Ps-Sébéos : La Perse est en guerre civile, Khosrow reçoit l'appui des Romains et de Muchel Mamikon, v. 675

Pendant que la Perse était dans une situation aussi troublée, le patrice Yohannis et l’armée romaine bloquaient et assiégeaient la ville de Dwin ; ils l’attaquaient avec des machines de guerre et étaient sur le point de faire crouler le rempart. Mais dès que ces nouvelles leur parvinrent, ils levèrent le siège et prirent le chemin de l’Atrpatakan (Adhurbaijan). Ils ravagèrent toute la contrée, passant les habitants, hommes et femmes, au fil de l’épée, et rentrèrent dans leur pays avec un riche butin et de nombreux captifs.

Mais lorsque la nouvelle de cette sédition arriva à la Porte des Sassanides et parvint à Ormizd, roi de Perse, une grande terreur l’assiégea. Il convoqua les nobles qui se trouvaient à la Porte royale, l’assemblée de ses officiers et de ses gardes. Il fut résolu qu’on emporterait le trésor du royaume, qu’on emmènerait le personnel de la Porte, et qu’on passerait de l’autre côté du grand fleuve le Tigre par le pont de bateaux qui mène à Veh Kawat.

[…]

Comme Khosrow, au moment de son avènement au trône, était encore tout jeune, ses deux oncles maternels, Vndoy et Vstam, le prirent et passèrent de l’autre côté du grand fleuve du Tigre par le pont de bateaux; ils coupèrent ensuite les cordages qui retenaient le pont. A son arrivée, Vahram prit possession de toute la maison, du trésor et des femmes du roi et s’assit sur le trône. Puis il ordonna de former des radeaux en liant ensemble des pièces de bois, et traversa le fleuve pour s’emparer de Khosrow. Mais la crainte avait empêché ce dernier de demeurer. Aussitôt qu’ils eurent passé, lui et les siens continuèrent de fuir, se demandant en chemin ce qu’il y avait de mieux à faire, d’aller trouver le roi des Tatshik ou de se rendre auprès de l’empereur des Romains.

Enfin, ils jugèrent préférable de chercher leur appui auprès de l’empereur des Romains. Bien qu’il y ait de l’hostilité entre nous, se dirent-ils, cependant ils sont chrétiens et miséricordieux ; et lorsque les chrétiens prêtent un serment, ils ne peuvent pas se parjurer. Ils s’en allèrent donc tout droit vers l’occident et arrivèrent à la ville de Xalab, où ils s’arrêtèrent.

Tout en ayant franchi le fleuve, il ne put donc l’atteindre; et il retourna à Tizbon.

Le roi Khosrow envoya alors à l’empereur Maurice des personnages de haut rang avec des présents, et lui écrivit en ces termes: « Rends-moi le trône et l’empire de mes pères[62] et de mes ancêtres; envoie à mon secours une armée avec laquelle je puisse battre mon ennemi; rétablis mon autorité, et je serai pour toi un fils. Je te céderai: le pays de Syrie, tout l’Aruastan jusqu’à la ville de Nisibe; du pays d’Arménie, le territoire et la principauté Tanuterakan, jusqu’à l’Ararat et à la ville de Dwin, jusqu’au bord de la mer des Bznunis et à l’Arestawan; et aussi la plus grande partie de la Géorgie jusqu’à la ville de Tphxis. Nous conclurons un traité de paix qui durera jusqu’à la mort de chacun de nous, et le serment solennel que nous aurons prêté liera aussi nos fils qui régneront après nous. »

Il envoya lui-même son gendre Philipikos porter à Khosrow une réponse favorable, il reçut son serment et envoya à son aide une armée impériale, le patrice Yohannis, du pays d’Arménie, et le général Nersès, de la Syrie, et leurs troupes, qui, passées en revue, s’élevaient à 3000 cavaliers, par centaines, milliers et légions, selon leurs étendards.

[…]

En effet, il (Khosrow) extermina, dans le royaume de Perse, tous les grands, les chefs des vieilles maisons nobles. Il fit mourir le grand Sparapet Parthew-Pahlaw, qui descendait de cet Anak le meurtrier dont un fils, arraché par ses nourrices à la fureur des soldats de Khosrow, roi d’Arménie, avait été apporté par elles à la Porte royale, dans le pays des Perses : le roi lui accorda tout ce qu’il avait promis à son père Anak, lui rendit ce qui appartenait primitivement aux Parthes et aux Pahlawiens, lui fit ceindre une couronne, le comble d’honneurs et lui donna la seconde place dans son royaume.

Ce sparapet avait deux fils, dont le premier se nommait Vndoy, le second Vstam.

Ils réunirent, pour entrer en campagne, toutes les troupes du pays d’Arménie qui se trouvaient alors disponibles, et les passèrent en revue; c’étaient les troupes de tous les Nakharars, et elles formaient environ quinte mille hommes, par centaines, milliers et légions, rangés suivant leurs enseignes. Tous étaient des guerriers d’élite, complètement armés; enflammés d’ardeur, qui ne craignaient rien et ne tournaient jamais le dos. Leur face était pareille à celle des lions; la légèreté et la rapidité de leurs pieds égalaient celles des chevreuils courant dans les plaines. Ils se mirent en route avec docilité et en toute obéissance.

Le révolté mihranien réunit aussi ses troupes, ses éléphants et tous les trésors royaux ; il se mit en route et arriva dans l’Atrpatakan(Adhurbaijan). Les deux armées campèrent à peu de distance l’une de l’autre, dans le canton de Vararat.

Vahram (le rebelle) écrivit alors à Muchel et aux autres Nakharars arméniens une lettre conçue en ces termes:

« Je croyais qu’en me voyant combattre vos ennemis, vous, de votre côté, vous viendriez à mon aide et que nous pourrions supprimer, en réunissant nos efforts, ce fléau de l’univers, la maison de Sassan. Or, voici que vous avez pris les armes pour marcher contre moi et porter secours à Khosrow. Quant à moi, je ne craindrai pas les vétérans romains qui sont venus pour m’attaquer. Mais vous, Arméniens, qui montrez si mal à propos votre fidélité à votre maître, n’est-ce point la maison des Sassanides qui a dévasté votre pays et mis fin à votre indépendance ? Ou bien, pourquoi vos pères se sont-ils soulevés contre eux, pourquoi ont-ils secoué leur joug et combattu jusqu’à ce jour pour votre pays? Et maintenant il marche contre moi pour détruire le fruit de tant d’efforts! En effet, si Khosrow est vainqueur, lui et l’empereur s’uniront pour vous anéantir. Mais s’il vous semble bon de vous écarter d’eux, de vous unir à moi et de me tendre la main en me secourant, au cas où je serais victorieux, je jure par le grand dieu Aramazd, par le Seigneur Soleil et par la Lune, par le Feu et par l’Eau, Mihr et par tous les dieux, que je vous donnerai le royaume d’Arménie. Vous prendrez pour roi qui vous voudrez. Je vous laisserai tout le pays d’Arménie jusqu’au Caucase et à la Porte des Alvans; et du côté de la Syrie, l’Aruastan et le nouveau Shirakan, jusqu’aux confins des Taiks, car ils vous ont appartenu dès le temps de vos aïeux ; et à l’occident jusqu’à Césarée de Cappadoce. De mon côté, je ne me permettrai pas de franchir l’Arasp ; et le trésor du royaume des Iraniens sera considéré comme suffisant pour moi et pour vous; il vous suffira jusqu’à l’établissement de votre royaume. »

Selon l’usage iranien, du sel fut empaqueté et scellé avec le message.

Quand les [chefs Arméniens] eurent reçu le message et l’eurent lu, ils ne répondirent pas et n’en parlèrent qu’à peu d’entre eux, de peur de provoquer un désaccord.

Alors [Vahram écrit] une seconde lettre :

« Je vous ai écrit de ne pas demeurer avec eux, car ce pays et les trésors de ce royaume sont suffisants pour vous et pour moi; mais vous ne voulez pas m’écouter, puisque vous n’avez pas répondu à mes paroles ; je vous en ferai repentir, dit-il ; demain même je vous montrerai des éléphants harnachés et, montée sur ceux-ci, une armée de soldats braves complètement armés, qui feront pleuvoir sur vous des javelots en fer lancés avec la main et des traits en acier trempé, avec des flèches lancées par des arcs fortement tendus, des hommes jeunes, vigoureux, armés de toutes pièces, ainsi que des chevaux arabes rapides, des haches et des épées en acier trempé, des coups tant qu’il en faudra pour Khosrow et pour vous.”

Muchel lui répond : « Il en est ce qu’il plaît à la miséricorde de Dieu; il a donné à qui il a voulu ; c’est de toi-même que tu devrais avoir pitié et non de nous ; je te sais fanfaron et ce n’est pas sur Dieu que tu comptes, mais sur la bravoure et sur la force de tes éléphants. Je t’assure que, si Dieu le veut, demain, une guerre de braves t’enveloppera ; ils fondront sur toi et sur la multitude de tes éléphants, comme les nuages du ciel, plus terribles que tout. D’en haut se rueront sur toi, éclatant et flamboyant terriblement, des héros armés, [montés] sur des chevaux blancs et [armés] de lances puissantes. Ils passent à travers la foule comme les éclairs [sillonnent] les forêts vertes [ou] desséchées par le feu de la foudre qui tombe du ciel sur la terre et consume les broussailles des plaines. Car, si Dieu le veut, un vent violent emportera ta puissance comme la poussière et le trésor royal reviendra au roi.”

Avec lui étaient ce Vndoy et Vstam, que j’ai mentionnés plus haut, et environ 8 000 cavaliers persans. Le lendemain matin, lorsque le soleil commença à poindre, ils se rangèrent front contre front et se ruèrent les uns sur les autres. Une mêlée violente se fit et un massacre terrible eut lieu dans ce remous. Le combat dura du matin jusqu’au soir, et harassa les hommes des deux partis.

[…Victoire de Khosrow, Vahram a fuit]

Ils lui répondirent :

« Ce sont eux qui ont sauvé ce rebelle, car nous avons vu de nos propres yeux Muchel Mamikonien le saisir, lui donner un cheval et un équipement et le laisser aller. »

Ils parlaient ainsi, parce qu’ils lui voulaient du mal. En voyant cette cruauté, leurs cœurs épouvantés se détournèrent de lui. Le roi, jeune et inexpérimenté, ne s’en aperçut pas. Il ne se rappela pas la révolte de ses soldats, mais fixa son esprit sur ses paroles de mensonge et dit :

« Qu’on mande ici Muchel, qu’on lui lie les pieds et les mains jusqu’à ce que j’instruise l’empereur à son sujet. »

[…]

Alors le roi Khosrow fit des cadeaux suivant la mesure qui convenait à chacun, et il les congédia. Puis, partant de l’Atrpatakan, il se rendit dans l’Asorestan, dans sa propre demeure royale ; il s’affermit sur son trône; puis il remit à l’empereur ce qu’il lui avait promis : il donna l’Aruastan tout entier jusqu’à Nisibe ; la partie de l’Arménie qui était sous sa domination ; la maison Tanuteraka jusqu’au fleuve Hurazdan et le district de Kotekh jusqu’au bourg de Garni et jusqu’au bord de la mer des Bznunis ; l’Arestawan et jusqu’au district de Gogovit, jusqu’à Hachiwn et à Maku ; la région du régiment de Vaspurakan était au service du roi des Perses; parmi les Nakharars d’Arménie, beaucoup étaient du côté des Romains et quelques-uns seulement du côté des Perses. Il donna aussi la plus grande partie de la Géorgie jusqu’à la ville de Tiflis.

Quant à Muchel, l’empereur l’appela au palais, et il ne revit plus sa patrie