Al-Idrissi, Lisbonne et la Découverte des Canaries (plus de trois siècles avant les Français), v. 1160 n-è

Lisbonne est bâtie sur la rive septentrionale du fleuve qu’on nomme le Tage ; c’est celui sur lequel est située Tolède. Sa largeur auprès de Lisbonne est de 6 milles, et la marée s’y fait ressentir violemment.

Cette belle ville qui s’étend le long du fleuve, est ceinte de murs et protégée par un château fort. Au centre de la ville sont des sources d’eau chaude en hiver comme en été.

Située à proximité de l’Océan, cette ville a vis-à-vis d’elle, sur la rive opposée, le fort d’al-Ma’dan (Almada), ainsi nommé parce qu’en effet la mer jette des paillettes d’or sur le rivage). Durant l’hiver les habitants de la contrée vont auprès du fort à la recherche de ce métal et s’y livrent tant que dure la saison rigoureuse. C’est un fait curieux dont nous avons été témoins nous-mêmes.

 Ce fut de Lisbonne que partirent les Aventuriers, lors de leur expédition ayant pour objet de savoir ce que renferme l’Océan et quelles sont ses limites, ainsi que nous l’avons dit plus haut ^). Il existe encore à Lisbonne, auprès des bains chauds, une rue qui porte le nom de rue des Aventuriers.

Voici comment la chose se passa: ils se réunirent au nombre de huit , tous cousins ; et après avoir construit un vaisseau marchand ils y embarquèrent de l’eau et des vivres en quantité suffisante pour une navigation de plusieurs mois. Ils mirent en mer au premier souffle du vent d’est. Après avoir navigué durant 11 jours ou environ, ils parvinrent à une mer dont les ondes épaisses exhalaient une odeur fétide, cachaient de nombreux récifs et n’étaient éclairées que faiblement. Craignant de périr, ils changèrent la direction de leurs voiles, coururent vers le sud durant 12 jours, et atteignirent l’ile des Moutons, où d’innombrables troupeaux de moutons paissaient sans berger et sans personne pour les garder (Açores ?)

 Ayant mis pied à terre dans cette île , ils y trouvèrent une source d’eau courante et près de là on figuier sauvage. Ils prirent et tuèrent quelques montons, mais la chair en était tellement amère qu’il était impossible de s^en nourrir. Ils n’en gardèrent que les peaux , naviguèrent encore 12 jours vers le sud et aperçurent enfin une ile qui paraissait habitée et culti?ée ; ils en approchèrent afin de savoir ce qui en était ; peu de temps après ils furent entourés de barques, faits prisonniers et conduits à une ville située sur le bord de la mer. Ils descendirent ensuite dans une maison où ils virent des hommes de haute stature et de couleur rousse qui avaient peu de poil et qui portaient des cheveux longs (non crépus) , et des femmes qui étaient d’une rare beauté (blanche).

Durant 3 jours ils restèrent prisonniers dans un appartement de cette maison. Le quatrième ils virent venir un homme parlant la langue arabe qui leur demanda qui ils étaient et pourquoi ils étaient venus, et quel était leur pays. Ils lui racontèrent toute leur aventure ; celui-ci leur donna de bonnes espérances et leur fit savoir qu’il était interprète du roi. Le lendemain ils furent présentés au roi, qui leur adressa les mêmes questions , et auquel ils répondirent , comme ils avaient déjà répondu la veille à l’interprète, qu’ils s’étaient hasardés sur la mer afin de savoir ce qu’il pouvait y avoir de singulier et de curieux , et afin de constater ses extrêmes limites.

Lorsque le roi les entendit ainsi parler, il se mit à rire et dit à l’interprète :

“Explique à ces gens-là que mon père ayant jadis prescrit à quelques-uns d’entre ses esclaves de s’embarquer sur cette mer, ceux-ci la parcoururent dans sa largeur durant un mois, jusqu’à ce que, la clarté (des cieux) leur ayant tout à fait manqué, ils furent obligés de renoncer à cette vaine entreprise (sont-ils monté en Océan Arctique?). Le roi ordonna de plus à l’interprète d’assurer les aventuriers de sa bienveillance afin qu’ils conçussent une bonne opinion de lui, ce qui fut fait Ils retournèrent donc à leur prison , et y restèrent jusqu’à ce qu’un vent d’ouest s’étant élevé on leur banda les yeux, on les fit entrer dans une barque et on les fit voguer durant quelque temps sur la mer. »

“Nous courûmes, disent-ils , “environ 3 jours et 3 nuits, et nous atteignîmes ensuite une terre où l’on nous débarqua les mains liées derrière le dos, sur un rivage où nous fûmes abandonnés.

Nous y restâmes jusqu’au lever du soleil, dans le plus triste état , à cause des liens qui nous serraient fortement et nous incommodaient beaucoup ; enfin ayant entendu du bruit et des voix humaines , nous nous mimes tous à pousser des cris. Alors quelques habitants de la contrée vinrent à nous , et nous ayant trouvés dans une situation si misérable , nous délièrent et nous adressèrent diverses questions auxquelles nous répondîmes par le récit de notre aventure. C’étaient des Berbères. L’un d’entre eux nous dit : “Savez-vous quelle est la distance qui vous sépare de votre pays ?” Et sur notre réponse négative , il ajouta : “Entre le point où vous vous trouvez et votre patrie il y a 2 mois de chemin.”

Le chef des aventuriers dit alors : “wa asafi !” (hélas) ; voilà pourquoi le nom de ce lieu est encore aujourd’hui Asafi. C’est le port dont nous avons déjà parlé comme étant à l’extrémité de l’occident).

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 De Lisbonne, en suivant les bords du fleuve et en se dirigeant vers l’orient jusqu’à Santarem on compte 80 milles. On peut s’y rendre à volonté par terre ou par eau. Dans l’intervalle est la plaine de Balàta. Les habitants de Lisbonne et la plupart de ceux du Gharb disent que le blé qu’on y sème ne reste pas en terre plus de 40 jours et qu’il peut être moissonné au bout de ce temps. Ils ajoutent qu’une mesure en rapporte 100, plus ou moins (!!!)