Cependant Doukas étant mort, la couronne passa à Romain Diogène. Le roi des Turcs mourut aussi, et eut pour successeur Alp Arslan, qui vint lui-même en Arménie, et soumit ce pays après s’être rendu maître de Shamshuïldé. Ayant marché contre Ani à la tête de 100 000 hommes, il prit cette ville, et, ayant fait mettre à mort 1000 personnes dans un des fossés, il se baigna dans leur sang ; de là il retourna à Nakhgavan. Diogène, ayant rassemblé une armée immense, s’avança contre lui, et, étant arrivé à Gars, brûla l’église des Arméniens, et jura que, s’il revenait victorieux des Turcs, il exterminerait la nation arménienne tout entière, ou la convertirait à sa croyance. Dieu entendit ses paroles, mais ne les exauça pas ; son expédition échoua, son armée fut détruite, et lui-même fait prisonnier.
La nouvelle de ce revers étant parvenue à Constantinople, on plaça Michel sur le trône. Cependant Diogène, ayant obtenu d’Alp Arslan sa liberté à force d’instances, et au moyen d’un traité d’alliance, voulut se rendre à Constantinople. Mais les Romains, s’étant saisis de sa personne, lui crevèrent les yeux. Sa vaine gloire s’obscurcit, et son orgueil et sa jactance lui tournèrent à mal.
Après cela, Alp Arslan envoya Soliman, son neveu, dans le pays des Arméniens et des Romains. Celui-ci, ayant établi sa domination sur eux, devint leur souverain ; il s’introduisit pendant la nuit dans Antioche, surprit cette ville, et transforma en mosquée Saint-Pierre, sa principale église.
Ce fut dans ce temps qu’un émir, dont la contenance annonçait la modestie, qui était ami de la prière et plein d’affabilité, vint en Cappadoce avec des troupes et par l’ordre d’Alp Arslan, il s’empara de Sébaste, de Césarée, et se créa une principauté considérable. Il fut la tige de la maison des Danishmend, à laquelle il donna son nom. Lorsque précédemment des Turcs avaient été emmenés esclaves de la Thédalie, ils avaient connu la loi des Arabes, et adopté la fausse doctrine de Mahomet ; cet émir se fit son vengeur plus que tous les autres, et se montra son émule.
A cette époque, 50 Arméniens, supportant avec impatience les vexations des Turcs, se retirèrent dans le désert, armés de toutes pièces, et dans une foule d’endroits firent éprouver à leurs oppresseurs toutes sortes de maux. Étant parvenus sur le territoire de Marash, ils rencontrèrent un de leurs compatriotes, et, s’ouvrant à lui, ils lui dirent :
« Viens à nous, sois notre chef, et, avec l’aide de Dieu, nous chercherons un lieu pour nous y fixer. »
Il acquiesça à ces paroles. C’était un homme de haute stature, d’une figure noble et plein de bravoure. Il partit avec eux. Son nom était Philarète. Ils entrèrent dans la Cilicie, conquise récemment par les Turcs, leur enlevèrent une forteresse et s’y établirent. Ayant soumis tout le pays avec ses places fortes, ses villes, ses montagnes et ses plaines, Philarète devint très puissant, et son nom célèbre. Dans une de ses expéditions, Marash, Ablastha, Mélitène, Kaçun et Gargar tombèrent en son pouvoir ; puis il se dirigea vers l’Euphrate, qu’il traversa ; il occupa Édesse et un grand nombre d’autres villes. Dès lors les Turcs commencèrent à trembler devant lui. L’empereur des Romains, instruit des succès de Philarète, lui envoya des présents et le nomma Sébaste.
Cependant les Turcs, s’excitant les uns les autres à prendre les armes, se rassemblèrent de toutes parts contre lui et le défirent; ils lui enlevèrent la moitié de ses Etats, qui passa sous leur joug. Alors il alla à Bagdad pour réclamer les possessions dont il avait été dépouillé ; là il abjura sa religion et reçut un diplôme par lequel il recouvrait tout ce qui lui avait appartenu. Mais cette concession ne lui servit de rien, car, lorsqu’il fut de retour, il trouva les Turcs maîtres du reste de la contrée. Ayant marché contre lui, ils le chassèrent. Soupirant du fond de son cœur, et pleurant amèrement, il se rasa les cheveux, se voua à la pénitence, et revint à sa foi primitive en se retirant dans un obscur monastère.
[…]
A cette époque, les princes arméniens de sang royal, qui, sous le règne de l’empereur Basile, avaient émigré du Vasburagan, et reçu Sébaste, Césarée et Kavadanêk, en échange de leurs États héréditaires, se virent dépossédés par la perfidie des Romains. Ainsi dépouillés de nouveau, ils passèrent dans la Cilicie, et se rendirent maîtres, à main armée, d’un grand nombre de districts, de forteresses et de châteaux. Ces princes sont nommés Rupéniens, ils descendent de deux tiges des illustres et puissants rois qui avaient Haïg et Sennashérib pour ancêtres, et qui s’allièrent par le sang, et dans les temps anciens dominèrent sur le Vasburagan, contemporains des Bagratides, souverains de la Grande Arménie. Ce fut dans la Cilicie et dans l’Isaurie que leur trône fut alors restauré. Rupen devint le fondateur de cette dynastie, qui fut continuée par Constantin, Thoros et leurs successeurs, l’un à la suite de l’autre.