et de blé, tapis monotone d’un vert cru, sans ombre ni gaieté. Cette végétation parait triste à qui vient du sud

[…]

Qçurs

Les Qçûr de l’Ouad Dâds ont un aspect particulier et ne ressemblent ni à ceux que j’ai vu ni à ceux que je verrais. Pour le détail des constructions, ils sont pareils à ceux du Draa et de l’Oued Yunil : même élégance, même pisé couvert d’ornements ; mais, au lieu de former un massif compact de maisons d’où émergent les tourelles des Tighermt, ils sont composés chacun de plusieurs petits groupes d’habitations, séparés les uns des autres et échelonnés le long des cultures ; ils en comprennent jusqu’à 8 ou 10, les uns ouverts, la plupart fortifiés, tous ayant au moins une Tighremt. Ces groupes se trouvant à 100, 200, 300 m les uns des autres, on voit quelle longueur occupe un Qçar. Il résulte de là que les localités, d’autre part très nombreuses, sont fort rapprochées ; la distance n’est, la plupart du temps, pas plus grande entre les groupes limitrophes de centres différents qu’entre deux groupes du même, il est très difficile de discerner où commence et où finit chacun, dans ce cordon non interrompu de maisons et de Tighermt qui garrnit les deux rives de l’Ouad. Les demeures sont, comme dans le Draa, et comme presque partout, sur la lisière et non au milieu des cultures : ici aussi les inondations sont à craindre ; il n’est pas rare de voir les eaux de la rivière couvrir tout le fond de la vallée et venir battre les murailles des Qçûr. Ceux-ci ne sont pas les seules constructions de l’Wad Dâds.

Agdim et guerres

Je vois apparaître en grand nombre des bâtiments curieux dont j’avais remarqué quelques types chez les Sddrât du Draa : ce sont les Ageddim, l’usage en parait spécial à l’Ouad Dâds, au Todgha, au Frkla et à certains districts du Draa […] dans les deux premières régions ils sont nombreux, on en rencontre à chaque pas ; dans les deux autres ils sont moins fréquents. Ici, aux limites des Qçûr, au bord de l’Wad, au milieu des cultures, les Ageddims se dressent en foule, ce sont des tours isolées, de 10 à 12 m de haut, en briques séchées au soleil, de forme carrée, percées de créneaux et garnies de Machicoulis : elles sont surtout nombreuses sur les lignes formant frontière entre les localités ; elles s’y dressent d’ordinaire par deux, se faisant face, une de chaque côté. Dès qu’éclate une guerre entre Qçûr, ce qui arrive presque tous les jours, chaque parti emplit ses tours d’hommes armés, avec mission de protéger cultures et canaux et de tirer sur tout individu du camp opposé qui passe à portée ; la fusillade commence aussitôt de tour à tour, vive par moments, surtout quand une troupe parait dans la vallée pour essayer de ravager les champs de ses adversaires. Des questions de conduites d’eau donnent naissance à la plupart de ces guerres. Elles durent parfois longtemps, mais ne sont acharnées que les premiers jours : dans cette période il est rare qu’il n’y ait du sang versé ; ensuite elles traînent en longueur et les hostilités se bornent à envoyer qq coups de fusil dans le Qçar ennemi, chaque fois qu’apparait du monde sur une terrasse, dans les jardins, quand quelqu’un s’approche de la frontière.

[…]

Vêtements

Au Mzgita, dans le district d’Ait Cddrat, dans celui d’Ait Yahiya (Bas-Dâds), les vêtements des Musulmans sont les suivants : khenîf, burnus de poil de chèvre bruns ou gris, ces derniers rayés de fines bandes blanches et noires, Haïks blancs et bruns ; tête nue ou ceinte, mais non couverte, de petits turbans blancs ou noirs ; les femmes riches sont vêtues de Khent, les pauvres de laine blanche ou brune. […] Depuis Taznakht, les armes demeurent uniformes : le long fusil à crosse étroite et poignard recourbé […] à partir du disctrit d’Ait Sddrat, la corne à poudre disparaît et se remplace par une petite gibecière de maroquin rouge couverte de broderies de soie. […]

Acte de Zetat

Il y avait aujourd’hui marché à Imzur, près de Tilit, j’en ai profité pour faire chercher, parmi les Ait Sddrat qui s’y trouvaient, un Ztat sûr, qui me mena au Todgha. On en a choisi un ; l’arrangement a été conclu avec lui ; il a été fait en forme, devant le Taleb présent au marhcé : celui-ci a dressé l’acte en partie double constatant que le Sddrati un tel s’engageait, moyennant une somme de 15 fr, payable à l’arrivée, à me conduire au Todgha ; il serait responsable de tout dommage qui me serait fait durant le trajet et, au cas où je ne parviendrais pas à destination, devrait à la communauté juive de Tilit une indemnité de 5000 fr. Ces formalités sont employées dans diverses régions du Sahara, surtout chez les Brabr et les Ait Sddrat ; dans ces deux tribus, il ets rare qu’un Israelite se mette en route sans s’être, par un acte du genre, mis en sûreté contre son Ztat ; cela ne se fait pas entre musulmans. Cette différence vient de ce que partout un homme serait déshonoré s’il avait violé l’engagement pris avec un autre mahométan, et profité de sa confiance pour l’assassiner ; au contraire, dans certaines tribus, comme celle où je suis, qu’un Musulman promette à un Juif de l’escorter et de la protéger et que, chemin faisant, il le pille et le tue, ce sera regardé comme une peccadille ou comme un bon tour ![…]

Imiter

Imiter est un groupe de 4 Qçûr appartenant aux Brabr. […] construit avec élégance, comme ceux du Draa […] entre Imiter et Todgha, j’ai vu 2 lieux habités, 2 petits Qçûr […] le premier, Timatrwin n-Ignawen appartient aux Brabr (les Ignawen sont une subdivision des Ait Atta) ; […] le second est Qçîba Ait My Hamd, il fait parti d’un groupe de 3 Qçûr situés sur les bords de l’Wad Imiter, non loin  de son confluant evec l’Wad Todgha, tous trois sont entourés de dattiers.

[…]

Todgha

L’oasis du Todgha, une de sa nature, se divise au point de vue politique en 2 portions : la première, le Todgha proprement dit, se compose de la partie haute ; elle est habitée par des Shllaha indépendants ; la seconde qui est sotiée au dessous d’elle, et n’est séparée par rien d’apparent, appartient aux Brâbr ; […] dans tout le Todgha, chaque localité est indépendante de ses voisines. L’oasis est fort peuplée, elle comprend 50 à 60 Qçûr, échelonnés les uns contre les autres le long des plantations.

 

Les Todgha sont des Shllaha, ils se subdivisent en 2 fractions, Ait Câlih et Ait Gnad ; tel qçar appartient à telle fraction, dans certains, les 2 sont mélangées. Chaque qçar a son gouvernement à part et vit isolé des autres, ne s’en rapprochant qu’en cas de guerre, leur organisation à tous est identique : ils se nomment chacun un Shykh al-‘Âm tous les premiers de l’an. En temps ordinaire, aucun lien entre les différents Qçars : on ne se concerte, on ne se réunit que s’il y a guerre. Les Todgha sont indépendants. Ils n’ont de Dbiha sur personne, pas même sur leurs puissants voisins les Brâbr. Leur nombre et surtout leur caractère belliqueux ont sauvé leur indépendance. Les Todgha ont un Qadi, Si Hmad d’Ait Sidi ‘Ayssa, habitant Tinghir, langue Tamazight, 2 marchés : Tnin et Khmis Tinghir

4 Mellah

Qçûr et guerres

La plupart sont construits en des points élevés : ceux de l’étage inférieur de la plaine, au bord de la tranchée que s’y est creusée l’Wad Todgha, les autres au pied des flancs de sa vallée, comme Tirdrin et Tighermt, ou sur des buttes isolées près de ses rives comme Tawrirt et Ait Wrjdal […] les guerres, fréquentes ailleurs, sont continuelles au Todgha ; aussi point de précaution qu’on ne preenne, chaque localité est resserrée dans un étroit mur d’enceinte : de toutes parts se dressent des Agdim.

Durant le temps que j’ai passé à Tawrirt, ce Qçar était en guerre avec son voisin, Ait Wrjdal, chaque jour on se tirait des coups de fusil ; les fenêtres, les lucarnes des maisons étaient bouchées ; on n’osait monter sur les terrasses de crainte de servir de point de mire : les deux localités, si proches que, malgré le peu de portée des armes, on s’atteignait de l’une à l’autre. On ne se contente pas toujours de tirailler à distance ; il n’est pas rare de voir les habitants d’un Qçar en assiéger un autre, le prendre d’assaut et le piller.

 

La langue du Todgha est le Tamazight, beaucoup d’hommes savent l’arabe. Les Musulmans sont habillés de Hayks et de burnus de laine blanche, rarement de Khaydus ; ils ont d’ordinaire la tête nue, quelque fois ils la ceignent, sans la couvrir, d’un petit turban blanc.

[…]Pas de Haratin.