René Caillié, Entretien avec un marabout Brakna, 1828

Le 4 novembre, le gendre de Mohammed Sidy Moctar vint au camp. Gomme il ne logeait pas chez son beau-père, je crus qu’ils étaient brouillés -.j’allai lui faire ma visite. Il me témoigna beaucoup d’amitié, et me fit nombre de questions sur la résolution que j’avais prise; il m’en félicita; puis il me dit qu’il craignait beaucoup que les chrétiens ne gardassent mes marchandises, ou bien que, si je retournais les chercher, ils ne me retinssent de force. Je m’empressai de détruire une erreur qui lui était suggérée par les principes mêmes de sa religion. Je l’assurai que les chrétiens me laisseraient toujours libre de mes actions ; et quant à mes marchandises, qu’elles étaient aussi en sûreté entre leurs mains qu’entre les miennes.

« Les blancs, lui dis -je, ne volent personne; leurs lois punissent sévèrement ce crime, et ils rendraient justice au dernier musulman comme au premier des chrétiens ; ils sont égaux devant la loi. »

Je saisis cette circonstance pour lui demander pourquoi les musulmans tenaient envers les chrétiens une conduite aussi contraire à la religion; pourquoi, lorsqu’ils se hasardent à voyager chez eux pour affaires de commerce, ils les maltraitent ou les font esclaves, quoiqu’ils n’en reçoivent aucune insulte.

« Je ne crois pas, ajoutai-je, qu’un Dieu bon et miséricordieux approuve une pareille conduite. Si vous desirez la conversion des chrétiens, ce n’est qu’à force de relations, et en les surpassant en justice et en bonté, que les musulmans parviendront à les persuader, et non en les maltraitant. D’ailleurs, la majeure partie d’entre eux n’ont jamais entendu parler du prophète. Moi, je suis musulman, mais je n’approuverai jamais celui qui fait du mal à son semblable. »

Le marabout convint de la vérité de ce que je lui disais; mais il répondit qu’il était indigné de voir que quand un musulman parle du prophète à un chrétien, celui-ci lui rit au nez; qu’il n’y a que des infidèles qui puissent en agir de la sorte, et qu’il serait méritoire pour lui de le tuer, parce qu’alors ils iraient tous deux dans le ciel. J’eus intention d’entrer dans quelques détails sur la religion chrétienne ; mais je craignais de me laisser emporter trop loin par un zèle imprudent : je me contentai de lui dire que les chrétiens adoraient le même Dieu que les musulmans.

Oui, dit-il, je le sais : mais ils ne prient jamais; ils boivent du vin et de l’eau -de -vie, ce qui déplaît à Dieu ; enfin, de toutes les religions, celle de Mahomet est la seule qui lui soit agréable, et il condamne au feu éternel ceux qui ne la suivent pas. Il me demanda ensuite si je voulais faire le voyage de la Mecque ; je lui répondis que c’était le devoir de tout bon musulman, et que j’espérais bien m’en acquitter. Il me prit la main en me disant :

« C’est bon, Abd-allahi, vous aimez Dieu et le prophète. »

Ce fut Boubou -Fanfale qui nous servit d’interprète pendant cet entretien.